L'Entre-Deux : une maison de thérapie et d'hébergement pour femmes en dépression
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L’Entre-Deux : une maison de thérapie et d’hébergement pour femmes en dépression Pauline Lacroix L a maison « Hébergement l’Entre-Deux » est un ancien presbytère construit à la fin des années cinquante. Il a l’aspect d’une petite maison familiale, située à côté de l’église du quartier, près d’une biblio- thèque, d’un tennis et de la piscine municipale. On peut qualifier son environnement de tranquille, d’agréable, d’apaisant. Corporation sans but lucratif, « L’Entre-Deux » est subventionnée par la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux de la Monté- régie. Elle fut créée en février 1983 à la suite d’une étude faite par un groupe de personnes qui travaillaient dans le domaine de la santé men- tale : travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres, bénévoles, mem- bres de différents organismes tels Carrefour pour elle, Le Moutier ou d’établissements publics C.H., CLSC, CSSM. 1 Le résultat de l’enquête démontrait que trop de femmes se retrouvaient hospitalisées en service psychiatrique faute d’existence d’une autre formule d’aide qui aurait pu leur être proposée. Mandat fut donc donné à un organisateur com- munautaire de s‘entourer d’une équipe, afin de mettre sur pied une maison pouvant accueillir des femmes en grandes difficultés. « L’Entre-Deux » porte son nom parce qu’elle fut pensée comme un lieu et un temps transitoires, lieu et temps autres, entre l’hôpital et la maison, entre la maladie et le retour à la vie. Dés le départ la clientèle était nombreuse, dix-huit à vingt résidantes, représentant diverses pro- blématiques, femmes alcooliques, toxicomanes, itinérantes, psychoti- ques, ou encore femmes en dépression. L’intervention d’aide qui fut tout d’abord proposée était de type occupationnel : activités d’artisa- nat, promenades, tâches à la cuisine ou participation à l’entretien de la 1. Centre hospitalier, Centre local des services communautaires, Centre des services sociaux de Montérégie
196 Les ressources alternatives de traitement maison. Les quelques rencontres de groupe servaient simplement à ré- guler au quotidien les aspects relationnels et organisationnels de la vie en commun. Mais très vite et ceci dès 1984, la composition de la clientèle se re- structure et s’impose d’elle-même : elle devient exclusivement celle de femmes en dépression. À partir de ce constat, un programme de théra- pie de groupe et de thérapie individuelle s’élabore. L’orientation fémi- niste et la thérapie de groupe deviennent les fondements de l’approche qui sera désormais favorisée auprès des résidantes. Cette nouvelle op- tion vise à faire échec à l’isolement des femmes et à encourager avec leur capacité de prise en charge la solidarité entre elles. Cette nouvelle orientation de l’intervention d’aide offerte à « L’Entre-Deux » sera d’ailleurs rendue officielle en 1989 par les membres de l’assemblée gé- nérale. En outre, le nombre des résidantes qui seront acceptées sera dé- sormais réduit à un maximum de quatorze. Il est très évident que l’approche de « L’Entre-Deux » a puisé ses sources dans le mouvement culturel et social de libération des femmes des années 1970. En tout premier lieu, il y a le profond désir de recon- naître les femmes comme étant des participantes à part entière à la so- ciété. Une conscience sociale affirmée, une tendresse pour les femmes souffrantes et des valeurs militantes sous-tendent notre programme. L’accent « féministe » qui marque notre approche croit aux capacités in- trinsèques des femmes à se prendre en charge et à se réapproprier leur vie. Nous entendons aussi les aider à développer une estime d’elles- mêmes et à découvrir, pour chacune, ses compétences propres. De nombreuses études féministes ont démontré que la socialisa- tion et l’apprentissage des rôles sexuels, féminins ou masculins, produi- sent pour chaque sexe, par les spécificités de l’éducation et du condi- tionnement socioculturel qu’ils impliquent, des vulnérabilités, des blessures, des formes de détresse mais aussi des forces particulières. No- tamment le fait que nombre de femmes aient appris à vivre en fonction des autres et non d’abord en fonction d’elles-mêmes, a grandement ré- duit leur sentiment d’existence propre et leur sentiment d’identité. Si le partenaire amoureux, si l’enfant, si le parent malade n’est plus là, beau- coup de femmes se sentent comme si elles n’étaient plus personne, se sentent vides et sans raison de vivre. De plus, le rôle social traditionnel imparti à la femme l’a longtemps isolée dans la vie domestique où elle avait, de surcroît, souvent le sentiment de « ne pas fournir à la tâche ». La dépression apparaît fréquemment comme une réponse, exprimée sous la forme de résistance passive, face à une vie que la femme a peine à comprendre et à maîtriser et qui ne lui appartient pas en propre.
Pauline Lacroix 197 Les femmes qui s’adressent à « L’Entre-Deux » traversent ce qu’il est convenu d’appeler une dépression majeure. Elles sont démunies affec- tivement et financièrement. Elles ont perdu l’appétit, le sommeil, l’es- time d’elles-mêmes et le goût de vivre. Elles sont souvent hantées par des idées suicidaires et plusieurs ont déjà tenté de se supprimer. Beau- coup en plus ont été victimes de mauvais traitements, de violence et d’abus sexuels. Âgées en moyenne de 40 ans, la majorité d’entre elles ont vécu avant de venir à « L’Entre-Deux » un ou plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Elles nous voient, disent-elles, comme leur der- nier espoir, leur bouée de sauvetage. Un deuil, une rupture amoureuse, une perte de travail, un épuise- ment familial ou professionnel, un sentiment d’échec profond, un passé traumatisant revenant à la mémoire ou tout simplement une in- capacité à vivre seule, ont été autant de déclencheurs immédiats de la crise aiguë qu’elles traversent. Ces déclencheurs immédiats de l’état de dépression ramènent les femmes dans leurs conflits psychiques non ré- solus autant face à des événements présents qu’à un passé lointain. On constate au plan psychique un Moi qui s’est affaibli à trop tenter de ré- pondre aux attentes des autres ou qui s’est écroulé devant la perte du regard bienveillant et l’impossibilité de continuer à s’oublier pour avoir l’amour et l’affection. En même temps, il y a un désir de mettre à jour un « moi caché », abandonné, avec tout le ressentiment qui accompa- gne cet imaginaire. Tout ceci donne une confusion d’émotions brutes, nouées, et cette confusion court-circuite la capacité de penser. Mais si toutes ces femmes sont diagnostiquées comme étant « en dépression », elles ne présentent toutefois pas le même tableau clinique. On sait combien la problématique de la dépression est hétérogène et la dynamique psychique de chaque cas, singulière. Aussi, l’intervention de soutien et l’approche clinique que nous proposerons devront-elles, dans la mesure du possible, se personnaliser, et se moduler en fonction de chaque cas. L’Entre-Deux est un lieu psychothérapeutique. Notre croyance dans la capacité de l’être humain à grandir nous amène à offrir aux femmes une démarche ayant pour but de changer et non pas d’accep- ter sa « maladie » et de se laisser couler dans le rôle passif de malade. Au plan thérapeutique, notre approche s’inspire de plusieurs pers- pectives : humaniste, psycho-dynamique et psychanalytique. Elle favo- rise l’écoute, l’expression des émotions, la compréhension du mal être qui a été à la source de l’état de dépression. Une attention toute parti- culière est accordée à l’expression de la colère. Les femmes sont encou- ragées à utiliser une salle dite de « défoulement » où on trouve un
198 Les ressources alternatives de traitement « punching bag » des coussins, des balles et où elles peuvent crier à leur aise. C’est en même temps une reconnaissance de la légitimité de l’ex- périence de la colère qui, traditionnellement, a été censurée chez les fillettes et chez les femmes comme s’il y avait là une émotion inaccep- table pour une femme. C’est un moyen d’exprimer cette violence inté- rieure sans danger ni pour autrui ni pour soi-même. En apprenant peu à peu à libérer cette énergie, les femmes peuvent commencer à retrou- ver une capacité à s’affirmer et à se redonner un peu de pouvoir. Nous proposons également un travail introspectif en vue de déve- lopper un regard sur soi et une conscience de soi. Nous valorisons la parole pour sortir du « non dit » et mettre des mots sur la souffrance psychique : souffrance qui sera aussi analysée en fonction de l’enfance, des expériences passées et du contexte familial et social. Il sera impor- tant de comprendre l’impact des événements de son histoire sur la na- ture de ses difficultés et de départager les sentiments rattachés aux ex- périences infantiles de ceux rattachés aux expériences de la réalité immédiate. Pour les participantes, apprendre à se mettre à l’écoute d’elles- mêmes augmente leurs capacités de choisir et ainsi de devenir plus au- tonomes. Toutefois, pour certaines l’introspection est une chose abs- traite qu’elles ressentent comme inaccessible et menaçante. Elles ont vécu dans l’action et le concret des choses et ont peu réfléchi sur elles, leur situation et leur détresse. C’est souvent une première occasion de regard sur soi. L’expérience est parfois si difficile, si neuve, si impensa- ble quelque part, que certaines s’en défendront jusqu’à la fin. Pour éviter que les femmes ne stagnent dans la position de victi- mes, un accent soutenu est mis sur la responsabilisation de ses propres attitudes et de ses comportements, ceci afin d’apprendre à se « réappro- prier » sa vie. Les femmes sont invitées à se placer au centre de leur vie et à devenir conscientes de leur identité, de leurs connaissances, de leurs faiblesses, et de leurs capacités d’atteindre leurs buts. Une telle démarche exige donc de la part des résidantes une parti- cipation active. C’est pourquoi celles-ci choisissent volontairement de venir à « L’Entre-Deux » et de s’impliquer dans toutes les formes d’acti- vités qui leur seront proposées. Comme la dépression produit chez le sujet un état de passivité et de léthargie, notre programme se veut obli- gatoire afin de stimuler les femmes à se mobiliser, à sortir de leur repli et de leur enfermement. S’inscrivant dans la lignée des courants féministe et humaniste, notre approche conteste le recours à un diagnostic objectivant qui dépersonna- lise le sujet. Toutefois, vu l’existence de différences réelles entre les indivi-
Pauline Lacroix 199 dus, notre intervention s’est enrichie de l’approche de James F. Masterson auprès de patients présentant des troubles de la personnalité. Celui-ci s’inscrit dans les courants psychodynamiques de la psychologie du Soi et de la théorie des relations d’objet. Il distingue quatre structures de per- sonnalités pathologiques présentant des troubles de la personnalité (« borderline », narcissique, schizoïde et antisocial) et propose des straté- gies de communication adaptées à chaque structure de personnalité. Son approche préconise le développement de l’alliance thérapeutique et met l’accent sur l’analyse des résistances, passages à l’acte et mécanismes de défense qui font obstacle à cette alliance. Pour Masterson, il s’agit du pro- blème le plus important que l’on rencontre avec ce type de clientèle. Le cheminement proposé, qui se réalise dans un contexte d’héber- gement, veut permettre aux femmes de prendre une distance de leur milieu afin de saisir plus clairement ce qu’il en est de leur situation de vie. Souvent, beaucoup de ces femmes vont reproduire entre elles et re- vivre les mêmes patterns relationnels vécus dans leur enfance ou dans leur milieu familial. Mais au Centre, elles ont l’aide des intervenantes pour entrevoir ces formes de répétition, et même parfois en compren- dre les ressorts. Habiter à « L’Entre-Deux », c’est se donner, pour un temps, un lieu d’appartenance, un environnement chaleureux, soutenant et sécuri- sant. C’est aussi une immersion dans de nouvelles valeurs faites de res- pect de soi et des autres et de communication. Mais, autant le milieu de vie en hébergement peut être source d’entraide, autant il peut être aussi propice aux rivalités et à la méfiance. Certaines femmes rencontrent plus que d’autres des difficultés d’adaptation à la vie de groupe, à la thérapie et au cadre, ce qui peut susciter en elles des sentiments d’inca- pacité et d’exclusion. Le séjour à « L’Entre-Deux » dure au maximum trois mois. C’est donc un séjour de moyenne durée. Cette intervention thérapeutique ponctuelle ne prétend pas transformer en profondeur la personnalité mais vise plutôt à améliorer le fonctionnement d’une personne dans son rapport à elle-même et aux autres. Parfois il réussit de façon si significa- tive, que l’on peut parler de transformation. L’encadrement thérapeutique que nous proposons est assuré par des femmes uniquement. Ce choix délibéré de construire un univers exclusivement féminin favorise, pensons-nous, le partage, l’entraide, l’amitié, la confiance et la solidarité entre femmes. Un espace féminin, une valorisation du féminin, la présence à travers les thérapeutes et les autres résidantes de modèles féminins aident aux retrouvailles avec soi comme femme.
200 Les ressources alternatives de traitement Lors d’une première rencontre individuelle avec une thérapeute, la résidante doit se définir un ensemble d’objectifs à atteindre pendant son séjour. Chaque semaine, elle doit également identifier un objectif particulier pour la semaine qui commence. Nous croyons qu’en posant des actions concrètes dans leur quotidien, en identifiant et en expri- mant ce qu’elles veulent, les femmes vont s’engager dans un processus de reprise du pouvoir sur leur vie. La thérapie de groupe, noyau central de notre traitement, se dé- roule quatre fois par semaine et est animée par deux thérapeutes. Au début de chaque session, les thérapeutes proposent un exercice de cen- tration afin d’aider chaque participante à identifier son émotion ; elles devront à nouveau nommer l’émotion qui les habite à la fin de la ses- sion. Dans cet exercice, les femmes apprennent ainsi à être à l’écoute de leurs émotions et à les discerner. De plus, les résidantes sont invitées à prendre la parole de façon spontanée, tout en respectant l’espace de parole des autres. Les théra- peutes, par leurs interventions, soutiennent les femmes dans l’expres- sion verbale et l’élaboration de leurs difficultés. Elles facilitent l’expres- sion des émotions et favorisent des prises de conscience. Elles les questionnent pour les stimuler à trouver leurs propres solutions et par le fait même à découvrir leurs capacités. Elles doivent résister toutefois à la pression de celles qui aimeraient bien qu’on trouve à leur place des réponses et des modes d’emploi. Les thérapeutes soulignent les contra- dictions qui peuvent exister entre un objectif choisi, un désir exprimé et un comportement. Cette confrontation, pour être efficace, se doit d’être faite avec empathie et ne pas être teintée d’une notion de blâme. Les thérapeutes cherchent à optimiser tout ce que le groupe peut permettre. Qu’il s’agisse du partage, de l’entraide, de la reconnaissance de ce qu’il peut y avoir de commun et de différent dans l’expérience de chacune, de la normalisation et de la dédramatisation de certaines si- tuations. Les résidantes disposent d’un pouvoir d’intervention auprès des autres résidantes, car c’est une autre façon de reconnaître leurs compétences. La dynamique d’un groupe est, croyons-nous, une source importante d’énergie de changement. Divers ateliers d’expérimentation ont lieu une fois par semaine car nous croyons, à l’instar des théoriciens humanistes Carl Rogers et Abraham Maslow, qu’une personne en santé psychique est une per- sonne créatrice. L’atelier de créativité propose aux femmes des expériences neuves, en fournissant l’occasion d’utiliser diverses techniques de collages, de des- sins et de modelages. À la fin de ce qui s’avère un véritable laboratoire ex-
Pauline Lacroix 201 périenciel, la thérapeute effectue un retour sur la production de chacune et accueille les émotions qui ont été suscitées par le travail. Les femmes sont bien souvent surprises de se découvrir un tel potentiel créateur. L’atelier de théâtre est animé par une intervenante qui est aussi co- médienne. Elle a recours au jeu de rôles et à l’interprétation de person- nages afin d’éveiller l’imaginaire et d’augmenter l’expression de soi. Ces pratiques permettent aux résidantes d’entrer en contact avec des par- ties jusque là ignorées d’elles-mêmes. La majorité des femmes y trou- vent du plaisir et y font des « insight » appréciables. L’atelier de conscience corporelle est animé par une massothéra- peute. Des activités de massage, de posture et de respiration donnent la possibilité aux femmes d’entrer en relation avec toutes les parties de leurs corps. Les femmes établissent alors des liens entre certaines sensa- tions physiques et leurs émotions. Beaucoup de femmes qui ont été blessées dans leur corps réapprivoisent le fait de toucher et d’être tou- chée. Enfin, l’atelier de relaxation est animé par l’intervenante du soir. Dans la pénombre d’une chandelle, elle lit un conte, fait jouer une cas- sette de musique ou dirige une visualisation. Chaque résidante est éten- due sur son tapis de sol. Dans cette position couchée, propice à induire des états de régression corporelle et émotionnelle, il arrive que des élé- ments refoulés, souvenirs, fantasmes, émotions, etc. fassent un retour vers la conscience. Les apprentissages informels vécus dans la vie quotidienne de la Maison s’ajoutent et complètent le programme thérapeutique struc- turé. Alors que le souper est propice aux échanges et au plaisir, la soirée permet aux femmes de développer des liens entre elles, de reprendre contact avec leurs familles et amis, de faire un retour sur des prises de conscience de la journée. Souvent, les femmes ont besoin de l’accompa- gnement de l’intervenante de soir pour composer avec les émotions vécues dans diverses situations. Quant à la nuit, s’il y a lieu, l’inter- vention d’aide se fait dans le but de calmer l’angoisse et de retrouver le sommeil. La fin de semaine, l’intervenante répond à des besoins ponc- tuels. L’intervenante doit discriminer les demandes d’aide des résidantes : ceci afin qu’elles ne deviennent pas totalement dépendantes d’elle mais aussi pour respecter ses limites propres. Toutefois, mettre des limites exige que l’intervenante ait établi un bon contact avec la résidante et ensuite qu’elle aide la résidante à comprendre son comportement. Durant le dernier mois de séjour, les intervenantes de fin de se- maine rencontrent de façon individuelle chaque résidante, une fois la
202 Les ressources alternatives de traitement semaine, ceci afin de les aider à préparer leur retour chez elles. Elles les guident dans des prises de décision, des démarches à faire (logement, travail…) et elles les accompagnent dans leurs angoisses de séparation d’avec la Maison, les intervenantes, les résidantes. Suite au séjour à « L’Entre-Deux » des résidantes, une période de suivi est accessible, au rythme d’une thérapie semaine, dans un groupe de cinq personnes. Ce suivi favorise l’intégration des apprentissages au quotidien. Nous incitons également les résidantes à rechercher un sou- tien auprès d’autres organismes car elles repartent vers la vie « ordi- naire » non sans une certaine fragilité. Les intervenantes sont des professionnelles. Elles ont des forma- tions universitaires en psychologie et sociologie et continuent de se perfectionner et d’avoir recours à de la supervision clinique. En outre la Maison prévoit un budget pour la formation continue. Depuis 3 ans, les thérapeutes qui animent la thérapie de groupe sont en supervision clinique dans une approche thérapeutique des troubles de la personna- lité. Cette année, toute l’équipe a reçu une formation dans cette appro- che et a une supervision clinique depuis l’automne 1999. Un travail de collaboration et de concertation s’avère crucial entre les intervenantes. Ce travail est sans cesse à construire et à entretenir car parfois, les conflits entre résidantes rendent le climat d’équipe et la so- lidarité plus précaires. Un relais d’information, de partage et d’échange entre les intervenantes assure une continuité et une cohérence dans l’intervention. Les réunions d’équipe servent à diffuser l’information, à faire le point sur le cheminement de chacune des résidantes et à élaborer, le mieux possible, un portrait de la résidante qui guide le type d’interven- tion à exercer auprès d’elle. Ce portrait contient des éléments de son histoire familiale, de son mode relationnel autant avec sa famille, conjoint, amies qu’avec les in- tervenantes et les résidantes de la Maison, les thèmes importants de sa vie (abandon, inceste, violence), les transferts ou les projections effec- tués sur les intervenantes et le type de réaction contre-transférentielle qu’elles suscitent, soit le cortège de sentiments plus ou moins ambiva- lents qui peuvent être induits chez telle ou telle intervenante : idéalisa- tion, amour, tendresse, rejet, violence, mépris, haine, indifférence, en- nui, exaspération, etc.… Les intervenantes utilisent un système de fiches où sont consignées toutes les informations pertinentes concernant chaque résidante. De cette façon, chaque intervenante peut s’y référer afin d’être au courant de ce qui s’y est passé durant son absence. Ce cadre apporte une cer-
Pauline Lacroix 203 taine unité dans l’intervention des membres du personnel qui inter- viennent à des heures différentes. Mais, les intervenantes rencontrent, à l’occasion, le problème de la « leader négative ». L’influence qu’elle exerce auprès des autres résidan- tes crée une situation de violence passive. Il peut être complexe, pour les thérapeutes, de dépasser ce sentiment d’impasse qui peut engendrer un sentiment d’impuissance avant qu’un certain contrôle du groupe ne soit rétabli. Les intervenantes jouent aussi un rôle de figure d’autorité. Elles doivent faire respecter les règles de vie élémentaires (ponctualité, heu- res d’entrée, permissions) par les résidantes. Bien qu’elles essaient d’être « justes » ou le plus neutres possible dans ces transactions, les frustrations et les rivalités des résidantes sont nombreuses, et mainte- nir la confiance s’avère parfois une tâche compliquée. Autant pour les résidantes que pour les intervenantes, la menace du suicide lorsqu’elle apparaît est presque intolérable. Se fait jour alors une inquiétude palpable dans la maison et le groupe se fragilise. Les interve- nantes doivent gérer les impacts de cette situation sur les autres. On peut dire que la maison « est en crise » et qu’une décision devra se prendre quant au maintien parmi nous de la personne plus directement cause de ce déséquilibre du groupe. Qu’une résidante parle de ses idées suicidaires fait partie de la démarche thérapeutique mais ce qui devient affectivement insupportable pour toutes, c’est lorsque le recours à la menace de suicide est ressenti comme un chantage ou une intimidation ou encore un désir de contrôle de l’ensemble du groupe. Fort heureusement, cette situation de menace exprimée à un tel degré d’intensité ne se présente pas souvent. De façon générale, on peut dire que lorsque les résidantes nous quittent, elles ont repris un certain goût à la vie, elles se connaissent personnellement davantage, comprennent mieux leurs difficultés rela- tionnelles et sont plus outillées pour faire face aux événements de la vie. En 1994-1995, la direction a confié à une membre de l’équipe, Lucie Sauvé, un mandat de recherche visant à définir plus clairement les fondements de l’approche féministe et à en mesurer l’efficacité. Les résultats obtenus à partir du test Beck semblent confirmer une diminu- tion des symptômes de dépression chez les résidantes six mois après la fin de leur séjour. Ce système d’aide a évolué tout au long de ses années d’existence grâce à l’implication de tout le personnel. Actuellement, notre ques- tionnement de fond porte sur les enjeux que comporte l’intervention thérapeutique auprès d’une clientèle ayant des troubles de la personna- lité, et ceci dans un contexte d’hébergement.
204 Les ressources alternatives de traitement Nous avons été confrontées au grand besoin de définir plus claire- ment notre cadre et de le faire respecter rigoureusement. Nous avons aussi appris à ne pas laisser dans l’ombre des agirs anodins des rési- dantes et à porter une attention particulière au clivage. Dans notre contexte de travail, il y en a lourd à entendre, il y a un contact prolongé quotidien et un haut niveau de demandes affectives de la part des résidantes. Nous devons être extrêmement vigilantes afin de ne pas risquer l’essoufflement sinon l’épuisement des membres de l’équipe. « L’Entre-Deux » n’est pas le paradis perdu et la formule que nous proposons n’est pas une solution magique. Comme toute expérience d’aide on y connaît des réussites et hélas quelques échecs. Mais notre croyance au développement de la personne humaine et aux capacités spécifiques des femmes maintient notre engagement de continuer à chercher et à apprendre pour mieux aider des femmes en détresse. RÉFÉRENCES BECK, A. T. et al., 1961, An inventory for measuring depression, Archi- ves of Géneral Psychiatry, vol. 4, p.53-63. CORBEIL, C., PÂQUET-DECHY, A., LAZURE, C. LEGAULT, G. L., 1983, L’inter- vention féministe, l’alternative des femmes au sexisme en thérapie, Montréal, Éditions Albert Saint-Martin. CROWLEY DANA, Jack, 1991, Née pour se taire, Canada, Le Jour, 1993. MASLOW, A. H., 1968, Vers une psychologie de l’être, Paris, Fayard, 1972 MASTERSON, J. F., 1985, The Real Self – A Developmental, Self, and Ob- ject Relations Approach. New York, Brunner/Mazel. Rogers, C.R., 1961, Le développement de la personne, Paris, Dunod, 1976. SAUVÉ, Lucie, 1996, Recherche action, 1) mise en mots de la spécificité de l’approche féministe à L’Entre-Deux 2) évaluation, à moyen terme des résultats de notre approche.
COLLECTION HORS SÉRIE DE SANTÉ MENTALE AU QUÉBEC Les femmes et la folie, 1981 (épuisé) Pour un réseau autonome en santé mentale, (1987) (épuisé) réalisée en collaboration avec le GIFRIC 20 ans de Santé mentale au Québec (1996), disponible en version inté- grale sur le site web de Santé mentale au Québec : www.cam.org/~rsmq/ À paraître en décembre 2000 : L’art des intervenants en santé mentale Pour vous procurer un exemplaire du volume Les ressources alternatives de traitement, prière d’envoyer un chèque ou mandat-poste libellé au nom de Revue santé mentale au Québec, au montant de 10 $ CAN (75 FF), à l’adresse suivante : Canada : C.P. 548, succ. Place d’Armes, Montréal, Qc, H2Y 3H3 (514-523-0607; fax : 514-523-0797) France : Communautés et santé mentale/revue Santé mentale au Québec, 136 rue Louis Becker, Villeurbanne, 69100, France (04-72657500) Nom Adresse Ville Pays Code postal Téléphone Fax Courriel
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Cet ouvrage composé en Minion corps 11 sur 13 a été achevé d’imprimer en novembre deux mille sur les presses de membre du groupe Scabrini, à Cap-Saint-Ignace (Québec).
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