L'exhortation Querida Amazonia - Le rêve du Pape François ANALYSE - Centre Avec

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ANALYSE

L’exhortation Querida
Amazonia
Le rêve du Pape François

          Document d’analyse et de réflexion réédition
                           MARS 2020
ANALYSE

L’EXHORTATION QUERIDA
AMAZONIA
Le rêve du pape François
Marcel Rémon, , jésuite, directeur du Centre de Recherche et d’Action Sociales
(CERAS) et membre du conseil d’administration du Centre Avec.

U
          NE fois encore, le Pape François       voir. A nous d’entendre les mélopées ve-
           nous a surpris ! Alors qu’on at-      nues des rives, en écho aux réflexions faites
           tendait une exhortation post-sy-      au Synode. Pour marquer l’importance
nodale reprenant les recommandations             du travail synodal et de son document fi-
du document final, et en particulier une         nal « Amazonie : Nouveaux chemins pour
ouverture sur la question des ministères,        l’Église et pour une écologie intégrale »,
François nous livre un texte éminem-              le Saint Père dit avoir « préféré ne pas
ment littéraire, où le lecteur est emmené        citer ce Document dans cette Exhortation
par le fleuve Amazone, dans la tradition         parce que j’invite à le lire intégralement. »
poétique des grands écrivains latino-amé-        (QuA 3)
ricains. Même si la plupart des commen-
tateurs se focalisent sur la partie ecclésiale   François connaît le peuple Amazonien
du texte, il est essentiel pour comprendre       depuis longtemps. Il en avait témoigné
l’exhortation et son importance pour le          lorsqu’étant archevêque de Buenos Aires,
peuple Amazonien de se laisser interpel-         il a pris une part active dans la cinquième
ler par les trois premières parties de cette     rencontre des évêques d’Amérique du Sud
exhortation qui nous livre le rêve de Fran-      et des Caraïbes à Aparecida au Brésil, ren-
çois, pour l’Amazonie, les peuples autoch-       contre dont les réflexions ont largement
tones et l’Église en ces régions isolées.        nourri les échanges du synode.

Que retenir de cette exhortation ? Une           Le rêve de François est aussi bien social
vibration surtout, un souffle, un mouve-         que culturel, écologique et ecclésial. Mais
ment. L’Amazonie est d’abord un fleuve,          chaque « rive » est reliée aux autres. Car
tout comme les fleuves Congo, Gange,             son rêve se déploie comme un fleuve. Et le
Yangtsé ou le Nil, qui irrigue et donne          premier écho est un cri de douleurs.
son identité et son âme à un peuple et une
région. Et l’exhortation nous y entraîne,
comme on descend ou remonte un fleuve.
A nous de contempler ce qui est donné à

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LE RÊVE SOCIAL                                   LE RÊVE CULTUREL

   « Nombreux sont les arbres                      « De la rivière, fais ton sang [...]
   où la torture a vécu,                            Ensuite, plante-toi,
   et vastes les forêts                             germe et croîs.
   achetées au milieu de mille morts »¹.            Que ta racine
   (QuA 9)                                          s’accroche à la terre
                                                    pour toujours et à jamais.
L’exhortation est d’abord une invitation            Et enfin,
commune à un rêve social, un rêve de                sois un canoë,
paix pour l’Amazonie. On sait que les               une barque, un radeau,
peuples indigènes d’Amazonie sont per-              une liane, une jarre,
sécutés et que leurs leaders, dont beau-            un enclos et un homme » ³. (QuA 31)
coup sont catholiques, sont en danger
de mort2. L’exhortation creuse ainsi le          Ce rêve ne verse ni dans l’onirisme, ni
sillon ouvert par l’encyclique Laudato           dans l’utopie. Le sang, l’exploitation, le
si’, en soulignant la violence des logiques      mépris, l’abandon, la mort y sont étroi-
économiques ultralibérales. « Il faut            tement mêlés à la beauté, à la vitalité, aux
donner aux entreprises, nationales ou in-        couleurs, aux chants, à la contemplation.
ternationales, qui détruisent l’Amazonie         Plus de cent-dix peuples indigènes vivent
et ne respectent pas le droit des peuples au-    dans un état d’isolement volontaire, en
tochtones au territoire avec ses frontières,     symbiose avec leurs territoires, nous rap-
à l’autodétermination et au consente-            pelle l’exhortation. Mais leur isolement les
ment préalable, les noms qui leur corres-        fragilise et leurs cultures sont en danger.
pondent : injustice et crime. » (QuA 14)         « C’est pourquoi la sauvegarde des valeurs
Ces termes forts résonneront profon-             culturelles des groupes indigènes devrait
dément en Amazonie et dans beaucoup              être une préoccupation de tous, parce que
d’autres régions du monde. Ils appellent         leur richesse est aussi la nôtre. » (QuA 37)
à la conversion, mais aussi à la demande         L’interculturalité ne sera respectueuse
de pardon adressée au nom de l’Église :          de chaque culture qu’à la condition que
« J’ai honte et, une fois encore, « je demande   chacun prenne soin de ‘ses racines’. Et la
humblement pardon, non seulement pour            racine de l’Amazonie, elle vient du fleuve,
les offenses de l’Église même, mais pour         reliant la terre, la flore, la faune et la com-
les crimes contre les peuples autochtones        munauté humaine. Entendons-nous cette
durant ce que l’on appelle la conquête de        invitation, cette exhortation que François
l’Amérique », et pour les crimes atroces qui     nous lance à chacun ?
se sont produits à travers toute l’histoire de
l’Amazonie. » (QuA 19)

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ANALYSE

LE RÊVE ÉCOLOGIQUE                               Les mots que François utilise pour ex-
                                                 primer son rêve ecclésial sont clairement
     « Amazone                                   pesés et soupesés. Le chapitre qui lui est
     capitale des syllabes de l’eau,             consacré est deux fois plus développé que
     père patriarche, tu es                      les trois autres. On y retrouve peu de cette
     la mystérieuse éternité                     poésie qui fait, à notre avis, l’originalité et
     des fécondations,                           l’universalité du texte. L’inculturation,
     les fleuves choient en toi comme des vols   qu’elle soit sociale, spirituelle, liturgique
     d’oiseaux… »⁴. (QuA 44)                     ou ministérielle, amène le Saint Père à re-
                                                 dire le caractère vital pour l’Église d’enra-
Le rêve écologique du Pape est irrigué           ciner sa foi dans un lieu et un temps don-
par la poésie et la beauté, et l’urgence de      né. Il reste qu’il vaudra la peine de creuser
leur faire pleinement droit. « Les poètes        le type d’ecclésiologie qui se déploie ici : il
populaires, qui sont tombés amoureux de          y a une mise en musique d’une Église vrai-
son immense beauté, ont essayé d’expri-          ment missionnaire et en dialogue. Cette
mer ce que ce fleuve leur fait ressentir, et     partie plus doctrinale résonne comme
la vie qu’il offre sur son passage dans une      en creux par rapport au désir brûlant du
danse de dauphins, d’anacondas, d’arbres         Pape : « Ils ont le droit à l’annonce de
et de pirogues. » (QuA 46) Il y a, pour le       l’Évangile, surtout à cette première an-
Pape, un réel prophétisme amazonien de           nonce qui s’appelle kérigme. » (QuA 64).
la contemplation. On retrouve les accents        Oui, « Malheur à moi si je n’annonçais
du pontificat sur la nécessité de s’arrêter      pas l’Évangile ! » (1Co 9, 16). (QuA 62)
pour goûter. Cette partie est parsemée de
citations poétiques, qui montrent com-           On pourrait lire l’exhortation comme un
bien l’attachement du Pape pour l’Ama-           guide de voyage, voire comme un récit
zonie est source d’inspiration personnelle.      en langue étrangère. Mais elle s’adresse
                                                 bien à tous les hommes et femmes de
                                                 bonne volonté. Si chacun remplace le mot
LE RÊVE ECCLÉSIAL                                « Amazonie » par le territoire qui le nour-
                                                 rit, l’exhortation prendra tout son sens.
     « Mon ombre flotte, au milieu des bois      Serons-nous alors capables, à la suite du
     morts.                                      Pape et dans cette foi que Dieu est venu
     Mais l’étoile est née sans reproche         pour tous les vivants, d’exprimer notre
     sur les mains de cet enfant, expertes,      amour pour notre maison commune :
     qui conquièrent les eaux et la nuit.        Querida Terra ?
     Il doit me suffire de savoir
     que tu me connais
     tout entier, bien avant ma naissance »⁵.
     (QuA 73)

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ANALYSE

NOTES

1. Ana Varela Tafur, « Timareo » in Lo que no veo en visiones, Lima (1992).
2. Vor l’interview du Professeur Edouardo Viveiros de Castro, O Gouverno declarou guerra
aos Indios, dans le quotidien Globo du 16/02/2020, page 18.
3. Javier Yglesias, «Llamado», in Revista peruana de literatura, n. 6 (juin 2007), p. 31.
4. Pablo Neruda, « Amazonas », in Canto General (1938), I, IV ; Trad. française, Chant général,
Gallimard, Paris (1977), p. 23.
5. Pedro Casaldáliga, « Carta de navegar (Por el Tocantins amazónico) », in El tiempo y la
espera, Santander (1986).

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