La chaîne de valeur ou l'impact social d'une stratégie mondialisée
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DOSSIER
La chaîne de valeur ou l’impact
social d’une stratégie mondialisée
FO appelle les pouvoirs publics et le patronat à se pencher sur la responsabilisation des
acteurs intervenant tout au long de la chaîne de valeur, forme d’organisation segmentée
que conçoivent les entreprises, ou les filières, pour être concurrentielles. Il s’agit de protéger
les salariés travaillant dans les entités-maillons, incluses dans ces stratégies initiées par de
grands donneurs d’ordres, ces derniers, en position de force par leurs commandes, n’hésitant
pas à imposer des conditions insupportables à ces structures auxquelles ils ont recours.
Et cela se répercute sur tous les salariés, notamment ceux de la sous-traitance, des unités
externalisées et autres filiales. Ils sont confrontés à une aggravation des conditions de
travail, un moins-disant social, salarial, quand ce n’est pas une délocalisation des activités,
et donc la perte de l’emploi. Sécuriser ces salariés aux prises avec le cynisme des modèles
business mondialisés est plus que nécessaire, tout comme relocaliser massivement des
activités industrielles sur le territoire national. Et tout reste à faire.
I I
lmilitante n° 3339 Mercredi 7 avril 2021l
DOSSIER
La chaîne de valeur ou l’impact so
L
a chaîne de valeur, qui évoque le sonnement, pour celle-ci la « valeur » est À titre d’exemple, le type de chaîne
mode d’organisation des activités dans le montant que le client accepte de choisie par une enseigne de vêtements
d’une entreprise cherchant à être payer pour un produit. Des calculs de coûts, (possiblement détenue par un groupe
concurrentielle, a pris son essor de marges,... sont donc faits sur tous les lui-même propriété d’un fonds d’inves-
dans les années 1990. Par la mondialisation, aspects et à chaque étape de la chaîne, tissements qui cherchera forcément à
cette stratégie, qui peut prendre différentes autant verticale qu’horizontale, notamment rentabiliser sa mise…) va définir le sort
formes, s’est déployée, jusqu’à modeler par les connexions entre la fabrication et réservé aux différents segments (four-
aujourd’hui les échanges commerciaux les fonctions de soutien. nisseur de fil, de tissus, secteur de l’as-
planétaires et les économies. La notion de semblage, transporteur…). Et selon la
chaîne de valeur a été définie dès 1985
par Michael Porter, ingénieur et économiste
américain. Il s’agit pour une entreprise, par
un morcellement, une fragmentation de ses
activités, de créer de la valeur. Chaque seg-
FO demande une négoci
de responsabilisation
ment de la chaîne est considéré pour ce
qu’il coûte et ce qu’il rapporte. Il doit être
performant, montrer sa capacité à apporter
T
de la valeur à l’entreprise visant à être com-
pétitive par son produit (ou service). Selon ant lors de ses rencontres avec les actionnaires et divers fonds d’in-
leurs stratégies, les entreprises donneuses le gouvernement que celles vestissement, aux donneurs d’ordre
d’ordre vont « intégrer une filiale à l’étran- avec le patronat, FO appelle vis-à-vis des sous-traitants, en pas-
ger dans la chaîne de valeur (investisse- à se préoccuper des chaînes sant par les groupes capitalistiques et
ment direct à l’étranger/IDE) ou bien confier de valeur. « Il y a une responsabilité leurs filiales, afin d’empêcher que les
une étape de la production, comme la fabri- des pouvoirs publics », mais aussi une salariés des entreprises en bout de
cation d’un composant ou l’assemblage de « responsabilisation » nécessaire des chaîne soient laissés pour compte ».
pièces, à un fournisseur étranger indépen- donneurs d’ordre, indique le secré-
dant (sous-traitance internationale). Pour taire général de la confédération, Yves Des sous-traitants
un intrant [objet, NDLR] standardisé, il est Veyrier, pointant « des processus de très exposés
probablement moins coûteux de s’appuyer sous-traitance et d’externalisation en
sur des fournisseurs étrangers, tandis que cascade avec un, deux, trois rangs de L’observation de quelques secteurs
pour des produits intermédiaires person- sous-traitance, qui, en règle générale, de la sous-traitance suffit à com-
nalisés, nécessitant un transfert de tech- ne visent que le moins-disant social ». prendre les difficultés des salariés.
nologie spécifique, il est peut-être plus sûr Et les salariés de la deuxième ligne À titre d’exemple, les sous-traitants
d’établir (et de contrôler) une filiale à l’étran- sont particulièrement concernés par des transports routiers de marchan-
ger », résument des économistes, auteurs cette situation. FO a proposé au patro- dises express sont ainsi pour moi-
d’une récente étude sur les « Chaînes de nat d’ouvrir une négociation portant tié des entreprises individuelles, et
valeur mondiales à l’épreuve de la crise sur une responsabilisation « sur l’en- pour 89 % des entreprises de moins
sanitaire ». La chaîne comprend tout l’envi- semble de la chaîne de valeur, depuis de 10 salariés, indique une récente
ronnement de l’entreprise car, base du rai-
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ocial d’une stratégie mondialisée
chaîne, il peut en découler, de manière La dépendance vis-à-vis du quences sur les structures dépendantes du
plus ou moins marquée, un moins-disant plus fort donneur d’ordre se font alors plus dures
social, notamment pour ceux qui sont encore. Pour ne pas perdre un marché, les
les plus exposés, les plus fragiles face Ces maillons peuvent travailler pour plu- directions de ces maillons vont par exemple
aux injonctions de rentabilité du don- sieurs chaînes de valeur, maîtrisées par des répercuter la baisse imposée d’un coût de
neur d’ordre : les sous-traitants, petits groupes, basés à l’autre bout de la planète, production, l’augmentation des cadences...
fournisseurs, petits producteurs, unités et qui sont parfois eux-mêmes rappelés à Pour les salariés, cela se traduira par la
externalisées... Et cela en France comme l’ordre des profits par leurs actionnaires exi- perte de primes, de jours de congés, l’ab-
ailleurs. geant davantage de dividendes. Les consé- sence de hausse de salaire, un chantage
à l’emploi...
Si sur fond de mondialisation, les activi-
iation pour un processus tés de production se sont spécialisées,
ouvrant des marchés à des entreprises,
cela a induit une dépendance forte des
maillons de la chaîne vis-à-vis des don-
neurs d’ordre. Tout-puissants par les mar-
chés qu’ils apportent, ils détiennent ainsi
un pouvoir, même en étant physiquement
étude économique. À l’inverse, sou- neurs d’ordre (qui parfois perçoivent loin, sur les salariés qui travaillent indirec-
ligne l’auteure, « les donneurs d’ordre des aides publiques), la consultation tement pour eux dans les entités. Et ces
sont des groupes de grande taille, ce de l’étude 2020 de L’Observatoire maîtres des chaînes chérissent les solu-
qui implique un déséquilibre de poids stratégique de la sous-traitance est fort tions qui dopent leurs profits (fiscalité
économique dans la relation commer- utile. Elle porte sur le poids des diffé- moindre, règles sociales a minima, main-
ciale. Si l’on y ajoute le fait que les TPE rents pays européens dans quelques d’œuvre low cost…), ce qui motive d’ailleurs
ne peuvent accéder directement aux secteurs de la métallurgie/plasturgie. leurs choix de localisation des structures
expéditeurs (chargeurs) de marchan- Où l’on apprend que la France assure de production. La concurrence mondiale,
dises sans passer par des intermé- près de 27 % de la production d’usi- soulignent les économistes auteurs de
diaires (ici appelés donneurs d’ordre), nage dans l’Union européenne, près l’étude, a amené les entreprises « des
on comprend qu’elles puissent se de 17 % du décolletage pour les véhi- économies avancées (…) à optimiser leurs
trouver dans une situation de dépen- cules routiers, qu’elle a une « vraie processus de production par l’externalisa-
dance économique conduisant à des spécialisation » pour les pièces tion et la délocalisation à l’étranger de cer-
abus ». Pour visualiser l’importance de plastiques liées à l’aéronautique avec taines opérations productives ». Avec les
la sous-traitance en France (rien qu’au 44,38 % de la production européenne. conséquences que l’on connaît : des plans
plan de la commande publique, près Autant de segments intégrés aux sociaux et une désindustrialisation du terri-
de 76 % de ce que qui est sous-traité chaînes de valeur et donc de salariés toire national. Et plus largement, des sala-
va aux PME, soit 66,5 % des montants à protéger. riés qui doivent lutter de plus en plus contre
sous-traités) et donc les millions de le chantage à l’emploi, les pressions sur les
salariés exposés aux abus des don- Valérie Forgeront salaires, les conditions de travail…
Valérie Forgeront
militante n° 3339 Mercredi 7 avril 2021l IIIDOSSIER
En bout de chaîne, des salariés
sous pression
A
vec l’essor des voitures connec- débordés par la demande. Et par ailleurs, sion s’accroît sur les salariés, soumis à
tées et autonomes, le marché certains ont opté pour une fabrication des rythmes effrénés et une surveillance
automobile vit une mutation de diversifiée, vendant d’autres produits à permanente de la productivité par des
sa chaîne de valeur. La plus-va- meilleurs prix et à davantage de clients. méthodes plus que douteuses, et notam-
lue du véhicule ne repose plus seule- Fin mars, l’usine Stellantis de Sochaux a ment l’utilisation de caméras.
ment sur les accessoires matériels, mais dû ainsi mettre une nouvelle fois à l’ar- Outre des conditions de travail de plus en
de plus en plus sur les nouvelles techno- rêt, et pendant plusieurs jours, la fabri- plus difficiles, FO dénonce aussi réguliè-
logies embarquées (caméras, cartogra- cation de sa 308. En raison de l’absence rement « les droits des salariés et repré-
phie, ordinateur de bord…). Les construc- de la petite puce fabriquée à Taïwan, le sentants du personnel bafoués ». En
teurs traditionnels voient ainsi filer leur site compte déjà un déficit de 6 000 véhi- novembre 2019, le syndicat avait appelé
position dominante au profit d’acteurs cules en 2021, entraînant des périodes à la grève les salariés de l’entrepôt de
des secteurs de la haute technologie, d’activité partielle. Pour le syndicat FO de Lauwin-Planque (Nord) pour que le Black
du numérique notamment. Sochaux, « les salariés font les frais de Friday profite aussi aux salariés, dont les
Plus largement, cherchant à mainte- la politique de désindustrialisation et de salaires sont très bas.
nir leurs capacités concurrentielles, les délocalisation vers des pays à bas coût ». De son côté, Ikea cherche à se démar-
constructeurs « restructurent ». Renault FO-Métaux revendique « d’adopter enfin quer par des prix faibles et des marges
a lancé en 2020 un plan de 2 mil- une véritable politique industrielle natio- réduites, mais en se rattrapant sur les
liards d’économies sur trois ans, pré- nale évitant les risques de rupture d’ap- volumes. L’enseigne achète une quantité
voyant 4 600 suppressions d’emplois provisionnement ». importante de bois, dans cinquante pays
en France. Les marques se regroupent et notamment à de petits exploitants, et
aussi à l’échelle mondiale, à l’image de Surveillance par caméras un maximum de composants sont com-
Stellantis, né en janvier 2021 de la fusion et algorithmes muns à différents meubles pour faire des
de PSA et Fiat-Chrysler. Cela ne résout économies d’échelle (réduction des spé-
pas tout. Si les nombreuses entreprises Amazon au contraire a fait le choix de cificités d’usinage et donc de machines,
− équipementiers de toute taille, de toute centraliser et d’internaliser au maximum gain de temps, de main-d’œuvre…). Les
spécialité et de tous pays − subissent la pour livrer des marchandises moins meubles sont livrés à plat pour réduire
pression du constructeur, elles peuvent chères que la concurrence. Après l’in- les coûts de transport. Le client assemble
aussi le rendre dépendant. Depuis formatique et la logistique, le géant amé- lui-même la marchandise, ce qui repré-
quelques mois, les grandes marques ricain cherche à rendre plus performante sente des économies pour l’entreprise,
automobiles souffrent ainsi de la pénu- l’organisation du transport des produits. entre autres de personnels. Le flux tendu
rie mondiale de semi-conducteurs, des Il a annoncé début 2021 sa volonté s’applique aux stocks, gérés tout comme
puces incontournables dans la compo- d’acheter ses premiers avions-cargos. les livraisons par un vaste réseau infor-
sition des appareils électroniques mais Les conditions de travail chez Amazon matique qui ne laisse rien au hasard.
dont les fabricants, souvent en Asie, sont sont régulièrement dénoncées. La pres- Là encore, pression est faite sur les sala-
riés. Ikea utilise des algorithmes pour ren-
forcer la productivité et surveiller l’activité
des salariés. Sur cette base, en novembre
2017, un salarié avait été licencié en Ita-
lie, accusé d’avoir rallongé une pause
de 5 minutes. En décembre 2020, des
débrayages ont été menés dans près de
la moitié des magasins de l’enseigne à
l’appel de FO. Les salariés protestaient
contre l’absence de primes et la dégra-
dation des conditions de travail dans le
cadre de la digitalisation à marche forcée
de l’activité. « Tant qu’Ikea France per-
sistera à ne pas reconnaître à sa juste
valeur l’investissement des salariés, le
mouvement continuera », assurait le DSC
FO. Clarisse Josselin
© FRANCK CRUSIAUX/REA
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