LA CIA, KENNEDY, ET LA POLITIQUE MONDIALE: 1947-1976 - GYMNASEDENYON - PIERREJAQUET - GYMNASE DE NYON
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SIX VISIONS D'UN MONDE D'après: Gérard CHALIAND & Jean-Pierre RAGEAU: Atlas stratégique: géopolitique des rapports de forces dans le monde. Paris, Editions Complexe, 1994 (passim) Qui est mon proche voisin ? Qui sont mes partenaires économiques ? Qui sont mes amis ? Qui sont mes ennemis ? 2
UNE VISION GLOBALE QUI RÉSUME TOUTES LES CARTES ? 8 Né dans le Lincolnshire en 1861 et mort en 1947, Sir Halford Mackin- LA THÉORIE DE HALFORD MACKINDER (1904) der s'intéresse aux voyages, à l'histoire et aux grands événements interna- tionaux, dès son enfance. Plus tard, à Oxford, il étudie l'histoire et la géo- logie. Il entame ensuite une brillante carrière universitaire au cours de la- 12 quelle il donne une impulsion à la création d'institutions d'enseignement de la géographie. De 1900 à 1947, il vit à Londres, au coeur de l'Empire Britannique. Sa préoccupation essentielle est le salut et la préservation de cet Empire face à la montée de l'Allemagne, de la Russie et des Etats-Unis. 16 L'intérêt porté aux questions géopolitiques date de 1887, année où il prononce une allocution devant un auditoire de la Royal Geographical Society, discours qui contenait notamment la phrase prémonitoire suivante: «Il y a aujourd'hui deux types de conquérants: les loups de terre et les loups de mer». Cette al- 20 légorie avait pour arrière-plan historique concret la rivalité anglo-russe en Asie Centrale. Mais le théoricien de l'antagonisme Terre/Mer se révélera pleinement en 1904, lors de la parution d'un article scientifique intitulé The Geographical Pivot of History (Le pivot géographique de l'histoire). 24 Pour le théoricien, l'Europe vivait, à cette époque, la fin de l'Age colom- bien 2, qui avait vu une expansion européenne généralisée, ne rencontrant guère de résistance de la part des autres peuples. A cette ère d'expansion succédera l'Age post-colombien. L'auteur demande à ses lecteurs de se dé- 28 barrasser de leur européocentrisme et de considérer que toute l'histoire eu- ropéenne dépend de l'histoire des immensités continentales asiatiques. La perspective historique de demain, écrivait-il, sera «eurasienne», et non plus En sombre, le Heartland, Coeur de la Terre Centrale, selon Mackinder. Les di- confinée à la seule histoire des espaces centre-européen et britannique. mensions de cette Terre Centrale varieront au gré des événements politiques du XXe 32 L'universitaire constate aussi que les Etats-Unis s'associent, voire sup- siècle. La politique américaine du temps de la Guerre froide, se base sur une analyse des plantent, les Britanniques sur les terres qu'ils contrôlent. L'évolution géo- 4 relations internationales très proche de celle, systématique, de Mackinder. politique décisive de l'avenir est la suivante: l'expansion anglo-américaine Cet auteur a résumé ses idées dans la célèbre formule suivante: dirigée contre l'expansion asiatique se maintiendra-t-elle ou sera-t-elle blo- 36 quée ? Que cette lutte ait une fin positive ou négative, les Etats-Unis 1. Qui règne sur la Terre Centrale 1 règne sur l'Ile M ondiale. croient qu'ils se sont assurés suffisamment de gages territoriaux dans l'an- 2. Qui règne sur l'Ile M ondiale, règne sur le monde. cien Empire Britannique, pour rentrer dans leurs comptes. Dans les faits, cela signifie qu'ils veulent conserver l'Amérique centrale et du Sud et, en 1 Avec la zone disputée. 2 Par Age colombien, l'auteur pense à tout le temps qui s'est passé depuis la découverte de l'Amé- rique par Christophe Colomb, époque qui a vu l'Europe devenir la maîtresse du monde. 5
40 sus, l'Afrique subsaharienne. S'ils estiment que l'Asie du Sud-Est, troisième du continent eurasiatique. Il insiste également sur l'importance de la géo- grande région tropicale fournissant des matières premières, que l'Iran, que graphie dans les rapports géopolitique. «La géographie est le facteur le plus fon- l'Inde, valent la peine de sacrifier énormément de sang et d'investir de co- 56 damental en politique étrangère, car il est le plus permanent», explique-t-il. lossales sommes d'argent, ils s'en empareront; telle est, pour lui, la ques- Nicholas Spykman retravaille les théories de Halford MacKinder et lui 44 tion la plus patente à poser dans cette lutte planétaire. emprunte le concept de «Terre Centrale». Dans la «La Géographie de la paix», paru en 1944, après sa mort, il réévalue à la hausse le rôle historique LA THÉORIE DE JOHN SPYKMAN (1944) 60 des «Régions frontières (Rimland). L'expansion de l'URSS peut être blo- quée par le contrôle de points d'appui, et l'alliance avec les pays de cette région intermédiaire entre la Terre Centrale et les mers riveraines: «Qui domine les Régions frontières (Rimland) domine la Terre Centrale. 64 Qui domine la Terre Centrale tient le destin du monde entre ses mains». Dans les représentations géopolitiques qui animent les acteurs occiden- taux de la Guerre froide, la position de l'Europe occidentale acquiert une valeur centrale et stratégique. 68 Toujours dans «La Géographie de la paix», l'universitaire conclut en énonçant que «Les Etats-Unis doivent reconnaître une fois de plus, et de façon per- manente, que la constellation de puissance en Europe et en Asie est une préoccupation éternelle pour elle, à la fois en temps de guerre et en temps de paix.» 72 Le géostratège est considéré comme le père de la doctrine du Containe- ment ( = endiguement) visant à limiter l'influence de l'Union Soviétique dans le monde. Sans cette action, les Américains craignent un effet domi- Le monde selon Spykman: no qui verrait les nations libres tomber les unes après les autres sous la Le bloc communiste doit être entouré d'un glacis d'isolement étanche 76 coupe de régimes communistes. Cela permet de comprendre pourquoi les Américains s'engagent à repousser les Soviétiques hors d'Iran en 1946, de Nicholas Spykman est né en 1893 aux Etats-Unis. Professeur de Turquie et de Grèce, en 1946-47, les Chinois de Corée en 1950 et ainsi de sciences politiques à l'Université de Yale, il est l'un des fondateurs de l'école suite. Pendant la Guerre froide, la théorie est adaptée en fonction des cir- réaliste en matière de politique étrangère américaine. Etudiant les rapports 80 constances et des expériences, mais le principe de l'endiguement demeure 48 de forces entre les puissances mondiales, il préconise la fin de l'isolation- tout au long de cette période de confrontation, et même au-delà. nisme et l'entrée dans la Deuxième Guerre mondiale. La réflexion de Nicholas Spykman paraît profondément visionnaire A l'appui de sa théorie, il explique que le développement des transports puisqu'il est décédé d'un cancer en 1943, deux ans avant le «partage» de maritimes et aériens va accroître l'interdépendance des Etats et les obliger 84 Yalta entre Soviétiques et Occidentaux. 52 à repenser leur politique extérieure dans une perspective mondiale. Il an- nonce que le destin des Etats-Unis sera désormais intimement lié à celui 6
POURQUOI LA GUERRE FROIDE ? Chacune des grandes puissances a eu besoin d'avoir un ennemi, quand bien même les deux pouvoirs savaient qu'il ne pouvait y avoir aucun avan- tage à mener une guerre totale. Ni l'une ni l'autre ne pouvait contrôler sa 104 propre destinée, ou sa propre société, sans la «menace» de l'autre. A une échelle plus petite, l'existence d'«insurgés» a conféré une validité à l'accusa- tion d'insurrection «soutenue par les communistes», quand bien même la portée du «conflit» était purement locale. 108 Tous les dirigeants de toutes les nations le savent: comme formulé dans le Rapport d'une montagne de fer: «La guerre remplit certaines fonctions essen- tielles à la stabilité de notre société; le système qui repose sur la guerre de- vra être maintenu - et amélioré quant à son efficacité. 112 La paix durable, bien que n'étant pas théoriquement impossible, est probable- ment inaccessible; même dans le cas où il serait possible de l'établir, il ne serait cer- 116 tainement pas dans l'intérêt le mieux com- pris d'une société stable de parvenir à la faire régner.» C'est la perspective historique [de cette L'explication d'un «ancien» de la CIA, Leroy Fletcher Prouty (1917-2001) 120 période]. Là réside la raison première du membre de l'Instance collégiale des chefs d'état-major des Forces Spéciales et de l'Air développement de la Guerre froide. Elle Force sous le président Kennedy. Ses idées et informations ont souvent été, par la suite, est apparue «nécessaire» dans des esprits incapables de comprendre - ou 88 maladroitement déformées et caricaturées par d'autres auteurs «conspirationnistes»: qui décident de ne pas voir - qu'il y a d'autres raisons que le conflit pour Comme l'a affirmé très justement Leonard Lewin dans son «Rapport de 124 expliquer la présence de l'homme sur Terre. la montagne de fer» (1967) «l'allégeance au pays requiert une cause; une cause L. Fletscher PROUTY: The CIA, Vietnam, and the Plot to assassinate John Kennedy. requiert un ennemi» et «le pouvoir présumé de l'ennemi est suffisant pour New York. Skyhorse Publishing, 1996, (2011), pp. 31-32. Trad. P. Jaquet 92 garantir un sens chez chacun d'allégeance à une société; il doit être propor- tionnel à la taille et à la complexité de cette société.» Pour cette raison, et à une échelle globale, la Guerre froide a exigé de LA NAISSANCE DE LA CIA l'URSS et des USA qu'ils soient ennemis, par nécessité et par définition. 96 Depuis la détonation [atomique] Bravo, de la bombe à hydrogène, le A la fin de la guerre, le président Truman a aboli l'Office des Relations monde politique, économique, et le système militaire, ont dû être bipo- Stratégiques (OSS) et, peu après, a mis sur pied une Agence Nationale d'Autori- laires. Sans les armes de destruction massive et les moyens de les créer, ils té, en janvier 1946, dans le but de coordonner le renseignement. Il est à n'auraient pas pu exister effectivement dans un tel contexte d'affronte- 128 noter que les devoirs spécifiques attribués à cette nouvelle agence, deve- 100 ment. nue, le 26 juillet 1947 l'Agence Centrale de Renseignement (CIA) détaillaient la 7
plupart des devoirs du renseignement. [...] Les tâches de la CIA ont été 164 archives montrent que l'occasion s'est présentée à plusieurs reprises à la fin précisées dans la loi de la manière suivante: des années 40; mais l'Agence s'était alors suffisamment développée en 132 1. Renseigner le Conseil National de Sécurité dans les domaines qui concer- taille, pouvoir, et ruse, et elle a su comment franchir les limites qu'aurait nent les activités de renseignement des départements gouvernemen- dû lui imposer ce groupe. [...] taux et des agences en lien avec la sécurité nationale. 168 En mettant la CIA sous l'autorité du NSC, lui-même placé sous l'oeil 2. Emettre des recommandations au Conseil National de Sécurité (NSC) du Président, le Congrès tentait de faire du NSC lui-même une organisa- 136 pour la coordination des activités de renseignement. tion opérationnelle agissant dans un but bien délimité. Il n'a pas prévu 3. Mettre en lien et évaluer des renseignements en rapport avec la sécu- l'évolution, mais on peut facilement comprendre que le Congrès n'arrivait rité nationale, et fournir une diffusion appropriée de tels renseigne- 172 pas à se représenter des opérations clandestines. Lorsqu'il a confié au NSC ments à l'intérieur du gouvernement [...] à condition que l'Agence la responsabilité de diriger la CIA, il lui a laissé la tâche de faire réaliser par 140 n'ait ni police, ni citation à comparaître, ni capacité à faire appliquer la l'Agence, si les circonstances se présentaient, des opérations clandestines. loi, ou fonction de sécurité. Et comme l'histoire nous l'apprend, cela n'a pas mis longtemps: L'agence 4. Effectuer, pour le bénéfice des agences de renseignement, des ser- 176 s'est chargée de ces missions. vices complémentaires, d'intérêt commun, déterminés par le Conseil L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The 144 National de Sécurité (NSC) comme pouvant être plus efficaces, si réali- CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (pp. 151-153). New sés centralement. York, Skyhorse Publishing. Ouvrage publié pour la première fois en 1973 et 5. Effectuer d'autres tâches et devoir en relation avec le renseignement, réédité en 1992, 1997 et 2011. Traduction Pierre Jaquet. et affectant la sécurité nationale, selon des instructions ponctuelles du 148 NSC. Allen Dulles (7 avril 1893 - 29 janvier 1969) fut le premier directeur de la CIA, du 26 février Pour les familiers du langage juridique, il paraît clair que le Congrès sa- 1953 au 29 novembre 1961. Il a été renvoyé par vait exactement ce qu'il faisait quand il a mis sur pied une autorité centrale 180 Kennedy pour sa participation à la préparation du do- pour coordonner le renseignement, et quand il a délimité les responsabili- cument «opération Northwoods», dont le but était 152 tés dans ces cinq brefs, et explicites, paragraphes. Pourtant peu de lignes, d'utiliser la CIA dans des attaques réelles ou simu- aussi peu compliquées, définissant un champ d'application, ont été sujettes lées, d'en accuser Cuba, tout cela dans le but d'obtenir à autant de mauvaises interprétations, intentionnellement et accidentelle- 184 un soutien populaire à une guerre avec ce pays. John- ment. [...] son a fait de lui l'un des 7 membres de la Commission 156 Il peut sembler qu'en 1947, un comité (le NSC) réunissant le Président, Warren, chargée d'enquêter sur l'assassinat de JFK. le Vice-Président, le Secrétaire d'Etat, le Secrétaire à la Défense serait assez Il était également le frère cadet de John Foster fort pour tenir la toute jeune agence sous son contrôle. Il était prévu que 188 Dulles (1888-1959), Secrétaire d'Etat du gouverne- l'Agence s'engage seulement dans des activités de renseignement, et sous ment Eisenhower, de 1953 à 1959, et actionnaire 160 l'autorité du NSC. Il n'était pas prévu que l'Agence s'engagerait dans des principal de la United Fruit Company, société ba- activités clandestines «avec l'accord du NSC». Pourtant, l'Agence a su nanière influente dans des républiques d'Amérique latine. trouver une faiblesse et l'a testée. Il restait aux membres du NSC à mani- fester la force de leurs convictions et d'avoir le courage de dire «Non». Les 8
L'EQUIPE SECRÈTE pour leurs chefs, en dépit du fait que leur propre position, de haut niveau, 216 révèle aux autres qu'ils ne sont pas seulement l'Equipe mais l'élite du pou- voir. […] L'Equipe Secrète est formée d'individus totalement sûrs, placés dans - et à l'extérieur - du gouvernement, qui reçoivent des informations classées se- 220 crètes par la CIA et le Conseil National de Sécurité (NSC). Ils réagissent à ces informations, quand elles semblent s'adresser à eux, par des plans parami- litaires et des activités «d'entraînement» et de «conseil». L'euphémisme n'est pas forcément impénétrable quand il s'agit de mener à la bataille et au 224 véritable combat des troupes tribales laotiennes, des cavaliers rebelles du Tibet, ou des Gardes d'élite jordaniennes du Palais. 192 Ancien membre des services secrets, le Colonel Prouty (1917-2001), qui a inspiré le L'appartenance à l'Equipe, fondée sur la base d'un «savoir minimum personnage du Colonel X dans le film «JFK» d'Oliver Stone, évoque la structure réelle partagé», varie selon la nature et la localisation du problème porté à son at- du pouvoir aux Etats-Unis: 228 tention. Son origine est à chercher en partie dans ce groupe d'élite d'hommes qui ont servi dans le Bureau des Services Stratégiques (OSS), lequel L'évolution la plus remarquable, dans le fonctionnement des relations a fonctionné pendant la Seconde Guerre mondiale sous les ordres du Gé- 196 de l'Amérique avec les autres pays durant le quart de siècle qui a suivi la fin néral «Wild Bill» William J. Donovan, ainsi que dans l'ancienne CIA. de la Seconde Guerre mondiale, a été la mise en place du contrôle de plus 232 Le pouvoir de l'Equipe provient de sa vaste infrastructure clandestine en plus affirmé des opérations militaires, financières et diplomatiques dans inter-gouvernementale, et est en relation directe avec les grandes entre- notre pays et à l'étranger, par des hommes dont les activités sont secrètes, prises privées, les fonds de placement, les banques d'investissement, les 200 dont le budget est secret, dont même les identités ne sont pas toujours universités, les médias, ainsi que les maisons d'éditions nationales et étran- publiques, en bref par une Equipe Secrète dont les actions sont dirigées et 236 gères. L'Equipe Secrète a des attaches très solides avec les structures de pou- comprises seulement par des hommes concernés. voir dans beaucoup de pays à au moins trois titres; elle est capable, quand Pour cette étude historique, le choix du mot «Equipe» est le plus signi- elle le décide, de renverser des gouvernements, de créer des gouverne- 204 ficatif. Il est bien connu que les membres d'une équipe, dans le base-ball ments, et d'influencer des gouvernements, presque n'importe où dans le ou le football, sont de vrais professionnels placés sous l'autorité de quel- 240 monde. qu'un de plus haut niveau. Ils ne décident pas de leur plan de jeu. Ils tra- Que l'Equipe Secrète ait eu à voir avec les morts de Rafael Trujillo3, Ngô vaillent pour leur entraîneur et leur responsable d'équipe. Il y a toujours un Dinh Diêm, Ngô Dinh Nhu4, Dag Hammarskjöld5, John Kennedy, Robert 208 groupe qui les dirige et donne le signal du départ. Les membres de l'équipe Kennedy, Martin Luther King et d'autres peut ne pas être formellement sont comme des juristes ou des agents, ils agissent pour quelqu'un. Ils font ce que leur client leur dit de faire. Ce sont de vrais agents de l'Agence Cen- trale de Renseignement (Central Intelligence Agency, CIA). C'est une 3 Président de la République Dominicaine (ou Saint-Domingue, dans les Antilles) renversé en 212 «Agence» et non un «Ministère» (Department); ses employés sont des pro- 1961 par un Coup d'Etat téléguidé par les Américains. fessionnels très qualifiés qui assument leurs fonctions comme leur devoir 4 Le Président du Vietnam du Sud et son frère Nhu, liquidés lors d'un Coup d'Etat, en 1963. 5 Secrétaire général de l'ONU, mort dans un accident d'avion en 1961 au Congo où il essayait de l'exige. Les membres du plus haut niveau de l'«Equipe Secrète» travaillent proposer une médiation. 9
244 prouvé, mais il est établi que le pouvoir de l'Equipe est accru par le «culte des analystes de «cellules de réflexion», des hommes d'affaires qui voya- du fusil» et par son agitation brutale et arbitraire du drapeau de l'anti- gent beaucoup ou dont le commerce (par exemple de l'import-export ou communisme, même lorsque le communisme n'a rien à voir dans l'affaire. des opérations aériennes) est très utile, des experts académiques dans tel L'Equipe Secrète n'apprécie pas la critique, l'investigation ou l'histoire, et 272 ou tel sujet technique ou géographique, et, ce qui est très important, des 248 est toujours portée à voir le monde divisé entre «eux» et «nous». […] Pour anciens membres du service de renseignement, un service dont on ne dé- en devenir membre, on ne pose pas de questions, on ne se renseigne pas; missionne jamais. Tous les vrais membres de l'équipe restent au pouvoir, c'est «entrer dans l'équipe» ou non. Une de ses armes les plus fortes, dans ou bien en travaillant avec le gouvernement au pouvoir, ou bien à l'exté- les capitales les plus influentes et les plus puissantes du monde, est l'exclu- 276 rieur avec le groupe qui forme le noyau dur. Ils effectuent simplement des 252 sion. Même si on a toutes les qualifications nécessaires, le refus d'accorder rotations de, et vers, les postes officiels à partir du monde de l'industrie ou ce «savoir minimum partagé» (qui fait un membre de l'Equipe Secrète), signi- du plaisant calme de l'Université. fie l'exclusion, l'élimination de toute participation future. Politiquement, si Pourtant l'Equipe Secrète n'est pas un conseil d'administration clandestin vous êtes coupés de l'Equipe et de son savoir de l'intérieur, vous êtes 280 ou un super état-major général. Mais ce qui est plus dommageable pour 256 mort. A beaucoup d'égards, l'Equipe Secrète est le centre intérieur d'un nou- une conduite cohérente des affaires étrangères et militaires, c'est que c'est vel ordre religieux. une collection déconcertante de comités ou de réseaux permanents ou ras- semblés temporairement, qui proposent des réponses ad hoc aux problèmes 284 spécifiques et aux informations rapides du renseignement de diverses par- ties du monde, mais d'une manière qui parfois double les activités des mis- sions américaines régulièrement envoyées, ou parfois sape ces activités, et le plus souvent empiète sur elles et les embrouille. L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (pp. 1-5). Ouvrage cité. Traduction Pierre Jaquet. Au coeur de l'Equipe, bien sûr, on trouve une poignée de hauts respon- POURQUOI MENER DES OPÉRATIONS SECRÈTES ? sables de la CIA et du Conseil National de Sécurité (NSC), le plus connu étant 260 le conseiller en chef du Président pour les affaires de politique étrangère. 288 Aucune nation ne peut recourir à la violation manifeste de la souverai- Autour gravite une sorte de cercle intérieur d'officiels de la Présidence, de neté d'une autre, sans devoir faire face à une guerre avec cette nation, civils, de militaires du Pentagone, de professionnels du renseignement. Il peut-être même à un conflit de grandes proportions, surtout si cette nation est souvent très difficile de dire exactement qui sont ces hommes: certains fait partie d'une alliance. C'est pourquoi recourir à une violation de souve- 264 portent l'uniforme de général et font réellement partie de la CIA, tandis 292 raineté est hors de question. Mais pour une nation, entreprendre une opé- que d'autres peuvent passer inaperçus en se présentant comme des assis- ration clandestine, dans le même but, est moins risqué. Si une nation croit tants de quelque responsable de Cabinet. Au-delà de ce cercle, il y a un ré- que l'enjeu est tel qu'elle doit quand même violer la souveraineté d'une seau étendu et dense d'officiels du gouvernement, responsables ou experts autre, elle aura donc recours à des moyens clandestins, qui lui paraissent 268 dans quelque domaine qui touche à la sécurité ou aux affaires étrangères: 296 un moindre mal. 10
Choisir des moyens clandestins amène une grande difficulté: ou bien 332 rien, dans la doctrine de l'armée, ne prévoit de rôle pour le Commandant l'opération sera couronnée de succès, et son déroulement ne sera jamais en Chef lorsqu'il est impliqué dans des actions secrètes en période de paix. découvert, ou bien elle échoue, et la nation coupable est identifiée. Ainsi, Une nation n'est pas non plus censée s'impliquer dans une activité secrète, 300 réalisant que de telles opérations sont dirigées et entreprises par des êtres jamais. Par conséquent, son commandant n'est pas, n'est jamais, supposé humains, et que l'échec est toujours possible, le NSC (Conseil National de 336 être impliqué, d'aucune manière, dans le succès ou l'échec de telles actions. Sécurité) a ajouté une deuxième clause, importante: en cas d'échec, le gou- Des échecs, comme dans l'affaire de l'avion espion U2 (abattu au-dessus vernement américain doit pouvoir nier toute implication dans une telle de l'URSS), l'Indonésie, la Baie des Cochons, et l'Indochine, ont impliqué 304 opération. Ces garanties n'enlèvent rien à la gravité de ce genre d'actions. le Commandant en Chef. Elles ne servent qu'en tant que lignes directrices rigoureuses et de précau- tion: elles rappellent à l'Agence que les actions clandestines, dirigées par une agence du gouvernement américain, sont une affaire sérieuse. 308 Que personne ne pense que les seules limites au recours à de telles ac- tions sont celles qui reposent sur l'honneur, le prestige, et d'autres valeurs intangibles de gentlemen; nous devons envisager le revers de la médaille. Le gouvernement américain a été extorqué à hauteur de centaines de mil- 312 lions de dollars en marchandises, matériel, et accord commerciaux préfé- rentiels, comme autant de conséquences des échecs d'opérations clandes- tines dans des pays comme Cuba, Nicaragua, Grèce, Indonésie, Congo, Tibet, Pakistan, Norvège et autres. Ce sont les coûts cachés, rarement no- 316 tés et annoncés, de ce genre d'activités cachées. Au moment où le NSC a publié ses lignes directrices, en 1948, elles ont été suivies avec grand soin. Une des caractéristiques les plus importantes d'une opération secrète, en plus du fait qu'elle doit vraiment être secrète, 320 est sa petite taille. Il n'y a guère d'opération secrète de grande envergure qui réussisse complètement. Plus l'opération est importante, moins il y a de chance qu'elle puisse rester secrète. Cette question a été l'un des aspects les plus graves qui est ressorti du bilan établi par le Président Kennedy et L'avion espion U2 324 son frère après l'échec de la Baie des Cochons. Bien que la loi statue que la CIA est sous l'autorité du NSC, il y a eu des situations, souvent après 340 Au moment où une opération secrète a échoué et a été portée à la con- l'échec d'une opération de vaste ampleur, où le Président a dû endosser naissance du public, le Président est placé devant un déplaisant dilemme: publiquement la responsabilité de cette entreprise. Il est évident, pour Ou bien il en prend la responsabilité ou il ne la prend pas. S'il le fait, il 328 n'importe qui, que le Président, leader élu de cette nation, est responsable admet que son pays a été officiellement et délibérément impliqué dans une de toutes les activités de son gouvernement. Il est plus évident encore que 344 activité illégale et toujours impardonnable. S'il ne le fait pas, il admet qu'il a le Président, Commandant en Chef des forces armées de ce pays, porte des subordonnés, dans son gouvernement, qui prennent sur eux-mêmes la l'ultime et exclusive responsabilité de toutes les actions militaires; mais direction des opérations, qui mettent en péril le bien-être et la réputation 11
de son pays en mettant sur pied des opérations clandestines. S'il en prend de forêt. [...] . C'est ainsi que s'est déroulée l'opération de la Baie des Co- 348 conscience, cela signifie qu'il doit les renvoyer de son gouvernement. chons, et qu'elle a tourné au fiasco. Cependant, si on considère la définition même des activités clandes- 384 C'est seulement après son échec que Kennedy a réellement commencé tines, personne ne devrait être mis dans la situation où il doit admettre sa à réaliser la portée et l'ampleur du problème. Kennedy n'avait pas d'expé- responsabilité dans de telles opérations. Il est toujours entendu, avant que rience dans ce type d'affaire. [...] Mais le président Kennedy n'était pas du 352 l'opération ne soit lancée, que si elle devait échouer, elle serait désavouée genre non plus à permettre que ce genre de choses se produise deux fois. et rejetée. Si ce n'est pas fait, et si un soin extrême n'a pas été donné à as- 388 Il était intelligent, fort et attentif aux enjeux politiques. Il n'a pas vu d'autre surer à la fois le secret, le succès et, si nécessaire, le démenti de chaque façon pour calmer les choses, après ce sombre échec, que d'accepter la to- opération, alors aucune opération ne devrait être ni lancée, ni menée jus- talité de la responsabilité et d'essayer de faire au mieux, dans cette situation 356 qu'à son terme. Elle est faussement clandestine, si elle ne respecte pas ces tragique. conditions; elle entre dans la catégorie des opérations ouvertes et pu- L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The bliques, inexcusables, déguisées en opérations clandestines; elles sont le CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (pp. 120-123). produit d'une hypocrisie irresponsable et brutale. Durant au moins ces Ouvrage cité. Traduction Pierre Jaquet. 360 quinze dernières années, les choses ont évolué à un point tel: il y a eu beaucoup de soi-disant opérations clandestines, qui étaient en réalité des activités manifestes et ouvertes, entreprises dans un autre pays sans son COMMENT METTRE EN PLACE UNE OPÉRATION ? consentement. Bon nombre de ces entreprises ont débouché sur des 364 coups d'Etat: certains ont réussi et d'autres ont raté. Mais dans tous les cas 392 Une des techniques réellement l'activité «clandestine» - en réalité menée au grand jour - a été effectuée sur secrètes de l'ES (Equipe Secrète) est la base de ce constat simple: L'ancien gouvernement n'était plus accep- de compartimenter et de jouer au table; il fallait le renverser, et une petite intervention s'avérait nécessaire. coup par coup. Il est difficile de dire 368 Le débarquement de la Baie des Cochons et toutes les autres actions 396 qu'elle planifie toujours ses actions ayant accompagné cette infortunée entreprise appartiennent, en gros, à de cette manière, car l'une des cette dernière catégorie. Tout le projet a été beaucoup trop vaste pour choses que l'ES comprend et pra- avoir été clandestin. [...] Comme l'essentiel de l'initiative de ce programme tique le moins est la planification 372 a été mis en place après l'élection de Kennedy, en novembre 1960 [mais 400 globale. Quand une opération se développe, elle attribue une partie à un avant son entrée en fonction, le 20 janvier 1961], la plus grande partie de groupe, et une autre partie à un autre groupe. Ce n'est qu'à un certain de- la planification - et l'élaboration de son scénario dans le secret - a eu lieu à gré de hiérarchie que les éléments s'assemblent. [...] Quand une opération la Maison Blanche, au Pentagone, au Département d'Etat, et dans d'autres se développe, elle prolifère en fonction des circonstances. Lorsque la CIA 376 agences qui auraient dû attendre de savoir ce qui serait planifié. Le résultat, 404 demande quelque chose à la Navy, elle aura un certain personnage à con- c'est qu'un groupe d'hommes, dans - et à l'extérieur de - la CIA a décidé de tacter au Naval Focal Point Office, et elle lui transmettra sa demande. Selon la presque tous les aspects. [...] Un tel genre d'affaire, quand elle commence à manière dont on fait comprendre une instruction, l'interlocuteur peut - ou prendre de l'ampleur, et à moins qu'il y ait une direction compétente tout peut ne pas - dire à la Navy ce qu'il projette de faire. Il est possible que la 380 au sommet - le type de direction qui peut «serrer les boulons» en disant 408 Navy lui mette la pression et lui dise: «Nous ne pouvons pas envoyer deux «Non» au bon moment, pour de bonnes raisons - se répand comme un feu médecins en mission à Panama, pour le projet XYZ à moins que vous 12
nous expliquiez précisément les buts du projet XYZ, et pourquoi vous LE DÉVELOPPEMENT DE LA PIEUVRE avez besoin de deux médecins.» La Navy sait que si les médecins devaient 412 être envoyés sur certains postes d'armée, cela paraîtrait suspect, même 432 Pendant les années de la prési- pour la république de Panama. La Navy pourrait devoir payer les pots cas- dence Eisenhower, le NSC, qui à sés dans l'éventualité où l'opération serait compromise. A ce moment-là, le certaines occasions était un groupe contact de la CIA pourrait indiquer aux responsables de la Navy le fond de important et difficile à gérer, a été 416 l'affaire, ou bien il pourrait leur raconter une histoire (un mensonge) et 436 réduit à certaines fonctions et res- voir s'il s'en sort. Dans les deux cas, si l'officier de liaison fait correctement ponsabilités, gérées par de plus pe- son travail, il va gagner assez de temps pour pouvoir appeler le bureau du tites équipes. Pour administrer la Chef des Opérations Navales (CNO). Il mentionnera cette demande à CIA, le NSC Planning Board a été 420 l'administrateur autorisé. A ce moment-là, le directeur général peut ou ne 440 constitué parmi d'autres organismes. peut pas décider d'informer le CNO. Les hommes qui y siégeaient comme membres de ce plus petit groupe De cette manière, le CNO, dans ce cas l'amiral n'étaient pas eux-mêmes des Secrétaires (ministres). Ces hommes sont Burke6, peut avoir eu - ou non - une information maintenant à la tête de vastes organisations et sont très sollicités. Cela veut 424 sur l'ensemble de l'opération de la Baie des Co- 444 dire que, même s'ils pouvaient assister à la plupart des réunions, ils ne chons. Si personne n'a été informé, il serait éton- pouvaient offrir les garanties qu'ils maîtrisent les critères essentiels de di- nant que l'amiral Burke l'ait été. De plus, comme il rection et de continuité dans le processus de prise de décision. Par consé- n'a travaillé qu'occasionnellement pour le général quent, des sous-comités ou groupes spéciaux sont nés. Ces groupes se 428 Lemnitzer7, il se peut qu'il n'ait pas eu une com- 448 sont constitués d'hommes spécialement désignés pour ces tâches. Dans le préhension globale et complète du projet de la cas du groupe spécial, désigné durant de nombreuses années par des codes Baie des Cochons, bien qu'il soit membre de comme «Groupe spécial 5412/2», il s'agit de gens nommés par le Prési- l'Etat-Major interarmées. dent, le Secrétaire d'Etat, le Secrétaire à la Défense, et le Directeur de la L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The 452 CIA en personne. Cette dilution du niveau de responsabilité a donné à la CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (pp. 131-132). CIA la possibilité de détenir de plus en plus de pouvoir au fur et à mesure Ouvrage cité. Traduction Pierre Jaquet. des années, d'autant plus que chaque administration a établi ses propres procédures pour les opérations, et que le contrôle prévu par la loi a chan- 456 gé. Les années passant, le concept de base qui veut que le NSC joue un rôle dans la direction de la CIA s'est renversé, ou du moins a grandement évolué. L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The 6 Arleigh Burke (1901-1996) était le chef des opérations navales sous les présidents Eisenhower CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (p. 156). et Kennedy. Ouvrage cité. Traduction Pierre Jaquet. 7 Lyman Lemnitzer (1899-1988) a été chef d'Etat-Major des armées US (1960-1962) puis commandant de l'OTAN (1963-1969) 13
LES RELAIS DE LA CIA Des officiers soigneusement choisis, de l'Armée et de l'Air Force, sont arrivés pour mettre en place ces entraînements. Ils ont travaillé très étroi- 460 Dès les premiers jours qui ont suivi la fin de la Première Guerre mon- 480 tement avec le roi, qui est un excellent pilote, et spécialement avec la garde diale, le roi de Jordanie a été servi par une garde d'élite, généralement en- du palais, qui a sa confiance. traînée par les Britanniques. Après la Deuxième Guerre mondiale, les der- A Washington, le Département d'Etat a été informé de ce programme niers Britanniques sont partis. Le Roi Hussein s'est retrouvé dans la situa- et l'a approuvé, y voyant un projet de valeur, destiné à développer la com- 464 tion précaire de devoir faire confiance à la garde rapprochée de son palais, 484 préhension entre deux pays, tout particulièrement à un moment où les re- non seulement pour sa propre protection, mais aussi pour s'assurer d'une lations entre les Etats-Unis et les pays arabes étaient mal en point. Le Dé- application conforme de ses ordres à son armée et à son gouvernement. partement de la Défense était heureux de faire la promotion de ce pro- D'une façon parfaitement normale, comme dans beaucoup de pays depuis gramme, parce qu'il fournissait un contact devenu indispensable avec le 468 la fin de la Guerre, le Roi Hussein a accepté une aide militaire des Etats- 488 monde arabe, un contact qui pourrait soutenir la structure défensive en Unis. En même temps que cette aide, il a accueilli à Amman un petit désintégration au Moyen-Orient. Mais ni le Département d'Etat ni le Dé- nombre d'officiers de l'armée américaine, dont la mission était de s'assurer partement de la défense, à l'exception de quelques bureaux, ne savaient que ses hommes étaient correctement entraînés avec l'équipement qu'on que, parmi les «militaires», le personnel d'entraînement était formé d'ex- 472 leur avait donné. Ces hommes ont travaillé à l'élévation des niveaux de 492 perts militaires et paramilitaires de la CIA. compétences de ses troupes d'élite. Ils ont recommandé qu'on leur donne un entraînement de parachutistes, afin qu'ils puissent être engagés n'im- porte où dans le pays en cas d'urgence. Le roi a été ravi de cette proposi- 476 tion, et quelques transporteurs Air-force C 130 ont été détachés du com- mandement européen pour soutenir ce programme d'entraînement. Le transporteur C 130-A, de la firme Lockheed La Jordanie est au coeur du Proche-Orient 14
Comme l'histoire récente l'a prouvé, ce type QUEL ANTI-COMMUNISME ? d'entraînement très poussé des gardes du palais s'est révélé payant. Cela a, sans nul doute, joué un rôle 524 Lors de ses premières an- 496 clef dans la possibilité qu'a eue le roi de rester dans nées, lorsque la CIA agissait son pays, et à la tête de ses forces armées, durant la contre le communisme, c'était crise critique des réfugiés en 1970, lors de laquelle il contre de réels communistes: a pourtant failli être renversé [...] 528 par exemple dans la Grèce en 500 Au Département de la Défense, la CIA a de- guerre civile lorsque des Bul- mandé un soutien pour son programme d'entraî- gares, des Yougoslaves et des nement en Jordanie, sans trop de complications. Roumains étaient intervenus Ensuite, les agents ont demandé à l'Air Force des avions, et à l'Armée des 532 du côté des communistes. 504 hommes, et auprès des deux l'équipement nécessaire. De cette manière, la Tout le travail réalisé par la CIA s'est engagée dans une opération pacifique, qui n'est pas clandestine CIA le long du Rideau de Fer, au sens exact de ce mot: le roi est au courant que cela ne fait pas partie du en Grèce et en Iran, était en programme normal d'aide militaire; il est en contact avec un responsable 536 réaction à une influence russe proche et tangible. A cette époque, la CIA 508 qui se présente comme faisant partie de la CIA. Dans la plupart des cas, n'allait pas au Congo ou aux Philippines pour pourchasser les influences cela arrange le roi, ou tout autre dirigeant: Il sait qu'il va obtenir quelque subversives de ceux qu'ils appelaient communistes. La CIA luttait pied à chose de spécial et de bien mieux, et plus facilement que s'il s'agissait d'un pied contre les Russes, qu'ils les trouvent en réalité ou pas. programme militaire comparable, lequel lui coûterait cher si les choses se 540 Mais il n'y avait pas que cela: La plupart des efforts clandestins depuis 512 passaient de manière habituelle. Ce projet n'est ainsi pas secret en Jorda- 1955 ont été entrepris contre des supposés communistes, ou contre un nie. Mais le roi ne va pas dire à ses responsables militaires ce qu'il a accep- soi-disant communisme subversif, ou contre une cible dans un pays du té... tout en ne donnant aucun aspect clandestin aux opérations ! Tiers Monde. En d'autres termes, le «communisme», que la CIA recherche Ce projet pourrait rester caché des Israéliens, des autres Arabes ou des 544 et poursuit dans ses efforts opérationnels durant ces dernières années, a 516 Russes. Mais, quand on y pense rationnellement, il ne l'est pas tant que ça. été ce qui dérangeait les intérêts américains sur le sol de pays non commu- Des avions comme le C 130 sont trop gros et trop spéciaux pour voler en nistes. Jordanie pendant des mois, sans témoigner du fait que quelque chose de Au début, les escarmouches de la Guerre froide ont eu lieu sur - ou particulier est en train de se passer dans ce pays. [...] 548 près - du territoire communiste. Depuis cette époque, on a combattu le 520 Cet exemple nous sert à démontrer la structure inhabituelle et l'étrange «communisme» sur le sol de nos amis, dans des pays comme le Vietnam, forme du terme d' «opérations de paix». Ce n'est pas une petite affaire, et le Laos, l'Inde, le Congo et la République dominicaine, pour n'en citer que bien que cet exemple se rapporte à la Jordanie, il y a eu des projets simi- quelques-uns. Ce changement de centre d'intérêt et de direction dans la laires dans d'autres nations. 552 poursuite du communisme est important. L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The L. Fletcher PROUTY (Ancien Colonel de l'U.S. Air Force): The Secret Team: The CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (pp. 170-172). CIA and Its Allies in Control of the United States and the World. (p. 270). Ouvrage cité. Traduction Pierre Jaquet. Ouvrage cité. Traduction Pierre Jaquet. 15
LES USA ET LE VIETNAM En même temps, nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait qu'il existe deux facettes à ce problème: nos rapports nous indiquent qu'il existe Au cours de l'automne 1945-1946, les Etats-Unis à la fois un manque de compréhension par les Français de la partie oppo- reçurent de multiples sollicitations de Hô Chi Minh 588 sée, et un modèle ainsi que des méthodes coloniales, dangereusement ar- (1890-1969, photo prise en 1946) demandant une inter- chaïques qui perdurent dans la région. De plus, il serait illusoire de vouloir 556 vention américaine au Vietnam; elles demeurèrent sans ré- nier le mouvement selon lequel les empires coloniaux du XIXe siècle s'ins- ponse. Cependant ils refusèrent tout aussi fermement d'ai- crivent de plus en plus rapidement dans le passé. Les politiques des An- der les Français dans leur effort militaire. Ils considérèrent 592 glais en Inde et des Néerlandais en Indonésie en sont des exemples fla- que le conflit indochinois comme un problème français au- grants. Les Français eux-mêmes en ont pris conscience tant dans leur 560 quel il incombait à la France d'apporter une solution. nouvelle constitution que dans leurs accords [conclus l'année précédente] Cela ne signifie pas pour autant que les Etats-Unis avec le Vietnam. n'étaient pas prêts à agir selon les circonstances. Ainsi, 596 D'un autre côté, nous n'ignorons pas qu'Hô Chi Minh dispose de rela- lors du conflit de 1945-1946 ayant pour cadre les posses- tions directes avec le communisme. Il devrait sembler évident que nous ne 564 sions néerlandaises en Indonésie, ils agirent énergiquement contre leur allié hollandais, sommes pas intéressés à ce que l'administration coloniale d'un empire soit de bien moindre importance que la France en Europe. Dans ce cas, cependant, l'inter- remplacée par des organisations dont le mode de pensée philosophique - vention se fit avec la Grande-Bretagne (laquelle refusa fermement toute action similaire 600 ou politique - émane ou soit contrôlé par le Kremlin. en Indochine). En toute franchise, nous n'avons aucune solution à apporter à ce pro- 568 La politique américaine demeurait cependant constante dans sa volonté de s'en re- blème. Il s'agit pour les deux parties en présence de travailler ensemble. mettre au gré de la France comme annoncé par le Secrétaire d'Etat, le 3 avril 1945. D'après vos rapports et ceux d'Indochine, nous sommes conduits à penser De plus, à l'époque, l'Indochine apparaissait pour beaucoup comme étant l'une des rares 604 que les deux parties se sont efforcées de garder la porte ouverte en vue régions agitées dans le monde de l'après-guerre dans laquelle les USA pouvaient se per- d'un quelconque accord. Nous avons conscience du fait que le Vietnam a 572 mettre le luxe de ne pas intervenir. En février 1947, au début du conflit, l'ambassadeur initié les combats en Indochine le 19 décembre: Cette action a compliqué américain à Paris reçut pour instruction de rassurer le Chef du gouvernement, Rama- la tâche des Français désireux d'adopter une position plus généreuse et dier, sur «les sentiments très cordiaux» des Etats-Unis à l'égard de la France, et 608 conciliante. Cependant, nous espérons que les tous les Français sauront de ses intérêts à la soutenir pour qu'elle recouvre sa puissance économique, politique et faire preuve de générosité dans la recherche d'une solution à ce conflit. 576 militaire. Frank MIRMONT: La Guerre d'Indochine vue par la CIA. Paris. Ed. Nimrord, En dépit des malentendus qui auraient pu naître dans les esprits fran- 2015, pp. 11-14. çais au regard de notre position concernant l'Indochine, les Français doi- vent considérer que nous avons entièrement reconnu la souveraineté de la En 1948, les Etats-Unis n'exprimaient pas encore la certitude qu'Hô Chi Minh 580 France dans cette région. Nous ne souhaitons en aucun cas donner l'im- était inféodé au Kremlin (le palais du gouvernement de l'URSS). Une évaluation menée pression que nous voudrions affaiblir cette souveraineté. Les Français de- 612 par le département d'Etat au sujet d'Hô Chi Minh en juillet 1948 indiquait: vraient savoir que nous avons la volonté d'apporter notre assistance. Nous 1. Les informations du département d'Etat indiquent qu'Hô Chi Minh nous tenons prêts à les aider de la manière la plus appropriée qui soit pour est communiste. Ses agissements passés et connus au sein du Komin- 584 résoudre le problème indochinois. 16
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