La coopération FIDH Carrefour - juin 2007

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La coopération FIDH ­ Carrefour
                                             juin 2007

La coopération entre la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et
Carrefour est d'une nature inédite et est en constante évolution. Aussi, la FIDH souhaite­t­elle
apporter une mise à jour sur les modalités d'action d'Infans, l'association conjointe entre Carrefour
et la FIDH mise en place en 2000 comme cadre de cette coopération.

1) Rappel historique sur la coopération entre Carrefour et la FIDH:
Des discussions entre Carrefour et la FIDH entamées depuis 1997/1998 portant sur les moyens
d'améliorer les conditions de travail chez les sous­traitants de Carrefour ont conduit à la conclusion
d'un partenariat entre l'ONG et la multinationale en 2000. Au départ, Carrefour souhaitait surtout
s'attaquer au problème du travail des enfants.

Ce partenariat portait sur la mise en place d'une démarche de Carrefour vis à vis de ses fournisseurs
pour garantir le respect des droits de l'Homme au travail par ceux­ci.

La FIDH a décidé de s'engager dans cette coopération afin de contribuer à une amélioration
concrète de la situation des droits de l'Homme chez les fournisseurs en Asie du Sud, de mieux
appréhender une multinationale, et afin de complémenter le travail des syndicats là où ils n'avaient
pas la capacité d'intervenir, et enfin afin de contribuer à formaliser les engagements droits de
l'Homme des entreprises, pour rendre réelle leur responsabilité en la matière.

La FIDH a accepté de coopérer avec Carrefour à plusieurs conditions: l'engagement de Carrefour de
s'engager pour l'ensemble des droits fondamentaux au travail; l'engagement de Carrefour de
respecter les Normes définies par l'ONU et l'OIT; un engagement à ne pas faire de cette coopération
un argument commercial; un engagement à se soumettre à un mécanisme de contrôle indépendant, y
compris à l'éventualité de publication de résultats négatifs; et enfin une adhésion quant au but de la
coopération: renforcer la capacité d'action des acteurs locaux, notamment des syndicats.
Les modalités de la coopération ont porté sur l'adoption par Carrefour d'une charte fournisseur
et de son mécanisme de contrôle. L'originalité et la crédibilité de cette démarche résidaient d'une
part dans le contenu même de la charte et d'autre part dans le triple système de contrôle de la mise
en oeuvre par les fournisseurs de l'obligation de la Charte.

­ Les six obligations contenues dans la Charte, adoptée en 2000 sont fondées sur les 8
Conventions fondamentales de l'OIT et la Déclaration universelle des droits de l'Homme (La charte
fournisseur en vigueur est disponible sous:
http://www.carrefour.com/docs/carrefour_supplier_charter_fr.pdf ). Au moment de son adoption,
une telle charte était novatrice dans le sens où nombre de codes de conduite ou chartes sociales
alors adoptés par des entreprises reposaient uniquement sur des principes auto­définis, ou
n'engageaient les entreprises que pour le respect de certaines normes de l'OIT (interdiction du
travail des enfants, sans garantie des libertés syndicales).

­ Le système initial de contrôle comprenait trois phases:
− Un premier contrôle interne à Carrefour lors de l'intégration d'une entreprises dans la liste des
    fournisseurs de Carrefour;
− Un contrôle externe indépendant par une société d'audit sur la base d'une méthodologie d'audit
    mise en place avec la FIDH. Ce contrôle est assorti d'un plan de mesures correctives, et en cas
    de résultat non satisfaisant, un ré­audit est organisé;
− La possibilité d'un contrôle « third party » (par la FIDH dans un premier temps, devant être
    mené à terme par les acteurs locaux, syndicats et/ou ONG indépendantes), ce contrôle pouvait
    être fait sur le terrain mais aussi par l'examen des documents dont les audits sociaux mis à
    disposition par Carrefour.
La coopération a été formalisée par la création d'une association conjointe de loi 1901, Infans,
composée par 4 membres de la FIDH et 2 de Carrefour.

Au début de la coopération, la FIDH a participé à la formation du personnel de Carrefour (acheteurs
et équipes Qualité), ainsi que des auditeurs externes au référentiel d'audit. Cette coopération est en
effet intervenue au début des démarches RSE des entreprises, d'où l'importance de sensibiliser le
personnel de Carrefour.

Le bilan de la 1ère phase de la coopération:
La FIDH a constaté des améliorations sur le terrain liées à cette initiative, mais a également pu en
mesurer les limites.

La réalisation d'audits sociaux, par Carrefour et d'autres acheteurs, a dans un premier temps permis
un meilleur contrôle des conditions de travail chez les fournisseurs et une amélioration réelle pour
les travailleurs. Ceci a été le cas en particulier au Bangladesh où des améliorations objectives ont pu
être observées, notamment pour ce qui concerne les critères les plus facilement vérifiables. En
outre, la Fédération commerce et distribution regroupant tous les distributeurs français a adopté les
mêmes critères d'audit, et a décidé de mutualiser les résultats.
Cependant, le recours aux seuls audits sociaux est vite apparu comme limité. Tout d'abord, les
entreprises locales se sont rapidement équipées pour être bien notées par les auditeurs sociaux sans
qu'un changement véritable intervienne (ex: installation d'une « complaint box » pour les
travailleurs, mais pas de comité représentatifs des travailleurs). D'où la nécessité de réviser
constamment les critères d'audit et la pondération des critères dans les notations des fournisseurs.
De plus, les différentes méthodes d'audit se sont multipliées alors que chaque entreprise
multinationale adoptait son propre code de conduite, et ses propres exigences fondées ou non sur le
droit applicable. Or, dans certains pays la faible part représentée par chacun des acheteurs dans le
chiffre d'affaires des fournisseurs – notamment en Chine ­ , réduisent considérablement l'effectivité
d'un tel outil.

Finalement, la limite de la démarche d'audit se trouve dans les législations nationales: comment
amener les entreprises chinoises à respecter la liberté syndicale et le droit de négociation collective,
alors que ces droits ne sont pas reconnus en Chine? Comment garantir un salaire permettant une vie
décente aux travailleurs du textile au Bangladesh alors même que le salaire minimum dans ce
secteur est largement insuffisant?

Tous ces éléments plaident pour une action commune et cohérente de l'ensemble des acheteurs
fondée sur les normes internationales en vigueur. Depuis de nombreuses années, la FIDH plaide
auprès de Carrefour pour la mise en commun entre acheteurs des référentiels et des méthodologies
d'audit. Surtout cette situation plaide pour l'adoption d'une norme internationale sur la responsabilité
des entreprises en matière de droits de l'Homme.

Par ailleurs, la FIDH a touché la limite de son rôle et de sa capacité s'agissant de de contrôler de
manière effective et crédible eu égard à ses moyens, l'ensemble des fournisseurs du groupe, et ce,
sur une base permanente.

Aussi a­t­il été décidé dès 2002 de réviser le mandat d'INFANS.

2) Le rôle d'Infans aujourd'hui:
Le mandat d'Infans a été modifié dès 2002 en mettant un terme au caractère systématique du
contrôle par la FIDH et/ou partenaires des obligations de la Charte.

­ Une coopération pour le développement d'une norme internationale
Aujourd'hui le mandat d'Infans – devenu un « forum de discussion et d'échanges » est centré sur le
développement d'une norme internationale sur la responsabilité des entreprises en matière de droits
de l'Homme. Ainsi dès avril 2003, Carrefour a pris publiquement position pour un tel instrument et
en novembre 2005 a soutenu les Normes des Nations unies sur la responsabilité en matière de droits
de l'Homme des sociétés transnationales et autres entreprises (http://www.business­
humanrights.org/Links/Repository/545795/jump) et d'un mécanisme de contrôle.

L'objectif affiché de Carrefour est d'aboutir à une harmonisation des standards et de mutualiser les
résultats d'audit. Ainsi, Carrefour est actif au sein de la plateforme d'échange Initiative Clause
sociale de la Fédération commerce et distribution au sein duquel ont adopté une référentiel commun
et partagent leurs résultats d'audit. Aujourd'hui, Carrefour prend part aux débats au niveau européen
et international concernant un cadre normatif international. Par ailleurs, Carrefour discute
aujourd'hui avec d'autres distributeurs mondiaux de l'adoption d'une charte sociale commune fondée
sur les normes de l'OIT et de l'ONU et d'un mécanisme de contrôle indépendant de ces
engagements, qui devra associer les syndicats et les ONG. Cette initiative « Global Social
Compliance Programme » qui concerne les plus grands distributeurs mondiaux (Walmart, Tesco,
Migros, Metro) regroupés au sein du CIES­food forum devrait voir le jour en 2007. La FIDH
encourage et accompagne ce type d'initiative visant à l'opérationalisation effective par les
entreprises des normes internationales considérant qu'elles leur sont opposables et engagent leur
responsabilité. Ces initiatives doivent selon la FIDH obtenir le soutien et associer les syndicats des
entreprises concernées. La FIDH, à cette fin, s'est largement investie, que ce soit, concernant
Carrefour, par des échanges important au sein du comité d'entreprise européen du groupe, ou plus
largement avec la CSI (Confédération syndicale internationale) dans le cadre d'une coopération
renforcée.

­ La possibilité de réaliser des missions inopinées
Par ailleurs, la FIDH garde la possibilité de mener des missions inopinées chez les fournisseurs du
groupe ou de mandater des ONG locales pour ce faire (« contrôle ad­hoc »). Ainsi notamment, la
FIDH a réalisé en 2005 et 2006, plusieurs missions au Bangladesh, incluant des visites dans les
usines de confection et donnant lieu à des recommandations adressées à Carrefour et à certains
fournisseurs. Aujourd'hui il est question d'associer les syndicats du groupe à prendre part à ces
contrôles.

Ces missions permettent également à la FIDH de faire le point sur certaines situations, et de faire
des recommandations à Carrefour. Ainsi lors de ses dernières visites au Bangladesh, la FIDH a pu
faire le point sur l'effondrement de l'usine Spectrum, fournisseur ponctuel de Carrefour au
Bangladesh (http://www.fidh.org/IMG/pdf/CRmissionInfanssept2005.pdf ) et faire des
recommandations à Carrefour concernant notamment sa participation au fonds de compensation des
victimes.

­ La participation à des formations sur les droits fondamentaux au travail
En outre, Infans contribue à la conception et à l'organisation de formations des travailleurs et des
cadres sur les droits de l'Homme au travail chez les fournisseurs du groupe, là où il a été décidé de
mettre l'accent sur la formation.
Après des formations pilotes en 2004 et 2005 au Bangladesh, Infans a décidé de mettre en place un
programme de formation d'envergure sur 2006­2009 visant à former l'ensemble des entreprises du
parc fournisseur de Carrefour au Bangladesh. Ces formations menées par un ONG locale, Karmojibi
Nari incluent:
− une introduction à la Charte sociale et au programme de formation auprès des dirigeants des
    usines;
− une formation de base pour les travailleurs (deux journées, 20 personnes) sur les droits
    fondamentaux au travail. Cette première formation, basée sur des vidéos et des brochures
    explicatives en bangla est suivie par une rencontre (« refresher ») quelques mois plus tard.
−  une formation pour les cadres moyens, peu sensibilisés à la question des droits des travailleurs.
Ce programme a du être interrompu momentanément courant 2006 sur demande des acteurs locaux
pour des raisons liées à l'instabilité politique au Bangladesh, notamment dans le secteur de la
confection, mais il devrait reprendre début 2007.

3) Bilan et Perspectives

Comme cela a été décrit plus haut, certaines avancées concrètes pour les travailleurs ont pu être
constatées au cours de la coopération. En outre, la FIDH a obtenu des avancées sur certains dossiers
qu'elle a soulevé auprès de Carrefour au fil de sa coopération avec le groupe: Carrefour a par
exemple cessé toute relation avec la Birmanie. En effet, la FIDH considère que les investissements
dans ce pays ne contribuent pas à un meilleur respect des droits de l'Homme, mais aident le régime
actuel à se maintenir.

La FIDH a pu relayer auprès de la direction de Carrefour les préoccupations de la société civile
concernant les activités du groupe dans certains pays. Par exemple, en 2006, la FIDH a appuyé
auprès de la direction de Carrefour les demandes de l'Union internationale des travailleurs de
l'alimentation (UITA) concernant un fournisseur d'huile de palme en Indonésie où existaient des
pratiques anti­syndicales sérieuses. Après discussion, Carrefour a interrompu ses relations avec ce
fournisseur. La FIDH a également pu alerter Carrefour sur la situation dans des hypermarchés au
Brésil et contribué à un dialogue entre les direction de ceux­ci, les syndicats et les ONG locales.

Concernant le Bangladesh, la FIDH a notamment relayé les recommandations de la société civile
sur le suivi du drame de Spectrum La FIDH a recommandé à Carrefour à plusieurs reprises de
mettre en place une personne en charge exclusivement de la question des conditions de travail chez
les fournisseurs au Bangladesh. La FIDH a également suggéré une démarche auprès des autorités
bangladeshi sur la question du salaire minimal. La FIDH a plaidé auprès de Carrefour qu'il rende
publique la liste de ses fournisseurs au niveau mondial comme l'ont fait certaines grandes enseignes.

La FIDH continuera de faire part à Carrefour des préoccupations de ses partenaires ONG et
syndicats et peser de tout son poids pour une meilleure prise en compte des droits des travailleurs.
La FIDH est parfois présentée comme le garant du système d'audit mis en place par Carrefour, alors
même que la FIDH n'effectue plus de contrôle chez les fournisseurs et n'intervient plus sur la
méthodologie d'audit. Au contraire, la FIDH a maintes fois souligné les limites des systèmes de
contrôle volontaires. Les manquements relevés par des ONG chez des fournisseurs du groupe
contribuent à une meilleure prise en compte par le groupe des failles du système en place et la FIDH
souhaite que cette vigilance continue.

La FIDH souhaite que les syndicats et/ou représentants des travailleurs en l'absence de syndicats
indépendants élus puissent participer eux­mêmes au respect des conditions de travail. Aujourd'hui,
la FIDH se félicite que les syndicats du groupe vont être davantage au coeur des missions de
contrôle des conditions de travail.

La FIDH se réjouit du rôle que joue Carrefour auprès des autres distributeurs pour promouvoir une
mise en commun des standards au niveau mondial. La FIDH considère que la coopération avec le
groupe a permis des avancées dans la réflexion pratique et théorique sur une approche
réglementaire, et contribue à entraîner le groupe et ses concurrents vers une responsabilité accrue
sur le fondement du droit international positif.
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