LA FIGURE FÉMININE DANS L'ŒUVRE DE MANUEL ÁLVAREZ BRAVO - Couderc Juliette D.E.A d'Histoire de l'Art Université Paris I Panthéon Sorbonne

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LA FIGURE FÉMININE DANS L'ŒUVRE DE MANUEL ÁLVAREZ BRAVO - Couderc Juliette D.E.A d'Histoire de l'Art Université Paris I Panthéon Sorbonne
Couderc Juliette
D.E.A d’Histoire de l’Art
Université Paris I Panthéon Sorbonne
U.F.R 03

         LA FIGURE FÉMININE DANS L’ŒUVRE

              DE MANUEL ÁLVAREZ BRAVO

                                   L’étoffe noire, 1936
LA FIGURE FÉMININE DANS L'ŒUVRE DE MANUEL ÁLVAREZ BRAVO - Couderc Juliette D.E.A d'Histoire de l'Art Université Paris I Panthéon Sorbonne
La figure féminine dans l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo. Plan

                                      PLAN

PRÉFACE                                                                              3

INTRODUCTION                                                                         8

PREMIERE PARTIE                                                                     10

PORTRAIT DE LA FEMME MEXICAINE TRADITIONNELLE                                       10

a) Á travers les coutumes et les rites                                              10

b) Á travers son quotidien                                                          11

DEUXIEME PARTIE                                                                     13

UNE AUTRE VISION DE LA FEMINITE MEXICAINE                                           13

a) À travers le rêve                                                                13

b) À travers la poésie                                                              15

c) Á travers l’humour                                                               16

TROISIEME PARTIE                                                                    18

L’ENTREE DU NU DANS L’ŒUVRE D’ÁLVAREZ BRAVO                                         18

a) Le nu magnifié                                                                   18

b) Entre Eros et Thanatos                                                           19

CONCLUSION                                                                          21

INDEX                                                                               22

PHOTOGRAPHIES                                                                       25

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES                                                       31

BIOGRAPHIE                                                                          33
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Réflexion sur la femme et le corps féminin. Préface

                                            PRÉFACE

Réflexion sur la femme et le corps féminin

    Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est essentiel de s’intéresser au traitement de la
femme à travers le nu photographié et surtout chez les Surréalistes. Álvarez Bravo a
introduit le nu tardivement dans son œuvre quant au Surréalisme, il n’a jamais voulu
faire partie de ce mouvement ni d’aucun en particulier. Mais sa vision de la femme
s’éloigne-t-elle autant des canons esthétiques de l’époque ou de certaines
affirmations ?

Á propos du nu photographié

Á partir des propos de Michel TournierI, on peut essayer de répondre à la question
posée. Tout d’abord, il affirme une première chose au sujet du portrait c’est qu’il
emprisonne le « mystère d’une personnalité ». Le visage serait le reflet de l’âme.
Le portrait est révélateur de la personnalité de chacun. Cette affirmation peut très
bien s’appliquer aux dires de Álvarez BravoII, qui a besoin d’un rapprochement
simple avec son modèle, d’une communion :

(…) Oui, je me sens proche des gens du peuple. Comme Baudelia ou la senorita
Juaré qui vend des fruits, ce sont des gens simples qui m'ont accordé des portraits
sans complications.

Mais ce sont surtout les différents portraits qui se rapprochent de cette théorie. Car le
photographe, à travers un regard, capture une tradition, comme avec la photographie
de Margarita de Bonampak de 1959, une naissance, comme à travers Maternity de
1948, ou encore une âme invisible, indiscernable comme avec le songe de 1931.
Oui, les portraits d’Álvarez semblent refléter avec exactitude le caractère du
personnage.

I
   Le corps photographié de John Pultz et Anne de Mondenard, extrait du texte de Michel Tournier de
l’académie d’Arles : « Réflexions sur le nu ».
II
   Citation extraite du texte de Brigitte Ollier : « Les fruits de la passion selon Manuel Álvarez Bravo,
tiré du livre de Brigitte Ollier, Manuel Álvarez Bravo.
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Réflexion sur la femme et le corps féminin. Préface

Mais quand TournierIII s’intéresse au nu, il est difficile d’y reconnaître la photographie
de l’artiste mexicain.

(...) Le nu, c'est non seulement Adam et Eve, mais c'est aussi le paradis, un lieu
abstrait, idéal, béni de Dieu. Et il y a toujours un climat d'innocence qui l'entoure.
Nous retrouvons l'érotisme nié. Non, le nu ne peut être érotique. (...).

Il n’a jamais été question de références bibliques pour les nus qui apparaîtront dans
l’œuvre du photographe. Mais l’innocence évoquée pourrait très bien s’apparenter à
toutes ces représentations féminines, si insouciantes, à la beauté sauvage et
juvéniles. Non érotique le nu ? C’est le cas comme nous allons le découvrir pour les
photographies de Álvarez Bravo mais avec un doute, car l’artiste aime osciller entre
les deux, aime que le spectateur voit ce qu’il veut et joue avec humour avec les
titres, la tentacíon en casa de Antonio de 1970, illustre bien ce propos dans le sens
où le titre affirmerait que le spectateur serait tenté par la femme d’un autre. Jeu ou
perversité ? L’innocence chez l’artiste peut s’estomper pour vaciller entre Eros et
érotisme mais aussi entre Eros et Thanatos. Car la mort plane dans quelques
photographies…Un rapport que Tournier remarqua mais sur lequel il ne s’attarda
pas.
Toutefois, on ne peut oublier qu’Adam et Eve ont succombé à la tentation et qu’ils
ont touché aux fruits défendus ; et, qu’ Álvarez Bravo a aussi intitulé un nu « Fruit
défendu » de 1976. En ce sens, il rejoindrait bien la Bible.

Comment la femme est-elle perçue chez les Surréalistes ?

Trois ouvrages permettront d’en savoir un peu plus sur les Surréalistes faces à
l’amour, la sexualité, et sur la femme. Bien sûr ce sont toujours des interrogations en
rapport avec l’étude de la figure féminine dans l’œuvre d’ Álvarez Bravo.
D’après l’introduction de Vincent GilleIV dans son ouvrage Le surréalisme et l’amour,
Les dadaïstes ont une vision de la femme plutôt robotisée, réduite à des roues ou à
des mannequins. Les artistes tels que Duchamp, Man Ray ou Picabia illustrent bien
ce propos. Avec les Surréalistes c’est une autre conception féminine qui voit le jour.

III
 Ibid.
IV
  Introduction de Vincent Gille « Si vous aimez l’amour », extraite du catalogue du Pavillon des arts
Paris, Le Surréalisme et l’amour,Paris-Musées :Gallimard-Electa, Paris, 1997.
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Réflexion sur la femme et le corps féminin. Préface

Si le mouvement Dada décrit un érotisme provocateur, le Surréalisme se tourne vers
un langage de l’amour. Selon la revue MinotaureV, qui paraît en 1934, le premier
chapitre de l’Amour fou se termine par une phrase qui deviendra célèbre par la suite :
« La    beauté     convulsive      sera     érotique-voilée,     explosante       –fixe,   magique-
circonstancielle ou ne sera pas ». De ce langage, Álvarez Bravo est sans aucun
doute très proche, par le langage des mots à travers les titres évoqués, un langage
photographique qui, comme chez les Surréalistes, devient poétique. L’amour est lié
aux mots comme à l’image de cette femme idéale ou idéalisée. Dans la Bonne
réputation endormie de 1938-1939, André Breton ne reconnaît-t-il pas en l’art de
l’artiste mexicain un photographe Surréaliste ?
Car comme l’affirme Fernando Del PasoVI :

La bonne renommée endormie" et le "fruit défendu" provoquent un décalage entre
l'image photo et la réalité familière. L'évolution des titres, d'un rôle simplement
descriptif à un rôle provocateur de dialogue, transformant la valeur documentaire de
ses photos en réalité poétique, rappelle les concepts surréalistes de jeu linguistique
et de métamorphose perpétuelle. L’attirance pour la poésie lui donne un lien avec le
Surréalisme.

Quant à l’érotique voilé, il est vrai qu’ Álvarez Bravo joue avec les textures des
vêtements ou avec le linge, qui recouvrent certaines parties intimes de la femme.
Dans ce jeu de transparence et de voilement, si révélateur de la beauté féminine,
Álvarez Bravo ne semble pas s’éloigner beaucoup de l’image de l’amour
surréaliste…
Toutefois, dans cet univers poétique, certains Surréalistes prônent pour un érotisme
violent, sous le signe de Sade. Gille cite bien sûr Hans Bellmer et sa célèbre poupée
représentative de la femme artificielle, articulée. Cette bestialité sous jacente diffère
évidemment avec l’art de Manuel Álvarez Bravo où toute violence visuelle,
photographique est oblitérée.
Dans l’ouvrage de Xavière GauthierVII, le chapitre concernant « la femme-nature : la
bonne femme », il est vrai, concerne la peinture, mais pourtant, cette notion de
« femme-enfant » pourrait s’attribuer aux images de ces jeunes filles portraiturées
par Bravo. Photographiées dans leurs quotidiens à travers diverses activités, la jeune
V
    Ibid.
VI
    Citation extraite du texte de Fernando Del Paso, traduit par Enrique Hett : Manuel Álvarez Bravo :
330 photographies, Paris Octobre 1986.
VII
    Xavière Gauthier, « Surréalisme et Sexualité », Chapitre II : « La femme-nature : la bonne femme ».
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Réflexion sur la femme et le corps féminin. Préface

fille a déjà une vie de femme. De plus, Gauthier affirme que les Surréalistes « voient
en la femme leur propre mère et leur propre enfant », et une véritable sacralisation
de la femme car elle incarne à la fois la naissance et la mort. La notion de vie et de
mort est visible dans certaines œuvres du photographe comme nous le verrons plus
tard.
Cependant, l’artiste évoque une déesse de la mythologie pré-Hispanique, Xipe –
Tópec, qui l’aurait marqué, à travers elle, il rejoindrait l’image de cette femme
symbolisant la nature et le cycle de saison.
Enfin, dans l’ouvrageVIII intitulé « la femme et le Surréalisme », José Pierre, dans son
premier chapitre consacré à Breton, évoque une anecdote à son sujet. Ce dernier se
rendant au MexiqueIX, qui définit, comme « l’endroit surréaliste par excellence »,
décrit son admiration et surtout son rapport de « séduction » avec une construction.
Fasciné par cette dernière, il s’y rend une seconde fois :

(...) La fascination qu'elle exerça à ce moment sur moi fut telle que je négligeai de
m'enquérir de sa condition: qui pouvait-elle être, la fille ou la soeur d'un des êtres qui
avaient hanté ces lieux au temps de leur splendeur ou de la race de ceux de
l'invasion? N'importe: tant qu'elle fût là, je ne me souciai en rien de son origine, il me
suffit simplement de rendre grâce de son existence .Ainsi est la beauté.

Puis, José PierreX d’ajouter :

Cette radieuse apparition n'a pas seulement le mérite de nous proposer une
fulgurante image de la naissance du désir, mais de nous rappeler combien Breton
s'est attaché à mettre en relation le processus de l'émotion amoureuse et celui de
l'emotion artistique, au point de faire de cette relation l'un des fondements de sa
réflexion théorique et critique

Pourquoi ne pas voir également chez Alvarez Bravo cette relation amoureuse et
artistique. Car, à travers ses paysages, ses personnages, photographiés n’a-t-il pas
là un désir de faire partager ses sentiments personnels ? Son émotion face à son
pays, ses coutumes et son peuple ?
Cette préface est une brève interrogation pour permettre de situer l’œuvre d’Alvarez
Bravo et surtout sa vision féminine, néanmoins, elle permet de faire le point sur la

VIII
    La femme et le Surréalisme, tome I, de Erika Billeter et José Pierre, musée cantonal des beaux-
arts, Lausanne, 1987.
IX
    Ibid. « Souvenirs du Mexique » publiés en 1939 cités dans le texte de José Pierre : « Le problème
de la femme dans le surréalisme ».
X
   Ibidem.
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Réflexion sur la femme et le corps féminin. Préface

femme, son image, au fil des époques. A travers la pensée dadaïste et surréaliste,
certains points pourraient rejoindre le photographe mexicain mais bien sûr nous
resterons dans le domaine de la suggestion et de l’hypothèse.
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La figure féminine dans l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo. Introduction

                                      INTRODUCTION

Manuel     Álvarez     Bravo,    originaire    du   Mexique,      touche     par   sa    sensibilité
photographique. Une photographie nette, précise, légèrement floue sur certains
contours. Il fut qualifié de peintre anti-graphique par l’historien d’Art, Ian JeffreyXI et
Julien LévyXII, célèbre galeriste, c'est-à-dire que son œuvre se veut plutôt réaliste.
Proche de ses origines, l’artiste en effet, dépeint son pays avec grâce mais surtout
avec un attachement sans limite : scènes d’enterrement, cérémonies mortuaires,
mais aussi scènes de vie ou de violence.
L’œil du photographe scrute tout sans la moindre tricherie et en restant sincère :

IL me semble que tout est photographiable, cela dépend de la façon dont on le voit.
Tout a un contenu socialXIII.

Proche de Cartier-Bresson, il se distingue par son art. Fernando Léal XIV fait d’ailleurs
une remarque à ce sujet :

Cartier Bresson interrompt la vie ; Álvarez anime les natures mortes ». Aucun effet,
de la simplicité uniquement : « (...) Lorsqu'on prend une photo, on ne cherche pas à
dire quelque chose de particulier ou à affirmer quoi que ce soit, mais simplement à
créer une image qui, par la suite, transmettra peut-être un sens auquel on n'avait pas
songé et qui dépend de l'interprétation du spectateur. Ni philosophie, ni idées. Ce
sont mes yeux qui travaillent, pas ma tête. Je n'ai jamais suivi une route toute tracée.
Je n'ai jamais cherché ou poursuivi quoi que ce soit, ce sont les choses qui me
poursuivent....elles se présentent à moi, tout simplement. Ce qui s'offre à moi, je le
prends. C'est ainsi que j'ai toujours vécu, et pas seulement dans le domaine de la
photoXV.

Le peuple est naturel ainsi que les paysages. Les coutumes, les croyances, les
habitudes, on n’apprend tout grâce à l’objectif.

XI
    Documentary and anti-graphic photographs, extrait du texte “Le choix du réalisme: Manuel Álvarez
Bravo” de Ian Jeffrey,Historian of Photography.
XII
     Idem
XIII
      Citation extraite du livre Manuel Álvarez Bravo de Brigitte Ollier.
XIV
      Citation extraite du livre Manuel Álvarez Bravo de Susan Kismaric.
XV
      Citation extraite du livre, Images du XXème siècle, vingt photographes regardent leur temps, de
Mark Edward Harris, chapitre consacré à Manuel Álvarez Bravo.
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La figure féminine dans l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo. Introduction

Si l’on regarde l’intégralité de son œuvre, la figure féminine occupe une place non
pas dominante mais elle est une présence qu’on ne peut oublier. De la jeune fille à la
femme, voire à la mère, toutes symbolisent une étape majeure de la vie mexicaine.
Discrètes, elles apparaissent à la lumière du jour ou dans la pénombre. Légères ou
court vêtues, elles sont à la fois humaines ou semblables à des fantômes.
Difficile de savoir ce que recherche l’artiste à travers ces différentes postures. D’où
cette problématique : Quelle iconographie de la femme, l’artiste veut-il donner à son
spectateur ? Une image uniquement réaliste ou une image idéalisée ?
Pour répondre à cette question, trois parties sont à envisager. Dans un premier
temps, je m’attacherai au portrait de la femme Mexicaine traditionnelle à travers son
mode de vie. Dans une troisième partie, j’insisterai sur une autre vision de la féminité
mexicaine que donne à voir l’artiste à travers le rêve, la poésie et l’humour. Enfin, en
dernier lieu, je parlerais de l’entrée du nu dans son art.
LA FIGURE FÉMININE DANS L'ŒUVRE DE MANUEL ÁLVAREZ BRAVO - Couderc Juliette D.E.A d'Histoire de l'Art Université Paris I Panthéon Sorbonne
Première Partie : Portrait de la femme Mexicaine traditionnelle :a) Á travers les coutumes et
les rites

                                     Première Partie

                Portrait de la femme mexicaine traditionnelle

a) Á travers les coutumes et les rites

Dans les années 1930, l’œil du photographe s’arrête sur les paysages, les scènes
d’enterrement, les cérémonies et les habitants de son pays natal. Les femmes
apparaissent dans la lumière claire ou dans un contre-jour crépusculaire. Immobiles
ou actives, seules ou accompagnées, le spectateur face à elles, découvre un mode
de vie, des coutumes traditionnelles et des rites.
Peu d’informations sur ces images, elles se résument uniquement à l’observation.
Car à travers elles, c’est la fascination d’un homme pour son pays qui se fait
pressentir.
Il n’y a pas de jeux de mots avec les titres, pas de touche d’humour. Álvarez Bravo,
est « réaliste » pour reprendre les termes de Ian JeffreyXVI.
La photographie, La Toussaint ou Día de los muertos (I.1) datant de 1933, ouvre la
série des usages religieux. La jeune fille, avec sa croix et le crâne qu’elle tient dans
sa main résume à elle seule, le titre et le jour célébré. En photographiant ce crâne
décoré où est indiqué le mot « amor », le spectateur comprend que cette fête est
chère au peuple mexicain. Naturelle, la demoiselle observe l’objectif, le cou
légèrement décalé. Dans ce jeu d’ombre et de lumière, elle est sans prétention. On
comprend que cette image est alors le témoignage du respect de l’artiste pour ce jour
saint.
Les images sont nombreuses mais certaines accrochent le regard plus que d’autres.
Dans les années 1950, Álvarez Bravo semble toujours se promener avec son
appareil. Non pas à la recherche de sensation forte ou de jeu d’image floue comme
Henri Cartier-Bresson. Non, c’est plutôt un amoureux de l’objectif. Sans doute est-ce
lors d’une ballade qu’il photographie cette Dame à genou à l’entrée de l’église (I.2)
de 1950. Au centre d’un contraste saisissant entre la clarté de la lumière extérieure
et l’obscurité de la lumière intérieure, une femme prie avec le même jeu d’opposition

XVI
  Documentary and anti-gaphic photographs, texte de Ian Jeffrey, Historien d’Art : « Le choix du
Réalisme : Manuel Alvarez Bravo ».
Première Partie : Portrait de la femme Mexicaine traditionnelle :b) Á travers son quotidien

s’opérant sur ses vêtements. La solennité de la photographie est identique au geste
de prière. Difficile de dire s’il s’agit d’une coutume, mais on peut très bien imaginer,
cette femme venir dans ce lieu toujours à la même heure après avoir ramassé ses
fleurs comme l’indique le panier à ses côtés.
Plus tôt, l’artiste s’intéresse à Tehuantepec et son marché. A nouveau, les femmes
captivent son attention. La photographie intitulée Retour du marché ou Fin de
mercado (I.3), du début des années 20, les représentent portant sur leurs têtes des
objets divers. Álvarez Bravo fixe cet instant tandis qu’elles marchent, ceci est visible
en raison des volants de la jupe d’une des jeunes filles dont on devine le léger
mouvement. D’ailleurs, l’élément principal de la photographie c’est elle, sous le soleil,
la seule, à avoir découvert qu’elle était photographiée. Unique tache lumineuse
tandis que les autres femmes s’apparentent à des ombres noires allant se confondre
avec la ruelle vers laquelle elles se dirigent.
Ces photographies, non mises en scènes, montrent la femme authentique, vivant
pleinement les croyances de son pays. Le photographe explore avec le spectateur
un mode de vie simple. Les images du quotidien, ne différent pas plus des autres.
Mais, l’artiste rajoute l’art du portrait.

b) Á travers son quotidien

Le portrait en effet caractérise l’habitante de sa région, de sa famille. Les filles sont
jeunes, photographiées près de leur maison. A la manière de Walker Evans et de ses
photographies de fermiers, Manuel Álvarez Bravo les photographie en gros plan
dans leurs vêtements habituels. Réalisme…Le visage de la belle brune Juare,
Mademoiselle Juare ou Senorita Juare (I.4) de 1934, incarne la candeur des jeunes
de son âge ; mais la dureté de son regard semble cacher quelques méfaits. Derrière
elle, on devine sans doute son habitation. Le naturel de ce visage est le côté le plus
frappant. On peut le comparer au visage indien de Margarita (I.5) (Margarita de
Bonampak de 1959). Le photographe s’est rendu à Bonampak, il photographia son
père, et leur manière de vivre. Mais c’est la jeune fille qui attire toute l’attention par
ses cheveux aussi noirs que son regard où la pupille ne se distingue même plus.
Semblable à l’autre portrait, elle ne sourit pas et exprime une maturité et un aplomb
déconcertants. Mais ce gros plan, la fait ressembler à une déesse aztèque. La
photographie devient documentaire avec ces différentes images. Elles deviennent
des purs témoignages. La fille provinciale ou muchacha de provincia (I.6) du début
Première Partie : Portrait de la femme Mexicaine traditionnelle :b) Á travers son quotidien

des années 1940, pieds nus dans la rue, incarne tout un pays. Défiant l’objectif en
détournant son regard, la tristesse qui émerge de son être touche au plus profond de
nous-mêmes. A nos yeux, elle devient sculpturale. Tout comme, l’œuvre Souvenir
d’Atzompan ou Recuerdo de Atzompan (I.7), où la fillette s’apparente à une déesse
grecque ou à une danseuse par sa posture légèrement cambrée. S’ajoute un
souvenir d’Acapulco, évoqué par l’image d’une petite fille, Un pez que llaman Sierra
(I.8) de 1944, fière d’avoir pêché un poisson.
Les femmes plus âgées ont été cernées par l’appareil photographique. Une vieille
femme vêtue de noir selon la tradition de son village, (I.9) (Mujer en Saquisili de
1984), se tient devant une porte de la même couleur. Son visage digne et marqué
légèrement par le temps est d’une beauté magistrale. Les oppositions de noir et de
blanc à nouveau soulignent son attitude et la mettent en valeur.
Mais c’est la photographie d’une femme dans la rue, la tercera caída (I.10), qui
frappe le plus l’esprit. Son visage dissimulé dans sa longue chevelure noire,
détourne alors le regard vers le vêtement rayé qu’elle porte. Est-elle morte ou juste
évanouie ? Que lui est-il arrivé ? Son corps recroquevillé est le seul élément qui
donne du rythme à la photographie et qui confère à la rendre pathétique.
Les femmes ou les jeunes femmes entre perçues sont prises simplement dans un
quotidien qui leur est familier. Leur beauté attire le photographe qui n’use d’aucun
artifice. C’est la franchise qui prime, le réalisme. Toutes ces photographies ont été
prises par un homme amoureux de son peuple et de ses femmes. Le photographe se
trouve dans tous les coins de rue, s’appropriant leurs styles de vie. Le blanc et le noir
suffisent à rendre avec justesse un trait, un mouvement, une simple pause…Comme
l’affirme Octavio PazXVII : « La réalité est plus réelle en blanc et noir ».
Des rites et des coutumes à leur quotidien, ces femmes attestent leur appartenance
au Mexique.

XVII
   Citation d’Octavio Paz extraite de son poème Cara al Tiempo, du catalogue d’exposition, Manuel
Álvarez Bravo, Ministerio del cultura, Madrid.
Deuxième Partie : Une autre vision de la femme Mexicaine :a) Á travers le rêve

                                     Deuxième Partie

                   Une autre vision de la féminité mexicaine

a) À travers le rêve

Néanmoins, Le photographe perçoit autrement les femmes, il joue avec, ou, de leur
image. Du coup, le rêve et la réalité se confondent et le spectateur peut laisser son
esprit divaguer.
Deux images suggèrent se sentiment d’onirisme car la lumière est plus présente que
dans les autres photographies, elle fait partie à part entière de l’image
photographique.
Le songe ou El ensueño (II.11) de 1931, est l’une des iconographies emblématiques
du photographe. Cette jeune fille accoudée en train de rêvasser, plonge aussi le
regard du spectateur dans la méditation. Prise au vol d’un moment, d’une intimité.
Álvarez BravoXVIII raconte avec plaisir l’anecdote de cette photographie, qui
appartient à un souvenir de son enfance :

(...)C'est dans cette maison que, plus tard, j'ai photographiée la jeune fille songeuse,
El ensueno. J'étais en convalescence, plongé dans Crime et Châtiment quand je l'ai
vue...Je me suis précipité pour aller chercher mon appareil photo...

De par sa composition, la photographie relève de l’art. Les couleurs comme le gris
crémeux, le noir enveloppent le personnage et confèrent à créer l’illusion d’un rêve.
Le photographe et son sujet sont séparés physiquement par la rampe du balcon
supérieur qui est devenu l’élément du premier plan qui retient la jeune fille rêveuse.
La verticalité des barres répond à la posture de la jeune fille et de la porte derrière
elle. Elle se tient sur son pied droit maladroitement qui montre qu’elle est insouciante.
Quant à sa main appuyée sur son visage, elle démontre qu’elle est plongée dans ses
pensées. La jeunesse du personnage s’oppose à la rudesse du bâtiment. Des effets
de lumière sont opérés par le photographe, comme sur les vitres dont le reflet assez
flou évoque le songe et donne de la transparence à l’image. La partie de l’épaule

XVIII
      Citation extraite de l’ouvrage Manuel Álvarez Bravo de Brigitte Ollier, texte du même auteur
intitulé : « Les fruits de la passion selon Manuel Álvarez Bravo ».
Deuxième Partie : Une autre vision de la femme Mexicaine :a) Á travers le rêve

légèrement éclairée donne une touche de poésie et de quiétude à cet instant
solennel. Cette photographie pourrait s’apparenter à une œuvre peinte. Ian JeffreyXIX
affirme d’ailleurs que la période des années 1930 qu’ Álvarez Bravo opte pour le
style « Gustave Courbet ». Mais c’est la phrase de l’artiste qui définit le mieux son
œuvre :

Si vous voulez voir l'invisible, observez attentivement le visibleXX.

Une nouvelle image de la femme se détache, elle est impénétrable. Le portrait de
l’éternel ou el retrato de lo eterno (II.12) de 1935, semblable au songe, plonge le
spectateur dans un autre monde. La longue chevelure de la jeune femme aussi
sombre que la pièce, est éclairée légèrement par une lumière extérieure. Ses
vêtements sont mis en valeur uniquement par cette luminosité ainsi qu’une partie de
son visage. Une plénitude est ressentie. L’atmosphère est comme surnaturelle, sans
doute parce que l’image est trop parfaite, trop belle. Elle ressemble à une « madone
indigène »XXI pour reprendre les mots de Armanda Hopkinson et Muriel Caron. Elle
suscite l’interrogation par son miroir, qui réfléchit, une autre image. Que regarde-t-
elle exactement ? Dans ce jeu de réflexions, l’imagination peut vagabonder à sa
guise.
Le songe et cette photographie suscitent des interrogations sujettes à nos rêves.
Álvarez Bravo, par l’intermédiaire de ces photographies, permet d’entrevoir l’image
féminine au-delà d’une vision réaliste comme l’on a pu le constater au premier
chapitre. Est-elle idéalisée dans ces deux représentations ? On s’interroge …

XIX
    Documentary and anti-graphic photographs, extrait du texte de Ian Jeffrey: “Le choix du Réalisme :
Manuel Álvarez Bravo ».
XX
    Citation extraite de l’ouvrage de Hopkinson (Amanda), Caron (Muriel), Manuel Álvarez Bravo,
Phaidon, Paris, 2002.
XXI
    Idem.
Deuxième Partie : Une autre vision de la femme Mexicaine. b) Á travers la poésie

b) À travers la poésie

Diego RiveraXXII parle de « photo-poésie » pour qualifier l’œuvre du photographe. Il
ajouteXXIII que l’ « appareil photo reproduit une valeur exacte du rêve». Ces deux
citations pourraient aussi se rapporter aux deux photographies précédentes. Il n’est
pas chose facile de départager les notions de rêve et de poésie dans l’œuvre du
photographe. Cependant, la fille des danseurs ou la hija de los danzantes (II.13) de
1933, peut être perçue comme une image poétique ne serait-ce par la douceur et la
légèreté avec laquelle , la jeune fille prend la pause. De toute la composition, émane
une certaine poésie. L’artiste a joué avec les carreaux obliques et la jeune fille qui se
tient à la verticale. Le noir et le blanc, dans un duel, s’opposent l’un à l’autre sur
certains motifs : le chapeau, le hublot et le trou noir, la frise et la robe de la jeune fille.
Cette pureté infantile est similaire aux jeunes portraits des habitantes. L’appui sur le
pied gauche suggère la grâce et la volupté de l’adolescence et de la danseuse. Mais,
il se cache autre chose derrière cette image. Le mur contre lequel elle s’appuie
rappelle un temple ancien. Elle incarne ainsi la modernité allant à la recherche de
ses racines. Sa main dans le trou béant évoquerait ce besoin de retour aux sources.
Elle est donc le symbole du Mexique moderne et d’autrefois. Le photographe aime
associer l’image féminine à son pays, car comme la déesse Xipe, elle est attachée à
sa terre. Dans la femme, il y voit l’image même de la sagesse. Tout comme les
images précédentes, la fillette regarde quelque chose et le spectateur la regarde. Le
comportement de la femme est similaire à celui du photographe, elle utilise le même
procédé que l’appareil photographique, c’est-à-dire qu’elle observe le monde qu’elle
entoure. L’artiste joue sur des effets de miroirs, une image dans une image.
L’élément féminin est l’un des seuls avec lequel il se permet ce jeu, grâce à lui sont
perçues la réalité photographique et la réalité d’une civilisation.
Luis CardozaXXIV et Aragon, affirment dans leur texte, que le pouvoir expressif des
photographies d’Alvarez Bravo « se concrétisent dans les ombres » et qu’il se
dégage un « pouvoir de la lumière ». Il y a d’après eux, « une libération de l’image à
travers les cages de la lumière ». Leurs remarques suffisent à résumer toutes les
photographies évoquées ainsi que celle de la Maternité ou Maternidad (II.14) de

XXII
      Texte de Diego Rivera, extrait du catalogue de la troisième exposition de la Société d’Art Moderne,
cité dans le catalogue d’exposition Manuel Álvarez Bravo, Ministerio del cultura, Madrid.
XXIII
      Idem.
XXIV
      Texte de Luis Cardoza et Aragon, extrait du catalogue de la galerie des expositions du Palais des
Beaux Arts, Ville de Mexico, 1935, extrait du catalogue ibid, Ministerio del cultura, Madrid.
Deuxième Partie : Une autre vision de la femme Mexicaine. c) Á travers l’humour

1948. La jeune mère est photographiée dans l’ombre et l’obscurité. Avec une posture
solennelle et sa coiffure des anciens temps, elle ressemble à une madone. Sa taille
menue, laisse présager le signe d’une naissance à venir. Elle aussi ressemble à une
statue ou à une déesse mythologique. La figure de Xipe est aussi évoquée car,
comme elle, elle va devenir une mère nourricière qui va engendrer. Tout est poétique
dans cette image, de la posture à la clarté qui émane de chaque recoin de la
photographie. Le spectateur partage ce moment silencieux, comme lorsqu’il
partageait celui de la jeune fille en train de rêver. Xavier VillaurrutiaXXV dira :

Il capte images nées sur le moment. Il fait durer l’instant,il réussit à ce que les doigts
de nos yeux palpent le mystère qui se dégage plusieurs fois d’un objet ou qui se loge
en un être ou dans les ombres d’un être ou d’un objet, telles sont les opérations
poétiques que réalisent Manuel Alvarez Bravo.

Tout est à imaginer de ces images poétiques ou sorties d’un rêve. Comme par
enchantement, la femme s’apparente à une force divine, mais qui est pourtant réelle.
Que voit-elle ? Qui est-elle vraiment ? Elle nous montre le passage des civilisations,
son innocence…Elle joue avec les reflets des miroirs pour opérer à la manière de la
photographie : s’ouvrir sur le monde. Son image oscille sans cesse entre mythe et
réalité, ce qui explique le choix de l’artiste de se tourner vers l’humour avec la
photographie de mannequins où la femme et son image sont détournées au plus
haut point.

c) Á travers l’humour

En effet, les femmes prennent l’apparence de Mannequins rieurs ou Maniquis riendo
(1930) (II.15). Cette image est surprenante par son originalité. Bien sûr l’esprit
Walker Evans rôde toujours, ce dernier avait pris des photographies d’affiches.
Cependant, dans cette image, il y a un point plus sympathique, une touche pétillante
qui relève de l’humour. Ces femmes, vêtues de la sorte, semblent être réelles et l’on
oublie complètement qu’on a affaire à des visages en carton pâte. Susan
KismaricXXVI affirmera d’ailleurs :

(…) Chez les mannequins, c’est le découpage des femmes en carton qui est vivant
et les magasiniers qui n’ont aucune vitalité.

XXV
      Citation du texte de Xaviet Villaurrutia, extrait ibid., Ministerio del Cultura.
XXVI
       Citation de Susan Kismaric extraite de son ouvrage Manuel Álvarez Bravo, New York.
Deuxième Partie : Une autre vision de la femme Mexicaine. c) Á travers l’humour

D’un objet sans intérêt, en magicien, Manuel Álvarez Bravo le ranime par son
appareil photographique. La femme, comme tous les jeux qu’a établi l’auteur
(comme l’image d’un cheval au galop photographié sur un mur), peut être perçue
comme un objet fantasque, duquel on peut rire mais sans perversité. Un objet de
dupe. Nathalie MeyerXXVII donne son opinion à leurs propos :

Ces mannequins très souriants regardent le spectateur et le font tomber dans un
drôle de piège, lui donnant au premier abord l’impression qu’ils existent.

Elle ajouteraXXVIII que le photographe veut créer un « effet de surprise ». Et c’est
réussi car l’œil ne se détache pas des jeunes femmes. Par ce jeu de trompe-l’œil, si
l’on peut dire, on s’amuse à croire qu’elles nous sourient. Par cette photographie, la
femme est perçue pour une fois d’un point de vue comique. Elle nargue son
regardeur.
Dans ce second chapitre, la féminité mexicaine s’est métamorphosée à travers un
appareil photographique qui utilise la lumière pour la dynamiser, voire la sublimée.
Il y a aussi tout un côté mystique autour de la femme. Nissan PerezXXIX, au sujet du
rêve, dit que dans les cultures anciennes, il est un moyen communicatif avec les
dieux et qu’il peut prédire le futur. Mais il y a également un côté plus néfaste où il est
effrayant et rendrait vulnérable la personne. La femme, possède en elle ces deux
facettes, que le photographe ne cesse d’explorer. Entre la poésie et le rêve, la limite
est floue. Toutefois, à travers ces différentes visions de la femme, il semble que c’est
à nouveau le spectateur qui choisit la sienne, par l’apport de jeux photographiques,
utilisés sans cesse par Manuel Álvarez Bravo.
Puis, d’un coup, il va dénuder les jeunes femmes, les épier ou les plonger à
nouveau dans de drôles de songeries.

XXVII
       Citation extraite de New York, 1935 : une rencontre photographique exceptionnelle, octobre 2004
par Nathalie Meyer (source internet).
XXVIII
        Id.
XXIX
       Citation extraite du catalogue d’exposition : Dreams--visions--metaphors: the photographs of
Manuel Alvarez Bravo,Israel Museum, Jerusalem, 1983.
Troisième Partie : L’entrée du nu dans l’œuvre d’Álvarez Bravo: a) Le nu magnifié

                                     Troisième Partie

                 L’entrée du nu dans l’œuvre d’Álvarez Bravo

a) Le nu magnifié

C’est dans les années 1938-1939 que le nu fit son apparition dans l’œuvre d’Álvarez
Bravo et on le retrouvera dans les années 1970-1980, en noir et blanc ou coloré. Les
poses arborées par les jeunes femmes sont le plus souvent théâtralisées. Des
endroits insolites sont scénarisés par l’appareil photographique. L’image de la femme
évolue vers un souci du corps et de la forme. Elle est sublime et sublimée. La lumière
a toujours son importance mais c’est l’être en tant que tel qui capte une attention
vive. On s’éloigne du réalisme ou de l’anti-graphic, pour se diriger vers l’esthétisant.
La femme, est traitée à la manière des statues c’est-à-dire que le photographe
sculpte avec son objectif, son corps aux formes parfaites. Miroir noir ou Espejo
negro (III.16) de 1947, illustre ce propos. En pleine lumière, une jeune femme
d’origine Africaine est assise contre un mur, par terre. Les rayons lumineux dessinent
comme un pinceau, la courbe de ses hanches, de ses bras, d’un de ses seins et de
son visage. Sa peau tamisée donne de magnifiques reflets, sans doute, est-ce pour
cela que le photographe utilise le terme de « miroir ».
Teresa del CondeXXX, regroupe cette oeuvre avec l’étoffe noireXXXI de 1936. Elle
affirme que « ce sont des nus qui projettent toujours une harmonie de proportion qui
est dans l’esprit et le regard de l’artiste et non dans les corps eux-mêmes ».
Pourtant, Álvarez BravoXXXII, dans cette série, oblige à admirer ce corps parfait. Il est
vrai, que l’artiste rejoint l’idée de Teresa del Conde :

Nous laissons les belles femmes aux hommes sans imagination….Dans la vie elles
vont accumuler une montagne d’expériences, il y a des gens beaux intérieurement et
on le perçoit sans que le visage se rend compte de cette beauté. (…) Le corps
projette la beauté intérieure que l’on perçoit, cela se voit à travers les mouvements,
de flexions et les détours.

XXX
      Citation extraite du texte de Teresa del Conde : « Manuel Álvarez Bravo : lo que sucede en el
tiempo ».
XXXI
      Œuvre en couverture.
XXXII
       Idem.
Troisième Partie : L’entrée du nu dans l’œuvre d’Álvarez Bravo: b) Entre Eros et Thanatos

Ainsi, à travers la stature de cette femme noire, c’est son âme intérieure que
découvrirait le regardeur. Elle prend l’apparence d’une déesse à vénérer…La
verrière ou Gorrión, claro (III.17) de 1939 incarne l’art de la mise en scène. La
position de la jeune fille endormie verticalement, vêtue d’un drap noir est en
contradiction avec les bandes blanches verticales et décalées de la verrière. Le
photographe, placé en haut, permet un effet d’optique saisissant. La jeune femme
semble voler au milieu des cactus, qui sont situés à l’arrière plan. Ainsi, le spectateur
a l’impression qu’elle rêve. A nouveau, le corps nu est l’élément clé de cette image.
Au milieu du jeu des bandes blanches qui courent sur la vitre, comme dans l’art grec,
il oriente le regard, en particulier par le mouvement du bras.
Álvarez Bravo magnifie le nu par de multiples jeux d’éclairage ou d’objets. Son coup
d’œil original, sublime les formes corporelles. L’appareil photographique, de bas en
haut, esquisse les parties intimes d’un corps féminin au repos.
Loin des portraits de la femme mexicaine traditionnelle, le photographe présente de
l’art. L’art du nu qui s’appuie sur une optique esthétique et scénique.

b) Entre Eros et Thanatos

La femme est la réincarnation du plaisir et étrangement chez Álvarez Bravo de la
mort. Chez elle, il y a toujours une fragilité perceptible. Nissan PerezXXXIII, dit que
« Le modèle nu est relié à l’écorchement ou à un changement de peau, une
métamorphose d’un être à un autre ». Pour les dernières œuvres étudiées, sans
doute est-ce possible. Mais dans les œuvres, Tentations dans la maison d’Antonio
ou Tentaciones en casa de Antonio (III.18) de 1970, et, Fruit défendu ou Fruta
prohibida (III.19) de 1976 les titres sont évocateurs. Le photographe s’amuse avec
ces images. Le spectateur devient intrus et pénètre dans la maison d’Antonio ou
goûte au fruit défendu. Les corps sont mis en scène toujours. Derrière les draps
blancs se cache cette femme (la femme d’Antonio ?) où sa tête est dissimulée. Le
regardeur aurait envie de soulever le drap, il est tenté par cette scénaristique. Le jeu
de cache-cache se poursuit, il y a une forte sensualité dans ces images, notamment
lorsque la femme dévoile sa poitrine, fruit de tous les désirs et du danger. Le

XXXIII
         Id.
Troisième Partie : L’entrée du nu dans l’œuvre d’Álvarez Bravo: b) Entre Eros et Thanatos

regardeur est complice du photographe, il savoure ces images attractives en voyeur
charmé. Teresa del CondeXXXIV affirme d’ailleurs une chose intéressante :

Les titres dépouillés sont « des signaux incendiaires » comme dirait Octavio Paz

Elle attribue ces femmes à des Vénus, elles qui sont tellement proche de l’Antiquité
par la position de leurs corps nu. Prises dans des contrastes forts d’ombres et de
lumière, elles offrent la vision du désir.
Mais, le spectre de la mort (thanatos) erre dans la photographie de la bonne
renommée endormie ou la buena fama durmiendo (III.20) de 1938-1939. Il demande
à un jeune modèle Alicia de prendre la pause. Les Surréalistes furent frappés par
l’alliance de l’érotisme et du corps sans vie de la jeune fille. En effet, l’érotisme est
mis en avant par l’exposition du pubis que laisse entrevoir les jambes croisées et
entrouvertes. Derrière cette image se cache cependant toute une symbolique. Le
cactus, élément épineux prévient du danger de sommeil et protège également des
intrus qui pourraient profiter de la belle… Les pansements sont une allusion à la
promenade insouciante de la rêveuse dans son imaginaire mais ils soulignent
également qu’il faut panser les plaies. Le photographe affirme que l’idée de cette
image lui est venue e voyant la façon dont les danseurs de la compagnie Anna
Sokolow bandaient leurs pieds durant les répétitions. A sa manière, il voit ce
mélange de pulsion de vie et de pulsion de mort par le biais de cette image. La
femme a une double signification ce qui prouve que l’artiste la considère comme un
être perplexe.
Tantôt sensible, tantôt tentatrice ou simplement modèle grec, elle est un personnage
pertubarteur photographique avec lequel aime s’amuser l’artiste.
Désir, perdition, mort, mots caractérisés par une lumière qui englobe ces corps
immobiles et les divinise, ainsi que par une ombre, qui les plonge dans les chimères
les plus lointaines. La nudité féminine dans l’œuvre d’ Álvarez Bravo se poursuit
quelques années plus tard avec la couleur. Les corps sont alors ancrés dans une
réalité plus omniprésente, plus « anti-graphic ».

XXXIV
        Id.
La figure féminine dans l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo. Conclusion

                                  CONCLUSION

Cette étude a permis de parcourir un univers cher à un artiste, attaché à ses racines.
La figure féminine, par diverses iconographies, se dévoile à un spectateur désireux
de la percer à jour, car, elle symbolise un pays, un quotidien, un état d’âme ou un
sentiment impulsif. Être protéiforme dans toute l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo,
elle est indiscernable, comme intouchable. L’artiste est réputé pour réaliser des
photographies dont il n’a pas forcément la signification. Est-ce utile alors de répondre
à la problématique ? Ces images s’interprètent comme chacun les perçoit. Le but du
photographe a toujours été le voyage d’une certaine manière. C'est-à-dire transporter
son regardeur vers un ailleurs, une terre inconnue. La femme personnifie cette
évasion. D’elle, il faut retenir un protagoniste ancré dans ses coutumes, un être pur
et poétique, une déesse utopiste. Puis, voilà qu’elle subit le traitement de la couleur,
encore une nouvelle destinée…
INDEX
Index                                                                    Liste des Oeuvres
                                      Liste des Œuvres

Chapitre I photo (I.1) : La Toussaint ou Día de los muertos, 33,2x25,3 cm, Collection Manuel
Álvarez Bravo Martinez ,1933.                                                          p.10

Chapitre I photo (I.2) : Dame à genou à l’entrée de l’église ou Mujer hincada en la puerta de
una iglesia, 21,4x17,1cm, Familia Álvarez Bravo y Urbajtel,1950.                       p.10

Chapitre I photo (I.3): Retour du marché ou Fin de mercado,Tehuantepec,Oaxaca,
19,2x23,8cm, Familia Álvarez Bravo y Urbajtel, fin des années 1920.     p.10

Chapitre I photo (I.4) : Mademoiselle Juare ou Senorita Juare,1934.                             p.11

Chapitre I photo (I.5): Margarita de Bonampak, Bonampak, Chiapas,1959.                          p.11

Chapitre I photo (I.6): La fille provinciale ou Muchacha de provincia, 24,6x19,5cm, Familia
Álvarez Bravo y Urbajtel,1940.                                                       p.12

Chapitre I photo (I.7): Souvenir d’Atzompan ou Recuerdo de Atzompan, 18x24,4cm,
Collection Andrew Smith and Claire Lozier, Santa Fe,1943.                p.12

Chapitre I photo (I.8): Un poisson nommé Sierra ou Un pez que llaman Sierra, Acapulco,
Guerrero,1944.                                                                  p.12

Chapitre I photo (I.9): Femme de Saquisili ou Mujer en Saquisili,1984.                          p.12

Chapitre I photo (I.10): La troisième chute ou La tercera caída,16,7x23,7cm,George Eastman
House, Rochester, New York. Gift of Minor White,1934.                                p.12

Chapitre II photo (II.11) : Le songe ou El ensueño, Federal District,1931.                      p.13

Chapitre II photo (II.12): Portrait de l’éternel ou Retrato de lo eterno, Federal district, 1935.
                                                                                               p.14

Chapitre II photo (II.13): La fille des danseurs ou La hija de los danzantes Cholula, Puebla,
1933.                                                                                  p.15

Chapitre II photo (II.14) : Maternité ou Maternidad,Federal District, 1948.                     p.16

Chapitre II photo (II.15): Mannequins rieurs ou Maniquis riendo, Federal District, 1930. p.16
Index                                                                  Liste des Oeuvres

Chapitre III photo (III.16) : Miroir noir ou Espejo negro, 1947.                              p.18

Chapitre III photo (III.17) : Verrière ou Gorrión , claro, Federal District, 1939.            p.19

Chapitre III photo (III.18): Tentations dans la maison d’Antonio ou Tentaciones en casa de
Antonio, 24x18,7 cm, Courtesy The Witkin Gallery, Inc., New York , 1970.             p.19

Chapitre III photo (III.19): Fruit défendu ou Fruta prohibida, 18, 1 x 24 cm, Courtesy The
Witkin Gallery, Inc., New York, 1976.                                                p.19

Chapitre III photo (III.20): La bonne renommée endormie ou La buena fama, durmiendo,
Federal District,1938-1939.                                                   p.20
PHOTOGRAPHIES
Manuel Álvarez Bravo          Première Partie : Portrait de la femme Mexicaine traditionnelle

                              Manuel Álvarez Bravo

(I.1) La Toussaint                                           (I.2) Dame à genou à l’entrée
ou Día de los muertos                                        de l’église ou Mujer hincada en la
1933                                                         puerta de una iglesia
                                                             1950

(I. 3) Retour du marché                                      (I.4) Mademoiselle Juare
ou Fin de mercado                                            ou Señorita Juare
1920                                                         1934

(I.5) Margarita de Bonampak                                   (I.6) La fille de province
1959                                                           ou Muchacha de provincia
                                                               1940
Manuel Álvarez Bravo          Première Partie : Portrait de la femme Mexicaine traditionnelle

(I.7) Souvenir d’Atzompan                                          (I.8) Un poisson nommé Sierra
ou Recuerdo de Atzompan                                            ou Un pez que llaman Sierra
1943                                                               1944

(I.9) La femme de Saquisili            (I.10) La troisième chute
ou Mujer en Saquisili                  ou La tercera caída
1984                                    1934
Manuel Álvarez Bravo                Deuxième Partie : Une autre vision de la féminité mexicaine

(II.11) Le songe                                              (II.12) Portrait de l’éternel
ou El ensueño                                                 ou Retrato de lo eterno
1931                                                          1935

(II.13) La fille des danseurs                                (II.14) Maternité
ou La hija de los danzantes                                  ou Maternidad
1933                                                         1948

                           (II.15)Mannequins rieurs
                           ou Maniquis riendo
                           1930
Manuel Álvarez Bravo               Troisième Partie : L’entrée du nu dans l’œuvre d’Álvarez Bravo

(III.16) Miroir noir                                  (III.17) Verrière
ou Espejo negro                                       ou Gorrión, claro
1947                                                  1939

(III.18)Tentations dans la                           (III.19) Fruit défendu
maison d’Antonio                                     ou Fruita prohibida
ou Tentaciones en casa                               1976
de Antonio, 1970

                       (III.20) La bonne renommée endormie
                       ou La buena fama durmiendo
                       1938-1939
ORIENTATIONS

BIBLIOGRAPHIQUES
Orientations Bibliographiques

                ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Ouvrage Général

        Harris (Mark Edward), Images du XXe siècle : vingt photographes
         regardent leur temps, Abbeville, Paris, 1998.

Ouvrage sur la photographie

        Pultz (John), de Mondenard (Anne), Le corps photographié, Flamma-
         rion, Paris, 1995.

        Le nu photographié, 6 juillet-24 septembre 2000, galerie d’art du
         Conseil Général des Bouches-du-Rhône, Aix-en-Provence, 2000.

Ouvrages sur le Surréalisme
        Gauthier (Xavière), Surréalisme et sexualité, Gallimard, Paris, 1971.

        Billeter (Erika), Pierre (José), La femme et le Surréalisme, tome I et II,
         musée cantonal des beaux-arts, Lausanne, 1987.

        Pavillon des arts Paris, Le Surréalisme et l'amour, Paris- Musées:
         Gallimard-Electa, Paris, 1997.

Sources internet

        Bernardi (Françoise), La lettre mensuelle, mai 2001.

        Meyer (Nathalie), New York, 1935 : une rencontre photographique
         exceptionnelle, octobre 2004.

Ouvrages sur Manuel Álvarez Bravo

        Manuel Álvarez Bravo, 330 photographies, 1920-1986 : Musée d'Art
         Moderne de la Ville de Paris, 8 octobre-10 décembre 1986 / exposition
         organisée par Paris-Audiovisuel et la Direction des affaires culturelles
         de la Ville de Paris, Paris Musées: Paris Audiovisuel,Paris,1986.

        Millot-Durrenberger (Madeleine), Henry (Jean-Philippe), Álvarez Bravo
         (Manuel), Catany, Toni, De la femme : VI-VIII, La déclaration, 1994.
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