La langue française est-elle machiste? ou la querelle du masculin/féminin ou De l'écriture inclusive - Jacques Bres Praxiling, UMR 5267, UPV

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La langue française est-elle machiste? ou la querelle du masculin/féminin ou De l'écriture inclusive - Jacques Bres Praxiling, UMR 5267, UPV
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              Jacques Bres

            Praxiling, UMR 5267, UPV
             jacques.bres@univ-montp3.fr

    La langue française est-elle machiste?
                   ou
     la querelle du masculin/féminin
                    ou
        De l’écriture inclusive
La langue française est-elle machiste? ou la querelle du masculin/féminin ou De l'écriture inclusive - Jacques Bres Praxiling, UMR 5267, UPV
(1) Madame le / la secrétaire perpétuel de
l’Académie française (H. Carrère d’Encausse)
(2) Le / La ministre est enceinte
(3) Chères et chers étudiant-e-s, chers et chères
collègues (25/04/2018) (P. Gilli, président de
Montpellier3)
(4) la lutte continue, uni·e·s, déterminé·e·s, solidaires
retrouvons nous ! (Comité de grève, juin 2018))
(5)Un collectif d’historiennes et d’historiens
consacre un ouvrage novateur (…) (Le Monde,
07/02/2020)
Plan

 1. Définition de l’écriture inclusive et modifications
 envisagées

 2. Historique de la querelle

 3. Positions, arguments, et noms d’oiseaux
Ecriture inclusive

 Définition : Ensemble d’attentions graphiques et
 syntaxiques permettant d’assurer une égalité de
 représentation entre les femmes et les hommes
 (Manuel d’écriture inclusive, Raphaël Haddad)

 Propositions: 1. Changement concernant le
  lexique
 Féminiser des noms de fonctions, métiers, grades et
  titres, en fonction du sexe
 chroniqueuse, chercheuse, autrice, écrivaine,
  députée…
 2. Changement concernant la syntaxe de l’accord en
  genre
 Utiliser à la fois le féminin et le masculin quand on parle d’un groupe
  de personnes: tous les candidats > toutes les candidates et tous les
  candidats

 Éviter le masculin singulier générique: les droits de L’homme>humains

 Cesser d’appliquer la règle de grammaire : « le masculin l’emporte sur
  le féminin », au profit de l’accord de proximité: « ces trois jours et ces
  trois nuits entières » (Racine, 1691)

 Adopter le point médian: les député.e.s, les audit.eur.rice.s
2. Historique de la querelle

 XVII siècle : L’Académie française:
 (i) déféminise certains noms de métiers au prétexte qu’il s’agirait de
  néologismes, voire de barbarismes : philosophesse, poétesse, autrice,
  peintresse… alors qu’on les trouve dans les textes littéraires antérieurs.

 (ii) rectifie leur sémantisme : ambassadrice, pharmacienne (féminin
  conjugal) ;

 (iii) remplace l’accord de proximité par la règle le masculin l’emporte
  sur le féminin :
 « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble
  l’emporte » (Dominique Bouhours ,1676) ; « le masculin est réputé plus
  noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »
  (Nicolas Beauzée, article « Langue » de L’Encyclopédie (1767))
 en mai 1792, des citoyennes déposent à la tribune de l’Assemblée
    nationale législative un projet de décret: « le genre masculin ne sera
    plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble,
    attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être
    et sont également nobles ».
   En 1882 avec les lois Jules Ferry, l’Etat impose la règle qui fait
    dominer le masculin
   1976: Québec, - victoire du Parti Québécois > politique linguistique de
    francisation et de féminisation des noms : écrivaine, députée; la
    ministre. Succès en Suisse et Belgique francophones, et au
    Luxembourg
   1984 : création d’une commission de terminologie relative aux activités
    des femmes, à sa tête Benoite Groult + linguistes : N. Catach, J. Rey-
    Debove, A. Martinet
    1991: M. Druon secrétaire perpétuel : « En l’occurrence, nous fumes,
    je crois, efficaces, car les « écrivaines » et autres « professeuses » en
 1997-1998 : E. Guigou, S. Royal.
 mission donnée à l’INALF de rédiger un guide pratique : « Femme,
    j’écris ton nom. Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers »
   31 juillet 1998 : Marc Fumaroli, « La querelle du neutre »
   1998-2002: L’Académie accepte la féminisation de qqs noms de
    métiers: boulangère, institutrice, directrice mais pas ingénieuse, ni
    proviseuse
   2014: Polémique à l’Assemblée : Madame le président / la présidente.
    Courrier dans Le Figaro: « martyre que fait subir aux Français
    l’idéologie de la féminisation à outrance »
   2015 : le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rend
    public son « Guide pratique pour une communication publique sans
    stéréotype de sexe »
   2017 : des académiciennes, notamment D. Sallenave, plaident pour la
    réouverture du débat sur la place du féminin dans la LF. Mais aussi M.
    Serres
 Mars 2017 : manuel scolaire, CE2 en écriture inclusive .
 26 octobre 2017: l’Académie française formule une « solennelle mise
  en garde » contre l’écriture « dite » inclusive
 manifeste du 7 novembre 2017, signé par 314 enseignants de tous
  les niveaux, revendique l’abrogation de la règle selon laquelle le
  masculin l’emporte sur le féminin, en assurant que la lutte pour l’égalité
  des sexes passe par la grammaire.
 22 novembre : circulaire du premier ministre dans le Journal officiel:
  dans les textes officiels, il défend la féminisation des fonctions, mais
  aussi le masculin comme forme neutre, et exclut l’écriture inclusive
  (notamment le point médian).
 2019 : l’Académie adopte un rapport sur la féminisation des noms de
  métiers et de fonctions, préparé notamment par D. Sallenave :
  professeure, auteure, docteure, maîtresse de conférence, écrivaine, une
  ministre, la présidente
3. Positions, arguments, et noms d’oiseaux

 2 positionnements: (i) puriste : Académie française, conservateurs ;
  (ii) évolutionniste: Ronsard, Du Bellay, Pierre Larousse, linguistes,
  féministes
 3.1. Contre : touche pas à ma langue!
 Argument esthétique: laideur! le philosophe Raphaël Enthoven
  dénonce « un enlaidissement de la langue, « un attentat à la
  mémoire", « un négationnisme vertueux" qui « mettrait en péril la
  langue française »

 « autrice ? horrible ! une craie qui crisse sur un tableau noir » (A.
  Finkielkraut, Le Monde, 13/12/2017)
 « Je ne supporte pas les écrivaines, c’est physique. J’attrape une
  éruption cutanée dès que je lis ce terme immonde. (F. Beigbeder, 2005)
 Arguments (pseudo-)linguistiques :
 - accord: 9ème édition du dictionnaire de l’AC, 1997 : « l’emploi du
  féminin (Madame la ministre / la présidente) constitue une faute
  d’accord, résultant de la confusion de la personne et de la fonction ».
 9 fév. 2015, avis publié par l’Académie : « Le secrétaire perpétuel et les
  membres de l’Académie française ont la tristesse de faire part de la
  disparition de leur confrère, Assia Djebar, chevalier de la légion
  d’honneur (…) »
 - le masculin, forme non marquée/ neutre: Dumézil et Levi-Strauss
  (1984): masculin/non marqué- féminin/marqué : tous les hommes sont
  mortels > marquées- parquées : le genre féminin, marqué, enferme les
  femmes, parquées »
 Entretien dans Le Nouvel Obs, en sept. 84 de Dumézil : refus de
  féminiser les noms : le seule création morphologique acceptée étant…
  conne. (p. 49)
 - Le genre serait aléatoire (A. Bentolila): distinguer le genre du sexe :
 une vigie, une sentinelle, une fripouille, une racaille
 - Le féminin serait dévalorisant: « Colette est l’une de nos grandes
  écrivaines. / Colette est l’un de nos grands écrivains. La seconde
  formulation est plus flatteuse, non ? » (Tweet de B. Pivot, 09/11/2017)
 - Le féminin introduirait de la confusion: cafetier/cafetière (attesté dès
  le XVIII ; Balzac : « les coiffures chinoises de la belle cafetière » (Les
  Paysans): polysémie. Mais cuisinier/cuisinière ; et religieux/religieuse

 Dérapages coquins: « Maîtresse-assistante, moi, ça m’fait rêver ! » (B.
  Pivot, Apostrophes, 3 octobre 1983)
 Provocation:
 « Mme Groulte, Mme Mitterrande, Mme Fabia… » (Dumézil)
 : l’avocat Eric Dupont-Moretti : La féminisation des noms : « Pourquoi
  pas école paternelle et la matinoire ? » (17 fev. 2017)
 Marc Fumaroli, (31 juillet 1998) : « Légalisons ces mots que les
    femmes avaient jusqu’ici refusé avec horreur : notairesse, mairesse,
    maîtresse de conférences, doctoresse, parce qu’ils riment fâcheusement
    avec fesse, borgnesse et drolesse, n’évoquant la duchesse que de loin.
    Tranchons entre recteuse, rectrice et rectale » « A moins que nous ne
    soyons résignés à voir le français devenir un artificiel créole (on y dirait,
    comme les deuxièmes classe « indigènes » dans les romans Banania : Y
    a bon, ma capitaine ».
   - cris d’orfraie : « Péril mortel » « démolition de la langue écrite »
   - pétroleuses, Précieuses ridicules, Trisottin du féminisme, ayatollahs
    en jupon, dictatrices clitocrates
   « enjuponnement du vocabulaire »« bégaiement », « Faudra-t-il
    réécrire tous les classiques ? « (A. Finkielkraut)
   L’écriture inclusive, la nouvelle fabrique des crétin.e.s (titre d’article)
Maître.sse corbe.au.lle sur un arbre perché / tenait en son bec un fromage.
 Maître.sse renard.e par l’odeur alléché.e / lui tint à peu près ce langage

   Maître.sse corbe.au.lle sur un arbre perché tenait en son bec un fromage. Maître.sse renard.e
   par l’odeur alléché.e lui tint à peu près ce langage.
 3.2. arguments pro
 - Historique: XVII : L’Académie française déféminise certains noms
    de métiers philosophesse ; ou rectifie leur sémantisme : ambassadrice,
    pharmacienne, colonelle, maréchale, préfète, adjudante > Il convient
    moins de féminiser la langue que de la démasculiniser
   - Machisme patriarcal : remplacement de l’accord de proximité par la
    règle le masculin l’emporte sur le féminin : « le masculin est réputé plus
    noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »
    (Nicolas Beauzée, article « Langue » de L’Encyclopédie (1767)
   Racine, Athalie : « Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle »
   Giraudoux : « Dans les mouvements et les habitudes les plus
    journalières » (Littérature, 1941)
   E. Macron: « toutes celles et ceux »
   - Arguments sociolinguistiques
 Noms d’oise.aux.lles:
 « phallocrates », « machistes réactionnaires », « vieux barbons
  andropausés », etc.
 « l’académie est un astre mort »; « débrancher l’Académie française »
  qui, en se prononçant contre l’écriture inclusive, a fait « une nouvelle
  fois la preuve de sa flagornerie, de sa détermination à contrecarrer la
  marche vers l’égalité, et surtout de son incompétence ». (Eliane
  Viennot)

 Elil (elle/il); she (he/she)
 Todes les diputades (todos los diputados/todas las diputadas) « Hay
  poques diputades que estan indecises » (étudiante, 2018, Buenos aires)
conclusion

 Féminiser la langue ? Plutôt la démasculiniser!

 Claude Hagège : « Ce n’est pas la langue qui est
 sexiste, mais les comportements sociaux »

 Raison garder: tous les voyageurs (?et toutes les
  voyageuses) sont priés de descendre
 Faire confiance à l’usage

 Eppur si muove!
 Mais on peut bien dire que c’est un vrai faignant que
 cet Antoine, et son « Antoinesse » ne vaut pas mieux
 que lui, ajoutait Françoise qui, pour trouver au nom
 d’Antoine un féminin qui désignât la femme du
 maître d’hôtel avait sans doute dans sa création
 grammaticale un inconscient souvenir de chanoine
 et de chanoinesse. (M.Proust, A la recherche du
 temps perdu)
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