La Lettre de Penthes - Domaine de Penthes
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La Lettre de Penthes Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 27, printemps 2016 ARTICLES Tim Guldimann au Parlement Suisse - France 500 ans d’accords mutuels Artikel auf Deutsch: Seiten 50 und 51 Articles in English: Pages 14, 16, 42, 46 and 48 Exposition: Rembrandt à Genève Les relations entre les Pays-Bas et la Suisse
SOMMAIRE | | ÉDITIORIAL | CEUX QUI ONT COMPTÉ Le bureau s’amuse 2 POUR PENTHES 36 | ARTICLES | MOT DU DIRECTEUR 37 Tim Guldimann, un Suisse dans le monde au Parlement 6 | À TRAVERS LE MONDE Bernard Barbey, homme de lettres, officier, diplomate 8 From Florida to Grenada In search of the Swiss Abroad 40 Alfred Baur (1865-1951) 10 Jana Caniga Maurice Fatio, architect of the Honorary Consul in Grenada, West American high society 14 Indies 44 Carl Elsener Junior 16 Julia Anna Flisch (1861-1941) 46 Les Moriers, une famille étroitement « Lasst mir die Heimat grüssen ! » mêlée aux intrigues européennes et Marguerite Nerny Stäger, die älteste proche-orientales 21 Auslandschweizerin Nordamerika 48 Ferdinand de Saussure : un très discret savant genevois au rayonnement mondial 26 | LA VIE DU MUSÉE Clara d’Atena Pizzolato De Rome à Genève – du microscope | REVUE LITTÉRAIRE au pinceau 52 Livres à lire 30 Les relations entre les Pays-Bas et Adèle d’Affry (1836-1879). Marcello, les Suisses 54 Femme artiste entre cour et Suisses de France et Français bohème 34 de Suisse : 500 ans d’accords mutuels 60 La Lettre de Penthes - No 27 | 3
| ÉDITORIAL De gauche à droite : T. Zehnder, H. Schneebeli, R. Asnar, R. Imhoof C’est à une présentation informelle du Bureau du Conseil de la Fondation* que je vous convie, puisque le président Rodolphe Imhoof m’en a confié la rédaction. Faire connaissance avec ses membres, rien de plus simple. Le cadre, le restaurant du Domaine de Penthes, à peine la première page de l’année 2016 était-elle tournée. Attablés devant un menu spécialement préparé par l’équipe de Sandro Haroutunian, nous avons donc entamé la discussion. Moi, j’avais des exigences : Que représente le Musée des Suisses dans le Monde pour vous ? Quelle image le Domaine de Penthes donne-t-il à Genève et au monde ? Quel rôle pensez-vous tenir dans cette mission bénévole ? Y a-t-il un message à faire passer ? Comment voyez- vous l’avenir de la Fondation ? Avouons qu’il y avait de quoi couper l’appétit du plus courageux… Les membres du bureau avaient des inquiétudes : Que va-t-on dire ? Qui va nous lire ? Mais rejoignons donc le groupe. Nous en sommes à peine à l’apéritif : le temps de délier les langues. L’avantage, dans ce nouveau bureau, c’est que les uns et les autres se connaissent, plus ou moins bien. Ils ont déjà partagé la séance plénière du Conseil de fondation du Musée, en octobre 2015, dans la salle du Parlement d’Uri, à Altdorf. C’est là que le président Imhoof eut l’idée de cette table ronde, impromptue, et de cet article de présentation sous forme d’édito. Dont acte. * Le Bureau du Conseil de la Fondation est constitué de quatre membres bénévoles se chargeant de gérer les orientations de l’Institution dans son ensemble. 4 | La Lettre de Penthes - No 27
ÉDITORIAL | Par Daniel Bernard Le Bureau s’amuse* Rodolphe Imhoof : président, ancien ambassadeur de Suisse. Hubert Schneebeli : vice-président, graphiste, enseignant et homme politique, ancien maire de la commune de Pregny-Chambésy. Thierry Zehnder : trésorier, homme des finances, toujours plongé dans les chiffres mais ouvert aux arts et à la communication. Ronald Asnar : avocat, collectionneur suisse de l’étranger puisqu’originaire du Liban avec lequel il a gardé des liens. Daniel Bernard : président des Amis de Penthes, chargé de l’édito. L es Personnages sont réunis à table et la DANIEL – Ce que je souhaite c’est que chacun discussion à bâton rompu a commencé dès puisse exprimer librement les raisons pour le moment de l’apéritif. Les boissons délient lesquelles il est monté dans ce train qu’est le les langues et l’on se permet donc la familiarité Musée des Suisses dans le Monde, c’est que vous d’une fratrie, alors même que la table ronde me disiez ce que vous pensez du positionnement évoque les chevaliers du même nom. de la fondation et du musée, et enfin que vous évoquiez brièvement l’avenir tel que vous RODOLPHE (LE PRÉSIDENT) – Mes amis, l’imaginez ! chers membres du bureau, je vous propose de RODOLPHE – Quarante ans passés dans la boire à la santé de Penthes, de sa Fondation et de diplomatie suisse m’ont convaincu que les son musée ! Bonne année ! meilleurs ambassadeurs de la Suisse, de son HUBERT – Santé à vous tous et merci de m’avoir image, de ses valeurs, de son influence étaient admis parmi vous ! ceux de nos compatriotes qui ont su dans leur vie RONALD – De nous avoir admis, cher Hubert ! conjuguer des racines et des ailes, garder ancré en THIERRY – Bon, eh bien à votre santé. Surtout eux cet attachement à la glèbe natale et prendre à la tienne, Président ! Non, pas vous, président, leur envol pour découvrir et conquérir d’autres je parle à celui des Amis de Penthes, celui qui espaces de vie avec ouverture, enthousiasme et nous écoute et nous interviewe… engagement. Voilà ! DANIEL – Santé à vous tous réunis. Merci de HUBERT – Tu veux que l’on mette cela dans le participer à cette grande première ! À partir de texte ? In extenso ? cet instant, tout ce qui sera entendu sera retenu THIERRY – Si tu veux endormir le monde, oui, contre vous, mais pour le musée et pour la Lettre mais sinon, il va falloir raboter, rogner, ajuster, de Penthes ! Santé ! c’est son boulot à Daniel, pas vrai ? DANIEL – Rodolphe, défends-toi ! Ce n’est Ils boivent et commencent à déguster l’entrée. pas mal du tout je trouve. Peut-être la glèbe, à remplacer par la terre natale… *référence au film: Le Congrès s’amuse (1931), réalisé par Erik Charelle et Jean Boyer. La Lettre de Penthes - No 27 | 5
| ÉDITORIAL RODOLPHE – Je poursuis. La Fondation RONALD – La Fondation remplit une tâche pour l’Histoire des Suisses dans le Monde essentielle, citoyenne et patriotique. En est une plateforme culturelle qui participe au cherchant à se développer, pour devenir un pôle développement de l’image positive de la Suisse, à culturel incontournable au cœur de la Genève l’illustration de ses valeurs, à la mise en perspective internationale, en expliquant et transmettant les de ses expériences, au patrimoine laissé par les fondamentaux de l’histoire suisse et leur impact Suisses dans le monde. C’est la raison principale sur la façon dont nous sommes perçus au plan qui m’a amené à saisir ce défi. Cela va, comme international, nous thématisons les valeurs ça ? suisses qui ont contribué à asseoir notre image RONALD – Moi, mes origines, le Liban, me et nous perpétuons le dynamisme historique des rendent évidemment sensible aux rapports et échanges culturels entre la Suisse et le monde. aux mélanges entre les peuples et les cultures, aux Je vais t’écrire cela, mais j’y ai d’abord réfléchi apports réciproques dont peuvent s’enrichir les comme tu vois ! peuples et les cultures au contact d’autres. Alors DANIEL – Parfait, maître. J’attends ton email. je m’y retrouve assez bien dans la définition du HUBERT – Si je puis me permettre, dès mon président. arrivée au Conseil municipal en 2003, j’ai œuvré DANIEL – Et toi, Thierry, tu es bien silencieux. au rapprochement de la commune et de la THIERRY – Moi j’ai des mots clés ou des Fondation, convaincu dès le départ de la nécessité formules toutes faites : « Le seul musée au monde de la défense de points d’intérêts communs qui parle de l’histoire des Suisses de l’étranger », au profit de la population de la commune, ou « Un phare pour les Suisses dans le monde et puis plus généralement de Genève. Alors c’est pour les étrangers qui veulent connaître la Suisse, tout naturellement que j’ai accepté de vous son histoire, son futur », ou encore « La maison rejoindre, une fois mon mandat terminé au sein des Suisses dans le monde ». Je vis avec mon de la commune. Curieuse ironie : pour exister et temps, les slogans, les texto, du rapide, du brut, résister aux pressions extérieures, de ce petit bout des tournures comme pour la pub. Il nous faut de pays une poignée de gens se sont exportés. Ils dépoussiérer ! ont dans leur élan disséminé une culture et un HUBERT – Avec tout le respect pour la savoir-faire qui fait briller la Suisse au-delà de ses poussière ? montagnes. Plus qu’être reconnaissants, il nous THIERRY – Bien entendu, on respecte ce qui a incombe de protéger et de partager cet héritage, été fait, mais on en parle au futur simple. suscitant peut-être par l’exemple de nouvelles DANIEL – Je prends au vol ! Et toi, Hubert ? vocations. Alors nous devons poursuivre, contre HUBERT – Il me semble que l’existence même vents et marées ! de la Fondation à Penthes est d’une évidente RODOLPHE – Merci pour ton enthousiasme, nécessité. À une époque où beaucoup donnent Hubert! Daniel, je sens que tu n’auras plus rien à l’impression de déserter leur identité, leur culture, faire, ou presque, Président ! leur histoire au profit d’autres qui s’imposent sans DANIEL – Oui, président, mais gare: « Le secret bataille, il est primordial d’avoir une plateforme d’ennuyer est celui de tout dire » ! qui permet le souvenir de l’histoire passée, THIERRY – C’est de toi ? témoignage de l’investissement de femmes et HUBERT – Penses-tu, c’est au moins de d’hommes et de la construction d’un avenir Rousseau ? solide de ces expériences et de ces valeurs. RONALD – Non, Bouvier ou … RODOLPHE – Messieurs, notre rôle à nous DANIEL – Voltaire, mes amis ! Ceci pour dire maintenant ? C’est cela Daniel que tu veux qu’il me faudra surtout couper vos élans lyriques, entendre ? mais je trouve aussi que votre bonne humeur a DANIEL – Oui, aussi. Mais toi tu m’as déjà ceci de positif, si j’ose l’exprimer ainsi, que l’on répondu. On t’écoute Ronald. voit que le bureau est solidaire et enjoué, qu’il 6 | La Lettre de Penthes - No 27
ÉDITORIAL | croit à sa mission, et à celle du musée. Cela fait du avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme que je bien des fois, de faire le point, non ? me suis engagé au sein du bureau du Conseil de THIERRY – Moi je tiens les comptes, et je peux la Fondation pour y contribuer. dire que la technique du financier que je suis THIERRY – Mais moi aussi ! est plus que positive. On voit les tendances, HUBERT – Nous pouvons alors affirmer nous on analyse les résultats. Or, comme vous le inscrire dans une dynamique à long terme pour savez tous, après plus de 35 ans de présence, se être précisément le relais entre les générations, développer, grandir pour devenir incontournable, notamment au moyen du développement de éclairer, célébrer et perpétuer le dynamisme de la programmes pédagogiques pour nos plus jeunes Suisse dans et avec le monde, jouer pleinement visiteurs... son rôle d’utilité publique, cela a un coût certain! RODOLPHE – Excellent! C’est la raison de ta Et c’est là que nous avons, nous, notre rôle à présence, mon cher. Dites-moi, je n’ai pas vu jouer ! Trouver les fonds indispensables à notre passer le temps. Un petit café ? Daniel, tu as ce mission, exercer une vigilance constante quant à qu’il te faut pour ton papier? la gestion... DANIEL – Je crois que oui. J’attends donc que RONALD – En termes de culture, je suis par vous me mettiez cela par écrit, en trois mots. ailleurs passionné d’histoire et d’art, j’exerce THIERRY – Et toi, alors ? Tu ne nous as rien dit notamment en droit de l’art, et suis moi-même de tes raisons à toi ! collectionneur. Le rôle de la Fondation de la DANIEL – Moi, j’ai l’Association des Amis de transmettre et de la diffuser me paraît justifié ! Penthes à gérer. Alors, si vous le voulez bien, vous Ceci au travers de l’influence qu’ont exercée des vous reporterez à notre article dans ce numéro Suisses dans le monde, me paraît d’une utilité de la Lettre de Penthes. Et pour répondre au fondamentale à notre époque, alors que les président, oui, volontiers, un petit expresso avant échanges entre les peuples n’ont jamais été aussi de conclure. Merci à tous. nombreux. Voilà, je vous passe la leçon. RODOLPHE – Rendez-vous au printemps. RODOLPHE – Bravo Ronald ! Tu vois Daniel, Merci messieurs. c’est cela que j’aimerais que l’on sente dans RONALD – Merci pour votre accueil. ton édito ! La passion personnelle de chacun et HUBERT – Oui, merci. l’intérêt collectif, ou pour la collectivité ! Non ? RODOLPHE – Un dernier point et je me tais : HUBERT – Encore une chose à ajouter : par la globalisation entraîne, notamment auprès de l’engagement associatif, civique ou politique, le la jeunesse, un besoin d’enracinement dans les Suisse est un membre actif de la collectivité ; et le fondamentaux. La Fondation a pour mission politique a pour responsabilité de mettre en place d’y contribuer. Pour cela l’Histoire, contée les conditions cadres en vue de faire perdurer différemment et vue sous un autre angle, est un le témoignage de ce qui nous a construit. Mon véhicule indispensable. parcours de magistrat communal m’a montré que THIERRY – Rien à ajouter. Post tenebras lux… cela est plus difficile qu’il n’y paraît, Cependant, DANIEL – Si, mes amis, santé au directeur je suis convaincu que le partenariat entre l’État Anselm Zurfluh ! de Genève et la Fondation va dans ce sens. DANIEL – Je suis sûr que les lecteurs vont Les quatre personnages s’amusent du bon comprendre cela, Amis de Penthes ou pas. mot, tellement genevois « Post tenebras lux ». Encore des idées ? Ils se quittent non sans avoir pris le temps RONALD – Oui, je pense aussi que la Fondation d’immortaliser la scène avec un téléphone a vocation à s’adresser aussi bien aux Suisses portable. qu’aux étrangers : elle trouve au sein de la Genève internationale un accueil tout indiqué pour développer sa mission et ses activités, et c’est La Lettre de Penthes - No 27 | 7
| ARTICLES Tim Guldimann, Entretien par un Suisse dans le monde au Parlement Bénédict de Tscharner Président honoraire de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde pour le parti. C’est ce que j’ai fait et j’ai obtenu la troisième place parmi les élus socialistes zurichois avec plus de 100 000 voix. Ce résultat a été acquis aussi grâce à ma présence dans les médias. Votre profil un peu spécial, a-t-il été une aide ou un handicap pour votre élection ? Je pense avoir rendu la liste socialiste un peu plus colorée et plus diverse. Cela a peut-être contribué à conquérir, pour le parti, deux sièges supplémentaires dans ce canton, alors que c’est la droite nationaliste qui ailleurs a renforcé sa position dans les élections de 2015. Ajoutons qu’en même temps, le candidat socialiste Daniel Jositsch a été brillamment élu au premier tour pour occuper le siège zurichois au Conseil des États. Vous avez été élu sur la liste du Parti socialiste zurichois : que signifie cette Monsieur le Conseiller national, vous appartenance politique pour vous ? êtes le premier parlementaire fédéral qui ait été élu en se présentant comme un Je suis un vieux soixante-huitard. Mais si je me candidat « Suisse de l’étranger » ; pouvez- compare au gros des socialistes, je suis devenu, il vous nous rappeler les circonstances de est vrai, un peu plus libéral entre-temps et aussi, cette candidature et de cette élection ? après 33 ans au service de la Confédération, plus sceptique à l’égard de l’intervention étatique. La limite d’âge est impitoyable pour les C’est sur le plan de l’action sociale, mais aussi fonctionnaires fédéraux, même si on se sent quant à l’ouverture du pays sur le monde, que je encore apte à fournir du travail. C’est positivement reste résolument de gauche. que le Parti socialiste de Zurich a accueilli mon idée de me porter candidat à un siège au Conseil Que répondez-vous à ceux qui estiment national ; mais il y eut aussi des voix sceptiques. qu’habitant Berlin, vous n’êtes pas En fin de compte, l’assemblée des délégués me suffisamment connecté à la réalité plaça à la dixième place de la liste – sur les sept suisse de tous les jours pour prendre les sièges occupés alors par ce parti dans la Chambre décisions qui seront celles du Parlement basse. Le message était clair : efforce-toi, aussi suisse dans les années à venir ? 8 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES | En effet, ma biographie m’a mené loin du mon objectif central est bien de sauver – et de Grütli ; en même temps, je suis en mesure de développer – les accords bilatéraux avec l’Union jeter un regard de l’extérieur sur notre pays. Au européenne. L’idée d’une « clause de sauvegarde » vu de notre schizophrénie, cela me paraît être prévue par le Conseil fédéral, les met en danger, une contribution essentielle, car tout en restant car cette clause implique des mesures introduites un des pays dont l’interaction avec le monde est de façon unilatérale, si elles ne font pas l’objet la plus intense, nous nous délimitons en Europe d’un accord avec Bruxelles. Ainsi, le seul terme dans notre culture politique ; et ce « patriotisme devient absurde : une clause fait partie d’un traité de l’isolement » se renforce encore. et ne peut pas être transformée en un instrument servant à violer ce traité… Les Suisses de l’étranger, c’est une catégorie d’électeurs, certes, mais ce On dit que la Suisse a une excellente sont aussi des destins fort différents : image dans le monde – et on dit en l’homme d’affaires habitant Singapour, même temps qu’elle est mal perçue, mal le retraité de la Côte d’Azur, l’agriculteur comprise, inaudible, insignifiante… Qu’en du Canada, l’étudiant de Londres, dites-vous, vu de Berlin, par exemple ? l’ingénieur travaillant en Afrique… Quel lien significatif y a-t-il entre eux ? La Suisse jouit en effet d’une bonne réputation, pour ne pas dire d’une image Malgré toutes ces différences, les Suisses et presque indestructible. Et pourtant, cette image Suissesses de l’étranger partagent d’importants est mise en cause quand nous nous mettons à objectifs – qui ne sont pas de gauche. C’est violer des obligations internationales ou quand ainsi qu’ensemble avec 63 autres signataires, nous tentons de changer les règles du jeu par surtout issus du camp bourgeois, j’ai lancé une nos nombreuses initiatives constitutionnelles. motion au Conseil national demandant qu’après Dans le passé, une des forces de la Suisse a été les nombreuses pannes que nous avons vécues, sa fiabilité ; celle-ci est à présent en danger. En tous les électeurs de la Cinquième Suisse effet, nous figurons parmi les 20% des nations puissent enfin voter par voie électronique lors économiquement les plus importantes du monde des prochaines élections en 2019. Cela dit, je ne et nous nous rendons nous-mêmes insignifiants prétends pas représenter, avec mes convictions en nous complaisant d’être un petit État. politiques, tous les Suisses dans le monde, même si le Parti socialiste compte le plus important électorat parmi eux. Il y a les Suisses de l’étranger, mais il y a aussi la Suisse dans le monde : serez-vous, également en tant qu’ancien diplomate, LE conseiller national de la politique étrangère ? Il est vrai qu’au cours de la campagne électorale, je me suis présenté comme « Internationalrat » ; *Conseiller national, ancien ambassadeur de Suisse mais le Conseil national compte 199 autres (Berlin, Téhéran) ; auteur de « Aufbruch Schweiz ! Zurück experts en politique étrangère ! Je ne suis donc zu unseren Stärken », entretiens avec Christoph Reichmuth pas LE conseiller national de la politique et José Ribeaud, Nagel & Kimche, Zurich 2015 ; version étrangère ; mais je peux tirer le meilleur profit française : « Demain la Suisse. Dialogue avec Tim Guldimann, de mon expérience diplomatique. Aujourd’hui, diplomate et citoyen », Éditions Alphil, Neuchâtel 2015. La Lettre de Penthes - No 27 | 9
| ARTICLES Bernard Barbey, homme de lettres, officier, diplomate C’est en février 2011 qu’eut lieu, au Centre Général Guisan à Pully, un grand colloque sur la vie et l’œuvre du Vaudois Bernard Barbey (1900-1970). Les actes de ce colloque sont à présent publiés sous la direction de Roger Durand aux Éditions La Baconnière, actes réunissant les exposés, augmentés Par Bénédict de Tscharner d’autres textes inédits, ainsi que d’une belle collection de photographies que la famille a mise à la disposition du Comité Bernard Barbey. I ssu d’une famille de notables du Nord vaudois, Bernard Barbey s’est formé aux sciences sociales aux universités de Lausanne et de Genève. Jeune marié à la Genevoise Andrée Duval, il s’installe à Paris à l’âge de 23 ans où il mène une carrière littéraire très remarquée : introduit par Guy de Pourtalès comme secrétaire de rédaction à La Revue hebdomadaire, il perce dans le monde littéraire avec la publication de l’ouvrage Le Cœur gros que François Mauriac adoube immédiatement. L’écrivain sera couronné par le Prix du roman de l’Académie française en 1951 pour Chevaux abandonnés sur le champ de bataille. Parallèlement à sa carrière littéraire et à sa vie familiale, le capitaine Bernard Barbey accomplit ses obligations militaires suisses. La Seconde Guerre mondiale le ramène en Suisse où, en 1940, il devient chef de l’état-major particulier du général Henri Guisan, commandant en chef de l’Armée suisse. De cette expérience hors pair, Bernard Barbey tirera le fameux P.C. du Général, apprécié de tous sauf peut-être auprès d’une certaine camarilla militaire… La paix revenue, Bernard Barbey désire rentrer à Paris ; mais il doit trouver un moyen pour nourrir sa famille. Le général Guisan tente de faire de sa « main droite » un attaché militaire, projet qui n’est pas du tout du goût des militaires de carrière. Max Petitpierre, en revanche, voit dans cette candidature inhabituelle la chance de renforcer la présence culturelle de la Suisse dans la Ville Lumière. Bernard Barbey devient Le général Henri Guisan 10 | La Lettre de Penthes - N 27o
ARTICLES | Le Corbusier et Bernard Barbey donc diplomate, attaché culturel et de presse à la Légation de Suisse à Paris, dirigée alors par Carl Jacob Burckhardt, ancien président du CICR et lui-même une personnalité marquante de la vie littéraire. Des postes similaires avaient déjà été créés à Washington et à Londres ; ces capitales étaient sans doute tout à fait centrales si la Suisse voulait veiller, en ce moment crucial, à ce que sa position de pays neutre et épargné par la guerre soit bien comprise dans le camp des vainqueurs du conflit mondial. À noter que les premiers attachés de presse suisses avaient fait leur apparition en 1930 à Berlin et à Rome… Bernard Barbey exercera cette tâche pendant tant que fonctionnaire fédéral, Bernard Barbey est vingt ans. Il comprend son rôle comme celui d’un élu membre du Conseil exécutif de l’UNESCO acteur parfaitement intégré dans la vie culturelle pour quatre ans, élection qui est clairement un parisienne et française où l’on trouve, n’oublions témoignage de l’estime exceptionnel en laquelle pas, bon nombre de Suisses de renom : Blaise le tiennent ses collègues. Mentionnons, pour Cendrars, Le Corbusier, Alberto Giacometti, prendre un seul exemple, le rôle important que Arthur Honegger – sans oublier le chansonnier Bernard Barbey a joué dans le sauvetage, sur Gilles ou encore l’acteur Michel Simon et bien initiative de l’UNESCO, des monuments d’Abou d’autres. Bernard Barbey conçoit son rôle comme Simbel, en Haute-Égypte. celui de facilitateur des échanges et des contacts plutôt que comme d’un agent de promotion, voire La diplomatie culturelle et scientifique de propagande culturelle ; d’ailleurs, il ne dispose multilatérale, si elle avait déjà été pratiquée au d’aucun budget permettant à la représentation sein de la Société des Nations de l’entre-deux- diplomatique suisse d’organiser elle-même ou de guerres à travers sa Commission internationale subventionner des manifestations culturelles en de coopération intellectuelle – où la France joue France. Mais sans Bernard Barbey la magnifique un rôle de premier plan – est malgré tout un exposition de François Daulte des chefs-d’œuvre phénomène nouveau dans l’histoire diplomatique des collections privées suisses, qui avait déjà suisse, à une époque, rappelons-le tout de fasciné les visiteurs de l’Exposition nationale à même, où la Suisse n’est pas encore membre des Lausanne en 1964, n’aurait pas, en 1967, trouvé Nations unies ! La grande crainte, à l’époque, le chemin de Paris, à l’Orangerie des Tuileries. est une « politisation » de ces organisations Certaines des initiatives de l’attaché culturel internationales sous l’impact des tensions Est- apparaissent, aujourd’hui, clairement comme Ouest ou Nord-Sud. On peut affirmer que précurseurs du futur Centre culturel suisse que Bernard Barbey a donné à cette présence suisse la Fondation Pro Helvetia ouvrira dans le Marais de la forme et de la substance. en 1985. Fin janvier 1970, une voiture folle fauche Quatre ans après son retour à Paris, en 1949, la Bernard Barbey devant son domicile, avenue charge de représentant de la Suisse à l’UNESCO Georges-Mandel. C’est la philosophe genevoise s’ajoute au mandat d’attaché de légation ; cette Jeanne Hersch qui lui succède auprès de nouvelle charge vaut à Bernard Barbey, dès 1957, l’UNESCO. le titre diplomatique de ministre plénipotentiaire. En 1964, alors qu’il est proche de sa retraite en La Lettre de Penthes - No 27 | 11
| ARTICLES Alfred Baur (1865-1951) À chaque publication de la Lettre de Penthes correspond le nom de Suisses qui ont marqué l’histoire de leur pays qu’elle soit scientifique, militaire, économique ou culturelle : de Meuron présente son régiment, Nicollier sa Par sortie extravéhiculaire dans l’espace, Daniel Peter son chocolat, Bertrand Vérène Nicollier Piccard son ballon, et aujourd’hui, Baur son thé, ses noix de coco et son Ancienne assistante du conservateur du Musée des arts d’Extrême-Orient futur musée. En effet, en 2016, Alfred Baur vient à peine de fêter son 150e (Fondation Baur) anniversaire ; mais qui est-il ? Estampe d’Utamaro (env. 1792), « Courtisane lisant une lettre » A lfred Baur naît le 7 juin 1865 à Andelfingen d’un père, Johannes Baur, maître-forgeron et agriculteur, dont l’atelier est installé au pied du château. Alfred est bon élève. Après une année à Winterthour à l’Industrieschule, il est engagé en 1881 comme apprenti de commerce, chez les Frères Volkart, une importante société active dans le commerce avec l’Inde et Ceylan. L’apprenti Alfred Baur est intelligent, entreprenant, travailleur ; Volkart l’envoie faire un stage à Manchester pour se familiariser avec les méthodes commerciales modernes. En 1884, il est délégué par la maison Volkart pour la représenter à Ceylan. Alfred a 19 ans quand il part pour Ceylan. Sur le bateau qui fait la traversée se trouve Ferdinand de Lesseps, le constructeur du canal de Suez, alors âgé de 79 ans. Alfred s’en souviendra et dira de lui « que ce grand monsieur aux manières courtoises m’a fortement influencé dans ma trajectoire professionnelle ». Lorsqu’il débarque dans le port de Colombo, Alfred décrit un port bordé de cocotiers et de maisonnettes « bungalows ». À 27 ans, Alfred sera promu fondé de pouvoir de la maison Volkart. En 1894, c’est le premier retour en Suisse. Alfred regagnera son poste marié avec Eugénie Brunner née Duret, une jeune veuve rencontrée aux bains de Loèche. C’est aussi lors de ce retour 12 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES | Alfred et Eugénie Baur à Tournay au pays que son père donne de l’argent à son fils pour fonder sa propre société. On prête à Johannes les propos suivants : « Cet argent, je ne le reverrai jamais plus. » Pourtant, nous le verrons plus tard, cela fut un bon investissement. En 1897, Alfred se lance donc à son compte et crée sa propre compagnie The Ceylon Manure Works (Compagnie des engrais de Ceylan). Au début, il ne s’agit que d’une modeste échoppe qui propose des engrais faits de guano et de poudre d’os. Pas de grand succès la première année ; mais Baur persévère. C’est aussi l’année du jubilé de la reine Victoria qui fête ses 60 ans de règne, celle où la ville de Colombo est équipée d’électricité. C’est aussi le temps de la liberté d’entreprendre ; certains s’en plaignent, dont le doyen du Ceylon Medical College qui parle des odeurs envahissantes et malsaines qui viennent de fabriques de thé, d’usines à gaz, de fabriques de savon, de carrières de brique, d’usines d’engrais, de teinturiers, d’entrepôts d’os, etc. Baur surveille lui-même les travaux ; il s’est fait En 1901, Baur déménage ses installations à construire un pavillon sur la colline. Quand il le Kelaniya où l’usine d’engrais se trouve toujours faut, il fait la route de Colombo à Chilaw dans de nos jours. Durant presque un siècle, la société une carriole tirée par un cheval ; le trajet prend d’engrais fondée par Baur joue un rôle important une journée. Puis de Chilaw à Palugaswewa, il dans l’île ; une sirène y annonce le début du voyage par char à bœufs. La première voiture travail, les pauses et la fermeture. Sept ans plus automobile est importée à Ceylan en 1902. tard, le patron engage son premier collaborateur suisse. Le caoutchouc est une autre importante ressource de Ceylan et Baur a peut-être hésité à Alfred Baur se lance à fond dans la mise au l’exploiter également ; en effet, avec l’arrivée de point d’engrais et la culture de la noix de coco, l’automobile et de l’utilisation de pneus dans le plutôt que dans celle du thé qui pourtant fait monde entier, les commandes de caoutchouc rage à l’époque et supplante le café. Interrogé deviennent énormes ; mais Baur reste prudent, alors par un journaliste du Times of Ceylon sur les hauts et bas de cette nouvelle industrie lui ses choix, Baur répond : « Beaucoup de gens déplaisent ; il ne se lance donc pas dans ce dénigrent les nouvelles méthodes prétendant que commerce qu’il qualifie d’aléatoire, mais désire les vieilles sont le résultat d’années d’expérience ; rester « agraire », dans le domaine de sa formation dans ma compagnie, nous combinons les deux : initiale dans le milieu familial. l’expérience et la recherche scientifique. » Il lance alors un mélange spécifique d’engrais organique Les années de la Première Guerre mondiale de sa composition qu’il commercialise sous le sont évoquées dans une brochure qui sera éditée nom de Baur’s Special Coconut Manure. en 1997 pour fêter les cent ans de l’entreprise Baur au Sri Lanka. C’est en 1917 que les architectes Maurice Turrettini et Guillaume Revilliod La Lettre de Penthes - No 27 | 13
| ARTICLES Pot à eau et vase « peau de pêche », Époque Qing, marque et règne de Kangxi (r. 1661-1722) Eumorfopoulos qui vendra sa collection au Victoria & Albert Museum à Londres « pour un prix dérisoire », Baur dixit. Pour l’année 1933, on ne retrouve dans les archives qu’une seule lettre de Baur. Les prix du thé, du caoutchouc et de la noix de coco baissent dangereusement. Les plantations ferment, les planteurs travaillent sans salaire ou perdent leur emploi. En 1935, nouvel achat de 303 acres, le Clarendon Estate. Cette immense plantation était devenue une jungle après avoir été, dès 1883, une vaste étendue de culture du café, de cannelle et de quinquina. Lorsque Baur l’acquiert, il entreprend immédiatement une opération de sauvetage. Même le Tea Research construisent la villa privée de l’entrepreneur Institute a de grands doutes sur le succès de cette sur la colline de Pregny-Chambésy et à 57 ans, entreprise : comment transformer des hectares Alfred Baur commence sa collection d’œuvres de jungle et comment récupérer des arbres à thé d’art. En 1924, il voyage en Chine et au Japon, devenus géants sans les abîmer et empêcher leur où il rencontre Kumasaku Tomita, un marchand productivité ; le travail prendra deux ans. Cette japonais qui deviendra un ami. En 1925, il même année, le collectionneur prête des jades fait transformer le château d’Andelfingen en chinois à la Royal Academy of Arts à Londres maison pour personnes âgées. Dès 1926, une pour une exposition, de même qu’il prêtera correspondance abondante s’établit avec Blow, des estampes au Kunsthaus de Zurich l’année marchand d’art anglais. En 1928, Baur se lance suivante. dans la nourriture pour animaux, mais l’aventure ne dure pas ; l’importation de bois, notamment En 1936, une nouvelle usine est ouverte par M. de tek de Birmanie et de Thaïlande, a plus de Leiber, un Suisse qui en deviendra le directeur. succès ; elle sera suspendue pendant la guerre et Le Times of Ceylon écrira : « C’est incroyable que la reprise dans les années cinquante. plantation sauvage de Clarendon soit à nouveau sur la carte des plantations de thé dignes de Le nom de Ceylon Manure Works est changé ce nom. » Clarendon est la première fabrique en A. Baur & Co. C’est en 1929 que Baur entre fonctionnant entièrement à l’électricité ; elle en concurrence avec le collectionneur anglais deviendra un exemple pour bien d’autres. Percival David lors de l’achat de porcelaines chinoises. Il complète sa collection de jades, de Alfred Baur augmente ses collections et achète porcelaines, de tabatières chinoises. des objets d’art chinois et japonais en grande quantité. La correspondance avec les marchands C’est au cours des années trente que Ceylan se fait sous forme codée. Un jour, c’est Bisko et le thé sont devenus synonymes. Baur achète qui signifie : « Arrêtez tous les achats. » Il alors les 358 acres d’une plantation. Même en renonce à une offre d’achat de Blow pour des cette période dite de la Grande Dépression, Baur surimono (estampes japonaises) pour cause sait donner une nouvelle vie à ses plantations et de manifestations à Genève ; il préfère en effet doubler la dimension de sa fabrique d’engrais. donner du pain aux manifestants. Sur le marché de l’art, la concurrence est En 1937, estampes, céramiques et objets d’art vive. Baur entre en compétition avec George japonais quittent le Japon pour la Suisse. C’est au 14 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES | mois de mars 1938 que la société prend le nom Peu avant la mort du collectionneur, l’achat de d’A. Baur & Co. Ltd et devient donc une société l’immeuble qui abritera le musée est conclu. Le 8 anonyme. Baur rendra visite à son entreprise et de la rue Munier-Romilly a été construit en 1898 à ses employés le 21 décembre et repartira le 11 et achevé avec le siècle par Charles Gampert et février 1939 ; ce sera son dernier voyage à Ceylan. son beau-fils Jean-Louis Cayla. Le public est déjà au courant. Des amis écrivent à Baur : « Quel Pendant les années de guerre, toutes les beau fleuron pour Genève, quelle belle cocarde compagnies nourrissent leurs ouvriers à l’usine. d’art pour notre ville. » Chez Baur aussi : galette de céréales, noix de coco, chili, oignon et… thé. On encourage les Alfred Baur meurt le 9 décembre 1951. ouvriers à planter des légumes et des fruits dans les parties non cultivées des plantations et Baur Pour marquer le centième anniversaire de la fournit les engrais, si nécessaire. création des activités de Baur au Sri Lanka en 1997, un Fonds du Centenaire Alfred Baur est créé Alfred Baur expose jades et céramiques au dont le but principal est « l’aide aux conditions de Musée Ariana. En 1939, il achète une jarre vie, à l’infrastructure et à l’éducation du Sri Lanka chinoise de la période Song, un des clous de rural ». sa collection. Il décide de faire construire un immeuble à Colombo par un architecte suisse. Baur a donc laissé un patrimoine d’une richesse Celui-ci sera inauguré en 1941. Baur écrit à incroyable : une collection importante, mais aussi Tomita : « Toutes les nations continuent la course un capital permettant de l’entretenir, avec des aux armements et s’appauvrissent au lieu de statuts très précis pour la fondation qui va faire penser à leur bien-être. » perdurer ses vœux, à savoir faire connaître son musée (qu’il n’a pas connu) et publier le contenu En 1943, les plantations s’agrandissent encore de ses collections. Il a également laissé un capital de 300 hectares. De son côté, Tomita continue dont les revenus permettent des dons importants d’amasser des objets pour Baur, mais n’envoie aux œuvres de bienfaisance qui lui tenaient à rien. Une année plus tard, une facture de Tomita cœur. Enfin, il a rédigé des directives pour toutes pour les achats faits entre 1939 et 1944 annonce les activités de sa société au Sri Lanka. que les objets feront le trajet dès la réouverture du transit maritime. Plus tard, le drame d’Hiroshima La présence d’Alfred Baur à Penthes est toute ne sera jamais mentionné dans les lettres de méritée. Tomita. Lorsque la société Baur fête ses cinquante ans en 1947, Palugaswewa est décrite comme « la propriété la mieux entretenue et au rapport le plus haut du pays si ce n’est de l’Orient ». Les BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE : lettres de Tomita sont désormais marquées du sigle OJ pour Occupied Japan. M. CRICK, H. LOVEDAY, E. NIKLÈS VAN OSSELT Alfred Baur, pionnier et collectionneur C’est en 1949 que les objets en provenance du Fondation Baur et Cinq Continents Éditions Genève Japon rejoignent l’Europe par le navire SS Mount et Milan 2015 Davis ; ils seront dédouanés en septembre. Dans le courant de 1950, Baur envoie des photos de L. El-Wakil « Transformer un hôtel particulier en musée l’hôtel particulier Micheli-Ador à son marchand d’art » dans Bulletin des Collections Baur No 60 et ami Tomita. Fondation Baur, Genève 1998, pp. 13-61 La Lettre de Penthes - No 27 | 15
| ARTICLES Maurice Fatio, architect of the American high society My grandfather Maurice Fatio had charm, talent, good looks and impeccable manners; those qualities permitted every aspect of his life until his premature death at age 46. How could he have foreseen that 73 years after his death, By a house he had designed for a Texan would be listed as the most expensive Andrea Taylor-Brochet home for sale in the United States? Casa della Porta Palm Beach, Florida 16 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES | Maurice Fatio M aurice was born in Geneva, Switzerland at the turn of the 19th century to a respectable Swiss family in the heart of Calvinist society. At a young age he was exposed to the privileges of an educated society that prided itself on intellectual wealth rather than on the display of frivolous luxuries. Young Maurice’s forebears belonged to a long line of established bankers, historians and politicians. During his youth he demonstrated a precocious affinity for entertainment at the Cotton Club inclination towards the arts and was admitted in Harlem, for dinners with the Marx Brothers, to the prestigious Zurich Polytechnic School for cocktails with the literary members of the where he studied architecture under Karl Moser. Algonquin Club and for strolls on the beach with One could imagine that he was subjected to an George Gershwin. Their combined charm led austere upbringing, being prepared for a career to an inordinate number of wealthy and famous designing large, public building. However, thanks relations who in turn commissioned Maurice to his mother Marguerite’s penchant for social with enough plans to sustain his family with a gaiety, he acquired a knack for quick wit, charm lavish lifestyle. At that time, America’s sober and eloquence. Also, Maurice chose to spend his economic climate demanded a new architectural career designing residential architecture. vocabulary that would counterblaance what had come to be perceived as the excesses of the At age 23, he left the shores of Lake Leman 1920’s. Fatio looked to the Colonial architecture and crossed the Atlantic with suitcases filled with of the Caribbean and the American South for his ambition and letters of introduction. He found inspiration. These styles had clean, uncluttered a position in the offices of Harrie Lindeberg, lines and used unpretentious building materials. a well-known society architect who designed The houses were light and modern, a welcome Norman and English-style villas. The doors of contrast to the opulence for which Palm Beach New England’s high society were adeptly opened was known. The Reef was Maurice Fatio’s best and, by the time he was 26, Maurice was voted the Modern-style design. Built in 1936, it incorporates most popular architect in New York. Charming Le Corbusier’s, another Swiss architect, five and handsome, he moved easily in the world of points of architecture. The Reef was possibly the Vanderbilts, Rockefellers and Wideners. best design of Maurice’s career, as he won a gold medal for “the most modern house in America” In 1925, he moved to Palm Beach, Florida, in 1937 Paris International Exhibition. Maurice attracted by the Florida land boom. He brought has built over 200 houses in Florida. with him fresh ideas to a community that had reached a saturation point with Spanish-style By the time World War II broke out, the fairy architecture, where he designed nowadays tale existence of Maurice and Eleanor came to a landmarked houses and luxurious villas. The tragic end – he succumbed to lung disease, the Italian-Mediterranean style was first used by effect of his excessive smoking habit, and shortly Maurice in many of his commissions. At the after his wife ended her life, broken hearted. Their height of the depression, Maurice, the debonair son Pierre died less than 20 years later. 40 years bourgeois gentleman with the irresistible French after Maurice’s death, their only surviving child accent wed Eleanor, the beautiful young socialite Alexandra willed her father out of oblivion by whose ancestry reached back to Scottish Royalty. meticulously preserving his plans, land marking Soon after, they had two children. Maurice and his houses and publishing a comprehensive book Eleanor were perfectly suited and shared an on his accomplishments. La Lettre de Penthes - No 27 | 17
| ARTICLES Carl Elsener Junior The family company which started making knives for the Swiss army more than a century ago is now run by the great-grandson of the founder — having diversified from knives and With kind permission of Perspectives Pictet cutlery into timepieces, travel gear, fashion and Magazine fragrances. “The Victorinox company has been part of our lives since we were children.” W hen Karl Elsener founded a cutlery workshop in 1884 in the village of Ibach in the Canton of Schwyz, his aim was to provide employment for local people who were forced to emigrate in order to find work. The Original Swiss Army Knife which he developed is still issued to every soldier in Switzerland, but is also widely used around the world because of its quality, functionality and design. Today, Victorinox under the leadership of the fourth generation of the founder’s family is diversifying into other products while never forgetting the values that have sustained it for more than a century. Most cutlers and knife manufacturers have long ago moved production to low-wage countries, but Victorinox continues to employ 900 people and admired around the world. And in the spirit in Ibach, the biggest employer in Schwyz. They of its 125-year history, the company constantly make around 60,000 pocket knives a day, almost innovates – there are now 360 models of the half of them the traditional Swiss Army Knife, little red Swiss Army Knife offering up to 80 as well as some household knives. The factory functions. The top-of-the-range Swiss Champ, makes 15 million parts each month – stamping for example, has 33 functions, the SwissFlash® them from sheet metal, polishing them and heat- is a USB pocket knife with up to 32GB of digital treating those that need to be hardened, before storage capacity, and the Victorinox Rescue Tool assembling the knives and quality checking them. has found life-saving uses for rescue and security Up to 80 per cent of the knives are sold through services. retail outlets, and the rest to the corporate market. And 90 per cent are exported, with half the Victorinox now has 1,800 employees world- remainder bought by tourists visiting Switzerland wide, but it retains the culture of a family firm, who take them home. not having dismissed anyone for economic reasons for more than 80 years. Eight of the With its roots in the heart of Switzerland, eleven children of Carl Elsener Senior, the Victorinox celebrates its commitment to the grandson of the founder who died in June 2013, Swiss quality that is embedded in its products work for the company – including Carl Elsener 18 | La Lettre de Penthes - No 27
ARTICLES | Karl Elsener Junior, who succeeded his father in 2007 having shared an office with him for more than 30 years. One of his brothers – the family geek – heads the IT department, while another who liked working with his hands is in charge of quality management and customer service for the Swiss Army Knife. ‘We are a very big family, and family values are important to us,’ says Carl Junior. ‘The Victorinox company has been part of our lives since we were children – I was born across the street from the factory, and below us was the office, the warehouse and other departments. Victorinox was our playground, and we earned our first pocket money in the factory on Wednesday and Saturday afternoons by packaging knives in busy periods. ‘It was very important for my father to give us the feeling of the company, and he always introduced us to customers visiting the company from the USA, Germany or Italy. We had to sit quietly and listen, and while we did not always understand the conversation, we understood the foundation, the family had never drawn a that these people were very important for our dividend from the company, earning only salaries company. My father always said that at the centre which are no more than five times the average of his thinking he put our people, our products wage of employees. and our customers – and that a business which concentrates on those cannot do much wrong The remaining 10 per cent of the shares are in the long-term. He gave every new employee a in a charitable foundation established in memory booklet setting out the company’s history, values of Carl Senior’s mother and father, which uses it and philosophy. In that, he wrote that owner- to support charitable projects in Switzerland and families should not look at the reserves that the worldwide – for example, to build hospitals and company has built over the years, the machines, schools and dig wells in Africa. These ownership the land and the buildings as their property, but arrangements reflect the Christian values that as something that is entrusted to them to manage have inspired all four generations of Elseners, and lead responsibly.’ of ‘gratitude towards employees, customers and our Creator’, as Carl Junior put it at his father’s In line with this philosophy, the family funeral. established a Victorinox Foundation in 2000 which now owns 90 per cent of the share Victorinox is an iconic company today, but capital and reinvests its share of the profits in the early days of Karl Elsener’s business were the business. This will preserve the company’s difficult. At first he founded an association assets intact through the generations, so that it of 25 Swiss craftsmen cutlers to cooperate on can continue to develop and remain financially producing within Switzerland the knives used by independent. Even before the creation of the soldiers of the Swiss army. The first delivery La Lettre de Penthes - No 27 | 19
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