Sécurité sociale CHSS 4/2008 - Dossier Approche économique des questions sociales - BSV
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Dossier Approche économique des questions sociales Assurance-invalidité Disability management dans l’entreprise Prévoyance Préstations complémentaires 2007 Sécurité sociale CHSS 4/2008
sommaire Sommaire CHSS N° 4/2008 juillet/août Sommaire Sécurité sociale CHSS 4/2008 Editorial 193 Assurance-invalidité Chronique juin/juillet 2008 194 La gestion du handicap dans l’entreprise, une approche nouvelle Mosaïque 196 en Suisse (Th. Geisen, A. Lichtenauer, Chr. Roulin, G. Schielke (Haute école de travail social FHNW) 228 Prévoyance Dossier Ralentissement de la croissance des prestations complémentaires Approche économique des questions sociales à l’AI (U. Portmann, OFAS) 233 Politique sociale : les économistes s’invitent au débat 197 Les vertus d’une approche économique des politiques sociales International (O. Brunner-Patthey, OFAS) 198 Océanie: une sécurité sociale aux antipodes du système suisse Le principe du pollueur payeur en politique sociale : (L. E. Tauxe, OFAS) 236 perspectives et applications (I. Wallimann, University of North Texas, E. Piñeiro, Haute école de travail social FHNW) 201 Santé publique Sens et non-sens de l’épargne forcée Statistique des coûts et des prestations (M. Bütler, M. Engler, Université de Saint-Gall) 207 (Y. Eggli, Université de Lausanne / HEC-IEMS; M. Chikhi, T. Bandi, H. Känzig, OFAS; F. Weissbaum, Service de cryptologie Bons de garde : chances et limites du financement du DDPS) 239 des personnes (R. Zurfluh, OFAS) 212 Le revenu de participation : un instrument efficace de lutte contre la pauvreté ? (T. Müller, Université de Genève) 218 Famille, générations, société Prestations sociales nettes : un mode de calcul Familles – Education – Formation lourd de conséquences (St. Müller, S. Schüpbach, OFAS) 223 (J. Krummenacher, COFF/Caritas Suisse) 243 Parlement Interventions parlementaires 246 Législation: les projets du Conseil fédéral 248 min.c h Informations pratiques fas.ad rnet : sse Inte o www. dre Calendrier (réunions, congrès, cours) 249 Notre a Statistiques des assurances sociales 250 Livres 252
éditorial Editorial Les questions sociales sont aussi des questions économiques Le dossier de ce numéro de «Sécurité sociale», préparé par le secteur Recherche et évaluation de l’OFAS, étudie des thèmes sociaux sous l’angle économique. L’article d’Isidor Wallimann et Esteban Piñeiro transpose dans le domaine de la politique sociale des connaissances rele- vant de l’économie de l’environnement. Les auteurs se demandent si une application plus poussée du principe du pollueur payeur dans la politique sociale permettrait d’alléger la charge pesant sur la collectivité et jusqu’à quel point. Tant au niveau individuel qu’à celui de la so- Sabina Littmann-Wernli ciété dans son ensemble, Monika Bütler et Monika Eng Cheffe du secteur Recherche et ler analysent les effets de la prévoyance professionnelle évaluation, OFAS sur la propension à épargner ou à consommer en se de- mandant si ce type de prévoyance conserve tout son sens Les économistes prennent part depuis longtemps aux débats sur les au vu de l’évolution du revenu au cours d’une vie. Dans questions sociales. Certes, il appartient d’abord aux milieux politi- son article, Rahel Zurfluh étudie si l’attribution du finan- ques de définir les formes de solidarité, les caractéristiques de la cement aux personnes peut favoriser une harmonisation justice sociale et les objectifs à atteindre en matière de redistribu- de l’offre et de la demande sur le marché de la prise en tion. L’approche économique permet cependant, grâce à ses métho- charge des enfants, en prenant l’exemple des bons de des et à ses arguments spécifiques, d’évaluer les solutions résultant garde. Pour sa part, Tobias Müller examine, d’un point de des négociations politiques ou d’en suggérer de nouvelles. Dans vue économique, des mesures de lutte contre la pauvreté, cette démarche, on peut s’intéresser aux comportements individuels en particulier le revenu de participation. Enfin, Salome en analysant leurs motivations en fonction des conditions-cadre. Schüpbach et Stefan Müller présentent les résultats d’une Mais on peut aussi étudier dans certains cas le résultat des déci- étude de faisabilité sur le calcul des prestations sociales sions individuelles au niveau de la société dans son ensemble. Les nettes: celles-ci constituent un indicateur important pour relations coûts-bénéfices des mesures sociales sont alors évaluées mesurer l’effectivité et l’efficience de la politique sociale, en fonction de cet objectif : trouver la meilleure solution en termes parce qu’elles indiquent quelle part des prestations socia- de bien-être global. les brutes versées est effectivement à disposition de leurs Le questionnement économique aide à savoir si des lois créées bénéficiaires. avec la «meilleure intention du monde» ou des règles institution- Un large éventail de sujets est ainsi abordé dans ce nelles établies au fil du temps induisent des comportements inatten- dossier «économique». Mais chaque fois, l’approche éco- dus ou indésirables, et pour quelles raisons. Il montre comment de nomique est utilisée pour jeter un regard critique sur un nouveaux défis peuvent être relevés de manière effective et effi- certain nombre d’éléments, plus ou moins nouveaux, de ciente lorsque les ressources sont limitées. Ses analyses dégagent la politique sociale, en ne se contentant pas de verser du des bases de décision permettant de déterminer s’il faut répartir vieux vin dans des outres neuves. Dans le domaine de la différemment les moyens disponibles ou si certains risques – par politique sociale, il faut sans cesse rechercher l’équilibre exemple la fondation d’une famille, le fait d’entreprendre une for- entre la responsabilité personnelle et la prise en charge mation continue ou la prise en charge de proches – devraient être par l’Etat. Un tel exercice sera nécessaire pour répondre mieux couverts, et d’autres moins bien – la pratique de sports extrê- aux défis qui se profilent: assurer le financement à long mes, les excès de vitesses, la consommation de cigarettes, l’abus terme des assurances sociales, réformer celles-ci en fonc- d’alcool. L’approche économique peut aider à définir des mesures tion de l’évolution démographique et éviter d’inciter les sociales qui n’induisent pas de mauvais comportements ou à reca- personnes à adopter des comportements indésirables. drer leur application. Les hypothèses déduites d’une analyse théo- L’analyse économique permet dans ce cadre de clarifier rique peuvent être soumises à un examen empirique. Et grâce au les problèmes en mettant au jour les besoins et de discer- savoir confirmé empiriquement, de meilleures recommandations ner les avantages et les inconvénients des mesures envisa- peuvent être formulées à l’intention des milieux politiques, contri- geables. Ce n’est donc pas la dernière fois que le sujet sera buant à améliorer le niveau général de protection sociale. abordé dans la revue. Sécurité sociale CHSS 4/2008 193
chronique Chronique juin/juillet 2008 Elle a d’abord émis des réserves rédaction des directives. La prio- Droit des assurances quant à l’élargissement, proposé rité consistait à les rendre accessi- sociales : réformes en cours par le Conseil fédéral, des tâches bles au plus vite aux administra- Situation après la session des organes de contrôle des institu- tions cantonales et aux caisses de d’été 2008 tions de prévoyance. Elle est no- compensation pour allocations fa- Voir les articles «Droit des assurances sociales : tamment opposée à ce que les orga- miliales, afin que ces dernières adaptations et réformes en cours», in : Sécurité nes de contrôle examinent le bien- puissent se préparer le plus facile- sociale n° 6/2006, p. 324 ss ; n° 2/2007, fondé des décisions de placement ment possible à l’entrée en vigueur chronique, p. 54; n° 3/2007, p. 110 ; n° 5/2007, p. 238; n° 6/2007, p. 279 ; n° 1/2008, p. 2 ; des institutions de prévoyance. Le de la LAFam. n° 3/2008, p. 134. Conseil des Etats examinera proba- Vous pouvez consulter les «Direc- blement le dossier lors de sa session tives pour l’application de la loi fé- Initiative populaire pour d’automne. dérale sur les allocations familiales» un assouplissement de l’AVS à l’adresse suivante: http://www. L’initiative populaire «pour un âge Assurance-maladie sozialversicherungen.admin.ch/?lng de l’AVS flexible» (06.107) lancée par Etant donné que le projet sur la =fr. l’Union syndicale suisse demande liberté de contracter n’est pas encore Il s’agit d’une version provisoire d’octroyer une rente AVS non ré- au point, le Parlement a décidé, le datant de juillet 2008. Les éventuels duite à partir de 62 ans aux person- 13 juin 2008, de prolonger pour l’ins- conseils, questions, compléments, nes dont le revenu annuel provenant tant le gel de l’ouverture de nou provenant par exemple des organes de leur activité lucrative n’excède veaux cabinets médicaux jusqu’à fin d’exécution cantonaux, seront pris pas 119 340 francs. Le Conseil fédé- 2009. en compte et les compléments à ral, puis le Conseil national lors de sa Les deux Chambres se sont mises apporter seront intégrés dans la session de printemps, ont rejeté cette d’accord sur le régime de finance version définitive du 1er janvier initiative. A la mi-mai 2008, la CSSS- ment des soins. Elles ont suivi la 2009. E a examiné l’initiative à son tour et proposition de la conférence de s’est également prononcée à la ma- conciliation de faire porter à l’assu- jorité pour son rejet. reur-maladie et au canton compé- tents les coûts des soins consécutifs Premier partenariat p ublic- Financement additionnel de l’AI à une hospitalisation pendant les privé pour un programme Lors de sa session d’été, au terme 14 jours suivant l’hospitalisation, en national de protection de d’une longue procédure d’élimina- gardant la même répartition des l’enfance tion des divergences ayant nécessité coûts. Dans le domaine de la protection une conférence de conciliation, le de l’enfance, la Confédération ex- Conseil national s’est rallié à l’avis plore de nouvelles voies et renforce du Conseil des Etats pour une aug- ses activités en collaborant avec des mentation du taux des TVA et pour Directives pour l’application partenaires privés par le biais d’un le versement au Fonds de compensa- de la loi fédérale sur partenariat public-privé (PPP). A tion de l’AI. Par conséquent, de 2010 les allocations familiales cette fin, l’Office fédéral des assu- à 2016, le taux normal de la TVA La loi fédérale sur les allocations rances sociales et des partenaires s’élèvera de 0,4% pour atteindre familiales (LAFam) entrera en vi- privés ont fondé l’association «PPP 0,8%, le taux réduit de 0,1% pour gueur le 1er janvier 2009. Sécurité – Programme National pour la Pro- atteindre 2,5% et le taux pour l’hô- sociale a consacré le dossier de son tection de l’Enfant». Le but de la tellerie de 0,2% pour atteindre 3,8%. édition no 2/2008 à ce thème. nouvelle association est la mise en Parallèlement, un Fonds de compen- Une commission de l’OFAS, place dès 2010 d’un programme na- sation AI sera créé et alimenté par comprenant des représentants des tional de protection de l’enfance une contribution à fonds perdu de caisses de compensation cantona- réunissant les acteurs publics et pri- 5 milliards. Le Conseil fédéral a été les et des caisses professionnelles vés concernés. Son rôle sera d’iden- chargé de soumettre d’ici 2010 des de l’AVS, avait été mise sur pied en tifier les besoins, de renforcer la propositions d’assainissement en vue de l’application de la nouvelle coordination entre les différents ac- vue de la 6e révision de l’AI. loi. teurs, de coordonner le financement La commission avait travaillé de différents projets et de les éva- Réforme structurelle dans un premier temps à l’élabo- luer. L’association devra trouver des dans le 2e pilier ration de l’ordonnance d’applica- ressources financières supplémen- La CSSS-E a traité le projet en tion. Les mêmes spécialistes ont taires pour assurer la pérennité du détail les 16 avril et 14 mai 2008. été mis à contribution lors de la programme. 194 Sécurité sociale CHSS 4/2008
Chronique juin/juillet 2008 des branches d’assurance et les rela- tale supérieure à 3 mois. L’entrée en Assurances sociales : tions transversales qu’elles entre- vigueur de cette mesure est fixée au le rapport annuel fait peau tiennent entre elles. Cette nouvelle 1er janvier 2009. neuve édition se distingue par son graphis- Le rapport annuel sur les assuran- me, qui en rend la lecture plus aisée. ces sociales prévu à l’art. 76 de la loi fédérale sur la partie générale du Assurance-invalidité: droit des assurances sociales (LPGA) succès du placement se présente désormais sous une autre Prévoyance professionnelle: La réadaptation peut être couron- forme et, pour la première fois, il pa- amélioration pour née de succès même lorsque le raît avant la pause de l’été. Le les travailleurs atypiques contexte n’est pas favorable. L’idée de Conseil fédéral l’a approuvé à sa Le Conseil fédéral améliore la si- base de la 5e révision de l’AI – la réa- séance du 25 juin 2008. tuation, en matière de prévoyance daptation prime la rente – se trouve Intitulé «Assurances sociales professionnelle, des travailleurs qui ainsi confirmée. Une évaluation du 2007», le rapport présente toute une changent fréquemment d’emploi. placement effectuée dans le cadre du série de données actualisées, passe Pour ce faire, il a décidé une modifi- programme de recherche sur l’assu- en revue les objets soumis au débat cation d’ordonnance qui prévoit l’as- rance-invalidité (PR-AI) a mis en évi- politique et évoque les perspectives sujettissement des personnes qui ef- dence les facteurs clés d’une réadap- futures. On y découvrira en particu- fectuent des engagements pour le tation réussie et les éléments qui pou- lier les derniers chiffres de chacune même employeur pour une durée to- vaient encore être améliorés. Sécurité sociale CHSS 4/2008 195
mosaïque Mosaïque des prestations de l’assurance-chô- Première suisse et nombre Violences conjugales: mage. de places d’accueil doublé consultations pour les dans le canton de Neuchâtel : auteur(e)s – un rapport projet de loi mis en consul de la Confédération tation renseigne sur la situation La légère progression En début de législature, le Conseil Les consultations et les program- des naissances se confirme d’Etat a opéré plusieurs constats mes de lutte contre la violence desti- L’année 2007 est marquée par la dans le domaine de l’accueil extra- nés aux personnes qui exercent de la progression du nombre de naissan- familial des enfants, dont notamment violence au sein de leur couple ces, de mariages et de l’âge moyen la complexité du mode de finance- constituent des mesures essentielles des femmes à la maternité. Depuis ment des structures d’accueil et le pour lutter contre la violence conju- 2001, le nombre moyen d’enfants manque de places d’accueil, tant gale. Pour la première fois, un état par femme augmente régulièrement dans les structures d’accueil présco- des lieux de toutes les institutions et s’éleève à 1,46 en 2007. Les ma laire, parascolaire, que dans l’accueil suisses qui travaillent avec les riages progressent légèrement et les familial de jour. Aujourd’hui, confor- auteur(e)s de violences conjugales a partenariats enregistrés séduisent mément à son Programme de légis- été dressé en Suisse. Cette étude réa- principalement les couples mascu- lature, le Conseil d’Etat met en lisée sur mandat du Service de lutte lins. Par rapport aux autres pays, la consultation un avant-projet de rap- contre la violence du Bureau fédéral Suisse se distingue toujours par son port à l’appui d’un projet de loi sur de l’égalité entre femmes et hommes faible pourcentage de naissances l’accueil des enfants (LAE). Cette (BFEG) informe dans le détail sur hors mariage et par son espérance réforme de l’accueil extrafamilial l’offre et, également, sur l’avenir fi- de vie élevée autant chez les hom- des enfants introduit le système de nancier incertain de ce travail de mes que chez les femmes. Ce sont là bons d’accueil et la participation de soutien indispensable. quelques-uns des résultats de la sta- l’économie au financement des struc- tistique du mouvement naturel de tures. Une première suisse! La consul- la population de l’Office fédéral de tation auprès des partenaires courra la statistique (OFS) pour l’année jusqu’à fin août et le rapport du Aide sociale 2007: moins de 2007. Conseil d’Etat sera présenté au Grand cas, durée d’assistance plus Conseil lors de sa session de novem- longue bre 2008 pour une entrée en vigueur Le nombre des cas à l’aide sociale de la loi prévue au 1er janvier 2009. a baissé en 2007. C’est la bonne D’ici 2030, le manque de nouvelle. En revanche, et malgré la médecins pourrait compro haute conjoncture, le nombre des mettre les soins médicaux personnes que les villes doivent ambulatoires en Suisse Loi sur la prévention : soutenir durant trois ans ou plus a, Le vieillissement démographique le Conseil fédéral ouvre la lui, augmenté. C’est le constat du s’accompagnera d’une hausse des procédure de consultation dernier rapport de l’Initiative des besoins en consultations médicales Le Conseil fédéral a ouvert la pro- villes : politique sociale. Un transfert ambulatoires en Suisse, alors que cédure de consultation concernant insidieux des assurances chômage les effectifs des médecins sont pré- l’avant-projet de loi fédérale sur la et invalidité, devenues plus restric- vus à la baisse. D’ici 2030, du fait de prévention et la promotion de la tives, vers l’aide sociale financée ces tendances opposées, un dés santé (loi sur la prévention) ainsi par les communes compromet équilibre important ne peut être que le texte de loi fédérale sur l’Ins- l’équilibre au sein du système de sé- exclu, avec 30% des consultations titut suisse pour la prévention et la curité sociale – au détriment des projetées qui ne pourraient plus promotion de la santé. De cette fa- villes. L’Initiative des villes : politi- être assurées. C’est ce que révèlent çon, il entend créer des bases solides que sociale exige une utilisation des projections réalisées sur man- pour l’organisation future de la pré- commune des instruments profes- dat de l’Observatoire suisse de la vention et de la promotion de la sionnels d’insertion au travail de santé (Obsan). L’écart est particu- santé en Suisse. La consultation l’AI, l’AC et l’aide sociale. Elle refu- lièrement marqué pour les méde- s’achèvera le 31 octobre 2008. se toute réduction supplémentaire cins de famille. 196 Sécurité sociale CHSS 4/2008
dossier Dossier Approche économique des questions sociales Politique sociale: les économistes s’invitent au débat Photo : Christoph Wider La garde extrafamiliale des enfants a-t-elle quelque chose à voir avec l’économie ? Il y a lieu de le croire, puisque l’auteure de l’article sur les bons de garde peut étudier si l’adoption d’un financement des personnes améliore l’adéquation de l’offre et de la demande. Un autre texte montre, dans le même sens, qu’il est légitime de s’interroger sur l’application du principe du pollueur payeur – un concept phare de la politique environnementale – dans la politique sociale. Les raisonnements économiques font encore irruption dans le champ social quand il s’agit de savoir si le revenu de participation permet de lutter contre la pauvreté. L’économiste a sa place dans le débat sur la politique sociale, ne serait-ce que parce que les fonds disponibles sont limités. Spécialiste de l’efficacité et de l’efficience, il sera même amené à intervenir de plus en plus souvent. Sécurité sociale CHSS 4/2008 197
dossier Dossier Approche économique des questions sociales Les vertus d’une approche économique des politiques sociales Les ressources financières à la disposition des poli des prestations sociales (part de la production économi- tiques sociales sont limitées alors que les besoins que totale à laquelle les bénéficiaires de prestations so- ciales peuvent prétendre) est passé de 14,5% du PIB en augmentent. Les décideurs politiques sont dès lors 1988 à 22,1% en 2005, aide sociale non comprise.1 Cette confrontés à des choix toujours plus difficiles d’alloca- évolution suscite de nombreuses inquiétudes, au Parle- tion et cette tendance devrait les conduire à consulter ment comme parmi la population. Si la sécurité sociale davantage ceux qui font profession d’efficacité et requiert en permanence des aménagements, ceux qui d’efficience: les économistes. Le présent dossier a sont attendus dans le contexte actuel doivent tout à la fois contribuer à la consolidation financière des régimes pour but d’illustrer le potentiel des réflexions écono- sociaux, renforcer les incitations au travail et préserver la miques dans les tentatives actuelles pour réaménager compétitivité de l’économie nationale. La tâche est com- la politique sociale. plexe. Comment s’assurer d’opérer les meilleurs choix dans la définition des priorités et dans la répartition des coûts et bénéfices au cours des prochaines années? La recherche économique au secours de la politique sociale Conduire des réformes sociales vers le succès, indé- pendamment des choix politiques, passe d’abord par une parfaite compréhension des mécanismes économi- ques et de leurs effets sur le comportement des princi- Olivier Brunner-Patthey paux acteurs concernés. C’est ici qu’interviennent les Office fédéral des assurances sociales économistes. Ils cherchent à établir les coûts et les béné- fices des différentes mesures envisageables pour attein- dre un objectif défini sur le plan politique, de manière à Les contributions figurant dans ce dossier résultent d’un déterminer la mesure ou le type de mesures ayant la choix partiel et partial : elles ne sauraient être représen- plus grande efficience (rendement élevé des moyens uti- tatives, au sens statistique du terme, des innombrables lisés). Les analyses des économistes contribuent égale- réflexions économiques menées actuellement dans le ment aux tâches d’évaluation de l’effectivité (adéqua- domaine social. Précisons aussi que les aspects liés au tion entre l’objectif défini et l’objectif atteint) des modi- caractère politiquement acceptable des propositions fications de lois et des mesures prises par les administra- avancées ou suggérées dans ce dossier ont été sciem- tions publiques, que ce soit au niveau fédéral, cantonal ment laissés de côté afin de ne pas nuire à l’objectif re- ou communal. L’apport des économistes dans le traite- cherché : susciter une réflexion de type économique sur ment des questions sociales relève aussi de l’activité de des questions sociales. «monitoring». Il s’agit, en l’occurrence, d’identifier les situations problématiques d’un point de vue écono mique qui peuvent survenir au niveau des individus, du D’importantes contraintes pèsent système social ou de l’économie nationale et de déve- sur la politique sociale lopper les meilleurs indicateurs possibles pour faciliter la prise de décision politique. La mondialisation, de nouveaux modes de vie et le Cela signifie qu’on attend des économistes des recom- vieillissement démographique constituent de nouvelles mandations ou, pour le moins, des pistes permettant aux circonstances auxquelles la politique sociale doit s’adap- décideurs politiques de réaliser, de fil en aiguille, de ter. Les assurances sociales subissent une pression finan- nouveaux projets sociaux qui améliorent l’efficience et cière importante en raison non seulement de nouveaux besoins sociaux, mais aussi parce que le rapport entre les 1 OFAS (2008) Assurances sociales 2007, rapport annuel selon l’art. 76 actifs et les bénéficiaires de prestations se réduit. Le taux LPGS, p. 9. 198 Sécurité sociale CHSS 4/2008
Dossier Approche économique des questions sociales l’effectivité du système et qui concourent à l’augmen Montrer et corriger les distorsions tation du bien-être de la population. Les contributions de ce dossier s’inscrivent dans cette Dans le domaine de la prévoyance vieillesse, les dis- veine. Très hétérogènes quant à leur contenu, les diffé- cussions politiques et la plupart des travaux de recher- rents articles ont ceci en commun qu’ils apportent cha- che se concentrent sur un examen approfondi, de type cun un éclairage de type économique à une probléma plutôt comptable, sur les niveaux de prélèvements et tique sociale d’actualité. Les différentes contributions de prestations garantissant l’équilibre financier à long sont brièvement introduites ci-dessous. terme des régimes de retraite. Plaçant les rapports entre les générations au centre des préoccupations, cette ap- proche se focalise surtout sur le coût du travail et sur la Repenser la politique sociale demande de main-d’œuvre émanant des entreprises. Le coût social d’éventuelles distorsions provoquées sur Dans le domaine de l’environnement, le principe du l’offre de travail par les régimes de pension et les amé- pollueur payeur tend à imputer au pollueur les dépen- nagements fiscaux qui leur sont liés n’ont par contre ses relatives à la prévention ou à la réduction des pollu- guère retenu l’attention jusqu’ici. Les travaux de Bütler tions dont il pourrait être l’auteur. Dans leur contribu- et Engler contribuent à combler cette lacune. Dans le tion, Wallimann et Piñeiro proposent d’étendre ce prin- présent dossier, ces deux économistes montrent plu- cipe à la politique sociale. Cela constituerait un impor- sieurs effets négatifs de l’épargne obligatoire sur la tant changement de paradigme dans ce domaine: les croissance économique et le bien-être, en se fondant sur assurances sociales relèvent en effet du principe de res- une analyse des décisions individuelles de participation ponsabilité collective. En s’écartant de ce principe de au marché du travail.4 Leur approche est intéressante, base au profit du principe de responsabilité individuelle, parce qu’elle aborde la problématique de la prévoyance ne risque-t-on pas de pénaliser les victimes de domma- vieillesse non pas en termes de générations, mais bien ges sociaux, en lieu et place des personnes ou institu- en termes de préférences individuelles tout au long du tions qui les occasionnent ? Les auteurs montrent que cycle de vie. Les arguments économiques présentés repenser la politique sociale sous l’angle du principe du contre l’épargne obligatoire – et qui portent au niveau pollueur payeur est une opération à haut risque. D’une des décisions microéconomiques – sont plausibles sur le part, il est extrêmement difficile d’identifier avec préci- plan théorique, et certains ont été validés empirique- sion les acteurs «pollueurs» et leur part de responsabi- ment. Ces économistes, ou d’autres, devraient encore lité dans les coûts sociaux. L’étude publiée par l’OFAS estimer l’amplitude de ces distorsions et en calculer les sur les prestations non conformes aux objectifs dans conséquences macroéconomiques pour influer, le cas l’AI2 l’illustre bien : il est malaisé d’établir des liens de échéant, avec plus de force sur les prochaines décisions causes à effets et, sur cette base, de déterminer la res- politiques dans ce domaine. ponsabilité de certains acteurs individuels ou institu- tionnels dans l’augmentation des dépenses sociales. D’autre part, l’aménagement d’incitations conformes Comparer l’efficience de diverses mesures aux objectifs recherchés reste un art difficile, quel que soit le champ d’application. Le professeur René Lévy Dans le domaine de la politique familiale, l’offre de l’écrit très justement : «L’introduction du principe sup- travail des parents fait l’objet d’une attention particu- plémentaire du pollueur payeur ne doit pas subvertir le lière des autorités fédérales, cantonales et communales. principe de l’assurance solidaire contre les risques so- Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’une volonté d’aug- ciaux. (…) Mais l’enjeu de transformer le régime de po- menter l’offre de travail des mères et des pères à tout litique sociale vers un fonctionnement humainement prix, mais bien de permettre aux parents qui le sou plus juste et socio-économiquement plus efficace en haitent de rester sur le marché du travail et d’en avoir vaut certainement la peine.»3 le choix. Cela exige des infrastructures d’accueil extra- familial en suffisance et de qualité, répondant aux be- soins des parents en termes d’horaire et de localisation, 2 Ott, Walter et al. (2008) Prestations non conformes aux objectifs de l’AI, Rapport de recherche 4/07, OFAS, Berne. et surtout accessibles financièrement à toutes les classes 3 Le principe du pollueur payeur en politique sociale, «Le Temps», de revenus. La recherche empirique a montré qu’une 25 janvier 2008. participation publique au financement d’infrastructures 4 Cette approche se distingue du vieux débat sur les avantages et incon- de base dans le domaine de l’accueil de la petite enfance vénients du régime de capitalisation dans le 2e pilier, mené au niveau des effets macroéconomiques des excédents d’épargne et des risques se justifiait amplement d’un point de vue économique.5 de perte de valeur du capital à long terme (asset meltdown). Par contre, on ne s’intéresse que depuis peu en Suisse 5 Bauer, T., Kucera, K. (2000) Volkswirtschaftlicher Nutzen von Kinder aux analyses comparant en termes d’efficience écono- tagesstätten, Schlussbericht zuhanden des Sozialdepartementes der Stadt Zürich. mique les différentes formes que peut prendre dans ce Sécurité sociale CHSS 4/2008 199
Dossier Approche économique des questions sociales secteur la participation financière de l’Etat. Faut-il sub- les erreurs d’interprétation. L’article de Müller et ventionner plutôt les institutions (objets) ou plutôt les Schüpbach qui clôt ce dossier montre bien la difficulté parents (sujets) ? La contribution de Zurfluh expose la de la tâche. Les deux auteurs présentent très concrète- situation et les mécanismes économiques à prendre en ment les problèmes à résoudre s’agissant de la mesure considération pour procéder à une comparaison entre adéquate des prestations sociales. Dans ce domaine, il ces deux formes typiques de subventionnement. est courant de ne considérer que le montant des dépen- ses sociales versées aux bénéficiaires. Or cette approche ne rend compte qu’en partie de l’importance de l’effort Contribuer à l’effectivité de la politique sociale de protection sociale de la Suisse ou des cantons. Les dépenses sociales ne reflètent pas l’incidence du système Dans la lutte contre la pauvreté, il est primordial d’éva- d’imposition. Ainsi, l’Etat peut accorder des avantages luer périodiquement si les mesures de politique sociale fiscaux (comme les déductions fiscales pour enfants à sous forme de prestations ou d’instruments fiscaux abou- charge) pour atteindre les objectifs sociaux qu’il a fixés tissent bien aux effets escomptés par le législateur et, sans dépenses visibles. Mais l’Etat peut aussi imposer dans le cas contraire, de proposer de nouveaux instru- les prestations sociales, si bien que la valeur nette des ments plus efficaces. Le constat tiré ci-après par Müller transferts est en général inférieure aux dépenses brutes. concernant la situation actuelle est plutôt sombre: les bé- Ne considérer que les dépenses sociales brutes revient à néficiaires des prestations sociales sous condition de res- négliger des composantes importantes de la politique sources sont trop souvent pris dans un piège de pauvreté: sociale actuelle, laquelle peut s’appuyer – à bon ou à ils peuvent être confrontés à des taux marginaux d’impo- mauvais escient, comme nous l’avons évoqué ci-dessus sition pouvant s’approcher de 100% en cas d’augmenta- – sur d’importants instruments fiscaux. L’analyse des tion du revenu de leur travail. En d’autres termes, cela si- prestations sociales nettes, par exemple selon le canton, gnifie que ces personnes ne se retrouvent pas plus riches l’assurance ou le risque, offre de nouvelles perspectives si elles travaillent davantage. Le système censé les aider d’analyse et de comparaison. Comme le montrent les ré- à sortir de la pauvreté les incite au contraire à ne rien sultats de l’étude de faisabilité visant à produire une sta- changer à leur situation de précarité. On peut trouver des tistique des prestations sociales nettes, il faudra cepen- correctifs à ces situations déplorables en aménageant les dant encore surmonter quelques obstacles conceptuels barèmes fiscaux en vigueur. Mais la contribution de et techniques avant de disposer de ce nouvel indicateur. Müller va plus loin, en proposant une réflexion actualisée sur certains instruments en discussion depuis quelque temps déjà. Loin de provoquer un chambardement com- Conclusions plet du système, l’adoption de certains instruments cir- conscrits à des groupes bien précis de la population (par Les diverses contributions ont été ici réunies dans le exemple allocation universelle pour les enfants ou reve- dessein d’illustrer comment il est possible de donner plus nu de participation pour les personnes pauvres exerçant de poids aux considérations économiques dans l’aména- une activité) permettrait d’augmenter l’effectivité de la gement futur de la politique sociale, que ce soit au niveau lutte contre la pauvreté. Cela nécessiterait certes des res- de l’analyse des structures incitatives, de l’évaluation éco- sources budgétaires plus importantes dévolues, sous ces nomique de diverses mesures ou d’une modernisation des nouvelles formes, à la lutte contre la pauvreté, mais la ré- systèmes de monitoring. Repenser la politique sociale, en duction des inégalités de revenus se ferait sans effet né- montrer les distorsions pour les corriger, comparer l’effi- gatif sur la croissance économique, en raison du renforce- cience de diverses mesures, contribuer à l’effectivité de la ment des incitations à travailler. politique sociale et moderniser les indicateurs sociaux: autant de missions, attribuées aux économistes, qui vont gagner en importance au fur et à mesure que les ressour- Moderniser les indicateurs sociaux ces à disposition de l’Etat pour la politique sociale seront plus difficiles à mobiliser. La légitimation des interven- Les lacunes entachant les données statistiques en tions relevant de la politique sociale exige plus que jamais Suisse sont un refrain bien connu des chercheurs et des la preuve que les institutions et les mesures sociales rem- décideurs dans le domaine social, en dépit des efforts plissent très largement les exigences d’effectivité et d’effi- consentis pour développer les statistiques sociales. Cela cience, dans le respect des principes de justice sociale. ne doit cependant pas masquer une autre exigence que doivent satisfaire les données statistiques disponibles: être présentées à l’aide d’indicateurs suffisamment pré- Olivier Brunner-Patthey, économiste, secteur Recherche et évalua- cis sur le plan conceptuel pour fournir des réponses adé- tion, division Mathématiques, analyses et statistiques (MAS), OFAS. quates aux utilisateurs, tout en réduisant au maximum Mél: olivier.brunner@bsv.admin.ch 200 Sécurité sociale CHSS 4/2008
dossier Dossier Approche économique des questions sociales Le principe du pollueur payeur en politique sociale: perspectives et applications La politique sociale peut se comprendre comme un consensus autour des mesures peuvent dépendre de effort collectif de gestion des problèmes sociaux plusieurs facteurs: de la façon plus ou moins convain- cante dont le problème est décrit et documenté; des reconnus politiquement. Pour atteindre ses buts, elle groupes de population ou des classes touchés, directe- se sert de la prévention (au moyen de la loi, de la ment ou indirectement; des forces mobilisables sur le formation et de l’information), elle compense les plan politique; des coûts de gestion du problème et des dommages (par des transferts d’argent et des presta- catégories de personnes susceptibles de devoir les payer. tions financés par les assurances sociales ou les On ne cherche pas tant à savoir qui cause les problèmes mais à qui, dans le cadre du financement collectif, on impôts) et elle réduit les inégalités sociales et écono- pourrait demander une plus ou moins grande contribu- miques (à l’aide des compensations fiscales, des tion financière. Il est vrai que lorsque des groupes de subventions, des programmes d’encouragement, etc.). revenus spécifiques se montrent réticents à payer des Ces mesures de politique sociale peuvent être implan- impôts et à financer des assurances contre la pauvreté et tées à tous les niveaux du système politique. Des le chômage, leur réticence va souvent de pair avec l’atti- tude de ne pas se sentir concerné par les pauvres et les interventions provenant de la société civile peuvent chômeurs «qui le sont par leur propre faute». Un raison- les compléter ou leur être coordonnées. nement relevant subrepticement de la logique du pol- lueur payeur – en l’occurrence en rejetant la faute sur la victime – peut donc se mêler à une politique sociale de la responsabilité collective qui, elle, part plutôt du prin- cipe que, pour des problèmes reconnus, «la collectivité» doit apporter «sa contribution», en toute solidarité. La politique sociale selon le principe du pollueur payeur Le principe du pollueur payeur est à l’opposé du prin- cipe exposé ci-dessus. Il donne la priorité aux questions suivantes: qui est à l’origine du problème, qui en est res- ponsable et qui en assume les charges (financières et autres)? Ce n’est que lorsque ces questions et analyses Isidor Wallimann Esteban Piñeiro n’ont pas pu être menées à bien que les ressources de la University of North Texas Haute école de travail social de la collectivité sont mises à contribution. Des formules mix- HES de la Suisse du Nord-Ouest tes sont évidemment possibles. Dans le cas de l’alcoolo- dépendance, par exemple, il faut tenir compte du fait que, dans notre société, la consommation d’alcool fait La politique sociale selon le principe incontestablement partie de la culture. Cela relativise la de la responsabilité collective responsabilité des producteurs, des publicitaires et des industriels qui produisent une substance à risque dans La politique sociale actuelle est largement financée un but lucratif, avec pour objectif de faire croître leur selon le principe de solidarité collective, c’est-à-dire par chiffre d’affaires. En revanche, on ne peut plus dire les impôts et les cotisations aux assurances sociales. Ces aujourd’hui, à propos de la dépendance à la nicotine, contributions sont utilisées pour gérer les problèmes que le tabac fait partie intégrante de la culture. Ce chan- sociaux. L’attribution de ceux-ci à tel ou tel acteur est de gement culturel fait porter une plus grande responsabi- moindre importance. Ce qui importe, c’est de savoir s’il lité aux producteurs, publicitaires et industriels de ce est possible de trouver un consensus quant à l’existence secteur. Il est d’ailleurs récemment apparu au grand des problèmes et la nécessité d’intervenir en recourant jour, lors de la création de l’«alliance de l’économie aux fonds collectifs. La reconnaissance sociale et le pour une politique de prévention modérée» (voir la Sécurité sociale CHSS 4/2008 201
Dossier Approche économique des questions sociales NZZ du 30 mai 2008), que ces deux secteurs défendent nalisé, permettant un véritable calcul des coûts socio- leurs intérêts également en politique sociale. écologiques à l’échelon des «pollueurs» (actuels ou potentiels) et minimisant les incitations économiques fallacieuses. Que certains s’arrogent des avantages au Le principe du pollueur payeur et son détriment des autres doit être évité. L’objectif est une environnement: politique environnementale «vie socialement et écologiquement durable». et assurances Chercher à savoir qui se trouve à l’origine des problè- Le principe du pollueur payeur et la recherche mes n’est pas nouveau. Les assurances ont du s’y inté- resser depuis toujours, même la SUVA, entreprise de Les problèmes sont souvent causés par la faute de droit public. Malheureusement, on n’a pas suffisamment plusieurs acteurs dont l’implication n’est pourtant que fait l’histoire de la manière et des modalités dont on a rarement équivalente. Certains portent plus de respon- cherché à identifier les «responsables» des politiques sabilité, d’autres moins. Dans la mesure du possible, les sociales et des autres politiques publiques. Cette lacune problèmes devraient donc être appréhendés dans toute devrait bientôt être comblée. En effet, au cours des qua- leur complexité et leur causalité explicitée. Dernière- rante dernières années, un mouvement s’en est sérieuse- ment, des experts en environnement ont démontré à ment chargé : le mouvement écologiste. La politique de plusieurs reprises comment un problème peut être l’environnement, tout comme les sciences de l’environ- abordé de façon complexe sous l’angle cause-effet-ré- nement et ses recherches en sont les résultats. Ont éga- percussion et qu’il est possible d’intervenir fermement lement vu le jour de nouveaux instruments juridiques, pour le gérer, à condition qu’il existe une volonté poli administratifs, économiques et philosophico-éthiques tique dans ce sens. Les sciences sociales devraient suivre qui permettent, et permettront, de traiter de nombreux ce modèle dans leurs recherches sur les problèmes so- problèmes d’environnement selon le principe du pol- ciaux. lueur payeur. Cette expérience peut se révéler précieuse Par rapport à la recherche en sciences de l’environne- pour la politique sociale. En effet, nombre d’instruments ment, la recherche en sciences sociales est en perte de servant à la gestion des problèmes environnementaux vitesse, car elle ne s’interroge pas sur les acteurs à l’ori- pourraient être transposés en politique sociale, moyen- gine des problèmes. De plus, dans sa gestion de pro nant adaptation. Le mouvement écologiste et les scien- blèmes, la politique sociale estime pouvoir s’en tenir au ces de l’environnement ne se limitent plus à constater principe de la responsabilité collective. Pourquoi se po- les atteintes environnementales et les pollutions de l’air ser la question de la causalité, lorsque l’on peut sans et de l’eau. Ils cherchent désormais à connaître les ac- autre faire passer tout le monde à la caisse? Il ne faut teurs qui les provoquent et à savoir comment les res- donc pas s’attendre à ce que les milieux responsables de ponsabiliser. La politique fait pareil : elle cherche de la politique sociale fassent pression pour que la recher- plus en plus à savoir comment faire porter une partie de che traite les problèmes de manière suffisamment com- la responsabilité aux acteurs à l’origine des problèmes. plète (et non par photographies) en intégrant les effets Le recours aux ressources de la collectivité pour régler et la multiplicité des facteurs dans son analyse. Une re- ces derniers satisfait de moins en moins, d’autant que cherche descriptive et organisée par variable est deve- ce genre de problèmes ne relève pas de la nature mais nue la règle. Que les sciences sociales s’en contentent de l’action humaine. Il serait temps d’adopter une dé- peut sembler curieux, d’autant plus que le mot «scien- marche similaire en politique sociale. ces» a la prétention de creuser au-delà des descriptions pour s’attacher à la compréhension des choses en pro- fondeur. Le principe du pollueur payeur et la responsabilité Réflexions sur l’application du principe Le principe du pollueur payeur relève de l’éthique de du pollueur payeur responsabilité (et non pas de l’éthique de conviction). Il s’agit d’apprécier les actions des acteurs économiques, Il est évidemment illusoire de penser que les pro sociaux et politiques à l’aune de leurs conséquences. blèmes peuvent être réglés complètement selon le prin- Lorsqu’il s’ensuit un préjudice pour autrui, ils doivent cipe du pollueur payeur, même si la recherche s’effor- en endosser la responsabilité ou se voir restreindre leur çait d’y parvenir. D’une part, parce que les acteurs à liberté d’action pour réduire les conséquences sur les l’origine des problèmes ne peuvent être identifiés de victimes (potentielles ou effectives) et/ou la collectivité. façon suffisamment certaine ou vraisemblable. D’autre Le prix des effets jusqu’alors nocifs est désormais inter- part, le degré de responsabilité ne peut pas toujours être 202 Sécurité sociale CHSS 4/2008
Dossier Approche économique des questions sociales mesuré de façon exacte, quand bien même les auteurs D’autres exemples d’analyse plus détaillés se trouvent du problème seraient déterminés sans l’ombre d’un dans les deux publications mentionnées. doute. La recherche des auteurs ne suffit pas, même si elle est une condition indispensable à toute gestion. Elle doit être complétée par une attribution de la responsa- Le principe du pollueur payeur appliqué bilité qui ne peut se faire sans estimation. aux problèmes d’alcool Une politique sociale selon le principe du pollueur payeur ne sélectionne pas certains «pollueurs» pour en Externalités négatives et mesure de responsabilité oublier d’autres. Dans l’exemple de la dépendance au La consommation problématique d’alcool engendre tabac, producteurs, industriels, publicitaires, consomma- accidents de la circulation, maladies et problèmes psy- teurs et responsables politiques sont tous concernés. Il chosociaux au sein de la famille, du cercle social et au serait donc inapproprié, injuste, contre-productif et peu travail. Le coût social de la consommation d’alcool se conforme à l’éthique de faire porter la responsabilité traduit entre autres par la réduction de la capacité de aux seuls fumeurs. Inapproprié et injuste, car d’autres travail, les coûts de guérison et de prévention ainsi que acteurs à l’origine du problème échapperaient à leur par les dommages matériels consécutifs aux accidents et responsabilité. Contre-productif et contraire à l’éthique, à la criminalité qui y sont liés. Au niveau individuel, les car les victimes du tabac devraient assumer seules ses problèmes d’alcool peuvent être favorisés par une pré- effets nocifs (coûts de la santé, etc.). Accablées, la plu- disposition physique et psychique et par certains fac- part d’entre elles seraient financièrement ruinées, dé- teurs socio-économiques et socioculturels. Au niveau pendantes de l’aide sociale et exclues à force de stigma- structurel, la mise à disposition et l’accès à l’alcool tisation, ce qui ne manquerait pas de peser sur la collec- jouent un rôle prépondérant, tout comme la production tivité. L’application du principe du pollueur payeur doit et la distribution d’un bien à risque sans oublier l’élabo- être «raisonnable» au sens de l’éthique sociale. Il ne fau- ration de conditions-cadre pour une politique de l’alcool drait pas que la stratégie d’évitement de dommages n’en adéquate. Enfin, le rôle de l’alcool dans la culture est à fasse émerger de nouveaux. prendre en compte dans l’évaluation des causes. En ef- Le principe du pollueur payeur peut être appliqué de fet, le modèle culturel qui lui est associé (tolérant une différentes manières : en limitant la marge de manœuvre consommation modérée ou une consommation exces des différents acteurs par des interdictions (loi sur la sive) influence les comportements individuels et collec- protection des mineurs en ce qui concerne l’alcool et le tifs. tabac) ; au travers de mesures économiques (impôts et La majorité des coûts liés aux problèmes d’alcool sont taxes, système de bonus-malus, rationnement avec ou supportés par l’assurance-maladie (AMal), l’assurance- sans attribution de certificats, etc.) ; par des systèmes de invalidité (AI), l’assurance-chômage (AC) et l’assu compensation pour les dommages causés (réparation rance-accidents (AA), en fonction des dommages cau- totale ou partielle) ou au moyen de mesures de préven- sés. Les pouvoirs publics sont donc également touchés, tion imposées aux responsables (le but étant d’influen- ne serait-ce que dans le cadre des soins médicaux de cer le comportement par la formation, la transmission base ou de la sécurité publique (police). Nous n’aborde- d’information ou par de nouvelles valeurs et normes). rons ici que les coûts sociaux résultant de la prévoyance Un nombre important de méthodes d’application ont et des soins dont le financement suit la logique de la été développées par le mouvement écologiste et les responsabilité collective. sciences de l’environnement. Certaines d’entre elles sont déjà ancrées dans la politique environnementale. Identification des principaux acteurs à l’origine La politique sociale peut désormais aussi en tirer profit. du problème En premier lieu, on peut mentionner les consomma- teurs qui abusent de l’alcool. Viennent ensuite les pro- Exemples d’application ducteurs, distributeurs et publicitaires de la branche. Plus l’accès à l’alcool est facile, plus il y a de risques que Comment appliquer cette approche à la politique so- des problèmes en découlent. Les membres de l’entou- ciale ? A titre d’exemple, nous esquissons ici une ré rage social du consommateur à problème (famille, amis, ponse dans deux domaines financièrement très lourds association) qui socialisent et ritualisent la consomma- en politique sociale. Il s’agit avant tout de sortir de la tion d’alcool peuvent être qualifiés de responsables in logique simpliste de la responsabilité collective pour al- directs. On peut aussi considérer que certains acteurs ler vers une logique du pollueur payeur afin de dévelop- mentionnés forment une «communauté de responsa- per des possibilités de prévention. Les exemples ci-des- bles», voire même un «complexe industriel de l’alcool» sous décrivent brièvement quelques variantes possibles dont les membres s’échangent des informations et for- de mise en œuvre du principe du pollueur payeur. ment un réseau pour défendre leurs intérêts. Sécurité sociale CHSS 4/2008 203
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