La loi sur le secret des affaires en Questions / Réponses - Cisma
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La loi sur le secret des affaires en Questions / Réponses Auteurs : Yves Blouin Date de publication : 29 août 2018 direction.juridique@fimeca.org 01 47 17 60 34 La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 « relative à la protection du secret des affaires » est venue transposer en France la directive européenne 2016/949 sur les secrets d’affaires. C’est la première fois qu’un texte français ou communautaire légifère de manière globale sur ce sujet. Cette législation consacre l’existence des secrets des affaires et leur confère un statut juridique afin de les protéger contre les détournements et utilisations illicites de secrets de toutes natures (technologiques, commerciaux, …). La loi ne règle pas toutes les difficultés, parce qu’il reste délicat de protéger une information et de prouver qu’elle a été détournée. Par ailleurs, la reproduction d’un produit n’implique pas nécessairement la violation d’un secret. Le texte est toutefois essentiel car il reconnaît la valeur de l’information secrète, qui est au cœur de la création de valeur de l’entreprise industrielle et lui permet de se développer en se démarquant de la concurrence. La directive comme la loi doivent amener l’entreprise à identifier les informations qu’elle détient, à s’interroger sur leur valeur et à se doter d’une politique destinée à les préserver. La FIM a depuis longtemps milité pour qu’un tel texte soit adopté, compte tenu de l’importance croissante que revêt l’information technologique ou commerciale au sein des industries mécaniques. La FIM a également œuvré afin que la loi ne dégrade pas le niveau de protection défini par la directive : objectif atteint puisqu’elle est globalement conforme au texte communautaire1. Toutefois, une disposition a été introduite qui ne figure pas dans la directive : la sanction pour usage abusif du secret. Des guides pratiques. On pourra consulter le guide « Protection des informations sensibles des entreprises » élaboré au sein du Medef par un groupe de travail animé par la FIM. La version 2017 est disponible et la version 2018 le sera au cours du 3e trimestre 2018. Un vade-mecum synthétique sur ce sujet, auquel la FIM a contribué, va également être diffusé prochainement par la CCI régionale de Paris. La loi crée un nouveau Titre dans le Code de commerce (titre V du Livre I) : « De la protection du secret des affaires », constitué par ses articles L151-1 et suivants2. 1 Ceci malgré certaines anomalies qui figuraient dans le projet de loi initial ou dans des amendements, et qui auraient conduit à réduire la protection attendue (disparition du détenteur légitime, exigence d’une atteinte significative au secret, …). 2 En outre, tous les textes qui faisaient référence à des notions proches, telle que le « secret industriel et commercial » sont modifiés pour faire référence au « secret des affaires », afin d’unifier la notion de secret dans la loi française en l’alignant sur la loi sur le secret des affaires.
2 Quels types d’informations sont des « secrets des affaires » ? La loi, comme la directive, ne posent aucune limite aux types d’informations éligibles. Dès lors qu’elles répondent aux conditions posées (voir question suivante), les informations peuvent être de tous types, et en particulier : • des informations technologiques. oExemples : plans de fabrications, devis et études, procédés ou matières, nouveau modèle, prototype, savoir-faire, etc • des informations financières. o Exemple : éléments confidentiels de coûts de revient des produits. • des informations commerciales ou stratégiques. o Exemples : fichier client ; projets confidentiels de rapprochements d’entreprise. A quelles conditions mes informations sont des « secrets des affaires » ? La loi fixe trois conditions (article L151-1 nouveau du Code de commerce) : 1- L’information n’est pas généralement connue. La loi précise : ou aisément accessible aux personnes familières de ce type d’information en raison de leur secteur d’activité. 2- Elle a une valeur commerciale parce que secrète. Cette valeur est « effective ou potentielle ». En effet, l’information n’a pas nécessairement une valeur immédiate, mais pourrait être de nature par exemple à améliorer la production ou à développer un produit nouveau. Son intérêt économique et concurrentiel pour son détenteur légitime peut-être à venir. 3- Elle a fait l’objet de mesures de protection pour les tenir secrètes. Ces mesures doivent être « raisonnables ». (voir question suivante). Les informations peuvent satisfaire à ces trois conditions de trois manières : • soit dans leur globalité, • soit dans la configuration exacte de leurs éléments, • soit dans l’assemblage exact de leurs éléments. Quelles mesures de protection dois-je mettre en place ? La loi exige qu’on ait, pour conserver les informations secrètes, pris des mesures « raisonnables, compte tenu des circonstances ». Elle ne donne pas de détails sur ce qui est attendu précisément. Ce n’est pas une obligation de résultats mais une obligation de moyens : on aura fait des efforts appropriés de nature à conserver le secret. On s’abstiendra de confier l’information à trop de partenaires, voire à des collaborateurs qui n’en ont pas besoin. Une gestion raisonnable des divulgations pourra être nécessaire3. On pourra attendre que les systèmes informatiques soient dotés de systèmes de sécurité minimaux – autrement dit, on aura veillé à la cybersécurité. Des accords de confidentialité avec les partenaires peuvent être attendus, de même une clause de confidentialité dans le contrat de travail des personnes concernées. 3 Le « raisonnable », notion de droit anglo-saxon, est entré dans notre droit spécialement dans le Code civil depuis 2010 : ainsi un fournisseur doit, avant livraison, conserver l’objet vendu en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable (article 1197) et la force majeure est un événement qui ne pouvait raisonnablement être prévu (article 1218) : par analogie, on devrait apporter à l’information les mêmes soins qu’à un produit matériel et les mesures prises viseront à éviter ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre.
3 Les accords de confidentialité – anglais NDA : non-disclosure agreements – ne perdent pas leur intérêt. Ce serait une erreur de se reposer uniquement sur l’existence de la loi française et de la directive européenne, car précisément elles appellent à la responsabilisation des détenteurs d’informations secrètes. Le fait que la loi existe est un argument pour obtenir par négociation la signature d’un tel accord. Même si cela n’est pas obligatoire, il peut être opportun de faire référence à la directive et à la loi dans les NDA, afin de s’appuyer à la fois sur la réglementation et sur l’engagement contractuel. De même, les CGV n’ont pas nécessairement à être modifiées, mais il peut être opportun de renforcer la clause de confidentialité en faisant référence à ces textes qui assoient leur légitimité. Les mesures de protection « raisonnables » supposent une adaptation aux circonstances. On ne va pas attendre le même niveau de protection sur une information mise au point pour un projet industriel lourd et complexe ou pour un simple devis. Une mention sur les plans et devis paraît être le minimum. Sur ces points, on se reportera au guide « Protection des informations sensibles des entreprises » mentionné en introduction. Puis-je interdire à quiconque de faire usage de mes secrets des affaires ? Trois comportements sont illicites : 1- L’accès non autorisé. Le tiers a eu un accès non autorisé à l’information, ou en a fait une copie non autorisée (article L 151-4, 1°) 2- Le comportement déloyal. Pour obtenir l’information, le tiers a eu un comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale. (article L 151-4, 2°) 3- La violation d’une obligation Le tiers agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer ou de limiter l’utilisation de l’information. Exemple : un accord de confidentialité, une clause de confidentialité voire une clause de non- concurrence, empêchent ou restreignent le droit d’utiliser ou de divulguer. (article L151-5) Savoir, ou être censé savoir : il suffit que celui qui fabrique, vend, achète ou stocke le produit fabriqué à l’aide des informations, ait su, ou aurait dû savoir, qu’il n’avait pas le droit de les utiliser (article L151-5). Ceci même s’il tient lui-même l’information d’une autre personne qui, elle, l’a obtenue de manière illicite (article L151-6). Exemple : Un client obtient un plan de fabrication de mon sous-traitant auquel je l’avais confié pour mes besoins et qui lui a transmis soit en violation d’un accord de confidentialité (cas 3 ci-dessus), soit même si je démontre qu’un tel comportement est déloyal (cas 2 ci-dessus). Quelqu’un a-t-il le droit d’utiliser les informations qu’il déduit de l’observation ou de l’étude de mon produit (ingénierie inverse) ? Oui. C’est une exception notable à la protection du secret : quiconque a le droit d’expertiser ou analyser un produit pour en déduire les informations technologiques. Toutefois, il y a deux conditions : 1- Le produit a été mis à la disposition du public, ou est en possession de la personne de manière licite. Exemple : je mets sur le marché un composant mécanique ; mon concurrent l’achète et, en le démontant, en déduit sa conception : il est en droit en principe de le reproduire.
4 2- La personne n’enfreint pas une « stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret ». Exemple : mon client a eu un prototype pour évaluation, mais avait signé un accord de confidentialité dans lequel il s’interdisait d’obtenir et d’utiliser cette information ; il n’a donc pas le droit de le reproduire. (article L151-3, 2°). Quelqu’un peut-il prétendre avoir mis au point le même procédé que moi ? Oui. La loi reconnaît la licéité de la création indépendante, ou découverte indépendante. Encore faut-il que cela ne constitue pas une violation d’un engagement. (article L151-3, 1°). Qu’en est-il si mon produit est protégé par un brevet, ou encore par un modèle déposé ? La loi n’affecte pas les droits de propriété intellectuelle proprement dits. Si un élément est breveté, nul ne peut légalement le reproduire – à moins de contester le brevet. Il en est de même des dessins et modèles, qui sont des titres déposés protégeant l’aspect extérieur des objets, indépendamment de leur fonctionnalité. Le secret est-il une alternative au brevet ? (question concernant les secrets d’ordre technologique). Le secret des affaires ne confère aucun titre de propriété intellectuelle, aucun monopole, à la différence du brevet. Dans le cas où l’invention se déduit facilement de l’analyse du produit (ingénierie inverse), alors le secret est vain. Le brevet, au contraire, dès lors que l’invention répond aux conditions légales (nouveauté, activité inventive et application industrielle) confère un monopole, et en contrepartie son titulaire a obligation de le publier, c’est-à-dire de divulguer ses revendications. Le brevet, par définition, n’est pas secret. Question de stratégie pour l’entreprise, selon les produits, selon la rapidité des cycles, la facilité de déduire l’invention de la simple observation, le coût du brevet, son intérêt économique – sachant qu’un brevet suppose d’être prêt à attaquer en justice ceux qui le copieraient. Le secret peut être complémentaire au brevet. A noter que le brevet peut nécessiter, pour être mis en œuvre, des connaissances non décrites dans le dépôt, de l’ordre du savoir-faire, et qu’on peut tenir secrètes D’ailleurs lorsqu’on donne ou prend une licence, elle peut porter sur le brevet et/ou sur le savoir-faire, ce dernier résidant par exemple dans la mise en œuvre du procédé. Le secret peut également être un préalable au brevet. La phase de développement qui précède le dépôt éventuel d’un brevet nécessite de conserver absolument secrètes certaines informations. Le certificat d’utilité, sorte de brevet simplifié, peut être une autre solution, mais il impliquera une publication, tout comme le brevet4. 4 A noter que le projet de loi PACTE vise à porter la durée du certificat d’utilité de 6 à 10 ans et de permettre sa transformation en brevet.
5 Un salarié, un lanceur d’alerte ou un journaliste, peuvent-ils révéler des informations secrètes ? On a le droit d’obtenir, utiliser ou divulguer des secrets des affaires : • par la presse dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression et de communication et la liberté d’information ; • par des lanceurs d’alerte, c’est-à-dire pour révéler une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, notamment dans le cadre du droit d’alerte prévu par la loi Sapin II (article 6 de la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016) ; • pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit communautaire ou le droit national ; • les salariés et leurs représentants peuvent obtenir l’information dans le cadre du droit à l’information ou à la consultation des salariés, et les salariés peuvent les transmettre à leurs représentants dans le cadre de l’exercice légitime de leurs fonctions. Toutefois, tant les salariés que leurs représentants ne sont pas habilités à divulguer ces informations à d’autres personnes. (articles L151-7, L151-8 et L151-9). Les données numériques sont-elles des secrets d’affaires ? Dans un monde industriel largement numérique, l’information secrète se présentera souvent sous une forme numérique : maquette numérique par exemple. Il peut arriver que des secrets des affaires soient en même temps des données personnelles : par un exemple un fichier client comportant des éléments personnels (noms et courriels de personnes, …). Dans ce cas le « détenteur légitime » peut être en même temps le « responsable du traitement » au sens du RGPD. Le RGPD devra être respecté ; sa finalité est le respect des droits des personnes, et non la protection du secret des affaires ; toutefois, les obligations de confidentialité et de sécurité des données qu’il impose pourront en même temps concourir à protéger des secrets (protections informatiques, …). Il s’agira parfois de données non personnelles, comme celles résultant des communications de machine à machine. Ces données brutes, non protégeables en elles-mêmes, serviront parfois à constituer une « base de données », protégée alors par un droit d’auteur spécifique prévu par le code de la propriété intellectuelle ; rien n’exclut que, dans le même temps, ces données soient aussi des secret des affaires. Puis-je aller en justice pour empêcher ou réparer les atteintes à mes secrets des affaires ? Oui, la loi accorde au détenteur légitime du secret des droits spécifiques, qui sont construits sur le modèle des droits d’action en cas de contrefaçon c’est-à-dire d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle. 1 - Prévenir et faire cesser les atteintes au secret On peut demander au tribunal d’interdire tous actes d’utilisation ou divulgation, d’interdire la production, la vente, mise sur le marché, le stockage, ou même interdire à un client d’utiliser un produit fabriqué à l’aide de l’information détournée, d’ordonner un rappel ou la destruction des produits ou des fichiers concernés. L’auteur de la divulgation ou de l’utilisation peut demander à échapper à ces mesures lorsqu’il est de bonne foi et que de telles mesures lui causeraient un dommage disproportionné, mais le tribunal fixe alors une indemnité à verser au détenteur légitime, au moins égale aux redevances qu’il aurait dû lui payer s’il avait eu une licence.
6 Un décret doit venir préciser quelles mesures provisoires ou conservatoires peuvent être ordonnées. (articles L152-3, L152-4 et L152-5) 2 – Obtenir des dommages et intérêts La sanction est la responsabilité civile (et non pénale), l’auteur étant condamné à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Le tribunal doit prendre en compte les conséquences économiques, dont le manque à gagner et la perte d’une chance, le préjudice moral, mais également les bénéfices réalisés par le responsable de l’atteinte, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels. Le tribunal peut préférer une somme forfaitaire tenant compte notamment des droits qui auraient été dus si l’auteur avait obtenu une autorisation (licence) d’utiliser le secret. Le tribunal peut ordonner la publication du jugement. (articles L152-6 et L152-7) Peut-on être condamné pour usage abusif du secret des affaires ? Oui, la loi prévoit que celui qui agit en justice en invoquant le secret des affaires de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile pouvant aller jusqu’à 20% de la somme qu’il réclame en dommages et intérêts ; en l’absence de demande de dommages et intérêts, le maximum est de 60 000 euros. L’autre partie peut en outre obtenir le cas échéant des dommages et intérêts. Cette disposition ne figure pas dans la directive mais a été ajoutée par amendement. Il faut préciser que l’amende pour procédure abusive existe déjà dans notre droit, mais que son maximum est toutefois moins élevé 5. (article L152-8) Un procès ne risque-t-il pas de conduire justement à dévoiler les secrets ? Si dans une affaire quelle qu’elle soit, une pièce communiquée ou demandée risque de porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut prendre diverses mesures de protection : ne pas transmettre à l’autre partie mais l’étudier si besoin avec l’assistance d’un expert, décider de la confidentialité des débats (équivalent du huis clos), adapter le libellé du jugement et/ou de la publication. (articles L153-1 et L153-2) 5 10 000 euros (article 32-1 du Code de procédure civile)
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