La politique étrangère de la Suisse: un tour d'horizon Allocution de la Conseillère fédérale Madame Micheline Calmy-Rey Lugano / 26 avril 2005 ...
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La politique étrangère de la Suisse: un tour d'horizon Allocution de la Conseillère fédérale Madame Micheline Calmy-Rey Lugano / 26 avril 2005 Seul le texte prononcé fait foi
2 Signor Consigliere di Stato, Signor Presidente, Signori Sindaci, Eccellenze, Signore e Signori, Cari concittadini, Vorrei anzitutto ringraziare gli organizzatori di queste giornate di formazione per i giornalisti di lingua italiana dell'occasione che mi offrono di presentare le grandi linee della politica estera svizzera. Mesdames et Messieurs La politique étrangère nous touche. Elle nous touche matériellement - la politique étrangère est une politique d’intérêt -, mais aussi émotionnellement, car nous sentons bien qu’elle projette vers l'extérieur une partie de notre identité et nos valeurs. C’est la raison pour laquelle, il est important que les actions et les initiatives que conduites par le Conseil fédéral en matière de politique étrangère soient connues et comprises. Et je crois pour ma part qu'il est également important qu'elles soient discutées ouvertement et de manière critique. Je note avec plaisir la forte présence de jeunes dans cette salle et me réjouis de la discussion et du débat qui suivront ma présentation. Mesdames et Messieurs, Vous vous demandez peut-être à quoi sert la politique étrangère Certains prétendent que la politique étrangère est-elle alors un passe-temps pour quelques politiciens ou diplomates sans importance aucune pour le destin de la Suisse. Je réponds : bien au contraire! Pour un pays comme le nôtre où aucun endroit n’est, à ligne droite, éloigné de plus de 75 kilomètres de la frontière suisse, une politique étrangère n’est pas un luxe mais une question vitale.
3 La politique étrangère de la Suisse a pour but de protéger la sécurité et le bien être des Suissesses et des Suisses. Pour atteindre ces objectifs, la Suisse a pendant longtemps appliqué une stratégie, celle de la neutralité. Cette stratégie a permis à notre pays de se tenir à l’écart des conflits sanglants qui ont déchiré l’Europe, la guerre franco-prussienne de 1870 et les deux guerres mondiales du XXème siècle. La neutralité a été pour la Suisse un instrument défensif et elle a prouvé son efficacité. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit ancrée dans nos mentalités. Un sondage que réalise chaque année l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich montre qu’en 2003, 89% des personnes interrogées jugeaient que la Suisse devait conserver son statut de pays neutre. La Suisse a choisi de devenir neutre au XVIème siècle, au lendemain de la bataille de Marignan. En 1647, une année avant le Traité de Wesphalie, nos autorités s’accordent sur le statut de neutralité de la Suisse. A cette date, la diète de Wil déclare que le corps helvétique se comportera dorénavant en Etat neutre. En 1815, la neutralité suisse obtient une reconnaissance européenne et est garantie par le Traité de Paris. En 1910, la Suisse devient partie aux deux Conventions de La Haye qui fixent les droits et obligations des pays neutres. En 1919, la neutralité suisse est mentionnée dans le Traité de Versailles et reconnue l’année suivante par le Conseil de la Société des Nations. Il aura fallu quatre cents ans pour que la neutralité suisse accède à la pleine reconnaissance internationale. La neutralité suisse a une longue histoire. Mais son fondement est toujours resté le même: en tout état de cause et dès l’origine, notre neutralité est un message de paix, par lequel nous disons au monde: "nous n’attaquons personne, nous nous défendrons tout au plus si on nous attaque". En optant pour la neutralité permanente, nous avons publiquement renoncé et pour toujours à faire prévaloir nos intérêts nationaux par la force. On peut imaginer à quel point la décision de nos ancêtres du XVIème siècle allait à contre courant. Car, à cette époque, la guerre était pour un pays un moyen légitime de mettre en œuvre sa politique extérieure, et elle devait conserver encore longtemps cette légitimité.
4 Depuis lors, le monde a changé. Si nous nous arrêtons aux seuls changements intervenus depuis 1945, nous constatons que la compréhension passive de la neutralité est aujourd’hui obsolète et que certaines de ses options stratégiques ont été intégrées dans le droit international public. Certains et certaines se demandent pourquoi la ministre des affaires étrangères de Suisse devrait voyager. Pour vivre heureux vivons cachés - se disent-ils – si nous ne menacions personne, personne ne nous menacera. Ne nous faisons pas remarquer, ne nous mêlons pas des affaires des grands de ce monde soit peine de compromettre nos chances de survie et celles de nos industries d’exportations - et de toutes façons, la Suisse est un trop petit pays pour peser d’une quelconque manière sur le destin du monde. La meilleure politique extérieure serait de ne pas en avoir du tout et la meilleure ministre des affaires étrangère, celle qui sait se taire dans les quatre langues nationales. Un tel raisonnement fait sourire. On voit bien que dans le monde globalisé qui est le nôtre, des conflits apparemment lointains peuvent avoir des répercussions directes en Suisse. Les problèmes actuels, pauvreté, destruction de l’environnement, injustice sociale, terrorisme ou prolifération des armes de destruction massive, sont tous des causes potentielles de détresse et de violence et font fi des frontières. Nous ne pouvons vivre en paix et en sécurité que si la paix règne autour de nous. Et la meilleure façon, pour la Suisse, d’être épargnée par un conflit, c’est d’empêcher qu’il n’éclate, c’est de travailler à l’adoption de normes internationales, et de nous employer à les faire respecter, c’est d’opter pour les instruments de la médiation, de la promotion de la paix, de la lutte contre la pauvreté. Pour que nos intérêts soient pris en compte, nous devons nous faire entendre, coopérer, nous prêter à des solutions constructives. Et puis, Mesdames et Messieurs, qui dit que la Suisse est un petit pays et qu’en tant que tel nous devrions nous abstenir de penser, de prendre position et d’agir sur le plan international? La Suisse n’est objectivement pas un petit pays. Sous l’angle du produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat, la Suisse se classe au 33e rang mondial sur 200 pays. Elle se situe même au 17 e rang pour ce qui est de son commerce extérieur. C’est aussi l’un des pays du monde dont la balance des
5 paiements courants affiche l’excédent le plus important par rapport à son PIB: en 2004, cet excédent s’est chiffré à quelque 45 milliards de dollars, soit un résultat proche de celui enregistré par l’ensemble des 15 anciens pays membres de l’Union européenne. La Suisse n'est donc pas si petite qu’elle le croit sur le plan économique et cette constatation vaut plus encore pour le domaine financier, où elle fait carrément figure de grande puissance. Il est vrai que la force économique de la Suisse est avant tout le résultat de processus de marchés et ne se laisse pas simplement instrumentaliser au service de notre intérêt national. Mais elle nous donne une capacité contributive (par exemple notre aide publique au développement, notre quote-part aux institutions financières internationales, l’importance internationale de notre place financière), voire une capacité de nuisance (nous gênons si nous ne coopérons pas) et donc un pouvoir négociatoire. Nous avons pu récemment nous en rendre compte lors des négociations des bilatérales II avec l’Union européenne: le levier, celui qui a conduit l’Union à nous accorder quelques avantages en contrepartie de notre consentement à renforcer notre coopération, a été la fiscalité de l’épargne. La Suisse n’est pas non plus une quantité négligeable sur le plan politique. Dans ce contexte, la Suisse possède ce que l’on nomme parfois un "soft power", à savoir l’estime, le prestige et la crédibilité que lui valent à la fois sa longue expérience de démocratie, de pluralisme, de tolérance et d’intégration et sa tradition humanitaire, en premier lieu sa qualité de berceau du mouvement international de la Croix-Rouge. Mais à l’heure où tout, politique, économie, sécurité, environnement, société et culture, s’interpénètre de manière étroite, notre capacité à défendre avec succès notre sécurité et notre bien être est aussi liée - et ce de manière croissante - à notre capacité d’être présents et considérés sur la scène internationale. En résumé, la Suisse, de par sa nature même, ses institutions et sa philosophie, n’a depuis longtemps pas voulu mener une politique de puissance. En revanche, elle possède la masse critique matérielle, morale, politique, pour conduire une politique d’influence. Elle apparaît comme un acteur sans arrière-pensées dont la contribution constructive est appréciée, et dont le long engagement en faveur du respect et du développement du droit international, en particulier du droit international humanitaire assure que sa voix est entendue. Un collègue, ministre des affaires étrangères, m’a affirmé, il y a peu, ne pas vouloir être critiqué par la Suisse dans le domaine des
6 droits de l’homme, à cause a-t-il ajouté, de la grande crédibilité de la Suisse sur ce point dans les instances internationales. La Suisse se devait de tirer les conséquences de ces évolutions intervenues sur la scène internationale. Vous me permettrez de les résumer de la façon suivante: Premièrement, la sécurité est devenue un bien collectif. Autrement dit, la sécurité est de la responsabilité collective des acteurs de la communauté internationale. En signant la Charte des Nations Unies, ses membres et donc la Suisse, reconnaissent la compétence du Conseil de sécurité sur les aspects de la paix et de la sécurité confiés à l’organisation. L’article 24 de la Charte définit comme suit les attributions du Conseil de sécurité: "Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom." La doctrine et la jurisprudence considèrent que les Nations Unies ne sauraient être assimilées en droit international à une partie à un conflit, mais qu’elles s’acquittent d’un mandat à elles confié par la communauté internationale en matière de paix, de droit et de sécurité dans le monde. Ce principe reste valable même dans les cas où le Conseil de sécurité décide le recours à la force. Les actions militaires entreprises par les Nations Unies ne constituent pas un conflit armé au sens du droit de la neutralité: ce sont des mesures visant à faire appliquer des décisions prises par le Conseil de sécurité, au nom de la communauté internationale, en vue de rétablir la paix et la sécurité, des mesures de police en quelque sorte. Le droit de la neutralité permet donc à un pays neutre de participer aux actions militaires décidées par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte. En 1990 par exemple, lorsque l’Irak a envahi et occupé le Koweit, nous nous sommes associés aux sanctions économiques décidées par le Conseil de sécurité et nous avons interdit tout commerce avec la République irakienne. Il en va de même lorsque des forces de l’ONU assurent le maintien de la paix, comme l’UNPROFOR en ex-Yougoslavie en 1993, l'IFOR/SFOR pour la Bosnie-Herzégovine en 1995 ou encore la KFOR au
7 Kosovo en 1998. La Suisse soutient ces actions en les facilitant, c’est-à-dire en permettant à des troupes de traverser notre territoire pour aller rétablir la paix et la sécurité sur mandat des Nations Unies. En revanche, toute action militaire non couverte par une résolution du Conseil de sécurité revient à un conflit armé classique entre Etats. La Suisse se conforme alors aux droits et obligations liés au statut de pays neutre, comme elle l’a fait en 2003 pour le conflit en Irak. Si, Mesdames et Messieurs, je me suis attardée au cadre juridique dans lequel s’inscrit notre action au sein des Nations Unies, c’est parce qu’il explique pour une part notre rôle. Reste que le raisonnement juridique doit être complété par l’aspect politique des choses. La composition et les fonctions du Conseil de sécurité donnent lieu actuellement à un débat nourri. C’est une discussion très importante, à laquelle la Suisse prend part. Nous souhaitons une meilleure représentativité, davantage de transparence et de démocratie et nous sommes en droit de nous demander si le droit de veto possède encore sa raison d’être et si son exercice ne devrait pas être plus transparent. Mais en tout état de cause, et malgré les reproches qu’on peut faire à l’encontre de ce système de sécurité collective, il a, dans l’ensemble, fait ses preuves. Le multilatéralisme des Nations Unies vaut mieux que la décision solitaire de puissances hégémoniques, certes bien intentionnées, mais trop sûres de savoir ce qui est bon pour le monde et ce qui ne l’est pas. Je cite Habermas. Deuxième point fort, ou deuxième caractéristique de notre politique étrangère: une vision purement nationale ne suffit pas à apporter des réponses aux menaces d’aujourd’hui. Et si en 2003, l’opération militaire en Irak a confirmé la puissance des Etats-Unis, elle a aussi mis en évidence les limites mêmes auxquelles la première puissance du monde se trouve confrontée. Dans un monde globalisé, plus personne ne peut se passer d’alliés. Cela bien sûr implique une nouvelle compréhension de la neutralité. La non participation, le rester à l’écart, la passivité sont remplacés par "un engagement, objectif et sans agenda caché". On entend souvent dire que celui qui est neutre ne peut pas ou ne doit pas prendre position. Je juge cette compréhension de la neutralité dépassée. Etre neutre ne
8 signifie pas se taire et rester inactif par exemple lorsqu’en violation des Conventions de Genève des droits humains, des personnes sont maltraitées, torturées ou tuées. La neutralité n’a jamais été synonyme d’indifférence. La liberté de parole et l’indépendance de la pensée sont des valeurs dont nous sommes, à juste titre, fiers. Je ne comprends pas pourquoi nous devrions y renoncer sur le plan international. Les droits humains et les libertés fondamentales sont non seulement des valeurs premières de notre Constitution, mais aussi des éléments importants du droit international qui en est en quelque sorte le prolongement. Nous ne faisons donc pas preuve de partialité lorsque nous demandons à un gouvernement de respecter les droits humains ou le droit international humanitaire. Nous ne défendons pas la cause de l’une des parties, mais nous nous rangeons du côté du droit. C’est comme au football: l’arbitre siffle quand les règles ne sont pas respectés. L’ambition de notre politique extérieure n’est décidément pas de rester au bord du terrain en détournant les yeux. Pour que la neutralité nous apporte effectivement une plus value, nous ne devons pas nous en servir pour cadenasser la politique extérieure, mais au contraire mettre à profit ses avantages. Nous sommes le premier pays au monde à avoir renoncé librement et pour toujours à utiliser la puissance militaire contre l’étranger. Il convient d’exploiter ce potentiel. En tant que pays neutre, nous ne traînons pas derrière nous les vestiges d’un passé colonial ou impérial. Cela fait de nous sur le plan international des défenseurs crédibles du droit international, des droits humains et de l’humanité que l’on ne peut soupçonner de quelque arrière pensée que ce soit. L’un de mes interlocuteurs me confiait avoir recherché le soutien de la Suisse, parce que ce dernier n’était pas provocateur. C’est vrai: la Suisse ne participe pas aux discussions stratégiques des grands de ce monde, elle est amie de tous et capable d’objectivité, qualités qui ont fait de nous un soutien crédible de l’Initiative de Genève. Permettez moi d’illustrer mon propos par un autre exemple: au mois de juillet dernier, la Cour pénale internationale a déclaré illégal le tracé de la barrière de sécurité, du mur dans la terminologie des Nations Unies, que construit Israël. L’Assemblée générale des Nations Unies nous a chargés de ce dossier en nous demandant de
9 chercher avec les Etats parties aux Conventions de Genève les moyens de faire mieux respecter le droit international humanitaire dans la région du conflit. Ce mandat nous donne clairement à comprendre que la communauté internationale apprécie le rôle que nous jouons. Troisièmement : la neutralité se rapporte aux guerres, aux crises. Son efficacité est limitée dans le temps. Il convient de l’insérer dans une démarche plus extensive et proactive et d’y intégrer la prévention des conflits, la promotion de la paix et du développement. Le processus de mondialisation a comme conséquence majeure que des conflits qui apparaissent a priori lointains ont des effets sur nous, pensons aux vagues migratoires qu’ont soulevées la guerre civile en Algérie, au Sri-Lanka, au Liban ou les conflits ethniques dans les Balkans. Pensons aux obstacles que les zones de conflits, de non droit et la pauvreté sont pour nos industries d’exportation. Notre engagement pour la paix, pour les droits de la personne humaine ou pour le développement découle bien évidemment de notre attachement à des valeurs de solidarité et de notre volonté de contribuer à la résolution des problèmes qui se posent. Il sert aussi directement l’ensemble de nos intérêts. Il renforce notre "soft power" et suscite des loyautés à notre égard qui peuvent être précieuses lorsque nous nous trouvons en situation de demandeurs ou de devoir défendre nos spécificités. Nous avons donc conçu et mis en place des programmes de gestion civile des conflits et nous avons déployé nos efforts dans bon nombre de pays et de régions. Les Balkans et le Proche-Orient ont particulièrement retenu notre attention, ne serait- ce que par leur proximité et le rôle qu'ils jouent pour la sécurité de l'Europe et de notre pays. De manière générale, nous soutenons des missions de paix bilatérales et multilatérales en y engageant des volontaires du pool suisse d’experts pour la promotion civile de la paix. Le pool compte 600 personnes dont 80 sont en permanence en mission.
10 Dans le domaine de la politique de paix, nous cherchons à établir systématiquement des partenariats avec différents pays, par exemple avec la France en Colombie, avec la Norvège au Sri-Lanka, ou dans le cadre d’organisations internationales. Dans cet esprit, nous finançons avec le Trust Fund des Nations Unies des actions ciblées dans des régions en conflits et les trois centres genevois, le centre de politique de sécurité, le centre international de déminage humanitaire, le centre pour le contrôle démocratique des forces armées travaillent bien sûr en réseau. Nous coopérons avec d’autres Etats, des organisations internationales et les envoyés spéciaux du Secrétaire général des Nations Unies comme dans les Balkans. Nous prenons de notre côté aussi des initiatives dans le cadre des Nations Unies: la Suisse assume ainsi un rôle d’importance dans le "Groupe contre la prolifération des armes légères" et dans la lutte contre les mines antipersonnel avec la présidence du "Mine Action Support Group" à New York. Dans le domaine du développement, la contribution suisse se concentre sur les pays les plus pauvres et elle est substantielle concernant le désendettement de ces pays. La Suisse a aidé à définir l’architecture des traités globaux concernant la protection de l’environnement et respecte dans sa propre action les principes du développement durable. Elle a reconnu rapidement l’importance des nouvelles technologies de l’information pour le développement et s’est engagée en faveur de leur accessibilité aux pays les plus pauvres. Nous cherchons enfin à optimiser la méthode et les instruments de notre politique étrangère, non seulement en créant des synergies internes, mais en adoptant une approche qui laisse une large place à la coordination et au partenariat: au sein d’organisations internationales comme l’OCDE, nous nous sommes employés à obtenir une meilleure coordination des acteurs intervenant dans la coopération internationale et au plan bilatéral, nous misons sur un partenariat avec les pays bénéficiaires. La Suisse entend poursuivre dans cette voie, étant entendu que cette méthode débouche sur une plus grande prise de responsabilité des pays en voie de développement et sur une mobilisation accrue de leurs propres ressources.
11 L’idée selon laquelle les pays en voie de développement sont incapables de sortir de la misère et juste bons à bénéficier de notre charité est fausse, la démonstration étant apportée par la Chine ou l’Inde et bien d’autres. Et s’il est de notre devoir d’aider, il est aussi du devoir des pays pauvres de penser à ce qu’ils pourraient faire par eux-mêmes; d’où notre attachement à des relations de partenariat. Je souhaite évoquer encore un principe important de notre politique étrangère, celui de l’universalité. La Suisse ne définit pas sa politique extérieure de façon abstraite, mais comme un Etat situé géographiquement au centre de l’Europe et qui entretient des relations intenses avec ses voisins. Ces relations ne se limitent d’ailleurs pas à l’Union européenne. Je l’ai dit, nous intervenons dans les Balkans et contribuons aux efforts de stabilisation, de démocratisation et de développement économique dans cette région. Depuis la chute du mur de Berlin, nous consacrons d’importantes ressources financières aux processus de transformation dans les pays de l’ex Union soviétique. Le débat européen et la position de la Suisse à cet égard sont dominés par une volonté de pragmatisme après l’échec de l’Espace économique européen en 1992. Vivant dans un pays caractérisé par l’importance de ses échanges avec l’Union européenne, nous avons cherché, avec succès jusqu’ici, à préserver nos intérêts économiques en veillant à ne pas être exclus du grand marché de l’Union européenne. Pour ce faire, nous avons négocié les bilatérales I et les bilatérales II. Le résultat de ces négociations déploie ses effets non seulement sur le plan économique mais aussi sur d’autres importants dossiers politique, car avec la négociation, à sa demande, du dossier de Schengen/Dublin, la Suisse s’engage à coopérer dans des domaines clés de l’action étatique, à savoir la coopération en matière policière, judiciaire et de la politique d’asile. Nous sommes appelés à voter sur Schengen/Dublin le 5 juin prochain, puis sur l’extension de la libre circulation des personnes le 25 septembre. Et je vous engage à voter oui. L’Union européenne est importante pour nous et, en s’étendant, en se renforçant, elle le devient de plus en plus économiquement et politiquement. Si je peux comprendre ceux et celles qui ne veulent pas adhérer à l’Union européenne - l’envisager ne serait de toute façon pas réaliste aujourd’hui - j’ai plus de peine avec
12 ceux et celles qui refusant l’adhésion, refusent aussi la voie des bilatérales, qui cherchent à la rendre plus étroite et s’ingénient à la parsemer d’obstacles. Autant je suis fière de nos particularités autant j’ai de la peine avec ceux qui veulent les figer en images d’Epinal pour chaque fois prôner le "Sonderfall" helvétique. C’est un peu comme l’histoire du Français, de l’Allemand et de l’Italien qui arrivent au portes du Ciel. Saint Pierre leur souhaite la bienvenue en leur disant: "Il y a ici une chambre différente pour chaque nation. Les Allemands ont la chambre quatre, les Français la chambre cinq et les Italiens la chambre neuf. Passez au fond du couloir, mais ÉVITEZ SURTOUT de faire du bruit en passant devant la chambre deux." Quand un des nouveaux arrivés demande la raison de ce silence absolu, il répond: "La chambre deux est celle des Suisses. Et ils se croient seuls au paradis". Je ne veux évidemment pas comparer l’Union européenne avec le ciel, ni avec l’enfer, je sais que comparaison n’est pas toujours raison, mais ce que je souhaite exprimer avec cette anecdote est ceci: Evitons de bâtir un mur autour de la Suisse, ne rendons pas plus difficile encore le chemin du dialogue et des accords sectoriels avec l’Union européenne. Cela ne rendrait pas la Suisse plus sûre, ni plus prospère. Bien au contraire: notre marché intérieur est petit et la Suisse écoule la plus grande partie de sa production industrielle et de ses services sur le marché européen. Nous n’avons que faire d’une Suisse frileuse, peureuse, préoccupée uniquement d’elle-même, habitée d’une vision passéiste. Nous voulons une Suisse sûre de ce qu’elle veut, moderne, consciente d’elle-même, de ce qu’elle est et de ce qu’elle peut offrir, une Suisse qui n’hésite pas à s’ouvrir, à parler, à négocier, à offrir des solutions constructives, à entretenir et à développer de bonnes relations avec ses voisins, et aussi avec d’autres partenaires dans le monde. Ces dernières années, nous avons, il est vrai, concentré l’essentiel de nos efforts dans le domaine des relations bilatérales à l’Europe en y affectant plus de 50% de nos ressources financières et en personnel. Les relations avec l’Union européenne sont une priorité de notre politique étrangère et elles le resteront. Il n'en demeure pas moins que les fondements de notre politique étrangère, volonté de faire valoir nos propres atouts sur la scène internationale, respect du droit
13 international, neutralité, et les exigences d’une politique d’influence nous incitent à l’universalité, c’est-à-dire à entretenir et à augmenter le niveau de nos relations avec les autres régions du monde. La Suisse se veut indépendante, n'appartient pas à l’Union européenne, et vivant dans un monde globalisé, elle a besoin d’amis, elle a besoin de marchés. L’ouverture de la Suisse et la densité de son réseau sont une des clés de son succès. Il en va de notre sécurité: dans un monde indivis, les pays riches ne peuvent ignorer les intérêts des pays pauvres car ils nous concernent. C’est évident en terme de migration ou d’instabilité par exemple. De plus, nous ne sommes pas les seuls ou les meilleurs défenseurs du droit international, d’autres que nous ont intérêt à le respecter: nous sommes liés par toutes les conventions, traités et accords existants et nous oeuvrons avec d’autres qui ont le même intérêt que nous à développer le droit et la juridiction internationale. Il en va également de notre prospérité: la Suisse gagne un franc sur deux à l’étranger. Dans ces conditions, concentrer nos moyens en Europe ne serait pas raisonnable. Nous nous devons d’accorder une attention plus soutenue au reste du monde, à commencer par des partenaires importants de la Suisse, à savoir les Etats-Unis ou la Chine, ou par des pays a priori bien disposés à notre égard et qui poursuivant les mêmes objectifs. En cherchant à renforcer nos relations hors de l’Europe, il ne s’agit pas pour nous de jouer les coquettes pour agacer nos partenaires européens et les rendre plus souples quant à nos exigences. Il s’agit simplement de pousser jusqu’aux limites nos capacités d’agir dans le monde pour défendre nos intérêts. Il ne s’agit pas non plus de vouloir prendre de la distance à l’égard de l’Union européenne. Il s’agit d’augmenter le niveau de nos relations bilatérales hors de l’Europe tout en continuant un travail en commun par la voie d’un important réseau d’accords bilatéraux avec notre partenaire le plus important aux plans politique et économique, l’Union européenne. Les relations que la Suisse entretient avec l’Union européenne d’un côté et avec d’autres pays ou continents de l’autre n’entrent pas en concurrence; elles sont complémentaires. Mesdames et Messieurs, Notre approche des grandes questions internationales a pour vertu d’être indépendante. Fondée sur le droit, elle est animée par une vision ouverte et solidaire
14 sur le monde. Je suis convaincue que pour rester crédible dans la défense de ses intérêts et de sa sécurité, la Suisse doit être prête à dire et à agir. La diplomatie suisse est en quête d’une visibilité accrue pour gagner davantage d’influence sur les affaires du monde. La Suisse ne saurait succomber à l’indifférence, ni s’accommoder de toute situation, sauf à perdre son poids politique et toute la considération à laquelle elle peut prétendre. Pour ma part, je crois profondément au potentiel politique de notre pays, dû à la rigueur de ses interventions axées sur le droit et la coopération, à sa capacité économique et financière et à la qualité de son réseau extérieur. Je suis enfin convaincue qu’une position d’abstention nous affaiblit. Le positionnement de la Suisse s’inscrit dans une action soutenue soulignant l’originalité et l’utilité des prestations de la Suisse au sein de la communauté internationale dont elle est membre à part entière et avec laquelle elle partage son destin. Signore e Signori, vi ringrazio per l'attenzione.
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