De La Haye à Marrakech : entre succès symbolique et échec environnemental ?

La page est créée Nicolas Descamps
 
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                                                   De La Haye à Marrakech :
                                                      entre succès symbolique
                                                  et échec environnemental ?
      La signature de l’accord de
                                             L
                                                    es deux dernières conférences            choisi de ne pas conclure en 1999
                                                    des Parties de la Convention             (COP5 à Buenos Aires) un accord sur
     Marrakech en 2002 (COP7)                       Climat (COP6 à La Haye en 2001           les modalités d’application du
peut être considérée comme une               et COP7 à Marrakech en 2002) ont                Protocole de Kyoto, et de le reporter à
                                             hérité des contradictions internes de la        fin 2000 (COP6), en pleine campagne
 victoire diplomatique en ce sens            dynamique diplomatique mise en place            électorale aux Etats-Unis. Dans ce pays,
                                             par la Convention Climat à Rio de               premier émetteur de carbone dans le
que, après l’isolement des Etats-            Janeiro en 1992. Elles ont débouché sur         monde, le chef de l’opposition, le futur
       Unis, la dynamique de Rio             un compromis inachevé qui n’inclut ni           Président Bush, faisait savoir que ce
                                             les Etats-Unis ni, désormais, l’Australie.      protocole forcerait les travailleurs amé-
 (1992) se poursuit. Mais, si l’on           Elles ont été structurées par la querelle       ricains à « walk to work ». Pendant la
                                             de la supplémentarité opposant l’Union          préparation de COP6, la délégation
compare la situation par rapport             européenne au Juscanz (Japon, US,               américaine allait donc se battre le dos
                                             Canada, Australie, Nouvelle-Zélande),           au mur, contrainte par deux préoccupa-
   aux compromis envisagés à La              groupe qui réunit, autour des Etats-            tions centrales.
    Haye en 2001 (COP6) - sans               Unis, l’ensemble des pays de l’OCDE             La première préoccupation concerne
                                             hors Europe, et ont laissé en arrière-          la participation des pays en dévelop-
    parler des objectifs de Kyoto            plan les questions pourtant décisives           pement : dans une motion (Byrnn-
                                             divisant le ‘Nord’ et le ‘Sud’ autour des       Sagell) votée à l’unanimité dès 1997,
  (1997) - le recul est important            modalités permettant aux pays en déve-          le Sénat américain déclare qu’il ne
    du point de vue de la perfor-            loppement de participer de façon active         ratifiera aucun accord ne comportant
                                             aux politiques climatiques.                     pas de participation significative du
   mance de l’environnement, et              Ni l’échec de COP6, ni le compromis             Tiers-Monde. Cette exigence surpre-
                                             de COP7 ne peuvent se comprendre                nante, voire choquante, vient du fait
    les rhétoriques politiques ont           sans revenir sur l’autonomisation des           que l’élite politique américaine perçoit
                                             rhétoriques politiques par rapport à la         comme déloyale (unfair) une architec-
         laissé en arrière-plan les          réalité des enjeux économiques et des           ture où le Tiers Monde n’a pas de quo-
    questions décisives divisant le          rapports de forces diplomatiques. C’est         tas d’émissions mais participe de plein
                                             pourquoi, sans rappeler les éléments            droit aux négociations sur des méca-
    « Nord « et le « Sud » autour            rassemblés dans l’article de Michel             nismes qu’il ne s’appliquera pas à lui-
                                             Colombier et Benjamin Dessus, je des-           même. Le Sénat ne demande pas à ces
    des modalités permettant aux             sinerai le contexte diplomatique de la          pays d’accepter des quotas mais il suit
       pays en développement de              négociation, avant d’aborder les don-           une logique « no representation
                                             nées de COP6, puis le compromis de              without taxation » qui avait été respec-
        participer de façon active           Marrakech.                                      tée lors du protocole de Montréal sur
                                                                                             l’ozone, et que les négociateurs améri-
       aux politiques climatiques.                                                           cains avaient abandonnée à Berlin
                                             Une négociation                                 (1995) pour éviter une bataille poli-
     par Jean-Charles Hourcade
                                             en contexte défavorable                         tique incertaine.
                     EHESS-CNRS                                                              L’objet de la seconde préoccupation est
                                             Il est difficile d’expliciter ici les raisons   la réfutation de l’idée que Kyoto est une
                                             pour lesquelles l’Europe et le G77 ont          aberration économique : un tiers des

F         é          v           r            i            e             r                     2             0         0            2    51
modèles internationaux disponibles                drait rajouter la volonté de l’ex-URSS       exportations augmentait exagérément
     (1) (Hourcade, Ghersi, 2002) donne                de ne pas brader son ‘hot air’. Les          la probabilité d’un prix moyen du car-
     pour les Etats-Unis un coût du carbone            risques que les mécanismes de flexibili-     bone trop élevé.
     inférieur à 50 $/teC (tonne d’équivalent          té ne constituent qu’une échappatoire
     carbone), mais un autre tiers, incorpo-           disparaissent alors pour les Etats-Unis,
     rant une vision plus pessimiste de la             qui feraient en interne de 61 % à 89 %
                                                                                                    COP6 ou le compromis
     technologie ou de l’efficacité des sys-           de leurs abattements, et ne subsistent       manqué ?
     tèmes incitatifs, donne une valeur supé-          que pour le Japon (de 35 à 58 % d’abat-
     rieure à 250 $/teC. C’est que les                 tements domestiques), voire l’Europe         En l’absence de réelle discussion sur la
     Etats-Unis, bien que pouvant réduire              dans certains modèles. En fait, ces          supplémentarité, la négociation tard
     beaucoup de leurs émissions à bas coût            risques ne peuvent réapparaître que par      nouée à La Haye (3) allait se jouer
     ont un objectif de baisse de 25 à 30 %            deux biais : un contrôle laxiste du MDP      autour de la pression du Juscanz pour
     pour 2012, objectif particulièrement              et la mise en jeu d’importantes quanti-      des garanties vis-à-vis de coûts d’obser-
     ambitieux compte-tenu de l’inertie des            tés de carbone séquestré par des plan-       vance trop élevés, le groupe du G77
     systèmes énergétiques. En fait, les négo-         tations forestières ou, dans les sols, par   restant en position de spectateur actif.
     ciateurs américains n’ont accepté de              des transformations des techniques           Deux types de garanties étaient ici envi-
     tels chiffres qu’accompagnés de méca-             culturales.                                  sageables en plus des mécanismes
     nismes de flexibilité et de l’inclusion           Mais le Conseil des ministres euro-          d’échange :
     dans le système d’activité de séquestra-          péens de l’Environnement avait tra-          - la fixation d’un prix-plafond du carbo-
     tion (piégeage net de carbone dans les            duit, dès mars 1998, la clause de            ne ; au cas où les faits donneraient rai-
     écosystèmes et aussi de six autres gaz à          supplémentarité par une exigence de          son aux modèles les plus pessimistes, et
     effet de serre). Ceci leur permettait, en         « concrete ceiling » (plafond précis)        où l’assurance donnée par les marchés
     effet, de pallier à toute mauvaise surpri-        forçant un pays à limiter ses importa-       internationaux de PEN ne suffiraient pas
     se de ce côté et de réfuter les arguments         tions à un pourcentage de ses abatte-        à rester en dessous du prix du carbone
     de leurs opposants intérieurs.                    ments totaux. Dans sa forme faible           ‘acceptable’, les pays pourraient tenir
     Mais avec des marchés internationaux              (une limite de 50 %) cette contrainte        leurs engagements en payant un prix
     de permis d’émissions négociables                 n’opérait pas sur les Etats-Unis et frap-    prédéterminé à un fonds d’observance
     (PEN), et sans même tenir compte des              pait le Japon ; dans ses formes dures        dont le produit serait utilisé pour finan-
     potentiels de séquestration du carbo-             elle frappait durement le Japon en rai-      cer des projets d’abattement, d’où
     ne, l’application mécanique du même               son de ses coûts internes élevés et peu      le concept de « paiement de restaura-
     échantillon de modèles donne un prix              les Etats-Unis dont les coûts marginaux      tion » ; si, au contraire, les prix du car-
     compris entre 6 et 74 $/teC. La borne             d’abattement étaient faibles (sauf pour      bone s’avéraient bas, les objectifs de
     inférieure justifie alors les craintes            quelques modèles). Par ailleurs, en          Kyoto seraient atteints sans problèmes
     européennes et la clause de supplé-               contraignant la demande de permis,           et le prix plafond ne serait pas atteint.
     mentarité que l’Europe a imposée                  on instaurait un décalage entre prix         - la prise en compte, au titre de l’article
     dans l’article 17bis : le signal prix             intérieurs (élevés) et prix mondiaux         3.4 du Protocole, d’activités ‘addition-
     serait trop faible pour orienter les              (bas), peu gérable en raison des effets      nelles’ de séquestration de carbone
     émissions sur des trajectoires compa-             de distorsion de la compétition inter-       dans les pays de l’annexe B ; l’interpré-
     tibles avec des plafonds de concentra-            nationale. Comportant d’importants           tation des européens était que ces acti-
     tion en GES tant soit peu ambitieux et            effets pervers, l’idée d’un plafond pré-     vités n’avaient pas été prises en compte
     les mécanismes de flexibilité ne                  cis (« concrete ceiling ») a perduré en      lors de la fixation des objectifs de Kyoto
     seraient qu’une échappatoire aux                  raison de son efficacité rhétorique : on     et que les inclure à La Haye revenait à
     actions domestiques.                              affichait, dans un contexte de critique      réévaluer à la baisse ces objectifs ; le
     Ce risque, essentiellement dû à l’exis-           du rôle du marché dans les affaires
     tence de ‘hot air’ (2) dans l’ex-URSS,            mondiales, une volonté de ‘limiter’
     doit cependant être relativisé en raison          l’espace de la « marchandisation ». Les
                                                                                                    (1) Dans l’ensemble de cet article, nous nous
     des difficultés à réaliser, par les projets       autres modalités, sur le fonds plus per-     appuierons sur une analyse menée à partir du logi-
                                                                                                    ciel SAP12 (Stochastic Assessment of Climate
     MDP (mécanisme de développement                   tinentes, de traduction de l’objectif de     Policies) qui représente, par des formes réduites, le
     propre), l’ensemble des abattements à             supplémentarité étaient politiquement        comportement de 12 modèles mondiaux expertisés
                                                                                                    dans le cadre de l’Energy Modelling Forum
     coûts faibles théoriquement disponibles           moins efficaces.                             (Stanford) et du GIEC (Groupe d’experts intergou-
                                                                                                    vernemental pour l’étude du climat).
     dans les pays en développement : ces              La conséquence fut que l’Europe abor-        (2) Littéralement « air chaud », expression qui
     projets impliquent, en effet, d’impor-            da COP6 avec une traduction de la            désigne les quotas d’émission alloués à l’ex-URSS et
                                                                                                    qui seront, selon toute vraisemblance supérieurs
     tants coûts de transaction et ne pour-            clause de supplémentarité inacceptable       aux niveaux d’émission atteints par cette région du
                                                                                                    monde, ceci sans effort spécifique par le seul jeu de
     ront porter que sur une partie des                par les Etats-Unis, parce qu’elle ruinait    sa crise économique interne.
     sources d’émission, à savoir, les plus            l’argumentaire politique mis en place        (3) « Nous n’avons pas examiné de positions de
                                                                                                    repli ou de concessions, mais nous avons regardé
     centralisées. Des hypothèses plus réa-            par les tenants de Kyoto pour désarmer       dans quelle mesure les positions des autres corres-
     listes conduisent à une fourchette des            les opposants : pour ces derniers, en        pondaient aux nôtres » (Dominique Voynet, citée
                                                                                                    par une dépêche CNN-Reuters du 8 novembre
     prix de 32 à 169$/teC, ce à quoi il fau-          effet, même un plafond de 50 % sur les       2000).

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Juscanz faisait au départ une demande          anti-fiscaux). Or les articles sur ‘l’obser-
portant sur 183 MtC alors que l’Europe         vance’ arrêtés à COP6 ne font peser
n’admettait que 13 de séquestration            aucune incitation directe sur les gou-
« additionnelle » (ces chiffres sont à         vernements pour les pousser à affronter
comparer aux 900 Mtc d’abattement              des mesures impopulaires : un gouver-
nécessaires en moyenne sur les douze           nement peut, en effet, simplement pas-
modèles retenus ici, pour atteindre les        ser à son successeur une dette
objectifs de Kyoto).                           environnementale que celui-ci rem-
Ces deux options furent critiquées pour        boursera moyennant un coefficient
porter atteinte à l’intégrité environne-       multiplicateur, et ceci, sans limite de
mentale du Protocole : d’un côté on            report dans le temps. Il est dès lors
pouvait arguer que le carbone piégé est        trompeur de comparer les divers com-
moins efficace que le carbone non              promis à un scénario où, ‘candide-
émis, de l’autre il n’y a aucune assuran-      ment’, les gouvernements ne mettraient
ce que les abattements financés par les        pas à profit de telles facilités en cas de
paiements de restauration suffisent à          difficultés internes ; même les gouver-
récupérer les abattements manquants (à         nements « de bonne foi » auront ten-
coût supérieur au prix plafond) pour           dance à limiter l’effort interne à un
atteindre les objectifs de Kyoto. Or il y      niveau n’impliquant pas des risques            Fig. 2. - Options de compromis
a dans ces modes de raisonnement une           politiques importants et à « passer le         et prix du carbone.
erreur de perspective, puisqu’on prend         fardeau » à leur successeur.                   Candide : scénario « candide »
comme base de comparaison une                  Dès lors, tout dépend de la volonté à
                                                                                              Séq. : séquestration (piégeage)
observance parfaite du Protocole sans          payer des consommateurs. On consta-            avec un prix plafond de 75$/teC et que,
tenir compte du fait que, ni aux Etats-        te, dans la figure 1 ci-dessous, que si les    avec un prix de 50$/t, on a une bonne
Unis ni en Europe, la disponibilité des        objectifs de Kyoto sont atteints (en espé-     chance de réduire les émissions par
consommateurs à accepter un renché-            rance mathématique) pour une disponi-          rapport à 1990 (5). Avec l’hypothèse
rissement des prix de l’énergie n’est pas      bilité à payer de 100 $/teC, le déficit de     séquestration tout dépend, bien sûr, de
illimitée. Tout se joue alors sur la capa-     performance environnementale est               l’appréciation portée sur la valeur envi-
cité des gouvernements à convaincre            important pour 75$/t et 50$/t, cette der-      ronnementale des tonnes piégées dans
les consommateurs de l’intérêt de telles       nière valeur laissant même peu de              les plantation d’arbres.
hausses (dans le cadre de réformes bais-       chances de réduire des émissions par           Pour ne pas se lancer ici dans des
sant les prélèvements obligatoires les         rapport à 1990. Par rapport à ces scéna-       controverses qui se sont avérées fort
plus distorsifs) ou à ‘socialiser’ le coût     rios, l’adjonction d’un paiement de res-       vives sur la valeur environnementale
de la contrainte carbone en finançant          tauration permet, en finançant des             des tonnes piégées, il est plus simple
sur le budget public les importations de       abattements complémentaires, d’amé-            d’analyser l’impact sur le prix du carbo-
carbone et les programmes d’énergies           liorer grandement les performances             ne du ‘compromis du samedi matin’, le
de substitution ou d’économie d’éner-          environnementales puisque, en espé-            dernier jour de COP6, et qui portait sur
gie (au risque d’exacerber les réflexes        rance mathématique, Kyoto est atteint          106 MteC de carbone séquestré dans
                                                                                              un scénario ‘candide’ où la pleine
                                                                                              observance irait de soi. On remarque
                                                                                              alors (voir la figure 2) que l’espérance
                                                                                              mathématique du prix du carbone
                                                                                              passe de 75$/t à 54$/t, avec toujours
                                                                                              des risques non négligeables de prix du
                                                                                              carbone supérieurs à 100$/t (surtout
                                                                                              sous hypothèse de pouvoir de marché

                                                                                              (4) Du point de vue strictement environnemental,
                                                                                              en effet, pour Mme Voynet, l’échec de La Haye et la
                                                                                              nouvelle position des Etats-Unis ont « contraint les
                                                                                              Européens à clarifier ce qui est vraiment important :
                                                                                              commencer à réduire les émissions de gaz à effet de
                                                                                              serre, se placer sur une trajectoire de réduction. Dès
                                                                                              lors, le niveau de réduction, qu’il soit de 1 % ou de
                                                                                              5 % n’est pas essentiel » (M. Kempf, Le Monde, le
                                                                                              22 avr. 2001, www.lemonde.fr/climat)
                                                                                              (5) Pour éviter des manipulations stratégiques, voire
                                                                                              de corruption dans la sélection des projets, les
Fig. 1. - Effets de paiements de restauration sur la performance environnementale.            « offreurs » proposeraient leurs projets, et seront
                                                                                              retenus tous les projets dont le coût/teC serait égal
                                                                                              ou supérieur au prix qui épuiserait les ressources du
ER : émission de référence — DP : disponibilité à payer — PR : paiement de restauration.      fonds.

F           é            v            r          i           e            r                     2                0               0               2     53
exercé par l’ex-URSS), mais aussi avec             l’Union européenne allait, dès la
     des risques plus importants de prix très           Conférence de Bonn (juillet 2001),
     bas (avec 19$/t comme fourchette basse             abandonner toute traduction concrète
     de l’espace de vraisemblance). Il est              de la clause de supplémentarité et, en
     intéressant de comparer cette solution             échange d’une comptabilité plus préci-
     avec un prix plafond de 54$/t. Une telle           se qu’à La Haye sur les « activités addi-
     option qui débouche par construction               tionnelles », accorder des « tonnes de
     sur le même effet signal, présente, par            séquestration » bien plus généreuses
     rapport au compromis sur la séquestra-             que dans le « compromis du samedi
     tion un double avantage :                          matin ».
     - une plus grande assurance vis-à-vis de           La signature de l’accord de Marrakech
     risques de prix du carbone trop élevés ;           est une victoire diplomatique en ce
     le « compromis du samedi matin »                   sens que, après l’isolement des Etats-
     translate vers le bas l’espace de vrai-            Unis, la dynamique de Rio 1992 se
     semblance des prix du carbone mais                 poursuit ; mais, si l’on compare la situa-
     n’en modifie pas très sensiblement la              tion par rapport aux compromis envisa-
     variance, ce qui fait dire à D. Bodansky,          gés à COP 6 (sans parler des objectifs
     du département d’Etat sous l’adminis-              de Kyoto), le recul est important du
     tration Clinton, que, n’était la proximité         point de vue de la performance de l’en-
     des élections et la crainte de rétorsion           vironnement :                                Fig. 3. - Comparaison La Haye -
                                                                                                     Marrakech
     de certains groupes environnementa-                - il y a tout d’abord les « abattements
     listes, cette option aurait dû être privilé-       manquants » liés au retrait des Etats-       Les segments indiquent les valeurs
     giée parce que plus efficace à la fois             Unis. On sait aujourd’hui que le plan        minimales et maximales données par les
     économiquement et politiquement                    Bush revient à des abattements
                                                                                                     modèles mondiaux; les rectangles don-
                                                                                                     nent les moyennes, plus ou moins, de
     ([Bodansky, 2001) ;                                minimes par rapport aux scénarios de         l’écart type selon que les marchés sont
     - des transferts plus importants vers les          référence les plus fréquemment envisa-       compétitifs (en grisé) ou oligopolistiques
     pays en développement en raison du                 gés pour ce pays (de l’ordre de 4 % des      (en blanc). Les croix donnent l’espéran-
                                                                                                     ce mathématique des valeurs calculées.
     fait qu’une bonne partie des fonds col-            scénarios d’émissions les plus pessi-
     lectés par le paiement du prix plafond             mistes) ; ces chiffres doivent être com-
     devraient, dans un mécanisme transpa-              parés aux abattements domestiques            demande de hot air. Il est difficile de se
     rent d’enchères inversées (6), s’orienter          dans le secteur énergétique dans l’op-       risquer ici à quelques pronostics, même
     vers des projets dans ces pays ; alors             tion prix plafond (de 172 à 377 MteC)        si l’on peut penser qu’en l’absence du
     que les projets MDP ne débouchent                  et dans l’option séquestration (de 206 à     plus grand importateur potentiel de car-
     que sur un surplus de 0,9 à 2,8 M$ dans            366 MteC) ;                                  bone et en raison de l’introduction de
     le ‘compromis du samedi matin’, ils                - l’absence de demande américaine            fait de projets de séquestration dans le
     auraient été 3,5 fois supérieurs dans              pour le carbone importé accroît le pro-      MDP, le pouvoir de marché de l’ex-
     l’option prix plafond.                             blème posé par le ‘hot air’. Celui-ci est    URSS sera réduit très fortement par rap-
                                                        estimé aujourd’hui entre 237 et 516          port à la situation qui prévalait à COP6.
                                                        MteC, alors que le total des obligations     En cas de marché compétitif le prix du
     COP7 : un succès                                   d’abattement des pays de l’Annexe B,         carbone hot sera tout simplement nul.
     diplomatique et moins-                             signataires de Marrakech, est de 225 à       Si l’on suppose maintenant que l’ex-
     disant environnemental ?                           325 MteC ;                                   URSS maximise ses revenus, alors, cela
                                                        - à ceci se rajoute un total de 159 MteC     réduirait ses exportations à une four-
     L’annonce par le président Bush du                 de permis additionnels de séquestra-         chette 84 à 127, soit de l’ordre de la
     retrait des Etats-Unis du Protocole de             tion ; la somme de ces permis et de la       moitié de son potentiel, le surplus étant
     Kyoto allait, bien sûr, changer la donne,          borne minimale de hot air excède alors       mis en réserve pour la deuxième pério-
     le réflexe dominant des autres pays                de 15 à 58 % les besoins d’abattement        de budgétaire (après 2012). Dans ce
     étant qu’il était dangereux de laisser un          les pays de l’Annexe B hors Etats-Unis.      cas, qui est le plus favorable du point de
     pays, fût-il le plus puissant, mettre à bas        Au total, en dehors de tonnes perdues        vue de l’environnement, on trouve un
     de façon unilatérale plus de dix ans               par le retrait des Etats-Unis, il y a donc   espace de vraisemblance de 15 à 63 $/t
     d’effort. Mais, parce que le Protocole             un risque certain de réduction de la         avec 50 % de chance de prix inférieur à
     de Kyoto ne peut rentrer en vigueur                performance environnementale dans            35 $/teC (voir la figure 3). Le recul est
     qu’après ratification par des pays repré-          les pays signataires de Marrakech            donc important par rapport à COP6
     sentant 55 % des émissions de l’Annexe             puisque les tonnes séquestrées et le hot     puisqu’il est probable que le prix réel
     1 de la Convention, deux groupes des               air suffiraient à remplir les objectifs de   s’établira entre le prix nul de marché
     pays voyaient se renforcer leur pouvoir            Kyoto sans aucun effort sur le secteur       compétitif et les 35$ de l’hypothèse de
     de négociation, le reste du Juscanz et             énergétique. Tout se joue ici sur la         plein exercice de pouvoir de marché
     l’ex-URSS. Devant cet état de fait,                capacité de l’ex-URSS de rationner la        oligopolistique de l’ex-URSS.

54   A       n        n       a       l      e      s                       d       e      s                  M       i       n      e       s
En dehors de la baisse du signal prix du    pour un processus de décarbonisation         rifier les termes du débat avec le Sud,
carbone, une deuxième implication de        de leur économie. Les optimistes rétor-      mais ce débat ne pourra pas être
Marrakech est l’effondrement de trans-      queront qu’il suffit désormais de peu de     contourné ;
fert net en direction des pays en déve-     choses pour que les institutions créées à    - la crédibilité du système repose sur la
loppement à 0,7 milliard de dollars         Kyoto deviennent irréversibles et que ce     prise de conscience des incertitudes
même dans l’hypothèse de marché oli-        «peu de choses» tient beaucoup à la          concernant les coûts d’abattement et de
gopolistique.                               capacité de leadership de l’Europe. Ici,     la nécessité de s’assurer contre des
Certes, la vigueur des efforts d’abatte-    la capacité de l’Union européenne de         dérives politiquement inacceptables
ment dans les pays de l’annexe B, ne        mettre en place un système de permis         (du type prix plafond) ; en leur absence,
dépendra pas que de la seule capacité       d’émissions négociables (PEN) consti-        il y a risque, en effet, soit que les pays
de l’ex-URSS de maintenir des prix          tuera un test important qui pourrait         négocient des objectifs très timides, soit
d’oligopole. Elle dépendra aussi de la      d’ailleurs transformer les rapports de       qu’ils s’apprêtent, en l’absence de toute
capacité de l’Union européenne de ne        forces dans les secteurs industriels         réelle pénalité pour non observance, de
pas recourir aux importations de hot air    américains.                                  reporter dans leurs efforts dans le
et de traduire ainsi sa volonté politique   Tout se jouera probablement désormais        temps ;
de ‘supplémentarité’. Mais cette posi-      avant 2005, lorsque devra être négociée      - sur les questions d’observance, devant
tion risque d’être difficile à tenir pour   l’évolution du régime au-delà de 2012.       la difficulté de mettre en place des paie-
des raisons de compétitivité industrielle   On sait aujourd’hui que, vu l’état d’opi-    ments effectifs autrement que par un
puisqu’il est pratiquement certain que      nion dominante dans les partis démo-         mécanisme prix plafond, il faudra bien
des pays comme le Japon ou le Canada,       crate et républicain aux Etats-Unis,         en venir à réexaminer la question des
qui n’ont jamais mis en avant une telle     l’enjeu est une adhésion conjointe des       liens entre organisation mondiale du
volonté, ne se priveront pas d’annexer à    Etats-Unis et de grands pays du Tiers        commerce et la Convention climat. Il
des tonnes à bas coût. Dès lors, même       Monde (Chine, Inde, Brésil, Mexique)         s’agit ici du point qui soulèvera des
des prix modérés du carbone de l’ordre      dans un dispositif avec engagements          résistances à la fois dans certains ONG
50$ la tonne pourraient présenter un        contraignants. Les débats ne font que        (Seattle syndrom) et dans les cercles de
désavantage compétitif pour certains        commencer sur le type d’engagement           décideurs les plus opposés à une effec-
produits des industries lourdes par rap-    susceptible de réussir à lever les contra-   tivité des régimes climatiques.
port aux concurrents internationaux         dictions inévitables venant de cette         On aura compris dès lors que le futur
(Etats Unis, autres pays de l’OCDE et       contrainte politique. En revanche, si        des politiques climatiques et de leur
pays en développement) suffisamment         une coordination par voie de quotas          coordination internationale sera déter-
significatif pour mobiliser une part        échangeables continue de fournir le          miné par le degré de prise de conscien-
importante de l’industrie européenne        cœur du système, il est possible de tirer    ce des liens entre ce dossier et les
contre la poursuite d’une politique plus    des enseignements de semi-échecs de          questions plus générales de développe-
vertueuse que ne l’exige la lettre de       la période passée :                          ment, d’organisation du commerce
Marrakech.                                  - un tel système est le seul qui assure      mondial, sans, bien sûr, oublier celle de
                                            des flux financiers conséquents en           la sécurité énergétique.                ●
                                            direction des pays en développement,
Les enseignements                           ce qui a d’ailleurs probablement joué
des semi-échecs                             comme élément d’inquiétude non seu-
                                            lement aux Etats-Unis, mais aussi dans
On ne peut aujourd’hui fournir une          d’autres pays développés, y compris          Bibliographie
évaluation définitive du compromis de       dans l’Europe ; mais au-delà de cet
Marrakech. Les pessimistes feront valoir    aspect strictement quantitatif, il
                                                                                         BODANSKY, D. (2001). « Bonn voyage.Kyoto’s
que nous nous trouvons en présence          conviendra désormais de veiller à ce         uncertain revival. » The National Interest, 45-55.
d’un « régime climatique » fragmenté        que ce transfert soit compatible avec les
                                                                                         COLOMBIER, M., DESSUS, B., LAPONCHE, B.
avec seulement un noyau minoritaire         priorités de développement des pays          « Négociations climat : quels engagements ? », Les
                                                                                         Cahiers de Global Chance, 8, juil. 1997, pp. 57-64.
des pays soumis à des engagements de        pauvres ; la focalisation sur les ques-
réduction des GES, avec d’ailleurs, pour    tions de supplémentarité au sein de          HOURCADE, J.C., GHERSI, F. (2002), « The
                                                                                         Economics of Lost Deal », Energy Journal (à
ceux-ci, une pression peu significative     l’annexe B a jusqu’ici empêché de cla-       paraître), 29 p.

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