De La Haye à Marrakech : entre succès symbolique et échec environnemental ?
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L ’ é n e r g i e e n F r a n c e De La Haye à Marrakech : entre succès symbolique et échec environnemental ? La signature de l’accord de L es deux dernières conférences choisi de ne pas conclure en 1999 des Parties de la Convention (COP5 à Buenos Aires) un accord sur Marrakech en 2002 (COP7) Climat (COP6 à La Haye en 2001 les modalités d’application du peut être considérée comme une et COP7 à Marrakech en 2002) ont Protocole de Kyoto, et de le reporter à hérité des contradictions internes de la fin 2000 (COP6), en pleine campagne victoire diplomatique en ce sens dynamique diplomatique mise en place électorale aux Etats-Unis. Dans ce pays, par la Convention Climat à Rio de premier émetteur de carbone dans le que, après l’isolement des Etats- Janeiro en 1992. Elles ont débouché sur monde, le chef de l’opposition, le futur Unis, la dynamique de Rio un compromis inachevé qui n’inclut ni Président Bush, faisait savoir que ce les Etats-Unis ni, désormais, l’Australie. protocole forcerait les travailleurs amé- (1992) se poursuit. Mais, si l’on Elles ont été structurées par la querelle ricains à « walk to work ». Pendant la de la supplémentarité opposant l’Union préparation de COP6, la délégation compare la situation par rapport européenne au Juscanz (Japon, US, américaine allait donc se battre le dos Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), au mur, contrainte par deux préoccupa- aux compromis envisagés à La groupe qui réunit, autour des Etats- tions centrales. Haye en 2001 (COP6) - sans Unis, l’ensemble des pays de l’OCDE La première préoccupation concerne hors Europe, et ont laissé en arrière- la participation des pays en dévelop- parler des objectifs de Kyoto plan les questions pourtant décisives pement : dans une motion (Byrnn- divisant le ‘Nord’ et le ‘Sud’ autour des Sagell) votée à l’unanimité dès 1997, (1997) - le recul est important modalités permettant aux pays en déve- le Sénat américain déclare qu’il ne du point de vue de la perfor- loppement de participer de façon active ratifiera aucun accord ne comportant aux politiques climatiques. pas de participation significative du mance de l’environnement, et Ni l’échec de COP6, ni le compromis Tiers-Monde. Cette exigence surpre- de COP7 ne peuvent se comprendre nante, voire choquante, vient du fait les rhétoriques politiques ont sans revenir sur l’autonomisation des que l’élite politique américaine perçoit rhétoriques politiques par rapport à la comme déloyale (unfair) une architec- laissé en arrière-plan les réalité des enjeux économiques et des ture où le Tiers Monde n’a pas de quo- questions décisives divisant le rapports de forces diplomatiques. C’est tas d’émissions mais participe de plein pourquoi, sans rappeler les éléments droit aux négociations sur des méca- « Nord « et le « Sud » autour rassemblés dans l’article de Michel nismes qu’il ne s’appliquera pas à lui- Colombier et Benjamin Dessus, je des- même. Le Sénat ne demande pas à ces des modalités permettant aux sinerai le contexte diplomatique de la pays d’accepter des quotas mais il suit pays en développement de négociation, avant d’aborder les don- une logique « no representation nées de COP6, puis le compromis de without taxation » qui avait été respec- participer de façon active Marrakech. tée lors du protocole de Montréal sur l’ozone, et que les négociateurs améri- aux politiques climatiques. cains avaient abandonnée à Berlin Une négociation (1995) pour éviter une bataille poli- par Jean-Charles Hourcade en contexte défavorable tique incertaine. EHESS-CNRS L’objet de la seconde préoccupation est Il est difficile d’expliciter ici les raisons la réfutation de l’idée que Kyoto est une pour lesquelles l’Europe et le G77 ont aberration économique : un tiers des F é v r i e r 2 0 0 2 51
modèles internationaux disponibles drait rajouter la volonté de l’ex-URSS exportations augmentait exagérément (1) (Hourcade, Ghersi, 2002) donne de ne pas brader son ‘hot air’. Les la probabilité d’un prix moyen du car- pour les Etats-Unis un coût du carbone risques que les mécanismes de flexibili- bone trop élevé. inférieur à 50 $/teC (tonne d’équivalent té ne constituent qu’une échappatoire carbone), mais un autre tiers, incorpo- disparaissent alors pour les Etats-Unis, rant une vision plus pessimiste de la qui feraient en interne de 61 % à 89 % COP6 ou le compromis technologie ou de l’efficacité des sys- de leurs abattements, et ne subsistent manqué ? tèmes incitatifs, donne une valeur supé- que pour le Japon (de 35 à 58 % d’abat- rieure à 250 $/teC. C’est que les tements domestiques), voire l’Europe En l’absence de réelle discussion sur la Etats-Unis, bien que pouvant réduire dans certains modèles. En fait, ces supplémentarité, la négociation tard beaucoup de leurs émissions à bas coût risques ne peuvent réapparaître que par nouée à La Haye (3) allait se jouer ont un objectif de baisse de 25 à 30 % deux biais : un contrôle laxiste du MDP autour de la pression du Juscanz pour pour 2012, objectif particulièrement et la mise en jeu d’importantes quanti- des garanties vis-à-vis de coûts d’obser- ambitieux compte-tenu de l’inertie des tés de carbone séquestré par des plan- vance trop élevés, le groupe du G77 systèmes énergétiques. En fait, les négo- tations forestières ou, dans les sols, par restant en position de spectateur actif. ciateurs américains n’ont accepté de des transformations des techniques Deux types de garanties étaient ici envi- tels chiffres qu’accompagnés de méca- culturales. sageables en plus des mécanismes nismes de flexibilité et de l’inclusion Mais le Conseil des ministres euro- d’échange : dans le système d’activité de séquestra- péens de l’Environnement avait tra- - la fixation d’un prix-plafond du carbo- tion (piégeage net de carbone dans les duit, dès mars 1998, la clause de ne ; au cas où les faits donneraient rai- écosystèmes et aussi de six autres gaz à supplémentarité par une exigence de son aux modèles les plus pessimistes, et effet de serre). Ceci leur permettait, en « concrete ceiling » (plafond précis) où l’assurance donnée par les marchés effet, de pallier à toute mauvaise surpri- forçant un pays à limiter ses importa- internationaux de PEN ne suffiraient pas se de ce côté et de réfuter les arguments tions à un pourcentage de ses abatte- à rester en dessous du prix du carbone de leurs opposants intérieurs. ments totaux. Dans sa forme faible ‘acceptable’, les pays pourraient tenir Mais avec des marchés internationaux (une limite de 50 %) cette contrainte leurs engagements en payant un prix de permis d’émissions négociables n’opérait pas sur les Etats-Unis et frap- prédéterminé à un fonds d’observance (PEN), et sans même tenir compte des pait le Japon ; dans ses formes dures dont le produit serait utilisé pour finan- potentiels de séquestration du carbo- elle frappait durement le Japon en rai- cer des projets d’abattement, d’où ne, l’application mécanique du même son de ses coûts internes élevés et peu le concept de « paiement de restaura- échantillon de modèles donne un prix les Etats-Unis dont les coûts marginaux tion » ; si, au contraire, les prix du car- compris entre 6 et 74 $/teC. La borne d’abattement étaient faibles (sauf pour bone s’avéraient bas, les objectifs de inférieure justifie alors les craintes quelques modèles). Par ailleurs, en Kyoto seraient atteints sans problèmes européennes et la clause de supplé- contraignant la demande de permis, et le prix plafond ne serait pas atteint. mentarité que l’Europe a imposée on instaurait un décalage entre prix - la prise en compte, au titre de l’article dans l’article 17bis : le signal prix intérieurs (élevés) et prix mondiaux 3.4 du Protocole, d’activités ‘addition- serait trop faible pour orienter les (bas), peu gérable en raison des effets nelles’ de séquestration de carbone émissions sur des trajectoires compa- de distorsion de la compétition inter- dans les pays de l’annexe B ; l’interpré- tibles avec des plafonds de concentra- nationale. Comportant d’importants tation des européens était que ces acti- tion en GES tant soit peu ambitieux et effets pervers, l’idée d’un plafond pré- vités n’avaient pas été prises en compte les mécanismes de flexibilité ne cis (« concrete ceiling ») a perduré en lors de la fixation des objectifs de Kyoto seraient qu’une échappatoire aux raison de son efficacité rhétorique : on et que les inclure à La Haye revenait à actions domestiques. affichait, dans un contexte de critique réévaluer à la baisse ces objectifs ; le Ce risque, essentiellement dû à l’exis- du rôle du marché dans les affaires tence de ‘hot air’ (2) dans l’ex-URSS, mondiales, une volonté de ‘limiter’ doit cependant être relativisé en raison l’espace de la « marchandisation ». Les (1) Dans l’ensemble de cet article, nous nous des difficultés à réaliser, par les projets autres modalités, sur le fonds plus per- appuierons sur une analyse menée à partir du logi- ciel SAP12 (Stochastic Assessment of Climate MDP (mécanisme de développement tinentes, de traduction de l’objectif de Policies) qui représente, par des formes réduites, le propre), l’ensemble des abattements à supplémentarité étaient politiquement comportement de 12 modèles mondiaux expertisés dans le cadre de l’Energy Modelling Forum coûts faibles théoriquement disponibles moins efficaces. (Stanford) et du GIEC (Groupe d’experts intergou- vernemental pour l’étude du climat). dans les pays en développement : ces La conséquence fut que l’Europe abor- (2) Littéralement « air chaud », expression qui projets impliquent, en effet, d’impor- da COP6 avec une traduction de la désigne les quotas d’émission alloués à l’ex-URSS et qui seront, selon toute vraisemblance supérieurs tants coûts de transaction et ne pour- clause de supplémentarité inacceptable aux niveaux d’émission atteints par cette région du monde, ceci sans effort spécifique par le seul jeu de ront porter que sur une partie des par les Etats-Unis, parce qu’elle ruinait sa crise économique interne. sources d’émission, à savoir, les plus l’argumentaire politique mis en place (3) « Nous n’avons pas examiné de positions de repli ou de concessions, mais nous avons regardé centralisées. Des hypothèses plus réa- par les tenants de Kyoto pour désarmer dans quelle mesure les positions des autres corres- listes conduisent à une fourchette des les opposants : pour ces derniers, en pondaient aux nôtres » (Dominique Voynet, citée par une dépêche CNN-Reuters du 8 novembre prix de 32 à 169$/teC, ce à quoi il fau- effet, même un plafond de 50 % sur les 2000). 52 A n n a l e s d e s M i n e s
Juscanz faisait au départ une demande anti-fiscaux). Or les articles sur ‘l’obser- portant sur 183 MtC alors que l’Europe vance’ arrêtés à COP6 ne font peser n’admettait que 13 de séquestration aucune incitation directe sur les gou- « additionnelle » (ces chiffres sont à vernements pour les pousser à affronter comparer aux 900 Mtc d’abattement des mesures impopulaires : un gouver- nécessaires en moyenne sur les douze nement peut, en effet, simplement pas- modèles retenus ici, pour atteindre les ser à son successeur une dette objectifs de Kyoto). environnementale que celui-ci rem- Ces deux options furent critiquées pour boursera moyennant un coefficient porter atteinte à l’intégrité environne- multiplicateur, et ceci, sans limite de mentale du Protocole : d’un côté on report dans le temps. Il est dès lors pouvait arguer que le carbone piégé est trompeur de comparer les divers com- moins efficace que le carbone non promis à un scénario où, ‘candide- émis, de l’autre il n’y a aucune assuran- ment’, les gouvernements ne mettraient ce que les abattements financés par les pas à profit de telles facilités en cas de paiements de restauration suffisent à difficultés internes ; même les gouver- récupérer les abattements manquants (à nements « de bonne foi » auront ten- coût supérieur au prix plafond) pour dance à limiter l’effort interne à un atteindre les objectifs de Kyoto. Or il y niveau n’impliquant pas des risques Fig. 2. - Options de compromis a dans ces modes de raisonnement une politiques importants et à « passer le et prix du carbone. erreur de perspective, puisqu’on prend fardeau » à leur successeur. Candide : scénario « candide » comme base de comparaison une Dès lors, tout dépend de la volonté à Séq. : séquestration (piégeage) observance parfaite du Protocole sans payer des consommateurs. On consta- avec un prix plafond de 75$/teC et que, tenir compte du fait que, ni aux Etats- te, dans la figure 1 ci-dessous, que si les avec un prix de 50$/t, on a une bonne Unis ni en Europe, la disponibilité des objectifs de Kyoto sont atteints (en espé- chance de réduire les émissions par consommateurs à accepter un renché- rance mathématique) pour une disponi- rapport à 1990 (5). Avec l’hypothèse rissement des prix de l’énergie n’est pas bilité à payer de 100 $/teC, le déficit de séquestration tout dépend, bien sûr, de illimitée. Tout se joue alors sur la capa- performance environnementale est l’appréciation portée sur la valeur envi- cité des gouvernements à convaincre important pour 75$/t et 50$/t, cette der- ronnementale des tonnes piégées dans les consommateurs de l’intérêt de telles nière valeur laissant même peu de les plantation d’arbres. hausses (dans le cadre de réformes bais- chances de réduire des émissions par Pour ne pas se lancer ici dans des sant les prélèvements obligatoires les rapport à 1990. Par rapport à ces scéna- controverses qui se sont avérées fort plus distorsifs) ou à ‘socialiser’ le coût rios, l’adjonction d’un paiement de res- vives sur la valeur environnementale de la contrainte carbone en finançant tauration permet, en finançant des des tonnes piégées, il est plus simple sur le budget public les importations de abattements complémentaires, d’amé- d’analyser l’impact sur le prix du carbo- carbone et les programmes d’énergies liorer grandement les performances ne du ‘compromis du samedi matin’, le de substitution ou d’économie d’éner- environnementales puisque, en espé- dernier jour de COP6, et qui portait sur gie (au risque d’exacerber les réflexes rance mathématique, Kyoto est atteint 106 MteC de carbone séquestré dans un scénario ‘candide’ où la pleine observance irait de soi. On remarque alors (voir la figure 2) que l’espérance mathématique du prix du carbone passe de 75$/t à 54$/t, avec toujours des risques non négligeables de prix du carbone supérieurs à 100$/t (surtout sous hypothèse de pouvoir de marché (4) Du point de vue strictement environnemental, en effet, pour Mme Voynet, l’échec de La Haye et la nouvelle position des Etats-Unis ont « contraint les Européens à clarifier ce qui est vraiment important : commencer à réduire les émissions de gaz à effet de serre, se placer sur une trajectoire de réduction. Dès lors, le niveau de réduction, qu’il soit de 1 % ou de 5 % n’est pas essentiel » (M. Kempf, Le Monde, le 22 avr. 2001, www.lemonde.fr/climat) (5) Pour éviter des manipulations stratégiques, voire de corruption dans la sélection des projets, les Fig. 1. - Effets de paiements de restauration sur la performance environnementale. « offreurs » proposeraient leurs projets, et seront retenus tous les projets dont le coût/teC serait égal ou supérieur au prix qui épuiserait les ressources du ER : émission de référence — DP : disponibilité à payer — PR : paiement de restauration. fonds. F é v r i e r 2 0 0 2 53
exercé par l’ex-URSS), mais aussi avec l’Union européenne allait, dès la des risques plus importants de prix très Conférence de Bonn (juillet 2001), bas (avec 19$/t comme fourchette basse abandonner toute traduction concrète de l’espace de vraisemblance). Il est de la clause de supplémentarité et, en intéressant de comparer cette solution échange d’une comptabilité plus préci- avec un prix plafond de 54$/t. Une telle se qu’à La Haye sur les « activités addi- option qui débouche par construction tionnelles », accorder des « tonnes de sur le même effet signal, présente, par séquestration » bien plus généreuses rapport au compromis sur la séquestra- que dans le « compromis du samedi tion un double avantage : matin ». - une plus grande assurance vis-à-vis de La signature de l’accord de Marrakech risques de prix du carbone trop élevés ; est une victoire diplomatique en ce le « compromis du samedi matin » sens que, après l’isolement des Etats- translate vers le bas l’espace de vrai- Unis, la dynamique de Rio 1992 se semblance des prix du carbone mais poursuit ; mais, si l’on compare la situa- n’en modifie pas très sensiblement la tion par rapport aux compromis envisa- variance, ce qui fait dire à D. Bodansky, gés à COP 6 (sans parler des objectifs du département d’Etat sous l’adminis- de Kyoto), le recul est important du tration Clinton, que, n’était la proximité point de vue de la performance de l’en- des élections et la crainte de rétorsion vironnement : Fig. 3. - Comparaison La Haye - Marrakech de certains groupes environnementa- - il y a tout d’abord les « abattements listes, cette option aurait dû être privilé- manquants » liés au retrait des Etats- Les segments indiquent les valeurs giée parce que plus efficace à la fois Unis. On sait aujourd’hui que le plan minimales et maximales données par les économiquement et politiquement Bush revient à des abattements modèles mondiaux; les rectangles don- nent les moyennes, plus ou moins, de ([Bodansky, 2001) ; minimes par rapport aux scénarios de l’écart type selon que les marchés sont - des transferts plus importants vers les référence les plus fréquemment envisa- compétitifs (en grisé) ou oligopolistiques pays en développement en raison du gés pour ce pays (de l’ordre de 4 % des (en blanc). Les croix donnent l’espéran- ce mathématique des valeurs calculées. fait qu’une bonne partie des fonds col- scénarios d’émissions les plus pessi- lectés par le paiement du prix plafond mistes) ; ces chiffres doivent être com- devraient, dans un mécanisme transpa- parés aux abattements domestiques demande de hot air. Il est difficile de se rent d’enchères inversées (6), s’orienter dans le secteur énergétique dans l’op- risquer ici à quelques pronostics, même vers des projets dans ces pays ; alors tion prix plafond (de 172 à 377 MteC) si l’on peut penser qu’en l’absence du que les projets MDP ne débouchent et dans l’option séquestration (de 206 à plus grand importateur potentiel de car- que sur un surplus de 0,9 à 2,8 M$ dans 366 MteC) ; bone et en raison de l’introduction de le ‘compromis du samedi matin’, ils - l’absence de demande américaine fait de projets de séquestration dans le auraient été 3,5 fois supérieurs dans pour le carbone importé accroît le pro- MDP, le pouvoir de marché de l’ex- l’option prix plafond. blème posé par le ‘hot air’. Celui-ci est URSS sera réduit très fortement par rap- estimé aujourd’hui entre 237 et 516 port à la situation qui prévalait à COP6. MteC, alors que le total des obligations En cas de marché compétitif le prix du COP7 : un succès d’abattement des pays de l’Annexe B, carbone hot sera tout simplement nul. diplomatique et moins- signataires de Marrakech, est de 225 à Si l’on suppose maintenant que l’ex- disant environnemental ? 325 MteC ; URSS maximise ses revenus, alors, cela - à ceci se rajoute un total de 159 MteC réduirait ses exportations à une four- L’annonce par le président Bush du de permis additionnels de séquestra- chette 84 à 127, soit de l’ordre de la retrait des Etats-Unis du Protocole de tion ; la somme de ces permis et de la moitié de son potentiel, le surplus étant Kyoto allait, bien sûr, changer la donne, borne minimale de hot air excède alors mis en réserve pour la deuxième pério- le réflexe dominant des autres pays de 15 à 58 % les besoins d’abattement de budgétaire (après 2012). Dans ce étant qu’il était dangereux de laisser un les pays de l’Annexe B hors Etats-Unis. cas, qui est le plus favorable du point de pays, fût-il le plus puissant, mettre à bas Au total, en dehors de tonnes perdues vue de l’environnement, on trouve un de façon unilatérale plus de dix ans par le retrait des Etats-Unis, il y a donc espace de vraisemblance de 15 à 63 $/t d’effort. Mais, parce que le Protocole un risque certain de réduction de la avec 50 % de chance de prix inférieur à de Kyoto ne peut rentrer en vigueur performance environnementale dans 35 $/teC (voir la figure 3). Le recul est qu’après ratification par des pays repré- les pays signataires de Marrakech donc important par rapport à COP6 sentant 55 % des émissions de l’Annexe puisque les tonnes séquestrées et le hot puisqu’il est probable que le prix réel 1 de la Convention, deux groupes des air suffiraient à remplir les objectifs de s’établira entre le prix nul de marché pays voyaient se renforcer leur pouvoir Kyoto sans aucun effort sur le secteur compétitif et les 35$ de l’hypothèse de de négociation, le reste du Juscanz et énergétique. Tout se joue ici sur la plein exercice de pouvoir de marché l’ex-URSS. Devant cet état de fait, capacité de l’ex-URSS de rationner la oligopolistique de l’ex-URSS. 54 A n n a l e s d e s M i n e s
En dehors de la baisse du signal prix du pour un processus de décarbonisation rifier les termes du débat avec le Sud, carbone, une deuxième implication de de leur économie. Les optimistes rétor- mais ce débat ne pourra pas être Marrakech est l’effondrement de trans- queront qu’il suffit désormais de peu de contourné ; fert net en direction des pays en déve- choses pour que les institutions créées à - la crédibilité du système repose sur la loppement à 0,7 milliard de dollars Kyoto deviennent irréversibles et que ce prise de conscience des incertitudes même dans l’hypothèse de marché oli- «peu de choses» tient beaucoup à la concernant les coûts d’abattement et de gopolistique. capacité de leadership de l’Europe. Ici, la nécessité de s’assurer contre des Certes, la vigueur des efforts d’abatte- la capacité de l’Union européenne de dérives politiquement inacceptables ment dans les pays de l’annexe B, ne mettre en place un système de permis (du type prix plafond) ; en leur absence, dépendra pas que de la seule capacité d’émissions négociables (PEN) consti- il y a risque, en effet, soit que les pays de l’ex-URSS de maintenir des prix tuera un test important qui pourrait négocient des objectifs très timides, soit d’oligopole. Elle dépendra aussi de la d’ailleurs transformer les rapports de qu’ils s’apprêtent, en l’absence de toute capacité de l’Union européenne de ne forces dans les secteurs industriels réelle pénalité pour non observance, de pas recourir aux importations de hot air américains. reporter dans leurs efforts dans le et de traduire ainsi sa volonté politique Tout se jouera probablement désormais temps ; de ‘supplémentarité’. Mais cette posi- avant 2005, lorsque devra être négociée - sur les questions d’observance, devant tion risque d’être difficile à tenir pour l’évolution du régime au-delà de 2012. la difficulté de mettre en place des paie- des raisons de compétitivité industrielle On sait aujourd’hui que, vu l’état d’opi- ments effectifs autrement que par un puisqu’il est pratiquement certain que nion dominante dans les partis démo- mécanisme prix plafond, il faudra bien des pays comme le Japon ou le Canada, crate et républicain aux Etats-Unis, en venir à réexaminer la question des qui n’ont jamais mis en avant une telle l’enjeu est une adhésion conjointe des liens entre organisation mondiale du volonté, ne se priveront pas d’annexer à Etats-Unis et de grands pays du Tiers commerce et la Convention climat. Il des tonnes à bas coût. Dès lors, même Monde (Chine, Inde, Brésil, Mexique) s’agit ici du point qui soulèvera des des prix modérés du carbone de l’ordre dans un dispositif avec engagements résistances à la fois dans certains ONG 50$ la tonne pourraient présenter un contraignants. Les débats ne font que (Seattle syndrom) et dans les cercles de désavantage compétitif pour certains commencer sur le type d’engagement décideurs les plus opposés à une effec- produits des industries lourdes par rap- susceptible de réussir à lever les contra- tivité des régimes climatiques. port aux concurrents internationaux dictions inévitables venant de cette On aura compris dès lors que le futur (Etats Unis, autres pays de l’OCDE et contrainte politique. En revanche, si des politiques climatiques et de leur pays en développement) suffisamment une coordination par voie de quotas coordination internationale sera déter- significatif pour mobiliser une part échangeables continue de fournir le miné par le degré de prise de conscien- importante de l’industrie européenne cœur du système, il est possible de tirer ce des liens entre ce dossier et les contre la poursuite d’une politique plus des enseignements de semi-échecs de questions plus générales de développe- vertueuse que ne l’exige la lettre de la période passée : ment, d’organisation du commerce Marrakech. - un tel système est le seul qui assure mondial, sans, bien sûr, oublier celle de des flux financiers conséquents en la sécurité énergétique. ● direction des pays en développement, Les enseignements ce qui a d’ailleurs probablement joué des semi-échecs comme élément d’inquiétude non seu- lement aux Etats-Unis, mais aussi dans On ne peut aujourd’hui fournir une d’autres pays développés, y compris Bibliographie évaluation définitive du compromis de dans l’Europe ; mais au-delà de cet Marrakech. Les pessimistes feront valoir aspect strictement quantitatif, il BODANSKY, D. (2001). « Bonn voyage.Kyoto’s que nous nous trouvons en présence conviendra désormais de veiller à ce uncertain revival. » The National Interest, 45-55. d’un « régime climatique » fragmenté que ce transfert soit compatible avec les COLOMBIER, M., DESSUS, B., LAPONCHE, B. avec seulement un noyau minoritaire priorités de développement des pays « Négociations climat : quels engagements ? », Les Cahiers de Global Chance, 8, juil. 1997, pp. 57-64. des pays soumis à des engagements de pauvres ; la focalisation sur les ques- réduction des GES, avec d’ailleurs, pour tions de supplémentarité au sein de HOURCADE, J.C., GHERSI, F. (2002), « The Economics of Lost Deal », Energy Journal (à ceux-ci, une pression peu significative l’annexe B a jusqu’ici empêché de cla- paraître), 29 p. F é v r i e r 2 0 0 2 55
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