LA POLITIQUE SYRIENNE DE LA FRANCE DURANT LE QUINQUENNAT DE FRANCOIS HOLLANDE: NIVEAUX D'ANALYSE GEOPOLITIQUE - Civitas Gentium

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      LA POLITIQUE SYRIENNE DE LA FRANCE DURANT LE
          QUINQUENNAT DE FRANCOIS HOLLANDE:
            NIVEAUX D’ANALYSE GEOPOLITIQUE

Estelle Briot
Ecole Polytechnique
Promotion X2014
Sous la direction du Professeur Ioannis Th. Mazis,
Directeur du Laboratoire d’Analyses Géoculturelles sur la Turquie et le Grand
Moyen-Orient
Université Nationale et Kapodistrienne d’Athènes1

Introduction

    «De toutes les questions qui se rattachent à la question d’Orient, la question
de Syrie renferme peut-être les points les plus délicats et importants. C’est cette
question qui semble résumer toutes les fautes […] de notre politique, depuis
quelques années»2.
    Cette formulation saisissante d’actualité est celle d’Alphonse de Lamartine
qui, déjà en 1846, dénonçait le fait que la Syrie soit considérée uniquement
comme un terrain d’affrontements entre Le Caire et Constantinople – appuyés
par leurs alliés européens respectifs – et non comme un sujet en soi. Cette décla-
ration intervient après la crise diplomatique qui suit celle de 1833, à laquelle l’on
fait couramment référence sous le nom de «Question d’Orient». A cette époque,
la France soutenait l’Egypte du puissant pacha Mohamed Ali, qui s’était lan-
cé en 1832 à la conquête des provinces arabes de l’est de la Méditerranée. Par
peur du démantèlement total de l’Empire Ottoman sous la pression d’ambitions
concurrentes à la leur3, une coalition formée de la Grande-Bretagne, de la Russie,
de la Prusse et de l’Autriche envoya un ultimatum au Caire: Mohamed Ali fut
sommé d’abandonner la Syrie, qui retourna sous autorité ottomane.

1. LAURENS Henry & BASCH Sophie, Alphonse de Lamartine, La Question d’Orient:
Discours et articles politiques (1834-1861), André Versaille Editeur, collection «His-
toire», 2011
2.Voir FREMEAUX Jacques, La France et l’Islam depuis 1789, Presses universitaires de
France, Paris, 1991.
3. TOYNBEE Arnold, The Western Question in Greece and Turkey. A Study in the Con-
tact of Civilizations, 1922

                                      © 2019 Faculty of Turkish Studies and Modern Asian Studies
                                            National and Kapodistrian University of Athens
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    On ne peut s’empêcher de constater la ressemblance troublante de cette des-
cription avec le contexte actuel, dans lequel la Syrie de Bachar Al-Assad fait
figure de terrain d’affrontement entre puissances régionales, mais également à
une échelle plus large, celui des rapports de force entre les puissances interna-
tionales des Etats-Unis et de la Russie, chacune appuyée par ses alliés respectifs.
Selon une formulation judicieuse de l’historien britannique Arnold Toynbee, la
«question d’Orient» se révèle être en réalité une «Question d’Occident»4: celle de
la rivalité des puissances européennes entre elles et avec la Russie5. C’est toujours
le cas aujourd’hui, sur fond de rivalités géopolitiques intenses entre les Etats
membres de l’OTAN et la Russie, et d’antagonismes profonds entre puissances
régionales au Proche et Moyen-Orient. L’actuelle déconstruction géopolitique et
la fragmentation ethno-confessionnelle – dont la manifestation est le triomphe
du paradigme religieux islamiste avec l’émergence de l’ «Etat Islamique» – ne
peuvent être appréhendées sans prendre en compte le jeu des rivalités et des
enjeux stratégiques mondiaux générateurs de conflictualités dans cette région
hautement convoitée. Le concept géostratégique de «Moyen-Orient» s’oppose
ainsi au concept de la «question d’Orient», comprise au sens d’une interrogation
sur l’avenir de l’Orient.
    Nous choisirons d’adopter une démarche géopolitique dans notre étude de
la politique étrangère de la France à l’égard de la Syrie de 2012 à 2017. La géo-
politique est l’étude des rapports de force et des rivalités de pouvoir sur un
territoire géographique déterminé à travers l’analyse des représentations des
acteurs en présence. Elle peut également se définir en d’autres termes, comme
la description analytique des diverses actions traduisant le désir d’un Etat – ou
d’un système de gouvernement – de projeter et d’étendre sa puissance dans
l’ordre international, à commencer par ses voisins directs, puis par l’affirma-
tion d’une influence sur le reste du monde. En définitive, la définition que nous
adopterons pour l’étude du sujet qui nous préoccupe est celle formulée par le
Professeur Ioannis Mazis, qui définit l’analyse géopolitique systémique en ces
termes: «l’analyse géopolitique d’un système géographique caractérisé par une
répartition inégale de la puissance est la méthode géographique qui étudie, dé-
crit et prédit les conséquences qui découlent des relations entre les différentes

4. La plupart des accords internationaux en Orient n’ont d’ailleurs été que le fruit
de compromis d’intérêts entre grandes puissances occidentales; on peut citer à titre
d’exemple le traité de Berlin (1878), remplaçant celui de San Stefano signé quelques
mois plus tôt, redéfinissant de façon arbitraire les frontières des Balkans et du Cau-
case.
5. Dissertation LXVI: «Methodology for Systemic Geopolitical Analysis according to
the Lakatosian model», Geopolitics Academic Dissertations, vol.2 (2009-2016), Ioannis
Th. Mazis
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pratiques politiques visant à une redistribution de la puissance, ainsi que de
leurs idéologies, dans le cadre des complexes géographiques sur lesquels s’exer-
cent ces pratiques»6.
     Ainsi un phénomène local peut-il produire des effets au niveau régional
voire international, et inversement. C’est pourquoi nous accorderons ici une im-
portance majeure à l’étude des différents niveaux d’analyse du sujet qui nous
préoccupe. Ce papier se propose de mettre en évidence l’évolution profonde
de la politique étrangère française en Syrie depuis plusieurs décennies, dont la
nouvelle tendance atlantiste s’est vue particulièrement mise en exergue durant
le quinquennat du président François Hollande (2012-2017). Nous chercherons
ainsi à montrer que, parmi une mosaïque d’acteurs aux intérêts variés, la France,
qui bénéficiait par le passé d’une aura de puissance, en particulier parmi les
pays arabes, a lourdement perdu en influence, se voyant désormais reléguée au
rang de puissance secondaire dans les négociations à propos du conflit syrien.
    Tout d’abord, on ne peut appréhender les enjeux géopolitiques de la pré-
sence française au Proche et Moyen-Orient, et plus particulièrement en Syrie,
sans les contextualiser régionalement. On se place ici dans le cadre du modèle
décrit par Nicholas John Spykman (1893-1943), théoricien des relations interna-
tionales, dont l’approche révèle toute la complexité de l’analyse géopolitique.
Spykman, qui soulignait devant les décideurs politiques américains7 l’impor-
tance stratégique du Rimland – dont fait partie la région du Proche et Moyen-
Orient – accorde dans sa théorie de la géopolitique une attention toute parti-
culière à la question des politiques étrangères des Etats, qui sont selon lui le
résultat de l’analyse de plusieurs facteurs géographiques devant nécessairement
être pris en compte par leurs dirigeants, si les Etats souhaitent s’affirmer sur la
scène internationale. Sa démarche, qui vise à l’origine à théoriser les facteurs
de la politique étrangère américaine de puissance, s’appuie en particulier sur
les fondements géographiques de la puissance, qui revêtent un caractère crucial
pour le sujet que nous souhaitons traiter dans cet article. Spkyman définit ainsi
dans sa théorie la situation d’un Etat comme l’un de ses facteurs de puissance,
voire comme «le facteur le plus fondamental de sa politique étrangère», dans la
mesure où elle influence la nature même de l’Etat en question.
    Depuis plusieurs années l’on assiste à une reconfiguration progressive des
rapports de force sur la scène moyen-orientale, alors que se jouent des batailles
gigantesques pour le contrôle du plus grand réservoir d’énergie du monde, qui

6. America’s strategy in world politics – the United States and the balance of power, Nicho-
las John Spykman, 1942
7. Ioannis Th. Mazis, Dissertation XLI: «L’effet syrien et l’analyse géopolitique et
géostratégique du Moyen-Orient actuel», Geopolitics Academic Dissertations, vol.2
(2009-2016), Leimon Publishers, 2016.
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est aussi de un carrefour géographique stratégique entre les trois continents
européen, asiatique et africain. Placée au centre géographique des tensions en
Irak, en Palestine, au Liban, ou encore en Iran, la position du territoire syrien est
éminemment stratégique: elle représente le «cœur arabe» de la région, lui per-
mettant ainsi de jouir d’une capacité d’influence supérieure à celle d’autres pays
ne disposant pas de cartes géopolitiques comparables. La Syrie constitue ainsi la
clé de ce carrefour stratégique, au sein duquel la disparition d’un axe Téhéran –
Damas – Hezbollah représenterait, comme le souligne le Professeur Mazis8, une
opportunité stratégique majeure pour l’Occident, en particulier pour la résolu-
tion de la question israélo-palestinienne, dont la présence de telles influences
étrangères ne facilite pour l’instant pas la résolution, et continue à alimenter le
climat explosif régnant dans la région proche et moyen-orientale.
    Quant à la France, elle possède à la fois une très longue façade maritime avec
les pays du golfe arabo-persique et la plus large communauté arabo-musulmane
d’Europe occidentale. Nous serions en droit de penser que ces deux facteurs
majeurs, de nature géographique et démographique, devraient à eux seuls né-
cessairement conduire à l’élaboration d’une politique étrangère stratégique à
long terme, et non pas à une suite de réactions décidées en fonction des béquilles
économiques que certains pays offrent à l’industrie française. Pourtant, si l’on
remonte quelques années en arrière, force est de constater qu’un changement, si-
non une rupture, s’est opéré(e) dans la politique étrangère française au Proche et
Moyen-Orient. On peut en effet estimer que la France se définissait auparavant
comme un acteur incontournable dans la région ; or, le quinquennat du prési-
dent François Hollande a frappé par l’absence d’une ligne structurante sur le
dossier proche et moyen-oriental, et plus particulièrement dans le conflit syrien.
    Il n’est bien sûr pas nouveau de constater à quel point la ligne française s’est
éloignée de l’intention première d’une politique étrangère, à savoir l’intérêt na-
tional9. Ce constat, qui a été fait pour quasiment tous les pays occidentaux - à

8. La notion apparaît au 18ème siècle sous l’influence des révolutions américaine et
française, avec l’émergence de la notion de nation en tant que corps politique du
peuple souverain: elle marque un tournant, car les actions étatiques ne sont plus
seulement conduites en fonction des intérêts d’un monarque ou d’une dynastie,
mais également en fonction des intérêts du peuple.
9. Marc Dambre et Richard J. Golsan, 2010, L’exception et la France contemporaine: His-
toire, imaginaire et littérature: «Le discours politique ou le discours commun sur l’excep-
tionnalité trouvent de sérieux renforts […] dans la tradition historiographique, comme
ce fut le cas dans l’Europe des nations, au XIXème siècle, à la veille de la Grande
Guerre, ou après 1945. Il ne s’agit certes pas, comme naguère, d’une historiographie
nationaliste ou, pire, belliciste, mais de courants, plus ou moins importants, plus ou
moins identifiables, qui postulent l’exceptionnalité française comme un fait établi qui
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l’exception notable des Etats-Unis - dès le lendemain de la seconde guerre mon-
diale, est devenu de plus en plus évident avec le processus dit de mondialisa-
tion. Il n’en demeure pas moins que la France a régulièrement adopté depuis la
fin de la seconde guerre mondiale cette posture «gaullienne» d’indépendance,
censée résumer «l’exception française»10 à tous les niveaux de définition de la
puissance. Mais ne s’agit-il précisément que d’une posture? Force est en effet
de constater que les quinquennats successifs de Nicolas Sarkozy et de François
Hollande traduisent un alignement grandissant de la France sur les positions
américaines.
    Certains expliquent cette évolution par l’enracinement en France de la doc-
trine «néoconservatrice» qui avait pour but premier de renouer des liens étroits
avec Washington après le refroidissement dû à la prise de position du président
Chirac à propos de l’intervention américaine en Irak en 2003. En politique étran-
gère, les néoconservateurs prétendent lutter contre les formes de terrorisme et
d’extrémisme, et mettre en œuvre l’installation de gouvernements démocratiques
dans les pays émergents, au nom de la supériorité des «valeurs» démocratiques
et de la «civilisation»11 occidentale. Dans les faits, il s’agit d’une politique inter-

ne mérite jamais d’être démontré, sinon par des arguments internes à l’histoire de
France elle-même, et dans lequel toute idée d’histoire comparée apparaît quelque peu
suspecte. C’est le cas, notamment, de toute une tendance de l’histoire politique fran-
çaise, […] laquelle insiste beaucoup sur l’exception institutionnelle, culturelle ou idéo-
logique de la politique française contemporaine, tout en refusant, voire en récusant
toute idée d’histoire comparative […]: l’exception française est ainsi érigée en postulat
et non en résultat d’une observation comparée à large échelle.»
10. Pour une récapitulation récente de cette vision néoconservatrice du monde et de
ses conséquences désastreuses, voir l’article de Jonathan Marshall, «The US Hand in
the Libyan/Syrian Tragedies» Consortiumnews, juin 2017, https://consortiumnews.
com/2017/06/09/the-us-hand-in-the-libyansyrian-tragedies/. Pour une traduction
française voir http://www.les-crises.fr/la-main-des-etats-unis-dans-les-tragedies-
libyenne-et-syrienne/
11. Il est néanmoins intéressant de souligner que ce principe est appliqué de façon
pour le moins ciblée et sélective: que dire de l’aveuglement volontaire des respon-
sables français quant aux violations quotidiennes des droits de l’homme par leur
allié saoudien?... L’écrivain algérien Kamel Daoud, vainqueur du Prix Goncourt
du premier roman 2015, dénonce dans une tribune publiée le 20 novembre dans
le New York Times le double-jeu du royaume saoudien: «l’Arabie Saoudite est un
[Etat Islamique] qui a réussi. Tandis que [l’Etat Islamique] égorge, tue, lapide, coupe
les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et
l’étranger non musulman, l’Arabie Saoudite est mieux habillée et plus propre, mais
fait la même chose».
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ventionniste, soutenant les régimes (dictatoriaux ou non) favorables aux intérêts
occidentaux, et recourant à la force militaire pour renverser les régimes «dissi-
dents», c’est-à-dire à contre-courant de ces mêmes intérêts. Les thématiques du
néoconservatisme à la française auraient commencé à imprégner le débat public
à la suite des attentats du 11 septembre 2001, alors que le discours de Dominique
de Villepin au Conseil de Sécurité de l’ONU (contre l’intervention américaine
en Irak) semblait renouer avec l’ancienne politique arabe gaullienne. Cet acte
de défiance hautement symbolique aurait considérablement ébranlé le système
politique et diplomatique français et, ouvrant la voie à de nombreux partisans
de l’approche néoconservatrice, parmi lesquels l’ancien ministre aux Affaires
étrangères et européennes (sous Nicolas Sarkozy) Bernard Kouchner, ou le phi-
losophe Bernard-Henri Lévy, tous deux soutiens indéfectibles de Georges W.
Bush en 2003. Sous leur impulsion, malgré les conséquences désastreuses des
guerres préventives humanitaires et l’échec géostratégique de la «guerre contre
le terrorisme» menée par les Etats-Unis, passant sous silence leur rôle pourtant
actif dans la poudrière du Moyen-Orient, la classe politique française se range
progressivement sous l’étendard américain.
    On assiste depuis à l’alignement de la pensée politique française sur un libé-
ralisme hors sol, axé sur une vision du monde atlantiste, loin d’une approche
réaliste ou pragmatique des relations internationales. Que ce soit face à la Rus-
sie, l’Iran ou encore l’Algérie, la France peine à réellement se singulariser et à
redevenir une force de proposition. Ainsi, depuis 2007, la France a-t-elle été
pleinement réabsorbée dans les structures militaires de l’OTAN, instrument de
tutelle américaine cadrant les rapports euro-atlantistes, laissant ainsi le projet
d’Europe de la défense bloqué au stade embryonnaire depuis dix ans. L’une des
meilleures illustrations de cet alignement est sans doute l’intervention militaire
de 2011 en Libye, dont le résultat est semblable à celui obtenu par Georges W.
Bush en Irak: un régime renversé et un pays laissé dans un chaos que la France
n’a hélas aucune capacité à gérer. Cette intervention, comme toutes les autres
– et elles sont nombreuses sous François Hollande – a été justifiée par les prin-
cipe de «diplomatie des droits de l’homme»12, ou d’«ingérence humanitaire»13,

12. Le concept d’ingérence humanitaire a été théorisé à la fin des années 1980, no-
tamment par le médecin et homme politique Bernard Kouchner, et le professeur de
droit Mario Bettati. Elle puise son fondement dans la déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948; une ingérence ne serait légitime que lorsqu’elle est mo-
tivée par une violation massive des droits de l’homme et qu’elle s’inscrit dans un
cadre international (un mandat des Nations Unies par exemple).
13. Sous le prétexte notamment que la France ne peut pas rester passive face à des
massacres. Pourtant, la crise la plus meurtrière depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale est celle du Congo – les chiffres vont de deux millions à plus de six mil-
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prenant appui sur la conviction qu’il est du devoir14 de la France de faire res-
pecter les droits de l’homme dans le monde, au détriment de principes tels que
la non-ingérence ou la souveraineté nationale, pourtant inscrits dans le droit
international. Selon le journaliste Renaud Girard, «la réalité est que ces beaux
mots cachent le plus grand flou stratégique où l’urgence de l’émotion supplante
trop souvent l’épreuve de la raison»15.
    Ce nouveau fer de lance de la diplomatie française16 s’inscrit dans l’évolu-
tion de la conception des relations internationales à partir de la fin de la guerre
froide: il s’agit de la réémergence du paradigme idéaliste, vision de l’ordre mon-
dial fondé sur les principes du droit international, et en particulier des droits de
l’homme. Cette tendance est surtout celle de la judiciarisation de l’usage de la
force, nécessitant une cause «juste» pour être employée - l’intervention en Irak a
d’ailleurs été présentée par les américains comme relevant de cette inspiration -
incarnée par la montée en puissance de l’ONU, qui a caractérisé les années 1990
et 2000 jusqu’à 2008, alors que la Russie était encore effondrée. C’est le retour
de la Russie sur la scène internationale à partir de 2008 qui signe le retour à une
vision réaliste et notamment celui de l’Etat comme acteur principal du jeu inter-
national.
    En dépit de ses conséquences désastreuses, la politique étrangère française
au Moyen-Orient menée par François Hollande et Nicolas Sarkozy avant lui
resterait donc contaminée par la même tendance néoconservatrice que celle de
l’administration Bush Jr, très rarement remise en question avant la présidence
Obama, malgré la multiplication des foyers de terrorisme qu’ont engendrée les
aventures euro-américaines militaires successives au Moyen-Orient. Ainsi, sur
les grands dossiers de la région, le président Hollande s’est indéniablement éloi-
gné des fondamentaux de la politique extérieure de la France, déjà largement
égratignés par ses prédécesseurs. Entre prises de position agressives, interven-
tionnisme désastreux et décisions hâtives et teintées d’idéologie, la France a
semble-t-il continué de perdre sa crédibilité sur la scène internationale. En té-

lions de morts –, qui est pourtant passée sous silence médiatique…
14. Voir son ouvrage Quelle diplomatie pour la France? Prendre les réalités telles qu’elles
sont, Renaud Girard, Les éditions du Cerf, Paris, 2017.
15. L’essayiste Hadrien Desuin, spécialiste des questions internationales et de dé-
fense, dénonce dans son ouvrage les travers de la politique des bonnes intentions à
laquelle souscrit la France: «l ne sert à rien de pérorer entre amis sur la grandeur de
ses idéaux. Le diplomate n’est pas un prophète ou un humanitaire qui appelle les
populations à s’aimer les uns les autres». Hadrien Desuin, La France atlantiste ou le
naufrage de la diplomatie, 2017, p.???
16. Le changement c’est maintenant – Mes 60 engagements pour la France, 2012. Engage-
ment n°59: «Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien».
                                                                 Civitas Gentium 7:1 (2019)
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moigne également la position ambiguë du gouvernement Hollande sur le dos-
sier israélo-palestinien, fruit d’un alignement progressif sur la rhétorique amé-
ricano-israélienne: entre le refus hautement symbolique de reconnaître officiel-
lement l’Etat palestinien – quand bien même 137 Etats ont à ce jour franchi cette
étape, et qu’il s’agissait de l’un des engagements pris par François Hollande
avant son élection à la présidence de la République17 – et certaines déclarations
controversées du chef de l’Etat18, la France semble s’ôter à elle-même l’opportu-
nité d’exercer une réelle influence de médiateur, que certains estiment pourtant
cruciale dans ce conflit devenu le «cancer» des relations internationales19.
   Lors de la Semaine des ambassadeurs – anciennement Conférence des am-
bassadeurs – qui s’est tenue fin août 2015, le discours d’ouverture20 de Fran-
çois Hollande fut révélateur: ce qui devait constituer une réelle feuille de route
pour les diplomates français ne fut en réalité qu’une suite de considérations
générales sur l’état du monde. Son gouvernement invoque une volonté de
ne pas s’enfermer dans un cadre conceptuel, afin d’être capable de réagir au
«cas par cas»; cette approche se voulant pragmatique s’est pourtant révélée
fatale, privant la France de toute capacité d’anticipation. Depuis le début des
«printemps arabes», l’action diplomatique française s’est caractérisée par une
grande incohérence, la stratégie à adopter étant à chaque fois décidée à la der-
nière minute. Prise au piège de ce qu’Antoine Sfeir, journaliste et politologue
français d’origine libanaise, appelle «l’Orient compliqué», la France, dépour-
vue de toute marge de manœuvre, se retrouve à la remorque des multiples
développements de la scène internationale, en particulier de la crise syrienne.
L’absence de la France aux pourparlers d’Astana, en janvier 2017 (alors même
que l’Armée Syrienne Libre, que notre gouvernement soutient, était conviée),
constitue une illustration supplémentaire de la perte d’influence de notre
pays. Alors que l’avenir de la région se dessine sous l’impulsion des rivalités
internationales et régionales, la France fait preuve d’une diplomatie vacillante,
amoindrissant fortement son influence sur la scène moyen-orientale: selon la

17. Lors de sa première visite d’Etat en Israël en 2013, le président de la République
a déclaré à son arrivée à Tel-Aviv, à l’intention du président israélien Shimon Peres
et de son premier ministre Benyamin Nethanyahou: «Je suis votre ami et je le resterai
toujours» http://www.lepoint.fr/monde/pourquoi-hollande-defend-corps-et-ame-
israel-18-11-2013-1758330_24.php
18. Selon la formulation de la diplomate portugaise Ana Gomes, élue au Parlement
Européen.
19. http://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/25_08_discours_ouverture_semaine_
des_ambassadeurs_cle8732e3.pdf.
20. http://premium.lefigaro.fr/vox/politique/2015/10/30/31001-20151030ART-
FIG00348-libye-syrie-ukraine-le-waterloo-de-la-diplomatie-francaise.php
Civitas Gentium 7:1 (2019)
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formulation du journaliste Jean-Michel Quatrepoint, «la Syrie, c’est le Water-
loo de la diplomatie française»21.
    Dans cette perspective, la réponse à la question que nous nous posions plus
haut à propos de la posture d’indépendance de la France serait donc positive:
l’indépendance affichée serait purement factice. L’occidentalisme a progressi-
vement remplacé l’exception française. Mais comment alors expliquer ce déca-
lage entre la posture et la pratique françaises? S’agit-il d’une évolution inéluc-
table due au processus de mondialisation et au «nouvel» ordre mondial après
la chute du mur de Berlin (réduction majeure de la place des Etats dans les rela-
tions internationales, disparition de la prise en compte de l’ «intérêt national»)?
S’agit-il d’une évolution liée à l’intégration toujours plus grande dans l’Union
Européenne, elle-même clairement inféodée à la vision du monde américaine?
Ou sommes-nous en présence d’un mouvement qui trouve essentiellement son
fondement dans des évolutions nationales, et donc réversible avec le retour pos-
sible de la souveraineté française? Ces interrogations sont sous-tendues par un
questionnement sur le contenu de l’intérêt national français et de sa place dans
la politique étrangère de notre pays.
    Il convient ici de s’attarder sur cette notion d’intérêt national, par rapport à la
question syrienne: quels seraient les intérêts en Syrie d’un Etat français souve-
rain? Si l’on se place dans le cadre réaliste d’un système international fondé sur
des rapports de puissance, dans lequel il n’existe pas de gendarme international
(l’ONU producteur de normes ne dispose pas de l’usage de la force), l’intérêt
d’un Etat résiderait principalement dans l’exercice de sa souveraineté, et dans
sa capacité d’action. Dans cette perspective, est-il dans l’intérêt de la France de
souscrire à la diplomatie des droits de l’homme, ou de bombarder l’Irak et la
Syrie en tant que membre d’une coalition ? Est-il dans l’intérêt de la France de
se placer dans une position de dépendance vis-à-vis du royaume saoudien en
échange de quelques contrats d’armement qui bénéficient à l’industrie de dé-
fense française? On peut certes parler ici d’intérêt économique, mais celui-ci doit
toutefois être mis en balance avec la souveraineté de l’Etat: à long terme, la vente
de la souveraineté française représente-t-elle vraiment un calcul profitable?
    Cette question, plus que pertinente lorsque l’on en vient notamment à nos
relations avec l’émirat du Qatar22, revient d’ailleurs aujourd’hui sur le devant

21. Voir le livre de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Nos très chers émirs,
Michel Lafon, Paris, 2016, enquête dévastatrice pour certains politiques français,
en tant qu’elle révèle les ressorts d’une relation totalement déséquilibrée entre la
France et les pays du Golfe, sur fond de contrats commerciaux.
22. Ioannis Th. Mazis, Dissertation XLI: «L’effet syrien et l’analyse géopolitique et
géostratégique du Moyen-Orient actuel», Geopolitics Academic Dissertations, vol.2
(2009-2016), op.cit.
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de la scène avec la violente crise diplomatique opposant Riyad (ainsi que ses
alliés du Golfe) à Doha, déclenchée peu après la fracassante visite du président
américain Donald Trump en Arabie Saoudite, durant laquelle il a appelé à isoler
diplomatiquement l’Iran. Nous ne pouvons d’ailleurs que remarquer la coïnci-
dence temporelle de la récente «préoccupation» affichée par la France vis-à-vis
du Qatar avec cet événement. En outre, dans l’état actuel de la situation, si l’on
s’intéresse aux intérêts économiques à proprement parler, la mise à distance de
l’Iran et de la Russie, dont l’importance stratégique pèse pourtant au Proche et
Moyen-Orient, semble représenter une erreur tactique supplémentaire. En effet,
comme nous le détaillerons par la suite, à la fois l’Iran et la Russie possèdent de
nombreuses raisons de ne pas permettre l’éloignement de Bachar Al-Assad et
du parti Baas sans compensations géostratégiques23.
    A notre sens, dans le conflit syrien, l’intérêt français résiderait surtout dans
l’adoption d’une posture de médiateur indépendant, plutôt que dans l’actuelle
prise de position hâtive et tranchée aux côtés de l’ «opposition»24 syrienne. En
définitive, il nous paraît trop simpliste d’affirmer que la politique étrangère
contemporaine de la France va actuellement entièrement à l’encontre de ses
intérêts nationaux. Elle n’est pas non plus nécessairement en rupture systé-

23. Le terme «opposition» provient à l’origine du régime parlementaire britannique.
Le groupe d’opposition à la majorité y possède un statut officiel, lui permettant d’in-
fluer sur les décisions gouvernementales prises par la majorité au pouvoir. L’oppo-
sition représente par conséquent la partie de l’électorat qui n’est pas formellement
représentée par la majorité, mais existe tout de même. Qualifier d’ «opposition» la
mosaïque de groupes armés d’allégeances variées sévissant sur le territoire syrien,
comme l’ont rapidement fait les dirigeants français, équivaut selon nous à plaquer
des schémas parlementaires occidentaux de façon inappropriée sur une situation
qui ne s’y prête pas. Cette qualification est, à notre sens, peu pertinente, c’est pour-
quoi nous y référerons entre guillemets tout au long de ce papier.
24. Comme le soulignent Bernard Heyberger et Aurélien Girard, le syntagme «chré-
tiens d’Orient», couramment utilisé dans les médias pour désigner les chrétiens du
Proche-Orient, laisse entendre une homogénéité, ou tout du moins un sort commun
à tous les chrétiens de la région, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas, les mino-
rités chrétiennes du Proche-Orient se distinguant par la variété de leurs affiliations
ecclésiastiques et de leurs conditions politiques et culturelles, qui ne sont pas exclu-
sivement liées à la prédominance de l’Islam. Cette expression, typiquement fran-
çaise, est en réalité associée au stéréotype de la «protection des chrétiens d’Orient»
par la France, et ne possède pas son équivalent dans d’autres langues européennes.
Voir «Chrétiens au Proche-Orient – Les nouvelles conditions d’une présence», Ber-
nard Heyberger et Aurélien Girard, Archives de sciences sociales des religions, 2015/3
(n°171).
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La Politique Syrienne de la France Durant le Quinquennat de Francois Hollande   239

matique avec ses orientations traditionnelles. Nous en voulons pour preuve le
fait que la France continue à afficher son attachement à son rôle de protectrice
des «chrétiens d’Orient»25 que la France a endossé depuis les «Capitulations»
de François Ier26, et qu’elle a semblé continuer à exercer depuis au niveau gou-
vernemental27, et ceci même si l’opinion publique française peut à cet égard

25. Suite à l’alliance conclue en 1536 entre François Ier et le sultan ottoman Soli-
man (dit “le Magnifique”), les «Capitulations» accordent des privilèges consulaires
aux diplomates et aux négociants français au Levant. La France, qui conclut ainsi
un accord avec un empire musulman tout en revendiquant le rôle de «fille aînée
de l’Eglise», se justifie auprès des autres puissances chrétiennes en mettant en
avant les garanties ainsi offertes aux pèlerins européens en Terre sainte (qui font
d’ailleurs écho aux garanties transmises par le calife abbasside Haroun al-Rachid
à Charlemagne au début du IXe siècle). «L’association de chrétiens d’Orient aux
échanges franco-ottomans entraîne au fil des siècles une extension progressive à ces
partenaires locaux des privilèges locaux des privilèges reconnus pour les expatriés
français.» Voir FILIU Jean-Pierre, Les Arabes, leur destin et le nôtre, La Découverte,
Paris, 2015, p.9. Dans Que sais-je? La diplomatie française, Presses universitaires de
France, 1946, Carlo Laroche considère que l’une des grandes traditions françaises
est le rayonnement, et que le plus ancien théâtre de ce rayonnement est l’Orient, où
l’action de la France s’est exercée avec le plus de constance et d’efficacité. Il s’agit
en fait de deux aspects d’une même tradition: hier, la politique des Capitulations, et
aujourd’hui, notre politique culturelle.
26. Dans une interview exclusive accordée au quotidien La Croix le 27 mars 2015,
l’ancien ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius qualifie la «protection des
chrétiens d’Orient» de «tradition pour la France, […] constitutive de notre histoire,
de notre identité même, mais aussi de celles du Moyen-Orient». Voir le texte de l’in-
terview: http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Laurent-Fabius-La-protec-
tion-des-chretiens-d-Orient-est-une-tradition-pour-la-France-2015-03-26-1295826.
En témoigne son initiative de mobiliser la communauté internationale face aux per-
sécutions systématiques commises par les groupes terroristes contre les «chrétiens
d’Orient» (et d’autres minorités), en convoquant fin mars 2015 un débat du Conseil
de Sécurité des Nations Unies sur les victimes de violences ethniques et religieuses
au Moyen-Orient. Voir à cet effet http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-
etrangere-de-la-france/la-france-a-l-onu/evenements-et-actualites-lies-aux-na-
tions-unies/presidence-francaise-du-conseil-de-securite/presidence-francaise-du-
conseil-de-23951/article/chretiens-d-orient-et-minorites.
27. Voir le sondage de l’IFOP Les Français et les chrétiens d’Irak, paru le 4 août 2014.
S’il ne traite que de la question des «chrétiens d’Irak», ses conclusions n’en sont
pas moins intéressantes: «l’opinion publique souhaite que la France apporte une
aide à cette population, mais la majorité (47%) attend que la France agisse avec les
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être qualifiée au mieux de fluctuante28. Ceci dit, assimiler la définition de l’in-
térêt national avec les considérations de l’opinion publique nous paraît une
démarche risquée.
     La thèse que nous soutenons ici est la suivante: la question de l’intérêt natio-
nal, pour une bonne part, ne se trouve simplement plus au cœur du processus
décisionnel visant à établir la politique étrangère de la France. Il ne s’agit plus,
selon nous, d’un niveau d’analyse pertinent, car François Hollande29 se place
en réalité dans une posture supranationale: la France n’est plus envisagée en
tant qu’Etat souverain et indépendant, mais en tant que membre de différentes
«communautés», européenne tout d’abord, mais aussi de la «communauté inter-
nationale»; et c’est à l’intérieur de ces «communautés», définies tout à la fois de
manière idéologique, juridique, et politique, que la France définit et justifie ac-
tuellement son comportement et ses discours. Ce phénomène représente à notre
sens un dérèglement stratégique majeur; comment expliquer sa prévalence?
    Dans un premier temps, nous verrons que l’étude d’une perspective histo-
rique des relations franco-syriennes et de la politique de la France en Syrie, de-
puis la signature des accords Sykes-Picot, permet de constater un effacement
indéniable ainsi qu’une perte d’indépendance française dans une région dans
laquelle elle jouait auparavant un rôle de médiateur. Comment expliquer cet
effacement? Il est nécessaire d’identifier les facteurs géopolitiques principaux
affectant la politique étrangère de la France, afin de comprendre son évolution
en Syrie, et d’en tirer éventuellement des enseignements pour l’avenir. Nous
nous placerons ici dans une perspective géopolitique, qui nous paraît la plus
pertinente pour étudier la politique étrangère contemporaine de la France en Sy-
rie. Nous utiliserons dans ce travail la méthodologie pour l’analyse géopolitique
systémique du professeur Mazis30. Il convient par conséquent, dans un premier

chrétiens d’Irak comme elle le ferait pour d’autres minorités persécutées ailleurs
dans le monde quand seulement 19% désirent que notre pays les aident davantage
au motif que «la France a des liens très anciens avec les chrétiens d’Orient ». Sur
ce dossier, le rôle attendu pour la France est donc qu’elle agisse au nom de la dé-
fense des droits de l’homme et du droit humanitaire plus qu’en tant que puissance
protectrice tutélaire des chrétiens d’Orient» - http://www.ifop.fr/?option=com_
publication&type=poll&id=2736
28. On pourrait dire la même chose de son prédécesseur Nicolas Sarkozy.
29. Ioannis Th. Mazis, Dissertation LXVI: «Methodology for Systemic Geopolitical
Analysis according to the Lakatosian model», Geopolitics Academic Dissertations, vol.2
(2009-2016), op.cit.
30. Ioannis Th. Mazis, Dissertation LXVI: «Methodology for Systemic Geopolitical
Analysis according to the Lakatosian model», Geopolitics Academic Dissertations, vol.2
(2009-2016), op.cit.
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temps, de définir le «système» de notre étude: il s’agit ici de la Syrie, car il s’agit
du complexe géographique sur lequel s’exerce le facteur géopolitique principal
de notre étude, c’est-à-dire la politique étrangère française à l’égard de la Syrie.
Le super-système dans notre cadre d’étude n’est autre que le système internatio-
nal dans lequel s’exercent des rapports de puissance entre Etats.
    Nous chercherons, dans ce cadre d’analyse, à montrer que le niveau d’analyse
le plus pertinent pour expliquer l’évolution de la politique syrienne de la France
est celui du super-système; la France ayant aujourd’hui adhéré aux principes
du supranational (retour dans le commandement intégré de l’OTAN, adhésion
à l’UE, promotion de la notion d’appartenance à la «communauté internatio-
nale»), la source d’explication la plus pertinente de ses actions se trouve à notre
avis au niveau super-systémique, au sens de la définition qu’en donne le pro-
fesseur Mazis, que nous avons mentionnée ci-dessus. Il s’agira ainsi de démon-
trer que la politique syrienne de la France pendant le quinquennat de François
Hollande a été déterminée par deux facteurs géopolitiques majeurs s’exerçant
au sein du super-système: d’une part, l’antagonisme américano-russe, d’autre
part, la rivalité de puissance irano-saoudienne. Ces deux facteurs sont rendus
prédominants du fait de l’effondrement de la souveraineté française, due d’une
part à son intégration dans l’Union européenne et d’autre part, mais les deux
sont liés, à son alignement quasi-total sur les positions américaines. L’étude dé-
taillée de ces deux facteurs et de leur influence sur la politique étrangère fran-
çaise en Syrie (et plus généralement au Proche et Moyen-Orient) nous permettra
d’avancer une explication à l’évolution notable des positions françaises dans la
région. Nous tenterons finalement d’en tirer des conclusions pour le futur de la
politique étrangère française, en particulier dans le cadre de l’arrivée au pouvoir
d’une nouvelle administration, après l’élection d’Emmanuel Macron à la prési-
dence de la République en mai 2017.

I. Etude préliminaire: Les relations franco-syriennes dans une perspective
historique

   Se placer dans une perspective historique31 permet de faire le constat suivant:

31. Afin de mesurer la portée d’une démarche historique sur les relations franco-
syriennes, il nous semble opportun d’évoquer ici le texte qu’Hubert Védrine place
en tête de son chapitre consacré au Monde arabe dans Les mondes de François Mit-
terrand, Librairie Arthème Frayard, 1996, p.300: «Pour beaucoup d’intellectuels, de
journalistes, de responsables politiques, la France doit jouer au Proche-Orient un
«grand rôle conforme à son histoire». […] Mais, en dehors de l’action des papes ou
des évêques instigateurs de croisades, des rois, de l’audacieux accord de François
Ier avec Soliman le Magnifique, de l’intervention de Napoléon III au Liban en 1860
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la politique syrienne de la France a profondément évolué depuis l’indépendance
de la Syrie. L’influence française s’est progressivement amenuisée, au fur et
à mesure que nos dirigeants contemporains se sont rangés sous l’étendard
américain ou «atlantique» (mais également, avant cela, avec le développement
d’une puissante volonté d’indépendance des sociétés arabes); c’est ce que l’on
s’efforcera d’expliciter dans cette partie préliminaire.
    C’est le 16 mai 1916 qu’eut lieu, après des négociations entre la France et le
Royaume-Uni de novembre 1915 à mars 1916, la signature des accords secrets
Sykes-Picot, établissant une nouvelle partition du Moyen-Orient en quatre
mandats attribués par la Société des Nations (SDN). Dans ce découpage

                        Figure 1: Les accords Sykes-Picot (1916)
                                Source: Idé cartographie

afin de protéger les maronites des druzes […], de quel «rôle historique» de la France
parle-t-on?».
Civitas Gentium 7:1 (2019)
La Politique Syrienne de la France Durant le Quinquennat de Francois Hollande   243

arbitraire en zones d’influence, la France reçut la Syrie et le Liban – désormais sé-
parés en deux entités distinctes – tandis que l’Irak actuel et la Palestine revenaient
au Royaume-Uni. Il fallut attendre 1920 et la conférence de San Remo pour voir la
finalisation du mandat français sur la Syrie et le Liban, dont les objectifs fixés à la
France étaient l’indépendance des territoires sous son contrôle, après qu’ils eussent
atteint un niveau de «développement» politique et économique jugé suffisant.
    Un premier traité d’indépendance avait été signé entre la France et la Syrie en
1936, mais la présence française sur le territoire syrien se maintint jusqu’en 1945, en-
gendrant des soulèvements populaires32 qui menèrent finalement à un désengage-
ment militaire français achevé en 1946. L’indépendance fut proclamée le 17 avril 1947.
Depuis, les relations politiques33 franco-syriennes ont connu de nombreuses ruptures
liées aux différentes évolutions géopolitiques dans la région moyen-orientale.
    Après l’indépendance, des tensions entre les deux pays apparaissent, liées
tout d’abord au soutien français apporté à Israël dans le contexte du conflit is-
raélo-arabe, puis à la présence française en Algérie. Elles se dissipent progres-
sivement avec l’accès à l’indépendance de l’Algérie à la fin 1962. Ce rapproche-
ment se concrétise finalement avec la reprise des relations diplomatiques entre
la France et la Syrie (elles avaient été rompues le 2 novembre 1956 par la Syrie
en raison de ce que le ministre syrien Khalil Kallas avait qualifié d’«agression
franco-britannique contre l’Egypte»). C’est le début d’une période d’entente, il-
lustrée par des entretiens qui ont lieu à Paris en 1964 entre Charles de Gaulle
et son homologue syrien Haminé Al-Hafez, au sujet d’éventuelles aides écono-
miques que la France pourrait apporter à des projets de construction en Syrie.
Valéry Giscard d’Estaing recevra également le président Hafez Al-Assad à Paris
en 1976. Son ministre des Affaires Etrangères Louis de Guiringaud se rendra
également en Syrie en 1977 en compagnie du Premier ministre Raymond Barre.
Ils sont reçus par Hafez Al-Assad; c’est l’occasion de réaffirmer la coopération
franco-syrienne34.

32. «Alors que la France célèbre la capitulation allemande, les événements de mai
1945 manifestent la gravité des tensions accumulées […], alors que la Syrie et le Li-
ban sont largement engagés sur la voie de l’indépendance. […] La réaction française,
brutale et sans discernement, fait de nombreuses victimes innocentes: peut-être 400
morts lors du bombardement de Damas (29 mai)», FREMEAUX Jacques, La France et
l’Islam depuis 1789, Presses Universitaires de France, Paris, 1991, p. 202-203.
33. Si les relations politiques franco-syriennes ont fluctué en raison des différents
atermoiements géopolitiques au Moyen-Orient, la chercheuse à l’Institut français
de géopolitique Isabelle Feuerstoss explique que la dimension culturelle de ces re-
lations reste une constante. Voir son papier Les enjeux géopolitiques de la pénétration
culturelle française en Syrie: Quelques réflexions, Maghreb-Machrek, mars 2010.
34. Selon un communiqué ministériel, le Premier ministre «s’est félicité du déve-
                                                                Civitas Gentium 7:1 (2019)
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