LA PROFESSION D'AVOCAT AU CAMBODGE VERS UN MODE D'EXERCICE DIVERGENT ET PLURIDISCIPLINAIRE ?

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LA PROFESSION D’AVOCAT AU CAMBODGE
       VERS UN MODE D’EXERCICE DIVERGENT ET PLURIDISCIPLINAIRE ?

      Hormis des 33 membres radiés de l’ordre du barreau, la profession d’avocat au Cambodge
compte jusqu’en octobre dernier 594 membres en exercice, 69 membres non exerçant1 et 55
avocats stagiaires2. Elle est régie par le Kram3 du 22 août 1995 portant statut de la profession
d’avocat, la déontologie de l’avocat et le règlement intérieur, adoptés respectivement en octobre
et novembre 1995 par le conseil de l’ordre du barreau, ainsi que par d’autres règlements et
décisions du barreau.
      Avant le Kram du 22 août 1995, le rôle de l’avocat se voit limité à la pratique de droit dans
les salles d’audience, autrement dit, à la simple fonction de défendeur4. Ce rôle s’est élargi avec
le Kram de 1995 à une nouvelle fonction juridique consistant à donner des conseils et
consultations juridiques, et à rédiger des actes, notamment des actes de société5. A côté de ces
nouveautés qui étaient introduites par le Kram dans le fonctionnement intérieur de la profession,
étaient également autorisés, en dehors de l’exercice individuel, l’exercice au sein d’un groupe tel
que la société civile professionnelle, et en dehors de l’exercice indépendant, l’exercice de
collaborateur6. Malgré cette liberté d’exercice, l’avocat a été limité par le barreau à l’exercer en
qualité de salarié pour des raisons d’atteinte à l’autonomie et à l’indépendance de la profession
(I). En revanche, il est juridiquement possible aujourd’hui qu’un avocat exerce sa profession tout
en cumulant d’autres fonctions ou professions juridiques nonobstant leur incompatibilité (II).

    I. Rapport de l’indépendance et le statut salarial de l’avocat

      Le 22 juin 2007, le barreau a écrit à Cambodian Defenders Project (CDP), une organisation
non-gouvernementale travaillant sur l’aide juridique, en affirmant qu’il est contraire à la loi pour
l’organisation d’employer les avocats comme salariés car cela peut compromettre l’indépendance
de la profession7.

      La notion d’indépendance de la profession trouve son sens dans l’article 1 du statut de la
profession d’avocat qui dispose que « la profession d’avocat est une profession libérale et

1
  Dont 33 avocats non exerçant la profession pour des raisons d’incompatibilité de la profession et 36 autres
demandant à ne pas être inscrits au registre de l’ordre pour des raisons légitimes.
2
    Le barreau du Royaume du Cambodge, Statistique du nombre des avocats [en ligne],
http://www.bakc.org.kh/km/lawyer-statistic.html, (page en Khmer consultée le 07 février 2011).
3
  Le “Kram” désigne en droit cambodgien soit la loi promulguée, soit l'acte de promulgation d'une loi par le roi.
4
  Barreau du Royaume du Cambodge, Legal Profession in Cambodia, 2005, p. 16.
5
  Article 4 du statut de la profession d’avocat de 1995 : « Nul ne peut, s’il est avocat-membre, exercer un métier
rémunéré de consultation ou de rédaction d'acte juridique, si ce n'est à titre d'accessoire nécessaire de sa propre
profession, ou s'il est autorisé par la loi».
6
  Le Kram portant statut de la profession d’avocat de 1995 :
      Article 3 « L'avocat donne des consultations et rédige des actes juridiques».
      Article 46 « L'avocat exerce la profession à titre individuel, ou dans le cadre d'un groupe ou d'une société
         d'avocats constitué conformément à la loi ».
      Article 50 « L’avocat peut exercer en qualité de collaborateur d’autre avocat ».
7 Erika Kinetz et Prak Chan Thul, Bar Association tells NGO Not To Employ Lawyers on Staff, The Cambodia
Daily, volume 37, n° 52, 27 juillet 2007, p. 18.
indépendante qui participe au service de la justice ». Cette notion d’indépendance figure en
outre dans le serment de l’avocat8 avant son entrée en pratique de la profession. La question est
de savoir si la subordination juridique du contrat de travail compromet-elle vraiment
l’indépendance de l’avocat (B), alors qu’il existe bien l’indépendance de l’avocat collaborateur
en dépit de sa subordination sous un autre confrère (A).

       (A) Indépendance et avocat collaborateur

      Le contrat de collaborateur d’avocat intervient entre deux avocats indépendants, dont l’un
agit au nom et sous la responsabilité de l’autre9.

      Même s’il établit un lien de subordination entre le collaborateur et son supérieur
hiérarchique qui est un confrère, le contrat de collaboration doit contenir certaines clauses
obligatoires garantissant l’indépendance du confrère collaborateur. Sont obligatoires les
stipulations relatives à la faculté d’être déchargé d’une mission contraire à la conscience de
l’avocat collaborateur et à la liberté des choix des moyens10.

      Il ne doit en aucun cas stipuler des clauses limitant la liberté d’établissement ultérieure et le
respect des obligations et de règlement professionnels11.

      L’indépendance de l’avocat collaborateur est aussi assurée par l’obligation de soumettre le
contrat de collaboration au contrôle préalable du conseil de l’ordre12.

      Quant à la rémunération, l’article 68 du statut de la profession d’avocat prévoit les
modalités de compensation du travail de l’avocat, sous forme d’honoraires dont le montant est
fixé en accord avec son client en fonction du travail à effectuer, des compétences nécessaires,
des difficultés de l’affaire, du résultat procuré ou selon le barème honoraire fixé chaque année
par l’Ordre du barreau. Il s’applique à l’avocat collaborateur en rétrocession d’honoraires et non
en salaire.

      Ce mode de rémunération est-elle une obligation ou condition complémentaire à rendre sûr
l’indépendance des avocats dans leur exercice de la profession lorsqu’il y a déjà une dénaturation
de la collaboration en salariat dans la réalité de la pratique de la profession d’avocat au
Cambodge.

       (B) Indépendance et avocat salarié

     Si l’on part de l’analyse, qu’ont fait certains avocats, où ceux qui caractérisent l’exercice
d’une profession libérale, c’est de l’indépendance intellectuelle ou technique, même dans le

8
  Le serment de l’avocat stipulé dans l’article 34 de son statut est le suivant : « Je jure d'exercer ma profession avec
dignité, conscience, probité, humanité et indépendance en respectant la constitution et les lois du Royaume du
Cambodge ».
9
  Article 50 du statut de la profession d’avocat de 1995.
10
   Articles 51 et 68 du statut de la profession d’avocat de 1995.
11
   Article 52 du statut de la profession d’avocat du 1995.
12
   Article 52 du statut de la profession d’avocat du 1995.
cadre de la subordination juridique du contrat de travail, l’avocat salarié est un professionnel
libéral parce qu’il bénéficie, dans l’exercice de son art, de l’indépendance. Les exemples des
professions médicales comme les médecins ou les pharmaciens démontrent la compatibilité de
l’indépendance technique et de la subordination juridique. Toutefois, la préservation de cette
indépendance technique justifie que les relations contractuelles ne soient contrôlées par les
ordres.

      Le mode de rémunération, que ce soit le salaire ou l’honoraire, ne justifie pas la
dépendance de l’exercice de la profession d’avocat. Il existe parfois une vraie dépendance de
nature économique de certains avocats exerçant à titre individuel et rémunéré d’honoraire,
notamment lorsque leur clientèle est exclusivement institutionnelle (telle que la banque) et que le
montant des honoraires par dossier leur est imposé.

      De cette analyse, un avocat pourrait très bien avoir un statut salarial sans heurter à
l’indépendance de son exercice de la profession. Néanmoins, cette indépendance n’est garantie
que lorsque le contrat de l’avocat salarié soit vérifié par le conseil de l’ordre sur sa conformité à
la loi et au règlement. Il ne doit par ailleurs porter atteinte aux principes déontologiques et
d’autre règlement de la profession.

      Comme le contrat de collaboration, le contrat de travail de l’avocat salarié doit bénéficier
de la clause de conscience, c’est-à-dire que l’avocat salarié peut demander à être déchargé d’une
mission qu’il estime contraire à sa conscience ou susceptible de porter atteinte à son
indépendance ou à son intégrité. Il ne doit comporter de stipulations limitant la liberté
d’établissement ultérieur de l’avocat salarié.

      C’est peut-être pour assurer l’indépendance d’avocat salarié, que le secrétaire générale du
barreau Ly Tay Say a affirmé en 2007 qu’il fallait un protocole d’accord (Memorundum of
Understanding) avec le barreau pour que les ONG exerçant au Cambodge puissent employer les
avocats13. Cette affirmation semble créer un instrument juridique permettant un nouveau mode
d’exercice de la profession d’avocat en tant que salarié d’un employeur qui serait lui-même
avocat ou non. Pourtant faut-il encore faire entrer cette autorisation dans le statut de la profession
d’avocat pour but que ce ne soit pas dépendant de la décision discrétionnaire du barreau ?

     II. Cumul de la profession d’avocat avec d’autres professions juridiques

       Bien que l’autorisation de l’exercice de la profession comme salarié ne soit pas toujours
claire, la pratique de la fonction d’avocat au Cambodge peut à l’heure actuelle cumuler avec
d’autres professions juridiques comme les cas de l’avocat-arbitre (A) et l’avocat-notaire (B).

       (A) Avocat-arbitre

      Le statut de la profession d’avocat prévoit dans son article 3 des possibilités pour un avocat
d’être conciliateur ou médiateur en cas de désignation par les plaideurs ou par les juges. Il peut
être également arbitre quand la loi l’autorise.
13
  Erika Kinetz et Yun Samean, Bar questions Aid Lawyers’ Legal Standing, The Cambodia Daily, volume 37, n°
28, 25 juin 2007, pp 1-2.
En 2010, 26 avocats ont été nommés comme arbitres commerciaux14. D’après l’article 11
de la loi portant sur l’arbitrage commercial en date du 06 mars 2006, la qualification de l’arbitre
doit être déterminée par le Centre national d’Arbitrage. Ce dernier n’a pas mis la profession
d’avocat comme critère d’incompatibilité avec la profession d’arbitre commercial. Seuls les
agents d'un pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire du gouvernement royal du Cambodge ou les
coupables d’un crime ou délit ont été exclus du critère de sélection.
      Bien avant la nomination des avocats en tant qu’arbitre commercial, le cumul de la
fonction d’avocat et d’arbitre a déjà été pratiqué auprès du conseil de l’arbitrage crée en 2003 par
le Prakas15 No. 99 du ministère de travail en date du 21 avril 2004 pour résoudre les conflits de
travail collectifs. Les articles 5 et 6 du Prakas stipulent les conditions d’admissibilité d’un arbitre
auprès du conseil. Ces conditions n’excluent pas la profession d’avocat.

      En parallèle de la permission de cumul de fonction d’avocat et d’arbitre, il a été interdit à
l’avocat d’exercer la fonction publique ou de pratique directement ou indirectement une
profession commerciale. Il peut être investi d’une fonction gouvernementale ou d’un mandat de
député tout en demeurant membre de l’ordre, et ce, à condition de s’abstenir de tout exercice de
la profession jusqu’à la fin de cette fonction ou de ce mandat. Quant à l’avocat ancien
fonctionnaire, il ne peut intervenir en justice contre le ministère, le service publique ou
l’administration dont il dépendait pendant une période de cinq ans, à partir de la cessation de ses
fonctions antérieures16.

      L’avocat qui souhaite exercer une fonction publique ou une profession commerciale, doit
résigner de la profession ou demander d’être omis de l’ordre pour une période de deux ans
maximum17. A contrario, actuellement il est encore possible qu’un avocat exerce la profession de
notaire malgré l’incompatibilité des deux professions.

       (B) Avocat-notaire

       En cette période actuelle de transition où le Cambodge est en train de procéder à la réforme
juridique et judiciaire, il est nécessaire d’y avoir des notaires. Cette nécessité s’est justifiée dans
la loi foncière de 2001, le code civil de 2007 et le code de procédure civile de 2006. D’après la
loi foncière et le code civil, les documents juridiques qui ont pour effet de transfert de bien
immobilier ainsi que ceux relatifs aux testaments et les statuts de la société ne peuvent être
valables et exécutoires que s’ils sont produits à l’écrit sous une forme authentique par le
notaire18. Le code de procédure civile prévoit l’exécution forcée et immédiate d’un accord établi
par un notaire telle une demande pour un montant d’argent fixe sans avoir besoin de décision du
tribunal ou le droit de sûreté réelle19.

14
    Le barreau du Royaume du Cambodge, Participation à la première formation des arbitres [en ligne],
http://www.bakc.org.kh/km/bakc-activities.html, (page en Khmer consultée le 07 février 2011).
15
   Le Prakas désigne un règlement adopté par le ministre.
16
   Articles 53, 54 et 55 du statut de la profession d’avocat de 1995.
17
   Article 40 du statut de la profession d’avocat de 1995.
18
   Article 65 de la loi foncière de 2001 et articles 82, 97, 101, 110, 336, 845, 862, 1172, 1173 et 1179 du code civil
de 2007.
19
   Articles 350 et 496 du code de procédure civile de 2006.
Afin de compenser le besoin de la société en notaire, un avocat a été nommé en cette
profession par le sous-décret No. 505 du 8 décembre 2001 portant sur les compétences
supplémentaires en tant que notaire des membres du barreau du Royaume du Cambodge. Sept
ans plus tard, un autre avocat a été nommé également notaire à travers le sous-décret No. 144 en
date du 23 septembre 2008 désignant le premier bureau notarial dans le royaume20. En vertu des
deux sous-décrets, l’avocat nommé en tant que notaire a un statut de fonctionnaire publique
habilité par l’état pour authentifier, certifier et témoigner les documents juridiques et
contractuels.

      La nomination des avocats avec la fonction de notaire rendent deux professions
incompatibles à une autre profession juridique d’avocat-notaire qui peut pratiquer dans les deux
professions car l’avocat ne peut avoir le statut de fonction publique et en cas d’incompatibilité il
peut demander d’être omis du registre de l’ordre21. Néanmoins, il n’y a en l’espèce ni l’omission
du registre, ni les décisions du barreau de ne pas inscrire l’avocat nommé en notaire du registre
de l’ordre, alors qu’il a le droit de le faire en vertu de l’article 41 du statut d’avocat pour des
raisons d’incompatibilité des deux professions. Cette double qualité de l’avocat-notaire est très
similaire à celle du solicitor de Common Law. Selon le Civil Law, « le notaire est un officier
publique qui a pour fonction de recevoir des actes auxquels les parties doivent ou veulent donner
un caractère authentique, ce qui en assure la date, la conservation du dépôt et la délivrance des
copies exécutoires et des expéditions. De plus, le notaire romain est un collecteur d’impôt pour le
compte de l’Etat. A la différence du modèle romain, le solicitor est un conseil juridique que l’on
vient consulter pour tout problème juridique, contentieux ou non contentieux, de droit public ou
de droit privé. A ces activités de conseil et d’avocat, s’ajoute une importante activité notariale»22.
De cette analogie, faut-il pour le Cambodge continuer sur cette voie à l’instar de l’actuelle
préparation du projet de loi portant sur le statut de la profession notarial ou faire le retour vers le
model romain ?

        Ainsi, la réflexion doit être poursuivie dans le nouveau mode de profession avocat-
notaire pour des raisons que le notaire peut être remplacé dans certains cas comme prévu dans les
articles 1178 et 1181 du code civile par les autres fonctions. Pour ce qui est relatif aux deux
modes d’exercice de la profession d’avocat : la profession libérale et salariale, l’analyse montre
qu’il n’existe aucun obstacle pour l’avocat d’en cumuler. Il reste à y travailler pour la réforme.

20
   Il faut noter que le sous-décret portant création de l’école de notaire et la décision portant la sélection la première
promotion des élèves de notaires a été fait à la même année de 2008. Pourtant, la sélection des élèves de notaire a été
depuis reportée jusqu’aujourd’hui.
21
   Article 40 du statut de l’avocat de 1995.
22
   Béatrice Balivet, Le droit cambodgien et les grandes familles du droit », in Introduction au droit cambodgien,
Phnom Penh, éd. Funan, 2005, p. 22.
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