LA " PSYCHOLOGIE SOCIALE " DE CARLOS OCTAVIO BUNGE ET SA THÉORIE DE LA SUBCONSCIENCE-SUBVOLONTÉ

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LA « PSYCHOLOGIE SOCIALE » DE CARLOS OCTAVIO BUNGE
  ET SA THÉORIE DE LA SUBCONSCIENCE-SUBVOLONTÉ

Dans ce travail nous essayerons de présenter brièvement dans son contexte, la person-
nalité et l’œuvre de Carlos Octavio Bunge en nous arrêtant, après, sur l’analyse de son
livre Principes de psychologie individuelle et sociale, spécialement sur le chapitre consa-
cré au concept de la subconscience-subvolonté, lequel a, à notre avis, une importance
capitale pour comprendre le système intellectuel de cet auteur qui est un des fonda-
teurs de la sociologie argentine.

Carlos Octavio Bunge : l’homme et son temps
Carlos Octavio Bunge est né à Buenos Aires en 1875, c’est-à-dire vingt ans après la
promulgation de la Constitution nationale de 1853, base idéologique du processus de
reconversion vers le modèle agro-exportateur que la République argentine adoptera
à partir de la consolidation de l’État national sous la présidence de Julio Argentino
Roca (commencée le 12 octobre 1880) et, peu de temps après que cet insigne général
eut achevé le procès d’anéantissement des Indiens, au sud du territoire civilisé, dans
les opérations connues sous le nom de « Campagne du désert ».
     Ce cycle, qui a commencé en 1880, culminera vers le temps du « Centenaire »
(1910) et constitue un processus complexe de construction d’une identité nationale,
véritable superstructure idéologique, tendant à légitimer les relations sociales établies
à partir de l’instauration du modèle économique agricole et d’élevage, expression péri-
phérique du capitalisme industriel régnant dans les pays les plus importants et cor-
respondant aux intérêts économiques et politiques de ceux-ci.
     C’est pendant cette période structurante de l’architecture économique, sociale et
culturelle de la République argentine, que la pensée de cet homme mûrit, un homme
qui a fait partie, avec d’autres célèbres penseurs de son temps, de la « génération de
1880 », un groupe d’intellectuels qui, avec les outils symboliques de leur temps – c’est-
à-dire principalement le positivisme européen – ont essayé d’expliquer la changeante
conjoncture sociopolitique et culturelle locale en proposant aussi des solutions aux
grands problèmes que celle-ci leur posait.
     Bunge commence son apprentissage à l’École allemande et continue sa forma-
tion au Colegio Nacional de Buenos Aires. En 1892 il commence ses études à la faculté
de droit et il les finit en 1897 avec une thèse de doctorat dont le titre est Le Fédéralisme

                             Psychiatries dans l’histoire, J. Arveiller (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 125-132
126                                 Norberto Aldo Conti

américain. Puis Bunge développe diverses activités : il est chargé par le gouvernement
argentin d’étudier les systèmes d’enseignement européens, il est professeur dans les
carrières de droit, de philosophie et lettres dans les universités de Buenos Aires et de
La Plata et il a aussi des fonctions dans la justice comme procureur criminel (1910) et
comme procureur de chambre (1914).
     Ses publications incluent des essais, des romans et des pièces de théâtre. Dans les
premiers on trouve ses pensées : L’Éducation (1901), Notre Amérique (1903), Principes
de psychologie individuelle et sociale (1903), Le Droit (1905) et L’Histoire du droit amé-
ricain (1912-1913). Il est mort à Buenos Aires le 22 mai 1918 à 43 ans.

L’œuvre
Nous allons nous centrer sur l’œuvre publiée en 1903 par la maison Alcan à Paris et
par Daniel Jorro à Madrid, appelée Principes de psychologie individuelle et sociale. Ce
texte est à considérer à deux moments : avant et après sa publication, ce qui montre
la tension, dans la pensée de Bunge, qu’ont les concepts qui y sont développés. En effet,
le noyau conceptuel de l’œuvre apparaît dans des articles publiés entre 1894 et 1895 et,
d’autre part, en 1919 on publie le premier texte posthume de Bunge appelé Études phi-
losophiques, qui contient la totalité des chapitres de l’œuvre de 1903 mais, cette fois,
réorganisés d’une manière très différente et avec quelques inclusions nouvelles, pré-
parées par l’auteur peu de temps avant sa mort. Il est remarquable qu’il ait décidé de
publier cette œuvre hors d’Argentine et simultanément à Paris et à Madrid.
     On est frappé par la faible importance que cette œuvre a eue dans la tradition his-
toriographique du positivisme argentin si on la compare avec les œuvres sociologiques
de Bunge, spécialement Notre Amérique, puisque c’est seulement dans celle-ci qu’il
développe les concepts fondamentaux sous-jacents, soi-disant scientifiques, sur les-
quels il fonde tous ses travaux postérieurs. Cet aspect, qui n’est pas mineur, est reconnu
par l’auteur du prologue de l’édition de 1919 de ses Études philosophiques, Enrique Mar-
tínez Paz :

         Les Principes de psychologie individuelle et sociale contiennent ses concepts fondamen-
         taux, Le Droit, son application plus solide et réfléchie sur le phénomène juridique ;
         et avec son traité sur l’éducation et […] Notre Amérique il intègre tout le développe-
         ment des idées sociologiques […] 1.

Les concepts fondamentaux
Nous essayerons maintenant de présenter ces « concepts fondamentaux » tout en res-
pectant l’enchaînement logique développé par l’auteur au long du texte.

1.    Bunge 1919, p. 8.
La « psychologie sociale » de Carlos Octavio Bunge…                         127

     La psychologie individuelle est, pour Bunge, le résultat d’un long et complexe pro-
cessus dont la description suit la logique du naturalisme évolutionniste de son temps,
appuyé sur la base empirique qui lui est fourni par la science. Pour cette raison, il prend,
comme premier élément dans l’organisation de la matière vivante tendant à atteindre
l’autoconscience, la sensibilité et corrélativement, l’instinct. Voilà ce qu’il nous dit :

        La première manifestation de la vie s’appuie sur les réactions de l’organisme, défen-
        sives et offensives, d’où est née la sensation de douleur ou de plaisir. La sensibilité vient
        constituer donc la révélation psychologique des réactions organiques […] toute dou-
        leur ou plaisir physiques possèdent leur corrélation psychique et vice versa 2.
        Dans l’évolution des espèces et dans le développement de l’individu […] l’instinct
        est antérieur à la conscience et à la volonté […]. [C’est] une force vitale psychophy-
        sique, la force vitale par excellence, force inconsciente, subconsciente, préconsciente
        et même hyperconsciente, si l’on veut, dont l’objet est d’éviter la douleur et produire
        le plaisir […]. Alors, la première loi de la vie est l’instinct […] 3.
        Je soutiens que cette force […] que j’appelle instinct est, au point de vue psychique,
        la directrice unique de toutes les activités animales. Par conséquent, l’intelligence est
        la forme la plus élevée, la plus consciente de l’instinct. L’instinct est la forme la plus
        rudimentaire, la plus subconsciente de l’intelligence. Il y a donc une parfaite unité
        psychique. L’intelligence n’est donc pas aussi libre qu’elle pourrait subjectivement le
        croire, parce qu’elle est dirigée objectivement par l’inexorable loi de l’instinct, ou si
        l’on veut, du plaisir et de la douleur 4.

     C’est sur ce point qu’il produit une coupure épistémologique vis-à-vis de l’intel-
lectualisme de son temps, dès lors qu’il considère les phénomènes psychiques comme
dérivés, pas seulement nés premièrement, de « spéculations conscientes de l’intelli-
gence » mais fondamentalement de « la force subconsciente qu’on appelle instinct ».
C’est pour cette raison qu’il appelle cette doctrine, proposée par lui-même, « instinc-
tisme » opposée à l’intellectualisme. Voilà ce qu’il nous dit à cet égard :

        En résumé, les observations principales que présente la doctrine de l’instinctisme sont
        les suivantes : pour la physiologie, l’existence du nexus psychique dans les phénomè-
        nes nerveux en apparence automatiques ; pour la psychologie, l’unité psychique, une
        extension et une importance plus grandes de la subconscience, et le déterminisme de
        la conscience-volonté 5.

        De la loi de l’instinct […] dérivent [sic] les autres lois biologiques […] les [lois] psy-
        chologiques […] et même la loi sociologique du progrès humain […] 6.

2.   Bunge 1903, chap. II, p. 37.
3.   Ibid., chap. III, p. 48.
4.   Ibid., chap. III, p. 54.
5.   Ibid., chap. III, p. 55-56.
6.   Ibid., chap. III, p. 57.
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     Ainsi, la théorie de l’instinctisme lui permet-elle :
     1. une rupture conceptuelle vis-à-vis du positivisme de Spencer, en proposant un
lien psychique dans les phénomènes nerveux, qui l’éloigne du matérialisme mécani-
ciste de cet auteur, qu’il critique ;
     2. la subordination du fonctionnement psychologique individuel à la loi de l’ins-
tinct, qui a comme postulat fondamental la prééminence de la subconscience-subvo-
lonté sur la conscience-volonté ;
     3. de faire dériver de l’instinct, comme noyau conceptuel, les lois qui gouvernent
la biologie, la psychologie et la sociologie, en restant fidèle à la loi de l’unité des scien-
ces et de la connaissance postulée par Comte.
     C’est seulement après qu’il développe sa conception de la subconscience-subvo-
lonté :

         La majeure partie des hommes croient qu’ils ont conscience de toute leur activité psy-
         chique […]. L’orgueil ne leur permet pas de voir que leur esprit possède un arrière-
         fond obscur, large, actif, puissant, où les perceptions, les sensations et les images vivent
         en un perpétuel mouvement […] 7.
         Il est incontestable qu’il y a une série de phénomènes psychiques qui ne sont pas abso-
         lument conscients […] en beaucoup de cas ils sont relativement conscients, relativement
         inconscients ; ce sont les phénomènes que j’appelle subconscients-subvolontaires 8.

     Il introduit ici une sorte de topique virtuelle, plus dynamique que statique, d’où
découle l’activité psychique qui ne peut pas être conduite délibérément par l’individu
mais qui s’impose à lui, sans qu’il ait même la reconnaissance de cette situation. Nous
ne pouvons pas manquer de remarquer que ce concept est présent dans le texte pré-
liminaire de 1894-1895 et que nous avons la ferme présomption que Bunge n’a pas pu
connaître les travaux de Freud au moment du développement de ce concept, comme
le soutient aussi Ricaurte Soler dans son œuvre sur le positivisme argentin.
     Ensuite Bunge évoque l’unité de la vie psychique, qui inclut la subconscience comme
la conscience, de la manière suivante :

         Je soutiens que la conscience est un tout gradué, qu’elle s’étend en zones variées, depuis
         l’inconscience pleine jusqu’à la conscience nette ; les entités psychiques naissent du
         quasi-inconscient et se développent jusqu’à la conscience-volonté ; rien donc ne
         s’improvise dans la conscience-volonté 9.

    Bunge introduit deux figures métaphoriques pour illustrer sa proposition. La pre-
mière figure est celle du plan incliné, dont la partie supérieure représente la subcons-
cience-subvolonté et la partie inférieure la conscience-volonté. Ici l’analogie physique
montre le déterminisme du flux psychique.

7.    Bunge 1903, chap. VII, p. 100.
8.    Ibid., chap. VII, p. 100-101.
9.    Ibid., chap. VII, p. 101.
La « psychologie sociale » de Carlos Octavio Bunge…                      129

     La deuxième figure est encore plus séduisante, il compare le psychisme avec « le
cabinet d’un grand médecin spécialiste » où la subconscience serait la salle d’attente
et les idées, les clients qui « s’accumulent dans la pénombre […], s’asseyent, s’arran-
gent, bavardent, méditent, délibèrent, attendent leur tour […] ». La conscience serait
le cabinet du médecin où « plusieurs ne sont pas reçus et ils restent en attendant inu-
tilement ou bien ils s’en vont […] ».
     Nous croyons que cette deuxième figure montre clairement le dynamisme des
diverses instances psychiques proposées par Bunge, qui insiste sur le fait que l’incons-
cient n’est pas seulement ce qui n’est pas conscient.
     En effet, il soutient l’existence des représentations subconscientes qui doivent se
trouver près de ce que Herbart appelle « le seuil de la conscience ». Ces représentations
ont leur origine dans des sensations et des perceptions internes qui sont modifiées
par des opérations mentales subconscientes, dont l’existence se dégage des nombreu-
ses observations empiriques qu’il a détaillées et dont nous ne parlerons pas ici.
     Dans cette même ligne d’analyse il assure que, dans le mouvement des représen-
tations vers la conscience, il existe un retard dans le passage de la subconscience à la
conscience qu’il appelle « accommodation », durant lequel il se produit une sorte
de préparation de l’organisme pour la réception consciente de la représentation, de
manière que l’accommodation amortisse l’effet de la représentation sur la conscience.
Voilà ce qu’il nous dit encore :

         Si celui-ci [le passage de la représentation à la conscience] se sentait tout à coup dans
         la conscience, il serait beaucoup plus violent […]. Il affaiblirait l’organisme […] 10.

    Nous ne pouvons pas éviter de souligner la remarquable identité structurelle de
ce processus avec le dynamisme du préconscient freudien.
    Bunge finit le chapitre consacré à la subconscience-subvolonté avec la synthèse
suivante :

         En résumé, des faits en nombre infini attestent :
         – que nous pouvons, et devons normalement aussi sentir, percevoir et raisonner, sans
         nous rendre compte de ce que nous percevons, sentons et raisonnons ;
         – que nous avons seulement conscience d’une partie, probablement secondaire, de
         nos activités psycho-psychiques ;

         – que tous les phénomènes de notre âme ont leur point de départ dans une région à
         laquelle ne touche pas notre synthèse psychologique, et dont cette synthèse ne perçoit
         que les conclusions ;
         – que les conclusions de la subconscience-subvolonté forment exclusivement la syn-
         thèse psychologique de la conscience ;

10. Ibid., chap. IX, p. 152.
130                                   Norberto Aldo Conti

         – que toutes les activités de l’esprit humain obéissent à une force X, dont l’essence
         n’est pas connaissable, que j’appelle loi de l’instinct, et qui pourrait également s’ap-
         peler loi du plaisir et de la douleur ou loi de la vie 11.

    Nous ne nous arrêterons pas dans ses développements sur la conscience et la for-
mation des idées puisqu’il maintient une ligne classique, appuyée sur la psychologie
associationniste, mais nous parlerons de la notion d’« idée-force » postulée par lui, et
dont il dit :

         Toute entité psychique est une force interne susceptible de s’extérioriser. Toute entité
         psychique tend à influer sur nos volitions. Toute volition agit ou tend à agir sur les
         organes du mouvement. C’est là le principe scientifique sur lequel se base […] l’idée-
         force 12.

     Ainsi il jette les bases d’un concept qu’il reprendra plus tard, pour parler d’une
« idée-force sociale », comme noyau de sa théorie sociologique. Pour la fonder, il part
de l’observation de Le Bon selon laquelle « les sentiments des multitudes sont plus
violents que ceux de leurs individus », ce qui lui permet d’affirmer que :

         L’idée-force sociale est […] le sentiment instinctif ou subconscient que possède tout
         homme que le coefficient de ses forces s’élève immensément, quand il fait partie d’une
         société organisée. […]. [Donc] le premier principe de la nationalité est l’idée-force
         sociale […] 13.

     L’origine de cette idée se trouvant dans l’instinct de conservation, il assure que
l’idée-force sociale est l’origine du contrat social de Rousseau, dont l’unique erreur
est d’avoir supposé une élection consciente dans sa production quand, en réalité, cela
répond à la dynamique de la subconscience.
     Ainsi Bunge entre-t-il pleinement dans le champ de la sociologie en prenant,
comme fondement de la dynamique des développements sociaux, le concept de la
subconscience, en tant qu’expression humaine de l’instinct de conservation.
     Mais, si tous les êtres vivants tendent à la conservation parce qu’ils sont gouver-
nés par la loi universelle de l’instinct, comment se fait-il que l’homme soit différent
du reste des animaux ? Comme l’affirme Bunge :

         Il y a une seule qualité humaine par excellence, patrimoine exclusif des hommes, base
         de toutes leurs grandeurs : l’impulsion à aspirer, à améliorer, à atteindre la perfection,
         à prospérer à l’infini […]. L’aspiration au progrès est le sentiment de notre supério-
         rité humaine […] 14.

11.   Bunge 1903, chap. IX, p. 154.
12.   Ibid., chap. XIII, p. 176.
13.   Ibid., chap. XIV, p. 186.
14.   Ibid., chap. XV, p. 190-191.
La « psychologie sociale » de Carlos Octavio Bunge…                            131

     De cette manière il introduit ce concept qu’il appelle « aspirabilité ou puissance
aspirative » comme moteur du développement humain, et qui a comme horizon d’in-
terprétation l’idée du progrès, linéaire et continu, suivant la loi des trois états du posi-
tivisme de Comte.
     C’est justement le cadre théorique du positivisme évolutionniste qui lui permet
de soutenir qu’il y a des formes supérieures et inférieures de la puissance aspirative :
          Ce ne sont pas tous les hommes qui savent aspirer, mais seulement ceux appartenant à
          certaines races progressistes [civilisatrices] […]. Il y a des races inférieures qui, selon
          le témoignage de voyageurs ou de psychologues, ne savent pas aspirer. Ainsi les Esqui-
          maux et les Boschimans. Aussi restent-ils stationnaires comme les bêtes 15.
          [Des] observations […] on pourrait induire que […] certains primates possèdent la
          faculté de l’aspirabilité [mais] s’il y a aspirabilité chez les bêtes, elle est en si infime
          portion, qu’on peut la regarder comme une quantité négligeable […] tels les Guara-
          nis, race américaine stupide, qui, à l’état sauvage, n’arrivait pas à compter plus loin
          que trois, et qui, dans les missions des jésuites, apprit à cultiver la terre et aussi à prier,
          compter, lire et écrire ; après l’expulsion des jésuites, elle retourna vivre dans les bois
          en son état primitif. Je trouve plus logique de refuser aux Guaranis l’aspirabilité, que
          de l’attribuer à tous les primates 16.

     Voyons donc comment, tout en partant du concept de « puissance aspirative »,
Bunge interprète la dynamique du changement social et les grandes inégalités produi-
tes tant par le capitalisme industriel que par le choc des cultures dans une perspective
raciste. Le racisme, pour éviter de tomber dans des interprétations anachroniques,
nous devons le considérer comme faisant partie de la culture scientifique, fondée sur
le naturalisme évolutionniste européen que Bunge partageait avec ses contemporains
plus élevés comme José María Ramos Mejía et José Ingenieros. Mais nous devons aussi
dire que personne, en Argentine, n’incarna avec une telle force discursive ce racisme
aristocratisant de Carlos Octavio Bunge qui, par exemple, en parlant de la nature psy-
chique de la société affirmait :
          Il en résulte que l’hérédité psychologique et le milieu font de chaque homme un
          résumé du caractère de son pays. Ce fait est plus constatable, naturellement, chez les
          hommes de la classe dirigeante […] 17.
          Dans un grand ensemble d’hommes il n’y a d’autre force humaine que la tyrannie
          nationale, capable d’imposer, dans la division du travail, un labeur aussi dur que le
          transport de la pierre […] 18.

    En concordance avec ce racisme aristocratisant son scientisme n’est pas vraiment
progressiste mais conservateur et critique du laïcisme et de la démocratie.

15.   Ibid., chap. XV, p. 192.
16.   Ibid., chap. XV, p. 193-194.
17.   Ibid., chap. XIV, p. 181-182.
18.   Ibid., chap. XIV, p. 181.
132                                       Norberto Aldo Conti

   En référence à ce point et, pour finir, j’ai choisi un fragment d’un article de 1904,
appelé L’Éthique de l’avenir :

         De la même manière que les classes dominantes inventèrent auparavant le droit à
         l’inégalité, les [classes] dominées inventent maintenant le droit à l’égalité. L’histoire
         représente, par conséquence, une lutte sempiternelle entre deux tendances : l’aristo-
         cratique et l’égalitaire […].
         Les hommes ne sont pas égaux entre eux, et une éthique de l’égalité ne convient pas
         pour les plus forts et les plus intelligents […] 19.

    Cette affirmation, si péremptoire du point de vue idéologique, devient légitimée
scientifiquement selon Bunge par la série de concepts fondamentaux que nous avons
essayé d’illustrer dans cette présentation.

                                                                                  Norberto Aldo Conti 20

Références bibliographiques
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Bunge C.O. (1919), Estudios Filosóficos, Buenos Aires, Ed. Vaccaro.
Conti N. (2000), « Una propuesta historiográfica para la historia de la psiquiatría en la Argen-
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Terán O. (1986), José Ingenieros, Pensar la Nación, Buenos Aires, Alianza.
Terán O. (1987), Positivismo y Nación en la Argentina, Buenos Aires, Puntosur.
Terán O. (2000), Vida intelectual en el Buenos Aires fin-de-siglo (1880-1900), Buenos Aires,
   Fondo de Cultura Económica.

19. Bunge 1919, « La Ética del porvenir », p. 201.
20. Docteur, professeur titulaire d’histoire de la psychiatrie, université du Salvador ; chaire d’épistémologie et
    d’histoire de la psychiatrie, APSA ; chef du service psychiatrique, hôpital José T. Borda, GCBA, Buenos
    Aires ; nconti@speedy.com.ar.
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