La schizophrénie insaisissable Elusive schizophrenia - Érudit

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Santé mentale au Québec

La schizophrénie insaisissable
Elusive schizophrenia
Robert Pelsser

Structures intermédiaires ou alternatives?                                        Article abstract
Volume 8, Number 1, June 1983                                                     Schizophrenia is caused above all, by a biochemical disorder, and,
                                                                                  consequently, the treatment should be primarily of a psycho pharmacological
URI: https://id.erudit.org/iderudit/030167ar                                      nature. The author examines the most important researches related to this
DOI: https://doi.org/10.7202/030167ar                                             subject to demonstrate the gaps both at the level of actio-logical theories and of
                                                                                  treatment methods centered, above all, on biochemical aspects. Schizophrenics
                                                                                  are not cured and they are hardly treated, since delusional thoughts and the
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                                                                                  psychotic life style remain present many years. Schizophrenia stymies the
                                                                                  knowledge and the power of therapists as a result of its inexplicable and
                                                                                  irréductible character.
Publisher(s)
Revue Santé mentale au Québec

ISSN
0383-6320 (print)
1708-3923 (digital)

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Cite this article
Pelsser, R. (1983). La schizophrénie insaisissable. Santé mentale au Québec, 8
(1), 90–99. https://doi.org/10.7202/030167ar

Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 1983                             This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                                 (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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                                                                                 This article is disseminated and preserved by Érudit.
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LA SCHIZOPHRÉNIE INSAISISSABLE

                                                                                                     Robert Pelsser*

      La schizophrénie serait due avant tout à un désordre biochimique et par conséquent le traitement devrait
      avant tout être d'ordre psychopharmacologique. L'auteur examine les recherches les plus importantes faites
      à ce sujet pour montrer les lacunes tant au plan des théories étiologiques que des méthodes de traitement,
      avant tout centrées sur les aspects biochimiques. Les schizophrènes ne sont pas guéris et ils sont à peine
      soignés, puisque la pensée délirante et le mode de vie psychotique restent présents pendant de longues années.
      La schizophrénie met en échec le savoir et le pouvoir des thérapeutes en raison de son caractère inexplicable
      et irréductible.

                    «J'entends derrière nous résonner les       LA RÉVOLUTION
                    pas de l'endocrinologie, elle va            PSYCHOPHARMACOLOGIQUE
                    nous rattraper et nous dépasser. Mais
                    même alors la psychanalyse sera
                    encore très utile. Car l'endocrinologie         II est indéniable que les traitements pharmaco-
                    sera comme un géant aveugle qui ne          logiques ont entraîné des conséquences pratiques
                    sait où aller, tandis que la psychana-
                    lyse sera le nain qui lui montre vers
                                                                importantes qu'il ne faudrait pas mésestimer sous
                    où aller».                                  risque de passer pour un esprit borné.
                                      Sigmund Freud                 L'effet le plus frappant est que les hôpitaux
                                                                psychiatriques se sont de plus en plus vidés. Il
   Le traitement des patients psychotiques a été                suffit de penser simplement à ce qu'étaient des
radicalement bouleversé, depuis une vingtaine                   hôpitaux comme St-Jean-de-Dieu et St-Michel-
d'années, par la découverte des mécanismes de                   Archange à l'époque où ils portaient encore ces
transmission de l'influx nerveux et la mise au point            noms. Les études indiquent d'ailleurs que le nom-
de médicaments neuroleptiques. Le système de                    bre absolu d'hospitalisations (ce qui est différent
distribution des soins en santé mentale a été pro-              du taux de réhospitalisation) a été fortement réduit
fondément modifié depuis que l'accent est de plus               et que la prescription de neuroleptiques y est pour
en plus mis sur les aspects biochimiques de la mala-            quelque chose.
die mentale et sur les traitements d'ordre psycho-                  Par ailleurs, autre changement important, ceux
pharmacologique.                                                qui côtoient quotidiennement les psychotiques
    Nous voudrions ici considérer le progrès fait               doivent reconnaître qu'il est possible enfin de les
dans le traitement médicamenteux de la maladie                  écouter et de leur parler, en d'autres mots qu'une
mentale par excellence, à savoir la schizophrénie,              relation véritable peut s'établir dans les deux sens.
pour tenter de montrer que les questions fonda-                 Il est loisible aux psychotiques non seulement
mentales restent en suspens. La schizophrénie,                  d'halluciner et de délirer, mais aussi, ce qui est
malgré les progrès médicaux et scientifiques, reste             nouveau, de parler de leurs hallucinations et de
irréductible et inexplicable et met en échec les                leurs délires (si l'on retient ces deux critères fla-
 désirs de savoir et de pouvoir de ceux qui s'atta-             grants et symptomatiques de la psychose).
 quent à elle.                                                      Pour certains, la psychose, particulièrement la
                                                                 schizophrénie, pourrait être ramenée à un désordre
*   L'auteur travaille depuis plusieurs années dans le do-       biochimique au niveau des neuro-transmetteurs
    maine de la santé mentale. Il est actuellement rattaché
    à la Cité de la Santé de Laval.
                                                                 (Iversen, 1979; Le Moal, 1980; Boissier et coll.,
La schizophrénie insaisissable                                     91

1980); il suffirait dès lors que le patient absorbe           reproche est fréquemment adressé aux neurolep-
une substance chimique permettant de rétablir                 tiques. Dans un sens, il n'est pas dénué de fonde-
l'équilibre perdu et ainsi de faire disparaître les           ment puisque ces médicaments ne font pas dispa-
symptômes, c'est-à-dire les effets directs du désor-          raître la maladie schizophrénique» (p. 69). L'effet
dre biochimique. Cette conception revient à éta-              des médicaments connaît des limites évidentes,
blir une équation plus ou moins explicite entre               même s'il réduit heureusement les symptômes les
psychose et biochimie. L'atténuation et la dispa-             plus flamboyants et les plus dramatiques.
rition des symptômes à la suite de l'absorption                   Les symptômes disparaissent dans la mesure où
d'une substance médicamenteuse seraient juste-                le patient prend et continue à prendre des médica-
ment la preuve la plus évidente que les symptô-               ments. Il ne se produit pas une guérison véritable
mes trouvent leur origine dans un trouble biochi-             qui impliquerait la disparition des symptômes
mique. Il s'agit d'une preuve qu'on pourrait                  d'une maladie par l'absorption d'une médication
qualifier d'empirique. Une telle thèse établissant            pour un temps limité. Il est possible, bien sûr, de
une équation entre schizophrénie et désordre                  mentionner que de nombreuses maladies physiques
biochimique, et entre traitement de la psychose               ne peuvent être guéries une fois pour toutes, mais
et neuroleptiques est courante, pour ne pas dire              peuvent seulement être soignées, par exemple le
majoritairement acceptée, tant dans la littérature            diabète, Pépilepsie, etc. C'est déjà reconnaître les
que dans la pratique clinique. Il existe, bien sûr, des       grandeurs mais aussi les misères de la psychophar-
différences de position entre les personnes qui               macologie. Le médicament ferait disparaître les
mettent l'accent sur la neuro ou la biochimie et              symptômes, mais à y regarder de plus près, les
sur la psychopharmacothérapie : elles vont de                 symptômes sont en fait simplement atténués (nous
l'exclusivisme, qui écarte purement et simplement             y reviendrons) ; dès lors l'introduction de substan-
les aspects psychologiques et sociaux, à une                  ces étrangères dans l'organisme ne rétablit pas
 attitude éclectique, en passant par l'affirmation de         l'équilibre, n'apporte pas «ce qui manque» et ne
la prévalence voire de la prédominance de la                  corrige pas la situation. La structure de la person-
 dimension biologique, sans écarter cependant les             nalité, si du moins on peut hypostasier qu'il existe
 autres aspects du problème.                                  quelque chose de semblable à l'arrière des troubles
     Une telle proposition laisse beaucoup de                 de la pensée, de l'affect et du comportement du
 questions sans réponse, même si apparemment elle             schizophrène, n'est pas du tout modifiée.
règle tous les problèmes. Un auteur comme Engel
(1977), qui cherche à promouvoir dans ses écrits
                                                              LA NON-RÉHOSPITALISATION COMME
une approche bio-psychosociale en médecine,
                                                              CRITÈRE D'EFFICACITÉ THÉRAPEUTIQUE
reconnaît implicitement la limite d'un traitement
psychopharmacologique lorsqu'il mentionne que                     Les études de Hogarty et coll. (1973 et 1974a)
celui-ci «ne tient compte que de l'anomalie chimi-            souvent citées sont particulièrement instructives.
que et ne redonne pas nécessairement la santé au              Les auteurs tentent de comparer l'efficacité théra-
patient, même s'il y a correction ou soulagement              peutique de différentes méthodes de traitement en
de l'anomalie.» (p.132). Une telle opinion, émise             prenant comme critère d'échec la réhospitalisation
par un médecin psychiatre, incite déjà à se poser             {relapsed patients) et par conséquent comme critère
des questions sur la nature exacte de l'intervention          de succès le fait que le patient n'est pas réhospita-
par voie médicamenteuse.                                      lisé. Ils comparent ainsi, à propos des schizophrè-
    Le traitement et la guérison (si guérison il y a)         nes, quatre types de traitements : médicament
sont strictement chimiques. Denis (1981) admet                placebo seul, médicament placebo et thérapie de
ouvertement qu'on ne traite pas (et peut-être                 support, médicament neuroleptique, médicament
qu'on ne peut pas traiter) la cause de la maladie ou          neuroleptique et thérapie de support. May (1968)
la maladie elle-même dans le cas de la schizophrénie.         avait déjà utilisé une méthodologie semblable pour
 «D'aucuns objecteront que les antipsychotiques               analyser le traitement de la schizophrénie, mais les
ne traitent pas la cause de la maladie, et c'est vrai»        résultats de sa recherche étaient moins précis. Les
(p. 67). «Le camouflage des symptômes. Ce                     taux de rechute, dans les études de Hogarty, après
92                                          Santé mentale au Québec

des périodes respectives d'un an et de deux ans,             ques) ont une incidence sur l'apparition et la
doivent être analysés de près (cf. tableau 1).               réapparition de la maladie, ce qui écarte la
                                                             simple équation «schizophrénie = biochimie».
       Tableau 1 : taux de réhospitalisation

                                                          LA SITUATION DU SCHIZOPHRÈNE
                             après 1 an   après 2 ans     DANS LA COMMUNAUTÉ

                                                              Le critère retenu - la non-réhospitalisation des
Placebo                         67%          80%          patients - est un critère aisément mesurable et
Placebo et thérapie             63%          80%          permet jusqu'à un certain point de déterminer
de support                                                l'efficacité du traitement à partir du postulat que
Neuroleptique                   31%          48%          l'état psychique d'une personne hospitalisée est
Neuroleptique et                26%          36%          plus détérioré que celui d'une personne traitée en
thérapie de support                                       clinique externe. Mais on peut franchement se
                                                           demander quel est l'état des patients non réhos-
                                                          pitalisés : sont-ils véritablement guéris et débar-
   Ces résultats sont intéressants à plusieurs égards     rassés de leurs symptômes lorsqu'ils ne nécessitent
mais nous ne retiendrons que trois aspects pour la        plus l'hospitalisation, ou bien les symptômes sont-
discussion :                                              ils simplement moins critiques, moins apparents?
1. Un maximum de 80% de schizophrènes rechu-                  Les études de Hogarty et coll. dans leur dernier
   tent, ce qui indique que 20% de schizophrènes          volet (1974b), curieusement moins souvent citées,
   n'ont besoin d'aucun traitement, sans que cela         nous indiquent quelle est la condition psycholo-
   n'entraîne pour autant une décompensation.             gique et sociale des patients schizophrènes ne pré-
   Comment peut-on expliquer qu'un désordre               sentant pas de rechute {non relapsed patients)',
   biochimique grave disparaisse spontanément,            cette étude montre que la condition de ces patients
   comme par magie, sans l'intervention de l'exté-        reste souvent pitoyable, misérable. Les auteurs
   rieur d'une substance chimique correctrice?            s'attardent à relever des facteurs de comportement
2. Le rajout de la thérapie de support, de type           ou de personnalité pour en arriver à la conclusion
   psychosocial, à l'absorbtion d'une médication          que parmi les patients qui n'ont pas décompensé,
   neuroleptique permet de diminuer le taux de            l'adaptation à la communauté ne s'est pas montrée
   réhospitalisation de 48% à 36%; la thérapie            meilleure chez ceux recevant un médicament actif
   serait donc rentable dans 12% des cas. Comment         que chez ceux ne recevant pas de médication du
   expliquer ce phénomène si on réduit la schizo-         tout. Il s'agit d'une constatation qui n'est guère
   phrénie à un simple désordre biochimique? La           encourageante : la réhospitalisation est évitée, mais
   psychothérapie pourrait-elle avoir une quelcon-        la réinsertion sociale échoue clairement. May (1968)
   que efficacité? - c'est une question qui pourrait      avait déjà démontré que 95% des schizophrènes
   sembler «non pertinente» dans le contexte.             traités avec les neuroleptiques et la psychothérapie
   Certaines personnes répondront que la psycho-          quittent l'hôpital en deçà de six mois, mais que
   thérapie s'avère efficace parce qu'elle a comme        seulement 30% d'entre eux sont capables à leur
   effet d'inciter le patient à prendre plus fidèle-      sortie de l'hôpital de fournir un rendement moyen,
   ment les neuroleptiques. Mais c'est là une             par exemple de conserver un emploi ou d'occuper
   explication passe-partout et non valable.              un rôle de ménagère.
3. Un pourcentage important (48%) fait des rechu-             Si l'on se limite au seul critère de la non-
   tes malgré la prise régulière d'une médication         réhospitalisation des patients pour juger du degré
   neuroleptique, ce qui indique que la maladie,          de guérison, il est clair que les neuroleptiques sont
   comprise comme un dérèglement biochimique,             d'une aide appréciable puisqu'ils parviennent à
   n'est pas suffisamment contrôlée par la seule          maintenir le schizophrène hors les murs de l'asile.
   médication neuroleptique. Il est permis de             Ce progrès est très important parce que d'une part
   supposer que d'autres facteurs (non biochimi-          une journée en milieu hospitalier coûte plus cher
La schizophrénie insaisissable                                      93

financièrement à la société qu'une journée dans la          sinon d'avoir provoqué, le délire du schizophrène
communauté, et d'autre part le maintien dans le             en le faisant parler et d'affirmer que ses idées
milieu naturel permet au patient de mener une               délirantes n'étaient pas présentes antérieurement.
vie sociale plus normale que s'il était institution-        Mais nous n'en croyons rien, ... sinon comment
nalisé. Mais, et c'est là que réside le problème de         pourrait-on expliquer le manque d'activité et de
base, il faut se demander quelle est la qualité de          socialisation de ce même schizophrène? Guay
vie des schizophrènes qui de la sorte ne rechutent          (1981), dans une revue de la littérature, démontre
pas.                                                        que le réseau social du schizophrène, comparative-
    Certains thérapeutes, surtout parmi les psy-            ment à celui de la personne normale, présente
chiatres, ont parfois l'impression ou proclament            certaines caractéristiques propres : il se révèle
avec énergie que la schizophrénie est guérie du seul        plus petit, les gens se connaissent peu entre eux à
fait que les symptômes les plus paroxystiques,              l'exception du groupe familial, et le type de rela-
c'est-à-dire les hallucinations et les délires, sont        tions qui y est entretenu favorise la dépendance.
disparus et qu'on parvient à maintenir une tran-                Si l'on a coutume de dire que «les neuro-
quillité rassurante : pas de désorganisation, pas           leptiques font disparaître les symptômes et non la
de décompensation. Mais il s'agirait de se de-              maladie», il serait plus exact de dire que les
mander pourquoi ces schizophrènes soi-disant                symptômes restent totalement présents, mais de
asymptomatiques «fonctionnent» bien (des schizo-            façon plus sournoise. Les idées délirantes sub-
phrènes résiduels ou ambulatoires, pour reprendre           sistent, mais sous forme atténuée, la conviction
le jargon diagnostique) sont totalement inactifs            ayant disparu; il serait possible de parler de
et asociaux, pourquoi ils ne sortent pas de chez            psychose douce {soft psychosis) par opposition
eux, n'ont ni relations avec des amis, ni activités         à psychose violente (hard psychosis). Il est très
 ou intérêts particuliers. Si l'on suppose que le           manifeste que les symptômes primaires de la schizo-
 schizophrène est guéri, il y a là matière à inter-         phrénie (les fameux quatre A de Bleuler) : l'ambi-
 rogation .                                                 valence, l'affect inadéquat, les associations d'idées
    En effet, ce qui nous a toujours frappé, c'est          perturbées et l'autisme, ne disparaissent pas véri-
 que lorsqu'on prend le temps d'établir une relation        tablement, même si le délire envahissant et les
 de confiance avec ces schizophrènes, de «se taire          hallucinations ne sont plus présents; d'ailleurs,
 et écouter» et de les laisser parler, on constate          certains cliniciens commencent de nouveau à
 qu'ils délirent encore et beaucoup. Les troubles           s'intéresser aux symptômes dits négatifs de la
 de la pensée si caractéristiques de la schizophrénie       schizophrénie (par opposition aux symptômes
 restent entièrement présents, de façon moins               positifs), c'est-à-dire précisément à ceux qui ne
 flamboyante certes (il n'existe plus de danger             sont pas accessibles à la médication neurolep-
 pour soi ou pour autrui), mais tout aussi insis-           tique, tels l'affect aplati ou émoussé, la dété-
 tante. Un tel nous apprend qu'il ne peut sortir            rioration du langage (alogia), Pavolition et l'apa-
 de chez lui parce qu'il craint de se faire bousculer       thie, l'anhédonie et l'asocialité, la détérioration
et piétiner par la foule; un autre indique qu'il            de l'attention (Andreasen, 1982). Le problème
risque toujours de lui arriver un incident ou un            est de diminuer ou de faire disparaître ces symp-
 accident parce qu'il doit payer pour une faute             tômes, et il faudra probablement faire appel à
mystérieuse qu'il aurait commise, sans trop pou-            d'autres moyens que la pharmacothérapie pour
voir préciser laquelle (qui serait le simple fait de        avancer dans ce sens.
vivre); un dernier ne peut aller dans la rue ou
prendre l'autobus parce que tout le monde le
                                                            LE PRONOSTIC ET L'ÉVOLUTION
 regarde et veut lui tendre «des pièges». Les exem-
                                                            AU LONG COURS
ples pourraient être multipliés à l'infini.
    Si une personne est pratiquement sans activités            Si l'on considère l'évolution et le pronostic
et sans relations sociales, il est clair que quelque        à long terme de la schizophrénie, on arrive à la
chose d'anormal se produit chez elle. Il est tou-           même conclusion : les neuroleptiques ne guéris-
jours possible de nous accuser d'avoir stimulé,             sent pas la schizophrénie mais ne font que la
94                                         Santé mentale au Québec

  soigner, ce qui reste un euphémisme si l'on con-           ont tendance à s'atténuer, voire même à dispa-
  sidère que la stabilisation des patients qui ne            raître : 62% des symptômes isolés observés au
  causent pas de problèmes laisse entier chez ceux-ci       moment de la première hospitalisation avaient
 un mode de pensée foncièrement délirant.                    totalement disparu à un âge avancé, 11% s'étaient
     Stephens (1978) fait un relevé des différentes         atténués, alors que 20% restaient inchangés ou
 études ayant porté sur l'évolution et le pronostic         s'étaient aggravés. Une telle étude permet d'entre-
 de la schizophrénie chronique et aiguë; la durée           voir une guérison à très long terme au moment
 du follow up est variable selon les études, de             de la phase que les auteurs qualifient de séquel-
 même que le pourcentage de patients guéris,                laire. Il est possible au cours de l'évolution de
 améliorés et inchangés (cf. tableau 2). Les pa-            la schizophrénie d'observer une tendance générale
 tients sont considérés comme guéris lorsqu'on              à l'amélioration et à la tranquillité avec un «apla-
 constate l'absence de toute pathologie résiduelle ;        tissement de la symptomatologie» (Ciompi et
 ils sont considérés comme améliorés lorsqu'il              Muller). Il est permis de se demander ce qui
 existe une pathologie résiduelle modérée ou des           entraîne cette atténuation des symptômes :
 rechutes entrecoupées de périodes de normalité;           çst-ce simplement le vieillissement naturel de la
ils sont considérés comme inchangés lorsqu'on              personne ou est-ce l'absorption régulière d'un
constate une schizophrénie chronique toujours              médicament neuroleptique ? Les schizophrènes
active.                                                    chroniques, il faut l'avouer, sont des personnes
     Le pourcentage de patients inchangés varie            appauvries psychologiquement et socialement ;
entre 35 et 84% pour la schizophrénie chronique            leur existence est une existence sans satisfaction,
et entre 4 et 35% pour la schizophrénie aiguë.             sans événement, où les talents et les intérêts de
Par ailleurs, le pourcentage de patients guéris            la personne n'ont jamais l'occasion de se déve-
varie entre 5 et 30% pour la schizophrénie chro-           lopper. La schizophrénie évolue vers une véritable
nique et entre 26 et 70% pour la schizophrénie             détérioration de la personnalité, et ceci malgré
aiguë. De tels chiffres donnent une idée du pro-           la médication neuroleptique.
cessus schizophrénique considéré sur plusieurs
années. Le nombre de cas guéris est parfois faible
                                                           L'INCONNU AU-DELÀ DES RÉPONSES
et le nombre de cas inchangés est parfois élevé
                                                           TOUTE FAITES
et ce, malgré les découvertes psychopharmacolo-
giques dites révolutionnaires.                                Les chercheurs et les cliniciens soutenant que
    Ciompi et Muller (1977) ont fait une étude             le délire et l'hallucination sont exclusivement ou
portant sur 288 schizophrènes sur une période              prioritairement dus à une anomalie de la trans-
moyenne de 37 ans. Ils ont observé une sorte de            mission de l'influx nerveux ont parfois tendance
phase terminale chez les schizophrènes chroni-             à apporter une preuve supplémentaire à leur
ques et âgés; les symptômes schizophréniques               thèse, en faisant la comparaison avec d'autres

                                     Tableau 2 : évolution à long terme

                                durée du                guéris            améliorés           inchangés
                                  suivi

       Schizophrénie             de 11 à                de 5 à             de 10 à             de 35 à
         chronique                35 ans                 30%                39%                 84%

       Schizophrénie             de 7 à                 de 26 à            de 13 à              de 4 à
           aiguë                17.5 ans                 70%                61%                  35%
La schizophrénie insaisissable                                        95

phénomènes psychiques, plus ou moins mor-                     demander si la surface d'un rectangle dépend de sa
bides, dont le fondement est également organique.             longueur ou de sa largeur. Il faut reconnaître que
Si l'on réduit la schizophrénie à un désordre                 l'endogène agit sur l'exogène, et inversement. Ainsi,
biochimique et son traitement à une intervention              il est admis que des détails «insignifiants» de la vie
psychopharmacologique, il devient possible d'éta-             courante sont suffisants pour faire décompenser le
blir une analogie entre la schizophrénie et l'effet           schizophrène, que ce soit la perte d'un petit chat ou
produit par des drogues psychomimétiques ou                   celle d'une plante d'appartement. Le schizophrène
encore l'activité onirique au cours du sommeil.               amplifie ces détails et les vit avec un exposant d'an-
Les délires et les hallucinations sont l'équivalent           goisse multiplié à l'infini, à la différence de la popu-
d'un voyage (trip) ou d'un rêve qui impliquent                lation normale. La dramatisation des événements
des changements physiologiques similaires. Une                et des situations ne signifie pas cependant que la
telle affirmation proposée par certains auteurs               schizophrénie est un processus purement endogène
est séduisante. Il existe cependant une différence            (biochimique), totalement indépendant de fac-
fondamentale : le schizophrène n'a absorbé aucune             teurs externes.
drogue et il est parfaitement éveillé lorsqu'il                   Il est permis de faire comme hypothèse que
délire ou halluciné. La comparaison entre ces                 des facteurs extérieurs anodins, agissant chez des
divers phénomènes est, dès lors, quelque peu                  sujets ayant une personnalité plus sensible et
boiteuse. Ce n'est pas parce que la drogue et                 plus fragile peuvent à la longue entraîner des
le sommeil entraînent des états similaires au                 dérèglements biochimiques ; ce qui est vécu par le
délire ou à l'hallucination schizophrénique que               sujet ou ce que subit le sujet pourra s'inscrire
ces phénomènes peuvent être réduits les uns aux               au plan somatique et même bouleverser la sé-
autres à partir de l'hypothèse d'un dérèglement               quence normale de processus hautement sophis-
biochimique commun et analogue. Il se produit                 tiqués. Une telle hypothèse se fonde simplement
quelque chose de totalement spécifique dans la                sur la relation inextricable entre la psyché et le
schizophrénie qui est justement l'appauvrissement             soma.
de la personnalité et une évolution pernicieuse,                  Les hypothèses biochimiques laissent également
un état chronique que ni le sommeil, ni la drogue             inexpliquées une série d'observations étonnantes
ne provoquent.                                                à propos de la schizophrénie. Citons-en quelques-
    Même si on considère le dérèglement bio-                  unes. Des expériences sur les résultats thérapeu-
chimique comme une cause en soi, on laisse en                 tiques dans les psychoses aiguës ont montré que,
suspens la question de savoir ce qui déclenche ce             pour obtenir la même efficacité dans le traite-
dérèglement biochimique, puisque certains indi-               ment, la dose quotidienne utile de halopéridol
vidus en sont frappés et d'autres non. Si l'on pré-           était de 7.5mg en Belgique et de 73mg à New
tend apporter ainsi une réponse scientifique                  York, soit une différence du simple au décuple
(mesurable, quantifiable, prouvable), on ne fait              (Murphy, 1972); ainsi, le même médicament
que se leurrer; le mystère est simplement reculé              exercerait des effets différents suivant les pays.
et non éclairci.                                              Une vaste enquête menée par l'Organisation
    La réduction de la schizophrénie à des pro-               Mondiale de la Santé a démontré que la schizo-
cessus biochimiques entraîne également l'affir-               phrénie se manifeste par un syndrome commun
mation facile qu'il s'agit d'une maladie (au sens             dans divers pays, mais des différences ont été
physique de ce terme) endogène, entendant par                 constatées dans l'évolution de la pathologie :
là que les situations et les événements extérieurs            dans l'ensemble, celle-ci se montre plus favorable
n'y sont pour rien. Il s'agit encore une fois d'un            dans les pays en voie de développement que dans
piège pseudo-scientifique qui vise à départager               les pays développés et industrialisés (W.H.0.,
de façon factice l'endogène et l'exogène, exacte-              1973, 1978, 1979). Certaines collectivités vivant
ment de la même façon qu'on cherche à séparer                 en communautés très organisées et repliées sur
les influences de l'hérédité et du milieu. En fait, dis-      elles-mêmes, selon des principes de vie religieux
tinguer la part de l'hérédité et du milieu dans l'appa-       et traditionnels, présentent une incidence de
rition d'un phénomène est aussi arbitraire que de se          schizophrénie et d'hospitalisation psychiatrique
96                                          Santé mentale au Québec

nettement inférieure aux populations environ-                 Amyot (1981), au cours d'une entrevue, définit
nantes. C'est le cas des Huttérites et des Mennonites      admirablement la maladie mentale. «La maladie
aux États-Unis et au Canada (Eaton et Weil,                mentale est une perturbation profonde, une désor-
1955). Ce sont là quelques faits intrigants qui ne         ganisation psychique de l'individu. C'est un état
peuvent s'expliquer par le seul recours à des              de déséquilibre bio-psycho-social de la personne
hypothèses biochimiques et qui mériteraient une            où celle-ci est en proie à des angoisses, des peurs
explication plus complexe.                                 et des craintes qui viennent entraver son fonction-
                                                           nement au point de lui rendre la vie fort incon-
                                                           fortable. Le malade mental est menacé de l'inté-
LE DÉSIR D^OMNISCIENCE
                                                           rieur par des pulsions qui viennent compromettre
ET D'OMNIPOTENCE
                                                           sa propre intégrité personnelle et aussi celle des
   Le désir de trouver des causes palpables pou-          autres» (p. 22). Il s'agit de reconnaître dans cette
vant expliquer la pathologie psychique (un terme          ligne l'importance d'une approche globale, d'un
plus indiqué que la maladie mentale) et également         modèle bio-psycho-social, de l'équipe multidis-
de mettre au point des moyens permettant de la            ciplinaire, des relations entre l'esprit et le corps,
supprimer radicalement trouve son origine dans un         entre la psyché et le soma et de l'analyse des
désir plus ou moins avoué d'omniscience et d'om-          facteurs bio-psycho-sociaux.
nipotence. Il s'agit de découvrir l'élément dernier           Cette façon de voir les choses n'est hélas!
(ou premier) à propos des phénomènes humains              pas toujours acceptée avec toutes ses consé-
(ce que la schizophrénie reste en dernier ressort)        quences. Deux articles récents (écrits par des
et de trouver des moyens d'intervention agissant          psychiatres) insistent sur la nécessité pour la
de manière perceptible et observable.                     psychiatrie de se définir comme une spécialité de
   Ce sont ces désirs de savoir et de pouvoir qui         la science médicale (Nérée, 1979, Fontaine, 1980)..
donnent à la médecine-psychiatrie ou à la «psy-           On ne peut que se rallier à un tel souhait et il
chiatrie biologique» une place dominante dans le          est même impérieux que la psychiatrie se défi-
champ de la santé mentale. En effet c'est le              nisse avant tout (nous allions écrire uniquement)
même postulat implicitement admis et jamais               comme science médicale, ce qui l'inciterait à
remis en question (l'organogénèse, qu'elle soit           respecter davantage la spécificité, la compétence
génétique, biochimique ou psychophysiologique)            et l'autonomie des autres disciplines impliquées
qui explique une certaine façon bien particulière         dans le domaine de la santé mentale au sens large
de définir la maladie mentale et son traitement,          (à savoir la psychologie, l'ergothérapie, le nursing,
et d'envisager la multidisciplinarité dans l'équipe       le travail social, etc.). Mais dans la pratique, on
de soins. L'abord de la schizophrénie est directe-        constate souvent deux façons de déroger à la
ment tributaire d'une telle perspective «médicali-        définition de la psychiatrie comme spécialité
sante». Nous nous permettrons dès lors un détour          médicale : d'abord la récupération à l'intérieur
à propos de la nature de la maladie mentale et            de la psychiatrie de connaissances et de techniques
de la définition des rôles dans l'équipe de soins.        qui n'ont aucun rapport avec la médecine au sens
Le lecteur pourra constater que ce détour illustre        strict; ensuite l'envahissement des disciplines
(peut-être) un des aspects du fond du problème.           environnantes par la médecine-psychiatrie qui
   L'équipe multidisciplinaire se réduit parfois à        souhaite exercer un contrôle sur des territoires
une figure de style, l'expression désignant la            étrangers. Il suffit de lire ce qu'écrivent les deux
simple juxtaposition de personnes travaillant dans        auteurs mentionnés, qui souhaitent pourtant que
des disciplines différentes, sans qu'il existe une        la psychiatrie reste une spécialité de la médecine,
véritable collaboration à part égale, respectueuse        pour comprendre que leur position est fort ambiguë.
des différents points de vues (Pelsser, 1980a).               Nérée (1979) souligne qu'il est utile pour les
La question implicitement posée est de savoir si          médecins psychiatres «d'examiner les liens quasi
la psychopathologie peut se ramener à un dys-             organiques (sic!) unissant leur spécialité à la
fonctionnement organique ou à un dysfonction-             psychologie, à la psychanalyse et aux autres
nement psychosocial.                                      sciences humaines» (p. 48); il s'en prend à «l'apla-
La schizophrénie insaisissable                                   97

tissement de la pyramide hiérarchique de l'équipe           Hogarty, 1974), même sans médicaments. L'ex-
multidisciplinaire de prise en charge» et à «la             plication soi-disant scientifique, c'est-à-dire par
stigmatisation du savoir bio-médical auquel est             des facteurs causaux objectivables, reste éminem-
d'ailleurs relié le pouvoir décisionnel du psy-             ment utile mais se heurte à une zone d'inconnu,
chiatre responsable» (p. 48) ; dès lors le psychiatre       ce qui laisse entrevoir les limites de ce modèle
se trouverait à un carrefour; il serait «capable de         dans le domaine psychiatrique (une loi scientifique
cette «écoute bifocale» indispensable en face de            ne supporte pas les exceptions).
toutes plaintes somatiques ou psychiques, apte                  Les recherches indiquent que les hospitalisa-
à intégrer les données venant des diverses disci-           tions pour des problèmes de santé mentale com-
plines connexes» (p. 49). Dans une telle optique,           prennent en fait 70% de réhospitalisations; ainsi
la psychiatrie garderait peu de chose de sa dimen-          un lot important de patients connaissent une
sion médicale, à rencontre des souhaits de l'auteur.        évolution chronique avec des rechutes «à répé-
    La même confusion se lit sous la plume de               tition». Ce sont presque des abonnés de l'hôpital.
Fontaine (1980). L'auteur s'arrête aux raisons qui          Cette constatation indique clairement que les
expliquent pourquoi la psychiatrie a échappé peu            traitements pharmacologiques se contentent sou-
à peu au modèle médical et il montre l'utilité de           vent de soigner et n'arrivent pas facilement à
revenir à un semblable modèle. Mais on constate             guérir.
encore une fois que la psychiatrie est définie                  Lorsque nous soulevons certaines questions à
comme une discipline «melting pot)). «Il importe            propos des limites du traitement pharmacologique
 que le psychiatre connaisse et maîtrise très bien          des schizophrènes, il faudrait mentionner pour
le modèle médical qui constitue la base de sa               être exact qu'il existe, à l'intérieur du champ
 formation. [...] Ceci ne nous empêche pas de con-          de recherche sur la psychopharmacologie, un
naître l'apport des autres modèles», ainsi le mo-           groupe de personnes, malheureusement minori-
 dèle social et le modèle psychologique. Et la              taires, qui se montrent critiques face aux affir-
 conclusion s'impose inévitable : «Au moment où             mations habituellement acceptées sur le sujet :
 des ponts semblent vouloir s'établir entre les dif-         1. le schizophrène doit être traité à l'aide de
 férents modèles, le modèle médical trouve toute            médicaments, et si l'on n'agit pas ainsi, c'est un
 sa signification et sa raison d'être et peut servir        manque d'éthique ; 2. de tels patients doivent
 de lieu de rencontre et de principe d'unification          continuer à prendre une médication, même
 (sic!) afin d'aboutir à une théorie unifiée du             après la disparition des symptômes; 3. il faut
 comportement humain» (p. 754). Le tour est                 prévenir les rechutes puisque l'état psychotique
joué, mais il faut se demander si la psychiatrie            en lui-même est pathogène et entraîne un pro-
 se définit comme science médicale ou comme                 cessus de détérioration; 4. il n'est pas essentiel
 science humaine. Il s'agit d'un dilemme presque            dans le traitement de la schizophrénie de mettre
 impossible à résoudre, sinon par la fusion de la           l'accent sur autre chose que les médicaments;
médecine, de la sociologie et de la psychologie.            5. il existe relativement peu de dangers à utiliser
                                                            une médication neuroleptique. En fait, certains
                                                            auteurs soutiennent, sur une base scientifique
LA NÉCESSITÉ DE DÉVELOPPER
                                                            rigoureuse, que la médication est contre-indiquée
LA PSYCHOTHÉRAPIE
                                                            dans le cas de certains schizophrènes et même
   Le savoir et le pouvoir ont des limites et il            qu'elle peut entraîner des effets néfastes à long
serait temps de reconnaître où échouent nos                 terme, à savoir l'induction ou le renforcement des
connaissances et nos interventions puisque d'une            symptômes négatifs, l'augmentation du risque de
part un certain nombre de patients schizophrènes            rechute et d'hospitalisation. Il s'agit d'une voie
ne s'améliorent pas (10%, Davis, 1980) ou re-               intéressante à explorer (Klein, 1975; Carpenter
chutent (36%, Hogarty, 1974), malgré la prise               et coll., 1977; Rappaport et Coll., 1978; Buckley,
d'une médication neuroleptique, et d'autre part,             1982).
un certain nombre d'entre eux s'améliorent                      La porte reste ouverte pour trouver des tech-
(25%, Davis, 1980) ou ne rechutent pas (20%,                niques de psychothérapie qui soient véritablement
98                                            Santé mentale au Québec

 capables de s'en prendre au fonctionnement de               par des désirs de guérir à tout prix (Juror sanandi),
 la pensée délirante, souvent présente malgré la             mais aussi par le découragement, le désinves-
 prise d'un médicament neuroleptique. Les théories           tissement face aux obstacles et aux échecs. La
 de type psychologique ou psychodynamique                   meilleure défense est la fuite : éviter d'avoir des
 sur l'origine de la schizophrénie ou sur la nature         contacts cliniques avec les patients psychotiques,
 du traitement se limitent souvent à des généralités        mais s'intéresser à eux de façon indirecte (Tanguay,
 (la forclusion, le bon objet et le mauvais objet,           1981). La fuite pourra prendre des formes di-
 le double bind, etc.) qui ne fournissent pas de            verses : s'engager dans la recherche fondamentale
 moyens techniques pour s'attaquer aux problèmes            sur la biochimie de la schizophrénie, s'adonner à
 concrets posés par le schizophrène (Pelsser, 1980b).       l'enseignement ou à la supervision (faites ce que
 Il nous apparaît que la psychose ne peut être              je dis et non ce que je fais), s'occuper de l'organi-
 réduite à une seule théorie du fait que par son            sation et de la distribution des soins au plan
 essence même elle fait sauter toute théorie ration-        administratif et finalement nier l'existence de la
 nelle et logique. Il s'agirait d'inventer une infinité     psychose (devenir anti-psychiatre ou drop-out).
 de théories explicatives et également une infinité              Il est un phénomène qu'on observe couram-
 de moyens d'intervention.                                  ment dans les équipes de soins ; ce ne sont pas les
    Lalonde (1980) souligne l'intérêt de combiner           patients qui changent de thérapeutes, mais ces
les diverses approches thérapeutiques, l'une                derniers qui changent de patients... en allant
 s'appuyant sur l'autre et vice versa. «La pharma-          travailler ailleurs. Ceci en dit long sur notre savoir
cothérapie rend souvent le patient accessible à la          et notre pouvoir.
psychothérapie, et, inversement, la psychothé-
rapie, en créant une relation de confiance, incite
le patient à maintenir une pharmacothérapie
                                                               La recherche devrait s'attarder aux cas de
parfois indispensable» (p. 279). Une psychothéra-
                                                           schizophrènes qui déjouent les règles scientifi-
pie avec les psychotiques, qui pourrait dignement
                                                           ques : ceux qui guérissent sans médicaments et
porter ce nom, devrait aller un peu plus loin que
                                                           ceux qui ne guérissent pas malgré les médicaments.
le simple établissement d'une relation de confiance,
                                                           C'est à partir de là que se posent les vraies ques-
dans le seul but de favoriser la prise de médica-
                                                           tions. La schizophrénie met toute forme de thé-
ments antipsychotiques. Il s'agit de trouver des
                                                           rapeutique en échec, lorsqu'on considère son
moyens techniques concrets pour défaire les méca-
                                                           évolution chronique.
nismes de la pensée délirante (Will, 1980, Ellen-
                                                              C'est seulement lorsque les soignants parvien-
berger, 1981) ; quelques-uns peuvent être mention-
                                                           dront à se maintenir sur le terrain de la psychose
nés dans ce sens : ramener constamment à la
                                                           qu'ils pourront y faire face : avoir des idées «folles»
réalité, discuter de problèmes actuels et concrets,
                                                           de types d'intervention possibles, faire «éclater»
avoir une attitude de doute systématique face au
                                                           et multiplier les théories étiologiques existantes. Il
délire, expliquer le rapport du délire avec le vécu
                                                           s'agit de développer des moyens d'intervention qui
du patient, etc. Il s'agit de principes élémentaires
                                                           échappent à la logique et au bon sens et de mettre
qui ne donnent guère une idée de ce que devrait
                                                           «en pièces détachées» les théories rassurantes.
être une véritable psychothérapie des psychoses.
Il faut lire Gisela Pankow (1969, 1977, 1981) dont
l'œuvre est capitale dans le domaine. Les travaux
                                                           RÉFÉRENCES
de May (1968) et Hogarty et coll. (1973, 1974a)
indiquent que la place de la psychothérapie dans -          AMYOT, A., 1981, Vers la santé mentale (entrevue),
le traitement des schizophrènes est réduite ; cepen-          Carrefour des Affaires Sociales (numéro spécial :
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La schizophrénie insaisissable                                          99

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