LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE - Tendance Droit
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LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE SUPPLÉMENT AU N° 14, 8 AVRIL 2019 ISSN 0242-5777 L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL 2e séminaire de droit processuel du 21 février 2019 Coordination : Cécile Chainais et Xavier Lagarde LA PERTINENCE DE LA SÉLECTION, LA FIABILITÉ DES ANALYSES
LEXISNEXIS PRESSE PHOTO © BNENIN - FOTOLIA La sélection avocats et professions judiciaires 19REVMD020 - 02/ 2019 VE NTE AU N U MÉR O 552 029 431 RCS PARIS Choisissez votre revue Service inclus dans votre abonnement et abonnez-vous ! Lexis Kiosque boutique.lexisnexis.fr LA SEMAINE JURIDIQUE Rédactrice en chef adjointe : Élise Fils Prix de vente au numéro : Tél. : 01.45.58.92.86 - elise.fils@lexisnexis.fr • France (métropole) : 29,61 euros ttc (29 euros ht) Juris-Classeur Périodique (JCP) Éditeur : Florence Creux-Thomas • DOM-TOM et pays étrangers : 35 euros ht 93e année Tél. : 01.45.58.92.42 - Florence.creux-thomas@lexisnexis.fr Offre « spéciale étudiants » : Avec la collaboration de Mounira Matouk-Amellal, stagiaire http://etudiant.lexisnexis.fr/ Président Directeur Général, Directeur de la publication : Merci à Marianne Vasquez pour la mise en page de ce numéro Philippe Carillon Publicité : LexisNexis SA Directrice éditoriale : Direction Marketing Opérationnel / Publicité : SA au capital de 1.584.800 euros Caroline Sordet Caroline Spire, responsable clientèle publicité 552 029 431 RCS Paris carolinesordet@lexisnexis.fr Caroline.Spire@lexisnexis.fr – 01 45 58 94 69 Principal associé : Reed Elsevier France SA Catherine Thevin, responsable du marketing opérationnel Siège social : 141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15 Directeur scientifique : Nicolas Molfessis Catherine.thevin@lexisnexis.fr – 01 45 58 93 05 Comité scientifique : D. Bureau, L. Cadiet, C. Caron, Correspondance : Imprimeur : Evoluprint - SGIT SAS J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, Mme Hélène Béranger Parc Industriel Euronord, 10, rue du Parc, 31150 Bruguières B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, La Semaine Juridique (Édition générale) B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel-Munck, 141, rue de Javel - 75747 Paris Cedex 15 N° Imprimeur : 6001 F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck Relations clients : N° Éditeur : 5819 relation.client@lexisnexis.fr Dépôt légal : à parution Comité d’experts : C. Champalaune, W. Feugère, 0,112 euros puis 0,09 euros /min à partir d’un poste fixe Commission paritaire : n° 1121 T 80376 J.-P. Jean, D. Musson, É. Negron, B. Stirn, L. Vallée, www.lexisnexis.fr E. Vasseur Photo de couverure : © Richard Villalonun - Getty Abonnement annuel 2019 : Photos intérieur : ©Philippe Bachelier et Droits réservés Rédactrice en chef : Hélène Béranger • France (métropole) : 781.07 euros ttc (765 euros ht) Tél. : 01.45.58.93.24 - helene.beranger@lexisnexis.fr • DOM-TOM et pays étrangers : 845 euros ht Supplément gratuit pour les abonnés. Ne peut être vendu. © LexisNexis SA 2019 non autorisée par LexisNexis SA ou ses ayants droit, est strictement commerciale conformément aux dispositions de l’article L. 122-10 Cette œuvre est protégée par les dispositions du Code de la interdite. du Code de la propriété intellectuelle relatives à la gestion collec- propriété intellectuelle, notamment par celles de ses dispositions LexisNexis SA se réserve notamment tous droits au titre de la re- tive du droit de reproduction par reprographie. Avertissement de relatives à la propriété littéraire et artistique et aux droits d’auteur. production par reprographie destinée à réaliser des copies de la l’éditeur : “Toute utilisation ou traitement automatisé, par des tiers, Ces droits sont la propriété exclusive de LexisNexis SA. Toute re- présente oeuvre sous quelque forme que ce soit aux fins de vente, de données personnelles pouvant figurer dans cette revue sont for- production intégrale ou partielle, par quelque moyen que ce soit, de location, de publicité, de promotion ou de toute autre utilisation mellement interdits”.
Sommaire La Semaine Juridique - Édition Générale - Supplément au N° 14, 8 avril 2019 L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL 2e séminaire de droit processuel À propos des réformes de la justice civile. Réflexions prospectives et comparatistes sur l’avenir du procès civil De Gauche à droite : E. Jeuland, L. Boré, J. Jourdan-Marques, X. Lagarde, C. Chainais, T. Le Bars, F. Ferrand, F. Ancel, G. Joly-Coz et J. Théron Ouverture du colloque 1 Présentation ➜ et Xavier Lagarde, professeur à l’École de Droit de la ➜ Cécile Chainais, professeure à l’université Panthéon-Assas Sorbonne (université Paris 1 Panthéon Sorbonne), directeur Paris 2, directrice du Centre de recherche sur la Justice et le du Département de recherche « Sorbonne - Justice règlement des conflits (CRJ) et Procès » (IRJS) P. 5
1re table ronde : Aspects généraux 2 L’avenir du procès civil – Les réformes de la justice civile 4 Réflexions désabusées sur la réforme permanente ➜ Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du Sceau P. 7 de la justice civile ➜ Thierry Le Bars, professeur de droit privé, Institut 3 Tendances et mutations en procédure civile comparée Demolombe (EA 967), université de Caen-Normandie P. 22 ➜ Frédérique Ferrand, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, professeure agrégée de droit privé, 5 De la réalisation méthodique du droit au règlement directrice de l’Institut de droit comparé Édouard Lambert des litiges (IDCEL), directrice de l’Équipe de droit international ➜ Xavier Lagarde, professeur à l’École de Droit de la Sorbonne européen et comparé (EDIEC) P. 12 (université Paris 1 Panthéon Sorbonne), directeur du Départe- ment de recherche « Sorbonne - Justice et Procès (IRJS) P. 25 2e table ronde : Quel avenir pour le juge civil ? 6 Quelques questions d’actualité sur l’office du juge 8 L’office du juge en première instance, en appel en matière de droit à partir du droit comparé et en cassation ➜ Emmanuel Jeuland, professeur à l’École de droit ➜ Louis Boré, docteur en droit, président de l’Ordre des de la Sorbonne P. 30 avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation P. 41 7 La place du juge civil en 2019 : point de vue d’une cheffe 9 Le recul du juge : déjudiciarisation ou de juridiction déjuridictionnalisation ? ➜ Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal de grande ➜ Julien Théron, professeur de droit privé, directeur Master 2 instance de Pontoise P. 36 Juriste d’affaire-DJCE, université Toulouse 1 – Capitole P. 44 3e table ronde : Quel avenir pour la procédure civile ? LA MUTATION DES PROCÉDURES 12 Procédures dématérialisées : éléments de droit 10 La nouvelle chambre commerciale internationale de comparé québécois la cour d’appel de Paris : quels enjeux procéduraux ? ➜ Corinne Bléry, professeur à l’université polytechnique ➜ François Ancel, président de la chambre commerciale Hauts-de-France (Valenciennes) P. 56 internationale de la cour d’appel de Paris P. 49 LE PRINCIPE DE PUBLICITÉ À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE 11 Des audiences en anglais … et des audiences en allemand ? 13 La publicité des décisions, une garantie émoussée ? ➜ Isabelle Desprès, professeur à l’université de Nantes, ➜ Jérémy Jourdan-Marques, professeur à l’université des directeur du parcours franco-allemand P. 53 Antilles P. 62 Être connecté, c’est rester informé Rejoignez la communauté LexisNexis Etudiants #NEWS#ACTUALITES #ETUDES #METHODO #CODES #REVISIONS #CONTENUS #CONSEILSETUDIANTS #SEMAINEJURIDIQUE #BONSPLANS #ACTUDROIT #DROITPENAL#DROITDESAFFAIRES #DROITCIVIL #OFFRESETUDIANTS #DROITCONSTITUTIONNEL @Lexis_Etudiants LexisNexis Etudiant LexisNexis Etudiant etudiant.lexisnexis.fr
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 1 Présentation Cécile Chainais, professeure à l’université Panthéon-Assas Paris 2, directrice du Centre de recherche sur la Justice et le règlement des conflits (CRJ) Xavier Lagarde, professeur à l’École de Droit de la Sorbonne (université Paris 1 Panthéon Sorbonne), directeur du Département de recherche « Sorbonne - Justice et Procès » (IRJS) 1 - Deuxième édition du Séminaire de droit processuel. - Le D’abord, des intervenants ont pu exprimer leur scepticisme présent numéro rend compte de la table ronde qui s’est tenue le face à l’annonce d’une généralisation de l’exécution provisoire 21 février 2019, au Centre Panthéon. Cette réunion était la deu- de droit des décisions de première instance. Certains, forts de xième séance du Séminaire de droit processuel, fruit d’un parte- leur expérience judiciaire, ont ainsi souligné qu’une telle me- nariat entre le Département de recherche « Sorbonne - Justice et sure engendre nécessairement un important contentieux secon- Procès » (IRJS) de l’université de Paris I Panthéon Sorbonne et daire sur l’exécution, dont les cours d’appel auront à connaître le Centre de recherche sur la Justice et le règlement des conflits ; d’autres voix ont aussi rappelé que la fin des années 1990 et (CRJ) de l’université Panthéon-Assas Paris II. le début des années 2000 avaient déjà connu un débat nourri Ce séminaire a vocation à réunir la communauté des processua- autour de cette question, débat qui s’était soldé par l’abandon listes et à favoriser les échanges de vue au service des progrès de de la proposition visant à remettre en cause l’effet suspensif des la science du droit processuel, entendue à la fois comme l’étude voies de recours ; or il est permis de se demander si la situation des différents contentieux techniques mais aussi comme la re- a à ce point évolué – et, pour dire les choses concrètement, si la cherche d’un droit commun du procès nourri de principes di- qualité de justice de première instance a à ce point progressé en- recteurs et fondamentaux. Conformément à l’esprit qui anime tretemps – qu’une solution différente se justifierait aujourd’hui. le séminaire, la contradiction a eu toute sa place et le pluralisme Ensuite, diverses préoccupations se sont manifestées autour de l’avenir de la Cour de cassation, sur le fond comme sur la des idées s’est librement déployé, cette année encore. forme. Sur le fond, l’idée selon laquelle on pourrait permettre, à la faveur d’un mécanisme de filtrage des pourvois, qu’un re- 2 - Esprit du séminaire : le pluralisme. - Ce pluralisme est cours pourtant bien fondé ne fasse pas l’objet d’un examen par d’abord celui des pensées universitaires : ont participé à cette la Cour de cassation, ne laisse pas de susciter une perplexité per- séance des universitaires venus de tout l’hexagone (Amiens, sistante. Sur la méthode, le vœu a été formé à plusieurs reprises Caen, Lyon, Nantes, Nice, Paris, Toulouse, etc.), et même – en conformité avec l’esprit pluraliste qui anime le séminaire d’Outre-Mer, et incarnant des « écoles » de procédure très va- – que la commission présidée par M. Henri Nallet soit attentive riées. Mais il est aussi celui de la diversité des professions juri- à recueillir la plus grande diversité de points de vue sur cette diques représentées au sein du séminaire : hauts conseillers à la question qui engage notre culture juridique – à commencer par Cour de cassation, présidents de chambre de la Cour d’appel de la place de la règle de droit dans notre système judiciaire. De Paris, mais également présidents de juridiction, juges du fond, manière corollaire, une autre idée a été avancée : sur des ques- avocats aux conseils, avocats (parmi lesquels, notamment, les tions aussi importantes, il conviendrait qu’un projet de texte membres de l’Association Droit et procédure), greffiers, juristes soit rendu public avant même d’être présenté à la représentation d’entreprise, ont pris part à l’événement, renouvelant ainsi, nationale, afin de pouvoir donner lieu à des discussions contra- cette année encore, le vœu d’être parties prenantes de ce mo- dictoires et constructives de l’ensemble de la communauté pro- ment de réflexivité sur la justice. cessualiste. M. Andrieu a accueilli très favorablement une telle La Chancellerie a, en outre, renouvelé son intérêt pour ce projet en proposition. la personne de M. Thomas Andrieu, conseiller d’État, directeur de Enfin, le transfert, vers les caisses d’allocations familiales (CAF), la Direction des affaires civiles et du Sceau, qui a présenté ce qu’il a de certaines attributions jusqu’alors dévolues aux juges aux af- appelé « l’architecture du procès de demain », dont le lecteur pren- faires familiales a été largement débattu. M. Andrieu a insisté, au dra connaissance ci-après, et qui a accepté d’écouter et de réagir aux soutien du projet, sur la rapidité attendue des décisions prises observations formulées par les membres du séminaire. par les CAF et la proximité que présente d’ores et déjà la CAF avec les intéressés ; il a également souligné l’aspect expérimen- 3 - De quelques questions discutées oralement. - Lors des dis- tal de cette mesure, qui permettrait le cas échéant de l’amender cussions et au-delà des interventions écrites que le lecteur s’ap- si la pratique devait se révéler n’être pas concluante. Mais les prête à découvrir, des préoccupations se sont manifestées lors critiques n’en ont pas moins été vives, notamment sous l’angle des débats, à propos des réformes en cours. On en donnera trois de l’analyse juridictionnelle de la matière gracieuse, et le risque exemples. que les CAF soient à la fois juges et parties a été mis en avant. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019 - © LEXISNEXIS SA Page 5
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 Xavier Lagarde & Cécile Chainais La toute récente décision du Conseil constitutionnel n° 2019- ainsi que le lecteur en prendra aisément la mesure en décou- 778 du 21 mars 2019 a retenu la pertinence de ce dernier ar- vrant les contributions ici réunies. Ils ont en effet accepté de se gument, puisqu’elle décide qu’en autorisant une personne projeter dans l’avenir du droit du procès civil – avenir proche, privée en charge d’un service public à modifier des décisions et lointain –, en faisant une large place à la fois aux expériences judiciaires, sans assortir ce pouvoir de garanties suffisantes au étrangères et aux changements nés de la mondialisation et de regard des exigences d’impartialité découlant de l’article 16 de la la révolution numérique. Dans cette perspective, l’entrée en vi- Déclaration de 1789, le législateur a adopté une disposition non gueur de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la conforme à la Constitution. Justice, votée le 18 février 2018 et promulguée au Journal officiel du 24 mars 2019, a naturellement retenu l’attention. Mais un 4 - L’avenir du procès civil : approche prospective et compa- futur plus lointain a également été envisagé : les contributions ratiste. - Le thème retenu pour cette deuxième édition du sé- s’inscrivant dans le temps long ou, du moins, la moyenne durée, minaire était particulièrement riche : l’avenir du procès civil, se sont ainsi employées à semer des graines, comme il se doit abordé selon une approche certes prospective, mais également dans un séminaire, afin d’esquisser ce que pourrait être le juge comparatiste. Les intervenants ont ainsi délibérément cultivé civil, mais aussi la procédure civile de demain. ■ l’art du pas de côté – dans l’espace, comme dans le temps –, Page 6 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 1RE TABLE RONDE : ASPECTS GÉNÉRAUX 2 L’avenir du procès civil Les réformes de la justice civile justice civile dans sa triple fonction de production, de symbole et de régulation »3, adapter la justice de première instance aux Thomas Andrieu, évolutions de la société, la rendre plus lisible, plus proche du directeur des affaires civiles et du Sceau justiciable, plus accessible et plus efficace. Rien n’est neuf, c’est vrai, dans ces ambitions, et la simple re- lecture du bilan des entretiens de Vendôme de 2001 suffit à le démontrer. 1 - La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la 6 - La réflexion ne s’arrête pas là : le droit se doit d’évoluer avec justice (LPJ), dont je vous avais, l’an passé1, exposé les grandes la société, ses nouveaux défis et enjeux. C’est une matière en lignes, a été définitivement adoptée par le Parlement dans la perpétuel mouvement, qui vit, à travers les attentes des justi- nuit du 18 au 19 février 2019. ciables mais également des professionnels du droit, dans le but de mieux rendre la justice. 2 - Une nouvelle loi et bientôt de nouveaux textes d’applications Il me semble que l’humilité s’impose face à l’horlogerie déli- auxquels tout un chacun devra s’adapter, certes. Mais pouvait- cate que constitue l’architecture globale du procès civil, de la on se satisfaire de la situation actuelle ? D’un engorgement de première instance à la Cour de cassation et l’ambition d’avoir certaines procédures, de délais de jugements très longs, de la pé- une « vision aboutie et rationnalisée de la chaîne judiciaire 4», nurie de moyens, de l’épuisement des personnels et d’une image appelée de ses vœux par la garde des Sceaux, doit être constante dégradée de la justice au sein de la société ? Je ne le crois pas. dans la réalisation de nos travaux. 3 - La question de l’office du juge et de son périmètre d’inter- 7 - Quel sera donc l’architecture du procès de demain, de la vention a été au cœur des préoccupations du législateur, mu par première instance à la Cour de cassation ? la volonté de restaurer l’efficacité et l’autorité de la décision de Je vais m’employer à dresser une esquisse de son profil, tout en première instance, mais aussi de redonner du sens au travail des ouvrant la discussion sur les thèmes d’actualité. fonctionnaires de justice et des magistrats. En cela, cette loi a poursuivi la double ambition de recentrer 1. Le déroulement du procès en le juge et le greffier sur leur cœur de métier et de simplifier la procédure civile en la rendant plus lisible. Il ne s’agit pas, première instance comme nous avons pu l’entendre lors des travaux parlemen- taires, d’un « recul du juge » mais bien d’un « retour du juge », 8 - Face à l’augmentation, la complexification des contentieux dans sa fonction juridictionnelle et dans son autorité. « Moins et la judiciarisation conduisant parfois à l’engorgement des juger pour mieux juger » pour reprendre les termes de Soraya juridictions, il était nécessaire de prendre des mesures pour Amrani-Mekki. recentrer le juge sur son office juridictionnel, en lui dégageant du temps pour connaître des affaires les plus complexes, en dé- 4 - C’est également le défi du numérique que la justice s’emploie veloppant l’équipe autour de lui et en restaurant son autorité à relever, sauf à ce que de nombreux opérateurs privés en ligne pour que la première instance redevienne le cœur névralgique prétendent prendre sa place en faisant mieux, plus vite. du procès civil. 5 - Les dispositions de la loi s’inscrivent ainsi dans la continui- A. - En amont de la saisine du juge té des réformes de la procédure civile adoptées depuis 20 ans pour dessiner la justice de demain. Renforcer l’efficacité et la 9 - En amont de la saisine du juge, la loi de programmation et de crédibilité de la justice2, trouver des solutions à la « crise de la réforme pour la justice fait preuve d’innovation, en développant le recours aux MARD obligatoires pour saisir le juge de litiges décantés (1°) et en confiant la modification des contributions Ndlr : La loi n° 2019-222, 23 mars 2019 a été promulguée au JO du 24 mars 2019. 1 V. Th. Andrieu, Chantiers de la justice : pour une nouvelle donne procédu- civile : La documentation Française, 1998, p. 3. rale : JCP G 2018, suppl. au n° 13, 26 mars 2018, p. 7 à 14. 3 Propos introductifs in Rapp. au garde des Sceaux, ministre de la Justice, 2 Lettre de mission de M. le garde des Sceaux J. Toubon in Rapp. au garde des Réflexions et propositions sur la procédure civile, préc. note 1. Sceaux, ministre de la Justice, Réflexions et propositions sur la procédure 4 Lettre à H. Nallet, 19 déc. 2018. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019 - © LEXISNEXIS SA Page 7
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 à l’éducation et à l’entretien des enfants à la CAF à titre expéri- pas opposés à ce qu’un état des lieux soit élaboré afin de faire mental. (2°) émerger des propositions pour rendre plus intelligible l’arti- culation des dispositifs existants. Faut-il par exemple rendre 1° Le développement des MARD obligatoire le recours à la médiation institutionnelle lorsqu’elle existe et offre les garanties suffisantes ? Ce ne serait plus alors 10 - Outre l’incitation à recourir à une médiation résultant de la faiblesse supposée de l’enjeu du litige qui commanderait la la généralisation du pouvoir du juge d’enjoindre aux parties de médiation obligatoire mais, même face à un enjeu essentiel, rencontrer un médiateur pour être informés sur les modalités l’existence d’une offre indépendante et structurée de MARD. de déroulement d’une telle mesure, la loi de programmation et de réforme pour la justice a fait le pari d’intégrer les MARD 2° La CAF : un préalable pour obtenir une modi- comme un préalable à la saisine du juge. fication de la pension alimentaire 11 - Elle modifie ainsi les dispositions de l’article 4 de la loi 15 - Comment soulager le juge de contentieux pour lesquels la n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (J 21) en imposant aux par- plus-value de son intervention n’est pas toujours évidente, sans ties de procéder à une tentative de médiation, une tentative de priver le justiciable de l’accès au tribunal ? conciliation par un conciliateur de justice ou une tentative de La loi de programmation et de réforme pour la justice prévoit procédure participative avant de saisir le juge, sous réserve d’ir- une expérimentation audacieuse, en amont de la saisine du juge, recevabilité de la demande, dans des contentieux qui se prêtent tendant à déjudiciariser la procédure de révision des pensions au rapprochement entre les parties : les petits litiges financiers alimentaires au profit des organismes débiteurs des prestations (5 000 €) et les conflits de voisinage. familiales (caisses d’allocations familiales et de mutualité so- Comme l’écrivait S. Guinchard, aider le juge c’est aussi « privi- ciale agricole). Cette expérimentation, soumise à des conditions légier, en amont de son intervention, des phases d’écoute ou de strictes, est limitée à trois ans, à l’issue desquels un bilan sera dialogue »5. dressé avant d’envisager la généralisation du dispositif. Serait-ce opportun d’étendre plus avant ce préalable obliga- toire ? Une partie des praticiens semblent le réclamer. Et pour- 16 - Contrairement au juge, les CAF n’auront pas de marge quoi pas, au contraire, pour les litiges à gros enjeux financiers ? d’appréciation puisqu’elles délivreront un titre exécutoire fixant un montant révisé de pension alimentaire en appliquant stric- 12 - Il nous semble toutefois important d’évaluer le succès de ce tement le barème national. Par ailleurs, elles ne pourront que dispositif avant d’envisager de l’étendre à d’autres contentieux. constater les évolutions dans les ressources des parents et dans En l’état, le ministère s’emploie à rendre plus attractive la fonc- les modalités d’accueil de l’enfant. tion de conciliateur de justice, afin d’inciter à la candidature car des recrutements sont nécessaires pour assurer la pérennité du 17 - Permettre à des organismes chargés d’une mission de ser- dispositif. vice public de réviser sur la base de faits nouveaux une pension Faut-il, avant d’aller plus loin encore, envisager de profession- fixée par un juge est innovant et favorisera un ajustement plus naliser la médiation, ou du moins de lui donner un cadre plus rapide du montant d’une pension alimentaire aux évolutions de défini et de « normer » la formation des médiateurs ? L’exer- situations des parents et de l’enfant. cice de cette activité suppose une grande qualité d’écoute et une Les premières remontées du Grand débat national lancé par le réelle capacité à rétablir une communication, un lien social, Président de la République, à la suite du mouvement des gilets souvent rompu ou en passe de l’être. La variété des approches jaunes, nous encouragent dans cette voie : les difficultés des en droit français est une richesse qu’il faut préserver. mères célibataires sont dénoncées, tant au regard des délais de modification des pensions que de l’effectivité du recouvrement. 13 - En l’état, la médiation n’est pas encadrée par un statut. La loi offre des réponses sur les deux plans. Preuve s’il en était C’est une activité de prestation de services, fondée, sauf excep- besoin que les réformes processualistes, en dépit d’une approche tions, sur la liberté d’entreprendre et soumise à la libre concur- parfois conceptuelle, portent leur réflexion vers le service le plus rence. Son exercice est libre. Sa fiabilité est assurée par un socle concret à nos concitoyens. de principes essentiels posés par les textes que tout médiateur doit respecter, afin que sa moralité, sa compétence et son impar- tialité soient garanties. L’exercice en ligne de ces missions fait B. - L’instance désormais l’objet d’un encadrement plus strict grâce à la LPJ. 1° L’introduction de l’instance 14 - Nous entendons les demandes d’un encadrement plus strict, face au développement d’un marché de la formation du média- 18 - Vous n’êtes pas sans le savoir : le ministère de la Justice tra- teur, de référentiels de déontologie et de formes de plus en plus vaille à la création d’un acte de saisine numérique et à la simpli- variées : médiation institutionnelle, dans le champ des relations fication de l’introduction de l’instance. Cette mesure de simpli- avec les personnes publiques, médiation de la consommation et fication, liée à la transformation numérique, doit nous conduire des entreprises, médiation « citoyenne » … Et nous ne sommes à réduire de manière très importante le nombre de modes de saisine, qui sont aujourd’hui au nombre de 15. L’assignation et 5 Rapp. au garde des Sceaux, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée : La la requête seules survivront. Seul le justiciable non représenté documentation Française, 2008. pourra encore saisir la juridiction par voie papier. Page 8 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 1re table ronde 2° La mise en état Mais alors, quels arguments pour convaincre6? L’usage de cette procédure pourrait, comme le souligne N. Molfessis et 19 - Nous nous interrogeons également sur le rôle du juge de la M. Agostini dans leur rapport, permettre d’« inverser le temps mise en état. judiciaire ». En effet, le rapport « Amélioration et simplification de la jus- tice civile » a souligné les deux critiques majeures adressées de 21 - De manière concrète, ce n’est pas la mise en état de l’affaire manière quasiment consensuelles par les professionnels qui la qui conditionne la date de traitement au fond, mais la date de pratiquent et les justiciables qui ont à connaître de la mise en plaidoirie qui rythme la mise en état, qui doit faire l’objet d’une état en première instance : elle est trop lente et insuffisamment discussion dès l’audience d’orientation. En effet, le magistrat intellectuelle, s’apparentant davantage à une gestion du flux et pourrait, en accord avec les parties, dès la première audience, des stocks. fixer une date d’audience aux fins de clôture, – durant laquelle De fait, le juge de la mise en état, dans le cadre de son audience, les parties déposeront leur dossier de plaidoirie et indiqueront ne dispose souvent que de quelques heures pour actualiser la si elles souhaitent plaider et combien de temps –, et une date de situation de parfois plus de 50 dossiers cette dernière étant plaidoirie de l’affaire, en fonction du temps dont les parties esti- réalisée par voie électronique et pour traiter les incidents ; il ment avoir besoin. L’affaire pourrait alors être retirée du rôle. Le ne rencontre que peu les parties et leurs conseils. Des mesures recours à la procédure participative de mise en état garantirait s’imposent pour rendre cette mise en état plus efficace et favori- aux parties une date de plaidoirie plus rapide qu’en cas de mise ser un dialogue renouvelé entre juge et avocat. en état judiciaire. Il nous semble encore opportun que les parties puissent purger 20 - Le ministère de la Justice fait le pari de convaincre les avo- les incidents du dossier en début de mise en état, le cas échéant même avant de signer une convention de procédure participa- cats et leurs clients de se saisir de la convention de procédure tive. Et pourquoi ne pas donner au JME davantage de pouvoirs participative aux fins de mise en état, pour leur permettre de sur ce point, tel que celui de connaître les fins de non-rece- prendre les rênes de la mise en état de leur litige. voir ? C’est une question que je vous livre et sur laquelle nous En pratique, une fois l’assignation enrôlée, une première au- travaillons. dience pourrait avoir lieu, durant laquelle les parties informe- raient le président qu’elles entendent effectuer la mise en état de leur affaire dans le cadre d’une convention participative. Cette 6 La convention de procédure participative n’a pas eu le succès escompté première audience qui pourrait s’intituler « d’orientation », avant la loi de 2016. Selon les statistiques du ministère de la Justice, de- offrirait également au magistrat la possibilité de proposer cette puis 2013, on dénombrait 50 demandes d’homologation d’une conven- tion de procédure participative devant les TGI ou les TI par an, et ainsi voie procédurale aux parties, dont la comparution personnelle donner toute sa place au principe du dispositif = la direction du procès pourrait être requise. appartient aux plaideurs et à leurs mandataires. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019 - © LEXISNEXIS SA Page 9
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 3° L’audience A. - L’appel 22 - Face au développement de la pratique du dépôt de dossiers 27 - Penser le rôle du juge d’appel implique d’appréhender sa en matière civile, l’audience doit être rationnalisée et s’adapter à situation singulière dans l’architecture du procès, de la pre- la demande des professionnels du droit et des justiciables. mière instance et la cassation. C’est ainsi que la LPJ prévoit la possibilité, en procédure orale Les objectifs fixés depuis une dizaine d’année concernant ce lorsque les parties en sont d’accord, de rendre un jugement sans second degré de juridiction sont clairs : comment lutter contre audience devant le tribunal de grande instance. Cela permettra l’engorgement des cours et maîtriser les flux ? (question qui d’adapter l’offre de justice aux besoins des justiciables, qui n’au- illustre d’ailleurs toute la dépendance de la première instance) ront plus à renoncer à une demande modeste qui les amènerait Juger dans un délai raisonnable tout en rendant des décisions à prendre un congé pour se rendre au tribunal compétent en de qualité ? fonction du domicile de leur adversaire, ou à défaut prendre un Les années 90 avaient donné lieu à un débat entre les tenants avocat pour être représenté. de l’appel voie d’achèvement et de l’appel voie de réformation. Puis, les propositions du rapport dit « Magendie II »7 ont souli- 23 - Une telle possibilité, sous la même condition d’accord des gné la nécessité de rendre plus dynamique la procédure devant deux parties, sera également ouverte aux « petits litiges » dans la cour d’appel tout en la revalorisant, mais également de maî- le cadre d’une procédure exclusivement dématérialisée. Il est triser le flux des affaires tout en garantissant une grande qualité attendu de ces procédures simplicité, réduction des coûts et des décisions. La réforme qui s’en est suivie avait donc pour célérité. objectif de faire de l’appel une « voie d’achèvement maîtrisée ». La procédure d’appel a ainsi été profondément rénovée par 24 - Enfin, le projet de loi de programmation et de réforme le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 dit « Magendie » pour la justice supprime l’obligation de tenir une audience relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en pour statuer sur le sort des meubles laissés sur place par la per- matière civile, qui a eu le mérite de rythmer la procédure. Si sonne expulsée. Le juge de l’exécution n’interviendra plus qu’en l’approche gestionnaire de cette réforme a pu être critiquée, les cas de contestation relative à l’existence ou à l’absence de valeur statistiques semblent le démentir puisque le taux d’appel est en marchande des biens retenue par l’huissier de justice. Il est constante augmentation sur la décennie 2004-20148 et qu’il a prévu une plus grande fluidité dans la vente de meubles après continué à progresser depuis 20119. expulsion. L’objectif de qualité et de célérité de la justice a également gui- dé les réformes postérieures notamment la loi n° 2011-94 du 4° L’exécution provisoire de droit 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel qui a supprimé la profession d’avoué, les dé- 25 - Il nous semble enfin indispensable, pour restaurer l’autorité crets n° 2012-634 du 3 mai 2012, n° 2016-660 du 20 mai 2016 du juge de première instance, de poser le principe d’une exécu- (qui introduit la représentation obligatoire en matière d’appel tion provisoire de droit, qui semble être une attente des profes- prud’homal) et n° 2017-891 du 6 mai 2017 qui s’est efforcé de sionnels approuvée par une grande partie de la doctrine. Reste poursuivre l’effort de modélisation de la procédure dans un ob- à savoir s’il faut en retour élargir les critères de la juridiction du jectif de plus grande égalité des armes et de sécurité juridique. premier président. Le contredit a été supprimé au profit d’un appel compétence La réforme de la première instance étant bien amorcée, il y a assorti d’un régime spécifique, les actes d’appel (déclaration lieu de s’interroger sur les réformes menées en appel et celles d’appel, conclusions au fond et incidents) sont davantage for- envisagées pour la Cour de cassation, l’interdépendance entre malisés et de nouveaux délais sont posés. les différents stades du procès n’étant plus à démontrer. 28 - La LPJ étend à nouveau le domaine de la représentation 2. La chaîne des recours et leur obligatoire même si la réforme sera complétée par voie régle- mentaire s’agissant de l’appel. Les réflexions demeurent toute- articulation fois soumises à l’arbitrage de la garde des Sceaux. Elles portent, à titre d’exemple, sur l’expropriation, les baux ruraux ou bien 26 - Quel que soit le niveau de recours directement concerné, la encore, sur les tutelles et l’assistance éducative. première instance, l’appel, la cassation, les réformes ne peuvent D’autres chantiers sont en cours, tels que la généralisation de s’envisager isolément mais doivent nécessairement s’inscrire la communication électronique en appel, et des réflexions sont dans une compréhension globale : « Ce que l’on regarde ne se menées sur l’incorporation des modes amiables de résolution départit pas du tout. L’organisation de la justice est un conti- des différends, tels que la médiation, à l’instance d’appel. nuum dont chaque partie dépend des autres. […] Les étages sont indissociables » écrivent de concert F. Agostini et N. Mol- fessis dans l’introduction de leur rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile. Dès lors, la réforme engagée de la première instance, comme 7 Rapp. au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Mission Magendie II - les réflexions portées aujourd’hui sur la cassation interrogent Célérité et qualité de la justice civile devant la cour d’appel, 24 mai 2008. l’office qui doit être celui du juge d’appel et implique. Une ré- 8 2004 – 2014 : + 24,3 %. flexion sur le rôle attendu de chacun s’impose. 9 203 248 affaires en 2004, 237 212 en 2011 et 251 185 en 2016. Page 10 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 « La réflexion du groupe 29 - On peut également raisonna- destinée à concevoir un disposi- de travail sur la Cour de tif opérationnel de sélection des blement s’interroger sur la perti- nence d’étendre le principe de la cassation ne peut se concevoir pourvois. concentration des moyens dès la indépendamment de la capacité première instance. Sur ce point, le des cours d’appel à absorber 33 - À l’issue de ces deux années de Premier président B. Louvel écrivait réflexion, des propositions ambi- dans sa tribune consacrée au pour- des tâches supplémentaires. » tieuses ont été formulées pour voi en cassation : « La refonte néces- mettre en œuvre un mode de trai- saire de l’architecture des recours, induite par le reconnaissance tement des pourvois incluant un filtrage et une meilleure moti- du premier juge comme celui du commencement et de l’achè- vation et diffusion des arrêts. Il s’agit ainsi d’instaurer un méca- vement normal du procès, conduit à en concentrer les moyens nisme de régulation des pourvois reposant sur une demande au premier degré de juridiction, et à consacrer l’immutabilité d’autorisation appréciée à la lumière de critères alternatifs du litige entre la première instance et l’appel en optant pour un fondés sur l’intérêt que présente une affaire pour le développe- véritable second degré de juridiction limité au seul examen du ment du droit, l’unification de la jurisprudence, ou bien encore jugement rendu au premier degré ». C’est une question que je la préservation d’un droit fondamental auquel il serait grave- soumets à votre sagacité. ment porté atteinte, afin de permettre à la Cour de cassation de remplir efficacement son double rôle d’éclairage de la norme et 30 - Afin d’apprécier l’opportunité et la possibilité d’unifier d’harmonisation de la jurisprudence. plus encore ces procédures, un premier bilan des effets de la Ces propositions posent une question fondamentale, même si récente réforme de l’appel civil depuis 2009 est nécessaire ; il elle est plus politique que juridique : peut-on refuser d’exami- sera effectué dans le cadre des travaux du groupe de travail sur ner un pourvoi dont un moyen au moins serait fondé ? la Cour de cassation récemment installé. En effet, la réforme de la Cour de cassation, dont je vais mainte- 34 - Dans ce contexte, la garde des Sceaux a confié à M. Henri nant vous dire quelques mots, ne peut s’envisager sans prendre Nallet, ancien ministre, la mission d’évaluer les principes et mo- en considération l’appel. dalités à retenir pour une réforme ambitieuse et consensuelle du pourvoi en cassation. Avec les personnes qualifiées qui l’entourent, il adoptera une B. - Réflexions sur le filtrage des pourvois approche comparatiste que ce soit avec les juridictions admi- à la Cour de cassation nistratives mais aussi vis-à-vis des juridictions étrangères et conduira un certain nombre d’évaluations et de bilans sur les 31 - Quelle place pour la Cour de cassation, au sommet de l’ar- réformes déjà entreprises, notamment de la procédure d’appel. chitecture judiciaire ? L’inspection générale de la justice lui apportera son concours Déjà en 1998, le rapport Coulon soulignait : « la spécificité du puisque la garde des Sceaux l’a chargée de rédiger un rapport rôle de la juridiction suprême, Cour régulatrice chargée de dire dressant le bilan des réformes de la procédure d’appel. En effet, le droit, – et la nécessité particulièrement aiguë de réguler le la réflexion du groupe de travail sur la Cour de cassation ne peut flux croissant des pourvois exigent la recherche dans un cadre se concevoir indépendamment de la capacité des cours d’appel spécifique de mécanismes de filtrage ». à absorber des tâches supplémentaires. L’évolution envisagée du rôle de la Cour de cassation pourrait en effet avoir pour consé- 32 - Dans sa tribune du 20 mars 2018 « la réforme du traitement quence de modifier les attributions des juridictions du second des pourvois », le Premier président B. Louvel écrit : « cette degré. évolution est appelée à accompagner un filtrage des pourvois *** conçu comme l’aboutissement d’une chaîne judiciaire rationa- lisée et réorganisée à partir du souci d’offrir au justiciable une 35 - Qu’est-ce qu’un bon procès ? plus grande célérité dans le traitement des contentieux, et une Permettez-moi de répondre en citant Jean-Claude Magendie : plus grande prévisibilité de la solution qu’il est en droit d’es- « S’il veut être perçu comme un modèle et reçu comme tel par pérer, gage de sécurité et de stabilité juridiques pour tous : il les nouvelles générations, le procès civil européen doit offrir un en va, en particulier, de l’intérêt du juge et du droit français à accès libre et égal pour tous à la justice. Il doit aussi se situer être choisis par les opérateurs internationaux, choix lui-même à l’opposé de tout juridisme étroit et, pour ce faire, interdire la appelé à s’exercer dans un contexte concurrentiel grandissant chicane et les arguties procédurières. Il doit être rapide sans être entre les systèmes judiciaires. » expéditif, compréhensible pour ceux qui demandent justice, loyal En octobre 2014, a été installé une première commission de et correspondre à toutes les caractéristiques du procès équitable. réflexion sur la réforme de la Cour de cassation confiée au pré- Il faut aussi que puisse être assurée, a minima, la prévisibilité des sident Jean-Paul Jean (directeur du SDER), laquelle a remis sentences »10. ■ son rapport en février 2017. Les propositions qui en résultent portent sur le filtrage des pourvois, et l’enrichissement de la motivation des arrêts de la Cour. 10 J.-C. Magendie, L’exigence de qualité de la justice civile dans le respect des principes directeurs de l’euro-procès, la démarche parisienne in La procé- Le président Bruno Pireyre s’est ensuite vu confier une nouvelle dure dans tous ses états, mél. offerts à J. Buffet : LGDJ, coll. Les Mélanges, commission par le premier président de la Cour de cassation, 2004, p. 319. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019 - © LEXISNEXIS SA Page 11
L’AVENIR DU PROCÈS CIVIL – 2E SÉMINAIRE DE DROIT PROCESSUEL DU 21 FÉVRIER 2019 1RE TABLE RONDE : ASPECTS GÉNÉRAUX 3 Tendances et mutations en procédure civile comparée entreprises dans le marché unique »2. Le tableau de bord, établi Frédérique Ferrand, dans le cadre d’un « dialogue ouvert avec les États membres »3 membre honoraire de l’Institut universitaire de France, professeure agrégée de droit privé, et qui en est à sa 6e édition 20184, a pour mission non seulement directrice de l’Institut de droit comparé Édouard d’aider à concevoir de meilleures politiques de justice, mais Lambert (IDCEL), directrice de l’Équipe de droit aussi d’inviter, plus ou moins fermement, les États membres ou international européen et comparé (EDIEC) certains d’entre eux à « engager les réformes qui s’imposent »5. 4 - De même, le Brexit a éveillé les appétits juridictionnels d’États européens qui entendent accueillir la potentielle manne conten- L’analyse comparative de diverses procédures civiles natio- tieuse jusqu’alors portée devant les tribunaux de Londres. nales fait apparaître deux grandes tendances à l’œuvre, qui ne sont pas toujours exemptes de contradictions : d’une part 5 - Les tendances à l’œuvre en procédure civile – qui ne sont pas la volonté de renforcer la confiance du justiciable en l’insti- toujours exemptes de contradictions - semblent être de deux tution (les réformes portent alors sur l’organisation, le pilo- ordres : une volonté de renforcer la confiance du justiciable tage et le fonctionnement des juridictions) ; d’autre part une en l’institution ; les réformes portent alors sur l’organisation, métamorphose de la procédure civile par sa technicisation le pilotage et le fonctionnement des juridictions (1) ; une tech- (qui va jusqu’au procès numérique) et une flexibilisation du nicisation et une flexibilisation du procès, lequel devient de procès, lequel est de plus en plus l’option ultime en cas de plus en plus l’option ultime en cas de différend : les évolutions différend. concernent alors la procédure civile (2). 1 - Un mouvement de rapprochement des procédures civiles nationales s’amorce depuis une vingtaine d’années dans le 1. Mesures en vue de renforcer monde entier, sous l’effet à la fois d’un certain effacement des la confiance du justiciable en frontières et de préoccupations financières des États qui ont iné- l’institution luctablement des conséquences sur l’organisation de la justice et le déroulement – quand il a lieu – du procès civil. 6 - L’examen de certaines réformes nationales envisagées ou en cours atteste d’une volonté de renforcer la confiance d’abord 2 - Au sein de l’Union européenne, ce rapprochement est éga- par un renforcement et une meilleure utilisation des moyens lement dû à l’action du législateur européen, qui conduit les de la justice ainsi qu’un pilotage amélioré (A), ensuite par une États membres – au moins pour les litiges transfrontières intra- transparence accrue (B), enfin par une spécialisation renforcée Union – à s’engager dans des voies de réforme convergentes. Le des magistrats (C). Parlement européen a en outre, le 4 juillet 20171, adopté une résolution relative à des normes minimales communes des pro- cédures civiles, destinées à contribuer à la modernisation des A. - Renforcement de la confiance par l’allo- procédures nationales, garantir des conditions de concurrence cation de moyens suffisants à l’institution égales pour les entreprises, une croissance plus forte grâce à judiciaire et un pilotage satisfaisant des systèmes judiciaires efficaces et efficients et approfondir les normes minimales énoncées tant dans la Charte des droits fon- 7 - Pour bénéficier de la confiance des justiciables et incarner au damentaux de l’Union que dans la Convention EDH. mieux l’État de droit6, diverses réformes sont envisagées par les 3 - Les systèmes de justice sont de plus en plus mis en concur- 2 Déclaration de V. Jourová, commissaire européenne chargée de la justice, rence ouverte, par exemple au sein du tableau de bord de la jus- 10 avr. 2017, accessible sur le site : https://ec.europa.eu. tice dans l’Union européenne qui, chaque année depuis 2013, 3 Doc. COM (2013) 160 final, 27 mars 2013, p. 3. entend procéder à un arrêt sur image de l’efficience et de la qua- 4 V. Tableau de bord 2018 de la justice dans l’UE : le rôle majeur des sys- lité de la justice dans les États membres parce que « l’effectivité tèmes judiciaires dans la défense de l’État de droit et des valeurs de l’UE, des systèmes de justice est essentielle pour accroître la confiance consultable sur : https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamen- tal-rights/effective-justice/eu-justice-scoreboard_en. dans un environnement propice aux investissements et aux 5 V. Tableau de bord 2018 de la justice dans l’UE, préc. note 4. 6 En Allemagne, le projet pour la justice de la coalition gouvernementale est dénommé « Pacte pour l’État de droit ». V. aussi le titre du Tableau de 1 Rés. PE, n° 2015/2084 (INL), 4 juill. 2017. bord de la Justice 2018, préc. note 4. Page 12 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - SUPPLÉMENT AU N° 14 - 8 AVRIL 2019
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