La sonde Huygens explore Titan

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La sonde Huygens explore Titan
La sonde Huygens
 explore Titan
 Portée par le vaisseau spatial Cassini, la sonde européenne Huygens descendait le 14 janvier 2005 sous un
 parachute dans l’atmosphère de Titan et se posait à la surface. Commençant leurs mesures à 160 km
 d’altitude, les six instruments embarqués nous ont fourni des informations précieuses sur ce satellite de
 Saturne, unique dans le Système Solaire.

 T
          itan, le plus gros satellite de Saturne avec un dia-     système de Saturne (planète, anneaux et satellites). Le
          mètre de 5150 km, est actuellement étudié par la         1er Juillet 2004, le vaisseau spatial fut inséré en orbite
          mission spatiale Cassini-Huygens, qui nous révèle        autour de Saturne sans problème et commença une longue
 un monde complexe doté de processus géophysiques et               série de survols de la planète et de ses satellites (dont 44
 atmosphériques qui rappellent ceux de la Terre, mais qui se       survols de Titan au cours de la mission nominale). Le
 déroulent dans des conditions complètement différentes.           25 Décembre 2004, la sonde Huygens se sépara de l’orbi-
 L’atmosphère de Titan nous a été révélée essentiellement par      teur à une vitesse relative de 0,35 m/s et commença à
 les missions Voyager dans les années 1980-1981, avec la           approcher sa cible, Titan, stabilisée par une rotation de
 découverte du diazote comme constituant majoritaire (à            7 tours par minute sur elle-même. L’atterrissage était pro-
 plus de 97%) et de toute une kyrielle de composés orga-           grammé vers 10°S de latitude et 190° W de longitude... La
 niques produits par une photochimie combinant le diazote          sonde Huygens descendit dans l’atmosphère de Titan le
 et le méthane (2% dans la haute atmosphère). Voyager a
 aussi indiqué que la température à la surface atteignait 94 K
 (–179°C) et la pression 1500 hPa environ, soit 1,5 fois celle
 de la Terre. Par la suite, des informations complémentaires
 sur la composition chimique furent apportées par des
 observations au sol (détection du monoxyde de carbone CO
 et de l’acétonitrile CH3CN), mais aussi par des mesures
 effectuées par le Infrared Space Observatory (ISO) en 1997
 (détection de la vapeur d’eau et du benzène). La surface du
 satellite est restée « cachée » aux yeux des caméras de la mis-
 sion Voyager à cause d’une épaisse brume qui entoure le
 satellite. Ce n’est que dans les années 1990 que des téle-
 scopes terrestres ont commencé à percer le mystère de ce sol
 complexe qui comporte des régions sombres et des régions
 brillantes, mais dont la composition restait inconnue.
    La mission Cassini-Huygens, composée d’un orbiteur et
 d’une sonde de descente, est le fruit d’une collaboration
 entre l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et la NASA.
 Lancée le 15 octobre 1997 depuis Cape Canaveral, elle
 arriva dans le système de Saturne en juillet 2004, après un
 périple de 7,5 années et des survols de Vénus, la Terre et
 Jupiter qui ont fourni une assistance gravitationnelle pour
 amener sa charge utile jusqu’à Saturne en limitant la masse
 de carburant embarquée. Les 12 instruments scientifiques à        Figure 1 – Descente de la sonde Huygens à travers l’atmosphère de
 bord de l’orbiteur permettent d’étudier tous les aspects du       Titan et atterrissage le 14 Janvier 2005.

 Article proposé par :
 Athéna Coustenis, athena.coustenis@obspm.fr
 Bruno Bézard, bruno.bezard@obspm.fr
 Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (LESIA), UMR 8109, CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/Uni-
 versité Paris 7, Paris.

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La sonde Huygens explore Titan
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14 janvier 2005 (voir encadré 1) et a permis une caractéri-                aérosols et des gaz de 160 km d’altitude jusqu’à la surface,
sation in situ du satellite, en fournissant ainsi une « vérité-            fourni le bilan radiatif de l’atmosphère et transmis des ima-
terrain » indispensable pour interpréter certaines mesures                 ges étonnantes de la surface montrant des réseaux fluviati-
effectuées depuis l’orbiteur Cassini. La mission nominale                  les avec une précision jamais égalée.
de l’orbiteur s’est terminée en juin 2008 et une mission
étendue jusqu’en 2010 vient de commencer.                                     Après une descente de 2,5 heures au cours de laquelle la
                                                                           sonde survola des étendues glacées tout en dérivant vers
                                                                           l’Est, Huygens se posa en douceur à la surface de Titan vers
La sonde Huygens descend                                                   13:34 UTC sur une étendue humide et couverte de galets.
dans Titan                                                                 Trois parachutes ont tour à tour réduit sa vitesse de 400 m/s
                                                                           lors de l’entrée dans l’atmosphère à quelque 5 m/s à la sur-
    Un moment intense de la mission fut la descente de la                  face. À cette vitesse, le dessous de la sonde a touché la sur-
sonde Huygens dans l’atmosphère de Titan et son atterris-                  face, puis glissé un court moment avant de s’arrêter. À la
sage en douceur à la surface (figure 1). « Emballée » dans                 surprise générale, les instruments continuèrent à fonction-
son bouclier thermique, Huygens a commencé une des-                        ner et d’enregistrer des données pendant plus d’une heure
cente sans faute à travers l’atmosphère de Titan le 14                     après l’atterrissage pour les transmettre à l’orbiteur avant
Janvier 2005 à 11:04 UTC. Une fois le parachute principal                  qu’il ne disparaisse sous l’horizon. La sonde poursuivit en
déployé vers 160 km d’altitude, les six instruments de la                  fait ses émissions pendant encore deux heures, comme l’in-
sonde (voir encadré 1) ont mesuré les caractéristiques de                  dique le suivi depuis la Terre.
l’atmosphère. Ils ont produit un profil vertical (densité,                    En effet, les signaux de cette sonde – qui représente la
température), mesuré la composition et la distribution des                 première tentative réussie de l’homme d’« atterrir » sur un

Figure 2 – Vues de la plateforme de la sonde Huygens avec les six instruments embarqués à bord.

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La sonde Huygens explore Titan

     Encadré 1                La sonde Huygens et ses instruments

         La sonde Huygens était sous la responsabilité de l’Agence Spa-       pendant la descente, les a pyrolysés dans un four à 250°C puis à
     tiale Européenne. D’une masse de 349 kg, Huygens a effectué la           600°C, et a transmis les gaz produits au GCMS pour analyse chi-
     plus grande partie de son voyage jusqu’à Titan amarrée sur la sonde      mique.
     Cassini, formant ainsi un ensemble de plus de 5,5 tonnes. Son
                                                                                  – Le Doppler Wind Experiment (DWE, PI : M. Bird, Universi-
     objectif principal était l’étude de l’atmosphère de Titan et en partie
                                                                              tät Bonn, Allemagne), qui a perdu ses données transmises dans le
     de la surface, car Huygens n’était pas conçue pour survivre long-
                                                                              Canal A, a vu sa science (mesures des vents dans l’atmosphère) res-
     temps à la surface.
                                                                              tituée grâce au réseau de radiotélescopes qui ont suivi Huygens
        Il y a six instruments à bord de la sonde (figure 2) :                depuis le sol.
         – Le Huygens Atmospheric Structure Instrument (HASI, PI :                – Le Surface Science Package (SSP, PI : J. Zarnecki de l’Open
     M. Fulchignoni, Univ. Paris VII/LESIA, Obs. de Paris, France). Les       University, UK), grâce aux mesures de son pénétromètre et de ses
     profils de température et de densité depuis la haute atmosphère          accéléromètres pendant l’impact, a pu déterminer certaines proprié-
     (1400 km) jusqu’au sol ont été déterminés, tout d’abord par la           tés physiques de la surface. Un sondage acoustique a aussi été effec-
     mesure de la décélération de la sonde jusqu’à 140 km d’altitude,         tué dans les derniers 90 m.
     puis, en dessous, directement à l’aide de senseurs de pression et tem-
                                                                                  – Le Descent Imager / Spectral Radiometer (DISR, PI :
     pérature. Des mesures de conductivité atmosphérique ont aussi été
                                                                              M. Tomasko, Univ. Arizona, Etats-Unis) a fourni des spectres visi-
     effectuées et une possible activité orageuse a été recherchée, sans
                                                                              bles et infrarouges de la lumière ambiante et environ 350 images de
     qu’une détection claire n’ait pu encore être établie.
                                                                              la surface pendant la descente et après l’atterrissage. Une lampe allu-
         – Le Gas Chromatograph and Mass Spectrometer (GCMS, PI :             mée vers 700 m d’altitude a permis de s’affranchir en partie de l’ab-
     H. Niemann, NASA/GSFC, Etats-Unis). Cet instrument a analysé             sorption atmosphérique du méthane et a fourni un spectre complet
     la composition chimique de l’atmosphère tout au long de la des-          de la surface. Les images enregistrées en dessous de 49 km par trois
     cente et celle des produits évaporés ou sublimés de la surface après     caméras aux champs de vue différents ont pu être assemblées en
     impact.                                                                  mosaïques. Les spectres et la polarisation de la lumière ainsi que la
                                                                              brillance de l’auréole solaire ont permis de déterminer les propriétés
        – Le Aerosol Collector Pyrolyser (ACP, PI : G. Israël, CNRS Ser-
                                                                              des aérosols.
     vice d’Aéronomie, France) a collecté des aérosols à deux reprises

 objet du système solaire extérieur – furent « entendus »                     Une atmosphère riche en composés
 avant et après la descente par tout un réseau de radiotéle-                  organiques
 scopes sur Terre, avant même la première retransmission des
 données par Cassini. Huygens continua d’émettre long-
 temps après ce qui était prévu nominalement (72 min au                          En enregistrant la décélération de la sonde avant l’ouver-
 lieu des 5 à 10 min de durée de vie anticipée après l’atter-                 ture du parachute, l’instrument HASI a mesuré la densité
 rissage) soit un total de 5,5 heures pour toute la mission.                  de la haute atmosphère dès 1400 km, ce qui a permis d’en
 Les données de télémétrie de Huygens furent relayées à                       déterminer le profil thermique (figure 3). Il est caractérisé
 l’orbiteur à un taux de 8 kilobits par seconde et emmagasi-                  par une série d’oscillations (ou couches d’inversion), ce qui
 nées à bord de Cassini alors que ce dernier était à une dis-                 suggère une forte activité dynamique, due par exemple à
 tance de 60 000 km de Titan. Deux canaux redondants, A                       des ondes de gravité ou à des marées atmosphériques. Dès
 et B, étaient prévus, mais à cause d’une erreur de program-                  le parachute déployé, HASI a directement mesuré la pres-
 mation, le canal A ne transmit pas de données.                               sion et la température de l’atmosphère. Pendant la descente,
                                                                              la température a tout d’abord décru jusqu’à un minimum
    Les données DWE (Doppler Wind Experiment) ont été                         de 70 K (–203°C) à 44 km d’altitude, la tropopause, puis a
 ainsi perdues à cause de ce problème. Heureusement, la                       augmenté pour atteindre 94 K (–179°C) à la surface où la
 porteuse de Huygens fut captée par plusieurs radiotéle-                      pression est de 1467 hPa. Le profil de température enregis-
 scopes depuis la Terre, ce qui constitua un canal « C », et                  tré est quasiment identique, à 1 ou 2 degrés près, à celui
 l’expérience fut sauvée. Du fait de la redondance des canaux                 obtenu par la sonde Voyager 1 en 1980 avec une technique
 A et B pour les autres expériences, la plupart des mesures                   d’occultation radio, qui consiste à exploiter l’affaiblisse-
 furent récupérées et l’impact scientifique de cette erreur                   ment et le déphasage du signal émis par la sonde au
 technique peut être considéré comme négligeable.                             moment où elle est occultée par Titan. La structure de l’at-
                                                                              mosphère est semblable à celle de la Terre avec une haute
                                                                              atmosphère relativement chaude, la stratosphère. Sur Titan,
                                                                              ce sont le méthane et les aérosols qui chauffent la stra-
                                                                              tosphère en absorbant fortement le rayonnement solaire

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La sonde Huygens explore Titan

Figure 3 – Les profils verticaux de température, pression et densité enregistrés par HASI, ainsi que le profil du vent dans l’atmosphère de Titan
obtenu à partir du signal radio émis par la sonde (expérience DWE).

alors que sur la Terre c’est l’ozone qui joue ce rôle. La                   hydrocarbures plus lourds, des nitriles et des aérosols vrai-
remontée de température sous la tropopause résulte de l’ef-                 semblablement constitués de macromolécules contenant du
fet de serre causé par l’absorption induite par collisions des              carbone, de l’azote et de l’hydrogène. Le méthane et
composants majoritaires de l’atmosphère (diazote, méthane                   l’éthane peuvent se condenser, former des nuages et des
et dihydrogène) tandis que sur Terre, c’est la vapeur d’eau                 brumes qui précipitent à la surface et réalimentent les lacs.
qui en est le principal responsable. Tout près de la surface,               Les aérosols et les autres composés photochimiques se
on trouve une couche limite atmosphérique d’une dizaine                     déposent aussi à la surface. Le profil vertical de concentra-
de mètres, peu turbulente, avec un flux de chaleur montant                  tion du méthane mesuré par l’instrument GCMS (figure 4)
très faible, ce qui indique que la température de la surface                confirme que ce gaz se condense bien dans l’atmosphère.
n’est que marginalement supérieure à celle de l’air.                        De 4,9% à la surface, sa concentration (fraction molaire)
    Pendant presque toute la descente, le vent était prograde,              décroît à partir de 8 km d’altitude pour atteindre 1,4% au-
c’est-à-dire dans le même sens que la rotation de la surface                dessus de 30 km et garde cette valeur dans toute la stra-
de Titan (d’ouest en est), ce qui confirme la super-rotation                tosphère. On est en présence d’un exemple classique en
de l’atmosphère, comme c’est le cas sur Vénus (figure 3).                   thermodynamique, où le méthane atteint son niveau de
À 120-150 km, la vitesse du vent atteint 100 m.s–1, une                     condensation (soit 100% d’humidité) vers 8 km et où la
valeur 9 fois plus élevée que la vitesse de rotation de la sur-             tropopause joue le rôle de « piège froid » pour ce gaz
face solide. L’origine et le maintien de cette super-rotation               comme elle le fait sur Terre pour la vapeur d’eau.
sont loin d’être complètement élucidés, mais il est probable                    L’instrument GCMS nous a par ailleurs apporté des
que les ondes atmosphériques planétaires et la circulation                  informations précieuses sur l’origine et l’évolution de Titan
méridienne qui participent au transport du moment angu-                     en mesurant les concentrations de l’atmosphère en gaz rares
laire du vent zonal y jouent un rôle primordial. Le vent                    et certains rapports isotopiques. La détection de l’argon
décroît en s’approchant de la surface, mais on trouve une                   radiogénique (40Ar), produit de la désintégration du potas-
couche, vers 80 km d’altitude, où la vitesse est étonnam-                   sium 40K abondant dans les roches silicatées, fournit la
ment faible (quelques m.s–1), ce qui reste inexpliqué. Vers                 preuve d’une forte activité géologique dans le passé. Elle
8 km d’altitude, le vent change de direction et souffle vers                implique un dégazage partiel du cœur rocheux du satellite
l’ouest, avant de devenir quasi-nul à la surface. Ce change-                situé sous la croûte de glace et l’océan putatif constitué
ment de direction reste lui aussi à comprendre.                             d’eau et d’ammoniaque. La faible abondance des gaz rares
   La mission Cassini-Huygens a démontré que le méthane                     primordiaux (seul 36Ar est détecté à un niveau inférieur au
sur Titan était impliqué dans un cycle complexe qui pré-                    ppm) est un résultat particulièrement important compte
sente des analogies avec celui de l’eau sur Terre. S’évaporant              tenu de la capacité de la glace d’eau – le constituant majeur
des lacs mis en évidence par l’instrument radar de Cassini                  de Titan – à piéger les gaz rares. Les différents processus de
et vraisemblablement relâché dans l’atmosphère par cryo-                    formation des petits corps glacés (« planétésimaux »), à par-
volcanisme, il est dissocié à haute altitude par le rayonne-                tir desquels Titan s’est formé dans la nébuleuse sub-satur-
ment ultraviolet du Soleil. S’ensuit une photochimie com-                   nienne, auraient tous conduit à piéger les gaz rares en même
plexe qui produit principalement de l’éthane, mais aussi des                temps que le diazote N2. On pense par conséquent que

                                                                                                                                               43
La sonde Huygens explore Titan

 Figure 4 – Spectres de masse de l’atmosphère (taux de comptage
 d’ions en fonction de la masse par unité de charge) enregistrés par
 l’instrument GCMS. Le premier échantillon est un prélèvement effec-
 tué entre 120 et 130 km et le deuxième a été obtenu après l’atterris-
 sage alors que le sol était localement chauffé par une valve. La troi-
 sième figure montre les taux de comptage du diazote et du méthane
 en fonction du temps. L’augmentation de 40% du méthane 2 min
 après l’impact est due à l’évaporation du méthane dans le sol.

                                                                          Figure 5 – a : Spectres visibles enregistrés à différentes altitudes (indi-
                                                                          quées en km) par DISR, regardant vers le haut, avec le soleil dans son
                                                                          champ de vue. L’absorption dans les bandes du méthane augmente au
 l’azote a été incorporé sous forme d’ammoniac (NH3) ou                   fur et à mesure de la descente. Dans le continuum, on voit l’extinction
 d’autres composés azotés qui ont ensuite formé le diazote                due aux aérosols augmenter elle aussi pendant la descente, de façon plus
                                                                          marquée dans le bleu que dans le rouge. Ces aérosols d’origine photo-
 par photolyse suivie d’un ensemble de réactions chimiques.
                                                                          chimique sont responsables de la couleur orangée de Titan. b : Spectres
 Le rapport isotopique 14N/15N mesuré dans N2 est 1,5 fois                enregistrés en regardant vers le haut mais cette fois à un azimut opposé
 plus faible que sur Terre, ce qui indique qu’une masse                   au Soleil, de sorte que l’instrument ne voit que de la lumière diffusée.
 importante d’atmosphère, peut-être de 1 à 10 fois la masse               Aux altitudes les plus élevées, l’intensité est relativement faible et plus
 actuelle, s’est échappée depuis la formation du satellite. En            grande dans le bleu que dans le rouge, une conséquence de la petite taille
 effet, les processus d’échappement, qu’ils soient thermiques             des aérosols diffusants. Pendant la descente, l’intensité diffusée aug-
 ou non-thermiques, sont plus efficaces pour les atomes ou                mente dans un premier temps avec la quantité croissante d’aérosols au-
 molécules légers – plus rapides et plus abondants dans la                dessus de la sonde, puis diminue à cause de l’opacité de ces aérosols et
 très haute atmosphère – de sorte qu’ils tendent à enrichir               du méthane qui atténue de plus en plus fortement le flux solaire des-
 l’atmosphère restante en isotopes lourds pour un élément                 cendant.
 chimique donné. Le rapport 12C/13C mesuré dans le
 méthane n’est lui que 8% inférieur à la valeur terrestre inor-
 ganique. Cette différence est néanmoins significative et tra-
 duit vraisemblablement un échappement du méthane non

44
La sonde Huygens explore Titan

négligeable par rapport au taux de destruction photochi-              Depuis leur arrivée, la caméra, le spectro-imageur infra-
mique, un résultat quelque peu surprenant. Notons aussi            rouge et le radar de Cassini nous ont montré des lacs vers le
que la valeur de ce rapport indique très probablement une          pôle nord du satellite, un système complexe de nuages au-
origine abiotique du méthane, les processus biologiques sur        dessus du pôle sud et une épaisse couverture nuageuse aux
Terre conduisant au contraire à un enrichissement en 12C           hautes latitudes nord. D’immenses champs de dunes dispo-
des molécules organiques produites.                                sées en gros parallèlement à l’équateur ont été mis en évi-
                                                                   dence aux latitudes moyennes. De plus, des indications très
   Une découverte inattendue de la mission Cassini est la          intéressantes, mais circonstancielles pour le moment, sug-
présence de molécules très complexes dans la très haute            gèrent la présence d’une certaine forme de volcanisme,
atmosphère, au-dessus de 900 km. Des ions lourds chargés           impliquant de la glace d’eau et probablement de l’ammo-
positivement et négativement ont été détectés dans la              niac venant de l’intérieur de Titan.
thermosphère et l’ionosphère. Ce sont probablement les
premières briques dans la formation des macro-molécules                Cependant, ce n’est que lorsque la sonde Huygens est
qui sont à l’origine de la brume photochimique. L’instru-          descendue dans l’atmosphère de Titan, le 14 Janvier 2005,
ment DISR a permis de caractériser les particules de cette         que nous avons pu prendre la mesure de la complexité de ce
brume mais à plus basse altitude, en dessous de 150 km. À          terrain étonnant. L’instrument DISR a pris des images
partir des spectres visibles et infrarouges (figure 5), on a       détaillées en dessous de 49 km avec une résolution au sol de
déterminé que les aérosols photochimiques étaient des agré-        10 km à 10 m, qui atteint même le cm une fois la sonde
gats de plusieurs milliers de monomères, la taille du mono-        posée à 10,3°S et 192,3°W. Les paysages que nous avons
mère n’excédant pas 0,05 micromètre. On en compte envi-            découverts sur les mosaïques d’images de DISR (figure 6)
ron 5 par cm3 vers 80 km d’altitude ; plus haut, leur densité      ressemblent à ceux qu’on peut trouver sur Terre. On y voit
décroît mais moins vite que celle du gaz, ce qui confirme          une région claire, striée de chenaux plus sombres qui for-
leur origine dans la très haute atmosphère. Les propriétés         ment un réseau dendritique se déversant dans une région
optiques de ces aérosols sont similaires à celles de certains      plus lisse et plus sombre située une centaine de mètres en
« tholins », ces matériaux produits en laboratoire par             contrebas. Ce réseau a dû se former lors de pluies (de
décharge plasma dans des mélanges N2-CH4, mais des dif-            méthane) qui doivent donc se produire à certaines saisons
férences existent. En dessous de 80 km, les propriétés             et conduire à un écoulement de fluide à la surface, même si
optiques changent quelque peu. Vers 30 km, on observe des          aucun liquide n’a été directement mis en évidence lors de
particules plus grosses et plus brillantes, ce qui pourrait être   l’atterrissage. Sur ce site, on découvre ainsi plusieurs mani-
dû à la condensation du méthane sur les aérosols, tandis           festations d’écoulements passés : le site lui-même rappelle
que, dans les premiers kilomètres, leur réflectivité décroît,      un lit de rivière asséché avec des galets arrondis de glace
ce qui pourrait refléter l’évaporation d’une partie de ce          d’eau (selon les spectres DISR) d’au plus quelques dizaines
méthane. Le collecteur d’aérosols ACP a prélevé deux               de cm de diamètre (figure 7) et la grande étendue sombre
échantillons atmosphériques pendant la descente. La pyro-          proche du site d’atterrissage peut s’interpréter comme un
lyse à 600°C de l’échantillon prélevé vers 20-25 km d’alti-
tude a produit principalement du cyanure d’hydrogène
HCN et de l’ammoniac NH3. Ceci impliquerait que l’azote
est incorporé de différentes façons dans le cœur réfractaire
des aérosols, peut-être via des groupements nitrile (–CN) et
amino (–NH2). Ces résultats ont toutefois été contestés et
des étalonnages en laboratoire sont encore nécessaires pour
les confirmer ou les infirmer.

Méthane et glace d’eau forgent
une surface à la morphologie
terrestre

   La surface de Titan s’était un peu dévoilée avant l’arrivée
de Cassini-Huygens grâce à des observations depuis le sol
par optique adaptative et de l’espace avec le Hubble Space
Telescope, dans ce qu’on appelle les « fenêtres du méthane »,
c’est-à-dire des régions de faible absorption du méthane qui
permettent de sonder la basse atmosphère et la surface. On
savait donc déjà que le sol de Titan était inhomogène, com-        Figure 6 – Panorama de la surface de Titan composé d’images prises
posé de régions claires et sombres, avec une large zone très       entre 17 et 8 km d’altitude. La résolution des images brutes indivi-
brillante (aujourd’hui appelée Xanadu) près de l’équateur.         duelles atteint 20 m par pixel.

                                                                                                                                     45
La sonde Huygens explore Titan

                                                                          par le GCMS, indique la présence de divers composés orga-
                                                                          niques comme le benzène, le cyanogène ou l’éthane
                                                                          (figure 4). Ces espèces, également présentes dans l’at-
                                                                          mosphère, sont vraisemblablement des produits de la photo-
                                                                          chimie atmosphérique qui se condensent vers 60-80 km
                                                                          d’altitude et se déposent continûment à la surface.
                                                                             Le sonar du SSP a indiqué une surface relativement lisse,
                                                                          mais pas entièrement plate vers le site d’atterrissage. Avec
                                                                          une vitesse d’impact de l’ordre de 5 m/s, le pénétrateur et
                                                                          les accéléromètres de cet instrument ont déterminé que le
                                                                          sol avait la consistance du sable mouillé. Le pénétrateur
                                                                          semble avoir d’abord heurté un matériau plus dur, peut-être
                                                                          un « caillou » de glace d’eau.
                                                                             Une absorption due à la glace d’eau a été mise en évi-
                                                                          dence dans les spectres de DISR à la longueur d’onde de 1,5
                                                                          micron, ce qui confirme certaines indications obtenues à
                                                                          partir d’observations depuis la Terre. Les régions claires plus
                                                                          élevées apparaissent plus « rouges » que les basses plaines.
                                                                          En plus de la glace d’eau, les spectres visibles indiquent la
                                                                          présence d’un absorbant similaire aux « tholins », ces analo-
                                                                          gues des aérosols de Titan produits en laboratoire. Mais on
                                                                          a aussi découvert que la réflectivité de la surface diminue
                                                                          dans le domaine infrarouge, ce qui n’est reproduit par
                                                                          aucun matériau connu en laboratoire. Des recherches sont
                                                                          en cours pour évaluer si des mélanges de glace et de divers
                                                                          composés organiques liquides ou solides peuvent reproduire
                                                                          ces caractéristiques spectrales.
                                                                              Dans tout le système solaire, Titan est sans doute l’objet
 Figure 7 – Image de la surface de Titan prise par DISR après atterris-   dont la géomorphologie se rapproche le plus de celle de la
 sage. On distingue des galets de glace d’eau de 10 à 15 cm de diamè-     Terre. Cassini/Huygens nous a ainsi révélé la présence de
 tre reposant sur un substrat de grains plus fins.                        lacs, réseaux fluviatiles, champs de dunes, chaînes de mon-
                                                                          tagnes... qui évoquent les paysages terrestres. Titan est de
                                                                          plus le seul autre corps du système solaire où l’on trouve des
                                                                          étendues liquides à la surface. Bien sûr, les conditions phy-
 lac asséché (figure 6). Le matériau sombre qui couvre cette              sico-chimiques sont bien différentes des conditions terres-
 vaste étendue a pu être charrié par ces écoulements et pour-             tres, avec notamment une température de surface de
 rait être constitué de dépôts photochimiques. Certaines                  –179°C (94 K). Mais les processus géophysiques à l’œuvre
 traînées claires aperçues sur les images pourraient signaler             apparaissent étonnamment proches même si les acteurs chi-
 des écoulements de glace provenant de l’intérieur de Titan               miques ne sont pas les mêmes, la glace d’eau sur Titan
 et extrudée à travers des fissures. Aucun cratère n’a été vu             jouant le rôle de la roche sur Terre et le méthane celui de
 par DISR.                                                                l’eau.
     La température mesurée à cet endroit par HASI est de
 93,65 ± 0,25 K pour une pression de 1467 ±1 hPa. Ces                     Et à l’avenir ?
 conditions physiques et la mesure d’une évaporation de
 méthane par le GCMS suggèrent que l’agent d’érosion est
 bien l’hydrocarbure et non pas l’eau liquide. En effet, l’un                Les données acquises par Huygens, combinées avec cel-
 des premiers spectres fournis par le GCMS, montre, après                 les de l’orbiteur qui permettent de les replacer dans un
 l’atterrissage, une augmentation anormale de la quantité de              contexte plus large, ont fourni un éclairage exceptionnel sur
 méthane par rapport au diazote qui, lui, resta stable. Ceci              Titan. L’investigation in situ par la sonde Huygens a révo-
 peut être interprété par une évaporation du méthane causée               lutionné nos idées sur la surface de ce monde, sur la forma-
 par le réchauffement localisé du sol près d’une valve                    tion de différents motifs géologiques ailleurs que sur Terre,
 d’entrée de l’instrument portée à haute température. On a                et sur l’origine de l’atmosphère. Tous les modèles de circu-
 ainsi la preuve indirecte que le sol est ici imbibé de méthane           lation, de photochimie, de l’origine et de l’évolution du
 et qu’il existe, peut-être pas très loin sous la surface, du             satellite devront être révisés pour tenir compte de ces nou-
 méthane liquide. La composition de la surface, déterminée                velles données.

46
La sonde Huygens explore Titan

    De nombreuses questions restent en suspens, notam-
ment sur la fréquence d’écoulements fluides à la surface et                         POUR EN SAVOIR PLUS
sur les divers processus géophysiques (tectonique, cryo-
volcanisme, impacts, érosion...) qui modifient la surface de     Articles :
Titan observée par Huygens et Cassini. Le cycle de l’éthane,     Plusieurs articles dans les numéros de Science et Nature de 2004
principal produit de la photochimie du méthane, est lui          and 2005 décrivent en détail les premiers résultats de la mission
aussi un mystère. Selon les modèles, suffisamment d’éthane       Cassini-Huygens. En particulier :
aurait dû se former depuis l’origine de Titan pour recouvrir
                                                                 – Science 307, No 5713, 25 February 2005, « Cassini arrives at
la surface du satellite d’un océan d’un kilomètre de profon-
                                                                   Saturn » ;
deur. Or on ne détecte l’éthane liquide que dans les lacs
présents vers les pôles alors que les latitudes moyennes, lar-   – Nature 10 March 2005 « Imaging of Titan from the Cassini
gement couvertes de dunes, sont « sèches ». Le potentiel           spacecraft » ;
astrobiologique de Titan existe en tant que tel, mais            – Nature Dec. 8, 2005 « The Huygens probbe on Titan ».
l’impression qui domine est qu’en explorant ce satellite         Voir aussi :
nous étudions un environnement qui ressemble par de
nombreux aspects à celui de notre planète.                       – Geophysical Research Letters vols. 32 et 33,
                                                                 – Icarus vols. 173 et 182-183 et 186,
   À l’avenir, l’exploration de Titan commencée avec             – Nature vols. 438 et 442,
Cassini-Huygens devrait être poursuivie de manière plus          – Journal of Geophysical Research vol. 111,
approfondie par d’autres missions, comme la Titan/Saturn         – Science vols. 308 et 310 ;
System Mission (TSSM) actuellement à l’étude en phase            – Earth Moon and Planets vol. 96 ;
préliminaire par l’ESA et la NASA dans le cadre de futures       – Planetary and Space Science vols. 47, 49, 53 et 54 ;
missions spatiales dans le système solaire externe à l’horizon   – Space Science Reviews vols. 114 et 115 ;
2025-2030. Cette mission, dans son concept actuel, com-          – Advances in Space Research vols. 26, 28, 33 et 36.
porte une sonde mise en orbite autour de Titan après avoir
accompli de nombreux survols d’Encelade, et des éléments         Le volume 104 de Space Science Reviews regroupe les articles
qui seraient largués sur Titan pour une exploration in situ.     décrivant les instruments de Huygens et la mission en général.
Il s’agit d’un ballon à air chaud (Montgolfière) et d’une        Ouvrages :
sonde/atterrisseur. Le ballon évoluerait dans la région équa-
                                                                 Coustenis A., Taylor F.W., 2008. « Titan: exploring an Earth-
toriale, porté par les vents dominants d’ouest, alors que la
                                                                   like World ». World Scientific Press, Singapore.
sonde se poserait dans un lac d’hydrocarbures vers le pôle
nord. Ceci permettrait de faire des mesures directes de la       Lorenz R., Mitton J., 2008. « Titan Unveilled: Saturn’s Myste-
composition de la surface dans un lieu pour le moins exo-          rious Moon Explored ». Princeton Univ. Press.
tique et de prélever des échantillons de l’atmosphère lors de
                                                                 The outer planets and their Moons, 2005. T. Encrenaz, R.
la descente et avec le ballon. Les instruments envisagés sur
                                                                   Kallenbach, T. C. Owen and C. Sotin (Eds), Space Science
l’orbiteur et les éléments in situ sont destinés à compléter
                                                                   Series of ISSI, Vol. 19, Springer.
et/ou améliorer les mesures de Cassini-Huygens en profi-
tant des avancées technologiques.                                Sites Web :
                                                                 http://www.nasa.gov/mission_pages/cassini/main/index.html
                                                                 http://www.spaceflightnow.com/cassini/
                                                                 http://saturn.jpl.nasa.gov/multimedia/images/index.cfm
                                                                 http://www.esa.int/SPECIALS/Cassini-Huygens/

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