La sonde Huygens explore Titan
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La sonde Huygens explore Titan Portée par le vaisseau spatial Cassini, la sonde européenne Huygens descendait le 14 janvier 2005 sous un parachute dans l’atmosphère de Titan et se posait à la surface. Commençant leurs mesures à 160 km d’altitude, les six instruments embarqués nous ont fourni des informations précieuses sur ce satellite de Saturne, unique dans le Système Solaire. T itan, le plus gros satellite de Saturne avec un dia- système de Saturne (planète, anneaux et satellites). Le mètre de 5150 km, est actuellement étudié par la 1er Juillet 2004, le vaisseau spatial fut inséré en orbite mission spatiale Cassini-Huygens, qui nous révèle autour de Saturne sans problème et commença une longue un monde complexe doté de processus géophysiques et série de survols de la planète et de ses satellites (dont 44 atmosphériques qui rappellent ceux de la Terre, mais qui se survols de Titan au cours de la mission nominale). Le déroulent dans des conditions complètement différentes. 25 Décembre 2004, la sonde Huygens se sépara de l’orbi- L’atmosphère de Titan nous a été révélée essentiellement par teur à une vitesse relative de 0,35 m/s et commença à les missions Voyager dans les années 1980-1981, avec la approcher sa cible, Titan, stabilisée par une rotation de découverte du diazote comme constituant majoritaire (à 7 tours par minute sur elle-même. L’atterrissage était pro- plus de 97%) et de toute une kyrielle de composés orga- grammé vers 10°S de latitude et 190° W de longitude... La niques produits par une photochimie combinant le diazote sonde Huygens descendit dans l’atmosphère de Titan le et le méthane (2% dans la haute atmosphère). Voyager a aussi indiqué que la température à la surface atteignait 94 K (–179°C) et la pression 1500 hPa environ, soit 1,5 fois celle de la Terre. Par la suite, des informations complémentaires sur la composition chimique furent apportées par des observations au sol (détection du monoxyde de carbone CO et de l’acétonitrile CH3CN), mais aussi par des mesures effectuées par le Infrared Space Observatory (ISO) en 1997 (détection de la vapeur d’eau et du benzène). La surface du satellite est restée « cachée » aux yeux des caméras de la mis- sion Voyager à cause d’une épaisse brume qui entoure le satellite. Ce n’est que dans les années 1990 que des téle- scopes terrestres ont commencé à percer le mystère de ce sol complexe qui comporte des régions sombres et des régions brillantes, mais dont la composition restait inconnue. La mission Cassini-Huygens, composée d’un orbiteur et d’une sonde de descente, est le fruit d’une collaboration entre l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et la NASA. Lancée le 15 octobre 1997 depuis Cape Canaveral, elle arriva dans le système de Saturne en juillet 2004, après un périple de 7,5 années et des survols de Vénus, la Terre et Jupiter qui ont fourni une assistance gravitationnelle pour amener sa charge utile jusqu’à Saturne en limitant la masse de carburant embarquée. Les 12 instruments scientifiques à Figure 1 – Descente de la sonde Huygens à travers l’atmosphère de bord de l’orbiteur permettent d’étudier tous les aspects du Titan et atterrissage le 14 Janvier 2005. Article proposé par : Athéna Coustenis, athena.coustenis@obspm.fr Bruno Bézard, bruno.bezard@obspm.fr Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (LESIA), UMR 8109, CNRS/Observatoire de Paris/UPMC/Uni- versité Paris 7, Paris. 40
La sonde Huygens explore Titan 14 janvier 2005 (voir encadré 1) et a permis une caractéri- aérosols et des gaz de 160 km d’altitude jusqu’à la surface, sation in situ du satellite, en fournissant ainsi une « vérité- fourni le bilan radiatif de l’atmosphère et transmis des ima- terrain » indispensable pour interpréter certaines mesures ges étonnantes de la surface montrant des réseaux fluviati- effectuées depuis l’orbiteur Cassini. La mission nominale les avec une précision jamais égalée. de l’orbiteur s’est terminée en juin 2008 et une mission étendue jusqu’en 2010 vient de commencer. Après une descente de 2,5 heures au cours de laquelle la sonde survola des étendues glacées tout en dérivant vers l’Est, Huygens se posa en douceur à la surface de Titan vers La sonde Huygens descend 13:34 UTC sur une étendue humide et couverte de galets. dans Titan Trois parachutes ont tour à tour réduit sa vitesse de 400 m/s lors de l’entrée dans l’atmosphère à quelque 5 m/s à la sur- Un moment intense de la mission fut la descente de la face. À cette vitesse, le dessous de la sonde a touché la sur- sonde Huygens dans l’atmosphère de Titan et son atterris- face, puis glissé un court moment avant de s’arrêter. À la sage en douceur à la surface (figure 1). « Emballée » dans surprise générale, les instruments continuèrent à fonction- son bouclier thermique, Huygens a commencé une des- ner et d’enregistrer des données pendant plus d’une heure cente sans faute à travers l’atmosphère de Titan le 14 après l’atterrissage pour les transmettre à l’orbiteur avant Janvier 2005 à 11:04 UTC. Une fois le parachute principal qu’il ne disparaisse sous l’horizon. La sonde poursuivit en déployé vers 160 km d’altitude, les six instruments de la fait ses émissions pendant encore deux heures, comme l’in- sonde (voir encadré 1) ont mesuré les caractéristiques de dique le suivi depuis la Terre. l’atmosphère. Ils ont produit un profil vertical (densité, En effet, les signaux de cette sonde – qui représente la température), mesuré la composition et la distribution des première tentative réussie de l’homme d’« atterrir » sur un Figure 2 – Vues de la plateforme de la sonde Huygens avec les six instruments embarqués à bord. 41
La sonde Huygens explore Titan Encadré 1 La sonde Huygens et ses instruments La sonde Huygens était sous la responsabilité de l’Agence Spa- pendant la descente, les a pyrolysés dans un four à 250°C puis à tiale Européenne. D’une masse de 349 kg, Huygens a effectué la 600°C, et a transmis les gaz produits au GCMS pour analyse chi- plus grande partie de son voyage jusqu’à Titan amarrée sur la sonde mique. Cassini, formant ainsi un ensemble de plus de 5,5 tonnes. Son – Le Doppler Wind Experiment (DWE, PI : M. Bird, Universi- objectif principal était l’étude de l’atmosphère de Titan et en partie tät Bonn, Allemagne), qui a perdu ses données transmises dans le de la surface, car Huygens n’était pas conçue pour survivre long- Canal A, a vu sa science (mesures des vents dans l’atmosphère) res- temps à la surface. tituée grâce au réseau de radiotélescopes qui ont suivi Huygens Il y a six instruments à bord de la sonde (figure 2) : depuis le sol. – Le Huygens Atmospheric Structure Instrument (HASI, PI : – Le Surface Science Package (SSP, PI : J. Zarnecki de l’Open M. Fulchignoni, Univ. Paris VII/LESIA, Obs. de Paris, France). Les University, UK), grâce aux mesures de son pénétromètre et de ses profils de température et de densité depuis la haute atmosphère accéléromètres pendant l’impact, a pu déterminer certaines proprié- (1400 km) jusqu’au sol ont été déterminés, tout d’abord par la tés physiques de la surface. Un sondage acoustique a aussi été effec- mesure de la décélération de la sonde jusqu’à 140 km d’altitude, tué dans les derniers 90 m. puis, en dessous, directement à l’aide de senseurs de pression et tem- – Le Descent Imager / Spectral Radiometer (DISR, PI : pérature. Des mesures de conductivité atmosphérique ont aussi été M. Tomasko, Univ. Arizona, Etats-Unis) a fourni des spectres visi- effectuées et une possible activité orageuse a été recherchée, sans bles et infrarouges de la lumière ambiante et environ 350 images de qu’une détection claire n’ait pu encore être établie. la surface pendant la descente et après l’atterrissage. Une lampe allu- – Le Gas Chromatograph and Mass Spectrometer (GCMS, PI : mée vers 700 m d’altitude a permis de s’affranchir en partie de l’ab- H. Niemann, NASA/GSFC, Etats-Unis). Cet instrument a analysé sorption atmosphérique du méthane et a fourni un spectre complet la composition chimique de l’atmosphère tout au long de la des- de la surface. Les images enregistrées en dessous de 49 km par trois cente et celle des produits évaporés ou sublimés de la surface après caméras aux champs de vue différents ont pu être assemblées en impact. mosaïques. Les spectres et la polarisation de la lumière ainsi que la brillance de l’auréole solaire ont permis de déterminer les propriétés – Le Aerosol Collector Pyrolyser (ACP, PI : G. Israël, CNRS Ser- des aérosols. vice d’Aéronomie, France) a collecté des aérosols à deux reprises objet du système solaire extérieur – furent « entendus » Une atmosphère riche en composés avant et après la descente par tout un réseau de radiotéle- organiques scopes sur Terre, avant même la première retransmission des données par Cassini. Huygens continua d’émettre long- temps après ce qui était prévu nominalement (72 min au En enregistrant la décélération de la sonde avant l’ouver- lieu des 5 à 10 min de durée de vie anticipée après l’atter- ture du parachute, l’instrument HASI a mesuré la densité rissage) soit un total de 5,5 heures pour toute la mission. de la haute atmosphère dès 1400 km, ce qui a permis d’en Les données de télémétrie de Huygens furent relayées à déterminer le profil thermique (figure 3). Il est caractérisé l’orbiteur à un taux de 8 kilobits par seconde et emmagasi- par une série d’oscillations (ou couches d’inversion), ce qui nées à bord de Cassini alors que ce dernier était à une dis- suggère une forte activité dynamique, due par exemple à tance de 60 000 km de Titan. Deux canaux redondants, A des ondes de gravité ou à des marées atmosphériques. Dès et B, étaient prévus, mais à cause d’une erreur de program- le parachute déployé, HASI a directement mesuré la pres- mation, le canal A ne transmit pas de données. sion et la température de l’atmosphère. Pendant la descente, la température a tout d’abord décru jusqu’à un minimum Les données DWE (Doppler Wind Experiment) ont été de 70 K (–203°C) à 44 km d’altitude, la tropopause, puis a ainsi perdues à cause de ce problème. Heureusement, la augmenté pour atteindre 94 K (–179°C) à la surface où la porteuse de Huygens fut captée par plusieurs radiotéle- pression est de 1467 hPa. Le profil de température enregis- scopes depuis la Terre, ce qui constitua un canal « C », et tré est quasiment identique, à 1 ou 2 degrés près, à celui l’expérience fut sauvée. Du fait de la redondance des canaux obtenu par la sonde Voyager 1 en 1980 avec une technique A et B pour les autres expériences, la plupart des mesures d’occultation radio, qui consiste à exploiter l’affaiblisse- furent récupérées et l’impact scientifique de cette erreur ment et le déphasage du signal émis par la sonde au technique peut être considéré comme négligeable. moment où elle est occultée par Titan. La structure de l’at- mosphère est semblable à celle de la Terre avec une haute atmosphère relativement chaude, la stratosphère. Sur Titan, ce sont le méthane et les aérosols qui chauffent la stra- tosphère en absorbant fortement le rayonnement solaire 42
La sonde Huygens explore Titan Figure 3 – Les profils verticaux de température, pression et densité enregistrés par HASI, ainsi que le profil du vent dans l’atmosphère de Titan obtenu à partir du signal radio émis par la sonde (expérience DWE). alors que sur la Terre c’est l’ozone qui joue ce rôle. La hydrocarbures plus lourds, des nitriles et des aérosols vrai- remontée de température sous la tropopause résulte de l’ef- semblablement constitués de macromolécules contenant du fet de serre causé par l’absorption induite par collisions des carbone, de l’azote et de l’hydrogène. Le méthane et composants majoritaires de l’atmosphère (diazote, méthane l’éthane peuvent se condenser, former des nuages et des et dihydrogène) tandis que sur Terre, c’est la vapeur d’eau brumes qui précipitent à la surface et réalimentent les lacs. qui en est le principal responsable. Tout près de la surface, Les aérosols et les autres composés photochimiques se on trouve une couche limite atmosphérique d’une dizaine déposent aussi à la surface. Le profil vertical de concentra- de mètres, peu turbulente, avec un flux de chaleur montant tion du méthane mesuré par l’instrument GCMS (figure 4) très faible, ce qui indique que la température de la surface confirme que ce gaz se condense bien dans l’atmosphère. n’est que marginalement supérieure à celle de l’air. De 4,9% à la surface, sa concentration (fraction molaire) Pendant presque toute la descente, le vent était prograde, décroît à partir de 8 km d’altitude pour atteindre 1,4% au- c’est-à-dire dans le même sens que la rotation de la surface dessus de 30 km et garde cette valeur dans toute la stra- de Titan (d’ouest en est), ce qui confirme la super-rotation tosphère. On est en présence d’un exemple classique en de l’atmosphère, comme c’est le cas sur Vénus (figure 3). thermodynamique, où le méthane atteint son niveau de À 120-150 km, la vitesse du vent atteint 100 m.s–1, une condensation (soit 100% d’humidité) vers 8 km et où la valeur 9 fois plus élevée que la vitesse de rotation de la sur- tropopause joue le rôle de « piège froid » pour ce gaz face solide. L’origine et le maintien de cette super-rotation comme elle le fait sur Terre pour la vapeur d’eau. sont loin d’être complètement élucidés, mais il est probable L’instrument GCMS nous a par ailleurs apporté des que les ondes atmosphériques planétaires et la circulation informations précieuses sur l’origine et l’évolution de Titan méridienne qui participent au transport du moment angu- en mesurant les concentrations de l’atmosphère en gaz rares laire du vent zonal y jouent un rôle primordial. Le vent et certains rapports isotopiques. La détection de l’argon décroît en s’approchant de la surface, mais on trouve une radiogénique (40Ar), produit de la désintégration du potas- couche, vers 80 km d’altitude, où la vitesse est étonnam- sium 40K abondant dans les roches silicatées, fournit la ment faible (quelques m.s–1), ce qui reste inexpliqué. Vers preuve d’une forte activité géologique dans le passé. Elle 8 km d’altitude, le vent change de direction et souffle vers implique un dégazage partiel du cœur rocheux du satellite l’ouest, avant de devenir quasi-nul à la surface. Ce change- situé sous la croûte de glace et l’océan putatif constitué ment de direction reste lui aussi à comprendre. d’eau et d’ammoniaque. La faible abondance des gaz rares La mission Cassini-Huygens a démontré que le méthane primordiaux (seul 36Ar est détecté à un niveau inférieur au sur Titan était impliqué dans un cycle complexe qui pré- ppm) est un résultat particulièrement important compte sente des analogies avec celui de l’eau sur Terre. S’évaporant tenu de la capacité de la glace d’eau – le constituant majeur des lacs mis en évidence par l’instrument radar de Cassini de Titan – à piéger les gaz rares. Les différents processus de et vraisemblablement relâché dans l’atmosphère par cryo- formation des petits corps glacés (« planétésimaux »), à par- volcanisme, il est dissocié à haute altitude par le rayonne- tir desquels Titan s’est formé dans la nébuleuse sub-satur- ment ultraviolet du Soleil. S’ensuit une photochimie com- nienne, auraient tous conduit à piéger les gaz rares en même plexe qui produit principalement de l’éthane, mais aussi des temps que le diazote N2. On pense par conséquent que 43
La sonde Huygens explore Titan Figure 4 – Spectres de masse de l’atmosphère (taux de comptage d’ions en fonction de la masse par unité de charge) enregistrés par l’instrument GCMS. Le premier échantillon est un prélèvement effec- tué entre 120 et 130 km et le deuxième a été obtenu après l’atterris- sage alors que le sol était localement chauffé par une valve. La troi- sième figure montre les taux de comptage du diazote et du méthane en fonction du temps. L’augmentation de 40% du méthane 2 min après l’impact est due à l’évaporation du méthane dans le sol. Figure 5 – a : Spectres visibles enregistrés à différentes altitudes (indi- quées en km) par DISR, regardant vers le haut, avec le soleil dans son champ de vue. L’absorption dans les bandes du méthane augmente au l’azote a été incorporé sous forme d’ammoniac (NH3) ou fur et à mesure de la descente. Dans le continuum, on voit l’extinction d’autres composés azotés qui ont ensuite formé le diazote due aux aérosols augmenter elle aussi pendant la descente, de façon plus marquée dans le bleu que dans le rouge. Ces aérosols d’origine photo- par photolyse suivie d’un ensemble de réactions chimiques. chimique sont responsables de la couleur orangée de Titan. b : Spectres Le rapport isotopique 14N/15N mesuré dans N2 est 1,5 fois enregistrés en regardant vers le haut mais cette fois à un azimut opposé plus faible que sur Terre, ce qui indique qu’une masse au Soleil, de sorte que l’instrument ne voit que de la lumière diffusée. importante d’atmosphère, peut-être de 1 à 10 fois la masse Aux altitudes les plus élevées, l’intensité est relativement faible et plus actuelle, s’est échappée depuis la formation du satellite. En grande dans le bleu que dans le rouge, une conséquence de la petite taille effet, les processus d’échappement, qu’ils soient thermiques des aérosols diffusants. Pendant la descente, l’intensité diffusée aug- ou non-thermiques, sont plus efficaces pour les atomes ou mente dans un premier temps avec la quantité croissante d’aérosols au- molécules légers – plus rapides et plus abondants dans la dessus de la sonde, puis diminue à cause de l’opacité de ces aérosols et très haute atmosphère – de sorte qu’ils tendent à enrichir du méthane qui atténue de plus en plus fortement le flux solaire des- l’atmosphère restante en isotopes lourds pour un élément cendant. chimique donné. Le rapport 12C/13C mesuré dans le méthane n’est lui que 8% inférieur à la valeur terrestre inor- ganique. Cette différence est néanmoins significative et tra- duit vraisemblablement un échappement du méthane non 44
La sonde Huygens explore Titan négligeable par rapport au taux de destruction photochi- Depuis leur arrivée, la caméra, le spectro-imageur infra- mique, un résultat quelque peu surprenant. Notons aussi rouge et le radar de Cassini nous ont montré des lacs vers le que la valeur de ce rapport indique très probablement une pôle nord du satellite, un système complexe de nuages au- origine abiotique du méthane, les processus biologiques sur dessus du pôle sud et une épaisse couverture nuageuse aux Terre conduisant au contraire à un enrichissement en 12C hautes latitudes nord. D’immenses champs de dunes dispo- des molécules organiques produites. sées en gros parallèlement à l’équateur ont été mis en évi- dence aux latitudes moyennes. De plus, des indications très Une découverte inattendue de la mission Cassini est la intéressantes, mais circonstancielles pour le moment, sug- présence de molécules très complexes dans la très haute gèrent la présence d’une certaine forme de volcanisme, atmosphère, au-dessus de 900 km. Des ions lourds chargés impliquant de la glace d’eau et probablement de l’ammo- positivement et négativement ont été détectés dans la niac venant de l’intérieur de Titan. thermosphère et l’ionosphère. Ce sont probablement les premières briques dans la formation des macro-molécules Cependant, ce n’est que lorsque la sonde Huygens est qui sont à l’origine de la brume photochimique. L’instru- descendue dans l’atmosphère de Titan, le 14 Janvier 2005, ment DISR a permis de caractériser les particules de cette que nous avons pu prendre la mesure de la complexité de ce brume mais à plus basse altitude, en dessous de 150 km. À terrain étonnant. L’instrument DISR a pris des images partir des spectres visibles et infrarouges (figure 5), on a détaillées en dessous de 49 km avec une résolution au sol de déterminé que les aérosols photochimiques étaient des agré- 10 km à 10 m, qui atteint même le cm une fois la sonde gats de plusieurs milliers de monomères, la taille du mono- posée à 10,3°S et 192,3°W. Les paysages que nous avons mère n’excédant pas 0,05 micromètre. On en compte envi- découverts sur les mosaïques d’images de DISR (figure 6) ron 5 par cm3 vers 80 km d’altitude ; plus haut, leur densité ressemblent à ceux qu’on peut trouver sur Terre. On y voit décroît mais moins vite que celle du gaz, ce qui confirme une région claire, striée de chenaux plus sombres qui for- leur origine dans la très haute atmosphère. Les propriétés ment un réseau dendritique se déversant dans une région optiques de ces aérosols sont similaires à celles de certains plus lisse et plus sombre située une centaine de mètres en « tholins », ces matériaux produits en laboratoire par contrebas. Ce réseau a dû se former lors de pluies (de décharge plasma dans des mélanges N2-CH4, mais des dif- méthane) qui doivent donc se produire à certaines saisons férences existent. En dessous de 80 km, les propriétés et conduire à un écoulement de fluide à la surface, même si optiques changent quelque peu. Vers 30 km, on observe des aucun liquide n’a été directement mis en évidence lors de particules plus grosses et plus brillantes, ce qui pourrait être l’atterrissage. Sur ce site, on découvre ainsi plusieurs mani- dû à la condensation du méthane sur les aérosols, tandis festations d’écoulements passés : le site lui-même rappelle que, dans les premiers kilomètres, leur réflectivité décroît, un lit de rivière asséché avec des galets arrondis de glace ce qui pourrait refléter l’évaporation d’une partie de ce d’eau (selon les spectres DISR) d’au plus quelques dizaines méthane. Le collecteur d’aérosols ACP a prélevé deux de cm de diamètre (figure 7) et la grande étendue sombre échantillons atmosphériques pendant la descente. La pyro- proche du site d’atterrissage peut s’interpréter comme un lyse à 600°C de l’échantillon prélevé vers 20-25 km d’alti- tude a produit principalement du cyanure d’hydrogène HCN et de l’ammoniac NH3. Ceci impliquerait que l’azote est incorporé de différentes façons dans le cœur réfractaire des aérosols, peut-être via des groupements nitrile (–CN) et amino (–NH2). Ces résultats ont toutefois été contestés et des étalonnages en laboratoire sont encore nécessaires pour les confirmer ou les infirmer. Méthane et glace d’eau forgent une surface à la morphologie terrestre La surface de Titan s’était un peu dévoilée avant l’arrivée de Cassini-Huygens grâce à des observations depuis le sol par optique adaptative et de l’espace avec le Hubble Space Telescope, dans ce qu’on appelle les « fenêtres du méthane », c’est-à-dire des régions de faible absorption du méthane qui permettent de sonder la basse atmosphère et la surface. On savait donc déjà que le sol de Titan était inhomogène, com- Figure 6 – Panorama de la surface de Titan composé d’images prises posé de régions claires et sombres, avec une large zone très entre 17 et 8 km d’altitude. La résolution des images brutes indivi- brillante (aujourd’hui appelée Xanadu) près de l’équateur. duelles atteint 20 m par pixel. 45
La sonde Huygens explore Titan par le GCMS, indique la présence de divers composés orga- niques comme le benzène, le cyanogène ou l’éthane (figure 4). Ces espèces, également présentes dans l’at- mosphère, sont vraisemblablement des produits de la photo- chimie atmosphérique qui se condensent vers 60-80 km d’altitude et se déposent continûment à la surface. Le sonar du SSP a indiqué une surface relativement lisse, mais pas entièrement plate vers le site d’atterrissage. Avec une vitesse d’impact de l’ordre de 5 m/s, le pénétrateur et les accéléromètres de cet instrument ont déterminé que le sol avait la consistance du sable mouillé. Le pénétrateur semble avoir d’abord heurté un matériau plus dur, peut-être un « caillou » de glace d’eau. Une absorption due à la glace d’eau a été mise en évi- dence dans les spectres de DISR à la longueur d’onde de 1,5 micron, ce qui confirme certaines indications obtenues à partir d’observations depuis la Terre. Les régions claires plus élevées apparaissent plus « rouges » que les basses plaines. En plus de la glace d’eau, les spectres visibles indiquent la présence d’un absorbant similaire aux « tholins », ces analo- gues des aérosols de Titan produits en laboratoire. Mais on a aussi découvert que la réflectivité de la surface diminue dans le domaine infrarouge, ce qui n’est reproduit par aucun matériau connu en laboratoire. Des recherches sont en cours pour évaluer si des mélanges de glace et de divers composés organiques liquides ou solides peuvent reproduire ces caractéristiques spectrales. Dans tout le système solaire, Titan est sans doute l’objet Figure 7 – Image de la surface de Titan prise par DISR après atterris- dont la géomorphologie se rapproche le plus de celle de la sage. On distingue des galets de glace d’eau de 10 à 15 cm de diamè- Terre. Cassini/Huygens nous a ainsi révélé la présence de tre reposant sur un substrat de grains plus fins. lacs, réseaux fluviatiles, champs de dunes, chaînes de mon- tagnes... qui évoquent les paysages terrestres. Titan est de plus le seul autre corps du système solaire où l’on trouve des étendues liquides à la surface. Bien sûr, les conditions phy- lac asséché (figure 6). Le matériau sombre qui couvre cette sico-chimiques sont bien différentes des conditions terres- vaste étendue a pu être charrié par ces écoulements et pour- tres, avec notamment une température de surface de rait être constitué de dépôts photochimiques. Certaines –179°C (94 K). Mais les processus géophysiques à l’œuvre traînées claires aperçues sur les images pourraient signaler apparaissent étonnamment proches même si les acteurs chi- des écoulements de glace provenant de l’intérieur de Titan miques ne sont pas les mêmes, la glace d’eau sur Titan et extrudée à travers des fissures. Aucun cratère n’a été vu jouant le rôle de la roche sur Terre et le méthane celui de par DISR. l’eau. La température mesurée à cet endroit par HASI est de 93,65 ± 0,25 K pour une pression de 1467 ±1 hPa. Ces Et à l’avenir ? conditions physiques et la mesure d’une évaporation de méthane par le GCMS suggèrent que l’agent d’érosion est bien l’hydrocarbure et non pas l’eau liquide. En effet, l’un Les données acquises par Huygens, combinées avec cel- des premiers spectres fournis par le GCMS, montre, après les de l’orbiteur qui permettent de les replacer dans un l’atterrissage, une augmentation anormale de la quantité de contexte plus large, ont fourni un éclairage exceptionnel sur méthane par rapport au diazote qui, lui, resta stable. Ceci Titan. L’investigation in situ par la sonde Huygens a révo- peut être interprété par une évaporation du méthane causée lutionné nos idées sur la surface de ce monde, sur la forma- par le réchauffement localisé du sol près d’une valve tion de différents motifs géologiques ailleurs que sur Terre, d’entrée de l’instrument portée à haute température. On a et sur l’origine de l’atmosphère. Tous les modèles de circu- ainsi la preuve indirecte que le sol est ici imbibé de méthane lation, de photochimie, de l’origine et de l’évolution du et qu’il existe, peut-être pas très loin sous la surface, du satellite devront être révisés pour tenir compte de ces nou- méthane liquide. La composition de la surface, déterminée velles données. 46
La sonde Huygens explore Titan De nombreuses questions restent en suspens, notam- ment sur la fréquence d’écoulements fluides à la surface et POUR EN SAVOIR PLUS sur les divers processus géophysiques (tectonique, cryo- volcanisme, impacts, érosion...) qui modifient la surface de Articles : Titan observée par Huygens et Cassini. Le cycle de l’éthane, Plusieurs articles dans les numéros de Science et Nature de 2004 principal produit de la photochimie du méthane, est lui and 2005 décrivent en détail les premiers résultats de la mission aussi un mystère. Selon les modèles, suffisamment d’éthane Cassini-Huygens. En particulier : aurait dû se former depuis l’origine de Titan pour recouvrir – Science 307, No 5713, 25 February 2005, « Cassini arrives at la surface du satellite d’un océan d’un kilomètre de profon- Saturn » ; deur. Or on ne détecte l’éthane liquide que dans les lacs présents vers les pôles alors que les latitudes moyennes, lar- – Nature 10 March 2005 « Imaging of Titan from the Cassini gement couvertes de dunes, sont « sèches ». Le potentiel spacecraft » ; astrobiologique de Titan existe en tant que tel, mais – Nature Dec. 8, 2005 « The Huygens probbe on Titan ». l’impression qui domine est qu’en explorant ce satellite Voir aussi : nous étudions un environnement qui ressemble par de nombreux aspects à celui de notre planète. – Geophysical Research Letters vols. 32 et 33, – Icarus vols. 173 et 182-183 et 186, À l’avenir, l’exploration de Titan commencée avec – Nature vols. 438 et 442, Cassini-Huygens devrait être poursuivie de manière plus – Journal of Geophysical Research vol. 111, approfondie par d’autres missions, comme la Titan/Saturn – Science vols. 308 et 310 ; System Mission (TSSM) actuellement à l’étude en phase – Earth Moon and Planets vol. 96 ; préliminaire par l’ESA et la NASA dans le cadre de futures – Planetary and Space Science vols. 47, 49, 53 et 54 ; missions spatiales dans le système solaire externe à l’horizon – Space Science Reviews vols. 114 et 115 ; 2025-2030. Cette mission, dans son concept actuel, com- – Advances in Space Research vols. 26, 28, 33 et 36. porte une sonde mise en orbite autour de Titan après avoir accompli de nombreux survols d’Encelade, et des éléments Le volume 104 de Space Science Reviews regroupe les articles qui seraient largués sur Titan pour une exploration in situ. décrivant les instruments de Huygens et la mission en général. Il s’agit d’un ballon à air chaud (Montgolfière) et d’une Ouvrages : sonde/atterrisseur. Le ballon évoluerait dans la région équa- Coustenis A., Taylor F.W., 2008. « Titan: exploring an Earth- toriale, porté par les vents dominants d’ouest, alors que la like World ». World Scientific Press, Singapore. sonde se poserait dans un lac d’hydrocarbures vers le pôle nord. Ceci permettrait de faire des mesures directes de la Lorenz R., Mitton J., 2008. « Titan Unveilled: Saturn’s Myste- composition de la surface dans un lieu pour le moins exo- rious Moon Explored ». Princeton Univ. Press. tique et de prélever des échantillons de l’atmosphère lors de The outer planets and their Moons, 2005. T. Encrenaz, R. la descente et avec le ballon. Les instruments envisagés sur Kallenbach, T. C. Owen and C. Sotin (Eds), Space Science l’orbiteur et les éléments in situ sont destinés à compléter Series of ISSI, Vol. 19, Springer. et/ou améliorer les mesures de Cassini-Huygens en profi- tant des avancées technologiques. Sites Web : http://www.nasa.gov/mission_pages/cassini/main/index.html http://www.spaceflightnow.com/cassini/ http://saturn.jpl.nasa.gov/multimedia/images/index.cfm http://www.esa.int/SPECIALS/Cassini-Huygens/ 47
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