Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations à l'environnement - OpenEdition Journals
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Impressions d’Extrême-Orient 10 | 2019 L'Éthique animale dans les littératures d'Asie Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations à l’environnement Chong fan jiayuan de laogui 重返家园的老龟 (Laogui retourne parmi les siens) de Qing Niao 青鸟 Pierrick Rivet Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ideo/1284 ISSN : 2107-027X Éditeur Université Aix-Marseille (AMU) Référence électronique Pierrick Rivet, « Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations à l’environnement », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 10 | 2019, mis en ligne le 31 décembre 2019, consulté le 25 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/ideo/1284 Ce document a été généré automatiquement le 25 janvier 2020. Les contenus de la revue Impressions d'Extrême-Orient sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 1 Le conte pour enfants (tonghua 童 话) ou comment éduquer les jeunes générations à l’environnement Chong fan jiayuan de laogui 重返家园的老龟 (Laogui retourne parmi les siens) de Qing Niao 青鸟 Pierrick Rivet Présentation Qing Niao, une conteuse 1 Qing Niao 青鸟, de son vrai nom Wu Hong 吴红, est née en août 1966 dans le district de Suijiang 绥江, dans la ville-préfecture de Zhaojiang 昭通 située dans l’extrême nord-est de la province du Yunnan, à la frontière avec la province du Sichuan. En 1983, elle est admise à l'Université Normale du Yunnan où elle étudie la langue et la littérature chinoises. Au cours de sa formation, elle découvre également la littérature étrangère. Une fois diplômée, elle devient professeure dans un collège du district de Suijiang avant d’être mutée, en 1991, à l'école supérieure du professorat et de l'éducation de Zhaotong. Depuis 2000, elle est en poste dans un lycée de filles à Kunming, capitale du Yunnan, où elle enseigne la langue et la littérature chinoises. 2 Dès 1994, elle commence à écrire de manière sporadique plusieurs textes en prose. Son intention principale était d’immortaliser sa ville natale qui progressivement disparaissait : l’environnement ne cessant de se détériorer, les barrages, les plages et les galets présents sur la rivière de Jinsha 金沙 ont, au fil du temps, disparu. Les libellules qui, comme à l'accoutumée, tourbillonnaient dans le ciel se faisaient de plus en plus rares.1 3 Qing Niao s’essaie ensuite aux contes pour enfants (tonghua 童话) ayant pour thème l'environnement. Cette forme littéraire est primordiale pour l’auteure dans le sens où c’est une manière pour elle de rattraper le temps perdu. Dans sa jeunesse, elle grandit à Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 2 l’hôpital du district où sa mère travaillait. Cette dernière n’avait donc nullement le temps de lui lire des contes. Aussi, lorsque Qing Niao devient mère en 1992, son instinct maternel la pousse à faire découvrir l’univers du conte à sa fille. Développer un esprit soucieux de l’environnement chez les jeunes générations, mais pas seulement ! 4 En 1997, lorsqu’elle rédige le conte ici traduit, Chong fan jiayuan de laogui 重返家园的老 龟 (Laogui retourne parmi les siens)2, elle narre l’histoire d’un enfant qui fait passer le bien-être d’une tortue (très humanisée !) avant son plaisir. Au travers de ce texte, comme dans d’autres3, Qing Niao espère sensibiliser la jeunesse à la protection de la nature et des animaux, et ce, dès leur plus jeune âge. Son souhait le plus cher étant qu’en grandissant, ils se souviennent de ces contes et se différencient de leurs aînés. 5 Les contes sont en surface écrits pour les enfants, or, dans la réalité, nombreux sont ceux qui ne peuvent être compris qu'à l'âge adulte — L’oiseau bleu de Maurice Maeterlinck, Les Habits neufs de l'empereur de Hans Christian Andersen ou encore Le Petit Prince de Saint-Exupéry en sont d’excellents exemples. Qing Niao, dans Laogui retourne parmi les siens s’inspire de ses prédécesseurs et condamne le pouvoir de l’humain, et plus particulièrement celui des adultes. Les tortues peuvent vivre très longtemps et de manière libre. Mais de par la cupidité humaine, elles n’ont plus la possibilité de jouir de ce que la nature les a dotées. 6 L’auteure, qui, à l’époque, fut personnellement témoin du trafic de tortues rares, critique ainsi l’avidité des adultes qui s’imaginent intelligents. Ces tortues sont arrachées à leur habitat naturel, maltraitées ou tuées et ce, à des fins alimentaires, médicinales, décoratives, religieuses, etc.4 Bien trop souvent, et nul besoin de plastromancie pour le savoir, l’être humain ne recherche que l’enrichissement sans se soucier des conséquences infligées à l’animal ou à son espèce. Laogui retourne parmi les siens 7 Un jour de fin de semaine, Xiao Tao était en route pour la maison de sa grand-mère maternelle. 8 Le printemps était déjà là. Les fleurs se déployaient tout le long du chemin, agitant leurs petites mains multicolores, comme si elles étaient en train de saluer Xiao Tao. Ce dernier faisait quelques pas, approchait son nez au-dessus des fleurs et inspirait profondément. Tout en marchant, il inspirait. Intérieurement, Xiao Tao se sentait revigoré car il avait la sensation que ses poumons venaient d’être purifiés. Cela faisait deux bons mois déjà qu’il ne s’était pas rendu chez sa grand-mère. Sans qu’il s’en aperçoive, la beauté du printemps lui faisait accélérer le pas. 9 Pendant que Xiao Tao se rendait chez sa grand-mère, une vieille tortue s’enfuyait du village, avançant péniblement jusqu’aux abords d’un carrefour. Elle se cacha dans les broussailles, jetant coup d’œil à gauche, coup d’œil à droite. Sur la route, les passants allaient et venaient, les véhicules étaient incessants. La tortue tendait le cou, le rétractait puis poussait des longs soupirs : elle ne savait pas où elle devait aller afin de ne pas se faire découvrir par les hommes. Elle attendait encore et encore. Finalement, un peu avant midi, les piétons étaient tous rentrés manger, la chaussée était devenue Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 3 silencieuse. À nouveau, la tortue étira son cou. Avec audace, elle fit un pas en avant, puis un autre. Son corps entier était à présent exposé sur la route. Elle leva la tête et aperçut Xiao Tao marchant en face d’elle. Elle voulut se cacher mais il était trop tard. Elle baissa la tête attristée et se dit : « À peine en fuite, à nouveau attrapée ! » Xiao Tao remarqua également la tortue sur le bas-côté. Jamais il n’avait pu observer une tortue aussi grosse. Comparable à un ballon, elle avait une carapace brun foncé, tachetée, et aux stries épaisses. Xiao Tao s’accroupit et, avec sa main, toucha la tête de la tortue. Cette dernière la rétracta très rapidement et ne voulut plus la sortir. Ensuite il lui toucha le dos qu’il trouva vraiment dur. Xiao Tao demanda : 10 « Laogui, comment se fait-il que tu sois là ? » Elle ne répondit pas. « Tu as tellement de blessures sur ton corps, est-ce que ça fait mal ? » 11 La vieille tortue ne disait toujours rien, se laissant faire. Xiao Tao utilisa de l’herbe pour faire bouger la tortue, qui elle, restait immobile. À ce moment-là, n’ayant pas d’autre choix, il prit la tortue dans ses bras : la carapace de la tortue était dure et très épaisse. C’est alors que le bruit lointain d’une voiture se fit entendre. De manière soudaine, et sans que Xiao Tao ne comprenne comment une tortue puisse avoir autant de forces, cette dernière se glissa sous les broussailles. À cet instant précis, il comprit que la tortue avait peur des gens. Avec son propre corps, il dissimula la tortue et, doucement, caressa les blessures de son corps. Des larmes emplirent les yeux de la tortue : ces dernières années, personne ne l’avait caressée de la sorte. Elle pensa : « Cet enfant est probablement bienveillant. » 12 Progressivement, les piétons affluaient et, passant devant eux, aucun ne put s’empêcher de toiser Xiao Tao. Ils s’interrogeaient sur ce que faisait cet enfant accroupi-là. Xiao Tao, ne sachant pas quoi faire de la tortue, voulut demander conseil à un adulte. Au moment où il s’apprêtait à le faire, la vieille tortue se mit à parler : 13 « Cher enfant, je te prie de me sauver. » Xiao Tao sursauta. La voix de la tortue était si faible mais tellement ferme. Il se retourna et vit la tortue le regarder avec sincérité. Il l’entendit également dire : « Je t’en supplie, ne les laisse pas m’emporter. » Xiao Tao comprit quelque chose : il posa son sac et fit entrer la tortue dedans. Il laissa une ouverture, mit le sac sur son dos, et se dirigea vers la maison de sa grand-mère. 14 Cette dernière ne s’attendait pas à ce que son petit-fils vienne, et encore moins qu’il apporterait cette grosse tortue. Tout en cherchant une bassine qu’elle remplit d’eau, elle dit : 15 « La semaine dernière, la famille Wang du village a perdu une vieille tortue. » 16 Xiao Tao déposa son sac et prit la tortue dans ses bras. Sa grand-mère s’écria : « Ne serait-elle pas la vieille tortue égarée par les Wang ? Sur son ventre était gravé le caractère "心". » 17 Xiao Tao regarda et effectivement le caractère y était bel et bien. 18 Il rapporta tout à sa grand-mère, de la découverte de la tortue à son transport jusqu’à la maison. Elle fronça les sourcils : 19 « Xiao Tao, cette vieille tortue a été trouvée par les Wang, il y a tout juste un mois. Avant sa disparition, le vieux Wang avait dit qu’il se rendrait en ville la vendre pour une belle somme d’argent. S’il l’apprenait, ce serait vraiment la fin de tout ! Une telle tortue représente beaucoup d’argent. Quand il l’a perdue, le vieux Wang est presque Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 4 devenu fou d’inquiétude. » La grand-mère radotait. « Xiao Tao, je pense qu’il vaut mieux la rendre le plus rapidement aux Wang. » 20 Il hésitait. 21 « Cher enfant, je te prie de me sauver ! » La tortue s’était exprimée de manière à ce que seul Xiao Tao puisse l’entendre. Xiao Tao constata que les yeux de la tortue étaient emplis de larmes. 22 Le fait que le vieux Wang perde la tête pour cette tortue, fit comprendre à Xiao Tao la valeur de l’animal. En jetant de nouveau un coup d’œil au regard suppliant de la tortue, Xiao Tao se garda de rester davantage : il remit la tortue à l’intérieur du sac et se dépêcha de rentrer en ville, sans prêter attention aux appels inquiets de sa grand-mère. 23 Bien que ce soit le printemps, la route était longue et la tortue lourde. Xiao Tao ne faisait que haleter et la transpiration de son front était incessante. Sur le point d’arriver, la tortue se mit soudainement à hésiter, s’approcha de l’oreille de Xiao Tao et chuchota : 24 « Cher enfant, peux-tu me libérer ? » 25 Xiao Tao s’étonna : « Ne devais-je pas moi-même sauver la vieille tortue ? » 26 La tortue s’empourpra : « Je viens à peine de m’enfuir d’une famille et tu me ramènes chez toi. Une fois que tes parents m’auront vu, ne vont-ils pas vouloir me vendre ? » 27 Xiao Tao, lui aussi, était indécis. Malgré tout, en laissant n’importe où la tortue, quiconque pourrait l’attraper. Il sembla prendre alors une décision importante : 28 « Laogui, je ferai tout pour te protéger. » 29 Xiao Tao ouvrit la porte, posa la tortue, prit une bassine remplie d’eau où il l’installa. Cela faisait bien longtemps que la tortue n’avait pas vu d’eau, et bien que la bassine soit trop petite pour lui permettre de nager, la tortue soupira, soulagée. Assise dans la bassine, elle aspirait l’eau avec avidité et regardait Xiao Tao avec reconnaissance. Pourtant quelques minutes plus tard, la tortue était de nouveau anxieuse : elle se grattait la tête, l’air totalement impuissante. 30 « Laogui, n’aie pas peur, ni mon père, ni ma mère ne vont te vendre. » Xiao Tao cherchait à la consoler. 31 La tortue secoua la tête : « Cher enfant, tu ne comprends pas ! Mon corps entier est un trésor et ma carapace est très précieuse pour la médecine. Toutes les personnes m’ayant vue me convoitent pour s’enrichir. » 32 Xiao Tao réfléchit quelque peu. Il déplaça la tortue dans sa petite chambre et la cacha sous le petit lit. Rentrés, ses parents s’étonnèrent que Xiao Tao soit revenu si vite de chez sa grand-mère. Il expliqua qu’il n’avait pas eu envie d’y aller. Ces parents ne le questionnèrent pas plus. 33 Dès lors, chaque jour, Xiao Tao attendait de pouvoir rentrer chez lui, de souper, car c’était seulement une fois chose faite, qu’il pouvait passer un long moment aux côtés de la tortue. Xiao Tao et la vieille tortue étaient tels des compagnons qui avaient conclu un traité d’alliance. Qui plus est, Xiao Tao ne dépensait plus son argent à la légère. Il économisait son argent de poche pour acheter ce qu’aimait manger la tortue. 34 Une autre fin de semaine, les parents de Xiao Tao voulaient l’amener s’amuser. Il refusa de les suivre en prétextant qu’il avait beaucoup de devoirs à faire. Ne pouvant le convaincre, ses parents partirent seuls. À peine étaient-ils sortis que Xiao Tao déplaça Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 5 en toute hâte la tortue sur la table. Elle avait retrouvé ses forces après une période de convalescence. Elle étira sa tête puis avec sa main toucha celle de Xiao Tao, une manière d’exprimer son affection. 35 « Cher enfant, c’est peut-être difficile à imaginer mais j’ai déjà cent ans. » Toutefois, comme sa grand-mère avait le visage ridé a seulement plus de soixante ans, Xiao Tao resta perplexe. 36 « Nous autres, tortues, avons une grande longévité. Moi-même je ne suis pas vieille étant donné que vivre plus de cent ans est normal. Certaines d’ailleurs peuvent vivent quelques centaines d’années. » 37 Xiao Tao hocha la tête sans pour autant avoir bien compris : un centenaire a forcément eu une longue vie. 38 La vieille tortue narra à Xiao Tao son propre sort : 39 « À l’origine, je vivais avec mes parents, mes frères et sœurs dans la mer. Ces dernières années, les gens sont devenus de plus en plus cupides et connaissant notre valeur, ils ont réfléchi à tous les moyens de nous capturer. Il y a cinq ans de cela, tandis que je m’amusais sur la plage, j’ai été capturée puis vendue sept fois d’affilée. Je m’enfuyais mais on m’attrapait de nouveau. On me mettait dans une voiture et me transportait de ville en ville, de famille en famille. Je restais dans le bassin à poissons, voire dans le seau à fumier. Les gens me considéraient tel un trésor parce que je rapportais beaucoup d’argent. Une fois, au prix de maintes fatigues et de dures épreuves, je me suis échappée. Mais, encore une fois, un paysan m’a capturée. Il m’a vendue à un restaurant, d’où j’ai pu m’enfuir. Et, par chance, tu m’as sauvée, sans quoi, je crains de ne plus être de ce monde aujourd’hui. » 40 La tortue raconta d’une seule traite ce que lui avait réservé le sort ces dernières années. Xiao Tao, depuis un petit moment déjà, avaient des larmes brillantes dans les yeux. Il caressait les nombreuses blessures de la tortue, laquelle soupira : de par les épreuves de ces dernières années, son cœur s’était progressivement endurci. 41 « Depuis le jour où l’on m’a capturée, je ne cesse de vouloir retourner à la mer, chez moi. C’est d’ailleurs, ce qui m’a poussé à fuir à maintes reprises. » 42 Les yeux perdus au loin, la tortue était pensive. 43 « Laogui, tu habites ici pour l’instant, tu es en sécurité. » Xiao Tao la réconfortait. 44 « Cher enfant, tes intentions sont bonnes, mais je crains de ne pas être à ma place ici très longtemps. » La tortue secouait la tête, inquiète. En même temps, depuis qu’elle avait été blessée à plusieurs reprises, elle n’aspirait qu’à retourner à la mer. Cela, Xiao Tao ne pouvait l’entendre. Croyant la tortue en sécurité, il ne comprenait donc pas ce qui l’inquiétait. 45 Les craintes de la vieille tortue ne mirent pas longtemps à se réaliser. 46 Ce jour-là, Xiao Tao était à l’école. Étant en congé, sa maman lava une grande pile de vêtements sans mettre la main sur la bassine. 47 « Comme c’est étrange ! Comment a-t-elle pu disparaître ? » Tout en disant cela, elle poussa la porte de Xiao Tao pour regarder de-ci de-là. Finalement, elle se baissa pour ramasser l’alèse du lit et aperçut la bassine. Elle la tira et fit subitement un pas en arrière comme si elle venait de recevoir une décharge électrique : elle avait vu la tortue dans la bassine, la première fois qu’elle en voyait une aussi grosse. La mère déplaça la bassine au salon. Après l’avoir observé attentivement, elle était certaine que c’était une Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 6 vieille tortue, une de celles très précieuse. La mère de Xiao Tao réfléchissait, le cœur battant la chamade. Affolée, elle téléphona à son mari pour qu’il rentre. Lorsqu’il vit cette tortue, il fut si heureux qu’il en resta bouche bée. 48 « Chérie, cette fois-ci on va pouvoir s’enrichir ! » 49 « Chéri, ce n’est pas un jeu, le trafic d’animaux rares est illégal. » 50 « Les femmes ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Si on la vend discrètement, ça ira. » 51 En rentrant, lorsque Xiao Tao s’aperçut que la tortue avait été déplacée au salon, son cerveau fit « boum », comme s’il venait de perdre connaissance. Très rapidement, il reprit ses esprits. Il bondit en criant : « Qui a osé bouger ma tortue ! Je n’en ai pas fini avec lui ! » Le père de Xiao Tao apparut avec une côtelette frite fumante. 52 « Mon enfant, Papa t’a préparé la côtelette frite que tu préfères pour te récompenser. » 53 « Parlez ! Que projetez-vous de faire de cette vieille tortue ? » Xiao Tao se laissait emporter par la colère. 54 « Mon enfant, ne voulais-tu pas un synthétiseur ? Une telle tortue peut se vendre à bon prix. D’ailleurs, sans parler du synthétiseur, on pourrait même acheter un piano. Subitement, Xiao Tao fonça et renversa la côtelette des mains de son père. Ce dernier n’avait pas imaginé que Xiao Tao réagirait de la sorte. Sous le coup de l’humiliation, il s’emporta : il attrapa le balai et le dirigea vers Xiao Tao pour le frapper. Tout en le battant, il s’écria : « Que tu le veuilles ou non, on la vendra quand même ! » 55 La maman de Xiao Tao se précipita hors de la cuisine et ce n’est qu’à ce moment-là que le père s’arrêta. De très grandes marques étaient apparues sur les mains de Xiao Tao. Jamais il n’avait subi une telle injustice. En voyant cela, sa mère se mit à pleurer. 56 « Tout ça pour de l’argent ?! La vie de ton fils n’a donc plus d’importance ?! » 57 Rien qu’en pensant à l’argent, les yeux du père s’illuminèrent. 58 « Je vendrai cette tortue ! » Énervé, il retourna à la cuisine et fit claquer la porte derrière lui. Bien qu’il souffrît de nouveau, Xiao Tao refusait de pleurer. Il retint sa colère, emporta la tortue dans sa chambre et s’enferma dedans. 59 La tortue étira sa tête et vint lécher les plaies de Xiao Tao : « Cher enfant, je te cause du tort. » 60 Xiao Tao se mit à pleurer bruyamment puis enlaça la tête de la tortue. 61 « Laogui, cette fois-ci je ne pourrai pas te protéger. » Xiao Tao pleurait pour lui-même, pour la tortue mais également pour la cupidité de son père. Jamais il n'aurait imaginé que son père était aussi cupide que les autres. Il ne comprenait pas pourquoi la vieille tortue était aussi importante aux yeux des adultes. En protégeant la tortue, il avait non seulement sympathisé avec elle mais, en plus, elle était devenue une amie inséparable. Quand bien même il voudrait un synthétiseur, il ne pouvait laisser son père la vendre. Assis aux côtés de son amie, Xiao Tao réfléchissait tout en pleurant. Quant à la tortue, elle soupirait. 62 Ce soir-là, Xiao Tao n’alla pas dîner. Une fois la nuit tombée, sa mère vint frapper à sa porte et l’appela doucement. Finalement il ouvrit. Sa mère referma doucement la porte et palpa les plaies des mains de son fils. Ses yeux s’humidifièrent de nouveau : 63 « Mon enfant, cette tortue est très précieuse, d'où l'as-tu ramenée ? » Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 7 64 Xiao Tao raconta tout dans les moindres détails à sa mère. Tout en hochant la tête, cette dernière l'approuva : 65 « Xiao Tao, tu connais le caractère de ton père. Maintenant il nous faut juste trouver une solution pour cacher cette tortue. » 66 Xiao Tao ne s'attendait pas à ce que sa mère se range de son côté. Il réalisa qu'il avait le pouvoir de protéger la tortue. Mais où la cacher ? De toute évidence, pas à la maison, ni chez quelqu’un d’autre d'ailleurs. Impatient, Xiao Tao faisait des va-et-vient dans sa chambre. Soudainement ses yeux s'illuminèrent : 67 « Maman, n'y a-t-il pas une petite pièce libre sur ton lieu de travail ? » À cette idée, la mère s'excita à son tour : 68 « Mais oui ! Nous la déplacerons temporairement là-bas. » 69 Le lendemain, la mère comme le fils prirent un jour de repos. Profitant que le père travaillait, ils transférèrent secrètement la vieille tortue. La mère acheta en ville une grande bassine, où, une fois remplie d'eau, elle installa la tortue. Cette fois-ci, il lui était possible de tourner sur elle-même, d'étendre ses mains et ses pieds, de barboter, de nager tout le long de la bassine. Xiao Tao et sa mère tinrent compagnie à la tortue pendant la journée et ne rentrèrent que dans l'après-midi, l'un derrière l'autre. Xiao Tao dit : 70 « Laogui, tu es maintenant en sécurité, et, en plus il y a maman. » 71 La tortue regarda Xiao Tao avec une certaine tristesse et ne répondit rien. 72 Successivement, Xiao Tao et sa mère rentrèrent : la maison était sens dessus dessous. En fait, son père était rentré. Ne voyant pas la vieille tortue, il s'était laissé emporter par la colère et avait fracassé ce qui se trouvait à portée de main. En apercevant Xiao Tao, cela jeta de l'huile sur le feu et il se rua dessus pour le battre. 73 « J'ai donné la tortue, alors si tu veux me taper, eh bien vas-y ! » déclara froidement Xiao Tao. 74 « J'avais déjà discuté du prix avec quelqu’un ! Tu n'es qu'un fils prodigue sans avenir ! » Le père finit par baisser sa main levée. Avec suspicion, il regarda Xiao Tao, non convaincu qu'il ait pu donner si facilement cette tortue. 75 Par la suite, dès que Xiao Tao et sa mère avaient un moment de libre, ils rendaient visite à la tortue, lui apportant toutes sortes de choses. Toutefois, à chaque fois ils découvraient une tortue encore plus triste qu'avant et avec encore moins de force. 76 Xiao Tao caressa le dos de la tortue : 77 « Laogui, pourquoi est-ce que tu es de plus en plus triste ? Pourquoi est-ce que tu manges de moins en moins ? » 78 La tortue ne bougeait pas comme si elle regardait au loin. 79 « Laogui, explique-moi ! Il est probable qu'on puisse t'aider. » 80 Le regard de la tortue s'illumina progressivement. 81 « Cher enfant, depuis plusieurs générations nous vivons dans la mer d'azur, où il y a de beaux poissons, des coquillages et de nombreux coraux multicolores. Tu n'as jamais vu la mer, là-bas l'eau est aussi bleue que le ciel, limpide, paisible. Nous vivons dans les fonds marins, chaud en hiver et frais en été. Rien ne peut nous nuire. » La tortue plissa ses yeux, comme si elle venait de voir sa belle maison. « Dans la mer, j’ai de nombreux compagnons. Nous sommes ensemble du matin au soir et vivons joyeusement. Nous Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 8 autres tortues marines, ce que nous mangeons le plus en mer, ce sont les plantes. Sur la terre ferme, nous ne pouvons manger qu’autre chose. » La vieille tortue soupira. « Au cours de ces dernières années, j'ai été attrapée, contrainte de modifier mes habitudes de vie, de subir l'humiliation et la tourmente. J'ai toujours pensé qu'un jour je retournerais à la mer. J'ai fui encore et encore, je me suis perdue encore et encore pour me faire attraper encore et encore. Je me suis de plus en plus éloignée de la mer à tel point que je ne retrouve plus le chemin pour rentrer chez moi. Nous sommes habituées à nager dans la mer et non pas à marcher sur terre. Actuellement, ma santé empire de jour en jour et il semble que je ne pourrais jamais rentrer chez moi. » Arrivée jusqu’ici, la tortue pleurait à chaudes larmes. 82 Xiao Tao enlaça fermement la tortue : « Laogui, nous allons réfléchir à un moyen de te ramener. » Il regarda sa mère qui hocha la tête, les yeux rougis. 83 Sur le chemin du retour, la mère expliqua : « La tortue a le mal du pays comme si toi tu désirais chaque jour rentrer chez toi. Comprends-tu, Xiao Tao ? » Sans rien dire, il hocha la tête. 84 Juste avant les vacances d'été de Xiao Tao, la tortue tomba subitement malade : elle ne mangeait ni ne buvait plus et n'arrivait pas à lever la tête. 85 Xiao Tao serra la tortue contre son torse. Elle ouvrit légèrement la bouche comme si elle était en train de dire quelque chose. Il colla rapidement son oreille près de la tortue et l’entendit vaguement dire : « La mer, la mer ! Cher enfant, j'ai quitté la mer il y a trop longtemps et c'est le meilleur endroit où je puisse vivre. Je crains de ne jamais y retourner. » Elle s’exprimait avec effort. 86 « Laogui, tiens encore un peu. Dès que les vacances seront là, avec maman, je te ramènerai chez toi ». Xiao Tao était en larmes. La tortue, à bout de forces hocha la tête. 87 Xiao Tao et sa mère discutèrent : une fois en vacances, ils ramèneraient la tortue à la mer. À l'insu du père, ils achetèrent des billets de train. Ce jour-là, Xiao Tao mit la tortue dans son sac, qu'il chargea sur son dos, puis, en compagnie de sa mère, embarqua dans le train pour la plage. 88 « Tagadam, tagadam. » Enlacée dans les bras de Xiao Tao, la vieille tortue entendait le bruit du train qui commençait à partir. Le train allait de plus en plus vite. La tortue sentait déjà l'odeur de la brise marine. Doucement elle fredonna : 89 « Je pense à la mer, je rêve de la mer. La mer c'est ma belle maison. » 90 Mais les larmes de Xiao Tao qui, goutte après goutte, allaient s'échouer sur la tête de la tortue, provoqua immédiatement la tristesse de cette dernière. 91 « Cher enfant, tu as été tellement bon envers moi donc sache que je te quitte malgré moi. » La tortue colla fermement son visage contre Xiao Tao. 92 Arrivé au bord de mer, il faisait déjà nuit noire. Sur la plage, aucune silhouette n'était visible. Sous les rayons lunaires, la mer ressemblait à un morceau de velours noir, paisible et mystérieuse. Tenant la tortue dans ses bras, Xiao Tao, accompagné de sa mère, avançait progressivement vers le bord de l'eau. Il y déposa la tortue dont les larmes ne cessaient de couler : 93 « Cher enfant, j'ignore comment te remercier... Je n’imaginais pas revenir un jour... » 94 « Laogui, va-t'en. Retourne dans ta belle maison. » Les larmes étranglaient le son de sa voix. Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Le conte pour enfants (tonghua 童话) ou comment éduquer les jeunes générations ... 9 95 « Je viendrai te voir, c'est certain. » Xiao Tao ne pouvait empêcher ses larmes de couler, partagé entre gaieté et tristesse. 96 « Cher enfant, je me souviendrai de toi. » La tortue allongea la tête et léchouilla le visage humide de Xiao Tao. Finalement, elle s'avança pas à pas vers l'eau et se laissa emporter avant de disparaître. Xiao Tao ne s'attendait pas à ce que la vieille tortue soit si rapide dans l'eau. De toutes ses forces, il cria en direction de la mer : 97 « Au revoir Laogui ! » Sa voix retentit dans l'air. 98 Lui et sa mère levèrent la tête, les étoiles remplissaient la voûte céleste et de faibles ondes lumineuses de la Voie Lactée traversaient l'horizon. NOTES 1. La rivière Jinsha que connaissait l’auteure n’est en rien comparable à celle d’aujourd’hui. D’ailleurs, encore récemment, l’environnement a été bouleversé lors de la mise en service de Xiangjiaba 向家坝 — la troisième centrale hydroélectrique du pays —, le 10 octobre 2012, jour où l’eau a commencé à être stockée. 2. QING Niao 青鸟, « Chong fan jiayuan de laogui 重返家园的老龟 » (Laogui retourne parmi les siens), in Zhaotong chuangzuo 昭通創作 (Production de Zhaotong), Zhaotong : Zhaotong wenxue yishu chuangzuo zhongxin, revue électronique, Numéro 20, août 2018, disponible à l’adresse suivante : http://www.sohu.com/a/249913792_772639 (Dernière consultation le 16 octobre 2018). 3. L’auteure a également écrit d’autres contes sur le thème de l’environnement comme Shitou de yijia 石头的一家 (Une Famille de pierres), mais également Lu lu zhao shui 路路找水 (Les routes pour trouver l’eau) ou encore Shengqi de hua’er 生气的花儿 (La colère des fleurs). Actuellement, elle écrit un conte intitulé Bu hui zhang ya de daxiang 不会长牙的大象 (L’éléphant sans défense). 4. COMPTON, James, « An Overview of Asian Turtle Trade », in DIJK, Peter Paul van, Asian turtle trade: proceedings of a Workshop on Conservation and Trade of Freshwater Turtles and Tortoises in Asia, Lunenburg, Massachusetts : Chelonian Research Foundation, 2000, p. 24. AUTEUR PIERRICK RIVET Doctorant en Études Culturelles, spécialité Chinois, à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, sous la direction de Guilhem Fabre (LLACS) et Pierre Kaser (IrAsia). Sa thèse porte sur deux recueils de l’extrême fin de la dynastie Ming où les relations masculines sont dépeintes : le Bian er chai 弁而 釵 et le Yichun xiangzhi 宜春香質. Impressions d’Extrême-Orient, 10 | 2019
Vous pouvez aussi lire