Le Montreal Orchestra et la création de la Société des Concerts symphoniques de Montréal (1930 - 1941) The Montreal Orchestra and the Foundation ...

 
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Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique

Le Montreal Orchestra et la création de la Société des Concerts
symphoniques de Montréal (1930 - 1941)
The Montreal Orchestra and the Foundation of the Société des
Concerts symphoniques de Montréal (1930-1941)
Guylaine Flamand

Florilège de la recherche sur la musique du Québec (1997-2006).               Article abstract
Numéro spécial pour le 40e anniversaire de l’ARMuQ/SQRM                       During the 1930s, what is now known as the Montreal Symphony Orchestra
Volume 19, Number 1-2, Spring–Fall 2018                                       began its life as the Société des Concerts symphoniques de Montréal. The
                                                                              various aspects of the history of its founding make for a fascinating study in
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1069883ar                                 Montreal concert life. The society’s relationship with the contemporaneous
DOI: https://doi.org/10.7202/1069883ar                                        Montreal Orchestra and its conductor Douglas Clarke provides a snapshot from
                                                                              a musical and sociological point of view of the tensions and lack of
                                                                              communication between the two co-existing communities. This article is a brief
See table of contents
                                                                              summary of the author’s doctoral dissertation on the circumstances
                                                                              surrounding the creation of the two ensembles, as well as the conflict that
                                                                              motivated one group of individuals to found Les Concerts symphoniques. The
Publisher(s)                                                                  linguistic duality of Montreal comes once again to the fore.
Société québécoise de recherche en musique

ISSN
1480-1132 (print)
1929-7394 (digital)

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Cite this article
Flamand, G. (2018). Le Montreal Orchestra et la création de la Société des
Concerts symphoniques de Montréal (1930 - 1941). Les Cahiers de la Société
québécoise de recherche en musique, 19(1-2), 145–154.
https://doi.org/10.7202/1069883ar

Tous droits réservés © Société québécoise de recherche en musique, 2020      This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                             This article is disseminated and preserved by Érudit.
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                                                                             Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                             promote and disseminate research.
                                                                             https://www.erudit.org/en/
«N      ous irons vers l’Est et donnerons à la
        population canadienne française les                 Le Montreal Orchestra
concerts symphoniques auxquels elle a droit. »
Voilà le slogan qui annonçait la naissance d’un
nouvel orchestre, la Société des Concerts sym-
                                                            et la création de la
phoniques de Montréal, au milieu des années
1930. Cette approche nationaliste a su rallier
                                                            Société des Concerts
les forces nécessaires à la formation d’un
ensemble symphonique qui se classe main-                    symphoniques de
tenant parmi les meilleurs au monde et que
l’on connaît aujourd’hui sous le nom de                     Montréal (1930 - 1941)
l’Orchestre symphonique de Montréal. Mais
quels sont les événements qui ont motivé une                Guylaine Flamand
telle démarche ? Encore et toujours cette dua-
lité culturelle propre à Montréal. Retournons
un peu en arrière pour mieux comprendre.
                                                         mi-saison, soit en février 1931, l’orchestre
Le Montreal Orchestra                                    déménagea au théâtre His Majesty’s pour une
   L’avènement du cinéma parlant en 1927 et              meilleure acoustique et un plus grand nombre
la crise de 1929 ont, en quelque sorte, favorisé         de sièges. Avec un total de cent soixante-six
l’implantation d’un orchestre symphonique                concerts en onze saisons, le Montreal
dans la métropole. Les musiciens, qui pour la            Orchestra devenait, en 1941, l’orchestre sym-
plupart travaillaient dans les théâtres, ont             phonique le plus performant et assidu dans
décidé de répondre à l’initiative du clarinet-           l’histoire de la musique symphonique à
tiste Giulio Romano et de créer leur propre              Montréal. Ce succès est redevable en grande
emploi en jouant la musique pour laquelle ils            partie à l’énergie et au remarquable dévoue-
avaient été formés. C’est ainsi qu’est né en             ment des musiciens. En effet, lorsqu’une sai-
octobre 1930, sur une base coopérative, le               son était menacée pour des raisons financières
Montreal Orchestra (MO) constitué de soixan-             (ce qui, du reste, arrivait fréquemment), les
te-dix musiciens avec, à leur tête, Douglas              musiciens n’hésitaient pas à donner de leur
Clarke, alors doyen de la Faculté de musique             temps, aussi bien pour les répétitions que
de l’Université McGill. Quoique l’orchestre fut          pour les concerts, jusqu’à ce que des
mis sur pied au beau milieu de la crise1,                ressources philantropiques soient à nouveau           1   Le premier concert eut
plusieurs organismes lui ont généreusement               disponibles. Ce qui donnait lieu à une situa-             lieu le 12 octobre 1930.
prêté main-forte. La Faculté de musique de               tion pour le moins anormale, comme le note
l’Université McGill fournissait les partitions, le       H. P. Bell dans le Montreal Music Year Book           2   « …the orchestra’s con-
théâtre Orpheum ouvrait gratuitement ses                 1932 :                                                    certs afford a strange,
portes pour les concerts et, enfin, l’Hôtel                                                                        perhaps unique, exam-
                                                              … les concerts de l’orchestre présentent             ple of people who were
Mont-Royal offrait une de ses salles de bal                   une situation plutôt étrange, peut-être              unemployed bestowing
pour les répétitions ainsi que de l’espace pour               même unique, où des gens au préalable                charity on their fellow
les bureaux. Le chef, pour sa part, acceptait le              sans-emploi font acte de charité envers              citizens rather than
poste à la seule condition de ne pas être                     leurs concitoyens plutôt que l’inverse.              receiving from them.
rémunéré ; ce qui fut presque le cas aussi des                Serait-ce la honte reliée à la reconnais-            Perhaps it is the con-
                                                              sance de cet état de fait qui empêche                sciousness of this that
musiciens puisque, après cinq répétitions de                                                                       has made some people
trois heures chacune en plus du concert,                      quelques personnes d’aller aux concerts ?
                                                              Il ne serait pas exagéré d’affirmer que              ashamed to go to the
chaque musicien reçut la magnifique somme                                                                          concerts? It is fairly safe
                                                              pour le peu d’argent qu’il reçoit, le
de quatre dollars ! Un comité fut mis en place                                                                     to say that for the very
                                                              Montreal Orchestra offre à son public un             little money that it gets,
pour s’occuper des questions administratives                  meilleur rapport qualité-prix que n’im-              the Montréal Orchestra
et tenter de trouver les ressources financières               porte quel autre orchestre au monde                  is probably giving its
nécessaires au fonctionnement de l’orchestre.                 (Bell, 1932, p. 3)2.                                 public better value than
Après un appel de dons et une campagne de                                                                          any other orchestra in
souscription, l’ensemble est parvenu à donner                                                                      the world. » Cette tra-
                                                         Répertoire                                                duction française et
vingt-cinq concerts la première saison et le
                                                           Un autre aspect important du succès de la               toutes les suivantes sont
salaire des musiciens est passé à treize dollars                                                                   de l’auteure du présent
par semaine en moyenne. Il faut noter qu’à la            nouvelle organisation réside dans le choix du             article.

Parution
L        originale
 ES CAHIERS        OCIÉTÉLes
            DE LA Sdans      Cahiers
                          QUÉBÉCOISE  de  la Société EN
                                      DE RECHERCHE   québécoise  de .recherche
                                                        MUSIQUE, VOL  7, NOS 1-2en musique, vol. 7, nos 1-2,        23
« Un œil vers le passé, une oreille sur le présent », décembre 2003, p. 23-31
Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, vol. 19, nos 1 et 2                                                         145
répertoire. En devenant chef permanent,                de Montréal de cette époque était très
            Clarke devenait aussi responsable de la plani-         attachée et s’identifiait fortement à
            fication des programmes. Tout en étant                 l’Angleterre, sa mère-patrie. En présentant de
            conscient du goût du public, il ne voulait pas         la musique anglaise contemporaine, Clarke
            sacrifier la qualité du matériel proposé dans le       s’assurait un certain public, curieux et enthou-
            seul but d’attirer les foules. Sa ligne conduc-        siaste pour tout ce qui venait d’Angleterre.
            trice était d’inclure au moins une œuvre sym-
                                                                      Les compositeurs français et russes viennent
            phonique majeure dans chaque programme.
                                                                   loin derrière dans le palmarès de l’orchestre.
            Une étude des programmes des onze saisons
                                                                   Même compilés ensemble, le nombre de leurs
            de l’orchestre le démontre clairement. Clarke
                                                                   prestations est nettement inférieur à celui des
            puisait abondamment dans le répertoire ger-
                                                                   compositeurs anglais. Mais encore une fois,
            manique (Brahms, Beethoven, Wagner, J.-S.
                                                                   on ne peut dire si une telle décision était prise
            Bach, Mozart) et anglais (Purcell, Byrd, Holst,
                                                                   sur des bases de préférences personnelles ou
            Grainger, Delius, Elgar, Bax). On ne se gênait
                                                                   par simple nécessité. Le coût des partitions
            d’ailleurs pas pour le lui reprocher. Son admi-
                                                                   françaises a toujours été très élevé, c’est bien
            ration pour Brahms lui valut aussi quelques
                                                                   connu. L’orchestre devait compter sur la
            remarques plutôt désobligeantes de la part de
                                                                   générosité de ses amis les mieux nantis ou de
            certains critiques francophones :
                                                                   différentes associations qui lui prêtaient les
                Brahms est l’auteur favori des anglo-              partitions. En 1933, par exemple, l’Association
                saxons et c’est assurément à cette faveur          française d’expansion et d’échanges artis-
                que nous devons d’être saturé de Brahms            tiques a fourni neuf partitions à l’orchestre : Le
                par l’Orchestre de Montréal. Entendre              Chasseur maudit de Franck, la Suite algé-
                Brahms et mourir !… (Letondal, 1932, p. 7)         rienne de Saint-Saëns, Le Festin de l’araignée
                … cela n’était pas pour déplaire à un audi-        de Roussel, Ma Mère l’Oye, Le Tombeau de
                toire sursaturé des lourdes symphonies de          Couperin, les Valses nobles et sentimentales et
                Brahms. L’inévitable Brahms, compositeur           la Rhapsodie espagnole de Ravel, Children’s
                remarquable, c’est entendu, mais qu’on est         Corner de Debussy et la Symphonie fantas-
                à la veille de nous faire détester à force de      tique de Berlioz. Cette dernière, en fait, a per-
                le rejouer… (Langlois, 1933, p. 8)                 mis à l’orchestre de démontrer une certaine
                Nous l’avons eue la deuxième symphonie             audace : le 18 février 1934, la symphonie était
                de Brahms. C’était écrit ! Moctoub ! Les           programmée en version intégrale. C’était la
                quatre symphonies de Brahms figureront             première fois qu’elle était interprétée dans son
                encore, cette année, au programme de               ensemble par un orchestre canadien. Ce fut
                l’Orchestre de Montréal. Pour les auditeurs        un événement.
                anglo-saxons, Brahms est le Bon Dieu de
                la musique : lorsqu’ils ont dit « Brààhms »,         Cette lacune dans la représentation de la
                ils ont tout dit. Le public latin ne partage       musique française a bien entendu été relevée
                pas cette dévotion un peu trop exclusive           par les critiques :
                (Letondal, 1934a, p. 6).
                                                                       Pourquoi M. Clarke ne nous joue-t-il pas
               Pour ce qui est du répertoire anglais, il est           plus souvent de la musique française ?
            vrai qu’il occupait une place importante dans              Nous le savons assez peu francophile, il
            la programmation de Clarke. Environ un pro-                est vrai, et sa Pavane pour une infante
            gramme sur trois présentait de la musique                  défunte boitait passablement. On a tout de
            anglaise. Le fort sentiment d’appartenance                 même pas le droit d’ignorer l’existence de
            envers sa mère-patrie influença sûrement                   Debussy ! (Lux, 1931, p. 5)
            Clarke dans ses décisions. Utilisait-il                    Est-ce un parti pris d’ostraciser les auteurs
            l’orchestre pour promouvoir la musique                     français ? On le croirait car, enfin, jusqu’à
            anglaise contemporaine de ce côté de l’océan               présent, on les a éliminés bien cavalière-
            et attirer ainsi les amateurs anglophones, ou              ment. Souhaitons qu’il y ait compensation
            bien était-ce dû à la situation financière pré-            par la suite (Lamontagne, 1930, p. 10).
            caire de l’orchestre ? La réponse à cette ques-          Bien sûr, le critique musical du Petit
            tion tient sans doute des deux propositions.           Journal et animateur radio, Henri Letondal
            Le fait qu’il connaissait personnellement la           n’était pas en reste avec son ton péremptoire :
            plupart des compositeurs (Bax, Delius, Elgar,
            Grainger, Holst, Vaughan Williams et Warlock)              Il y a donc chez M. Clarke, un parti pris évi-
            lui permettait probablement d’obtenir les par-             dent de nous imposer « ses » auteurs. Cela
            titions à moindre coût. C’était une façon pour             est insupportable. […] Nous persistons à
                                                                       demander des programmes mieux faits et
            lui de diversifier son répertoire sans trop taxer
                                                                       qui accordent une place de choix aux
            le budget déjà extrêmement serré de                        auteurs français (Letondal, 1931a, p. 26).
            l’orchestre. Aussi, la population anglophone

146   24   Le Montreal Orchestra
               LE MONTREAL       et la création
                           ORCHESTRA            de la DE
                                       ET LA CRÉATION Société des Concerts
                                                         LA SOCIÉTÉ         symphoniques
                                                                    DES CONCERTS           deDEMontréal
                                                                                 SYMPHONIQUES   MONTRÉAL(1930 - 1941)
                                                                                                          (1930-1941)
On peut même lire les remarques du cri-         vite que c’était nécessaire pour attirer le pu-
tique anglophone Thomas Archer sur la situa-       blic. C’est ainsi qu’à chaque saison, entre sept
tion dans son sommaire de la deuxième sai-         et onze solistes étaient invités à se produire
son de l’orchestre :                               avec l’orchestre. Parmi eux, quelques grands
                                                   noms comme Georges Enesco, Nathan
   La seule question à débattre demeure celle
                                                   Milstein, Beveridge Webster, Emanuel
   de la musique française. […] Outre
   L’Apprenti Sorcier de Dukas, il n’y a eu        Feuermann, Shura Cherkassky, Eugene List et
   aucune autre addition au répertoire de          William Primrose assuraient une vente de bil-
   musique française contemporaine, qui se         lets accrue. Sur les soixante-seize solistes
   compose principalement d’une suite, d’un        invités au fil des ans, seulement une vingtaine
   prélude très connu de Debussy et d’une          étaient canadiens : onze anglophones et neuf
   très petite œuvre de Ravel. Ce qui ne fait      francophones. Une faible proportion au dire
   pas très bonne figure face aux quelques 15      de certains — Letondal, M. Athanase David,
   nouvelles partitions anglaises, dont            député libéral et Secrétaire de la province et
   quelques-unes peuvent être qualifiées de        sa femme, qui était largement impliquée dans
   majeures. Il y a probablement de bonnes         le concours du Prix d’Europe — qui auraient
   raisons derrière cette politique. Cepen-
                                                                                                       3 « The only question
                                                   trouvé préférable d’encourager les artistes           remaining for discus-
   dant, il n’en demeure pas moins que                                                                   sion is that of French
                                                   d’ici. Ce à quoi Clarke répond dans une lettre
   Montréal est une ville autant française                                                               music. […] Outside of
   qu’anglaise (Archer, 1932, p. 10)3.             ouverte cosignée par le président du comité
                                                                                                         Dukas’s L’Apprenti
                                                   exécutif de l’orchestre Graham Drinkwater :           Sorcier there were no
   Non seulement l’insuffisance de musique
                                                      La politique des dirigeants du Montréal            additions to the modern
française était-elle critiquée, mais aussi la                                                            French repertory, which
qualité de son exécution lorsqu’on la jouait.         Orchestra est de s’efforcer d’offrir la
                                                                                                         consists principally of
                                                      meilleure interprétation de toute bonne
Bien entendu, c’est encore une fois Letondal                                                             an early suite, a very
                                                      musique, sans égard à la nationalité. Sans         familiar prelude by
qui se fait le plus sévère :
                                                      aucune aide financière de la part du gou-          Debussy and a very
   La Pavane de Ravel fut prise au ralenti.           vernement, nous avons « encouragé les ta-          small piece by Ravel.
   Non seulement l’Infante était défunte, mais        lents de notre propre province » en em-            And these do not make
   Ravel assistait à l’enterrement. Pour              ployant 27 solistes « locaux », dont 11 fran-      a very good showing
   employer l’expression d’un confrère, ce            cophones. Sur un total de 68 musiciens,            against the 15 or so
                                                      on retrouve 31 Canadiens français, sans            modern English scores,
   fut un « infanticide » ! (Letondal, 1930,                                                             some of which might
   p. 25)                                             compter les autres personnes originaires
                                                                                                         fairly be called repre-
                                                      de Montréal. Pour couronner le tout, ajou-         sentative. Possibly there
   Le concert se terminait par une parodie de         tons que deux Montréalais ont dirigé leurs         are good reasons for this
   L’Apprenti Sorcier de Paul Dukas. Nous             propres œuvres à l’orchestre, à savoir             policy. However,
   disons bien parodie, car nul autre terme           M. Claude Champagne (un des protégés               Montréal is after all as
   ne saurait s’appliquer à l’interprétation de       de M. David) et M. Henri Miro (Clarke et           much French as it is
   M. Douglas Clarke. Après une audition de           Drinkwater, 1935).4                                English. »
   cette qualité, c’était faire montre de peu de                                                       4 « The policy of those in
   jugement et surtout de mauvais goût. Il           Le ton défensif de cette lettre et l’allusion
                                                                                                         charge of the Montréal
   existe d’excellents disques de L’Apprenti       aux « protégés » de M. David nous amènent             Orchestra is to strive for
   Sorcier. M. Clarke, qui conduit cette           dans le vif du sujet, c’est-à-dire le conflit qui     the best interpretation of
   musique à deux temps (Pom-popom-                favorisa la création d’un deuxième orchestre.         whatever is good in
   popom-popom-po-po-po-po-pom) a-t-il                                                                   music, without refer-
   écouté ces disques ? Sinon, il n’est pas                                                              ence to nationality.
   excusable, d’avoir défiguré d’une manière       La Société des Concerts                               Without a cent of help
   aussi flagrante l’œuvre de Dukas.               symphoniques de Montréal                              from the Government,
                                                                                                         we have “helped talent
   Il y avait autant de comparaisons entre            Comme le mentionne Clarke dans cette let-          of our own Province” by
   l’interprétation de l’Orchestre de Montréal     tre, près de la moitié des musiciens de               employing as soloist 27
   et L’Apprenti Sorcier, que celle existant       l’orchestre étaient francophones. La propor-          “local artists” — 11 of
                                                                                                         whom were French-
   entre Paris et sa copie par les Américains.     tion diminue sensiblement au sein de l’admi-
                                                                                                         speaking. Besides other
   Un mauvais dessin (ou dessein) tout sim-        nistration et des différents comités pour se          native-born players in
   plement !                                       situer au tiers environ. Ce qui revient à dire        the Montréal Orchestra,
   Pour l’honneur de la musique française,         que malgré que l’orchestre ait été associé,           out of the total strenght
                                                   dans l’esprit de plusieurs, à l’élément anglo-        of 68 players, there are
   une audition comme celle d’hier soir                                                                  31 French-Canadians.
   devrait être interdite. On peut se tromper,     phone de la ville, les francophones n’étaient
                                                                                                         For the sake of complete-
   mais pas à ce point-là !… (Letondal, 1934b,     pas en reste et ont participé au succès de l’or-      ness we may add that
   p. 6)                                           ganisation. Le problème cependant se situait          two Montrealers have
                                                   davantage au niveau de l’identification et des        conducted the Orchestra
                                                   intérêts. Le désir de la population franco-           in their own works,
Solistes                                                                                                 namely Mr. Claude
                                                   phone d’avoir un orchestre se faisait sentir
 Quoique Clarke n’aimât pas particulière-                                                                Champagne (one of
                                                   depuis quelques années déjà. Lorsque le               Mr. David protégés) and
ment travailler avec des solistes, il constata     Montreal Orchestra fut fondé, quelques-uns            Mr. Henri Miro. »

GGuylaine
  UYLAINE FFlamand
           LAMAND                                                                                          25                   147
des amateurs les plus dynamiques de l’élite                traduit : « Poème d’accord » et « Symphony
           canadienne française s’y sont impliqués,                   en C minor » par « Symphonie en C
           espérant voir leur rêve se réaliser enfin. Parmi           mineure ». N’y a-t-il vraiment personne à
           eux, notons Athanase David, sa femme                       l’Orchestre de Montréal qui puisse traduire
           Antonia David et Henri Letondal. À plusieurs               le texte anglais de façon correcte ?
           occasions, Monsieur et Madame David ont                    (Letondal, 1931c, p. 27)
           demandé à la direction de l’orchestre d’ac-              C’est donc à la fin de la saison 1933 - 1934
           corder une « place raisonnable aux solistes,           que les David et Letondal ont quitté le
           chefs et compositeurs du Québec, particuliè-           Montreal Orchestra avec la ferme intention de
           rement aux lauréats du Prix d’Europe et autres         fonder un orchestre pour encourager les
           boursiers du gouvernement du Québec »                  Canadiens français. L’idée a rapidement fait
           (Potvin, 1993, p. 2540). Cette demande était           son chemin grâce à une campagne dans les
           même associée à une offre de subvention de             journaux et à la radio menée par Letondal.
           3 000 $ du gouvernement québécois si cer-              Jean C. Lallemand, riche industriel et mécène
           taines conditions étaient remplies. Cependant,         de la métropole, s’est associé au projet avec
           même l’argent n’est pas venu à bout des réti-          enthousiasme en offrant son soutien financier
           cences. Le refus constant de la direction n’a          et moral. Le soir du 16 novembre 1934,
           fait qu’enflammer davantage le désir de ces            Athanase David annonçait officiellement à la
           trois membres francophones d’avoir un                  radio la création du nouvel orchestre appelé
           orchestre qui répondrait davantage à leurs             La Société des Concerts symphoniques de
           goûts et leurs attentes.                               Montréal (SCSM), une dénomination typique
                                                                  aux orchestres français. Dans une allocution
              Bien entendu, la problématique des solistes
                                                                  publiée l’année suivante, David expose claire-
           invités n’était pas le seul objet de récrimination
                                                                  ment les trois principaux objectifs de la nou-
           de la part des francophones. Comme nous
                                                                  velle organisation :
           l’avons vu précédemment, l’élaboration des
           programmes – omniprésence de la musique                    L’association veut fournir aux musiciens
           anglaise contemporaine, la faible représenta-              fort nombreux dans la métropole, qui
           tion de la musique française et son interpréta-            n’ont pas suffisamment d’engagements,
           tion discutable, et l’engouement jugé exagéré              l’occasion de gagner un peu d’argent qui
           pour Brahms de la part du chef, étaient aussi              leur permettra de vivre les années dures
           sources de frustration. Il faut également men-             que nous traversons.
           tionner que la part du français dans les affaires          Deuxièmement – Prouver à ceux qui nous
           de l’orchestre était très minime, sinon totale-            entourent, que nous avons parmi nous ou
           ment absente. Ce que les journalistes ont relevé           à l’étranger, de nos compatriotes parfaite-
           assez rapidement. Frédéric Pelletier, critique             ment capables de conduire un orchestre
           musical au Devoir, le nota dès le cinquième                symphonique.
           concert de l’orchestre en novembre 1930 :                  Troisièmement – Encourager ceux-là qui
               Quant à l’unilinguisme de tous ces pro-                par des études spéciales ici, et à l’étranger,
               grammes, je dirai tout haut ce que bon                 ont acquis une réputation de virtuose, de
               nombre de personnes m’ont dit tout bas :               manifester leur talent et de le faire mieux
               c’est à la fois un manque de diplomatie et             connaître et mieux comprendre (David,
               un manque de courtoisie qui n’em-                      1935, p. 16).
               pêcheront pas les amateurs d’orchestre                David a tenu à préciser que le nouveau
               d’aller le plus qu’ils pourront à ces con-         groupe ne serait pas en compétition avec
               certs, mais qui ne les prédisposeront pas à        aucun autre, étant donné que son mandat
               cette indulgence dont l’organisation a             était de donner aux Canadiens français la
               besoin (Pelletier, 1930, p. 1).
                                                                  chance d’entendre de l’excellente musique et
             Bien sûr, Letondal avait aussi son mot à dire        d’applaudir leurs compatriotes qui n’avaient
           sur le sujet :                                         que peu d’occasions de se produire chez eux.
                                                                  L’appel au public fut fait d’une manière ultra
               Puisque nous sommes au His Majesty’s
                                                                  nationaliste. En plus du fameux slogan cité au
               que l’on respecte Sa Majesté la langue
               française dans la rédaction du pro-                début de cet article, la fierté des Canadiens
               gramme ! De grâce !… (Letondal, 1931b,             français était mise au défi par le trésorier de la
               p. 27)                                             nouvelle association, Ubald Boyer :
             Une semaine plus tard, Letondal revenait                 C’est une œuvre nationale et il faut que
           sur le problème :                                          l’on dise, à la fin des six concerts de la sai-
                                                                      son : Les Canadiens français sont en
               Un mot du programme imprimé. Sa rédac-                 mesure de fonder un orchestre sym-
               tion est déplorable. « Tone poem » est                 phonique, de le maintenir et de le con-
                                                                      duire au succès (Boyer, 1935, p. 6).
148   26   Le Montreal Orchestra
               LE MONTREAL       et laETcréation
                           ORCHESTRA             de laDESociété
                                          LA CRÉATION           des DES
                                                         LA SOCIÉTÉ Concerts  symphoniques
                                                                        CONCERTS SYMPHONIQUESde
                                                                                              DEMontréal
                                                                                                MONTRÉAL(1930 - 1941)
                                                                                                         (1930-1941)
Le premier concert eut lieu le 14 janvier        concerts réguliers par saison, Pelletier mit sur
1935 à l’auditorium de l’école Le Plateau dans      pied les Matinées symphoniques pour la
le cœur du Parc Lafontaine sous la baguette         jeunesse, le Festival de Montréal, consacré
de Rosario Bourdon (chef de l’orchestre de la       aux grandes œuvres de musique sacrée, et la
NBC à New York) et du pianiste-soliste Léo-         série des Concerts d’été au chalet du Mont-
Pol Morin (gagnant du Prix d’Europe en              Royal.
1912). L’approche nationaliste n’aurait pas été
                                                       Petit à petit cependant, la politique pre-
complète sans la présentation d’une pièce
                                                    mière de la Société de ne présenter que des
canadienne. Quoi de plus approprié qu’une
                                                    musiciens canadiens français s’est relâchée et
pièce du compositeur Calixa Lavallée, auteur
                                                    de grands noms de la scène internationale ont
de l’hymne national Ô Canada auquel la po-
                                                    été invités : Arthur Rubinstein, Alexandre
pulation canadienne française s’identifiait
                                                    Brailowsky, Egon Petri, Claudio Arrau, Mischa
entièrement à l’époque. L’enthousiasme était
                                                    Elman, Nathan Milstein, Emanuel Feuermann,
tel que le concert afficha complet deux
                                                    pour n’en nommer que quelques-uns. Le
semaines avant sa présentation. Le soir même,
                                                    même sort attendait les chefs. La saison 1940 -
l’émotion atteignait un paroxysme :
                                                     1941 ne présentait qu’un chef canadien aux
   Quand M. Bourdon lève sa baguette et             côtés de noms tels Désiré Defauw, Fritz
   attaque l’hymne Ô Canada, […] l’émotion          Stiedry, Sir Thomas Beecham et Jean Morel.
   s’empare littéralement de l’auditoire. Puis      Pour ce qui est de la musique canadienne, les
   le programme se déroule dans un véri-            organisateurs ont vite pris conscience que,
   table climat d’euphorie. […] Chef, soliste       malgré les bonnes intentions, le projet n’était
   et orchestre sont longuement ovationnés          pas si facilement réalisable. Jamais auparavant
   (Potvin, 1984, p. 34).
                                                    les compositeurs d’ici n’avaient eu un
   L’engouement n’a fait qu’augmenter d’un          orchestre à leur disposition pour jouer leurs
concert à l’autre. Quand finalement Wilfrid         compositions. En conséquence, très peu
Pelletier monta sur le podium pour le               d’œuvres orchestrales avaient été écrites et
cinquième concert, il fut accueilli en héros.       encore moins transcrites pour les parties
Pour le sixième et dernier concert de la sai-       d’orchestre. D’ailleurs, la plupart des pages
son, aussi dirigé par Pelletier, la demande fut     jouées durant les deux premières saisons
telle qu’on dut trouver une salle plus grande.      étaient des arrangements de pièces pour
C’est donc au Cinéma Loew’s que le concert          piano. Pour remédier à la situation, Jean
eut lieu. Parce que le théâtre était situé dans     Lallemand créa en 1936 une compétition
l’ouest — le secteur anglophone de la ville,        annuelle portant son nom : un prix de 500 $
l’administration de l’orchestre dut justifier son   était décerné à la meilleure œuvre orchestrale
choix et insister sur le fait que c’était une       soumise, laquelle était interprétée par
mesure tout à fait particulière et que la déci-     l’orchestre la saison suivante. La compétition
sion avait été prise par pure nécessité :           souleva beaucoup d’intérêt. Près de vingt
                                                    compositions furent soumises chacune des
   Tout d’abord, l’on me permettra bien d’as-
                                                    trois années de l’existence du Prix Lallemand.
   surer le public montréalais du regret que
   j’éprouve de n’avoir pu trouver dans l’est       Cependant, malgré son succès, le concours
   de Montréal un théâtre qui voulût bien,          prit fin en 1939, ainsi que la politique de la
   même contre rémunération, mettre sa              Société d’inclure une pièce canadienne dans
   salle, à cette occasion, à la disposition de     chaque programme, principalement en raison
   la société. […] Il nous fallut donc jeter les    des coûts rattachés à l’organisation du con-
   yeux ailleurs, et c’est au Loew’s que finale-    cours et à la transcription des œuvres.
   ment nous avons réussi à trouver l’hospi-
   talité que nous cherchions. Ce n’est pas la        Malgré ces déceptions, les premières
   désertion de l’est, je veux bien qu’on le        saisons de la Société sont accueillies avec en-
   sache (David, 1935, p. 16).                      thousiasme de la part des musiciens, bien sûr,
                                                    mais aussi de l’organisation et encore plus du
Wilfrid Pelletier,                                  public. Il faut dire que l’approche nationaliste
directeur artistique                                contribuait grandement à cet état de fait, à une
                                                    époque où les francophones cherchaient de
   Après tout ce succès, l’organisation pouvait     plus en plus à s’affirmer et à être reconnus
se permettre de regarder l’avenir avec con-         comme société à part entière. Il est important
fiance. La nomination de Wilfrid Pelletier au       de noter ici qu’à cette période, l’économie de
poste de directeur artistique de la Société n’a     Montréal était encore dominée par des intérêts
fait qu’amplifier l’enthousiasme du public.         canadiens anglais et, comme le mentionne
Sous sa tutelle, le dynamisme de l’orchestre ne     Paul-André Linteau dans son ouvrage Histoire
cessa de croître. En effet, en plus des huit        de Montréal depuis la Confédération, la dis-

GGuylaine
  UYLAINE FFlamand
           LAMAND                                                                                      27   149
crimination envers les Canadiens français se              Wilfrid Pelletier nous a montré jusqu’à
                                    retrouvait sous différentes formes :                      quel point un programme symphonique
                                                                                              peut sortir des sentiers battus. On peut se
                                       La presse anglophone proteste énergique-               demander, en effet, s’il y a eu aucun autre
                                       ment lorsqu’un francophone est nommé à                 programme aussi intéressant depuis le
                                       la présidence de la Commission du port,                retour de la musique symphonique dans la
                                       poste dont les Canadiens anglais estiment              ville (Archer, 1936, p. 18)5.
                                       qu’il revient à l’un des leurs. Des journaux
                                       francophones dénoncent, sans beaucoup                 Léo-Pol Morin abonde dans le même sens :
                                       de succès, l’absence systématique des
                                                                                              Et moi, je dis merci, merci à M. Pelletier
                                       francophones aux postes de commandes
                                                                                              d’aller chercher les belles œuvres là où il
                                       dans plusieurs domaines. Dans les grandes
                                                                                              s’en trouve, dut-il pour cela faire le voyage
                                       entreprises, les emplois de gérants, de
                                                                                              de Bolchévie. Car je sais bien qu’en route
                                       vendeurs, de commis ou de contremaîtres
                                                                                              il y a aussi d’autres pays où la musique
                                       vont beaucoup plus systématiquement aux
                                                                                              continue à produire de belles fleurs
                                       Canadiens anglais et aux immigrants bri-
                                                                                              (Morin, 1937, p. 10).
                                       tanniques, tandis que les Canadiens
                                       français doivent trop souvent se contenter            Et Thomas Archer le notait encore une fois
                                       des emplois d’ouvriers.                            l’année suivante :
                                       (Linteau, 1992, p. 320)
                                                                                              La variété et l’esprit d’initiative sont les
                                       Pour revenir à l’enthousiasme manifesté                principales qualités qui caractérisent le
                                    pour les concerts de la Société, il ne faudrait           choix musical présenté cette saison par la
                                    pas sous-estimer non plus l’importance de l’at-           Société des Concerts symphoniques de
                                    trait de la nouveauté, de la découverte. Pour             Montréal. […] Aucun compositeur en par-
                                    une grande partie des spectateurs, ces con-               ticulier n’a été privilégié et le choix, en
                                    certs constituaient leur premier contact avec la          général, était exceptionnellement cos-
                                    musique symphonique. Léo-Pol Morin l’illus-               mopolite. […] Des partitions modernes de
                                    tre d’ailleurs très bien :                                Ravel, Respighi, Roger-Ducasse, Sibelius,
                                                                                              Prokofiev et Chostakovitch démontrent
                                       Ces deux organismes [MO et CSM] ont                    une politique de programmation pour
                                       entrepris de donner le goût de la musique              laquelle on ne peut avoir que des éloges
                                       symphonique à un public qui n’avait                    (Archer, 1937, p. 10)6.
                                       jusqu’ici que faiblement manifesté sa pas-
                                                                                             Finalement, la nomination de Pierre Béique
                                       sion pour ce genre de plaisir, parce que, à
                                       la vérité, il ne savait pas ce que c’était. Or,    comme directeur général de la Société en
                                       on constate que le goût de la musique              1939 donna à l’organisation le coup de pouce
                                       symphonique se développe rapidement                nécessaire pour passer à un autre niveau de
                                       depuis qu’on prend soin d’offrir au public         reconnaissance. Fervent amateur de musique,
                                       les nourritures qui lui avaient jusqu’ici          Béique croyait au potentiel de l’orchestre et
                                       manqué. Tant il est vrai que… l’appétit            de ses partisans. C’était un visionnaire qui
5 « Wilfrid Pelletier showed           vient en mangeant (Morin, 1936, p. 6).             cherchait à faire converger à Montréal les plus
  just how far a program of            La légèreté des programmes de la première          grands artistes de l’heure. Avec l’appui de
  orchestral music can be                                                                 l’imprésario new-yorkais Siegfried Hearst et
  taken away from the beat-
                                    saison incita les mélomanes à continuer de
                                    suivre l’orchestre ; leur enthousiasme grandis-       celui d’Arthur Judson, directeur général de
  en track. It is doubtful, in
  fact, if one so interesting       sant proportionnellement à leurs connais-             Columbia Artists et administrateur de
  has been heard here since         sances. Wilfrid Pelletier a su développer l’in-       l’Orchestre Philharmonique de New York et
  the restoration of sympho-        térêt d’un public toujours plus nombreux avec         de l’Orchestre de Philadelphie, Béique put
  ny in the city. »                                                                       offrir au public montréalais des solistes tels
                                    une programmation intéressante et variée,
6 « Variety and enterprise
                                    allant de Bach à Stravinsky en passant par            que Arthur Rubinstein, Egon Petri et Nathan
  were the principal features                                                             Milstein, et des chefs comme Désiré Defauw
  in the choice of music            Albéniz, Turina, Chostakovitch, Scriabine et
                                    Chabrier. Le choix musical de Pelletier était         et Bruno Walter dans les premières années de
  played this season by the
  Société des Concerts sym-         d’ailleurs très apprécié des deux commu-              sa nomination. La participation de ces artistes
  phoniques de Montréal. […]        nautés tant pour sa valeur musicale que pour          augmenta considérablement la réputation et la
  No stress was put upon any        sa nouveauté. Thomas Archer, critique musical         popularité de l’orchestre. Et ce travail continua
  one composer and the                                                                    pendant les quelque trente années où Béique
  choice in general was             à The Gazette, écrivait ceci à propos du pro-
                                    gramme du deuxième concert de la troisième            fut en poste.
  unusually cosmopolitan.
  […] Modern scores by              saison, comprenant le Concerto pour piano de            Sur le plan administratif, Béique travailla
  Ravel, Respighi, Roger-           Rimsky-Korsakov, la suite Escales de Jacques          fort pour rapprocher les deux communautés.
  Ducasse, Sibelius, Prokofieff     Ibert, « La Moldau » de Smetana, la Symphonie
  and Shostakovitch were                                                                  En 1941, il invita M. et Mme Graham
  examples of a policy of pro-      en sol mineur de Mozart et l’ouverture Leonore        Drinkwater, deux des membres les plus actifs
  gram-making for which             no 3 de Beethoven :                                   du comité du Montréal Orchestra, à joindre le
  there can be nothing but                                                                conseil des Concerts symphoniques. À ce
  the highest praise. »

    150                    28     Le Montreal Orchestra
                                      LE MONTREAL       et la création
                                                  ORCHESTRA             de la Société
                                                               ET LA CRÉATION         des Concerts
                                                                              DE LA SOCIÉTÉ         symphoniques
                                                                                            DES CONCERTS           de DE
                                                                                                         SYMPHONIQUES Montréal (1930
                                                                                                                         MONTRÉAL     - 1941)
                                                                                                                                  (1930-1941)
moment, le climat était plutôt morose dans les         Juste un mot d’avertissement. Il y a
rangs du Montreal Orchestra, en partie à cause         quelques années, les francophones de la           7 « I think, certainly in
des problèmes de santé de Clarke et du                 ville — après que j’eus donné plus de cent          this town, a Brahms
manque d’intérêt de ses membres qui                    concerts — ont recruté mes hommes et les            Festival would be the
préféraient se consacrer à l’effort de guerre.         ont appelés Les Concerts symphoniques.              easiest to “put over”. »
Les Drinkwater acceptèrent l’invitation avec           Judson les soutient maintenant dans son             Lettre de Clarke à
                                                       propre intérêt… dois-je en dire davantage ?         Eugene Goosens, 7 juin
empressement, ce qui permit à Béique de                                                                    1941, Fonds Douglas
                                                       Je vous mentionne cela parce que cette
revendiquer le mérite d’avoir réussi à créer un        organisation va sûrement entendre parler            Clarke, Université
orchestre représentatif des deux commu-                de nos projets et fera des pieds et des             McGill.
nautés culturelles de la ville. Il semble pour-        mains pour se l’approprier. Votre réponse         8 « But this wretched
tant que Clarke tentait, de son côté, de faire         est simple. Le Montreal Orchestra est               Concerts symphoniques
de même. Malgré sa santé défaillante et la             l’orchestre ANGLAIS de Montréal. C’est              is playing a Festival in
                                                       l’aspect anglo-américain qui vous intéresse         May already — so a
Deuxième Guerre mondiale en cours,
                                                                                                           May Festival seems out
quelques lettres trouvées dans les archives de         dans ce cas-ci, et à ce moment-ci. Encore           of the question. » Ibid.
Clarke à l’Université McGill révèlent qu’il avait      une fois, le Montreal Orchestra est l’« aîné »
                                                                                                         9 « In fact, I would like
plusieurs projets pour la saison 1941 - 1942.          de cinq ans des deux orchestres de
                                                                                                           you to conduct the first
Dans une lettre datée du 5 juin 1941, on               Montréal, avec plus de 160 concerts à son           concert of the season. I
                                                       actif10.                                            want the Montréal
apprend que Clarke tentait d’organiser, avec
un certain M. Drake de New York, une visite           Deux jours plus tard, il écrit encore dans           orchestra to be, in every
                                                                                                           way, a joint French-
du Montreal Orchestra à New York. Quelques          une lettre à Goosens :                                 Canadian and English-
jours plus tard, soit le 7 juin, une lettre à                                                              Canadian orchestra —
                                                       Naturellement, Judson ne fera rien pour
Eugene Goosens, alors chef de l’Orchestre              m’aider, étant donné qu’il soutient les             and you must conduct
symphonique de Cincinnati, mentionne un                                                                    it by hook or by crook. »
                                                       Concerts symphoniques exclusivement. À
projet qui serait compromis par Arthur Judson                                                              Lettre de Clarke à
                                                       ce point, il semble que nous nous heur-             Pelletier, 19 novembre
étant donné que celui-ci ne veut appuyer que           tions contre un mur et, pour ma part, je ne         1941, Fonds Douglas
les Concerts symphoniques. Dans la même                vois pas comment en sortir. […] Il ne s’a-          Clarke, Université
lettre, Clarke demande conseil à Goosens à             git pas ici d’une compétition loyale ; c’est        McGill.
propos d’un festival en début de saison. Il            contre le diable lui-même que je me               10 « Just a word of warn-
mentionne son intention d’organiser un festi-          bats…11                                                ing. The French in
val Brahms, qui serait certainement le « plus                                                                 this city some years
                                                      Le ton acerbe du mois de juin fait place, en            ago — after I had
facile à faire accepter dans cette ville »7 . Il    novembre, à une nouvelle attitude de la part              given over a hundred
explique aussi qu’il est complètement impos-        de Clarke. Dans la lettre à Wilfrid Pelletier             concerts — took my
sible de le faire à la fin de la saison parce que   déjà citée, Clarke affirme son désir de colla-            men, and called them
« ces foutus Concerts symphoniques orga-            boration et proteste de ses bonnes intentions :           Les Concerts Sympho-
nisent déjà un festival en mai » 8. Dans un télé-                                                             niques. Judson is now
gramme à Wilfrid Pelletier daté du 7 novem-            J’espère sincèrement ne plus entendre ces              backing them for his
                                                       racontars quant à mon indisposition à col-             own ends — need I
bre 1941, Clarke invite ce dernier à se joindre                                                               say more? I mention
à lui pour diriger le Montreal Orchestra avec          laborer avec les Canadiens français —
                                                                                                              this because this
                                                       largement entretenus, j’en ai peur, par
un statut égalitaire. Deux semaines plus tard,                                                                organization will
                                                       quelques personnes pour des raisons per-               undoubtedly get to
Clarke propose dans une lettre à Pelletier de          sonnelles. J’espère que nous pouvons
changer l’horaire des concerts du Montreal                                                                    hear of our plans,
                                                       maintenant aller de l’avant ensemble et                and will move heaven
Orchestra (le transportant du dimanche à un            inspirer une influence forte et unificatrice           and earth to push the
soir de semaine) afin de lui rendre service.           pour le bien de la musique12.                          Montréal Orchestra
Puis il ajoute :                                                                                              out and get them-
                                                       La première chose qui vient à l’esprit en              selves in. Your answer
   En fait, j’aimerais que vous dirigiez le pre-    lisant ces lettres, est que l’initiative de Clarke        is easy. The Montréal
   mier concert de la saison. Je veux que le        arrive trop tard et semble suscitée par l’éner-           Orchestra is the ENG-
   Montréal Orchestra soit, à tous les égards,      gie du désespoir. En 1941, les Concerts sym-              LISH orchestra in
   un orchestre unissant autant les Canadiens                                                                 Montréal. It is the
                                                    phoniques atteignaient de nouveaux sommets                English-American
   français que les Canadiens anglais — et          et étaient suivis par une foule plus qu’enthou-
   vous devez le diriger coûte que coûte 9.                                                                   aspect that you wish
                                                    siaste. Même si les concerts avaient lieu dans            to stress in this partic-
  Toutes ces lettres montrent bien la volonté       l’est de la ville, de plus en plus d’anglophones          ular case — and at
de Clarke de poursuivre les activités du            venaient de l’ouest pour y assister. La baisse            this particular time.
                                                                                                              Again, the Montréal
Montreal Orchestra. Pas une seule allusion          d’intérêt marquée pour le Montreal Orchestra              orchestra is the senior
n’est faite à la perspective de son démantèle-      qui était imputée par les médias à l’effort de            orchestra in Montréal
ment. Au contraire, ces lettres sont pleines        guerre a très bien pu être due à un simple                by five years, with
d’espoir et de vie. Cependant, une certaine         transfert d’intérêt vers les Concerts sym-                over 160 concerts to
amertume envers les Concerts symphoniques           phoniques qui offraient des concerts d’une                its credit. » Lettre de
                                                                                                              Clarke à Drake, 5 juin
est tangible dans plusieurs d’entre elles. Dans     plus grande qualité. Il n’y a rien dans les               1941, Fonds Douglas
une lettre à Drake du 5 juin 1941, Clarke écrit :   archives pour prouver cette hypothèse, mais               Clarke, Université
                                                    elle n’en demeure pas moins plausible.                    McGill.

GGuylaine
  UYLAINE FFlamand
           LAMAND                                                                                            29                    151
Il faut quand même reconnaître l’immense            CLARKE, Douglas et Graham DRINKWATER
                                   travail de pionnier qu’ont accompli Clarke et          (1935). Lettre ouverte, Montréal Daily Star,
                                   son orchestre au cours de ces quelques onze            15 avril, p. 8.
                                   années. Selon les témoignages de l’époque, le
                                                                                          DAVID, Athanase (1934). « Création d’un
                                   niveau d’exécution des instrumentistes était
                                                                                          nouvel orchestre symphonique à Montréal »,
                                   faible et leur expérience du répertoire sym-
                                                                                          Le Canada, 17 déc., p. 6.
                                   phonique minime. C’est dire à quelle tâche
                                   Clarke dut s’attaquer avec l’orchestre afin d’ar-      _______ (1935). Extrait du texte d’une allocu-
                                   river à des résultats convenables. Puisque les         tion radiophonique, Le Devoir, 27 avril, p. 16.
                                   effectifs des deux orchestres étaient sensible-
                                                                                          LAMONTAGNE, Charles-Onésime (1930).
                                   ment les mêmes, les chefs qui venaient diriger
                                                                                          « Montreal Concert Symphony Orchestra »,
                                   l’orchestre des Concerts symphoniques béné-
                                                                                          Le Canada, 15 nov., p. 10.
                                   ficiaient de l’expérience acquise par les musi-
                                   ciens avec le Montreal Orchestra. Pendant les          LANGLOIS, Georges (1933). « L’Orchestre de
                                   sept saisons où ils ont coexisté, les deux             Montréal », Le Canada, 27 nov., p. 8.
                                   orchestres se complétèrent l’un et l’autre à
                                   plusieurs égards. La vraie différence se situait       LETONDAL, Henri (1930). « L’Orchestre de
                                   sur le plan administratif. Dire que le Montreal        Montréal », Le Petit Journal, 26 janv., p. 25.
                                   Orchestra revêt autant d’importance que les            _______ (1931a). « L’Orchestre de Montréal à
                                   Concerts symphoniques dans l’histoire de               l’Orpheum », Le Petit Journal, 11 janv., p. 26.
                                   l’Orchestre symphonique de Montréal permet
                                   de rendre justice au travail extraordinaire de         _______ (1931b). « L’Orchestre de Montréal
                                   cette organisation. Toutes les revendications          au His Majesty’s », Le Petit Journal, 1er fév.,
                                   qui ont amené ce dédoublement des forces               p. 27.
                                   n’étaient en réalité que la manifestation d’une        _______ (1931c). « L’Orchestre de Montréal »,
                                   communauté culturelle désireuse de faire ses           Le Petit Journal, 8 fév., p. 27.
                                   preuves et de s’affirmer. Il s’agit ici d’un scé-
                                   nario typique, propre à la population mon-             _______ (1932). « L’Orchestre de Montréal »,
                                   tréalaise. En ce début de XXIe siècle, malgré de       Le Canada, 5 déc., p. 7.
                                   grands efforts d’intégration, les deux commu-          _______ (1934a). « L’Orchestre de Montréal »,
                                   nautés demeurent encore aujourd’hui « deux             Le Canada, 19 nov., p. 6.
                                   solitudes » qui ont du mal à se comprendre. q
                                                                                          _______ (1934b). « L’Orchestre de Montréal »,
                                                                                          Le Canada, 17 déc., p. 6.
                                   RÉFÉRENCES
                                                                                          LUX (1931). « L’Orchestre de Montréal »,
                                   Fonds d’archives                                       La Patrie, 5 janv., p. 5.
11 « Naturally, Judson will do
   nothing to help me, seeing      Fonds Douglas Clarke, Archives de                      MORIN, Léo-Pol (1936). « Les Concerts sym-
   that he is backing exclu-       l’Université McGill, Montréal. Originaux,              phoniques », Le Canada, 13 juin, p. 6.
   sively Les Concerts sym-        copies, matériel imprimé, photographies, ca
   phoniques. Here we seem         1923-1954, 42 cm, MG 3016.                             _______ (1937). « Inauguration de la qua-
   to be up against a brick                                                               trième saison de la Société des Concerts sym-
   wall — and I for one can’t      Archives de l’Orchestre symphonique de                 phoniques », Le Canada, 16 oct., p. 10.
   see through it. […] I am up     Montréal, Bureau de l’Orchestre sym-
   against, not normal com-        phonique de Montréal, Montréal. Coupures               PELLETIER, Frédéric (1930). « Concerts
   petition, but the Devil him-                                                           d’Orchestre », Le Devoir, 11 nov. p. 1.
   self… » Lettre de Clarke à      de journaux, photographies, non-classé.
   Goosens, 7 juin 1941,
   Fonds Douglas Clarke,           Articles de journaux                                   Monographies et articles
   Université McGill.
12 « I do sincerely hope that      ARCHER, Thomas (1932). « The Orchestra’s               BELL, H. P. (1932). « Review of 1931 »,
   we have seen the end of         Season of 1931-32 », The Gazette, 26 mars,             Montreal Music Year Book 1932, p. 3.
   the silly talk of my unwill-    p. 10.
   ingness to collaborate with                                                            BISHOP, Albert E. (1974). The Montreal
   French-Canadians —              _______ (1936). « Pelletier Directs Unusual            Orchestra : Retrospect, 1930 to 1941,
   largely kept alive, I fear,     Programme », The Gazette, 28 nov., p. 18.              Montréal, A. E Bishop.
   from other people’s person-
   al motives. I hope we can       _______ (1937). « Les Concerts Symphoni-               FLAMAND, Guylaine (1999). « The Montreal
   now go forward together         ques End Varied Season », The Gazette,                 Orchestra and les Concerts symphoniques de
   and build a strong and                                                                 Montréal (1930 - 1941) », thèse de doctorat,
                                   2 avril, p. 10.
   unifying influence for the
                                                                                          New York, City University of New York, 146 p.
   good of music. » Lettre à       BOYER, Ubald (1935). Texte d’une annonce
   Pelletier, 19 novembre                                                                 GAREAU, Philip (2001). « Le Montreal
                                   radiophonique, Le Canada, 5 janv., p. 6.
   1941, Fonds Douglas
                                                                                          Orchestra : Une réhabilitation de son rôle
   Clarke, Université McGill.

     152                   30     Le Montreal Orchestra
                                      LE MONTREAL       et la création
                                                  ORCHESTRA            de la DE
                                                              ET LA CRÉATION Société des Concerts
                                                                                LA SOCIÉTÉ         symphoniques
                                                                                           DES CONCERTS           deDEMontréal
                                                                                                        SYMPHONIQUES   MONTRÉAL(1930 - 1941)
                                                                                                                                 (1930-1941)
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