Le Montreal Orchestra et la création de la Société des Concerts symphoniques de Montréal (1930 - 1941) The Montreal Orchestra and the Foundation ...
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Document generated on 02/06/2022 12:37 p.m. Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique Le Montreal Orchestra et la création de la Société des Concerts symphoniques de Montréal (1930 - 1941) The Montreal Orchestra and the Foundation of the Société des Concerts symphoniques de Montréal (1930-1941) Guylaine Flamand Florilège de la recherche sur la musique du Québec (1997-2006). Article abstract Numéro spécial pour le 40e anniversaire de l’ARMuQ/SQRM During the 1930s, what is now known as the Montreal Symphony Orchestra Volume 19, Number 1-2, Spring–Fall 2018 began its life as the Société des Concerts symphoniques de Montréal. The various aspects of the history of its founding make for a fascinating study in URI: https://id.erudit.org/iderudit/1069883ar Montreal concert life. The society’s relationship with the contemporaneous DOI: https://doi.org/10.7202/1069883ar Montreal Orchestra and its conductor Douglas Clarke provides a snapshot from a musical and sociological point of view of the tensions and lack of communication between the two co-existing communities. This article is a brief See table of contents summary of the author’s doctoral dissertation on the circumstances surrounding the creation of the two ensembles, as well as the conflict that motivated one group of individuals to found Les Concerts symphoniques. The Publisher(s) linguistic duality of Montreal comes once again to the fore. Société québécoise de recherche en musique ISSN 1480-1132 (print) 1929-7394 (digital) Explore this journal Cite this article Flamand, G. (2018). Le Montreal Orchestra et la création de la Société des Concerts symphoniques de Montréal (1930 - 1941). Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, 19(1-2), 145–154. https://doi.org/10.7202/1069883ar Tous droits réservés © Société québécoise de recherche en musique, 2020 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
«N ous irons vers l’Est et donnerons à la population canadienne française les Le Montreal Orchestra concerts symphoniques auxquels elle a droit. » Voilà le slogan qui annonçait la naissance d’un nouvel orchestre, la Société des Concerts sym- et la création de la phoniques de Montréal, au milieu des années 1930. Cette approche nationaliste a su rallier Société des Concerts les forces nécessaires à la formation d’un ensemble symphonique qui se classe main- symphoniques de tenant parmi les meilleurs au monde et que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Montréal (1930 - 1941) l’Orchestre symphonique de Montréal. Mais quels sont les événements qui ont motivé une Guylaine Flamand telle démarche ? Encore et toujours cette dua- lité culturelle propre à Montréal. Retournons un peu en arrière pour mieux comprendre. mi-saison, soit en février 1931, l’orchestre Le Montreal Orchestra déménagea au théâtre His Majesty’s pour une L’avènement du cinéma parlant en 1927 et meilleure acoustique et un plus grand nombre la crise de 1929 ont, en quelque sorte, favorisé de sièges. Avec un total de cent soixante-six l’implantation d’un orchestre symphonique concerts en onze saisons, le Montreal dans la métropole. Les musiciens, qui pour la Orchestra devenait, en 1941, l’orchestre sym- plupart travaillaient dans les théâtres, ont phonique le plus performant et assidu dans décidé de répondre à l’initiative du clarinet- l’histoire de la musique symphonique à tiste Giulio Romano et de créer leur propre Montréal. Ce succès est redevable en grande emploi en jouant la musique pour laquelle ils partie à l’énergie et au remarquable dévoue- avaient été formés. C’est ainsi qu’est né en ment des musiciens. En effet, lorsqu’une sai- octobre 1930, sur une base coopérative, le son était menacée pour des raisons financières Montreal Orchestra (MO) constitué de soixan- (ce qui, du reste, arrivait fréquemment), les te-dix musiciens avec, à leur tête, Douglas musiciens n’hésitaient pas à donner de leur Clarke, alors doyen de la Faculté de musique temps, aussi bien pour les répétitions que de l’Université McGill. Quoique l’orchestre fut pour les concerts, jusqu’à ce que des mis sur pied au beau milieu de la crise1, ressources philantropiques soient à nouveau 1 Le premier concert eut plusieurs organismes lui ont généreusement disponibles. Ce qui donnait lieu à une situa- lieu le 12 octobre 1930. prêté main-forte. La Faculté de musique de tion pour le moins anormale, comme le note l’Université McGill fournissait les partitions, le H. P. Bell dans le Montreal Music Year Book 2 « …the orchestra’s con- théâtre Orpheum ouvrait gratuitement ses 1932 : certs afford a strange, portes pour les concerts et, enfin, l’Hôtel perhaps unique, exam- … les concerts de l’orchestre présentent ple of people who were Mont-Royal offrait une de ses salles de bal une situation plutôt étrange, peut-être unemployed bestowing pour les répétitions ainsi que de l’espace pour même unique, où des gens au préalable charity on their fellow les bureaux. Le chef, pour sa part, acceptait le sans-emploi font acte de charité envers citizens rather than poste à la seule condition de ne pas être leurs concitoyens plutôt que l’inverse. receiving from them. rémunéré ; ce qui fut presque le cas aussi des Serait-ce la honte reliée à la reconnais- Perhaps it is the con- sance de cet état de fait qui empêche sciousness of this that musiciens puisque, après cinq répétitions de has made some people trois heures chacune en plus du concert, quelques personnes d’aller aux concerts ? Il ne serait pas exagéré d’affirmer que ashamed to go to the chaque musicien reçut la magnifique somme concerts? It is fairly safe pour le peu d’argent qu’il reçoit, le de quatre dollars ! Un comité fut mis en place to say that for the very Montreal Orchestra offre à son public un little money that it gets, pour s’occuper des questions administratives meilleur rapport qualité-prix que n’im- the Montréal Orchestra et tenter de trouver les ressources financières porte quel autre orchestre au monde is probably giving its nécessaires au fonctionnement de l’orchestre. (Bell, 1932, p. 3)2. public better value than Après un appel de dons et une campagne de any other orchestra in souscription, l’ensemble est parvenu à donner the world. » Cette tra- Répertoire duction française et vingt-cinq concerts la première saison et le Un autre aspect important du succès de la toutes les suivantes sont salaire des musiciens est passé à treize dollars de l’auteure du présent par semaine en moyenne. Il faut noter qu’à la nouvelle organisation réside dans le choix du article. Parution L originale ES CAHIERS OCIÉTÉLes DE LA Sdans Cahiers QUÉBÉCOISE de la Société EN DE RECHERCHE québécoise de .recherche MUSIQUE, VOL 7, NOS 1-2en musique, vol. 7, nos 1-2, 23 « Un œil vers le passé, une oreille sur le présent », décembre 2003, p. 23-31 Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, vol. 19, nos 1 et 2 145
répertoire. En devenant chef permanent, de Montréal de cette époque était très Clarke devenait aussi responsable de la plani- attachée et s’identifiait fortement à fication des programmes. Tout en étant l’Angleterre, sa mère-patrie. En présentant de conscient du goût du public, il ne voulait pas la musique anglaise contemporaine, Clarke sacrifier la qualité du matériel proposé dans le s’assurait un certain public, curieux et enthou- seul but d’attirer les foules. Sa ligne conduc- siaste pour tout ce qui venait d’Angleterre. trice était d’inclure au moins une œuvre sym- Les compositeurs français et russes viennent phonique majeure dans chaque programme. loin derrière dans le palmarès de l’orchestre. Une étude des programmes des onze saisons Même compilés ensemble, le nombre de leurs de l’orchestre le démontre clairement. Clarke prestations est nettement inférieur à celui des puisait abondamment dans le répertoire ger- compositeurs anglais. Mais encore une fois, manique (Brahms, Beethoven, Wagner, J.-S. on ne peut dire si une telle décision était prise Bach, Mozart) et anglais (Purcell, Byrd, Holst, sur des bases de préférences personnelles ou Grainger, Delius, Elgar, Bax). On ne se gênait par simple nécessité. Le coût des partitions d’ailleurs pas pour le lui reprocher. Son admi- françaises a toujours été très élevé, c’est bien ration pour Brahms lui valut aussi quelques connu. L’orchestre devait compter sur la remarques plutôt désobligeantes de la part de générosité de ses amis les mieux nantis ou de certains critiques francophones : différentes associations qui lui prêtaient les Brahms est l’auteur favori des anglo- partitions. En 1933, par exemple, l’Association saxons et c’est assurément à cette faveur française d’expansion et d’échanges artis- que nous devons d’être saturé de Brahms tiques a fourni neuf partitions à l’orchestre : Le par l’Orchestre de Montréal. Entendre Chasseur maudit de Franck, la Suite algé- Brahms et mourir !… (Letondal, 1932, p. 7) rienne de Saint-Saëns, Le Festin de l’araignée … cela n’était pas pour déplaire à un audi- de Roussel, Ma Mère l’Oye, Le Tombeau de toire sursaturé des lourdes symphonies de Couperin, les Valses nobles et sentimentales et Brahms. L’inévitable Brahms, compositeur la Rhapsodie espagnole de Ravel, Children’s remarquable, c’est entendu, mais qu’on est Corner de Debussy et la Symphonie fantas- à la veille de nous faire détester à force de tique de Berlioz. Cette dernière, en fait, a per- le rejouer… (Langlois, 1933, p. 8) mis à l’orchestre de démontrer une certaine Nous l’avons eue la deuxième symphonie audace : le 18 février 1934, la symphonie était de Brahms. C’était écrit ! Moctoub ! Les programmée en version intégrale. C’était la quatre symphonies de Brahms figureront première fois qu’elle était interprétée dans son encore, cette année, au programme de ensemble par un orchestre canadien. Ce fut l’Orchestre de Montréal. Pour les auditeurs un événement. anglo-saxons, Brahms est le Bon Dieu de la musique : lorsqu’ils ont dit « Brààhms », Cette lacune dans la représentation de la ils ont tout dit. Le public latin ne partage musique française a bien entendu été relevée pas cette dévotion un peu trop exclusive par les critiques : (Letondal, 1934a, p. 6). Pourquoi M. Clarke ne nous joue-t-il pas Pour ce qui est du répertoire anglais, il est plus souvent de la musique française ? vrai qu’il occupait une place importante dans Nous le savons assez peu francophile, il la programmation de Clarke. Environ un pro- est vrai, et sa Pavane pour une infante gramme sur trois présentait de la musique défunte boitait passablement. On a tout de anglaise. Le fort sentiment d’appartenance même pas le droit d’ignorer l’existence de envers sa mère-patrie influença sûrement Debussy ! (Lux, 1931, p. 5) Clarke dans ses décisions. Utilisait-il Est-ce un parti pris d’ostraciser les auteurs l’orchestre pour promouvoir la musique français ? On le croirait car, enfin, jusqu’à anglaise contemporaine de ce côté de l’océan présent, on les a éliminés bien cavalière- et attirer ainsi les amateurs anglophones, ou ment. Souhaitons qu’il y ait compensation bien était-ce dû à la situation financière pré- par la suite (Lamontagne, 1930, p. 10). caire de l’orchestre ? La réponse à cette ques- Bien sûr, le critique musical du Petit tion tient sans doute des deux propositions. Journal et animateur radio, Henri Letondal Le fait qu’il connaissait personnellement la n’était pas en reste avec son ton péremptoire : plupart des compositeurs (Bax, Delius, Elgar, Grainger, Holst, Vaughan Williams et Warlock) Il y a donc chez M. Clarke, un parti pris évi- lui permettait probablement d’obtenir les par- dent de nous imposer « ses » auteurs. Cela titions à moindre coût. C’était une façon pour est insupportable. […] Nous persistons à demander des programmes mieux faits et lui de diversifier son répertoire sans trop taxer qui accordent une place de choix aux le budget déjà extrêmement serré de auteurs français (Letondal, 1931a, p. 26). l’orchestre. Aussi, la population anglophone 146 24 Le Montreal Orchestra LE MONTREAL et la création ORCHESTRA de la DE ET LA CRÉATION Société des Concerts LA SOCIÉTÉ symphoniques DES CONCERTS deDEMontréal SYMPHONIQUES MONTRÉAL(1930 - 1941) (1930-1941)
On peut même lire les remarques du cri- vite que c’était nécessaire pour attirer le pu- tique anglophone Thomas Archer sur la situa- blic. C’est ainsi qu’à chaque saison, entre sept tion dans son sommaire de la deuxième sai- et onze solistes étaient invités à se produire son de l’orchestre : avec l’orchestre. Parmi eux, quelques grands noms comme Georges Enesco, Nathan La seule question à débattre demeure celle Milstein, Beveridge Webster, Emanuel de la musique française. […] Outre L’Apprenti Sorcier de Dukas, il n’y a eu Feuermann, Shura Cherkassky, Eugene List et aucune autre addition au répertoire de William Primrose assuraient une vente de bil- musique française contemporaine, qui se lets accrue. Sur les soixante-seize solistes compose principalement d’une suite, d’un invités au fil des ans, seulement une vingtaine prélude très connu de Debussy et d’une étaient canadiens : onze anglophones et neuf très petite œuvre de Ravel. Ce qui ne fait francophones. Une faible proportion au dire pas très bonne figure face aux quelques 15 de certains — Letondal, M. Athanase David, nouvelles partitions anglaises, dont député libéral et Secrétaire de la province et quelques-unes peuvent être qualifiées de sa femme, qui était largement impliquée dans majeures. Il y a probablement de bonnes le concours du Prix d’Europe — qui auraient raisons derrière cette politique. Cepen- 3 « The only question trouvé préférable d’encourager les artistes remaining for discus- dant, il n’en demeure pas moins que sion is that of French d’ici. Ce à quoi Clarke répond dans une lettre Montréal est une ville autant française music. […] Outside of qu’anglaise (Archer, 1932, p. 10)3. ouverte cosignée par le président du comité Dukas’s L’Apprenti exécutif de l’orchestre Graham Drinkwater : Sorcier there were no Non seulement l’insuffisance de musique La politique des dirigeants du Montréal additions to the modern française était-elle critiquée, mais aussi la French repertory, which qualité de son exécution lorsqu’on la jouait. Orchestra est de s’efforcer d’offrir la consists principally of meilleure interprétation de toute bonne Bien entendu, c’est encore une fois Letondal an early suite, a very musique, sans égard à la nationalité. Sans familiar prelude by qui se fait le plus sévère : aucune aide financière de la part du gou- Debussy and a very La Pavane de Ravel fut prise au ralenti. vernement, nous avons « encouragé les ta- small piece by Ravel. Non seulement l’Infante était défunte, mais lents de notre propre province » en em- And these do not make Ravel assistait à l’enterrement. Pour ployant 27 solistes « locaux », dont 11 fran- a very good showing employer l’expression d’un confrère, ce cophones. Sur un total de 68 musiciens, against the 15 or so on retrouve 31 Canadiens français, sans modern English scores, fut un « infanticide » ! (Letondal, 1930, some of which might p. 25) compter les autres personnes originaires fairly be called repre- de Montréal. Pour couronner le tout, ajou- sentative. Possibly there Le concert se terminait par une parodie de tons que deux Montréalais ont dirigé leurs are good reasons for this L’Apprenti Sorcier de Paul Dukas. Nous propres œuvres à l’orchestre, à savoir policy. However, disons bien parodie, car nul autre terme M. Claude Champagne (un des protégés Montréal is after all as ne saurait s’appliquer à l’interprétation de de M. David) et M. Henri Miro (Clarke et much French as it is M. Douglas Clarke. Après une audition de Drinkwater, 1935).4 English. » cette qualité, c’était faire montre de peu de 4 « The policy of those in jugement et surtout de mauvais goût. Il Le ton défensif de cette lettre et l’allusion charge of the Montréal existe d’excellents disques de L’Apprenti aux « protégés » de M. David nous amènent Orchestra is to strive for Sorcier. M. Clarke, qui conduit cette dans le vif du sujet, c’est-à-dire le conflit qui the best interpretation of musique à deux temps (Pom-popom- favorisa la création d’un deuxième orchestre. whatever is good in popom-popom-po-po-po-po-pom) a-t-il music, without refer- écouté ces disques ? Sinon, il n’est pas ence to nationality. excusable, d’avoir défiguré d’une manière La Société des Concerts Without a cent of help aussi flagrante l’œuvre de Dukas. symphoniques de Montréal from the Government, we have “helped talent Il y avait autant de comparaisons entre Comme le mentionne Clarke dans cette let- of our own Province” by l’interprétation de l’Orchestre de Montréal tre, près de la moitié des musiciens de employing as soloist 27 et L’Apprenti Sorcier, que celle existant l’orchestre étaient francophones. La propor- “local artists” — 11 of whom were French- entre Paris et sa copie par les Américains. tion diminue sensiblement au sein de l’admi- speaking. Besides other Un mauvais dessin (ou dessein) tout sim- nistration et des différents comités pour se native-born players in plement ! situer au tiers environ. Ce qui revient à dire the Montréal Orchestra, Pour l’honneur de la musique française, que malgré que l’orchestre ait été associé, out of the total strenght dans l’esprit de plusieurs, à l’élément anglo- of 68 players, there are une audition comme celle d’hier soir 31 French-Canadians. devrait être interdite. On peut se tromper, phone de la ville, les francophones n’étaient For the sake of complete- mais pas à ce point-là !… (Letondal, 1934b, pas en reste et ont participé au succès de l’or- ness we may add that p. 6) ganisation. Le problème cependant se situait two Montrealers have davantage au niveau de l’identification et des conducted the Orchestra intérêts. Le désir de la population franco- in their own works, Solistes namely Mr. Claude phone d’avoir un orchestre se faisait sentir Quoique Clarke n’aimât pas particulière- Champagne (one of depuis quelques années déjà. Lorsque le Mr. David protégés) and ment travailler avec des solistes, il constata Montreal Orchestra fut fondé, quelques-uns Mr. Henri Miro. » GGuylaine UYLAINE FFlamand LAMAND 25 147
des amateurs les plus dynamiques de l’élite traduit : « Poème d’accord » et « Symphony canadienne française s’y sont impliqués, en C minor » par « Symphonie en C espérant voir leur rêve se réaliser enfin. Parmi mineure ». N’y a-t-il vraiment personne à eux, notons Athanase David, sa femme l’Orchestre de Montréal qui puisse traduire Antonia David et Henri Letondal. À plusieurs le texte anglais de façon correcte ? occasions, Monsieur et Madame David ont (Letondal, 1931c, p. 27) demandé à la direction de l’orchestre d’ac- C’est donc à la fin de la saison 1933 - 1934 corder une « place raisonnable aux solistes, que les David et Letondal ont quitté le chefs et compositeurs du Québec, particuliè- Montreal Orchestra avec la ferme intention de rement aux lauréats du Prix d’Europe et autres fonder un orchestre pour encourager les boursiers du gouvernement du Québec » Canadiens français. L’idée a rapidement fait (Potvin, 1993, p. 2540). Cette demande était son chemin grâce à une campagne dans les même associée à une offre de subvention de journaux et à la radio menée par Letondal. 3 000 $ du gouvernement québécois si cer- Jean C. Lallemand, riche industriel et mécène taines conditions étaient remplies. Cependant, de la métropole, s’est associé au projet avec même l’argent n’est pas venu à bout des réti- enthousiasme en offrant son soutien financier cences. Le refus constant de la direction n’a et moral. Le soir du 16 novembre 1934, fait qu’enflammer davantage le désir de ces Athanase David annonçait officiellement à la trois membres francophones d’avoir un radio la création du nouvel orchestre appelé orchestre qui répondrait davantage à leurs La Société des Concerts symphoniques de goûts et leurs attentes. Montréal (SCSM), une dénomination typique aux orchestres français. Dans une allocution Bien entendu, la problématique des solistes publiée l’année suivante, David expose claire- invités n’était pas le seul objet de récrimination ment les trois principaux objectifs de la nou- de la part des francophones. Comme nous velle organisation : l’avons vu précédemment, l’élaboration des programmes – omniprésence de la musique L’association veut fournir aux musiciens anglaise contemporaine, la faible représenta- fort nombreux dans la métropole, qui tion de la musique française et son interpréta- n’ont pas suffisamment d’engagements, tion discutable, et l’engouement jugé exagéré l’occasion de gagner un peu d’argent qui pour Brahms de la part du chef, étaient aussi leur permettra de vivre les années dures sources de frustration. Il faut également men- que nous traversons. tionner que la part du français dans les affaires Deuxièmement – Prouver à ceux qui nous de l’orchestre était très minime, sinon totale- entourent, que nous avons parmi nous ou ment absente. Ce que les journalistes ont relevé à l’étranger, de nos compatriotes parfaite- assez rapidement. Frédéric Pelletier, critique ment capables de conduire un orchestre musical au Devoir, le nota dès le cinquième symphonique. concert de l’orchestre en novembre 1930 : Troisièmement – Encourager ceux-là qui Quant à l’unilinguisme de tous ces pro- par des études spéciales ici, et à l’étranger, grammes, je dirai tout haut ce que bon ont acquis une réputation de virtuose, de nombre de personnes m’ont dit tout bas : manifester leur talent et de le faire mieux c’est à la fois un manque de diplomatie et connaître et mieux comprendre (David, un manque de courtoisie qui n’em- 1935, p. 16). pêcheront pas les amateurs d’orchestre David a tenu à préciser que le nouveau d’aller le plus qu’ils pourront à ces con- groupe ne serait pas en compétition avec certs, mais qui ne les prédisposeront pas à aucun autre, étant donné que son mandat cette indulgence dont l’organisation a était de donner aux Canadiens français la besoin (Pelletier, 1930, p. 1). chance d’entendre de l’excellente musique et Bien sûr, Letondal avait aussi son mot à dire d’applaudir leurs compatriotes qui n’avaient sur le sujet : que peu d’occasions de se produire chez eux. L’appel au public fut fait d’une manière ultra Puisque nous sommes au His Majesty’s nationaliste. En plus du fameux slogan cité au que l’on respecte Sa Majesté la langue française dans la rédaction du pro- début de cet article, la fierté des Canadiens gramme ! De grâce !… (Letondal, 1931b, français était mise au défi par le trésorier de la p. 27) nouvelle association, Ubald Boyer : Une semaine plus tard, Letondal revenait C’est une œuvre nationale et il faut que sur le problème : l’on dise, à la fin des six concerts de la sai- son : Les Canadiens français sont en Un mot du programme imprimé. Sa rédac- mesure de fonder un orchestre sym- tion est déplorable. « Tone poem » est phonique, de le maintenir et de le con- duire au succès (Boyer, 1935, p. 6). 148 26 Le Montreal Orchestra LE MONTREAL et laETcréation ORCHESTRA de laDESociété LA CRÉATION des DES LA SOCIÉTÉ Concerts symphoniques CONCERTS SYMPHONIQUESde DEMontréal MONTRÉAL(1930 - 1941) (1930-1941)
Le premier concert eut lieu le 14 janvier concerts réguliers par saison, Pelletier mit sur 1935 à l’auditorium de l’école Le Plateau dans pied les Matinées symphoniques pour la le cœur du Parc Lafontaine sous la baguette jeunesse, le Festival de Montréal, consacré de Rosario Bourdon (chef de l’orchestre de la aux grandes œuvres de musique sacrée, et la NBC à New York) et du pianiste-soliste Léo- série des Concerts d’été au chalet du Mont- Pol Morin (gagnant du Prix d’Europe en Royal. 1912). L’approche nationaliste n’aurait pas été Petit à petit cependant, la politique pre- complète sans la présentation d’une pièce mière de la Société de ne présenter que des canadienne. Quoi de plus approprié qu’une musiciens canadiens français s’est relâchée et pièce du compositeur Calixa Lavallée, auteur de grands noms de la scène internationale ont de l’hymne national Ô Canada auquel la po- été invités : Arthur Rubinstein, Alexandre pulation canadienne française s’identifiait Brailowsky, Egon Petri, Claudio Arrau, Mischa entièrement à l’époque. L’enthousiasme était Elman, Nathan Milstein, Emanuel Feuermann, tel que le concert afficha complet deux pour n’en nommer que quelques-uns. Le semaines avant sa présentation. Le soir même, même sort attendait les chefs. La saison 1940 - l’émotion atteignait un paroxysme : 1941 ne présentait qu’un chef canadien aux Quand M. Bourdon lève sa baguette et côtés de noms tels Désiré Defauw, Fritz attaque l’hymne Ô Canada, […] l’émotion Stiedry, Sir Thomas Beecham et Jean Morel. s’empare littéralement de l’auditoire. Puis Pour ce qui est de la musique canadienne, les le programme se déroule dans un véri- organisateurs ont vite pris conscience que, table climat d’euphorie. […] Chef, soliste malgré les bonnes intentions, le projet n’était et orchestre sont longuement ovationnés pas si facilement réalisable. Jamais auparavant (Potvin, 1984, p. 34). les compositeurs d’ici n’avaient eu un L’engouement n’a fait qu’augmenter d’un orchestre à leur disposition pour jouer leurs concert à l’autre. Quand finalement Wilfrid compositions. En conséquence, très peu Pelletier monta sur le podium pour le d’œuvres orchestrales avaient été écrites et cinquième concert, il fut accueilli en héros. encore moins transcrites pour les parties Pour le sixième et dernier concert de la sai- d’orchestre. D’ailleurs, la plupart des pages son, aussi dirigé par Pelletier, la demande fut jouées durant les deux premières saisons telle qu’on dut trouver une salle plus grande. étaient des arrangements de pièces pour C’est donc au Cinéma Loew’s que le concert piano. Pour remédier à la situation, Jean eut lieu. Parce que le théâtre était situé dans Lallemand créa en 1936 une compétition l’ouest — le secteur anglophone de la ville, annuelle portant son nom : un prix de 500 $ l’administration de l’orchestre dut justifier son était décerné à la meilleure œuvre orchestrale choix et insister sur le fait que c’était une soumise, laquelle était interprétée par mesure tout à fait particulière et que la déci- l’orchestre la saison suivante. La compétition sion avait été prise par pure nécessité : souleva beaucoup d’intérêt. Près de vingt compositions furent soumises chacune des Tout d’abord, l’on me permettra bien d’as- trois années de l’existence du Prix Lallemand. surer le public montréalais du regret que j’éprouve de n’avoir pu trouver dans l’est Cependant, malgré son succès, le concours de Montréal un théâtre qui voulût bien, prit fin en 1939, ainsi que la politique de la même contre rémunération, mettre sa Société d’inclure une pièce canadienne dans salle, à cette occasion, à la disposition de chaque programme, principalement en raison la société. […] Il nous fallut donc jeter les des coûts rattachés à l’organisation du con- yeux ailleurs, et c’est au Loew’s que finale- cours et à la transcription des œuvres. ment nous avons réussi à trouver l’hospi- talité que nous cherchions. Ce n’est pas la Malgré ces déceptions, les premières désertion de l’est, je veux bien qu’on le saisons de la Société sont accueillies avec en- sache (David, 1935, p. 16). thousiasme de la part des musiciens, bien sûr, mais aussi de l’organisation et encore plus du Wilfrid Pelletier, public. Il faut dire que l’approche nationaliste directeur artistique contribuait grandement à cet état de fait, à une époque où les francophones cherchaient de Après tout ce succès, l’organisation pouvait plus en plus à s’affirmer et à être reconnus se permettre de regarder l’avenir avec con- comme société à part entière. Il est important fiance. La nomination de Wilfrid Pelletier au de noter ici qu’à cette période, l’économie de poste de directeur artistique de la Société n’a Montréal était encore dominée par des intérêts fait qu’amplifier l’enthousiasme du public. canadiens anglais et, comme le mentionne Sous sa tutelle, le dynamisme de l’orchestre ne Paul-André Linteau dans son ouvrage Histoire cessa de croître. En effet, en plus des huit de Montréal depuis la Confédération, la dis- GGuylaine UYLAINE FFlamand LAMAND 27 149
crimination envers les Canadiens français se Wilfrid Pelletier nous a montré jusqu’à retrouvait sous différentes formes : quel point un programme symphonique peut sortir des sentiers battus. On peut se La presse anglophone proteste énergique- demander, en effet, s’il y a eu aucun autre ment lorsqu’un francophone est nommé à programme aussi intéressant depuis le la présidence de la Commission du port, retour de la musique symphonique dans la poste dont les Canadiens anglais estiment ville (Archer, 1936, p. 18)5. qu’il revient à l’un des leurs. Des journaux francophones dénoncent, sans beaucoup Léo-Pol Morin abonde dans le même sens : de succès, l’absence systématique des Et moi, je dis merci, merci à M. Pelletier francophones aux postes de commandes d’aller chercher les belles œuvres là où il dans plusieurs domaines. Dans les grandes s’en trouve, dut-il pour cela faire le voyage entreprises, les emplois de gérants, de de Bolchévie. Car je sais bien qu’en route vendeurs, de commis ou de contremaîtres il y a aussi d’autres pays où la musique vont beaucoup plus systématiquement aux continue à produire de belles fleurs Canadiens anglais et aux immigrants bri- (Morin, 1937, p. 10). tanniques, tandis que les Canadiens français doivent trop souvent se contenter Et Thomas Archer le notait encore une fois des emplois d’ouvriers. l’année suivante : (Linteau, 1992, p. 320) La variété et l’esprit d’initiative sont les Pour revenir à l’enthousiasme manifesté principales qualités qui caractérisent le pour les concerts de la Société, il ne faudrait choix musical présenté cette saison par la pas sous-estimer non plus l’importance de l’at- Société des Concerts symphoniques de trait de la nouveauté, de la découverte. Pour Montréal. […] Aucun compositeur en par- une grande partie des spectateurs, ces con- ticulier n’a été privilégié et le choix, en certs constituaient leur premier contact avec la général, était exceptionnellement cos- musique symphonique. Léo-Pol Morin l’illus- mopolite. […] Des partitions modernes de tre d’ailleurs très bien : Ravel, Respighi, Roger-Ducasse, Sibelius, Prokofiev et Chostakovitch démontrent Ces deux organismes [MO et CSM] ont une politique de programmation pour entrepris de donner le goût de la musique laquelle on ne peut avoir que des éloges symphonique à un public qui n’avait (Archer, 1937, p. 10)6. jusqu’ici que faiblement manifesté sa pas- Finalement, la nomination de Pierre Béique sion pour ce genre de plaisir, parce que, à la vérité, il ne savait pas ce que c’était. Or, comme directeur général de la Société en on constate que le goût de la musique 1939 donna à l’organisation le coup de pouce symphonique se développe rapidement nécessaire pour passer à un autre niveau de depuis qu’on prend soin d’offrir au public reconnaissance. Fervent amateur de musique, les nourritures qui lui avaient jusqu’ici Béique croyait au potentiel de l’orchestre et manqué. Tant il est vrai que… l’appétit de ses partisans. C’était un visionnaire qui 5 « Wilfrid Pelletier showed vient en mangeant (Morin, 1936, p. 6). cherchait à faire converger à Montréal les plus just how far a program of La légèreté des programmes de la première grands artistes de l’heure. Avec l’appui de orchestral music can be l’imprésario new-yorkais Siegfried Hearst et taken away from the beat- saison incita les mélomanes à continuer de suivre l’orchestre ; leur enthousiasme grandis- celui d’Arthur Judson, directeur général de en track. It is doubtful, in fact, if one so interesting sant proportionnellement à leurs connais- Columbia Artists et administrateur de has been heard here since sances. Wilfrid Pelletier a su développer l’in- l’Orchestre Philharmonique de New York et the restoration of sympho- térêt d’un public toujours plus nombreux avec de l’Orchestre de Philadelphie, Béique put ny in the city. » offrir au public montréalais des solistes tels une programmation intéressante et variée, 6 « Variety and enterprise allant de Bach à Stravinsky en passant par que Arthur Rubinstein, Egon Petri et Nathan were the principal features Milstein, et des chefs comme Désiré Defauw in the choice of music Albéniz, Turina, Chostakovitch, Scriabine et Chabrier. Le choix musical de Pelletier était et Bruno Walter dans les premières années de played this season by the Société des Concerts sym- d’ailleurs très apprécié des deux commu- sa nomination. La participation de ces artistes phoniques de Montréal. […] nautés tant pour sa valeur musicale que pour augmenta considérablement la réputation et la No stress was put upon any sa nouveauté. Thomas Archer, critique musical popularité de l’orchestre. Et ce travail continua one composer and the pendant les quelque trente années où Béique choice in general was à The Gazette, écrivait ceci à propos du pro- gramme du deuxième concert de la troisième fut en poste. unusually cosmopolitan. […] Modern scores by saison, comprenant le Concerto pour piano de Sur le plan administratif, Béique travailla Ravel, Respighi, Roger- Rimsky-Korsakov, la suite Escales de Jacques fort pour rapprocher les deux communautés. Ducasse, Sibelius, Prokofieff Ibert, « La Moldau » de Smetana, la Symphonie and Shostakovitch were En 1941, il invita M. et Mme Graham examples of a policy of pro- en sol mineur de Mozart et l’ouverture Leonore Drinkwater, deux des membres les plus actifs gram-making for which no 3 de Beethoven : du comité du Montréal Orchestra, à joindre le there can be nothing but conseil des Concerts symphoniques. À ce the highest praise. » 150 28 Le Montreal Orchestra LE MONTREAL et la création ORCHESTRA de la Société ET LA CRÉATION des Concerts DE LA SOCIÉTÉ symphoniques DES CONCERTS de DE SYMPHONIQUES Montréal (1930 MONTRÉAL - 1941) (1930-1941)
moment, le climat était plutôt morose dans les Juste un mot d’avertissement. Il y a rangs du Montreal Orchestra, en partie à cause quelques années, les francophones de la 7 « I think, certainly in des problèmes de santé de Clarke et du ville — après que j’eus donné plus de cent this town, a Brahms manque d’intérêt de ses membres qui concerts — ont recruté mes hommes et les Festival would be the préféraient se consacrer à l’effort de guerre. ont appelés Les Concerts symphoniques. easiest to “put over”. » Les Drinkwater acceptèrent l’invitation avec Judson les soutient maintenant dans son Lettre de Clarke à propre intérêt… dois-je en dire davantage ? Eugene Goosens, 7 juin empressement, ce qui permit à Béique de 1941, Fonds Douglas Je vous mentionne cela parce que cette revendiquer le mérite d’avoir réussi à créer un organisation va sûrement entendre parler Clarke, Université orchestre représentatif des deux commu- de nos projets et fera des pieds et des McGill. nautés culturelles de la ville. Il semble pour- mains pour se l’approprier. Votre réponse 8 « But this wretched tant que Clarke tentait, de son côté, de faire est simple. Le Montreal Orchestra est Concerts symphoniques de même. Malgré sa santé défaillante et la l’orchestre ANGLAIS de Montréal. C’est is playing a Festival in l’aspect anglo-américain qui vous intéresse May already — so a Deuxième Guerre mondiale en cours, May Festival seems out quelques lettres trouvées dans les archives de dans ce cas-ci, et à ce moment-ci. Encore of the question. » Ibid. Clarke à l’Université McGill révèlent qu’il avait une fois, le Montreal Orchestra est l’« aîné » 9 « In fact, I would like plusieurs projets pour la saison 1941 - 1942. de cinq ans des deux orchestres de you to conduct the first Dans une lettre datée du 5 juin 1941, on Montréal, avec plus de 160 concerts à son concert of the season. I actif10. want the Montréal apprend que Clarke tentait d’organiser, avec un certain M. Drake de New York, une visite Deux jours plus tard, il écrit encore dans orchestra to be, in every way, a joint French- du Montreal Orchestra à New York. Quelques une lettre à Goosens : Canadian and English- jours plus tard, soit le 7 juin, une lettre à Canadian orchestra — Naturellement, Judson ne fera rien pour Eugene Goosens, alors chef de l’Orchestre m’aider, étant donné qu’il soutient les and you must conduct symphonique de Cincinnati, mentionne un it by hook or by crook. » Concerts symphoniques exclusivement. À projet qui serait compromis par Arthur Judson Lettre de Clarke à ce point, il semble que nous nous heur- Pelletier, 19 novembre étant donné que celui-ci ne veut appuyer que tions contre un mur et, pour ma part, je ne 1941, Fonds Douglas les Concerts symphoniques. Dans la même vois pas comment en sortir. […] Il ne s’a- Clarke, Université lettre, Clarke demande conseil à Goosens à git pas ici d’une compétition loyale ; c’est McGill. propos d’un festival en début de saison. Il contre le diable lui-même que je me 10 « Just a word of warn- mentionne son intention d’organiser un festi- bats…11 ing. The French in val Brahms, qui serait certainement le « plus this city some years Le ton acerbe du mois de juin fait place, en ago — after I had facile à faire accepter dans cette ville »7 . Il novembre, à une nouvelle attitude de la part given over a hundred explique aussi qu’il est complètement impos- de Clarke. Dans la lettre à Wilfrid Pelletier concerts — took my sible de le faire à la fin de la saison parce que déjà citée, Clarke affirme son désir de colla- men, and called them « ces foutus Concerts symphoniques orga- boration et proteste de ses bonnes intentions : Les Concerts Sympho- nisent déjà un festival en mai » 8. Dans un télé- niques. Judson is now gramme à Wilfrid Pelletier daté du 7 novem- J’espère sincèrement ne plus entendre ces backing them for his racontars quant à mon indisposition à col- own ends — need I bre 1941, Clarke invite ce dernier à se joindre say more? I mention à lui pour diriger le Montreal Orchestra avec laborer avec les Canadiens français — this because this largement entretenus, j’en ai peur, par un statut égalitaire. Deux semaines plus tard, organization will quelques personnes pour des raisons per- undoubtedly get to Clarke propose dans une lettre à Pelletier de sonnelles. J’espère que nous pouvons changer l’horaire des concerts du Montreal hear of our plans, maintenant aller de l’avant ensemble et and will move heaven Orchestra (le transportant du dimanche à un inspirer une influence forte et unificatrice and earth to push the soir de semaine) afin de lui rendre service. pour le bien de la musique12. Montréal Orchestra Puis il ajoute : out and get them- La première chose qui vient à l’esprit en selves in. Your answer En fait, j’aimerais que vous dirigiez le pre- lisant ces lettres, est que l’initiative de Clarke is easy. The Montréal mier concert de la saison. Je veux que le arrive trop tard et semble suscitée par l’éner- Orchestra is the ENG- Montréal Orchestra soit, à tous les égards, gie du désespoir. En 1941, les Concerts sym- LISH orchestra in un orchestre unissant autant les Canadiens Montréal. It is the phoniques atteignaient de nouveaux sommets English-American français que les Canadiens anglais — et et étaient suivis par une foule plus qu’enthou- vous devez le diriger coûte que coûte 9. aspect that you wish siaste. Même si les concerts avaient lieu dans to stress in this partic- Toutes ces lettres montrent bien la volonté l’est de la ville, de plus en plus d’anglophones ular case — and at de Clarke de poursuivre les activités du venaient de l’ouest pour y assister. La baisse this particular time. Again, the Montréal Montreal Orchestra. Pas une seule allusion d’intérêt marquée pour le Montreal Orchestra orchestra is the senior n’est faite à la perspective de son démantèle- qui était imputée par les médias à l’effort de orchestra in Montréal ment. Au contraire, ces lettres sont pleines guerre a très bien pu être due à un simple by five years, with d’espoir et de vie. Cependant, une certaine transfert d’intérêt vers les Concerts sym- over 160 concerts to amertume envers les Concerts symphoniques phoniques qui offraient des concerts d’une its credit. » Lettre de Clarke à Drake, 5 juin est tangible dans plusieurs d’entre elles. Dans plus grande qualité. Il n’y a rien dans les 1941, Fonds Douglas une lettre à Drake du 5 juin 1941, Clarke écrit : archives pour prouver cette hypothèse, mais Clarke, Université elle n’en demeure pas moins plausible. McGill. GGuylaine UYLAINE FFlamand LAMAND 29 151
Il faut quand même reconnaître l’immense CLARKE, Douglas et Graham DRINKWATER travail de pionnier qu’ont accompli Clarke et (1935). Lettre ouverte, Montréal Daily Star, son orchestre au cours de ces quelques onze 15 avril, p. 8. années. Selon les témoignages de l’époque, le DAVID, Athanase (1934). « Création d’un niveau d’exécution des instrumentistes était nouvel orchestre symphonique à Montréal », faible et leur expérience du répertoire sym- Le Canada, 17 déc., p. 6. phonique minime. C’est dire à quelle tâche Clarke dut s’attaquer avec l’orchestre afin d’ar- _______ (1935). Extrait du texte d’une allocu- river à des résultats convenables. Puisque les tion radiophonique, Le Devoir, 27 avril, p. 16. effectifs des deux orchestres étaient sensible- LAMONTAGNE, Charles-Onésime (1930). ment les mêmes, les chefs qui venaient diriger « Montreal Concert Symphony Orchestra », l’orchestre des Concerts symphoniques béné- Le Canada, 15 nov., p. 10. ficiaient de l’expérience acquise par les musi- ciens avec le Montreal Orchestra. Pendant les LANGLOIS, Georges (1933). « L’Orchestre de sept saisons où ils ont coexisté, les deux Montréal », Le Canada, 27 nov., p. 8. orchestres se complétèrent l’un et l’autre à plusieurs égards. La vraie différence se situait LETONDAL, Henri (1930). « L’Orchestre de sur le plan administratif. Dire que le Montreal Montréal », Le Petit Journal, 26 janv., p. 25. Orchestra revêt autant d’importance que les _______ (1931a). « L’Orchestre de Montréal à Concerts symphoniques dans l’histoire de l’Orpheum », Le Petit Journal, 11 janv., p. 26. l’Orchestre symphonique de Montréal permet de rendre justice au travail extraordinaire de _______ (1931b). « L’Orchestre de Montréal cette organisation. Toutes les revendications au His Majesty’s », Le Petit Journal, 1er fév., qui ont amené ce dédoublement des forces p. 27. n’étaient en réalité que la manifestation d’une _______ (1931c). « L’Orchestre de Montréal », communauté culturelle désireuse de faire ses Le Petit Journal, 8 fév., p. 27. preuves et de s’affirmer. Il s’agit ici d’un scé- nario typique, propre à la population mon- _______ (1932). « L’Orchestre de Montréal », tréalaise. En ce début de XXIe siècle, malgré de Le Canada, 5 déc., p. 7. grands efforts d’intégration, les deux commu- _______ (1934a). « L’Orchestre de Montréal », nautés demeurent encore aujourd’hui « deux Le Canada, 19 nov., p. 6. solitudes » qui ont du mal à se comprendre. q _______ (1934b). « L’Orchestre de Montréal », Le Canada, 17 déc., p. 6. RÉFÉRENCES LUX (1931). « L’Orchestre de Montréal », Fonds d’archives La Patrie, 5 janv., p. 5. 11 « Naturally, Judson will do nothing to help me, seeing Fonds Douglas Clarke, Archives de MORIN, Léo-Pol (1936). « Les Concerts sym- that he is backing exclu- l’Université McGill, Montréal. Originaux, phoniques », Le Canada, 13 juin, p. 6. sively Les Concerts sym- copies, matériel imprimé, photographies, ca phoniques. Here we seem 1923-1954, 42 cm, MG 3016. _______ (1937). « Inauguration de la qua- to be up against a brick trième saison de la Société des Concerts sym- wall — and I for one can’t Archives de l’Orchestre symphonique de phoniques », Le Canada, 16 oct., p. 10. see through it. […] I am up Montréal, Bureau de l’Orchestre sym- against, not normal com- phonique de Montréal, Montréal. Coupures PELLETIER, Frédéric (1930). « Concerts petition, but the Devil him- d’Orchestre », Le Devoir, 11 nov. p. 1. self… » Lettre de Clarke à de journaux, photographies, non-classé. Goosens, 7 juin 1941, Fonds Douglas Clarke, Articles de journaux Monographies et articles Université McGill. 12 « I do sincerely hope that ARCHER, Thomas (1932). « The Orchestra’s BELL, H. P. (1932). « Review of 1931 », we have seen the end of Season of 1931-32 », The Gazette, 26 mars, Montreal Music Year Book 1932, p. 3. the silly talk of my unwill- p. 10. ingness to collaborate with BISHOP, Albert E. (1974). The Montreal French-Canadians — _______ (1936). « Pelletier Directs Unusual Orchestra : Retrospect, 1930 to 1941, largely kept alive, I fear, Programme », The Gazette, 28 nov., p. 18. Montréal, A. E Bishop. from other people’s person- al motives. I hope we can _______ (1937). « Les Concerts Symphoni- FLAMAND, Guylaine (1999). « The Montreal now go forward together ques End Varied Season », The Gazette, Orchestra and les Concerts symphoniques de and build a strong and Montréal (1930 - 1941) », thèse de doctorat, 2 avril, p. 10. unifying influence for the New York, City University of New York, 146 p. good of music. » Lettre à BOYER, Ubald (1935). Texte d’une annonce Pelletier, 19 novembre GAREAU, Philip (2001). « Le Montreal radiophonique, Le Canada, 5 janv., p. 6. 1941, Fonds Douglas Orchestra : Une réhabilitation de son rôle Clarke, Université McGill. 152 30 Le Montreal Orchestra LE MONTREAL et la création ORCHESTRA de la DE ET LA CRÉATION Société des Concerts LA SOCIÉTÉ symphoniques DES CONCERTS deDEMontréal SYMPHONIQUES MONTRÉAL(1930 - 1941) (1930-1941)
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