LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LES PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN AFRIQUE - Rapport Régional June 2021
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LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LES PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN AFRIQUE Rapport Régional June 2021
À PROPOS DE LA COALITION INTERNATIONALE DES SITES DE CONSCIENCE La Coalition internationale des sites de conscience (ICSC ou la Coalition) est un réseau mondial de musées, de sites historiques et d’initiatives locales dédiés à la construction d’un avenir plus juste et pacifique en engageant les communautés à se souvenir des luttes pour les droits humains et à aborder leurs répercussions modernes. Fondée en 1999, la Coalition compte aujourd’hui plus de 300 membres de Sites de conscience dans 65 pays. La Coalition soutient ces membres à travers sept réseaux régionaux qui encouragent la collaboration et l’échange international de connaissances et de bonnes pratiques. L’Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation est un programme phare de la Coalition. En savoir plus sur www.sitesofconscience.org. Légende de la photo de couverture : Exploitation minière de Wolframite et de cassérite en République démocratique du Congo en 2007. Crédit : Julien Harneis
À PROPOS DE CE RAPPORT Le présent rapport est le produit d’un projet du consortium GITJR 2021 dirigé par la Coalition Internationale des Sites de Conscience (ICSC), qui a cherché à examiner les processus de justice transitionnelle passés et présents impliquant des acteurs privés, en mettant l’accent sur la responsabilité pour les violations graves des droits de l’homme et interventions locales en Afrique et en Amérique latine. L’objectif principal du projet était de tirer des enseignements des expériences passées tout en cherchant à guider la conception de futurs processus formels et informels qui prennent en compte les rôles et les responsabilités des acteurs du secteur privé dans la justice transitionnelle. Au cœur du projet a été la préparation de rapports régionaux pour l’Afrique et l’Amérique latine, respectivement, qui examinent le rôle du secteur privé dans la justice transitionnelle, notamment les interventions locales axées sur la responsabilité du secteur privé. ABA ROLI a dirigé l’étude régionale sur le Rôle et responsabilités des acteurs du secteur privé dans les processus de justice transitionnelle en Afrique. Les conclusions et recommandations du rapport ont été étayées par une consultation en ligne en avril 2021 avec des experts et des praticiens des deux régions qui ont été impliqués dans des initiatives de justice transitionnelle qui incluent des acteurs du secteur privé ou ont examiné les rôles et responsabilités des acteurs du secteur privé. La région Afrique en particulier a été témoin de multiples processus de justice transitionnelle au cours des deux dernières décennies ; entre-temps, c’est aussi l’un des continents les plus riches en ressources qui a suscité un intérêt considérable de la part du secteur privé, ce qui l’a amené à s’impliquer dans des violations flagrantes des droits de l’homme et des crimes économiques et environnementaux avec des effets dévastateurs sur des sociétés déjà en difficulté. Des tentatives pour identifier et aborder le rôle des acteurs du secteur privé dans les violations des droits de l’homme ont eu lieu dans certains contextes, mais il y a eu un manque général d’informations et de recherches effectuées pour interroger pleinement les défis et les opportunités afin de tenir les acteurs du secteur privé responsables de leurs actions. Mieux comprendre le rôle de ces acteurs et examiner les tentatives visant à tenir les acteurs du secteur privé responsables de leurs actions est un objectif principal de cette étude et peut aider à identifier les défis, les stratégies, les leçons apprises et les meilleures pratiques pour examiner le rôle du secteur privé dans le contexte des initiatives de justice de conflit et post-conflit. Le rapport cherche donc à combler une lacune notable dans la compréhension du comment et du pourquoi de l’implication du secteur privé dans la commission de violations des droits de l’homme dans le contexte des conflits et à faire des propositions de mesures institutionnelles et juridiques afin de désigner les responsables et d’améliorer la prévention de ces pratiques. REMERCIEMENTS : AUTEURS PRINCIPAUX ÉDITEUR Dr. Tarisai Mutangi Ismene Zarifis Dr. Ashwanee Budoo Dr. Japhet Biegon Dr. Evelyne Asaala À Propos de ce Rapport | 1
À PROPOS DE L’INITIATIVE MONDIALE POUR LA JUSTICE, LA VÉRITÉ ET LA RÉCONCILIATION (GIJTR) Fondée par la Coalition Internationale des Sites de Conscience, l’Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR) est un consortium de neuf organisations du monde entier dédiées aux approches multidisciplinaires, intégrées et holistiques de la justice transitionnelle. Partout dans le monde, il y a un appel croissant à la justice, à la vérité et à la réconciliation dans les pays où les séquelles de graves violations des droits de l’homme jettent une ombre sur les transitions. Pour répondre à ce besoin, la Coalition Internationale des Sites de Conscience (ICSC) a lancé l’Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR) en août 2014. L’objectif de la GIJTR est de relever de nouveaux défis dans les pays en conflit ou en transition qui luttent avec leur héritage de violations graves des droits de l’homme passées ou en cours. Le Consortium GIJTR (« le Consortium ») est composé des neuf organisations partenaires suivantes : • • Coalition Internationale des Sites de Conscience, aux États-Unis (chef de file) ; • Initiative sur l’état de Droit de l’Association du Barreau Américain (ABA ROLI), aux États-Unis ; • Asie justice et droits (AJAR), en Indonésie ; • Centre pour l’étude de la violence et de la réconciliation (CSVR), en Afrique du sud ; • Centre de documentation du Cambodge (DC-CAM), au Cambodge ; • Due Process of Law Foundation (DPLF) [Fondation pour le respect de la loi], aux États-Unis ; • Fondation d’anthropologie médico-légale du Guatemala (Fundación de antropología forense de Guatemala – FAFG), au Guatemala ; 2 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
• Centre de droit humanitaire (HLC), en Serbie ; et • Public International Law & Policy Group (PILPG) [Groupe public international pour la loi et les politiques], aux États-Unis. En plus de tirer parti des différents domaines d’expertise des partenaires du Consortium, l’ICSC s’appuie sur les connaissances et les relations communautaires de longue date de ses plus de 275 membres dans 65 pays afin de renforcer et d’élargir le travail du Consortium. Les partenaires du Consortium, ainsi que les membres du réseau de l’ICSC, développent et mettent en œuvre une gamme de programmes de réponse rapide et à fort impact qui utilise à la fois des approches réparatrices et rétributives de la justice pénale et de la responsabilité pour les violations graves des droits de l’homme. Le Consortium adopte une approche interdisciplinaire de la justice, de la vérité et de la responsabilité. Dans l’ensemble, les partenaires du Consortium possèdent une expertise dans les domaines suivants : • Révélation de la vérité, commémoration et autres formes de mémoire historique et de réconciliation ; • Documentation des violations des droits de l’homme à des fins de justice transitionnelle ; • Analyses médico-légales et autres efforts liés aux personnes portées disparues ; • Plaidoyer pour les victimes, y compris pour leur droit d’accéder à la justice, à un soutien psychosocial et à des activités d’atténuation des traumatismes ; • Fourniture d’une assistance technique et renforcement des capacités des militants et des organisations de la société civile à promouvoir et à s’engager dans les processus de justice transitionnelle ; • Initiatives de justice réparatrice ; et • La garantie et l’intégration de la justice pour les femmes dans ces processus et dans tous les autres processus de justice transitionnelle. Compte tenu de la diversité des expériences, des connaissances et des compétences au sein du Consortium et des membres du réseau de l’ICSC, la programmation du Consortium offre aux pays sortant d’un conflit et aux pays sortant de régimes répressifs une occasion unique de répondre aux besoins de justice transitionnelle en temps opportun tout en promouvant simultanément la participation locale et le renforcement des capacités des partenaires communautaires. À Propos de l’Initiative Mondiale pour la Justice, la Vérité et la Réconciliation | 3
Grâce à un programme ABA ROLI, les résidents ruraux du Sud-Kivu déplacés par l’exploitation minière discutent des dommages environnementaux et sociaux auxquels ils sont confrontés en RDC. À PROPOS DE L’INITIATIVE POUR L’ÉTAT DE DROIT DE L’AMERICAN BAR ASSOCIATION ABA ROLI, membre du consortium GITJR, a mis en œuvre des projets dans le monde et à travers l’Afrique avec un accent particulier sur le renforcement de la gouvernance et du système judiciaire, les droits de l’homme et l’accès à la justice, la réforme du secteur de la justice et la promotion de l’état de droit, les transitions, l’atténuation des conflits et la consolidation de la paix. Plusieurs projets se sont concentrés sur la prévention des atrocités et le soutien aux processus de justice transitionnelle, en particulier dans les états fragiles sortant d’un conflit de la région. ABA ROLI met actuellement en œuvre des projets au Bénin, au Burkina Faso, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, en eSwatini, en Gambie, au Libéria, au Niger, en Somalie, au Soudan, en Tanzanie, en Ouganda et un projet régional d’Afrique australe, avec une présence en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud et en Zambie. Pour plus d’informations, voir : https://www.americanbar. org/advocacy/rule_of_law/ 4 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
ABRÉVIATIONS ACLED Projet de données sur l’emplacement et les événements des conflits armés AUTJP Politique de justice transitionnelle de l’Union africaine CADHP Commission africaine des droits de l’homme et des peuples CADHP Cour africaine des droits de l’homme et des peuples CAEDBE Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant CICR Comité international de la Croix-Rouge CVJR Commission vérité, justice et réconciliation DAG Groupe consultatif Dyck DDH Défenseur des droits humains FPR Front patriotique rwandais FRU Front révolutionnaire uni GIJTR Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation IBM International Business Machines JT Justice transitionnelle LRA Armée de résistance du Seigneur MNC Société multinationale OCDE Organisation de coopération et de développement économiques ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies RCA République centrafricaine RDC République Démocratique du Congo RTLM Radio-Télévision Libre des Mille Collines SATRC Commission vérité et réconciliation de l’Afrique du Sud SMP Société militaire privée TPIR Tribunal pénal international pour le Rwanda TSSL Tribunal spécial pour la Sierra Leone UA Union africaine UE Union européenne UNITA Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola US États-Unis Abréviations | 5
TABLE DES MATIÈRES Abbreviations............................................................................................5 1. Présentation...........................................................................................8 2. Justice Transitionnelle en Afrique : Fondements Conceptuels et Normatifs..........................................................................................10 2.1 Une Approche Africaine de la Justice Transitionnelle................................11 2.2 Cadre Normatif pour la Responsabilité des Entreprises.............................12 3. Acteurs du Secteur Privé, Répression Etatique et Conflits Violents en Afrique...............................................................................15 3.1 Éventail et Variété des Acteurs du Secteur Privé.........................................15 3.1.1 SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES..............................................................15 3.1.2 SOCIÉTÉS MULTINATIONALES...............................................................16 3.2 Responsabilité des Acteurs du Secteur Privé dans la Répression et les Conflits Violents...................................................................................17 3.2.1 RESPONSABILITÉ DES SMP EN DROIT INTERNATIONAL......................18 3.2.2 RESPONSABILITÉ DES SOCIÉTÉS MULTINATIONALES SELON LE DROIT INTERNATIONAL.........................................................................19 3.3 Motifs des Violations Commises par Certains Acteurs du Secteur Privé...............................................................................21 3.3.1 MOTIFS ÉCONOMIQUES ET RESSOURCES NATURELLES.....................21 3.3.2 POLITIQUE.............................................................................................22 3.4 Types de Violations par les Acteurs du Secteur Privé.................................23 3.4.1 CRIMES DE GUERRE...............................................................................23 3.4.2 DÉLITS ÉCONOMIQUES........................................................................24 3.4.3 DÉLITS ENVIRONNEMENTAUX..............................................................24 3.4.4 VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME...............................................24 3.5 Victimes de Violations Commises par Certains Acteurs du Secteur Privé...............................................................................25 6 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
4. Justice Transitionnelle, Engagement du Secteur Privé et Responsabilité des Entreprises...........................................................27 4.1 Commissions Vérité.......................................................................................27 4.1.1 COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION D’AFRIQUE DU SUD.........29 4.1.2 COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU LIBÉRIA....................30 4.1.3 COMMISSION VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉCONCILIATION DU KENYA.......31 4.1.4 COMMISSION VÉRITÉ ET JUSTICE DE L’ILE MAURICE..........................33 4.1.5 COMMISSION NATIONALE POUR L’UNITÉ ET LA RÉCONCILIATION DU RWANDA.............................................................33 4.1.6 COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DE LA SIERRA LEONE....33 4.2 Procès et Responsabilité Judiciaire...............................................................34 4.2.1 PROCÈS PÉNAUX....................................................................................34 4.2.2 POURSUITES CIVILES : TRIBUNAUX NATIONAUX ET TRANSNATIONAUX...............................................................................36 4.3 Programmes de Réparation...........................................................................37 5. Défis, Opportunités et Leçons dans la Poursuite de la Responsabilité des Entreprises............................................................41 5.1 Défis.................................................................................................................41 5.1.1 DÉFIS RENCONTRÉS PAR LES COMMISSIONS VÉRITÉ..........................41 5.1.2 DÉFIS LIÉS À LA POURSUITE DES PROCÈS ET À LA RESPONSABILITÉ JUDICIAIRE...............................................................43 5.2 Opportunités et Enseignements...................................................................44 5.2.1 PROTOCOLE DE MALABO......................................................................44 5.2.2 CADRE POLITIQUE DE L’UA SUR LES ENTREPRISES ET LES DROITS DE L’HOMME.....................................................................46 5.2.3 ORGANES ET MÉCANISMES AFRICAINS DES TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L’HOMME....................................................46 5.2.4 PARTICIPATION ACTIVE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE..................................48 5.2.5 INSTRUMENT JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SUR LES SOCIÉTÉS TRANSNATIONALES.....................................................48 6. Conclusion et Recommandations.......................................................49 Bibliographie...........................................................................................51 Les Références........................................................................................56 Table des Matières | 7
1. PRÉSENTATION Le fléau des conflits violents et l’omniprésence d’un régime autoritaire ont longtemps défini l’histoire politique et socio-économique de l’Afrique postcoloniale. Depuis des décennies, les guerres civiles ne cessent de gronder de l’Afrique du Nord à la région des Grands Lacs, et des régions du lac Tchad et du Sahel à la Corne de l’Afrique. Au fil des ans, le continent est devenu l’épicentre des opérations de maintien de la paix des Nations Unies (ONU) 1. Dans le même ordre d’idées, il est courant que les pays africains figurent, voire dominent, la liste annuelle de l’ACLED des « Dix conflits à craindre » ou les « Dix conflits à surveiller »2 d’International Crisis Group. Les conflits en Afrique ne sont pas étrangers au fait que de nombreux pays de la région ont connu un régime autoritaire à certains moments précis de leur histoire. Pour la majeure partie de l’Afrique, l’indépendance de la domination coloniale dans les années 1950 et 1960 n’a pas été accompagnée d’une liberté significative et tangible pour les populations locales. Au lieu de cela, la domination coloniale a été rapidement remplacée par la dictature et la répression d’État. Il n’est pas surprenant que dans le Rapport sur la liberté dans le monde, la majorité des pays africains aient souvent été classés comme « partiellement libres » ou « non libres ». 3 Cependant, depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, lorsque la soi-disant troisième vague de démocratisation a balayé le continent, de nombreux pays africains ont connu une certaine forme de transition politique. Avec une telle transition est venue le besoin urgent de faire face aux violations flagrantes des droits de l’homme et aux crimes de droit international commis dans le cadre de conflits violents et de régimes répressifs. Le résultat est que les mécanismes de justice transitionnelle, tels que les poursuites, la révélation de la vérité, la réconciliation, l’amnistie, les réparations, la commémoration et les garanties de non-répétition, ont proliféré sur le continent, bien qu’avec des degrés de succès variables. De sombres héritages et des épisodes passés de répression étatique ont contraint des pays comme l’Éthiopie, la Gambie, l’Afrique du Sud et la Tunisie à recourir à la justice transitionnelle. En Côte d’Ivoire, au Kenya et au Zimbabwe, des mécanismes de justice transitionnelle ont été mis en place après que les violences électorales ont menacé la stabilité nationale. Dans d’autres pays, dont le Burundi, la République centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), le Libéria, la Sierra Leone, le Soudan du Sud, le Soudan, l’Ouganda et le Rwanda, le déclencheur a été ou est une guerre civile généralisée. Trois décennies d’expérimentation et de mise en œuvre de la justice transitionnelle en Afrique ont généré un corpus relativement important de connaissances et d’enseignements pour les acteurs étatiques et non étatiques. Pourtant, il reste encore des lacunes dans l’étude et l’interrogation du sujet. Ce rapport traite l’une 8 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
de ces lacunes, à savoir la place et le rôle des acteurs du secteur privé dans les processus de justice transitionnelle sur le continent. Il s’agit d’un problème particulièrement important en Afrique. Les acteurs du secteur privé, y compris les sociétés militaires privées et les sociétés multinationales, ont été activement impliqués dans de nombreux conflits insolubles du continent, souvent à des fins économiques ou avec l’arrière-pensée d’exploiter et de piller illégalement les ressources naturelles des pays concernés. Dans le processus, des acteurs privés ont été responsables de violations flagrantes des droits de l’homme, d’une dégradation massive de l’environnement et de crimes économiques. Plusieurs mécanismes de justice transitionnelle à travers l’Afrique ont cherché à lutter contre les violations et les crimes commis par des acteurs privés, mais ces expériences doivent encore être complètement systématisées et étudiées de manière approfondie. Ce rapport vise à entreprendre ce type d’étude et, ce faisant, à contribuer à une meilleure compréhension des stratégies, des défis, des leçons apprises et des meilleures pratiques en matière de responsabilité des acteurs privés. Ce rapport s’appuie sur une analyse approfondie de la littérature sur la justice transitionnelle en Afrique, y compris les rapports des commissions de vérité, les accords de paix, les statuts nationaux, les rapports des organes pertinents de l’Union africaine (UA) et les jugements et décisions des cours et tribunaux aux niveaux national, régional et international. Le rapport est également basé sur une revue de la littérature académique pertinente. Le rapport intègre également les enseignements d’un atelier virtuel de deux jours organisé les 26 et 27 avril 2021 sur « Les rôles et responsabilités des acteurs du secteur privé dans la justice transitionnelle en Afrique et en Amérique latine : un échange interrégional ». Convoqué par l›Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR), l›atelier a cherché à créer une plate-forme pour développer un ensemble de bonnes pratiques et de leçons apprises concernant la responsabilité du secteur privé pour la commission de divers types d›atteintes aux droits de l’homme dans les deux régions, ainsi que de sensibiliser aux rôles que les acteurs du secteur privé ont joué dans les processus de justice transitionnelle. En termes de structure, la deuxième partie du rapport s’intéresse au concept de justice transitionnelle en mettant l’accent sur un cadrage et une approche africaine du sujet. La troisième section documente et analyse l’implication des acteurs du secteur privé dans les conflits violents et la répression étatique en Afrique. Il met en évidence leurs motivations, l’étendue de leur implication et les types de violations. La quatrième partie est une analyse de la mesure dans laquelle les processus de justice transitionnelle en Afrique ont été des lieux de poursuite de la responsabilité des acteurs du secteur privé et de la mesure dans laquelle ces acteurs ont été engagés dans ces processus. La cinquième section explore les leçons, les opportunités et les défis dans la poursuite de la responsabilité des entreprises à travers la justice transitionnelle en Afrique. La sixième section conclut le rapport par une série de recommandations. Présentation | 9
2. JUSTICE TRANSITIONNELLE EN AFRIQUE : FONDEMENTS CONCEPTUELS ET NORMATIFS La justice transitionnelle fait essentiellement référence aux choix politiques que les peuples émergeant de conflits violents et de régimes répressifs adoptent afin de tenir compte de l’héritage d’atrocités de masse et de violations flagrantes des droits de l’homme. Dans ce sens, les Nations Unies (ONU) définissent la justice transitionnelle comme « l’ensemble des processus et mécanismes associés aux tentatives d’une société de faire face à un héritage d’abus passés à grande échelle, afin d’assurer la responsabilité des coupables, de servir la justice et parvenir à la réconciliation »4. L’ONU ajoute que ces processus et mécanismes « peuvent inclure à la fois des mécanismes judiciaires et non judiciaires, avec des niveaux différents d’implication internationale (ou pas du tout) et des poursuites individuelles, des réparations, la recherche de la vérité, une réforme institutionnelle, un contrôle et des révocations, ou un combinaison de ceux-ci ».5 Bien que la définition de la justice transitionnelle semble simple, la pratique et l’expérience ont montré que différentes régions et sociétés du monde mettent l’accent sur différents processus et mécanismes dans leur conceptualisation du terme. En Afrique, le rôle central des acteurs internationaux dans la promotion de la justice transitionnelle sur le continent a fait que le terme est souvent considéré comme défini et importé de l’extérieur. Pour cette raison, il a été avancé que le cadre dominant de la justice transitionnelle ne capte pas de manière adéquate l’imagination et les conceptions culturelles de la justice au sein des sociétés africaines. 10 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
2.1 Une Approche Africaine de la Justice Transitionnelle L’étude de 2019 sur la justice transitionnelle de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) identifie certaines des limites de la compréhension traditionnelle de la justice transitionnelle. Par exemple, le rapport note que la définition traditionnelle de la justice transitionnelle a un fort préjugé légaliste qui donne la préférence à la justice punitive ou pénale par opposition à la justice réparatrice. Dans ce contexte, la CADHP note qu’une conception holistique de la justice transitionnelle devrait être basée sur une « détermination contextuelle à la fois de l’équilibre entre les différentes dimensions de la JT et de l’aspect particulier sur lequel une société transitionnelle peut choisir de mettre l’accent ».6 La CADHP blâme également le discours dominant sur la justice transitionnelle dans la mesure où il traite principalement de violations des droits civils et politiques. Le rapport note que la justice transitionnelle devrait également s’attaquer aux inégalités sociétales, aux violations des droits socio-économiques, au détournement de fonds publics et à la corruption.7 Afin d’articuler un cadrage africain de justice transitionnelle, la Politique de justice transitionnelle de l’UA (AUTJP) a été adoptée en février 2019. La nécessité et les arguments en faveur d’une telle articulation ont été formulés dans le rapport 2013 du Groupe des sages de l’UA intitulé « Peace, justice and reconciliation in Africa: Opportunities and challenges in the fight against impunity »8 [Paix, justice et réconciliation en Afrique : opportunités et défis dans la lutte contre l’impunité]. L’AUTJP définit la justice transitionnelle comme les « diverses mesures politiques (formelles et traditionnelles ou non formelles) et les mécanismes institutionnels que les sociétés, par le biais d’un processus consultatif inclusif, adoptent afin de surmonter les violations, les divisions et les inégalités passées et de créer des conditions tant pour la sécurité que pour la transformation9 démocratique et socio- économique ». La Politique poursuit en apportant la clarification suivante : Allant au-delà de la rétribution et s’appuyant sur des approches de justice traditionnelle mettant l’accent sur la conciliation, la participation communautaire et la restitution, la conception de la JT avancée dans cette politique cherche à répondre aux préoccupations africaines sur les conflits violents et l’impunité à travers une politique holistique qui prend en compte le contexte particulier et les nuances culturelles des sociétés touchées, ainsi que les dimensions sexospécifiques, générationnelles, ethnoculturelles, socio-économiques et de développement de la paix et de la justice.10 Justice Transitionnelle en Afrique : Fondements Conceptuels et Normatifs | 11
En plus d’une définition, l’AUTJP énonce neuf principes qui devraient éclairer les processus de justice transitionnelle en Afrique. Ceux-ci sont :11 i. Les processus de justice transitionnelle relèvent de la responsabilité des gouvernements africains et les autres parties prenantes doivent respecter ce leadership ; ii. Les processus de justice transitionnelle doivent être pris en charge au niveau national et local afin de garantir qu’ils sont alignés sur les aspirations et les besoins locaux, de garantir une compréhension commune d’une vision partagée et de maximiser le soutien et l’appropriation du public ; iii. Les processus de justice transitionnelle doivent s’attaquer à l’exclusion et à la répartition inéquitable du pouvoir et de la richesse ; iv. Les processus de justice transitionnelle doivent être fondés sur les valeurs africaines partagées concernant la paix et la sécurité, la justice ou la non- impunité, la réconciliation et les droits de l’homme et des peuples élaborés dans divers instruments de l’UA ; v. Les processus de justice transitionnelle doivent être adaptés au contexte, en s’inspirant des conceptions et des besoins de la société en matière de justice et de réconciliation ; vi. Les processus de justice transitionnelle doivent trouver un équilibre et un compromis entre la paix et la réconciliation d’une part, et la responsabilité et l’obligation de rendre compte d’autre part ; vii. Les processus de justice transitionnelle doivent accorder une attention particulière à la violence sexuelle et sexiste ainsi qu’aux modèles d’inégalité entre les sexes dans la société qui permettent la violence sexiste ; viii. Les processus de justice transitionnelle doivent être mis en œuvre par le biais d’une coopération et d’une cohérence entre tous les acteurs ; et ix. Les processus de justice transitionnelle doivent construire et renforcer les capacités nationales et locales. En définissant une vision africaine du concept, l’AUTJP fait fonction d’une adoption et d’une approbation régionales officielles de la justice transitionnelle. Comme on l’a observé, « plutôt que de rejeter la justice transitionnelle comme un énième programme imposé de l’extérieur, les institutions africaines articulent leurs propres valeurs et normes qui s’inspirent des cadres africains des droits de l’homme et des réflexions sur les expériences nationales à l’intérieur du continent ».12 2.2 Cadre Normatif pour la Responsabilité des Entreprises L’AUTJP n’aborde pas explicitement la question de la responsabilité des violations des droits de l’homme et des crimes connexes commis par des acteurs du secteur 12 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
privé dans le contexte de conflits violents et de régimes répressifs. Cependant, la Politique fait référence aux acteurs non étatiques, un terme générique suffisamment large pour couvrir les acteurs du secteur privé. Dans ce contexte, l›un des objectifs étatiques de l›AUTJP est de favoriser « la responsabilité des acteurs étatiques et non étatiques pour les violations graves des droits de l’homme ».13 La Politique prévoit également que les acteurs non étatiques ont un rôle à jouer dans les processus de justice transitionnelle. Pour commencer, la Politique cherche à renforcer la synergie et la coordination entre et parmi les divers acteurs impliqués dans les processus de justice transitionnelle, y compris les acteurs étatiques et non étatiques.14 Elle encourage également les États à mobiliser des ressources pour les processus de justice transitionnelle auprès d’un large éventail de parties prenantes, y compris des acteurs du secteur privé.15 La CADHP a également publié diverses règles normatives applicables à la conduite des acteurs du secteur privé dans les situations de conflit. Par exemple, les lignes directrices et principes relatifs aux rapports des États sur les articles 21 et 24 de la Charte africaine relative aux industries extractives, aux droits de l’homme et à l’environnement, stipulent que « « Les États doivent adopter une législation et mettre en place des mesures, en particulier sur la restriction de l’extraction dans les zones touchées par un conflit et sur la responsabilité pénale des entreprises impliquées dans des violations des droits de l’homme dans des situations de conflit ».16 Au niveau international, les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme pour la mise en œuvre du Cadre de protection, de respect et de réparation des Nations Unies (Principes directeurs des Nations Unies) constituent le cadre principal établi pour aborder les responsabilités des acteurs du secteur privé en matière de droits de l’homme, ainsi que les devoir de protection contre les violations des droits de l’homme commises par certains acteurs du secteur privé. Les principes directeurs ont été adoptés pour tenir compte, entre autres, du ‘rôle des entreprises commerciales en tant qu’organes spécialisés de la société remplissant des fonctions spécialisées, tenues de se conformer à toutes les lois applicables et de respecter les droits de l’homme’ et la ‘nécessité que les droits et obligations soient assortis de recours appropriés et efficaces en cas de violation’.17 Le Principe 7 des Principes directeurs traite spécifiquement des opérations des acteurs du secteur privé dans les zones touchées par les conflits. Il exige des États qu’ils veillent à ce que les entreprises opérant dans des zones touchées par des conflits ne soient pas impliquées dans des violations des droits de l’homme, notamment en s’engageant avec des acteurs du secteur privé pour identifier et atténuer les risques liés aux droits de l’homme de leurs entreprises et activités. Le principe 7 exige également des États qu’ils refusent l’accès au soutien et aux services publics aux entreprises impliquées dans des violations flagrantes des droits Justice Transitionnelle en Afrique : Fondements Conceptuels et Normatifs | 13
de l’homme. Il exige également des États qu’ils veillent à ce que leurs politiques, législations, réglementations et mesures d’application soient efficaces pour faire face au risque d’implication des entreprises dans des violations flagrantes des droits de l’homme. En plus d’imposer des responsabilités aux États, les Principes directeurs des Nations Unies incluent une section consacrée à la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme. Le principe 17 exige des entreprises qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable : Afin d’identifier, de prévenir, d’atténuer et de rendre compte de la manière dont elles traitent leurs impacts négatifs sur les droits de l’homme, les entreprises doivent exercer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme. Le processus doit inclure l’évaluation des impacts réels et potentiels sur les droits de l’homme, l’intégration et l’action en fonction des résultats, le suivi des réponses et la communication de la manière dont les impacts sont traités. Le Principe 17 est pertinent pour les sociétés multinationales opérant dans des situations de répression et de conflits violents puisqu’elles doivent faire preuve de diligence raisonnable afin de s’assurer qu’elles ne contribuent pas au conflit, que ce soit directement ou indirectement. En plus des Principes directeurs, le Guide du Pacte des Nations Unies pour une entreprise responsable dans les zones de conflit et à haut risque vise à aider les entreprises et autres acteurs du secteur privé à améliorer leur conduite en matière de droits de l’homme. D’autres cadres normatifs pertinents dans le monde sont notamment les suivants : Lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des sociétés multinationales; Outil de sensibilisation aux risques de l’OCDE pour les sociétés multinationales dans les zones à faible gouvernance ; Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque ; et Normes de performance de la Société financière internationale sur la durabilité environnementale et sociale. 14 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
3. ACTEURS DU SECTEUR PRIVÉ, RÉPRESSION ETATIQUE ET CONFLITS VIOLENTS EN AFRIQUE 3.1 Éventail et Variété des Acteurs du Secteur Privé Pour comprendre les motivations derrière l’implication du secteur privé dans le système de justice transitionnelle, il est important d’élaborer sur le rôle du secteur privé dans la répression étatique et les conflits violents en Afrique. Plusieurs acteurs du secteur privé, y compris les sociétés militaires privées (SMP), les sociétés multinationales, les médias, les sociétés de transport et les institutions financières ont un rôle à jouer dans la poursuite des conflits armés et de la répression en Afrique. Aux fins de cette section, nous nous concentrons sur les SMP et les sociétés multinationales, car ces deux-là ont affecté de manière disproportionnée la répression étatique et les conflits violents en Afrique. 3.1.1 Sociétés Militaires Privées Les SMP sont des ‘individus ou des entreprises’18 qui ‘fournissent des services pour remplacer ou soutenir une armée ou un groupe armé ou pour améliorer leur efficacité’19 ‘purement sur une base de compensation financière’20. Ils sont divisés en quatre catégories qui sont les suivantes21 : 1. La SMP de combat offensif qui s’engage dans des opérations de combat offensives directes ; 2. La SMP de combat défensif qui se trouve dans des zones de combat mais qui est de nature défensive, comme la sécurité militaire ; 3. La SMP de non-combat offensif qui s’engage dans des opérations offensives directes en tant que conseillers militaires pendant un conflit ou qui offre des prestations d’entraînement militaire ; et 4. La SMP de non-combat défensif qui n’effectue aucune opération de combat et s’oriente vers des activités défensives telles que la logistique. Acteurs du Secteur Privé, Répression Etatique et Conflits Violents en Afrique | 15
Après la guerre froide et ‘l’effondrement du régime d’apartheid en Afrique du Sud’22, tous les pays du monde, y compris ceux d’Afrique, ont réduit leurs effectifs militaires. Ceci a donné lieu à la tendance à embaucher des entreprises privées pour couvrir les besoins en services militaires dans les conflits armés.23 Les SMP offrent aux États la possibilité de réduire leurs coûts car ceux-ci n’ont plus à couvrir pensions ou avantages sociaux, ainsi que des services plus souples et plus compétents, avec l’avantage de réduire le nombre officiel de victimes nationales.24 Auparavant, ces services prenaient la forme d’activités mercenaires clandestines. Par exemple, certains pays d’Europe utilisaient des mercenaires dans de nombreux pays africains tels que le Congo, l’Angola et la Sierra Leone dans les conflits qui suivirent leur indépendance.25 Cependant, dans le monde contemporain, ceux- ci se sont transformés en entreprises sous la forme de sociétés militaires privées professionnelles qui font ouvertement de la publicité pour leurs services.26 Les actions humanitaires d’Executive Outcomes en Sierra Leone pour coordonner le retour des écoliers et des enseignants dans leurs foyers et pour réhabiliter les enfants-soldats sont considérées comme ce qui fait la différence entre mercenaires et SMP.27 Néanmoins, les SMP sont davantage motivées par le profit, ce qui implique que, contrairement aux mercenaires, elles opèrent pour ceux qui peuvent générer un gain financier, que ce soit le gouvernement ou les parties adverses.28 Par exemple, Executive Outcomes, par l’intermédiaire de l’armée sud-africaine, a participé au conflit angolais au nom du gouvernement contre l’Union nationale pour l’indépendance totale (UNITA) et a aidé les autorités sierra-léonaises à vaincre le Front uni révolutionnaire.29 De plus, Geolink a apporté un soutien militaire au régime de Mobutu pendant la guerre civile congolaise.30 Par conséquent, même si Executive Outcomes s’est engagé dans des actions humanitaires après la guerre en Sierra Leone, ils sont axés sur le profit et de telles actions ne sont que d’intérêt secondaire. Dans certains cas, les SMP ont été utilisées comme un bouclier pour empêcher d’autres pays de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays. Ce fut le cas du PAE américain en Sierra Leone et au Libéria dans les années 199031. Les rôles du PAE américain dans ces guerres n’étaient pas définis et, par conséquent, ils étaient impliqués dans une myriade d’activités, notamment le transport d’armes et de munitions, la construction de barrages routiers, la réparation de routes, la fourniture d’essence, l’assistance à l’évacuation médicale et la fourniture de dispositifs de communication. 3.1.2 Sociétés Multinationales Les sociétés multinationales sont des ‘entreprises ayant des filiales étrangères qui étendent leurs opérations de production et de commercialisation dans plusieurs 16 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
pays’.32 Les sociétés multinationales opèrent dans plusieurs domaines tels que l’exploitation minière, la fabrication, les télécommunications, les services et la finance. Alors que les gouvernements sont les principaux acteurs qui doivent apporter des réponses aux conflits, avec la mondialisation et la montée du commerce transnational, les sociétés multinationales ont été identifiées comme des acteurs pouvant influencer le cours des répressions et des conflits.33 Elles peuvent le faire, premièrement, en utilisant leur influence pour promouvoir la paix et éviter les conflits.34 Deuxièmement, elles peuvent soutenir l’une ou l’autre des parties et prolonger le conflit. Troisièmement, elles peuvent elles-mêmes être complices de la répression et des conflits en se livrant à des violations des droits de l’homme, en endommageant l’environnement et en créant des affrontements entre les habitants. Les sociétés multinationales ont joué un rôle vital dans la poursuite de la régression de l’État et des conflits en Afrique. Le Conseil de sécurité de l’ONU l’a souligné pour la première fois en 2001, en concluant que35 : Le rôle du secteur privé dans l’exploitation des ressources naturelles et la poursuite de la guerre a été vital. Un certain nombre d’entreprises ont été impliquées et ont directement alimenté la guerre, échangeant des armes contre des ressources naturelles. D’autres ont facilité l’accès à des ressources financières qui sont utilisées pour acheter des armes. Les sociétés de commerce de minerais, que le Groupe considère comme « le moteur du conflit en République démocratique du Congo », ont préparé le terrain pour les activités minières illégales dans le pays. Ce rapport a demandé aux gouvernements de tenir ces entreprises pour responsables au niveau national, bien qu’à ce jour, il n’y ait aucune preuve que cela ait été fait. 3.2 Responsabilité des Acteurs du Secteur Privé dans la Répression et les Conflits Violents Les droits de l’homme au niveau international et les lois humanitaires ont été rédigés ‘en pensant aux États’, ce qui en fait les ‘principaux responsables des droits et des responsabilités’ tout en accordant aux individus des droits qu’ils peuvent revendiquer contre les États.36 Par conséquent, le statut des multinationales et des SMP embauchés pour mener des opérations militaires au nom des États peut prêter à confusion. Acteurs du Secteur Privé, Répression Etatique et Conflits Violents en Afrique | 17
3.2.1 Responsabilité des SMP en Droit International Alors que les SMP sont parfois directement impliquées dans des conflits armés, les gouvernements insistent sur le fait qu’elles sont des ‘entrepreneurs civils’ et doivent donc être considérées comme des individus et non comme des combattants.37 L’affaire Akayesu du Tribunal pénal international pour le Rwanda38 indiquait ce qui suit : Les devoirs et responsabilités des Conventions de Genève et des Protocoles additionnels... ne s’appliqueront normalement qu’aux individus de tous grades appartenant aux forces armées sous le commandement militaire de l’une ou l’autre des parties belligérantes, ou aux individus qui ont été légitimement mandatés et sont censés, en tant qu’agents publics ou agents ou personnes détenant par ailleurs l’autorité publique ou représentant de facto le gouvernement, soutenir ou accomplir les efforts de guerre. Cela implique que les acteurs non étatiques ne peuvent être considérés comme des auteurs ‘que si leurs actes peuvent être attribués comme étant partie au conflit’.39 Cela exonérerait plusieurs SMP qui ne sont pas mandatées pour participer directement aux hostilités.40 Cependant, des affaires ultérieures au niveau international ont établi que les individus ayant un ‘lien factuel avec l’État, qui est partie au conflit’ peuvent être considérés comme des agents de l’État.41 Les parties au conflit devraient exercer un contrôle sur ces individus. Par conséquent, si des membres d’une SMP ou la SMP sont intégrés dans les forces armées conformément aux articles 4A(1) et 4A(2) de la Convention de Genève III, et à l’article 43(1) de son Protocole I, et agissent en tant que combattants, ils ne bénéficieront pas du statut civil. Néanmoins, il existe une ambiguïté lorsqu’une société minière ou une organisation non gouvernementale embauche la SMP puisque ces derniers n’exercent pas d’autorité publique. En 2008, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en collaboration avec le Département fédéral suisse des affaires étrangères, a adopté le Document de Montreux relatif aux obligations juridiques internationales pertinentes et les bonnes pratiques pour les États liés aux opérations des entreprises militaires et de sécurité privées pendant un conflit armé (Document de Montreux).42 Certains pays africains tels que l’Angola, la Sierra Leone et l’Afrique du Sud ont participé au processus de rédaction du document de Montreux et depuis lors, l’Ouganda et Madagascar ont rejoint le document.43 Bien qu’il ne soit pas un document juridiquement contraignant, le Document de Montreux fournit le cadre dans lequel les SMP doivent opérer. 18 | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
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