LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LES PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN AFRIQUE - Rapport Régional June 2021

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LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LES PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN AFRIQUE - Rapport Régional June 2021
LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ
DANS LES PROCESSUS DE
JUSTICE TRANSITIONNELLE
EN AFRIQUE
Rapport Régional

June 2021
LE RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LES PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN AFRIQUE - Rapport Régional June 2021
À PROPOS DE
LA COALITION
INTERNATIONALE
DES SITES DE
CONSCIENCE
La Coalition internationale des sites de conscience (ICSC ou la
Coalition) est un réseau mondial de musées, de sites historiques
et d’initiatives locales dédiés à la construction d’un avenir plus
juste et pacifique en engageant les communautés à se souvenir
des luttes pour les droits humains et à aborder leurs répercussions
modernes. Fondée en 1999, la Coalition compte aujourd’hui
plus de 300 membres de Sites de conscience dans 65 pays. La
Coalition soutient ces membres à travers sept réseaux régionaux
qui encouragent la collaboration et l’échange international de
connaissances et de bonnes pratiques. L’Initiative mondiale pour la
justice, la vérité et la réconciliation est un programme phare de la
Coalition.

En savoir plus sur www.sitesofconscience.org.

Légende de la photo de couverture : Exploitation minière de Wolframite et de
cassérite en République démocratique du Congo en 2007. Crédit : Julien Harneis
À PROPOS DE CE RAPPORT
Le présent rapport est le produit d’un projet du consortium GITJR 2021 dirigé par la Coalition
Internationale des Sites de Conscience (ICSC), qui a cherché à examiner les processus de
justice transitionnelle passés et présents impliquant des acteurs privés, en mettant l’accent sur
la responsabilité pour les violations graves des droits de l’homme et interventions locales en
Afrique et en Amérique latine. L’objectif principal du projet était de tirer des enseignements des
expériences passées tout en cherchant à guider la conception de futurs processus formels et
informels qui prennent en compte les rôles et les responsabilités des acteurs du secteur privé
dans la justice transitionnelle.

Au cœur du projet a été la préparation de rapports régionaux pour l’Afrique et l’Amérique latine,
respectivement, qui examinent le rôle du secteur privé dans la justice transitionnelle, notamment
les interventions locales axées sur la responsabilité du secteur privé. ABA ROLI a dirigé l’étude
régionale sur le Rôle et responsabilités des acteurs du secteur privé dans les processus de
justice transitionnelle en Afrique. Les conclusions et recommandations du rapport ont été
étayées par une consultation en ligne en avril 2021 avec des experts et des praticiens des deux
régions qui ont été impliqués dans des initiatives de justice transitionnelle qui incluent des
acteurs du secteur privé ou ont examiné les rôles et responsabilités des acteurs du secteur privé.

La région Afrique en particulier a été témoin de multiples processus de justice transitionnelle au
cours des deux dernières décennies ; entre-temps, c’est aussi l’un des continents les plus riches
en ressources qui a suscité un intérêt considérable de la part du secteur privé, ce qui l’a amené à
s’impliquer dans des violations flagrantes des droits de l’homme et des crimes économiques et
environnementaux avec des effets dévastateurs sur des sociétés déjà en difficulté. Des tentatives
pour identifier et aborder le rôle des acteurs du secteur privé dans les violations des droits de
l’homme ont eu lieu dans certains contextes, mais il y a eu un manque général d’informations et
de recherches effectuées pour interroger pleinement les défis et les opportunités afin de tenir les
acteurs du secteur privé responsables de leurs actions. Mieux comprendre le rôle de ces acteurs
et examiner les tentatives visant à tenir les acteurs du secteur privé responsables de leurs actions
est un objectif principal de cette étude et peut aider à identifier les défis, les stratégies, les leçons
apprises et les meilleures pratiques pour examiner le rôle du secteur privé dans le contexte des
initiatives de justice de conflit et post-conflit. Le rapport cherche donc à combler une lacune
notable dans la compréhension du comment et du pourquoi de l’implication du secteur privé
dans la commission de violations des droits de l’homme dans le contexte des conflits et à faire
des propositions de mesures institutionnelles et juridiques afin de désigner les responsables et
d’améliorer la prévention de ces pratiques.

REMERCIEMENTS :

AUTEURS PRINCIPAUX                  ÉDITEUR
Dr. Tarisai Mutangi                 Ismene Zarifis
Dr. Ashwanee Budoo
Dr. Japhet Biegon
Dr. Evelyne Asaala

                                                                            À Propos de ce Rapport |   1
À PROPOS DE L’INITIATIVE
MONDIALE POUR LA
JUSTICE, LA VÉRITÉ ET LA
RÉCONCILIATION (GIJTR)
Fondée par la Coalition Internationale des Sites de Conscience, l’Initiative
mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR) est un consortium
de neuf organisations du monde entier dédiées aux approches multidisciplinaires,
intégrées et holistiques de la justice transitionnelle.

Partout dans le monde, il y a un appel croissant à la justice, à la vérité et à la
réconciliation dans les pays où les séquelles de graves violations des droits de
l’homme jettent une ombre sur les transitions. Pour répondre à ce besoin, la
Coalition Internationale des Sites de Conscience (ICSC) a lancé l’Initiative
mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR) en août 2014.
L’objectif de la GIJTR est de relever de nouveaux défis dans les pays en conflit ou en
transition qui luttent avec leur héritage de violations graves des droits de l’homme
passées ou en cours.

Le Consortium GIJTR (« le Consortium ») est composé des neuf organisations
partenaires suivantes :

    •    • Coalition Internationale des Sites de Conscience, aux États-Unis (chef de
         file) ;
    •    Initiative sur l’état de Droit de l’Association du Barreau Américain (ABA
         ROLI), aux États-Unis ;
    •    Asie justice et droits (AJAR), en Indonésie ;
    •    Centre pour l’étude de la violence et de la réconciliation (CSVR), en Afrique
         du sud ;
    •    Centre de documentation du Cambodge (DC-CAM), au Cambodge ;
    •    Due Process of Law Foundation (DPLF) [Fondation pour le respect de la loi],
         aux États-Unis ;
    •    Fondation d’anthropologie médico-légale du Guatemala (Fundación de
         antropología forense de Guatemala – FAFG), au Guatemala ;

2   |   Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
•   Centre de droit humanitaire (HLC), en Serbie ; et
   •   Public International Law & Policy Group (PILPG) [Groupe public
       international pour la loi et les politiques], aux États-Unis.

En plus de tirer parti des différents domaines d’expertise des partenaires du
Consortium, l’ICSC s’appuie sur les connaissances et les relations communautaires
de longue date de ses plus de 275 membres dans 65 pays afin de renforcer et d’élargir
le travail du Consortium.

Les partenaires du Consortium, ainsi que les membres du réseau de l’ICSC,
développent et mettent en œuvre une gamme de programmes de réponse rapide
et à fort impact qui utilise à la fois des approches réparatrices et rétributives de
la justice pénale et de la responsabilité pour les violations graves des droits de
l’homme. Le Consortium adopte une approche interdisciplinaire de la justice, de
la vérité et de la responsabilité. Dans l’ensemble, les partenaires du Consortium
possèdent une expertise dans les domaines suivants :

   •   Révélation de la vérité, commémoration et autres formes de mémoire
       historique et de réconciliation ;
   •   Documentation des violations des droits de l’homme à des fins de justice
       transitionnelle ;
   •   Analyses médico-légales et autres efforts liés aux personnes portées
       disparues ;
   •   Plaidoyer pour les victimes, y compris pour leur droit d’accéder à la justice, à
       un soutien psychosocial et à des activités d’atténuation des traumatismes ;
   •   Fourniture d’une assistance technique et renforcement des capacités des
       militants et des organisations de la société civile à promouvoir et à s’engager
       dans les processus de justice transitionnelle ;
   •   Initiatives de justice réparatrice ; et
   •   La garantie et l’intégration de la justice pour les femmes dans ces processus
       et dans tous les autres processus de justice transitionnelle.

Compte tenu de la diversité des expériences, des connaissances et des compétences
au sein du Consortium et des membres du réseau de l’ICSC, la programmation
du Consortium offre aux pays sortant d’un conflit et aux pays sortant de régimes
répressifs une occasion unique de répondre aux besoins de justice transitionnelle
en temps opportun tout en promouvant simultanément la participation locale et le
renforcement des capacités des partenaires communautaires.

                      À Propos de l’Initiative Mondiale pour la Justice, la Vérité et la Réconciliation |   3
Grâce à un programme ABA ROLI, les résidents ruraux du Sud-Kivu
 déplacés par l’exploitation minière discutent des dommages
 environnementaux et sociaux auxquels ils sont confrontés en RDC.

À PROPOS DE L’INITIATIVE
POUR L’ÉTAT DE DROIT
DE L’AMERICAN BAR
ASSOCIATION
ABA ROLI, membre du consortium GITJR, a mis en œuvre des projets dans le
monde et à travers l’Afrique avec un accent particulier sur le renforcement
de la gouvernance et du système judiciaire, les droits de l’homme et l’accès
à la justice, la réforme du secteur de la justice et la promotion de l’état de
droit, les transitions, l’atténuation des conflits et la consolidation de la paix.
Plusieurs projets se sont concentrés sur la prévention des atrocités et le
soutien aux processus de justice transitionnelle, en particulier dans les états
fragiles sortant d’un conflit de la région. ABA ROLI met actuellement en
œuvre des projets au Bénin, au Burkina Faso, en République centrafricaine, en
République démocratique du Congo, en eSwatini, en Gambie, au Libéria, au
Niger, en Somalie, au Soudan, en Tanzanie, en Ouganda et un projet régional
                             d’Afrique australe, avec une présence en Angola, au
                             Mozambique, en Afrique du Sud et en Zambie. Pour
                             plus d’informations, voir : https://www.americanbar.
                             org/advocacy/rule_of_law/

4   |   Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
ABRÉVIATIONS
ACLED		   Projet de données sur l’emplacement et les événements des
          conflits armés
AUTJP		   Politique de justice transitionnelle de l’Union africaine
CADHP		   Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
CADHP		   Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
CAEDBE    Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant
CICR		    Comité international de la Croix-Rouge
CVJR		    Commission vérité, justice et réconciliation
DAG		     Groupe consultatif Dyck
DDH		     Défenseur des droits humains
FPR		     Front patriotique rwandais
FRU		     Front révolutionnaire uni
GIJTR		   Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation
IBM		     International Business Machines
JT		      Justice transitionnelle
LRA		     Armée de résistance du Seigneur
MNC		     Société multinationale
OCDE		    Organisation de coopération et de développement économiques
ONG		     Organisation non gouvernementale
ONU		     Organisation des Nations Unies
RCA		     République centrafricaine
RDC		     République Démocratique du Congo
RTLM		    Radio-Télévision Libre des Mille Collines
SATRC		   Commission vérité et réconciliation de l’Afrique du Sud
SMP		     Société militaire privée
TPIR		    Tribunal pénal international pour le Rwanda
TSSL 		   Tribunal spécial pour la Sierra Leone
UA		      Union africaine
UE		      Union européenne
UNITA		   Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola
US		      États-Unis

                                                               Abréviations |   5
TABLE DES
MATIÈRES
Abbreviations............................................................................................5
1. Présentation...........................................................................................8
2. Justice Transitionnelle en Afrique : Fondements Conceptuels et
   Normatifs..........................................................................................10
       2.1 Une Approche Africaine de la Justice Transitionnelle................................11
       2.2 Cadre Normatif pour la Responsabilité des Entreprises.............................12

3. Acteurs du Secteur Privé, Répression Etatique et Conflits
   Violents en Afrique...............................................................................15
       3.1 Éventail et Variété des Acteurs du Secteur Privé.........................................15
               3.1.1 SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES..............................................................15
               3.1.2 SOCIÉTÉS MULTINATIONALES...............................................................16

       3.2 Responsabilité des Acteurs du Secteur Privé dans la Répression
           et les Conflits Violents...................................................................................17
               3.2.1 RESPONSABILITÉ DES SMP EN DROIT INTERNATIONAL......................18
               3.2.2 RESPONSABILITÉ DES SOCIÉTÉS MULTINATIONALES SELON LE
                      DROIT INTERNATIONAL.........................................................................19
       3.3 Motifs des Violations Commises par Certains
           Acteurs du Secteur Privé...............................................................................21
               3.3.1 MOTIFS ÉCONOMIQUES ET RESSOURCES NATURELLES.....................21
               3.3.2 POLITIQUE.............................................................................................22

       3.4 Types de Violations par les Acteurs du Secteur Privé.................................23
               3.4.1 CRIMES DE GUERRE...............................................................................23
               3.4.2 DÉLITS ÉCONOMIQUES........................................................................24
               3.4.3 DÉLITS ENVIRONNEMENTAUX..............................................................24
               3.4.4 VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME...............................................24

       3.5 Victimes de Violations Commises par Certains
            Acteurs du Secteur Privé...............................................................................25

6   | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
4. Justice Transitionnelle, Engagement du Secteur Privé et
   Responsabilité des Entreprises...........................................................27
       4.1 Commissions Vérité.......................................................................................27
                4.1.1 COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION D’AFRIQUE DU SUD.........29
                4.1.2 COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU LIBÉRIA....................30
                4.1.3 COMMISSION VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉCONCILIATION DU KENYA.......31
                4.1.4 COMMISSION VÉRITÉ ET JUSTICE DE L’ILE MAURICE..........................33
                4.1.5 COMMISSION NATIONALE POUR L’UNITÉ ET LA
                       RÉCONCILIATION DU RWANDA.............................................................33
                4.1.6 COMMISSION VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DE LA SIERRA LEONE....33
       4.2 Procès et Responsabilité Judiciaire...............................................................34
                4.2.1 PROCÈS PÉNAUX....................................................................................34
                4.2.2 POURSUITES CIVILES : TRIBUNAUX NATIONAUX ET
                        TRANSNATIONAUX...............................................................................36
       4.3 Programmes de Réparation...........................................................................37

5. Défis, Opportunités et Leçons dans la Poursuite de la
   Responsabilité des Entreprises............................................................41
       5.1 Défis.................................................................................................................41
                5.1.1 DÉFIS RENCONTRÉS PAR LES COMMISSIONS VÉRITÉ..........................41
                5.1.2 DÉFIS LIÉS À LA POURSUITE DES PROCÈS ET À LA
                       RESPONSABILITÉ JUDICIAIRE...............................................................43
       5.2 Opportunités et Enseignements...................................................................44
                5.2.1 PROTOCOLE DE MALABO......................................................................44
                5.2.2 CADRE POLITIQUE DE L’UA SUR LES ENTREPRISES ET
                        LES DROITS DE L’HOMME.....................................................................46
                5.2.3 ORGANES ET MÉCANISMES AFRICAINS DES TRAITÉS
                        RELATIFS AUX DROITS DE L’HOMME....................................................46
                5.2.4 PARTICIPATION ACTIVE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE..................................48
                5.2.5 INSTRUMENT JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT SUR
                        LES SOCIÉTÉS TRANSNATIONALES.....................................................48

6. Conclusion et Recommandations.......................................................49
Bibliographie...........................................................................................51
Les Références........................................................................................56

                                                                                                     Table des Matières |       7
1. PRÉSENTATION
Le fléau des conflits violents et l’omniprésence d’un régime autoritaire ont longtemps
défini l’histoire politique et socio-économique de l’Afrique postcoloniale. Depuis
des décennies, les guerres civiles ne cessent de gronder de l’Afrique du Nord
à la région des Grands Lacs, et des régions du lac Tchad et du Sahel à la Corne
de l’Afrique. Au fil des ans, le continent est devenu l’épicentre des opérations de
maintien de la paix des Nations Unies (ONU) 1. Dans le même ordre d’idées, il est
courant que les pays africains figurent, voire dominent, la liste annuelle de l’ACLED
des « Dix conflits à craindre » ou les « Dix conflits à surveiller »2 d’International
Crisis Group. Les conflits en Afrique ne sont pas étrangers au fait que de nombreux
pays de la région ont connu un régime autoritaire à certains moments précis de
leur histoire. Pour la majeure partie de l’Afrique, l’indépendance de la domination
coloniale dans les années 1950 et 1960 n’a pas été accompagnée d’une liberté
significative et tangible pour les populations locales. Au lieu de cela, la domination
coloniale a été rapidement remplacée par la dictature et la répression d’État. Il n’est
pas surprenant que dans le Rapport sur la liberté dans le monde, la majorité des
pays africains aient souvent été classés comme « partiellement libres » ou « non
libres ». 3

Cependant, depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, lorsque la
soi-disant troisième vague de démocratisation a balayé le continent, de nombreux
pays africains ont connu une certaine forme de transition politique. Avec une telle
transition est venue le besoin urgent de faire face aux violations flagrantes des droits
de l’homme et aux crimes de droit international commis dans le cadre de conflits
violents et de régimes répressifs. Le résultat est que les mécanismes de justice
transitionnelle, tels que les poursuites, la révélation de la vérité, la réconciliation,
l’amnistie, les réparations, la commémoration et les garanties de non-répétition, ont
proliféré sur le continent, bien qu’avec des degrés de succès variables. De sombres
héritages et des épisodes passés de répression étatique ont contraint des pays
comme l’Éthiopie, la Gambie, l’Afrique du Sud et la Tunisie à recourir à la justice
transitionnelle. En Côte d’Ivoire, au Kenya et au Zimbabwe, des mécanismes de
justice transitionnelle ont été mis en place après que les violences électorales ont
menacé la stabilité nationale. Dans d’autres pays, dont le Burundi, la République
centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), le Libéria, la
Sierra Leone, le Soudan du Sud, le Soudan, l’Ouganda et le Rwanda, le déclencheur
a été ou est une guerre civile généralisée.

Trois décennies d’expérimentation et de mise en œuvre de la justice transitionnelle
en Afrique ont généré un corpus relativement important de connaissances et
d’enseignements pour les acteurs étatiques et non étatiques. Pourtant, il reste
encore des lacunes dans l’étude et l’interrogation du sujet. Ce rapport traite l’une

8   |   Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
de ces lacunes, à savoir la place et le rôle des acteurs du secteur privé dans les
processus de justice transitionnelle sur le continent. Il s’agit d’un problème
particulièrement important en Afrique. Les acteurs du secteur privé, y compris
les sociétés militaires privées et les sociétés multinationales, ont été activement
impliqués dans de nombreux conflits insolubles du continent, souvent à des fins
économiques ou avec l’arrière-pensée d’exploiter et de piller illégalement les
ressources naturelles des pays concernés. Dans le processus, des acteurs privés ont
été responsables de violations flagrantes des droits de l’homme, d’une dégradation
massive de l’environnement et de crimes économiques. Plusieurs mécanismes de
justice transitionnelle à travers l’Afrique ont cherché à lutter contre les violations
et les crimes commis par des acteurs privés, mais ces expériences doivent encore
être complètement systématisées et étudiées de manière approfondie. Ce rapport
vise à entreprendre ce type d’étude et, ce faisant, à contribuer à une meilleure
compréhension des stratégies, des défis, des leçons apprises et des meilleures
pratiques en matière de responsabilité des acteurs privés.

Ce rapport s’appuie sur une analyse approfondie de la littérature sur la justice
transitionnelle en Afrique, y compris les rapports des commissions de vérité, les
accords de paix, les statuts nationaux, les rapports des organes pertinents de l’Union
africaine (UA) et les jugements et décisions des cours et tribunaux aux niveaux
national, régional et international. Le rapport est également basé sur une revue de la
littérature académique pertinente. Le rapport intègre également les enseignements
d’un atelier virtuel de deux jours organisé les 26 et 27 avril 2021 sur « Les rôles
et responsabilités des acteurs du secteur privé dans la justice transitionnelle en
Afrique et en Amérique latine : un échange interrégional ». Convoqué par l›Initiative
mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR), l›atelier a cherché à
créer une plate-forme pour développer un ensemble de bonnes pratiques et de
leçons apprises concernant la responsabilité du secteur privé pour la commission
de divers types d›atteintes aux droits de l’homme dans les deux régions, ainsi que
de sensibiliser aux rôles que les acteurs du secteur privé ont joué dans les processus
de justice transitionnelle.

En termes de structure, la deuxième partie du rapport s’intéresse au concept de
justice transitionnelle en mettant l’accent sur un cadrage et une approche africaine
du sujet. La troisième section documente et analyse l’implication des acteurs du
secteur privé dans les conflits violents et la répression étatique en Afrique. Il met en
évidence leurs motivations, l’étendue de leur implication et les types de violations. La
quatrième partie est une analyse de la mesure dans laquelle les processus de justice
transitionnelle en Afrique ont été des lieux de poursuite de la responsabilité des
acteurs du secteur privé et de la mesure dans laquelle ces acteurs ont été engagés
dans ces processus. La cinquième section explore les leçons, les opportunités et
les défis dans la poursuite de la responsabilité des entreprises à travers la justice
transitionnelle en Afrique. La sixième section conclut le rapport par une série de
recommandations.

                                                                        Présentation |   9
2. JUSTICE
TRANSITIONNELLE
EN AFRIQUE :
FONDEMENTS
CONCEPTUELS ET
NORMATIFS
La justice transitionnelle fait essentiellement référence aux choix politiques que
les peuples émergeant de conflits violents et de régimes répressifs adoptent afin
de tenir compte de l’héritage d’atrocités de masse et de violations flagrantes des
droits de l’homme. Dans ce sens, les Nations Unies (ONU) définissent la justice
transitionnelle comme « l’ensemble des processus et mécanismes associés aux
tentatives d’une société de faire face à un héritage d’abus passés à grande échelle,
afin d’assurer la responsabilité des coupables, de servir la justice et parvenir à la
réconciliation »4. L’ONU ajoute que ces processus et mécanismes « peuvent inclure
à la fois des mécanismes judiciaires et non judiciaires, avec des niveaux différents
d’implication internationale (ou pas du tout) et des poursuites individuelles, des
réparations, la recherche de la vérité, une réforme institutionnelle, un contrôle et
des révocations, ou un combinaison de ceux-ci ».5

Bien que la définition de la justice transitionnelle semble simple, la pratique et
l’expérience ont montré que différentes régions et sociétés du monde mettent
l’accent sur différents processus et mécanismes dans leur conceptualisation du
terme. En Afrique, le rôle central des acteurs internationaux dans la promotion de
la justice transitionnelle sur le continent a fait que le terme est souvent considéré
comme défini et importé de l’extérieur. Pour cette raison, il a été avancé que le
cadre dominant de la justice transitionnelle ne capte pas de manière adéquate
l’imagination et les conceptions culturelles de la justice au sein des sociétés
africaines.

10   | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
2.1    Une Approche Africaine de la Justice Transitionnelle

L’étude de 2019 sur la justice transitionnelle de la Commission africaine des
droits de l’homme et des peuples (CADHP) identifie certaines des limites de la
compréhension traditionnelle de la justice transitionnelle. Par exemple, le rapport
note que la définition traditionnelle de la justice transitionnelle a un fort préjugé
légaliste qui donne la préférence à la justice punitive ou pénale par opposition à la
justice réparatrice. Dans ce contexte, la CADHP note qu’une conception holistique
de la justice transitionnelle devrait être basée sur une « détermination contextuelle à
la fois de l’équilibre entre les différentes dimensions de la JT et de l’aspect particulier
sur lequel une société transitionnelle peut choisir de mettre l’accent ».6 La CADHP
blâme également le discours dominant sur la justice transitionnelle dans la mesure
où il traite principalement de violations des droits civils et politiques. Le rapport note
que la justice transitionnelle devrait également s’attaquer aux inégalités sociétales,
aux violations des droits socio-économiques, au détournement de fonds publics et
à la corruption.7

Afin d’articuler un cadrage africain de justice transitionnelle, la Politique de justice
transitionnelle de l’UA (AUTJP) a été adoptée en février 2019. La nécessité et les
arguments en faveur d’une telle articulation ont été formulés dans le rapport 2013
du Groupe des sages de l’UA intitulé « Peace, justice and reconciliation in Africa:
Opportunities and challenges in the fight against impunity »8 [Paix, justice et
réconciliation en Afrique : opportunités et défis dans la lutte contre l’impunité].
L’AUTJP définit la justice transitionnelle comme les « diverses mesures politiques
(formelles et traditionnelles ou non formelles) et les mécanismes institutionnels
que les sociétés, par le biais d’un processus consultatif inclusif, adoptent afin de
surmonter les violations, les divisions et les inégalités passées et de créer des
conditions tant pour la sécurité que pour la transformation9 démocratique et socio-
économique ». La Politique poursuit en apportant la clarification suivante :

        Allant au-delà de la rétribution et s’appuyant sur des approches
        de justice traditionnelle mettant l’accent sur la conciliation, la
        participation communautaire et la restitution, la conception
        de la JT avancée dans cette politique cherche à répondre aux
        préoccupations africaines sur les conflits violents et l’impunité à
        travers une politique holistique qui prend en compte le contexte
        particulier et les nuances culturelles des sociétés touchées, ainsi que
        les dimensions sexospécifiques, générationnelles, ethnoculturelles,
        socio-économiques et de développement de la paix et de la justice.10

                         Justice Transitionnelle en Afrique : Fondements Conceptuels et Normatifs |   11
En plus d’une définition, l’AUTJP énonce neuf principes qui devraient éclairer les
processus de justice transitionnelle en Afrique. Ceux-ci sont :11

      i. Les processus de justice transitionnelle relèvent de la responsabilité des
           gouvernements africains et les autres parties prenantes doivent respecter
           ce leadership ;
      ii. Les processus de justice transitionnelle doivent être pris en charge au
           niveau national et local afin de garantir qu’ils sont alignés sur les aspirations
           et les besoins locaux, de garantir une compréhension commune d’une
           vision partagée et de maximiser le soutien et l’appropriation du public ;
      iii. Les processus de justice transitionnelle doivent s’attaquer à l’exclusion et à
           la répartition inéquitable du pouvoir et de la richesse ;
      iv. Les processus de justice transitionnelle doivent être fondés sur les valeurs
           africaines partagées concernant la paix et la sécurité, la justice ou la non-
           impunité, la réconciliation et les droits de l’homme et des peuples élaborés
           dans divers instruments de l’UA ;
      v. Les processus de justice transitionnelle doivent être adaptés au contexte,
           en s’inspirant des conceptions et des besoins de la société en matière de
           justice et de réconciliation ;
      vi. Les processus de justice transitionnelle doivent trouver un équilibre et un
           compromis entre la paix et la réconciliation d’une part, et la responsabilité
           et l’obligation de rendre compte d’autre part ;
      vii. Les processus de justice transitionnelle doivent accorder une attention
           particulière à la violence sexuelle et sexiste ainsi qu’aux modèles d’inégalité
           entre les sexes dans la société qui permettent la violence sexiste ;
      viii. Les processus de justice transitionnelle doivent être mis en œuvre par le
           biais d’une coopération et d’une cohérence entre tous les acteurs ; et
      ix. Les processus de justice transitionnelle doivent construire et renforcer les
           capacités nationales et locales.

En définissant une vision africaine du concept, l’AUTJP fait fonction d’une adoption
et d’une approbation régionales officielles de la justice transitionnelle. Comme
on l’a observé, « plutôt que de rejeter la justice transitionnelle comme un énième
programme imposé de l’extérieur, les institutions africaines articulent leurs propres
valeurs et normes qui s’inspirent des cadres africains des droits de l’homme et des
réflexions sur les expériences nationales à l’intérieur du continent ».12

2.2       Cadre Normatif pour la Responsabilité des Entreprises

L’AUTJP n’aborde pas explicitement la question de la responsabilité des violations
des droits de l’homme et des crimes connexes commis par des acteurs du secteur

12    | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
privé dans le contexte de conflits violents et de régimes répressifs. Cependant, la
Politique fait référence aux acteurs non étatiques, un terme générique suffisamment
large pour couvrir les acteurs du secteur privé. Dans ce contexte, l›un des objectifs
étatiques de l›AUTJP est de favoriser « la responsabilité des acteurs étatiques et non
étatiques pour les violations graves des droits de l’homme ».13 La Politique prévoit
également que les acteurs non étatiques ont un rôle à jouer dans les processus de
justice transitionnelle. Pour commencer, la Politique cherche à renforcer la synergie
et la coordination entre et parmi les divers acteurs impliqués dans les processus
de justice transitionnelle, y compris les acteurs étatiques et non étatiques.14 Elle
encourage également les États à mobiliser des ressources pour les processus de
justice transitionnelle auprès d’un large éventail de parties prenantes, y compris
des acteurs du secteur privé.15

La CADHP a également publié diverses règles normatives applicables à la conduite
des acteurs du secteur privé dans les situations de conflit. Par exemple, les lignes
directrices et principes relatifs aux rapports des États sur les articles 21 et 24 de
la Charte africaine relative aux industries extractives, aux droits de l’homme et à
l’environnement, stipulent que « « Les États doivent adopter une législation et mettre
en place des mesures, en particulier sur la restriction de l’extraction dans les zones
touchées par un conflit et sur la responsabilité pénale des entreprises impliquées
dans des violations des droits de l’homme dans des situations de conflit ».16

Au niveau international, les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux
entreprises et aux droits de l’homme pour la mise en œuvre du Cadre de protection,
de respect et de réparation des Nations Unies (Principes directeurs des Nations
Unies) constituent le cadre principal établi pour aborder les responsabilités des
acteurs du secteur privé en matière de droits de l’homme, ainsi que les devoir de
protection contre les violations des droits de l’homme commises par certains acteurs
du secteur privé. Les principes directeurs ont été adoptés pour tenir compte, entre
autres, du ‘rôle des entreprises commerciales en tant qu’organes spécialisés de la
société remplissant des fonctions spécialisées, tenues de se conformer à toutes
les lois applicables et de respecter les droits de l’homme’ et la ‘nécessité que les
droits et obligations soient assortis de recours appropriés et efficaces en cas de
violation’.17

Le Principe 7 des Principes directeurs traite spécifiquement des opérations des
acteurs du secteur privé dans les zones touchées par les conflits. Il exige des
États qu’ils veillent à ce que les entreprises opérant dans des zones touchées par
des conflits ne soient pas impliquées dans des violations des droits de l’homme,
notamment en s’engageant avec des acteurs du secteur privé pour identifier et
atténuer les risques liés aux droits de l’homme de leurs entreprises et activités.
Le principe 7 exige également des États qu’ils refusent l’accès au soutien et aux
services publics aux entreprises impliquées dans des violations flagrantes des droits

                       Justice Transitionnelle en Afrique : Fondements Conceptuels et Normatifs |   13
de l’homme. Il exige également des États qu’ils veillent à ce que leurs politiques,
législations, réglementations et mesures d’application soient efficaces pour faire
face au risque d’implication des entreprises dans des violations flagrantes des
droits de l’homme.

En plus d’imposer des responsabilités aux États, les Principes directeurs des
Nations Unies incluent une section consacrée à la responsabilité des entreprises
de respecter les droits de l’homme. Le principe 17 exige des entreprises qu’elles
fassent preuve de diligence raisonnable :

           Afin d’identifier, de prévenir, d’atténuer et de rendre compte
           de la manière dont elles traitent leurs impacts négatifs sur les
           droits de l’homme, les entreprises doivent exercer une diligence
           raisonnable en matière de droits de l’homme. Le processus doit
           inclure l’évaluation des impacts réels et potentiels sur les droits de
           l’homme, l’intégration et l’action en fonction des résultats, le suivi
           des réponses et la communication de la manière dont les impacts
           sont traités.

Le Principe 17 est pertinent pour les sociétés multinationales opérant dans des
situations de répression et de conflits violents puisqu’elles doivent faire preuve de
diligence raisonnable afin de s’assurer qu’elles ne contribuent pas au conflit, que ce
soit directement ou indirectement.

En plus des Principes directeurs, le Guide du Pacte des Nations Unies pour une
entreprise responsable dans les zones de conflit et à haut risque vise à aider les
entreprises et autres acteurs du secteur privé à améliorer leur conduite en matière
de droits de l’homme. D’autres cadres normatifs pertinents dans le monde sont
notamment les suivants : Lignes directrices de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) à l’intention des sociétés multinationales;
Outil de sensibilisation aux risques de l’OCDE pour les sociétés multinationales dans
les zones à faible gouvernance ; Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour
des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones
de conflit ou à haut risque ; et Normes de performance de la Société financière
internationale sur la durabilité environnementale et sociale.

14   | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
3. ACTEURS DU
SECTEUR PRIVÉ,
RÉPRESSION ETATIQUE
ET CONFLITS VIOLENTS
EN AFRIQUE
3.1     Éventail et Variété des Acteurs du Secteur Privé
Pour comprendre les motivations derrière l’implication du secteur privé dans le
système de justice transitionnelle, il est important d’élaborer sur le rôle du secteur
privé dans la répression étatique et les conflits violents en Afrique. Plusieurs acteurs
du secteur privé, y compris les sociétés militaires privées (SMP), les sociétés
multinationales, les médias, les sociétés de transport et les institutions financières
ont un rôle à jouer dans la poursuite des conflits armés et de la répression en
Afrique. Aux fins de cette section, nous nous concentrons sur les SMP et les
sociétés multinationales, car ces deux-là ont affecté de manière disproportionnée
la répression étatique et les conflits violents en Afrique.

3.1.1    Sociétés Militaires Privées

Les SMP sont des ‘individus ou des entreprises’18 qui ‘fournissent des services
pour remplacer ou soutenir une armée ou un groupe armé ou pour améliorer leur
efficacité’19 ‘purement sur une base de compensation financière’20. Ils sont divisés en
quatre catégories qui sont les suivantes21 :

      1. La SMP de combat offensif qui s’engage dans des opérations de combat
         offensives directes ;
      2. La SMP de combat défensif qui se trouve dans des zones de combat mais
         qui est de nature défensive, comme la sécurité militaire ;
      3. La SMP de non-combat offensif qui s’engage dans des opérations
         offensives directes en tant que conseillers militaires pendant un conflit ou
         qui offre des prestations d’entraînement militaire ; et
      4. La SMP de non-combat défensif qui n’effectue aucune opération de combat
         et s’oriente vers des activités défensives telles que la logistique.

                       Acteurs du Secteur Privé, Répression Etatique et Conflits Violents en Afrique |   15
Après la guerre froide et ‘l’effondrement du régime d’apartheid en Afrique du Sud’22,
tous les pays du monde, y compris ceux d’Afrique, ont réduit leurs effectifs militaires.
Ceci a donné lieu à la tendance à embaucher des entreprises privées pour couvrir
les besoins en services militaires dans les conflits armés.23 Les SMP offrent aux États
la possibilité de réduire leurs coûts car ceux-ci n’ont plus à couvrir pensions ou
avantages sociaux, ainsi que des services plus souples et plus compétents, avec
l’avantage de réduire le nombre officiel de victimes nationales.24

Auparavant, ces services prenaient la forme d’activités mercenaires clandestines.
Par exemple, certains pays d’Europe utilisaient des mercenaires dans de nombreux
pays africains tels que le Congo, l’Angola et la Sierra Leone dans les conflits qui
suivirent leur indépendance.25 Cependant, dans le monde contemporain, ceux-
ci se sont transformés en entreprises sous la forme de sociétés militaires privées
professionnelles qui font ouvertement de la publicité pour leurs services.26 Les
actions humanitaires d’Executive Outcomes en Sierra Leone pour coordonner
le retour des écoliers et des enseignants dans leurs foyers et pour réhabiliter les
enfants-soldats sont considérées comme ce qui fait la différence entre mercenaires
et SMP.27

Néanmoins, les SMP sont davantage motivées par le profit, ce qui implique que,
contrairement aux mercenaires, elles opèrent pour ceux qui peuvent générer un
gain financier, que ce soit le gouvernement ou les parties adverses.28 Par exemple,
Executive Outcomes, par l’intermédiaire de l’armée sud-africaine, a participé
au conflit angolais au nom du gouvernement contre l’Union nationale pour
l’indépendance totale (UNITA) et a aidé les autorités sierra-léonaises à vaincre le
Front uni révolutionnaire.29 De plus, Geolink a apporté un soutien militaire au régime
de Mobutu pendant la guerre civile congolaise.30 Par conséquent, même si Executive
Outcomes s’est engagé dans des actions humanitaires après la guerre en Sierra
Leone, ils sont axés sur le profit et de telles actions ne sont que d’intérêt secondaire.

Dans certains cas, les SMP ont été utilisées comme un bouclier pour empêcher
d’autres pays de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays. Ce fut le cas du
PAE américain en Sierra Leone et au Libéria dans les années 199031. Les rôles du
PAE américain dans ces guerres n’étaient pas définis et, par conséquent, ils étaient
impliqués dans une myriade d’activités, notamment le transport d’armes et de
munitions, la construction de barrages routiers, la réparation de routes, la fourniture
d’essence, l’assistance à l’évacuation médicale et la fourniture de dispositifs de
communication.

3.1.2      Sociétés Multinationales

Les sociétés multinationales sont des ‘entreprises ayant des filiales étrangères qui
étendent leurs opérations de production et de commercialisation dans plusieurs

16   | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
pays’.32 Les sociétés multinationales opèrent dans plusieurs domaines tels que
l’exploitation minière, la fabrication, les télécommunications, les services et la
finance. Alors que les gouvernements sont les principaux acteurs qui doivent
apporter des réponses aux conflits, avec la mondialisation et la montée du
commerce transnational, les sociétés multinationales ont été identifiées comme des
acteurs pouvant influencer le cours des répressions et des conflits.33 Elles peuvent
le faire, premièrement, en utilisant leur influence pour promouvoir la paix et éviter
les conflits.34 Deuxièmement, elles peuvent soutenir l’une ou l’autre des parties et
prolonger le conflit. Troisièmement, elles peuvent elles-mêmes être complices de
la répression et des conflits en se livrant à des violations des droits de l’homme, en
endommageant l’environnement et en créant des affrontements entre les habitants.

Les sociétés multinationales ont joué un rôle vital dans la poursuite de la régression
de l’État et des conflits en Afrique. Le Conseil de sécurité de l’ONU l’a souligné pour
la première fois en 2001, en concluant que35 :

        Le rôle du secteur privé dans l’exploitation des ressources
        naturelles et la poursuite de la guerre a été vital. Un certain nombre
        d’entreprises ont été impliquées et ont directement alimenté la
        guerre, échangeant des armes contre des ressources naturelles.
        D’autres ont facilité l’accès à des ressources financières qui sont
        utilisées pour acheter des armes. Les sociétés de commerce de
        minerais, que le Groupe considère comme « le moteur du conflit en
        République démocratique du Congo », ont préparé le terrain pour
        les activités minières illégales dans le pays.

Ce rapport a demandé aux gouvernements de tenir ces entreprises pour
responsables au niveau national, bien qu’à ce jour, il n’y ait aucune preuve que cela
ait été fait.

3.2    Responsabilité des Acteurs du Secteur Privé dans
       la Répression et les Conflits Violents

Les droits de l’homme au niveau international et les lois humanitaires ont été
rédigés ‘en pensant aux États’, ce qui en fait les ‘principaux responsables des droits
et des responsabilités’ tout en accordant aux individus des droits qu’ils peuvent
revendiquer contre les États.36 Par conséquent, le statut des multinationales et des
SMP embauchés pour mener des opérations militaires au nom des États peut prêter
à confusion.

                     Acteurs du Secteur Privé, Répression Etatique et Conflits Violents en Afrique |   17
3.2.1      Responsabilité des SMP en Droit International

Alors que les SMP sont parfois directement impliquées dans des conflits armés, les
gouvernements insistent sur le fait qu’elles sont des ‘entrepreneurs civils’ et doivent
donc être considérées comme des individus et non comme des combattants.37
L’affaire Akayesu du Tribunal pénal international pour le Rwanda38 indiquait ce qui
suit :

           Les devoirs et responsabilités des Conventions de Genève et
           des Protocoles additionnels... ne s’appliqueront normalement
           qu’aux individus de tous grades appartenant aux forces armées
           sous le commandement militaire de l’une ou l’autre des parties
           belligérantes, ou aux individus qui ont été légitimement mandatés
           et sont censés, en tant qu’agents publics ou agents ou personnes
           détenant par ailleurs l’autorité publique ou représentant de facto le
           gouvernement, soutenir ou accomplir les efforts de guerre.

Cela implique que les acteurs non étatiques ne peuvent être considérés comme
des auteurs ‘que si leurs actes peuvent être attribués comme étant partie au
conflit’.39 Cela exonérerait plusieurs SMP qui ne sont pas mandatées pour participer
directement aux hostilités.40 Cependant, des affaires ultérieures au niveau
international ont établi que les individus ayant un ‘lien factuel avec l’État, qui est
partie au conflit’ peuvent être considérés comme des agents de l’État.41 Les parties
au conflit devraient exercer un contrôle sur ces individus. Par conséquent, si des
membres d’une SMP ou la SMP sont intégrés dans les forces armées conformément
aux articles 4A(1) et 4A(2) de la Convention de Genève III, et à l’article 43(1) de son
Protocole I, et agissent en tant que combattants, ils ne bénéficieront pas du statut
civil.

Néanmoins, il existe une ambiguïté lorsqu’une société minière ou une organisation
non gouvernementale embauche la SMP puisque ces derniers n’exercent pas
d’autorité publique. En 2008, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en
collaboration avec le Département fédéral suisse des affaires étrangères, a adopté le
Document de Montreux relatif aux obligations juridiques internationales pertinentes
et les bonnes pratiques pour les États liés aux opérations des entreprises militaires
et de sécurité privées pendant un conflit armé (Document de Montreux).42 Certains
pays africains tels que l’Angola, la Sierra Leone et l’Afrique du Sud ont participé
au processus de rédaction du document de Montreux et depuis lors, l’Ouganda
et Madagascar ont rejoint le document.43 Bien qu’il ne soit pas un document
juridiquement contraignant, le Document de Montreux fournit le cadre dans lequel
les SMP doivent opérer.

18   | Le Rôle du Secteur Privé dans les Processus de Justice Transitionnelle en Afrique
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