Le référendum constitutionnel

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Le référendum constitutionnel*

Jacques Robert

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       Depuis près d’un demi-siècle, les consultations référendaires semblent se succéder à un rythme de plus en
       plus soutenu dans de nombreuses démocraties. Comme si le vent nouveau d’une liberté retrouvée incitait les
       citoyens sortis de divers carcans à prendre directement en mains leur propre destinée, et leurs gouvernants,
       par prudence ou démagogie, à les interroger plus souvent pour leur demander leur avis.

L’opération référendaire pose – en elle-même – d’assez complexes problèmes.
   D’abord – qui pourrait l’ignorer? – il s’agit d’une opération lourde, coûteuse, aux résultats
souvent imprévus. Mis à part de petits Etats peu peuplés, à l’esprit civique très développé, il
n’est guère possible, dans le cadre de grandes nations, d’interroger constamment les citoyens,
même sur des problèmes concrets qui devraient les intéresser, au risque de banaliser un
instrument de consultation démocratique et d’encourager une dangereuse abstention. Quel
prix aurait une réponse – positive ou négative – à une question posée qui ne recueillerait
qu’un nombre très faible de suffrages?
   Et puis, l’expérience de nombreux pays ne démontre-t-elle pas qu’il est souvent beaucoup
plus difficile d’obtenir sur un problème l’accord franc et massif d’un peuple que celui des
seuls décideurs politiques? Les électeurs ne sont pas prêts aux mêmes compromis que
les politiciens de métier et moins bien armés pour comprendre, dans leur densité souvent
excessive, le contenu de textes juridiques compliqués et ardus qui ne leur ont point été
toujours très correctement expliqués.
   Sur des questions claires, la représentation politique peut fort bien être d’un avis tout
différent de ses mandants. Qu’on se rappelle le vote, par le Parlement français, il y a quelques
années, de l’abolition de la peine de mort alors que tous les sondages démontraient que,
dans sa grande majorité, le peuple français était favorable à son maintien! Qu’on n’oublie
*
  Session IVBII. Rapports nationaux reçus des: Belgique, J. Velaers & P. Popelier; Canada, J. Woehrling & B.
Morse; Croatie, S. Baric; Finlande, M. Suksi; France, J.-P. Duprat; Israel, Z. Segal; Japon, N. Okada; Pays-Bays,
L. F. M. Besselink; Roumanie, G. Vrable; Royaume Uni, B. Hadfield; USA, W. Fisch.

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pas, plus récemment, le ‘non’ français au référendum sur le Traité-Constitution européen
qui était approuvé massivement par la représentation parlementaire. Au Canada, l’accord
de Charlottetown était rejeté par la population alors qu’il avait obtenu l’adhésion des onze
premiers ministres …
   Le référendum peut par ailleurs se présenter sous différentes formes, obéir à des procédures
dissemblables, emporter des conséquences variées.
   Il peut, par exemple, être consultatif ou décisionnel. On peut vouloir simplement recueillir
l’avis de la population, comme élément d’information, pour une décision future. Ou, au
contraire, lui confier la décision finale, celle que, par son vote, elle imposera au pouvoir
politique qui l’aura saisie. Consultation ou ratification?
   Le référendum n’est pas non plus cantonné à l’acceptation ou au refus d’un texte. Il peut
être utilisé comme un moyen d’arbitrage en cas de conflit entre les pouvoirs.
   S’agissant de l’initiative d’une telle procédure, les modalités sont multiples.
   Le référendum peut être déclenché par le Chef d’Etat et/ou le Premier ministre.
   Il peut l’être aussi par le législateur. Il servira alors à la minorité de voie de recours direct
au peuple (Hongrie et Slovénie). Au Danemark, une demande présentée par un tiers des
membres du Folketing peut déclencher un référendum et il n’est pas rare que le peuple y
arbitre parfois en faveur de la minorité.
   L’initiative est également souvent confiée aux citoyens eux-mêmes. Par pétition, 100.000
citoyens suisses peuvent, par leur signature, déclencher une procédure de référendum
constitutionnel. En Italie, 500.000.
   Ces différentes procédures – on le verra plus loin – peuvent se conjuguer.
   Chacun sait en outre que la façon dont la question soumise à la votation populaire est posée
peut, dans une mesure plus ou moins ample, conditionner la réponse. Tout comme la plus ou
moins grande détermination et énergie de ceux qui en sont les promoteurs.
   Il n’est point recommandé de mélanger plusieurs questions ou de proposer un texte trop
long ou trop embrouillé. Il y a toute une stratégie du référendum qu’il faut bien mettre
au point. Car s’il est aisé de corriger une loi en en votant une autre, il s’avère infiniment
plus délicat de redemander à un peuple entier de revoter à nouveau, sur un texte, même
éventuellement modifié.
   Alors faut-il mettre sur pied un véritable contrôle de la question? Mais par qui? Par une
Cour ou un Conseil constitutionnel? Et quelle nature de contrôle? Sur le fond de la question
ou simplement sur sa formulation?
   Il en est de même de la surveillance et de l’organisation de la procédure du vote. A-t-on
jamais vu une annulation – pour irrégularité grave en cours de campagne – d’une opération
référendaire?

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  On peut faire à nouveau voter le corps électoral qui vient de refuser un projet de loi ou de
constitution, sur un autre projet. Mais à l’évidence pas sur le même …

Toutes ces questions que pose – par elle-même – l’opération référendaire assaillent bien
évidemment et de plein fouet le ‘référendum constitutionnel’.
   Mais qu’est-ce qu’un référendum de cette nature?
   Il est malaisé d’en cerner précisément la notion.
   A première vue, on pourrait avancer qu’il s’agit d’un référendum relatif à la Constitution,
c’est-à-dire au texte formel de la Charte suprême.
   On permettrait ainsi, par un tel mécanisme, aux citoyens de se prononcer sur l’introduction
de la constitution (on parle alors d’un référendum constituant originaire) ou sur sa seule
révision (il s’agit ici d’un référendum constituant dérivé).
   Mais la Constitution ne se limite plus aujourd’hui au seul document qui porte son nom. Au
sens matériel du terme, il se trouve complété par toutes les règles fondamentales portant sur
l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics.
   Ainsi le référendum constitutionnel serait de nos jours un référendum relatif à toutes les
normes essentielles régissant les structures et l’exercice des pouvoirs publics et aux droits de
l’homme. Mais en intégrant ces derniers, ne fait-on point entrer dans le champ du référendum
constitutionnel moderne la plupart des grands problèmes de la société d’aujourd’hui? Tous les
pays sont-ils d’accord?

On voit l’ampleur des problèmes sur lesquels ce rapport général doit susciter notre réflexion.
   Sans prétendre à aucune exhaustivité et en m’excusant auprès des rapporteurs nationaux qui m’ont
confié leurs travaux de ne pouvoir les nommer tous, je voudrai leur dire à chacun à quel point j’ai
apprécié la substance qu’ils m’ont livrée et le profit que j’en ai retiré. Ils se reconnaîtront tous à un
détour ou à un autre de cette communication générale.
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Le référendum constitutionnel me paraît tout à la fois être l’expression affirmée d’une
tradition nationale, le révélateur de la forme d’un Etat, et la conséquence d’une crise aiguë
de la représentation politique.
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I. Il faut toujours en revenir à la Révolution de 1789! Non point parce qu’elle fut – comme
on le prétend un peu trop souvent – à l’origine de tout, mais parce qu’elle marquait le début
d’un foisonnement multiple de réflexions sur le pourquoi et le comment de la gouvernance
des hommes.

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    Certes, dans une Antiquité plus reculée, certains peuples surent se gouverner eux-
mêmes directement. Dans des Etats ou des cités peu nombreux en population, les
discussions se déroulaient au grand jour au cours d’Assemblées de citoyens qui débattaient
contradictoirement des affaires publiques.
    Après tout, le Forum romain ou l’Agora athénienne furent, en leur temps, les lieux
privilégiés d’opérations référendaires permanentes, des sondages grandeur nature.
    Mais si les grands philosophes anciens eurent, les premiers, l’intuition de la catégorisation
des formes politiques, ce fut tout de même la philosophie des Lumières avec surtout
Montesquieu et Rousseau qui vulgarisèrent, les premiers, avec génie, les théories
organisationnelles de la distribution des pouvoirs dans l’Etat et des modalités de leur exercice.
    Ils firent à ce point école qu’on se rattache encore à leur pensée pour distinguer de nos
jours les régimes politiques sur des critères qu’ils proposèrent eux-mêmes …
    Montesquieu avait vu clairement que si les hommes sont parfaitement inaptes à gérer en
corps leurs affaires communes, ils restent tout à fait capables de choisir avec discernement les
meilleurs d’entre eux pour gouverner en leur nom.
    Rousseau était, au fond, plus optimiste, qui estimait que les grandes foules sont porteuses
des grands espoirs et que le peuple souverain ne doit point être tenu trop éloigné de la gestion
directe des affaires de la Cité.
    Ainsi les démocraties modernes choisirent-elles, selon leurs traditions, leurs spécificités
et leurs préférences historiques, de se répartir en démocraties soit ‘représentatives’ soit
‘directes’.
    Les premières se prononcèrent pour une délégation générale, par le peuple souverain, de
l’ensemble de ses pouvoirs à des Assemblées élues par lui pour les exercer. Les secondes
optèrent pour des mécanismes de consultation plus directs, associant régulièrement
l’ensemble des citoyens à la prise des décisions.
    Il n’est dès lors point étonnant qu’aient vite montré leur réticence au référendum les
nations qui adoptaient comme régime politique ‘le parlementarisme’ puisque, par définition,
celui-ci repose sur la toute puissance d’Assemblées élues et contrôlées par le peuple.
    On citera quelques exemples.
    La Grande-Bretagne, mère des Parlements, n’a jamais marqué une prédilection particulière
pour le référendum, en tant que technique régulière de consultation des Britanniques. Ce qui
ne veut pas dire qu’elle ne l’a jamais utilisé. Mais on peut avancer qu’elle n’a pratiquement
utilisé le référendum que lorsque l’organisation de l’Etat était en cause. N’ayant pas de
constitution écrite, l’Angleterre a toujours maintenu une confiance entière dans son Parlement
qui, pouvant tout faire, mettait un point d’honneur à ne jamais toucher aux fondements
monarchiques de l’Etat. Néanmoins, dans certaines conjonctures graves, quand il apparaissait
que l’unité du royaume pouvait se trouver mise en question, soit par une dislocation interne

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soit par son intégration dans un ensemble plus vaste, la consultation directe du peuple lui
parut essentielle. Ainsi en fut-il en 1973, au moment du référendum sur l’Ulster, en 1975, à
l’occasion de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, en 1977 en Ecosse et
au Pays de Galles (pour renforcer leur autonomie), en Irlande du Nord, en 1998.
   La dernière fois, la plus récente, faillit être le référendum prévu pour l’approbation du
Traité-Constitution de l’Europe, mais qui fut renvoyé à plus tard, à la suite des résultats
négatifs des consultations française et néerlandaise organisées antérieurement sur le
même sujet. Dès lors que deux des pays fondateurs de l’Union européenne manifestaient
publiquement et nettement leur désaccord sur un texte qui était proposé à l’ensemble des
pays membres, l’Angleterre – qui n’avait jamais montré une dilection particulière pour une
véritable construction politique européenne – saisissait l’occasion pour éviter de se prononcer.
Dans quel sens, d’ailleurs, l’aurait-elle fait?
   En Allemagne, on rappellera que le référendum était autorisé par la Constitution de Weimar
(1919) mais on l’accusa d’avoir favorisé la montée du nazisme. On le trouve cependant prévu
encore aujourd’hui, mais seulement dans la Constitution de certains Länder.
   Les Scandinaves, de tradition parlementaire, l’utilisent peu. Mais le Danemark y a eu
pourtant recours pour la ratification du Traité de Maastricht et son entrée dans la zone euro.
   Les anciens Etats marxistes ne l’excluaient pas (Constitution soviétique de 1977;
Constitution cubaine de 1976).
   Mais en réalité leurs réticences étaient évidentes. Sans doute pas par un amour immodéré
du principe représentatif, mais par crainte de devoir, aux yeux du monde, administrer la
preuve qu’il y aurait, paradoxalement, une majorité et une opposition dans une démocratie
unanimitaire. Dans une ‘démocratie’ à parti unique, le maniement d’une Assemblée
monolithique qui suit aveuglément les consignes données par le parti est infiniment plus aisé
que la consultation directe de millions de citoyens (pour ne pas dire de ‘sujets’) d’où tout –
même le pire – peut surgir.
   On verra plus loin qu’avec la chute du mur de Berlin et le dégel à l’Est, l’adoption du
référendum s’est multipliée dans les nouvelles démocraties séparées de l’URSS. En Roumanie
(en 1986), en Hongrie (en 1987), en Pologne (le 29 novembre 1987). Comme si, rendus
longtemps muets par la terreur et la dictature d’une nomenklatura implacable, les citoyens
avaient un irrépressible besoin de se défouler en reprenant une parole qui leur avait été
arbitrairement enlevée au nom d’une unanimité qui leur était présentée comme un devoir.
   Le cas belge est très spécifique. Monarchie constitutionnelle à base parlementaire,
la procédure de révision de la Constitution n’inclut pas une participation directe de la
population.
   Les étapes révisionnelles sont très nettement spécifiées. Dans une première phase
‘constituante’, le pouvoir législatif déclare révisables les dispositions constitutionnelles qu’il

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désigne. Puis il est procédé à une dissolution des Chambres qui ouvre une troisième phase au
cours de laquelle les Chambres renouvelées se réunissent et statuent sur les points soumis à
révision. La présence d’au moins deux-tiers des membres est requise et le vote définitif de la
révision est acquis à la même majorité des deux-tiers. Mais des ‘consultations populaires’ sont
prévues au niveau provincial ou communal (art. 41 de la Constitution).
   Il est – en revanche – strictement impossible d’organiser un référendum sur l’existence
même de la Belgique. Mais l’insertion d’une disposition sur la démocratie directe dans la
Constitution serait-elle souhaitable?
   Plusieurs arguments favorables ont été avancés.
   D’abord la plus-value démocratique du référendum. Pour qu’un texte soit vraiment
démocratiquement voté, il ne suffirait pas qu’il soit approuvé par une majorité du peuple, mais
qu’il apparaisse bien comme le résultat d’une évaluation soigneuse et transparente des intérêts
en cause. Est-ce toujours le cas?
   En second lieu, le consentement aux principes constitutionnels obtenu dans le cadre d’un
référendum garantit que la Constitution bénéficie bien du soutien populaire dont elle a un
besoin indispensable en démocratie.
   Mais – et l’objection est ici d’importance – le référendum n’ébranle-t-il pas le régime
représentatif? Un contre-pouvoir substantiel n’est-il pas conféré au peuple, surtout quand il
y a discordance entre la décision du Parlement et celle du peuple? Il est cependant aisé de
répondre que, bien au contraire, le référendum conforte le régime représentatif, l’organisation
fréquente de référendums à l’initiative du peuple contribuant à créer une véritable culture
politique spécifique …
   La question royale qui éclata après la seconde guerre mondiale a constitué à l’évidence
l’un des conflits politiques et constitutionnels les plus dramatiques de l’histoire belge
contemporaine.
   Le Roi Léopold III qui, contrairement à l’avis de ses ministres, avait décidé de rester en
Belgique après la capitulation de son armée le 28 juillet 1940, acceptant ainsi de cesser le
combat et de devenir prisonnier des Allemands, pouvait-il être autorisé en 1945 à rentrer en
Belgique pour y reprendre ses fonctions? Après 5 années de discussions et de délibérations,
le pouvoir législatif décida, sur proposition du gouvernement, d’organiser une consultation
populaire. On débattit longtemps du point de savoir si la réponse finale revenait au peuple
par son vote, ou au pouvoir législatif si n’était conféré au référendum qu’une simple valeur
consultative.
   A la question posée le 12 mars 1950 aux citoyens belges: “Etes-vous d’avis que le Roi
Léopold III reprenne l’exercice de ses pouvoirs constitutionnels”, 57,68% du corps électoral

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répondit positivement. Mais les trois parties du pays adoptèrent une attitude différente. En
Flandre, une nette majorité se prononça en faveur du retour du Roi alors qu’à Bruxelles et en
Wallonie, ce ne furent que des minorités qui l’acceptèrent.
   On connaît la suite. Le Roi rentra le 22 juillet 1950 mais de graves événements intérieurs
se produisirent: grèves, manifestations, sabotages … Le 1er août, le Roi avait abdiqué.
   On conçoit que cette expérience référendaire ait laissé des traces durables en Belgique.
Certains doutèrent même, dès le départ, de sa cohérence. Comment interroger la nation sur la
personne même de son Roi, alors que, conformément à la Constitution, il se situait au-dessus
de la mêlée politique et se trouvait inviolable?
   Et puis n’était-ce point prendre un risque considérable que d’interroger le peuple sur une
question institutionnelle aussi importante dans un pays qui se trouve divisé en trois parties
linguistiquement hétérogènes? N’allait-on point en accentuer encore les fractures?
   Mais, d’un autre côté, refuser le référendum sur une telle question, n’était-ce point
reconnaître que le peuple belge n’existe pas et qu’un Etat qui n’ose pas interroger sa propre
population perd en quelque sorte sa crédibilité, voire même le droit d’exister?
   Plusieurs propositions furent faites pour établir un référendum constitutionnel pour la réforme
de l’Etat. Et la question est toujours récurrente en Belgique (Etat unitaire ou Etat fédéral?) Toutes
furent rejetées. Comme n’eurent aucune suite celles qui furent introduites pour trancher des questions
européennes, compte tenu des inévitables abandons de souveraineté, sur lesquelles il aurait tout de
même été convenable d’attirer directement l’attention des citoyens.
   Ainsi la Constitution belge ne prévoit-elle point aujourd’hui la possibilité de consulter la
population sur l’assentiment d’un Traité européen.
   A l’inverse, le Japon, démocratie représentative à base parlementaire, a prévu le
référendum constitutionnel dans son texte fondateur, mais il semble qu’il n’en ait guère
favorisé la pratique. Il constitue un cas assez spécifique.
   L’alinéa premier de l’article 96 de la Constitution japonaise actuelle stipule en effet que
les amendements à la présente Constitution sont introduits sur initiative de la Diète (Chambre
des Représentants et Chambre des Conseillers) par un vote des deux-tiers au moins de tous les
membres de chaque Chambre. Après quoi, ils sont soumis au peuple pour ratification. Pour
cette ratification, il est prévu un vote affirmatif d’une majorité de tous les suffrages exprimés
lors d’un référendum spécial … ou à l’occasion d’élections fixées par la Diète.
   On voit qu’une issue parlementaire a tout de même été ménagée. Mais ces mécanismes
restent quelque peu illusoires, aucune application pratique n’étant venue les confirmer.
   En revanche – sans doute sous l’influence américaine – l’article 95 de la Constitution a
posé explicitement le principe qu’une loi spéciale s’appliquant exclusivement à une seule
collectivité locale ne peut être adoptée par la Diète sans le consentement de la majorité
des électeurs de la collectivité locale intéressée. Cela pour trois raisons assez évidentes. Il

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faut à tout prix éviter que, par une loi spéciale, des atteintes soient portées aux droits de
l’autonomie locale. Il convient également de respecter scrupuleusement le particularisme de
ces collectivités. Et puis aussi veiller à maintenir une stricte égalité entre elles.
   On retrouve bien là les deux sources constitutionnelles essentielles du régime politique
nippon d’aujourd’hui: le parlementarisme britannique au niveau central; mais aussi la
démocratie directe à l’américaine au niveau local.
   Autant la désignation des décideurs politiques s’opère en effet à Tokyo dans les petits
cénacles des grands caciques des partis par une savante concurrence entre les ‘factions’ qui
constituent, au sein même des formations politiques, des ‘clientèles’ dévouées au chef du clan,
autant, au niveau local, il convient d’associer les citoyens à la vie commune en leur donnant
la possibilité d’élire non seulement les édiles municipaux mais, comme aux Etats-Unis, les
gouverneurs des provinces.
   Ainsi, à certains moments d’une histoire encore récente, le Japon, traditionnellement
libéral-démocrate (c’est-à-dire conservateur) à la Diète, avait élu la plupart des maires de ses
grandes villes et les gouverneurs de ses provinces parmi les leaders de l’opposition socialiste.
Contradiction? Non pas. Mais conscience aiguë que le même profil ne saurait être exigé de
l’élu d’une Assemblée nationale et d’un gestionnaire d’une collectivité locale, si importante et
étendue soit-elle.
   Les Japonais ont toujours fait confiance à leurs élites conservatrices, recrutées dans les
mêmes milieux et sorties souvent des mêmes établissements universitaires prestigieux pour
diriger leur pays, réélisant même souvent à la Diète des élus condamnés sévèrement par la
justice dès lors que leurs intérêts particuliers se confondaient utilement avec l’intérêt – bien
servi – de leurs circonscriptions. En revanche, ils savent parfaitement choisir les meilleurs
d’entre eux pour gérer, au plus proche, leurs affaires locales. Et, pour la quotidienneté vécue,
la compétence prend – pour eux – le pas sur l’appartenance politique.
   Tels sont, choisis sur tous les continents, quelques exemples particulièrement éloquents
de démocraties représentatives qui, monarchies ou républiques, estiment qu’aussi bien leurs
tempéraments nationaux que les réalités sociologiques, géographiques, démographiques qui
sont les leurs les conduisent naturellement à confier la gestion des affaires publiques à des
représentants périodiquement élus par le peuple, qui, à intervalles réguliers, devront lui rendre
des comptes de leur action.
   Cette surveillance, ou ce contrôle, à intervalles prévus par la constitution, leur paraît devoir
suffire à assurer entre mandants et mandataires cette communication nécessaire à la prise
en considération par ceux qui décident des aspirations profondes des citoyens desquels ils
tiennent leurs pouvoirs.

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D’autres pays, tout aussi démocratiques, pensent différemment. Jalousie de l’éventuelle
indépendance de leurs élus? Méfiance à l’égard d’une distanciation qui isolerait les
gouvernants? Crainte d’une non concordance entre le pays légal et le pays réel? Désir – quand
ils le souhaiteraient – de voir l’opinion publique reprendre la main?
    Toutes ces craintes, préoccupations et aspirations se rejoignent sans doute dans ces pays
pour que soit trouvée à l’opération référendaire une séduction à laquelle il ne serait point
désagréable de succomber parfois.

II. La forme de l’Etat conditionne souvent la plus ou moins grande attirance pour le
référendum constitutionnel.
    On pense – bien entendu – tout de suite à la Suisse. Le fait qu’elle soit un Etat fédéral
n’est – à l’évidence – point totalement étranger à sa pratique traditionnelle et constante
du référendum. Elle y est générale aussi bien en matière législative qu’en matière
constitutionnelle, au niveau national comme au niveau des cantons.
    Un référendum constitutionnel y est possible à l’initiative de cent mille citoyens dont les
signatures sont à recueillir en 18 mois. Mais le Parlement peut opposer un contre-projet,
offrant ainsi un choix aux citoyens. Si le contre-projet donne satisfaction aux promoteurs du
référendum, il n’y aura point de référendum …
    L’exécutif n’a jamais l’initiative d’un référendum.
    Ainsi les Suisses peuvent-ils se prononcer – et ils le font effectivement – sur les réformes
institutionnelles, mais aussi sur les choix politiques importants et les problèmes de société
(immigration, suppression de l’armée, manipulations génétiques, politique nucléaire …).
    On notera bien entendu que le faible nombre d’habitants, l’homogénéité et la solidarité
cantonales, une longue pratique des Assemblées du peuple, la tradition du dialogue et
de la discussion publique en commun ont facilité également, en Suisse, la diffusion de
la consultation populaire. Et aussi l’idée que le pays tire sa force et doit son inviolabilité
territoriale à la cohésion nationale, due en grande partie à cette conscience partagée que
le vouloir vivre en commun, qui est une des caractéristiques de la nation, se trouve être en
Suisse une notion pratiquée et vécue. C’est, chaque fois qu’un problème important est posé (et
tout problème constitutionnel peut sérieusement engager l’avenir), que les Suisses, ensemble,
sont appelés à le trancher. Ils se sentent donc, plus et mieux qu’ailleurs, partie prenante à
l’élaboration de leur destin, les gouvernants n’étant, en fin de compte, que les gestionnaires
provisoires d’une ‘entreprise’ dont ils seraient les actionnaires unanimitaires …
    L’Italie, fortement décentralisée, a, de son côté, inscrit dans sa Constitution du 27
décembre 1947 le référendum constituant, sous certaines conditions formelles. Une loi de
révision peut être soumise au référendum si elle est adoptée par les Chambres sans réunir
la majorité des deux tiers de leurs membres. La loi doit elle-même obtenir la majorité des

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suffrages exprimés pour être promulguée. Mais le référendum lui-même doit être demandé
par 500.000 électeurs ou un cinquième des membres d’une des deux Chambres ou 5 conseils
régionaux.
    Tout de même assez rare, le référendum a été utilisé le 7 octobre 2001.
    Aux Etats-Unis, de la même manière que dans d’autres Etats fédéraux, il convient
également de noter la place – non négligeable – faite aux procédés de démocratie semi-
directe. Mais ceux-ci sont utilisés uniquement au niveau des Etats, surtout dans ceux de
l’Ouest, l’Est et le Sud étant restés plus fidèles à la démocratie représentative. Il faut en outre
et surtout remarquer qu’il n’y a jamais eu de référendum à l’échelon national.
    Quant à la révision de la Constitution fédérale, elle ne peut être opérée qu’avec la
participation des Etats fédérés. Deux procédures de révision sont prévues mais elles
n’envisagent ni l’une ni l’autre de recours au référendum. L’une est à l’initiative du Congrès
et suppose un vote par ses deux Chambres à la majorité des deux-tiers; l’autre, à la demande
des Parlements des deux-tiers des Etats fédérés, entraîne la réunion d’une Convention, c’est-
à-dire d’une Assemblée spécialement élue à cet effet. De toute façon, les amendements ainsi
adoptés doivent ensuite être approuvés, dans un délai de quelques années, par les trois-quarts
des Etats fédérés avant d’entrer en vigueur. Cette ratification est faite par les législatures
locales ou par les conventions d’Etat. La Constitution peut donc être modifiée contre l’avis de
certains Etats … Ce qui doit donner à réfléchir à d’autres solutions plus unanimitaires (v. plus
loin).
    Le Canada pourrait aider à cette réflexion.
    Par conformité, sans doute, à la tradition britannique, on y note pourtant une réticence
à utiliser la technique référendaire comme mode d’expression de la souveraineté. Mais la
pratique référendaire, elle, s’est développée autour de la question du Québec. Encore que les
réponses à ces différentes consultations aient été surtout négatives.
    Le référendum québécois de 1980 sur un projet de souveraineté – association a débouché
sur un refus. Comme d’ailleurs – pour se limiter à ces deux exemples – celui de 1995 sur
l’accession à la souveraineté du Québec. En revanche, en 1982, la Constitution canadienne
a été modifiée par l’ajout d’une ‘charte canadienne des droits et libertés’ qui reconnaissait
certains droits aux peuples autochtones et une nouvelle procédure de modification
constitutionnelle … mais sans référendum.
    N’en demeure pas moins une certaine tendance des provinces à l’adoption d’exigences
référendaires en matière de modification de la Constitution du Canada.
    La Colombie britannique et l’Alberta ont adopté des lois qui imposent la tenue d’un
référendum avant que leur Assemblée législative provinciale ne puisse approuver une
modification constitutionnelle.

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   Par ailleurs, dans une décision de 1998, la Cour Suprême du Canada a reconnu qu’une
province canadienne pouvait faire sécession mais uniquement par l’entremise d’une
modification constitutionnelle; Deux modalités sont possibles: l’une exigeant l’accord de
chacune des dix provinces ainsi que celui des autorités fédérales; l’autre, requérant l’adhésion
de ces dernières ainsi que celle des deux-tiers des provinces représentant la moitié de la
population canadienne.
   Mais la Cour a précisé que si la population du Québec décidait, dans un référendum,
par une majorité ‘claire’ et en réponse à une question ‘claire’, de se séparer du Canada,
cela ferait naître à la charge des autorités fédérales et des autres provinces une obligation
constitutionnelle de négocier les modalités de la sécession. En 2000, une loi de clarification
fédérale précisait ce qu’il fallait entendre par une majorité claire et une question claire.
   En 2001, la loi québécoise sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du
peuple québécois et de l’Etat du Québec disposait dans son article 1er que le peuple québécois
peut, en fait et en droit, disposer de lui-même. “Il est titulaire des droits universellement
reconnus en vertu du principe de l’égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes.”
   Dans son article 3 elle précise que le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir
librement le régime politique et le statut juridique du Québec.
   Mais c’est à l’article 4 que la même loi prévoit que lorsque le peuple québécois est
consulté par référendum en vertu de la loi sur la consultation politique, l’option gagnante est
celle qui obtient simplement la majorité des votants.
   Le référendum constitutionnel n’est donc pas explicitement régi par les textes
constitutionnels eux-mêmes mais, en pratique, aussi bien le référendum de 1992 que la
décision de la Cour Suprême sur le Québec ont créé une coutume en vertu de laquelle un
référendum est nécessaire pour toute modification constitutionnelle destinée à opérer la
sécession d’une province.
   On ajoutera – s’agissant de la procédure référendaire – que l’initiative de la consultation
est réservée au gouvernement, que le référendum soit national ou local, mais la loi québécoise
– elle – prend soin d’exiger la participation de l’Assemblée à la formulation de la question.
   Quant au contrôle des opérations référendaires, il se trouve confié au Québec à un ‘Conseil
du référendum’ composé de 3 juges de la Cour du Québec.

On retirera de l’évocation de ces expériences référendaires ‘en milieu fédéral’, les nuances
inévitables des solutions retenues. Nous les avons déjà abordées à propos de la Belgique.

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   Un référendum constitutionnel ne risque-t-il pas, même s’il est souhaitable, d’aggraver,
par ses résultats, surtout s’ils sont contrastés d’une province ou d’un Etat fédéré à l’autre,
les ruptures déjà quasi-consommées entre certains éléments de l’ensemble et ainsi de dresser
encore davantage les communautés composantes les unes contre les autres?
   Un référendum constitutionnel peut-il d’ailleurs, dans son principe, se concevoir dans les
pays où il n’y a pas qu’un seul peuple?
   Si un pays est partagé en plusieurs entités, communautés ou minorités, ne conviendrait-il
pas de les protéger, non point en prohibant chez lui tout référendum, mais en exigeant plutôt,
en cas de référendum sur la Constitution (qui aurait au moins l’avantage de réunir dans un
seul scrutin la population tout entière) un vote positif à une forte majorité (les 2/3 ou les 3/4
des inscrits)? On pourrait aussi envisager la mise sur pied d’une double majorité imposée: une
majorité au sein de la population tout entière et une majorité au sein de chaque communauté
nettement différenciée …
   Le référendum constitutionnel, ciment d’Etats hétérogènes ou partagés? Le référendum
constitutionnel, danger pour la cohésion et l’unité des nations? La question reste ouverte. On
en reparlera …

III.    La tentation référendaire est – enfin – d’autant plus forte que la représentation
politique elle-même est en crise.
    Ce n’est point une coïncidence si nombreux furent, au moment du dégel à l’Est, les
nouveaux Etats indépendants qui décidèrent, dans leur constitution, de prévoir la possibilité
d’un référendum. Ils allèrent même souvent au-delà du simple référendum constitutionnel
pour permettre une consultation plus large du corps électoral sur des problèmes d’intérêt
général.
    Non point parce que le référendum – constitutionnel ou non – figurait dans les critères de
Copenhague et que son existence dans la constitution d’un Etat candidat était une condition de
son éventuelle entrée dans l’Union européenne, mais parce que l’expérience – faite pendant
plus de 4 ans – de Parlements aux ordres d’un parti unique et tout puissant les avait guéris de
toute nouvelle tentative de se faire gouverner trop longtemps, et sans contrôle, par des élus
arbitrairement sollicités, puis totalement manipulés.
    Les peuples devenus ‘libres’ entendaient ne plus retomber sous la férule de communistes
reconvertis qui retrouveraient bien vite leurs vieilles habitudes et leurs détestables méthodes.
Ils exigeaient que la parole leur fût rendue … ou qu’ils puissent être autorisés à la prendre
eux-mêmes directement.
    La Roumanie, qui avait pratiqué déjà une première fois le référendum le 2 mai 1864 lors de
l’approbation du ‘Statut du développement de la Convention de Paris’, ne connut vraiment sa
première constitution référendaire qu’en 1991.

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   L’article 90 de son actuelle constitution dispose que le Président de la République, après
avoir consulté le Parlement, peut demander au peuple d’exprimer par référendum, sa volonté
au sujet des ‘problèmes d’intérêt national’. Et, pour qu’il n’y ait aucune équivoque, l’art. 147
précise que la révision de la Constitution est définitive après son approbation par référendum.
   L’initiative de la révision appartient au Président, aux parlementaires et au peuple.
Et l’approbation de la loi de révision adoptée par le Parlement doit obligatoirement être
sanctionnée par un référendum.
   S’agissant d’une nouvelle constitution, il est prévu la réunion d’une Assemblée
constituante.
   La Roumanie a connu une première loi de révision en 2003. Les problèmes alors
posés n’étaient pas négligeables. Quelle devait être exactement la compétence de la Cour
constitutionnelle de Roumanie pour contrôler les conditions et modalités de l’initiative de la
révision? Ne risquait-on point, en lui confiant des pouvoirs trop étendus, de l’ériger en une
sorte d’Assemblée constituante dérivée? Pourrait-on, d’autre part, modifier par ordonnance les
textes légaux concernant le déroulement du référendum?
   S’est également trouvé soulevé le contrôle préalable sur la loi de révision. La Cour
constitutionnelle a décidé de rejeter les saisines déposées sur ce point car, se prononçant déjà
sur les initiatives de révision, elle n’avait pas à connaître une seconde fois de la loi de révision
sur le fond.
   On notera qu’une loi n°3/2000 sur le référendum a clairement explicité ce qu’il convenait
d’entendre dans l’article 90 de la Constitution par ‘problèmes d’intérêt national’, adoptant de
cette expression une interprétation très libérale.
   Ajoutons enfin que le contrôle de l’initiative référendaire se fait en Roumanie autant
à la lumière de la Constitution qu’à celle des normes internationales ou communautaires
auxquelles a souscrit ou pourrait dans l’avenir souscrire la Roumanie.
   La Pologne, de son côté, n’a point boudé le référendum.
   La loi constitutionnelle du 23 avril 1992 relative au mode de préparation et d’adoption de
la Constitution a posé le principe du caractère obligatoire du référendum comme condition
essentielle du processus de création de la Constitution. Le référendum, pour être positif, doit
recueillir la majorité des votants et aucune exigence de quorum de participation n’est requise
pour sa validité.
   Ainsi s’est déroulé le référendum constitutionnel du 25 mai 1997.
   En revanche, le référendum semble ne devoir être que facultatif s’agissant de simples
révisions constitutionnelles.
   Ici, le vote populaire concerne uniquement les révisions préalablement votées par les
deux Chambres sous la forme d’une loi de révision constitutionnelle (article 235 de la
Constitution).

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    Le référendum apparaît, en fait, comme une confirmation de la loi de révision de la
Constitution et ne peut être engagé que si les modifications constitutionnelles sont relatives
aux principes fondamentaux des chapitres I, II et XII de la Constitution.
    S’agissant de l’initiative de telles consultations référendaires, on notera que seuls un
cinquième du nombre légal des députés (92), le Sénat (à la majorité absolue) et le Président
de la République ont le droit d’exiger du Président de la Diète la conduite d’un référendum de
ratification. En aucune manière, le gouvernement. Donc pas d’exigence du contre seing pour
la décision du Président de la République.
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                                              *        *
On gardera pour la fin le cas assez particulier de la France qui, durant toute son histoire,
a joué en quelque sorte une partie de cache-cache avec le référendum constitutionnel,
l’adoptant puis le rejetant, l’oubliant pendant des décades pour le retrouver après coup avec
enthousiasme, lui faisant tour à tour jouer des rôles divers, le considérant successivement soit
comme une votation souveraine engageant l’avenir du pays et conduisant son initiateur à la
démission en cas d’échec, soit comme une consultation ponctuelle sur un problème provisoire
n’engageant finalement la responsabilité de personne …
    Il faudrait tout de même un jour parvenir à clarifier les choses.
    Que la tradition française soit hostile au référendum constitutionnel, comme d’ailleurs au
référendum en général, est une évidence. En France, on s’est toujours méfié du peuple alors
même qu’on en exaltait les mérites et les vertus!
    Les raisons de cette instinctive aversion à toute consultation populaire générale sont
multiples.
    D’abord, l’attachement des Français, depuis Montesquieu, au régime représentatif et à la
séparation des pouvoirs. Laissons ces derniers agir librement sans interférer inopportunément
dans leurs décisions.
    Ensuite, le souvenir des plébiscites napoléoniens. Toujours présentés sous la forme d’une
question constitutionnelle précise posée au corps électoral (consulat à temps, à vie, Empire)
ils n’étaient en fait que des ‘appels’ du Chef à son peuple … pour qu’il le confirme dans ses
postes ou dans ses choix en lui renouvelant publiquement et spectaculairement sa confiance
par des votes massifs et successifs. Ainsi l’homme au pouvoir s’assurait-il de la permanence
de sa légitimité.
    On ajoutera – troisième raison – que les partis politiques n’ont jamais été favorables à ces
consultations sur questions qui ne leur permettaient pas de compter leurs voix et leur faisaient
perdre leur influence sur l’opinion.
    Enfin, beaucoup de Français restent toujours sensibles à l’absence totale de nuances de
l’opération référendaire. En bref, c’est une procédure du ‘tout ou rien’. On leur soumet un

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texte constitutionnel complet ou une révision partielle sur lesquels ils ne sont conviés qu’à
dire oui ou non. Aucune possibilité d’amendement. Aucun dialogue démocratique! Certes,
on discutera des textes soumis, tout au long de la campagne électorale, mais dans quelles
conditions? Quand les textes sont longs, complexes, touffus, qui les lit vraiment et surtout qui
les comprend?
   Alors le vote se détourne de son objet véritable. Le peuple, qui souvent n’a pas d’avis
précis sur la question, ne fait pas connaître un point de vue qui n’existe pas mais profite de
l’occasion – trop rare – qui lui est donnée de s’exprimer pour faire savoir aux dirigeants du
moment (qui lui proposent précisément eux-mêmes de dire oui ou non) ce qu’ils pensent de
leur politique, de l’action qu’ils mènent, des idéaux – s’ils en ont? – qui les animent …
   On en revient ainsi insensiblement au plébiscite, cette tentation pernicieuse de notre
peuple, monarchique dans son fond, bonapartiste dans sa forme.
   Paradoxalement, en effet, hostile dans son principe au référendum, la France ne l’a point
pour autant exclu de son droit.
   Vingt-deux référendums nationaux y ont été organisés depuis 1791. Et le référendum
constitutionnel y est surtout fréquent.
   Ont été adoptées par référendum les constitutions de 1793 et de l’an III, les constitutions
impériales; plus près de nous, la Constitution de 1946 (après le rejet, également par
référendum, d’un premier projet), la Constitution de 1958 …, sans parler de la consultation,
en 1945, de la nation française sur le point de savoir si, après la ‘parenthèse’ de Vichy, il
convenait de revenir à la Constitution de la IIIème République ou d’élaborer une nouvelle
Constitution.
   La Constitution de 1958 a officialisé le référendum dans deux articles qui ont soulevé de
vives controverses constitutionnelles. A notre avis bien vaines car basées sur des suppositions
fort contestables. On a en effet déduit de la mention dans notre texte constitutionnel du
référendum au détour de deux articles différents (articles 11 et 89), l’un inclus dans le
Titre traitant du Président de la République, l’autre dans celui consacré à la révision
constitutionnelle, que seul pouvait être légitimement constitutionnel celui que consacrait
l’article 89, l’autre ne pouvant être que législatif. Or, dans sa rédaction initiale de 1958,
l’article 11 permettait au Chef de l’Etat de soumettre directement au référendum tout projet
portant sur ‘l’organisation des pouvoirs publics’ … Le but de la Constitution ne serait-il donc
plus d’organiser les pouvoirs publics?
   Certains ont avancé que cette rédaction n’avait été utilisée que pour permettre au Général
de Gaulle de régler directement avec le peuple, sans l’intermédiaire du Parlement, la délicate
question algérienne. Ce qu’il fit en effet. Mais nous sommes nombreux à penser que, comme
dans de multiples domaines de son action, le Général de Gaulle prenait grand soin d’avoir
toujours deux fers au feu.

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