Le rôle du brevet dans les biotechnologies : le cas de la BioValley du Rhin Supérieur - Ministère de l ...

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Le rôle du brevet dans
                                                                 les biotechnologies :
                                                                le cas de la BioValley
                                                                     du Rhin Supérieur
Biotechnologies

                Ä Les résultats préliminaires d’une enquête              ans le contexte actuel de renforcement des droits
                menée auprès d’entreprises de biotechnologie,
                membres de la BioValley du Rhin Supérieur,
                montrent que le brevet est perçu avant tout
                                                                   D     de propriété intellectuelle [6, 13, 14, 17] et d’ex-
                                                                         tension de la brevetabilité au domaine du vivant
                                                                   (depuis la décision Chakrabarty de la Cour suprême des
                comme un moyen de protéger la connaissance         États-Unis en 1980 établissant la brevetabilité d’un
                détenue par l’innovateur, aussi bien dans le       micro-organisme génétiquement modifié), alors même
                but de limiter la concurrence que d’accroître le   que de nombreuses questions restent ouvertes et que
                pouvoir de négociation du détenteur en cas de      des incertitudes substantielles demeurent concernant
                collaboration avec d’autres acteurs.               les développements futurs [18], il paraît essentiel de
                Ainsi, le brevet ne se limiterait pas à un         s’interroger sur le rôle du brevet du point de vue des
                pouvoir d’exclusion des rivaux et imitateurs       entreprises de biotechnologie. S’agit-il simplement
                potentiels. Associée à une fonction de             d’un instrument de limitation de la concurrence, con-
                signalement, la protection offerte par le brevet   formément à la logique d’exclusion habituellement
                lui confère aussi des propriétés (positives et     mise en avant dans les manuels d’économie, ou bien
                négatives) de coordination, voire de               plutôt d’un outil facilitant les interactions avec les
                collaboration inter-organisations.                 autres acteurs de l’innovation, s’inscrivant alors dans
                Cet article analyse la raison d’être, les          une logique de coordination, voire de coopération
                pratiques et les implications du brevet dans       entre organisations ? [8, 10]. En combinant des ap-
                le domaine des biotechnologies, en proposant       ports récents de la littérature économique sur le brevet
                de dépasser la seule représentation du brevet,     à l’étude du cas de plusieurs entreprises de la BioVal-
                traditionnelle en économie, comme                  ley du Rhin Supérieur, la présente contribution fournit
                instrument d’extraction temporaire d’une rente     quelques éléments de réponse et analyse la raison
                de monopole.                                       d’être, les pratiques et les implications du brevet dans
                                                                   le domaine des sciences du vivant et de la santé.

                                                                                              NOTE
                                                                   1. BETA, CNRS-UMR 7522, Université Louis Pasteur Strasbourg I.
                                      Antoine BURETH               Nous remercions S. Baverey pour avoir activement participé
                                         Rachel LEVY               à l’élaboration du questionnaire ainsi que P. Poindron et
                                         Julien PÉNIN              S. Debra, respectivement président et manager général de
                                      Sandrine WOLFF               l’association Alsace BioValley, pour leur soutien dans la con-
                                              BETA 1               duite de l’enquête. Nous remercions également un rapporteur
                                                                   anonyme de la revue.

Éducation & formations − n° 73 − août 2006                                                                                          75
Dans ce secteur particulier, les études empiri-          connaissance, du fait de la prévalence en son sein d’un
             ques menées à ce jour s’accordent généralement sur            système de normes, de valeurs et d’incitations parti-
             la prévalence d’une stricte logique d’exclusion en ce         culier, dénommé Open Science, qui met en exergue la
             qui concerne les stratégies de brevet [5, 15, 16]. Dans       libre publication et communication des connaissances
             l’industrie pharmaceutique notamment, la propension à         scientifiques, ainsi que la priorité à l’antériorité et la
             breveter est bien plus élevée que dans toutes les autres      validation par les pairs [7].
             industries et le brevet est généralement perçu comme               Il convient donc d’étudier ce qu’il en est réellement
             un outil efficace pour protéger une innovation de produit     aujourd’hui des stratégies de brevet dans les biotech-
             [1]. La tarification des médicaments reflète typiquement      nologies. À cette fin, nous présenterons brièvement les
             une stratégie d’extraction de rente, c’est-à-dire d’ex-       propriétés de protection et de signalement du brevet,
             ploitation de l’invention en situation de monopole.           afin d’examiner comment elles contribuent à forger
                  Toutefois, la rupture technologique et organisa-         deux grandes logiques de stratégies d’entreprises : une
             tionnelle liée à l’émergence des biotechnologies nous         logique d’exclusion et une logique de coordination entre
             semble susceptible de modifier ces conclusions. En            organisations. Nous exposerons ensuite les modalités
THÈME

             effet, l’innovation en biotechnologie s’inscrit typique-      de réalisation et les premiers résultats d’une enquête
             ment dans un processus collectif de création de con-          sur les pratiques et les stratégies de brevet des entre-
             naissances, faisant intervenir un réseau d’entreprises et     prises de la BioValley du Rhin Supérieur.
             d’organisations variées. Un acteur isolé ne dispose gé-
             néralement ni des moyens financiers, ni de l’ensemble
             des compétences nécessaires pour mener à bien un pro-               D’UNE LOGIQUE D’EXCLUSION
             jet d’innovation dans sa totalité [20]. En conséquence,             À UNE LOGIQUE DE COORDINATION
             les industries de la biotechnologie et la pharmacie ont
             connu, à compter de la fin des années 70, une véritable
             explosion d’accords technologiques inter-entreprises, au           Tout au long de cet article, nous considérons que le
             point de représenter 30 % de toutes les collaborations        brevet remplit simultanément deux fonctions : la protec-
             signées en 1998, tous secteurs confondus [9].                 tion et la divulgation de connaissances. En termes de
                  Plus précisément, la genèse de nouveaux médi-            protection, le brevet confère à son détenteur des droits
             caments repose désormais de manière centrale sur la           exclusifs d’utiliser et de tirer profit de son invention,
             combinaison des compétences de trois types d’acteurs :        sur un territoire donné et pour une durée limitée. Cette
             les grands groupes pharmaceutiques, les centres de re-        fonction de protection temporaire du brevet s’accompa-
             cherche publique et les nouvelles firmes de biotechnolo-      gne systématiquement d’une fonction de divulgation de
             gie. En France, ces dernières sont souvent des start-up       connaissances codifiées, à travers la publication auto-
             issues de retombées de la recherche académique (spin-         matique par l’Office national des brevets d’un descriptif
             off), ce qui influence probablement leur comportement         de l’invention. Si la première fonction est bien connue
             face au brevet. Les droits de propriété intellectuelle (PI)   des économistes, la seconde n’a suscité de réel intérêt
             représentent en effet l’essentiel de leurs actifs, quand ce   que récemment [17]. Or, c’est bien le couplage de la
             n’est pas la totalité. La fonction de protection du brevet    protection et de la divulgation, et non l’une ou l’autre de
             semble d’autant plus vitale que leur petite taille ne leur    ces deux propriétés isolées, qui donne au brevet toute
             permet guère de modes de protection alternatifs. Dans le      sa dimension et son importance stratégique.
             même temps, la fonction de divulgation du brevet paraît,           Plus précisément, nous avançons que le brevet, en
             elle aussi, essentielle. Elle permet de signaler des com-     tant qu’instrument de protection et de divulgation, peut
             pétences technologiques valorisables à des partenaires        s’inscrire dans deux grands types de stratégies : une stra-
             industriels et/ou financiers, incontournables parce que       tégie d’exclusion (exploitation d’un monopole commercial)
             détenteurs d’actifs complémentaires à l’innovation [21].      et une stratégie de coordination/coopération (licence, col-
                  Par ailleurs, en tant que partenaire essentiel et/ou     laboration en R&D, financement par capital-risque, etc.).
             fondateur de start-up, le secteur académique influence        Avant de développer plus avant ces deux aspects, il nous
             les stratégies d’appropriation et de divulgation de la        faut d’abord présenter la notion de signalement.

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De la divulgation au signalement                        dantes d’un accès à des ressources externes, telles que
                de compétences                                 les start-up en biotechnologie. Cela est probablement
                                                               moins vrai pour les grandes sociétés pharmaceutiques.
                                                               Néanmoins, celles-ci doivent développer des capacités
     La divulgation des connaissances sous-jacentes à          de veille technologique, c’est-à-dire de réception de
un brevet est certes obligatoire, mais elle peut égale-        signal, dans la mesure où elles sont confrontées à un
ment s’inscrire dans une stratégie délibérée de révéla-        besoin pressant de renouvellement de leur portefeuille
tion partielle d’information, encore appelée signaling,        de produits.
à destination de firmes rivales, d’investisseurs ou de              Il convient toutefois de nuancer quelque peu les
partenaires potentiels.                                        aspects positifs du signalement des compétences per-
     À l’intention des concurrents et/ou imitateurs, le        mis par le brevet.
brevet émet des signaux de type « menace » et s’utilise             Premièrement, reconnaître au brevet des propriétés
de manière défensive pour baliser et/ou verrouiller un         en termes de signalement pose le problème des effets
champ de connaissances valorisables. On peut noter             d’annonce. Qu’exprime réellement un brevet ? Est-il

                                                                                                                                            THÈME
que cette tactique de « marquage de territoire » serait        ancré de manière solide sur des savoir-faire véritables,
inefficace si elle n’était pas combinée à une dimen-           ou la compétence dans l’établissement de brevets ne
sion de protection. En d’autres termes, la fonction de         consiste-t-elle pas précisément à limiter le champ des
protection du brevet rend la menace crédible. Inverse-         connaissances réellement divulguées ? Dans cette pers-
ment, la menace décuple les effets de la protection et         pective, le brevet peut aussi être envisagé comme un
conditionne directement sa viabilité.                          leurre (voire un vecteur de « bruit » technologique), un
     Le brevet peut aussi être utilisé par une firme de        instrument de diversion ou de dissuasion, qui révèle
manière positive pour signaler qu’elle possède une             les stratégies des acteurs économiques plus que leurs
compétence technologique donnée. En théorie, l’ob-             compétences effectives.
tention de la propriété industrielle a été soumise à un             Deuxièmement, le brevet représente un coût non
examen rigoureux par un expert, qui a confirmé les             négligeable pour une organisation de petite taille. Or,
critères de nouveauté, d’activité inventive et d’appli-        il n’est pas le seul instrument possible pour signaler
cation industrielle 2. En ce sens, et à condition qu’il soit   des compétences. Il existe d’autres formes de signaux,
un révélateur suffisamment fidèle et fiable, le brevet         typiques des normes de diffusion ouvertes du monde
joue le rôle d’un véritable certificat de garantie des         académique, telles que les publications dans des re-
compétences scientifiques et technologiques détenues.          vues scientifiques et techniques, la participation à des
Il permet d’asseoir une réputation d’innovateur et ain-        conférences ou la divulgation d’information sur Inter-
si d’éliminer (au moins partiellement) les asymétries          net. Par rapport à ces différents outils, le brevet offre
d’informations qui apparaissent lors du processus de           l’avantage de protéger l’innovation, mais il apparaît
production et de diffusion de connaissances [19]. Par          aussi très cher, aussi bien en termes de rédaction que
ailleurs, le brevet constitue aussi un indicateur d’une        de dépôt et d’entretien 3.
possible application industrielle. En effet, dans la me-
                                                                                             NOTES
sure où les critères de brevetabilité sont respectés, un
brevet n’est attribué qu’à une invention détenant un             2. L’invention doit être nouvelle, ce qui signifie qu’elle ne doit
                                                                 pas faire partie de l’état de la technique ; l’invention doit ma-
réel potentiel de création de valeur et suffisamment             nifester une « activité inventive » ce qui signifie qu’elle ne doit
aboutie pour être mise sur le marché. En somme, un               pas découler de manière évidente de l’état de la technique
brevet est un moyen de se faire connaître, de valoriser          pour un homme du métier ; enfin, l’invention doit être suscep-
                                                                 tible d’application industrielle, c’est-à-dire que la demande
son savoir-faire auprès des communautés industrielles,           de brevet doit préciser dans quelle(s) industrie(s) l’innovation
académiques et financières.                                      peut être utilisée ou fabriquée.
     Cette capacité à émettre des signaux grâce au sys-          3. Un dépôt de brevet nécessite un investissement de plu-
                                                                 sieurs milliers d’euros, sans compter les coûts de défense
tème de brevet peut sans doute être considérée comme             éventuels devant un tribunal. Pour des chiffres exacts con-
vitale pour des petites entreprises naissantes, spécia-          cernant ces coûts, voir http://perso.club-internet.fr/vcornill/
                                                                 html/Les_strategies_de_brevets.htm
lisées dans des activités de R&D et fortement dépen-

Éducation & formations − n° 73 − août 2006                                                                                             77
Protection et divulgation                              Que devient l’arbitrage création-diffusion dans un
                      dans une logique d’exclusion                        contexte où l’innovation n’est plus atemporelle et isolée
                                                                          mais correspond à un processus cumulatif, interactif
                                                                          et inscrit dans la durée ? Le brevet ne matérialise plus
                  Traditionnellement, les économistes se sont foca-       une invention techniquement aboutie et prête à être
             lisés sur la fonction de protection du brevet et sur le      commercialisée, mais il intervient très en amont du
             pouvoir d’exclusion qui en découle. Le brevet est géné-      processus de conception et s’inscrit souvent dans un
             ralement décrit comme un instrument d’appropriation          réseau d’interdépendances complexes. Certes, la pro-
             des rentes tirées de l’innovation, en assurant au dépo-      tection de la propriété intellectuelle reste une condition
             sitaire un droit exclusif, en l’occurrence une position de   importante pour le maintien des incitations à investir
             monopole temporaire, quant à l’exploitation du nouveau       dans des processus de recherche, mais parallèlement
             produit ou du nouveau procédé. Ce pouvoir de monopo-         le renforcement et la fragmentation des droits de pro-
             le se justifie économiquement de la manière suivante.        priété induit des conflits [2] et des blocages dangereux
             Dans un monde où l’innovation est assimilée à de la          pour un secteur comme celui des sciences du vivant,
THÈME

             création de connaissances, laquelle est, par nature, un      où l’innovation est sans doute plus qu’ailleurs fondée
             bien public (utilisable par une infinité de personnes et     sur des processus collectifs d’invention [22]. Ainsi, la
             difficilement appropriable), se pose un problème aigu        multiplication des brevets sur des séquences de gènes
             d’incitation à innover. En promettant à l’innovateur la      et autres connaissances fondamentales situées très en
             possibilité d’un retour sur les investissements engagés      amont est susceptible d’engendrer des situations de
             dans la mise au point de son invention, le brevet pal-       type « tragédie des anticommuns » [11], c’est-à-dire
             lie ce défaut d’incitation, stimulant une production de      des situations dans lesquelles la fragmentation d’un
             connaissances bénéfiques pour la société. La possibilité     droit de propriété entre plusieurs individus les conduit
             d’extraction d’une rente de monopole représente en ef-       à s’exclure mutuellement, et finalement à laisser la
             fet un puissant levier incitatif pour l’innovateur. Simul-   ressource inexploitée. L’exemple des brevets européens
             tanément le brevet permet une diffusion minimale de la       déposés par Myriad Genetics est symptomatique à cet
             connaissance, elle aussi bénéfique, grâce à la fonction      égard 4 [4, 12].
             de divulgation. En somme, le brevet constitue un outil            En somme, dans certains contextes technologiques
             majeur de politique industrielle parce qu’il permet de       et socio-économiques, la pratique du brevet dans une
             réconcilier deux objectifs contradictoires : création
                                                                                                       NOTE
             versus diffusion de connaissance. Il protège (les fruits
             de) l’innovation tout en divulguant (la connaissance           4. Myriad a déposé en janvier et mai 2001 des brevets cou-
                                                                            vrant toutes les méthodes de diagnostic basées sur la sé-
             liée à) l’invention.                                           quence du gène BRCA1 et BRCA2, à l’origine des cancers du
                  Cette vision traditionnelle appelle plusieurs re-         sein ou de l’ovaire. Ces brevets ont fait grand bruit, car ils
                                                                            empêchent les concurrents d’appliquer leurs propres tests
             marques. En premier lieu, elle suppose une séparation
                                                                            (quelle que soit la méthode utilisée). L’obligation de rapatrier
             nette entre création et diffusion de connaissance. Le          les données entraîne un surcoût de facteur trois ou quatre,
             brevet est une sorte d’objet frontière entre une phase         pour des tests valant déjà à l’origine plusieurs centaines
                                                                            d’euros. En première analyse, ce type de stratégie d’exclusion
             de conception (production de connaissance) et une              revient à verrouiller le marché du test de dépistage du cancer
             phase d’industrialisation (lancement commercial et             du sein. Mais on peut y voir également un frein important pour
                                                                            la recherche scientifique dans le domaine, le brevet de Myriad
             diffusion d’un produit ou d’un procédé). En second lieu,
                                                                            ayant une portée si vaste qu’il a comme conséquence notable
             une fois le brevet déposé, l’invention est considérée          de décourager toute recherche supplémentaire ayant trait au
             comme « fixée » définitivement : elle ne subit pas de          gène protégé, car les résultats de ces recherches seraient
                                                                            bloqués par les brevets détenus par Myriad et donc en grande
             modifications ultérieures. Enfin, elle est supposée tech-      partie inexploitables [4, 12]. Pour des informations concer-
             niquement autonome : elle n’est pas englobée dans un           nant les dénouements les plus récents de « l’affaire Myriad »,
                                                                            le lecteur pourra consulter les sites Internet suivants :
             système technique et ne dépend aucunement d’autres
                                                                            http://www.european-patent-office.org/news/pressrel/2004_
             composantes technologiques. Ce caractère non systé-            05_18_e.htm
             mique la rend exploitable et valorisable par elle-même,        http://www.mccullough.com.au/t4/s11/p14/type3/
                                                                            date9/2/2004#874
             en toute indépendance.

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stricte logique d’exclusion peut conduire à ralentir,        vue d’obtenir l’accès à des actifs complémentaires).
voire empêcher, le développement de connaissances            Le brevet est plus qu’une garantie de profit, il devient
ultérieures, réduisant en définitive (au lieu d’accroître)   un véritable moyen de négociation. Dans certaines in-
le volume des connaissances créées.                          dustries où l’innovation est fortement systémique et le
                                                             risque de « chevauchement » de brevets important (cas
          Protection et divulgation                          des semi-conducteurs notamment, mais aussi de plus
      dans une logique de coordination                       en plus des biotechnologies), la propriété intellectuelle
                                                             joue avant tout le rôle d’une monnaie d’échange, à la
                                                             fois en tant que clé d’accès aux connaissances et que
     Parallèlement au rôle classique d’appropriation de      garde-fou contre des poursuites judiciaires [5, 8, 10, 15].
rente dans une logique d’exclusion, émerge un rôle du        Les entreprises amassent des portefeuilles importants
brevet comme moyen de négociation (legal bargaining          de brevets dans le seul but de ne pas se trouver blo-
chip) et, plus généralement, comme vecteur de coor-          quées en cours de développement par le portefeuille
dination entre acteurs hétérogènes. En effet, la vision      d’un tiers, préférant procéder à des échanges croisés

                                                                                                                                THÈME
du brevet comme seul outil d’exclusion est largement         de licences plutôt que de subir ou engager des pour-
remise en cause par les études empiriques effectuées         suites. Elles n’ont guère d’autre choix, car si le brevet
au cours des deux dernières décennies. Ces études            donne un droit d’exclusion sur l’innovation brevetée, il
suggèrent que, dans la plupart des domaines, le bre-         ne procure pas automatiquement le droit de l’utiliser
vet n’est pas considéré comme un mode de protection          lorsque cela nécessite d’empiéter sur la propriété in-
efficace par bon nombre d’entreprises, qui lui préfèrent     tellectuelle d’autrui.
alors le secret, l’avance technologique, la marque com-           Par ailleurs, pour des petites entreprises ou des
merciale ou la complémentarité avec d’autres actifs          acteurs isolés, typiques de technologies en émergence
[5, 15, 16]. Par ailleurs, dans des industries telles que    comme les biotechnologies, la coopération ne se limite
celle des semi-conducteurs, il apparaît que les firmes       pas à un échange de technologies de type cross licen-
ne brevètent pas dans le but de profiter d’un monopole       sing. Située d’emblée dans une perspective de création
d’exploitation de leur innovation, mais plutôt pour se       – non de pure allocation – de ressources, la collabo-
faire connaître ou améliorer leur position stratégique       ration consiste à combiner et associer effectivement
en vue de négociations ultérieures [8, 10].                  des compétences.
     Dans une perspective de coordination purement                Notre thèse est que le brevet est appelé à jouer
marchande, l’instauration d’un droit de propriété intel-     un rôle important, parce qu’il facilite les interactions
lectuelle peut s’interpréter comme la création d’un mar-     dans un tissu où la spécialisation élevée, les besoins
ché de la connaissance. Des entreprises spécialisées         importants de financement et la complémentarité des
dans la R&D produisent des connaissances nouvelles,          acteurs rendent les processus collectifs de production
codifiées sous forme de brevets, et les vendent grâce        de connaissances incontournables. Dans ce processus
à des contrats de licence spécifiant le prix (montant        de collaborations inter-organisations, le brevet est sus-
fixe et/ou royalties) et les modalités (licence exclusive    ceptible de jouer un rôle à plusieurs niveaux : en amont
ou non) de la transaction. On peut noter que ce type         de la collaboration, il aide à identifier les partenaires
d’approche se réduit bien souvent à un problème d’al-        potentiels (cela met notamment en exergue le rôle im-
location de ressources (spécification du contrat optimal)    portant de la fonction de signalement). Plus tard, lors
dans une perspective, là encore, atemporelle.                des négociations concernant les modalités de la colla-
     Au-delà de cette logique de coordination minimale,      boration, le brevet place son détenteur dans une posi-
selon laquelle le brevet vise à obtenir des revenus à        tion favorable car il renforce son pouvoir de négociation.
partir d’une innovation établie et constituée, il nous       En effet, tout brevet déposé dans la « corbeille de ma-
semble que la propriété intellectuelle a surtout voca-       riage » représente un signe crédible et extrêmement fort
tion à favoriser et protéger le développement d’une          d’engagement dans le processus de collaboration. À ce
innovation en devenir, et cela particulièrement si elle      stade, la fonction de protection est importante dans la
nécessite une coopération avec d’autres acteurs (en          mesure où elle sécurise le processus de négociation et

Éducation & formations − n° 73 − août 2006                                                                                 79
de révélation d’information : le risque de comportement                  Présentation de l’enquête
             opportuniste de la part d’un partenaire malveillant (hold
             up de compétence-clé) est réduit d’emblée car l’absence
             de droit d’exploiter l’information révélée représente une        L’association BioValley, née en 1996, représente
             menace crédible de représailles. À un stade ultérieur,      un réseau d’environ 600 partenaires réunis sur trois
             le brevet peut aussi servir d’instrument de répartition     pays (Allemagne, France, Suisse) et répartis en qua-
             des fruits de la recherche commune, à travers un dépôt      tre catégories : 27 % sont des entreprises de service
             conjoint de brevet, par exemple. Enfin, en tant que         (services informatiques, conseil, capital-risque), 19 %
             vecteur de codification de la connaissance, il s’ap-        sont des fournisseurs d’équipement, 34 % sont des
             parente à un langage partagé par tous les acteurs,          acteurs académiques ou institutionnels et 20 % des
             des laboratoires académiques aux grandes entrepri-          entreprises réalisant de la R&D. Ce sont ces dernières
             ses pharmaceutiques en passant par les cabinets de          qui constituent notre population cible.
             conseil, les investisseurs, les institutions d’aide pu-          Adressé au responsable de la propriété intellec-
             blique et les nouvelles sociétés de biotechnologie. Le      tuelle, de la R&D ou de l’entreprise, le questionnaire
THÈME

             brevet est un élément de culture commune entre parte-       de quatre pages est de type semi-directif et comprend
             naires potentiels d’un même réseau d’innovation.            trois parties : la première vise à récolter des informa-
                 En conclusion, il semble que la double fonction du      tions générales sur l’entreprise, la deuxième concerne
             brevet, en termes de protection et de signal, puisse        sa pratique et son évaluation du système de brevet et
             servir deux logiques stratégiques très contrastées : une    la dernière porte sur d’éventuelles collaborations et
             logique d’exclusion et une logique de coopération. L’in-    leur lien avec la propriété intellectuelle. Ainsi, il est
             dustrie pharmaceutique a longtemps été considérée           notamment demandé aux entreprises combien elles
             comme la parfaite illustration de stratégies d’exclu-       détiennent de brevets et pourquoi elles brevètent (en
             sion (extraction d’une rente de monopole). Cependant,       attribuant une note aux différents motifs du dépôt en
             comme nous l’avons expliqué en introduction de ce           fonction de leur importance). De la même manière, nous
             travail, l’organisation industrielle en réseau, typique     cherchons à caractériser leurs principales activités de
             du nouveau paradigme des biotechnologies, permet            veille technologique, les déficiences qu’elles attribuent
             d’envisager un nouveau rôle pour le brevet, répondant       au système de brevet, les moyens qu’elles utilisent en
             davantage à un besoin de coordination entre acteurs         priorité pour protéger leurs innovations, ceux qu’elles
             hétérogènes. Afin de mieux juger de la pertinence de        utilisent pour signaler leurs compétences. Enfin, nous
             cette hypothèse, nous avons mené une étude empirique        posons également des questions relatives à leur nom-
             concernant une quinzaine d’entreprises de la BioValley      bre de collaborations en R&D et au rôle du brevet lors
             du Rhin Supérieur.                                          de ces accords5.
                                                                              Nous disposons de quatorze réponses exploitables.
                                                                         La plupart des entreprises répondantes sont des entre-
                   LE CAS DE LA BIOVALLEY                                prises jeunes de moins de 50 employés, indépendantes,
                   DU RHIN SUPÉRIEUR                                     françaises, avec une activité principale dans le sec-
                                                                         teur pharmaceutique. Onze d’entre elles ont déposé
                                                                         au moins un brevet au cours des trois dernières années
                  Notre étude de terrain s’appuie sur plusieurs en-      (voir annexe à la fin de l’article pour une synthèse des
             tretiens directs avec des responsables de start-up, et      principaux résultats de cette enquête).
             surtout sur les résultats préliminaires d’une enquête,
             consacrée au rôle du brevet dans les biotechnologies,
             et basée sur les réponses à un questionnaire envoyé
             par courrier électronique à 135 entreprises innovantes                                   NOTE
             membres de la BioValley du Rhin Supérieur. Nous allons
             détailler les principales modalités de l’enquête avant        5. Ce questionnaire, rédigé à la fois en français et en anglais,
                                                                           est disponible sur demande aux auteurs.
             d’en analyser les résultats les plus importants.

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Principaux résultats et discussion                             quelle utilisation est faite de cette protection. Est-elle
                                                                     uniquement destinée à des fins d’exclusion ? Il ressort
                                                                     de l’enquête que les entreprises attendent de la pro-
     Il est évidemment délicat de tirer des conclusions              tection conférée par le brevet, aussi bien la possibilité
à partir d’un échantillon limité à 14 individus, mais il             d’exploiter un monopole qu’une amélioration de leur
est toutefois possible de souligner quelques points                  position lors de négociations avec d’autres entreprises6.
récurrents dans les réponses des entreprises. L’objec-               Non seulement ces deux motifs se voient accorder une
tif n’est pas de fournir une validation empirique des                importance similaire globalement, mais ils apparaissent
hypothèses développées ci-dessus, mais plus modes-                   également concomitants lorsque l’on se situe à l’échelle
tement de les illustrer et de souligner la pertinence                du répondant individuel. Selon nous, ce résultat tend à
des questions posées, notamment celles concernant                    conforter le rôle du brevet comme instrument de colla-
l’émergence possible d’un rôle du brevet en tant qu’outil            boration, mais il suggère également que les stratégies
de coordination.                                                     de coordination/coopération n’ont pas supplanté les
                                                                     stratégies d’exclusion. Les deux logiques stratégiques

                                                                                                                                        THÈME
La protection reste le motif principal                               seraient plutôt complémentaires, se combinant de ma-
d’un dépôt de brevet                                                 nière complexe et probablement ambivalente.
                                                                          En particulier, un point accrédite le rôle de coor-
                                                                     dination joué par le brevet. Il semble en effet que les
     Notre enquête révèle que la fonction de protection              entreprises interrogées ne se fassent pas d’illusion exa-
reste la raison d’être principale du brevet. Cette fonction          gérée quant à l’efficience réelle du brevet pour protéger
peut servir à deux tâches essentielles, à savoir amé-                l’innovation, puisque la plupart d’entre elles ne le jugent
liorer le pouvoir de négociation de l’entreprise et lui              pas véritablement apte à empêcher l’imitation (plus
assurer une position de monopole. Les entreprises at-                de la moitié considèrent qu’il s’agit d’une déficience
tendent avant tout de la propriété intellectuelle qu’elle            importante du système de brevet). Nous sommes donc
protège leurs connaissances. À la question « pourquoi                confrontés à un paradoxe : le brevet est utilisé avant
votre entreprise dépose-t-elle des brevets ? », presque              tout pour se protéger mais pourtant il n’est pas perçu
toutes les firmes concernées considèrent la « protection             comme très efficace pour empêcher l’imitation. Une ex-
du savoir-faire » comme étant leur motif premier. Plus               plication réside peut-être dans une reconnaissance plus
précisément, neuf entreprises sur onze lui accordent la              explicite de la fonction de coordination du brevet.
note la plus élevée possible (4 sur une échelle de 0 à                    Considérant encore plus spécifiquement les straté-
4). En revanche, la fonction de signalement de compé-                gies de coopération, il a été demandé aux entreprises
tences, quoique mentionnée par une grande majorité                   ayant eu des collaborations en R&D avec d’autres insti-
de répondants, est perçue comme peu importante en                    tutions (autres start-up, laboratoires privés de recherche,
moyenne. Seules trois entreprises admettent que cette                grandes entreprises pharmaceutiques ou laboratoires
raison revêt véritablement de l’importance dans leur                 publics de recherche) si le brevet avait joué un rôle dans
décision de breveter, et l’on peut noter que celles-ci               ces collaborations, et si oui à quel stade : en amont, lors
reconnaissent de même l’importance du brevet comme                   de l’établissement du contrat ou après sa réalisation.
outil de protection. Le signalement de compétences                   Parmi les dix entreprises concernées, cinq ont reconnu
n’est donc en tout état de cause pas la raison principale            que le brevet avait joué un rôle important, notamment
d’un dépôt de brevet.                                                durant les négociations, mais aussi et surtout en amont
     La fonction dominante du brevet reste donc fo-                  de la collaboration, en leur permettant d’identifier le
calisée sur la protection. Il reste encore à examiner                ou les partenaires potentiels, en l’occurrence d’autres
                                                                     start-up et/ou des laboratoires de recherche publics. Les
                             NOTE
                                                                     réponses de ces quelques entreprises, quoique fort peu
  6. Les motifs « lever des fonds » et « percevoir des royalties »   nombreuses, nous permettent au moins de souligner
  apparaissent respectivement en troisième et quatrième posi-        le fait suivant : alors que l’analyse du rôle du brevet
  tion, avant le « signalement de compétences ».
                                                                     dans les processus de coopération inter-organisations

Éducation & formations − n° 73 − août 2006                                                                                         81
est fort peu développée dans la littérature, il semble        inférieure à 2). On note ici une différence intéressante
             qu’il s’agisse d’une question pour le moins pertinente        entre les réponses des entreprises des plus expérimen-
             et méritant de plus amples investigations.                    tées dans la gestion de brevet et celles des plus jeunes :
                                                                           les entreprises les plus grandes, les plus anciennes,
                                                                           et ayant déposé de nombreux brevets, accordent une
             Un instrument de protection                                   réelle importance à la propriété intellectuelle comme
             et de signalement important par rapport                       signal, et cela pas nécessairement en abandonnant
             aux instruments alternatifs                                   les autres canaux de type conférences et publications.
                                                                           Les start-up, plus jeunes et détenant moins de vingt
                                                                           brevets, privilégient nettement les conférences et les
                  Analyser le rôle du brevet suppose aussi de le situer    publications comme outils de signaling, reléguant le si-
             par rapport aux modes alternatifs de protection et de si-     gnal par brevet à un deuxième voire un troisième choix.
             gnalement de la connaissance. En réponse à la question        Doit-on voir ici le signe d’un surplus de maturité des
             « quelles méthodes utilisez-vous pour empêcher l’imita-       entreprises plus anciennes qui maîtrisent davantage les
THÈME

             tion ? », le secret puis le brevet apparaissent dominants,    multiples potentialités d’un brevet ou, plus simplement,
             suivis par l’avance technologique. Plus précisément, le       la conséquence du coût élevé d’un dépôt de brevet qui
             secret représente le premier choix de sept entreprises        incite naturellement les sociétés naissantes à utiliser
             sur quatorze, de même que le brevet. Ils obtiennent           de préférence des vecteurs moins chers tels que les
             chacun une note moyenne proche de 3 sur une échelle           communications et articles scientifiques ? On remarque
             allant de 0 à 4. Si l’on établit une comparaison avec         d’ailleurs que les entreprises interrogées considèrent
             les résultats des grandes enquêtes innovation [5, 15],        effectivement les coûts de dépôt, et surtout de défense
             l’importance relative du brevet dans notre échantillon        des brevets comme une importante déficience du sys-
             situe ce dernier comme très proche de l’industrie phar-       tème de propriété intellectuelle.
             maceutique et en décalage avec la plupart des autres               Quoi qu’il en soit, il semble bien que les firmes
             secteurs où le brevet ne vient que loin derrière les autres   signalent leurs compétences aux autres acteurs non
             propositions. Nous trouvons par ailleurs que la complé-       seulement au moyen du brevet mais également à l’aide
             mentarité avec d’autres actifs et la marque commerciale       de publications scientifiques ou de participation à des
             sont utilisées par un nombre nettement plus restreint         conférences. Comment expliquer l’importance de ces
             d’entreprises, et que de plus ces modalités interviennent     pratiques dites d’Open science dans un secteur aussi
             rarement en premier choix. Cela n’est guère surprenant        concurrentiel que les biotechnologies ? Une interpré-
             si l’on considère le profil de nouvel entrant de la plupart   tation, complémentaire de celle d’un coût de dépôt de
             des entreprises interrogées.                                  brevet trop élevé, repose sur l’hypothèse d’une forte
                  En somme, le brevet est l’un des modes préférés          imprégnation « académique » du secteur des biotech-
             de protection de l’innovation, ce qui est cohérent avec       nologies, lequel comprend des chercheurs du monde
             le fait que la protection est de loin la première raison      académique travaillant selon les normes de l’Open
             d’être d’un dépôt de brevet. Mais qu’en est-il du brevet      Science (science ouverte) et, plus généralement, col-
             comme signalement de compétence ? Ici les résultats           labore énormément avec des laboratoires de recherche
             sont plus ambigus. Bien qu’une telle fonction de signal       publique. Cette analyse est largement confortée par les
             ne soit pas un motif important pour déposer un brevet         résultats de l’enquête BioValley en ce qui concerne les
             (voir le paragraphe précédent), ce dernier se classe bien     activités de veille technologique : l’étude des publica-
             par rapport aux autres modes de signalement de compé-         tions scientifiques est pratiquée par presque toutes les
             tences. À la question « quelles méthodes utilisez-vous        entreprises. Elle est jugée importante en moyenne, et
             pour signaler vos compétences au monde industriel ou          même prioritaire pour neuf répondants sur quatorze.
             académique ? », les entreprises attribuent en moyenne         Par contraste, l’étude des bases de brevets n’est pas
             plus d’importance à la participation à des colloques et       une pratique généralisée : elle n’est importante que
             au brevet (note légèrement supérieure à 2) qu’aux publi-      pour les entreprises détenant une certaine expérience
             cations scientifiques ou aux relations informelles (note      en tant que déposant.

        82                                                                                  Éducation & formations − n° 73 − août 2006
rôle du brevet dans les biotechnologies s’inscrit dans
                                                             un débat plus large concernant le rôle de l’intervention
                                                             publique et les modifications éventuelles à apporter au
    Dans ce travail, nous nous sommes intéressés au          système de brevet, tout au moins en ce qui concerne le
rôle du brevet dans le domaine des biotechnologies, en       secteur des sciences du vivant. Comme nous l’avons déjà
proposant de dépasser la seule représentation du brevet      souligné, des tensions fortes et des situations d’incom-
comme instrument d’exclusion des rivaux et imitateurs        préhension mutuelle émergent de plus en plus autour
potentiels, destiné à garantir une rente de monopole.        de l’utilisation des droits de propriété (tragédie des an-
Nous avons ainsi insisté sur le fait que l’association des   ticommuns par exemple) et affectent les relations entre
fonctions de divulgation et de protection confère éga-       les acteurs du domaine, notamment les universités, les
lement au brevet une propriété de coordination, voire        start-up et les firmes de taille plus importante. Une ques-
de collaboration inter-organisations. Cette réflexion sur    tion importante concerne donc la capacité des mécanis-
le rôle du brevet s’est appuyée sur les résultats pré-       mes de coordination au sein de réseaux d’innovation à
liminaires d’une enquête menée auprès d’entreprises          atténuer ces antagonismes [3], et plus généralement à

                                                                                                                                THÈME
de biotechnologie, membres de la BioValley du Rhin           contrebalancer les effets négatifs liés à l’application
Supérieur. Cette enquête révèle, entre autres, que le        de pures stratégies d’exclusion. Toute modification du
brevet est perçu avant tout comme un moyen de pro-           système de propriété intellectuelle devrait selon nous
téger la connaissance détenue par l’innovateur, et ce        prendre explicitement en compte le double rôle, quelque
aussi bien dans le but de limiter la concurrence que         peu ambivalent et paradoxal, du brevet : il représente à
d’accroître le pouvoir de négociation du détenteur en        la fois un « lieu » de confrontation conflictuelle d’inté-
cas de collaboration avec d’autres acteurs.                  rêts et un dispositif contribuant à l’identification et la
    Notre réflexion théorique et empirique autour du         coordination de partenaires potentiels.

Éducation & formations − n° 73 − août 2006                                                                                 83
À lire

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Synthèse des principaux résultats
                                                                                    Nombre         Premier motif du dépôt             Méthode préférée           Méthode préférée de         Première activité de      Première déficience système
                                             Profil des 14 entreprises
                                                                                   de brevets            de brevet                     de protection             signal de compétence        veille technologique               de brevet
                                             FIL-1 Filiale < 50 employés                                                                                          Brevet + publication
                                                                                      20          Protection + monopole              Brevet + secret                                                                     Coût dépôt + défense
                                                                                                                                                                       Brevet (*)                 Brevet (*)
                                             activités de R&D / pharmacie          (groupe)           + négociation (*)          + avance technologique (*)                                                              + non protection+ fuite
                                             PME-1 PME < 200 employés                           Protection + fonds + monopole              Brevet                 Brevet + publication       Brevet + publication
                                                                                      >20                                                                                                                                    Coût défense (*)
                                             activités de R&D / pharmacie                        + négociation + royalties (*)   + avance technologique (*)         + colloques (*)             + colloque (*)
                                             PME-2 PME < 10 employés                                                                                                                          Sous-traitée à un
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