Le workfare et l'activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit pour rien ? Contribution à un bilan qui reste à faire ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Document généré le 21 nov. 2021 06:29 Lien social et Politiques Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit pour rien ? Contribution à un bilan qui reste à faire Workfare and employment promotion after 20 years – more noise than light? A contribution to the still-needed assessment Jean-Claude Barbier Pauvreté, précarité : quels modes de régulation ? Résumé de l'article Numéro 61, printemps 2009 Depuis plus de 10 ans, les réformes de l’activation de la protection sociale ont pris une grande ampleur dans tous les pays. Quand on en fait le bilan, on peut URI : https://id.erudit.org/iderudit/038463ar comprendre leurs traits communs ainsi que la grande diversité qui a persisté DOI : https://doi.org/10.7202/038463ar en Europe, et entre l’Europe et les États-Unis. Si les réformes ont eu des conséquences à la fois idéologiques et institutionnelles, si elles ont changé les stratégies politiques, l’activation de la protection sociale s’inscrit dans une Aller au sommaire du numéro logique historique. Partout, ces réformes ont été légitimées par des promesses en matière d’accès à l’emploi, d’élimination de la pauvreté et d’exclusion sociale. Mais ces promesses, on le sait maintenant, n’ont pas été tenues. Si les Éditeur(s) dépenses sociales ont été contenues, on ne connaît enfin que très mal les effets sur le vécu des personnes, qui sont très difficiles à comparer entre pays. Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (imprimé) 1703-9665 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Barbier, J.-C. (2009). Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit pour rien ? Contribution à un bilan qui reste à faire. Lien social et Politiques, (61), 23–36. https://doi.org/10.7202/038463ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 23 Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit pour rien ? Contribution à un bilan qui reste à faire Jean-Claude Barbier Sous la bannière politique de management public des organis- Workfare et activation : que l’« activation », des réformes de la † † mes, transformation des expé- s’est-il passé ? protection sociale qui, à pre- riences des personnes, des mière vue, présentent des res- contenus de la citoyenneté Beaucoup de chercheurs se semblances ont été engagées, sociale, etc. Tenir tous ces élé- sont intéressés à l’apparition de depuis la fin des années 1980 ments ensemble n’est pas à la nouvelles politiques (ou pro- dans certains pays (États-Unis et portée du présent article, qui ne grammes publics) présentées par France), depuis la moitié des cherche qu’à contribuer à un les responsables politiques sous années 1990 dans la majorité des programme de recherche, déjà l’étiquette workfare, souvent wel- autres. On dispose désormais entamé à bien des égards. On fare-to-work, « politiques actives » † † d’un recul suffisant pour en envi- conclura sur une vision plus et aussi « activation », etc. S’il n’est † † sager le bilan et pour bien identi- macrosociologique, autour d’une pas possible de consacrer cet fier ce qu’elles ont changé, tout question qui résume bien, à notre article à la genèse de toutes ces en illustrant leur diversité. Pour avis, l’un des enjeux principaux expressions, il est pourtant indis- le faire, il est indispensable de se de la réforme de la protection pensable de séparer, autant qu’il mettre d’accord sur le repérage sociale contemporaine, en termes est possible, le langage des politi- empirique des politiques dont on de légitimité : ses auteurs, dans † ciens du langage de l’analyse parle, ce qui n’est pas évident, tous les pays, ont en effet promis scientifique. On ne présente pas tant le vocabulaire qui les de diminuer la pauvreté, de ici cet aspect abordé par ailleurs nomme est, comme tout vocabu- rendre les marchés du travail (Barbier, 2002 ; 2008a)1. On † laire de la politique, imprécis, plus « inclusifs » et plus équi- † † décrira ce qu’on peut raisonnable- ambigu et normatif. Ensuite, il tables, d’intégrer les gens par le ment considérer comme des faut repérer des types différents travail, d’augmenter les revenus réformes d’activation de la protec- de changements consécutifs aux du travail. On dispose désormais tion sociale, et on en présentera réformes : modification de l’idéo- † de suffisamment de données les principaux traits et des logie justificatrice, des règles, du pour apprécier si ces promesses exemples significatifs qui cou- contenu des droits sociaux, du nombreuses ont été tenues. vrent la variété des possibles. Lien social et Politiques, 61, Pauvreté, précarité : quels modes de régulation ? Printemps 2009, pages 23 à 36.
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 24 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 61 dans l’assistance résiduelle améri- des cohérences sociétales et cul- caine, avec le Family Support Act turelles (Barbier, 2008b). Encore Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit (Handler and Hasenfeld, 2007). faut-il définir un concept, car le pour rien ? Contribution à un bilan qui Ce sont deux exemples d’activa- terme « activation » est issu du † † reste à faire tion de la protection sociale, qui langage politique, comme l’ont reposent sur des conceptions très fait remarquer P. Dufour et ses différentes du travail et de l’em- collègues. L’activation, en ce sens, ploi, qu’on peut référer à une qui n’est pas l’« activation » de † † opposition philosophique ancienne l’OCDE, par exemple, représente entre Locke et Rousseau (Barbier l’une des tendances principales de et Théret, 2001 : 176-177), ou à une † la restructuration que P. Pierson logique de réciprocité et des « cou- † (2001) a décrites, et prend des 24 tumes » différentes (Morel, 2000). † formes diverses non seulement selon les types de welfare capita- P. Dufour, G. Boismenu et A. lism, mais aussi selon les pays La « nouvelle activation » Noël (2003 : 3-6) ont proposé † concernés. comme dimension de d’étudier les réformes sous l’éti- la restructuration des systèmes quette de « l’aide au condition- † En outre, on ne saurait prendre de protection sociale nel », ce qui permettait de dépasser † pour argent comptant la « nou- † les limites de l’analyse « workfa- † veauté » que les politiciens met- † Réservant le mot workfare riste ». Mais leur choix offre † tent en scène sous l’étiquette pour les réformes américaines cependant un inconvénient : il † d’activation. Il faut réaffirmer un spécifiques (Morel, 2000), il est focalise l’attention sur une partie acquis de l’analyse internationale nécessaire de trouver un concept seulement des réformes, celles qui des systèmes de protection plus généralisant pour désigner ce concernent les obligations des sociale, à savoir que tous ces der- qui rassemble les réformes d’am- « personnes sans emploi ». Or, les † † niers ont été et restent fondés sur pleur qu’on a vu se déployer en enjeux des transformations de leur lien avec l’activité profes- Europe et aux États-Unis depuis plus de 10 ans sont plus systé- sionnelle, le travail, qu’ils soient plus de 10 ans. Par exemple, cha- miques. Même dans les pays les bismarckiens ou béveridgiens. cun à sa façon et dans des direc- plus généreux du point de vue de Parce que G. Esping-Andersen, tions bien différentes, les la protection sociale, le chômage empruntant à K. Polanyi la caté- États-Unis et la France ont partagé et l’assistance occupent une place gorie de decommodification (« dé- † le projet de « valoriser » l’activité † † limitée dans l’ensemble des marchandisation »), l’a utilisée † professionnelle. Avec un recul de dépenses sociales. C’est pourquoi, pour en faire un critère de distinc- 20 ans, le contraste France–États- plus générale, la notion d’activa- tion entre ses régimes, la notion a Unis illustre assez bien la diversité tion de la protection sociale peut été mal interprétée, non seule- des réformes : en 1988, le parle- † rassembler pour les décrire les ment pour l’analyse précise du ment français vota unanimement politiques menées en Europe, sans type universaliste social-démo- une loi dont le premier article2 se rester prisonnière ni du champ crate, mais, surtout, pour l’analyse référait à la justification des étroit et de la conception de l’as- des réformes d’activation (Kvist, secours comme dette de la nation sistance des pays anglophones, ni 2002). Or, le terme se révèle de (en citant les textes de la Révo- de l’étude des obligations impo- peu d’intérêt analytique dans la lution française) et qui cristallisa sées aux chômeurs. La notion mesure où les systèmes de protec- une conception de l’insertion semble plus adéquate pour la tion sociale ont tous été « activés » † † comme participation républicaine, compréhension du champ, des depuis leurs origines et où une qui avait été depuis plusieurs formes et des contenus de poli- logique ancienne, structurante, années construite par l’initiative tiques dont la grande diversité, sur d’activation est présente dans des associations (Eme, 1997). La fond de pressions économiques leur architecture commune. Ainsi, même année, le Congrès améri- similaires, s’explique au premier dès leur origine, les systèmes de cain renforçait « l’esprit punitif » † † chef par leur encastrement dans remplacement du revenu pour les
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 25 chômeurs, systèmes mutualistes tion des dépenses sociales, rem- taire restrictive, mise en place ou syndicaux, ont toujours reposé plaçant, dans les systèmes bis- dans les années 1950-1960, se sur la recherche active de l’em- marckiens, le financement par les révèle avoir été un pays pionnier, ploi. Le principe de la capacité de cotisations. Même aux États-Unis, avec une autre logique originale, travailler est présent dans la légis- où la visibilité politique de la dans le cadre d’un partage haute- lation républicaine française de réforme clintonienne a été essen- ment socialisé des risques. Ici 1793 sur les secours. Avec une tielle, cette réforme n’a jamais encore, la variété des stratégies et tonalité bien différente, parce que constitué le cœur de la « nouvelle » † † des conceptions de l’activation fondée sur l’obligation charitable activation, lequel a été l’introduc- paraît extrême. des communes, il est aussi cepen- tion de l’Earned Income Tax dant présent dans la loi allemande Au total, les éléments de la pro- Credit (EITC), maillon crucial du sur l’assistance – désormais tection sociale faisant l’objet des système fiscal américain qui réformes (régulièrement actuali- caduque – de 1961. Il faut donc constitue (avec la redistribution 25 bien souligner, par opposition, ce sées) ont été, le plus souvent, l’in- fiscale selon les familles, et le qui fait la nouvelle activation des demnisation du chômage, les financement de l’éducation) l’un années 1980 aux années 2000. Au politiques de l’emploi, les presta- des piliers majeurs de la protec- tions d’assistance et de solidarité, demeurant, bien qu’ils soient tous tion sociale. Cette dernière presta- historiquement « activés » – qu’il puis les préretraites, et les † † tion est, sans aucun doute, l’une retraites. Les politiques « fami- s’agisse de l’Allemagne, de la des premières au monde, puisque † France ou de l’Italie de ce point liales » sont aussi « activées » dans † † † son invention émerge au milieu de nombreux pays (crédits d’im- de vue – certains systèmes ont été des années 1970, pour devenir beaucoup plus difficiles à réfor- pôt associés au fait d’avoir des majeure à la fin des années 1980, enfants et de travailler). La cou- mer dans le sens contemporain en s’adjoignant des déclinaisons que ceux des pays béveridgiens, verture maladie, parce qu’elle a variées au niveau des États fédérés. pris de plus en plus une forme pour des raisons institutionnelles Alors que les manifestations de la (Clasen et Clegg, 2006), même si universelle, n’est en revanche pas « nouvelle activation » en Grande- † † directement concernée, encore ces différences ne sont pas inter- Bretagne ou au Danemark, par prétables uniquement en termes que des réformes des indemnités exemple, datent seulement de la journalières de maladie ont eu de résistance fonctionnelle des première moitié des années 1990, institutions, car elles se rappor- lieu, qui peuvent aussi s’interpré- l’invention, par les associations ter comme participant d’une tent à des cultures politiques ins- françaises du secteur social, de la crites dans l’histoire (Barbier, logique générale d’activation logique de l’insertion par le tra- (voir le cas suédois). Plus impor- 2008b). vail, dans un esprit solidariste et tant encore, la réforme du finan- L’essentiel de la « nouvelle acti- † républicain, reprise (et pour cer- cement de la protection sociale et vation » réside dans le fait que les † tains, détournée) ensuite par les l’articulation impôts-cotisations réformes ont partout réactivé ou pouvoirs publics, est aussi très pré- font aussi partie de la même renforcé, voire introduit, des liens coce en comparaison internatio- dynamique systémique, dans l’ob- explicites (réglementaires ou nale : si elle culmine avec la loi sur † jectif de favoriser l’activité pro- légaux) entre le droit à la protec- le Revenu minimum d’insertion fessionnelle, que ce soit sur le tion sociale et l’activité profes- (RMI), ses fondements histo- plan global de la demande de tra- sionnelle, sous tous ses aspects. riques sont aussi ancrés dans les vail (par exemple, diminution des Dans certains cas, cela s’est traduit années 1970, avec, en particulier, cotisations sociales d’employeurs pas le renforcement d’obligations les lois visant les personnes handi- en France, introduction et exten- imposées aux bénéficiaires, dans capées de 1975. De même, la sion de la CSG, fiscalisation de la d’autres, par des mécanismes bien Suède, avec son invention des sécurité sociale, baisse des cotisa- différents, par exemple, par le « politiques actives du marché du † tions allemandes et britan- remplacement des prestations du travail » comme élément complé- † niques), ou sur celui des budget social par des crédits d’im- mentaire de la solidarité salariale incitations individuelles (tax cre- pôt (tax credits) ou par la fiscalisa- couplée avec une politique budgé- dits à la britannique ou à l’améri-
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 26 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 61 est partout présente (Bouchoux et logique générale de la nouvelle al., 2004, pour la France ; Larsen et † activation s’est manifestée depuis Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit al., 2002, pour le Danemark ; † 10 à 20 ans (voir annexe 1 : Les† pour rien ? Contribution à un bilan qui Morel, 2000 : 19-20, pour les États- † expériences nationales). reste à faire Unis) : si une orientation est domi- † nante, les types ne se réalisent pas Des promesses de l’activation de façon homogène. Plusieurs fac- aux transformations objectivables teurs jouent un rôle, dont le Considérant les politiques pré- moindre n’est pas la dynamique sentées précédemment, la ques- économique des territoires parti- tion majeure se posant à l’analyste culiers. Dans le premier type, deux est celle des transformations effec- outils ont prédominé : la très large † 26 tives qu’elles ont amenées dans les diffusion des incitations fiscales systèmes de protection sociale et au travail (remplaçant les presta- de leurs conséquences pour les caine ; formes dites « d’intéres- tions non directement condition- † † citoyens et les bénéficiaires. Il faut sement » associées aux prestations nées à l’activité professionnelle) a † tout particulièrement rapporter de chômage en Allemagne ; en été combinée avec le renforce- † ces dernières aux promesses des France, le revenu de solidarité ment des programmes fondés sur discours politiques qui ont justifié active [RSA] en est le dernier les exigences accrues vis-à-vis des la réforme. On partira d’une avatar). En outre, l’activation des chômeurs et des personnes à l’as- « carte » des transformations, sans sistance. Dans le second type, avec † † systèmes de protection sociale pouvoir toutes les étudier en doit, à notre avis, être distinguée de une protection sociale restée géné- détail. la « flexibilisation » des systèmes † † reuse, alors même que les taux juridiques (le droit du travail prin- d’emploi – chez les hommes et les Les promesses politiques cipalement), qui conservent une femmes, chez tous les types d’âge – logique relativement autonome – étaient très élevés, et le chômage Il serait fastidieux et inutile de fût-elle coordonnée avec la pro- et l’inactivité relativement faibles, revenir sur la foison de discours tection sociale. Il existe en effet les systèmes ont été réformés pour politiques tenus dans les diffé- des pays, comme nous l’avons mettre en avant systématiquement rents pays, mais aussi par l’OCDE montré en comparant la France le but d’insérer tous les membres et l’Union européenne (Serrano et l’Italie (Barbier et Fargion, de la société dans la norme com- Pascual, 2007). Au-delà des varia- 2004), qui flexibilisent leur mar- mune de l’emploi. Ces deux types tions, trois principales promesses ché du travail tout en n’activant idéaux d’activation de la protec- ont été présentées : les systèmes † pas leur protection sociale. tion correspondent à des systèmes anciens, considérés (abusivement, béveridgiens. Si, dans les systèmes on vient de le souligner) comme De nombreux travaux ont mon- bismarckiens, les réformes n’ont « passifs », se sont vu opposer † † tré qu’on pouvait styliser les pas été non plus négligeables l’idéal d’un « État social actif », † † réformes en types différents. (Palier et Martin, 2007), elles ont motif qui résume les innom- S’opposent ainsi un type libéral, connu – on le voit d’autant mieux brables dénominations qu’on a vu plus centré sur le fonctionnement avec le recul du temps – des diffi- naître en Europe dans les 10 der- du marché, à un type universaliste cultés importantes, au point qu’au- nières années dans le vocabulaire qui combine haut niveau de socia- cun type idéal clair ne s’est imposé des politiques sociales3. L’acti- lisation des risques et appel au (Barbier, 2008a). Au-delà de cet vation de la protection sociale marché (Barbier, 2002 ; Serrano † essai de modélisation de types, il était d’abord censée augmenter la Pascual, 2007 ; Lødemel, 2004 ; † † est possible de schématiser, sur la participation de tous les membres Goul Andersen et Pedersen, base d’expériences de quelques de la société au travail (activité 2007). pays significatifs (États-Unis, professionnelle) : dans certains † À l’intérieur de chacun des France, Danemark, Allemagne, cas, la promesse allait jusqu’à l’es- pays, la variété de mise en œuvre Royaume-Uni), comment la poir de l’accès à des emplois de
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 27 qualité, mais, le plus souvent, il envisage des systèmes entiers en principes, outils) et dans les s’agissait de mettre d’abord les réforme sur une période longue, prestations et aides fournies gens en présence d’emplois tels abandonner toute velléité d’ob- aux personnes, tel qu’il a eu lieu que le marché les proposait. En jectiver des causalités précises. dans la pratique, ce qui suppose deuxième lieu, cet accès universel Ceci ne détruit pas l’utilité des une enquête détaillée de terrain à l’activité professionnelle allait milliers d’études d’évaluation qui (Barbier, 2006) ;† faire reculer la pauvreté, car le sont commanditées en Europe : † travail était désormais considéré – les changements effectifs qu’on mais leur valeur d’information partout comme la solution par peut, sinon toujours imputer pour la recherche est inévitable- excellence à la pauvreté. Par le directement à la réforme géné- ment limitée par les restrictions et même mouvement, en troisième rale, du moins considérer simplifications, par les réductions lieu (les inégalités en général comme liés à elle, par la mesure qui président à leur fabrication4. étant passées au second plan), d’indicateurs quantitatifs clas- 27 Ainsi, contrairement aux préten- « l’État social actif » était en même siques des sciences sociales : tions constamment réitérées par † † † temps un agent d’inclusion pauvreté, activité profession- les gestionnaires de politiques, la sociale, pour reprendre le mot nelle, niveau et structure des notion de « bonne pratique » est † † politique inventé en Grande- dépenses sociales, etc. ; c’est à ce une illusion si l’on croit pouvoir † Bretagne et diffusé par l’Union deuxième niveau qu’on recher- transférer d’un pays à un autre, européenne pour remplacer la chera ici si les trois promesses d’une époque à une autre, d’un vision négative d’exclusion ont été ou non tenues ; † contexte spécifique à un autre, des sociale. Dans tel ou tel pays, il y politiques comme des « boîtes à † – les transformations idéolo- avait bien sûr des promesses plus outils ». Régulièrement adminis- † giques qui les accompagnent : † spécifiques : ainsi, l’une des pro- † trées, les leçons normatives de modification des idées, des dis- messes du workfare aux États- l’OCDE ou des services de la cours, et, plus largement, des Unis était le « soutien » de la † † commission européenne concer- référentiels des politiques famille et du mariage (Morel, nant « ce qui marche » sont ici de † † (Jobert et Muller, 1987), plus ou 2000), mais nous laisserons de peu de secours, car elles mélan- moins nationaux, plus ou moins côté les idiosyncrasies nationales gent intrinsèquement jugements internationalisés ; † pour nous concentrer sur les trois normatifs et méthodologies des promesses communes. sciences sociales. – les conséquences que les réformes diverses entraînent Les transformations De ce point de vue, deux pro- dans la légitimité (collective) observables/observées : comment blèmes essentiels se posent : d’une † des politiques, et de la protec- les objectiver ? part, les politiques ne sont jamais tion sociale en général, mais exactement mises en œuvre aussi les conséquences qu’elles Le repérage des conséquences comme leurs auteurs les envisa- provoquent sur la subjectivité des réformes menées en matière gent à l’origine, et d’autre part, et des personnes (le vécu indivi- d’activation depuis 10 à 20 années surtout, leurs conséquences duel), sur leur « citoyenneté† n’est pas une tâche facile. S’il est sociales excèdent infiniment les sociale » (Goul Andersen, 2005 ; † † relativement aisé – et largement objectifs formels qui leur sont Bothfeld, 2008). pratiqué dans tous les pays – prescrits. Il convient donc de des- d’évaluer, à l’aide de méthodes siner une « carte » des consé- † † Les deux premières transfor- sociologiques ou économiques quences possibles de la vague de mations relèvent en quelque sorte appropriées, les « effets » de tel ou † † l’activation de la protection d’une analyse fonctionnelle clas- tel programme d’action bien cir- sociale. Quatre domaines sont à sique des politiques publiques. conscrit, sur une période délimitée explorer : † Au-delà de la délicate question, et courte, l’objectivation de l’im- déjà soulignée, de l’imputation pact de multiples réformes pose – le changement introduit dans le causale des « effets » à des « pro- † † † des problèmes d’une autre fonctionnement des systèmes grammes », elles ne posent pas de † ampleur. Il faut, dès lors qu’on (financement, architecture, problèmes insurmontables. Les
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 28 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 61 « loin du terrain » et qu’ils ont pris † † des objectifs symboliques d’affir- les mesures à leur « valeur † mation d’un discours de responsa- Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit faciale », comme si le fait de les † bilisation (et de culpabilisation) pour rien ? Contribution à un bilan qui édicter signifiait qu’elles chan- des personnes. Cependant, dans reste à faire geaient vraiment les choses, et bien des cas, la substance – natio- comme s’il n’y avait pas aussi des nalement diverse – de l’équilibre politiques symboliques. L’exemple effectif entre les fameux « droits » † † de l’échec éclatant du Revenu et « devoirs » n’a pas pour autant † † minimum d’activité (RMA) en été automatiquement transfor- France, introduit par une loi du mée ; c’est particulièrement le cas † gouvernement Raffarin, en 2003, en France et au Danemark. Dans est significatif à cet égard : alors † le cas français, dans les périodes 28 qu’on parlait de 100 000 contrats (et les lieux) où la création d’em- de RMA pour la fin 2003, il n’y en ploi s’est révélée trop faible, l’ad- a, à la mi-2008, que 15 000 à ministration de l’emploi n’a deux autres transformations relè- peine, après que le contrat RMA jamais eu les moyens d’imposer vent d’une analyse méthodique initial a été revu juridiquement de des obligations punitives, et les différente, puisqu’il s’agit de repé- fond en comble. De la même sanctions – par exemple pour non- rer des idées, des valeurs et manière, la mise en œuvre de la respect du contrat d’insertion normes, et, pour le cas des indivi- réforme dite « Hartz IV » a ren- † † pour les bénéficiaires du RMI ou dus, des traces de vécu. S’il est contré une résistance pour son pour les chômeurs –, sont restées, assez aisé d’analyser le contenu application aux chômeurs les plus en comparaison internationale, des discours officiels, ou d’en âgés et elle a dû être rapportée en fort limitées. De même, au recueillir les traces par des entre- octobre 2007. En Grande- Danemark, la sévérité apparente tiens approfondis auprès des Bretagne, comme d’ailleurs aux du discours danois à la fin des acteurs, il est beaucoup plus ardu de Pays-Bas, malgré toutes les pro- années 1990 a toujours rendu pos- mesurer la légitimité des politiques, messes « d’activer les personnes † sible la prise en compte des diffi- et, encore plus problématique d’ob- handicapées », le nombre des per- † cultés des personnes, dans une jectiver les transformations du vécu sonnes hors du marché du travail logique égalitaire5. des personnes, à relier à la mise en et classées comme handicapées n’a place des réformes de l’activation. été réduit qu’à la marge depuis 10 Les trois grandes promesses Les éléments pour répondre à ans. Ceci est d’ailleurs aussi le cas toutes ces questions n’ont qu’à Ces transformations ont pris dans un des « modèles » contempo- † † peine commencé à être réunis, ils place dans une conjoncture éco- rains de l’activation par excel- réclament une enquête approfon- nomique favorable (1997-2007), lence, le Danemark (voir ci-après). die, dans une perspective de com- ce qui aurait dû favoriser l’accom- paraison internationale, d’autant S’il est effectif que les réformes plissement des promesses. En plus difficile à conduire que le ont été plus cohérentes et systé- matière d’activité professionnelle mouvement des réformes est matiques dans les pays béverid- des personnes, cependant, malgré incessant et variable selon les sec- giens, et n’y ont pas rencontré les l’activation sous toutes ses formes, teurs (Barbier, 2005b). obstacles institutionnels et cultu- dans tous les pays considérés ici rels-politiques des pays bismarc- (quoique de façon nettement Architecture et prestations kiens, cela ne veut donc pas dire moindre aux États-Unis), une part qu’elles sont traduites par des réa- importante de la population reste Sur le premier point, l’enquête lisations mirobolantes en matière « hors emploi » après les réformes. † † a été largement faite dans la litté- de réduction de la pauvreté, Elle est soutenue chichement et rature comparative internationale d’augmentation des taux d’acti- de façon précaire (sauf dans les déjà citée : c’est le domaine le † vité et de recul de l’exclusion pays scandinaves) par des presta- mieux documenté, à ceci près que sociale. Ainsi, dans tous les pays, la tions d’assistance ou d’autres rem- certains analystes sont restés rhétorique politique a poursuivi placements de revenu. Aux
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 29 États-Unis, à cause de la bonne objectifs affichés par ce gouverne- tés se sont le plus accrues, nette- santé de l’économie encore tout ment ne seront cependant pas ment plus que dans les pays conti- récemment, les réformes ont atteints6 et les observateurs sont nentaux, sans parler des pays entraîné une augmentation de convaincus de la « rentabilité » † † scandinaves. Ainsi, la proportion l’activité professionnelle pour les décroissante du système des des personnes exposées à l’exclu- personnes pauvres isolées, mais impôts négatifs. En Allemagne, où sion sociale – y compris sous la pas la part des emplois de qualité. il est trop tôt pour enregistrer les forme de la « marginalisation » à la † † En Grande-Bretagne, la part des effets de l’ensemble des réformes scandinave – n’a pas significative- inactifs n’a pas considérablement d’activation de la protection ment changé dans les 10 dernières diminué : des catégories de la † sociale, le niveau de la pauvreté années. Le positionnement relatif population sont restées peu affec- n’a pas brutalement évolué ces des pays reste globalement le tées par les réformes, dans un pays dernières années ; il n’a en tous les † même en matière d’inégalités et où la part des ménages sans travail cas pas diminué en raison de d’exclusion, les deux phénomènes 29 est parmi les plus élevées « l’activation ». Aux États-Unis, † † ayant plutôt augmenté partout. Là d’Europe (3 millions de ménages non plus : l’effet majeur de la † encore, la promesse de l’activa- sans travail actuellement). Malgré réforme Clinton aura été de main- tion, par temps économique favo- la générosité, réelle, des tax credits tenir les mêmes niveaux relatifs rable, n’a pas été tenue. introduits par le gouvernement de pauvreté, tout en obligeant les travailliste, et l’augmentation de assistés à tirer leurs revenus du En revanche, dans tous les pays, la qualité des services de l’emploi travail alors qu’ils les tiraient les dépenses ont été ajustées et (elle aussi réelle), les choses n’ont auparavant de l’assistance ; il y a † contenues. Ce constat peut être guère changé, au cours des 10 der- eu le plus souvent en quelque fondé ici de façon globale, mais il nières années, sauf pour les sorte substitution, sauf pour des requiert des travaux plus complets familles monoparentales, dont la groupes particuliers. Le Dane- qui tiennent compte de la multi- situation s’est améliorée. En mark reste, avec la Suède, l’un des plicité des dépenses publiques ou Allemagne, le recul de l’analyse pays où la pauvreté est la moins socialisées qui peuvent être consi- est moins long, mais les emplois à répandue, mais cela n’est pas dû dérées comme relevant de l’acti- bas salaire (travaux à temps par- aux réformes d’activation. Ce ne vation au sens où nous l’avons tiel, les « mini-jobs »), se sont mul- † † sont pas, d’ailleurs, les offres d’ac- définie7. Si l’ajustement a été bien tipliés, avant même la réforme tivation des chômeurs qui ont créé différent (avec les pays scandi- Hartz du gouvernement Schröder, de l’emploi net et les chercheurs naves restés très généreux en faisant prendre conscience à la danois restent sceptiques, sauf sur comparaison) et, partant, très société allemande de l’importance un point : la longueur de la percep- † inégal et inégalitaire en Europe, de situations de vulnérabilité, au tion des prestations se combine les dépenses d’assistance et de point que le mot Prekariat a été avec l’effet des offres d’activation chômage, des prestations de han- introduit dans la langue alle- qui peut être considérée à la fois dicap et contre l’exclusion sociale, mande en 2006. La Grande- comme un soutien et comme, par- à l’intérieur de la dépense sociale Bretagne est cependant toujours fois, un repoussoir, une incitation en général, ont été maîtrisées8. pionnière en Europe pour la pro- à être mobile. C’est ce qu’illustre le tableau sui- portion des emplois de mauvaise vant pour trois cas significatifs de qualité dans les comparaisons de En matière d’inégalité (entre pays. la Commission européenne. couches sociales, entre qualifiés et moins qualifiés, entre hommes et Cela ne veut donc pas dire que En matière de pauvreté, des femmes, entre jeunes et vieux), ces dépenses ont été radicalement résultats non négligeables ont été force est de reconnaître que les réduites, mais cela tend à confir- revendiqués par le gouvernement pays où la version la plus punitive mer l’impact en termes de cost- britannique : ils concernent la part † et rigoureuse des réformes d’acti- containment (Pierson, 2001), la plus vulnérable des enfants, vation a été mise en œuvre, sont pendant que d’autres secteurs de mais ces résultats sont dus à l’aug- aussi ceux (les États-Unis, la prestations (surtout la santé) ont mentation des allocations. Les Grande-Bretagne), où les inégali- continué d’augmenter.
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 30 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 61 Tableau 1. Proportion des prestations sociales consacrées au Le workfare et l’activation de la protection chômage, handicap, exclusion sociale (%) sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit pour rien ? Contribution à un bilan qui reste à faire 1997 2001 2005 Danemark, chômage 12,6 10,0 8,6 Danemark, handicap 10,8 12,5 14,4 Danemark, exclusion et autres 4,0 3,7 3,4 Danemark, total 27,4 26,2 26,4 30 France, chômage 7,8 7,1 7,5 France, handicap 5,9 5,9 5,9 Les transformations France, exclusion et autres 1,3 1,5 1,6 idéologiques France, total 15,0 14,5 15,0 Comme l’ont bien montré plu- sieurs chercheurs (Van Berkel et Royaume-Uni, chômage 3,9 3,5 2,6 Møller, 2002 ; Serrano Pascual, † Royaume-Uni, handicap 10,3 9,3 9,0 2007) la réforme s’est accompa- gnée d’une transformation idéolo- Royaume-Uni, exclusion et autres 0,8 0,9 0,7 gique profonde, qui combine Royaume-Uni, total 15,0 13,7 12,3 l’introduction de nouvelles idées quant à ce qui est censé être le Source : Eurostat, 2008, séries 1997-2005, European Social Statistics « plus efficace » et une nouvelle † † « logique morale et politique », † † articulée avec un discours morali- ici que, dans la comparaison, le Le vécu des personnes sateur des « droits et devoirs ». † † Dans cette transformation, sur- raisonnement en termes de Enfin, c’est sur le plan des tout depuis le début des années niveaux d’abstraction auquel nous conséquences sur le vécu, l’auto- 2000, l’influence internationale convie G. Sartori (1991) est nomie, la reconnaissance sociale des économistes mathématiciens, important. Si partout les politi- des personnes que la transforma- qui se font les avocats des ciens articulent un discours de tion apportée par la vague de l’ac- réformes, est allée croissant. Pour droits et de devoirs, dénoncent des tivation – qui va, avec la crise, au autant, cette idéologie commune profiteurs et des fraudeurs, la sub- moins en partie refouler – est la ne s’incarne pas pareillement dans stance des droits et des devoirs plus difficile à objectiver. Le chan- tous les pays : si elle les influence † reste, à un niveau moins abstrait, gement idéologique est inévita- tous, elle n’y pénètre pas de la hétérogène ; pour ne prendre qu’un † blement amorti dans les pays même façon, et les cultures poli- exemple : alors que le gouverne- † universalistes qui ont maintenu un tiques différentes, les systèmes de degré généreux de protection ment libéral-conservateur danois normes nationales différents se sociale et des orientations fortes en place depuis 2001 s’efforce de chargent d’en filtrer l’influence en ce qui concerne l’égalité et la (Barbier, 2008b). Globalement, la réduire la durée de versement des citoyenneté sociale commune transformation idéologique pro- prestations d’assurance-chômage, (Goul Andersen, 2005), ce qui fonde ne met pas en cause l’oppo- cette durée était encore, fin 2008, n’exclut pas pour autant une sition des deux types, universaliste de quatre ans contre les six mois dégradation relative du vécu de et libéral de l’activation que nous du filet de sécurité de la leur situation chez certains avons mentionnés plus haut. C’est Jobseeker’s allowance britannique. groupes de personnes. Dans ce
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 31 domaine, s’il existe des enquêtes minorer leur impact sur les constat de la maîtrise des coûts et des réflexions nombreuses conceptions morales des per- (cost containment) – de l’assis- (Paugam et Duvoux, 2008, pour la sonnes, sur leurs capacités d’ac- tance, de la couverture chômage France ; Bothfeld, 2008, pour † tion, leur autonomie et leur et des préretraites – émerge, sans l’Allemagne), un double pro- dignité en tant que personnes, qui qu’il y ait réduction radicale de la blème se pose pour que la entrent dans les capabilities, au protection sociale (Castles, 2004). recherche comparative internatio- sens d’Amartya Sen ou dans la Dans le même temps, selon tous nale soit en mesure d’objectiver substance de la citoyenneté les indicateurs classiques, les pro- les choses. Le premier tient dans sociale (Goul Andersen, 2005) et messes politiques n’ont pas été la mesure dans laquelle l’analyse ont aussi à voir avec la « recon- † tenues. L’expansion des discours sociologique est capable de poser naissance » (Paugam et Duvoux, † et d’une rhétorique générale des la question de la légitimation – 1998). Mais, sur ces points, on ne droits et des devoirs semble sinon de la légitimité, des dispose aujourd’hui d’aucune n’avoir que peu de liens avec les 31 réformes. Le second, intimement étude comparative internationale. « performances » des politiques † † associé au précédent, est celui de La question majeure ici est celle publiques. Il y a surtout un point à la variété des contextes normatifs de savoir comment rendre compa- propos duquel des recherches nationaux dans les différents pays tibles des constats au sein de sys- supplémentaires, menées avec des qui ont pratiqué des stratégies tèmes normatifs très hétérogènes méthodes qui restent à inventer d’activation depuis 10 ans ou plus. de pays à pays (voir par exemple en matière de comparaison des la variété de la perception de la systèmes nationaux de normes, Dans certains pays, la stratégie précarité de l’emploi en Europe, de l’activation de la protection sont nécessaires ; il s’agit de la † Barbier, 2005a). On rencontre là transformation du vécu (et de la sociale résulte, y compris dans la une limite actuelle des sciences dimension des exigences accrues substance de la citoyenneté sociales, qui ne peut être comblée sociale), en liaison avec la com- vis-à-vis des personnes, d’un large dans le fait de choisir le point de débat social de légitimation. Dans préhension à chaque fois située au vue normatif de tel ou tel cher- plan national, de la légitimité des les pays scandinaves tout spéciale- cheur9, forcément marqué par son ment, les réformes résultent de la réformes et de leur insertion dans appartenance à telle ou telle cul- des logiques « politiques et construction de consensus, fus- ture politique. On s’aperçoit † sent-ils conflictuels, et leur légiti- morales » à chaque fois différentes † encore plus facilement de cette selon les pays, ce qui s’articule mation repose sur la construction aporie quand on compare les pays d’une perception de réciprocité avec des « formes élémentaires de † européens riches et les moins pauvreté » (Paugam, 2005). Enfin générale (Rothstein, 1998). Cette riches, récemment entrés dans † situation est bien différente tant – ce qui est essentiel –, les grandes l’Union, ou encore plus avec les différences entre les « perfor- en Allemagne, qu’en France ou en pays en développement. † Grande-Bretagne. Il faut aussi mances » sociales ont persisté † tenir compte du fait que la légiti- Au total, il est fort probable entre les pays, presque inchangées mation des mesures intervient au qu’autour de la réforme de l’acti- après 15 ans de réformes : en † sein d’un espace donné, le plus vation, sauf cas national ou local, Europe, l’écart entre la Suède et la souvent national (mais aussi catégorie ciblée particulière, les Grande-Bretagne n’a pas fonda- régional et local) ; or, ces contextes † principales conséquences en mentalement changé si on le sont porteurs de références nor- termes d’une activation réelle mesure selon les coefficients d’in- matives différentes et il n’est pas (c’est-à-dire, d’aider les personnes égalité classiques, alors que les aisé de comparer entre eux des à trouver des emplois ou de les deux pays ont maintenant un vécus de personnes au-delà des faire sortir durablement de la pau- niveau de vie moyen tout à fait frontières de la solidarité, qui res- vreté ou de l’exclusion sociale) comparable. Les dépenses sociales tent pour l’essentiel, nationales. sont restées très modestes et que ont été ralenties : l’activation aura † Comme S. Bothfeld l’a fait juste- les politiciens aient fait beaucoup certainement été un moyen de ment observer, l’objectivation des de bruit pour pas grand-chose. Sur maîtriser les coûts et cela corres- effets des réformes a tendu à le plan macrosociologique, seul le pond bien à la logique écono-
LSP 61-24 14/10/09 10:54 Page 32 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 61 bution fiscale pour les familles, (le type en est le Contrat emploi l’éducation et la social security (la solidarité [CES] dans le secteur Le workfare et l’activation de la protection sociale, vingt ans après : beaucoup de bruit retraite par répartition), l’essentiel associatif et public), mais concer- pour rien ? Contribution à un bilan qui de la protection sociale aux États- nant un stock significatif de la reste à faire Unis. Vingt-deux millions de population active (jusqu’à plus de ménages, soit un sur cinq, en béné- 10 % dans les années 1990), et un ficiaient, en 2007. Dans le même système particulièrement coûteux temps, le welfare-to-work, désor- de dégrèvements de cotisations mais appelé TANF, s’applique à sociales pour les employeurs, com- moins de deux millions de familles. biné avec une réforme du finance- Dans un système fortement créa- ment de la sécurité sociale11. À lui teur d’emploi, il s’agit donc d’une tout seul, appuyé par la réforme 32 activation fondée sur le marché et annoncée du service public de un large filet de sécurité résiduel l’emploi et de l’assurance-chô- sous la forme fiscale, pendant que mage, le RSA n’a que peu de mique de gestion de l’austérité ; l’accès à l’assistance proprement chance de faire passer la France † mais, dans les pays scandinaves, dite, décentralisée, était rendu dans le type libéral d’activation de cela n’a pas abouti à une augmen- la protection sociale. On en doute radicalement plus restrictif et tation significative des inégalités conditionnel. Ce système est stabi- dans la mesure où la réforme ne et ces derniers restent vraiment lisé depuis de nombreuses années, met pas fin à la variété des mini- très spécifiques. mais il est évidemment vulnérable mums sociaux et n’instaure pas, Tirer cette leçon en 2009, au à la crise financière et économique selon les informations disponibles, moment où la crise économique et il est profondément inégalitaire d’obligation stricte pour les béné- étend partout ses ravages est d’au- (notamment en matière de santé). ficiaires de recherche un emploi. tant plus intéressant que, jusqu’à Cette réforme a accru la part de la présent, les gouvernements n’ont France : un méli-mélo de logique béveridgienne du système adapté qu’à la marge leur discours réformes bigarrées français, déjà présente à ses ori- gines (Barbier et Théret, 2001) et en faveur de l’activation comme Le Revenu de solidarité active qui apparaît comme de plus en solution innovante et juste. (RSA), ainsi que la réforme plus hybride. La configuration sin- annoncée des aides à l’emploi en gulière française comprend un France sont évidemment au cœur État qui agit à la fois comme d’une nouvelle étape de réforme ANNEXE 1 de la « stratégie française d’activa- employeur de dernier ressort † (certes au petit pied, et non uni- Les expériences tion ». Toutefois, encore plus avec † versellement) et comme un « acti- † la crise économique de 2008, le vateur » de la demande de travail nationales † système français d’activation ne en jouant sur son coût. Comme en devrait pas, malgré les nom- Italie et en Espagne, cette activa- É.-U. : EITC et workfare breuses réformes de la nouvelle tion est poursuivie parallèlement présidence en 2007-2008, s’écarter avec une flexibilisation des Aux États-Unis, l’innovation de son style acquis depuis le début contrats de travail qui ne dit pas majeure d’activation est l’impôt des années 1980. Il combine, son nom, la plupart du temps. négatif, EITC fédéral et local. depuis une quinzaine d’années, C’est le dispositif qui permet de une multiplicité de minimums Grande-Bretagne : faire sortir de la misère les titu- sociaux10 (dont certains, on a ten- de la « wisconsinisation » laires de bas salaires. Petit à petit dance à l’oublier, ont une articula- blairiste à la généralisation le programme a pris une telle tion ancienne avec l’emploi – que annoncée du work-test ampleur, à partir de la fin des ce soit l’ASS ou l’API), une années 1980, qu’il constitue désor- palette de programmes d’emplois Sous le conseil de sociologues mais, avec le système de redistri- renouvelés depuis les années 1980 (A. Giddens) et d’économistes du
Vous pouvez aussi lire