Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?

 
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Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
Le magazine du Nouveau mouvement européen Suisse nomes / N° 1/2013

Litige fiscal avec l’UE:
			 quelle solution fera recette?
Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
sommaire                                                                                                       éditorial

    actuel                          Chère lectrice, cher lecteur,
    La politique européenne
    en chantier                         Cette année, le Nomes fête ses                                 l’UE et de contribuer ainsi à l’édifi-
    >> Page 3                       15 ans. L’occasion de passer en re-                                cation d’une Europe unie. Tout aus-
                                    vue les événements d’importance                                    si grave, l’autonomie dans l’adapta-
                                    et de jeter un regard sur l’avenir.                                tion aux normes de l’UE est devenue
    projecteur                          Le Nomes est né il y a 15 ans de                               extrêmement ténue. En cultivant
    Litige fiscal: de quoi          la fusion de différentes organisa-                                 l’attentisme, la Suisse est obligée de
    s’agit-il?                      tions proeuropéennes. Au fil du                                    reprendre constamment du droit
    >> Pages 4–5                    temps, il s’est profilé comme la force                             sans avoir pu participer à son élabo-
                                    prédominante en faveur d’un rôle                                   ration. L’exemple du litige fiscal il-
    La politique fiscale suisse     actif de la Suisse dans l’UE. Nos ob-                              lustre à souhait la portée qu’ont les
    à la croisée des chemins        jectifs sont restés les mêmes: nous                                normes européennes pour les pays
    >> Pages 6–7                    sommes pourvoyeurs d’informations objec-               non membres qui veulent participer au marché
                                    tives sur la politique européenne suisse et l’évo-     intérieur. Ainsi, la suppression des régimes fis-
                                    lution de l’UE pour la population, les milieux         caux privilégiés porte atteinte à la fiscalité des
    interview
                                    politiques, l’administration et d’autres groupes       cantons et à la péréquation intercantonale. A
    Rechercher des solutions        d’intérêt. Nous nous appliquons à dénoncer les         l’évidence, politique européenne ne rime plus
    majoritaires tient de la        contradictions et l’inertie qui caractérisent l’at-    avec politique étrangère, elle relève désormais
    quadrature du cercle            titude de nos autorités, tout en présentant des        de la politique intérieure.
    >> Pages 8–9                    propositions constructives permettant de sortir            La situation actuelle nous prouve à quel
                                    de l’ornière. De plus, nous nous engageons avec        point la Suisse a besoin d’un Nomes fort.
    vue du parlement                conviction en faveur d’un droit de codécision          Nous nous engagerons donc ces 15 prochaines
    Il faut à tout prix éviter un   de la Suisse au sein de l’UE et, partant, d’un rôle    années pour que notre pays ne reste pas un
    nivellement fiscal vers le      actif dans la formation du «projet Europe»,            membre passif mais qu’il assume pleinement
    bas                             conformément à nos intérêts et notre échelle           sa responsabilité dans le processus de l’UE.
    >> Page 10                      des valeurs.
                                        En regardant l’évolution de la politique eu-
    Interne                         ropéenne de ces dernières années, nous consta-
                                    tons que la Suisse est toujours privée de la fa-       Christa Markwalder
    Il est plus que temps de        culté de codécider au sein des institutions de         Conseillère nationale, présidente du Nomes
    relancer le débat européen
    >> Page 11
                                                                                                                            surfer
2   section                               Do you speak Euro­                                   Des commissaires
    Mes 13 années au Nomes                     jargon?                                        européens ayant une
    >> Page 12                                                                                opinion personnelle

    yes                              Il apparaît qu’une sorte de «ghetto-feeling» s’em-    Sur un point, les membres de la Commission euro-
                                     pare de la centrale bruxelloise de l’UE où se         péenne ressemblent à nos conseillers fédéraux:
    europe@school rassemble          croisent quotidiennement «eurocrates», journa-        chacun d’eux a son propre style, ses propres ori-
    près de 150 élèves               listes, politiques et lobbyistes qui discutent tou-   gines politiques et sa propre sensibilité culturelle
    >> Page 13                       jours des mêmes thèmes. Dans leur langage, une        – mais lorsqu’ils apparaissent en public ils sont
                                     quantité de termes se réduisent à un jargon stan-     tenus de présenter strictement la position qui a
    abattage de mythes               dardisé, familier aux acteurs mais parfois très dé-   été adoptée par l’ensemble de la Commission sur
    « La corruption dans             routant pour le grand public: le fameux «eurojar-     une certaine question. A ce jour, six d’entre eux
    l’UE réduit à néant              gon». Dès lors, à ce jour, sur un site Internet       se manifestent de manière tant soit peu nuancée
    120 milliards d’euros »          spécial du portail UE «Europe», sont expliqués 84     dans des blogs. Un site Internet est dédié à ces
    >> Page 14                       exemples de ce jargon standardisé, à commen-          prises de position et aux blogs de certains hauts
                                     cer par «abstention constructive» jusqu’à «poli-      fonctionnaires. (sp)
    la dernière                      tique de voisinage».   (sp)
    Solution aux questions
                                     europa.eu/abc/eurojargon/index_fr.htm                 europa.eu/take-part/blogs/index_fr.htm
    institutionnelles
    >> Page 15
Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
actuel

               la politique européenne
                     en chantier
                                                 Par Lukas Schürch, secrétaire général

Le Conseil fédéral a décidé de prolonger les contingents à l’immigration issue de l’UE. Ce faisant, il s’attire les foudres de
l’UE et remet en question indirectement et involontairement l’un des acquis majeurs de l’intégration européenne: la libre
circulation des personnes. En cette période clef de négociations européennes, cette décision est plus que maladroite.

   L    e Conseil fédéral a décidé d’étendre
        l’application de la clause de sauve-
garde et, partant, de limiter pendant un
                                                 but la préservation durable des ressources
                                                 naturelles en limitant à 0,2 % par an
                                                 maximum la croissance de la population
                                                                                                 cale. Faute de pro-
                                                                                                 jets concrets d’ici
                                                                                                 à l’été 2013, l’UE
an l’immigration issue de tous les Etats de      et en affectant 10 % des moyens consa-          proposera à ses
l’UE. Ce faisant, il a tenté de couper           crés à la coopération internationale au dé-     Etats       membres
l’herbe sous les pieds des opposants à la        veloppement à la planification familiale        l’inscription       de
libre circulation des personnes. Ces der-        volontaire dans les pays en voie de déve-       notre pays sur une
niers menacent en effet de referendum            loppement. On ignore encore si cette ini-       liste noire et l’adop-
l’extension de la libre circulation à la         tiative est valide et si elle sera soumise au   tion de sanctions.
Croatie. Ils reprochent en outre au              peuple. Il faudra déterminer si la combi-       Dès lors, une com-
Conseil fédéral de ne jamais utiliser les        naison de ses objets est compatible avec le     mission comprenant des représentants de
leviers de protection prévus dans les ac-        principe de l’unité de la matière. Enfin, la    la Confédération et des cantons a élaboré
cords bilatéraux et de se mettre à plat          Croatie sera admise dès le 1er juillet 2013     des solutions. Pour l’instant, c’est un dis-
ventre devant l’UE. Cependant, l’effet           en qualité de 28e Etat de l’UE. L’UDC lan-      positif combiné qui est envisagé, à savoir
produit est inverse. Le Conseil fédéral n’a      cera un referendum contre l’extension de        des diminutions d’impôt généralisées pour
fait que mettre en œuvre un moyen abso-          la libre circulation à cet Etat.                les entreprises, assorties de privilèges fis-
lument inefficace et remet en question,              En outre, depuis 2008, l’UE subor-          caux euro-compatibles (licence box). Le
sans le vouloir, la libre circulation des per-   donne la conclusion de nouveaux ac-             manque d’impôt à percevoir sur le revenu
sonnes. Il empoisonne ainsi durablement          cords liés à la participation de la Suisse      des entreprises de certains cantons serait
le climat en politique étrangère, tout en        au marché commun à une réforme des              alors en partie compensé par la confédéra-
envoyant des signaux contradictoires en          institutions, ces dernières se devant en        tion. Une augmentation de la TVA ou bien
politique intérieure dans la perspective         effet de garantir la sécurité juridique du      l’introduction d’un impôt sur les plus-va-
des votations à venir.                           marché commun de l’UE. Trois solu-              lues pourraient alors permettre de financer     3
    Trois votations auront très vraisem-         tions se profilent: l’amarrage aux ins-         cette compensation.
blablement lieu ces prochaines années            titutions de l’EEE, la création d’une               Par ailleurs, les ministres des finances
sur des objets dont la mise en œuvre n’est       instance de surveillance commune et in-         des pays européens ont décidé en mai de
pas compatible avec l’accord actuel sur          dépendante et la possibilité de requérir        donner mandat à la Commission euro-
la libre circulation des personnes: l’ini-       des décisions rendues en cas de diffé-          péenne de négocier avec la Suisse une
tiative contre l’immigration de masse,           rends et des expertises juridiques ayant        révision de l’imposition de l’épargne,
l’initiative Ecopop et le referendum de          force de droit auprès de la Cour de jus-        ce qui implique une négociation sur
l’UDC menacant l’extension de la libre           tice de l’UE. Il est aussi question de pro-     l’échange automatique des données. Les
circulation des personnes à la Croatie.          céder à des adaptations d’ordre institu-        derniers bastions du secret bancaire en
    L’initiative contre l’immigration de         tionnel aux accords existants.                  Europe, le Luxembourg et l’Autriche,
masse exige que tout flux migratoire soit            Mais actuellement, c’est surtout dans       ont désormais subordonné leur accord
limité par un nombre maximal fixé chaque         le domaine de la fiscalité des entreprises      pour l’échange automatique d’informa-
année. L’accord sur la libre circulation des     que la Suisse est mise sous pression. De-       tions à la mise en œuvre d’une solution
personnes avec l’UE devrait alors être re-       puis 2002, l’UE désapprouve et considère        équivalente avec la Suisse. Au regard de
négocié dans les trois ans et pourrait, en       comme néfastes les avantages fiscaux que        l’échange automatique d’informations
cas d’échec, être résilié. En outre, en rai-     les cantons réservent aux bénéfices des so-     accordé par les pays européens aux USA
son de la clause guillotine, ce sont les six     ciétés holding, des sociétés d’administra-      dans le cadre de l’accord FATCA, l’Au-
autres traités des accords bilatéraux I qui      tion et des sociétés mixtes sur les béné-       triche et le Luxembourg ont convenu
pourraient ainsi être remis en question et       fices réalisés à l’étranger et accordés dans    avec la Suisse de la délivrance d’un nou-
être renégociés. L’initiative Ecopop a pour      le cadre de la loi sur l’harmonisation fis-     veau mandat élargi de négociations. 
Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
projecteur

        litige fiscal: de quoi s’agit-il?
                         Par Jacques Beglinger, D.E.S.S, avocat et membre de la direction de SwissHoldings

        En raison notamment de sa structure         la Suisse à la Commission européenne,
    fédéraliste, la Suisse attache une grande       organe clef de l’UE chargé de faire res-
                                                                                                                        glossaire
    importance à la concurrence fiscale             pecter le droit communautaire auquel,              Impôt sur les entreprises
    comme un moyen efficace de diminuer la          dans un sens plus large, appartient aussi
    quote-part de l’Etat. Certains éléments         le droit bilatéral. En vérité, le litige fut au   Le bénéfice réalisé par un entrepreneur est
    du système fiscal suisse entraînent toute-      début caractérisé par une argumentation           l’objet de l’impôt sur les entreprises (impôt
    fois des tensions récurrentes avec d’autres     juridique qui par la suite s’est déplacée         sur les bénéfices). Dans le cadre de la loi
    pays ou des organisations internatio-           sur le terrain exclusivement politique.           fédérale sur l’harmonisation fiscale, les
    nales. De plus, en vue de faire face aux            Au niveau juridique, les régimes fis-         cantons accordent à des entreprises ex-
    tensions éventuelles, on utilise des instru-    caux privilégiés en question représentent,        clusivement ou principalement actives à
    ments fiscaux, par exemple la fiscalité de      dans l’optique de la Commission euro-             l’étranger des avantages fiscaux différen-
    l’épargne, pour préserver en contrepartie       péenne, une entorse aux dispositions du           ciés sur les revenus générés à l’étranger.
    la discrétion dans l’industrie bancaire.        droit de concurrence figurant dans les            Ce traitement inégal est critiqué par l’UE.
        S’agissant des relations entre la Suisse    accords bilatéraux avec la Suisse. Cette          Quant à l’impôt fédéral, celui-ci ne connaît
    et l’Union européenne (c.-à-d. l’UE             dernière a cependant toujours contesté            pas de tels privilèges. La pleine taxation
    comme entité, non pas avec certains de          cette interprétation et reproché à la             des sociétés bénéficiant des faveurs des
    ses Etats membres), le terme «litige fis-       Commission d’avancer des arguments                cantons rapporte bon an mal an près de
    cal» désigne avant tout une controverse         juridiques artificiels pour imposer à la          4 milliards de francs à la Confédération, à
    sur les régimes fiscaux préférentiels des       Suisse, pays non membre de l’UE, son              savoir presque la moitié du total de l’impôt
    cantons suisses pour certaines catégories       code de conduite fiscale. Ce code n’a en          sur les entreprises. (ls)
    d’entreprises. Ces régimes incitent des         effet rien à voir avec le droit bilatéral et
    sociétés transnationales à transférer leur      n’engage pas la Suisse. L’argumentation            Groupe de travail
    siège vers la Suisse où la charge fiscale est   juridique de la Commission s’explique
    considérablement plus faible que dans la        en fait par une innovation qui a introduit        A l’automne 2012, le Conseil fédéral a créé
    plupart des pays membres de l’Union. La         le droit bilatéral dans notre système juri-       un groupe de travail composé d’experts de
    Suisse considère ce régime comme un ou-         dique. Il s’agit là d’un aspect du droit de       la Confédération et des cantons. Dans un
    til légitime dans le cadre de la concur-        la concurrence. Bien entendu, la Suisse a         rapport intermédiaire rendu début mai, ce-
    rence fiscale internationale. En revanche,      elle-même depuis longtemps un droit de            lui-ci a esquissé des propositions de solu-
4   les gouvernements des pays d’où sont            la concurrence, notamment sous la                 tions à délibérer. Ces dernières ont pour ob-
    originaires les entreprises concernées          forme d’une loi sur les cartels. Toutefois,       jectif d’éliminer les pratiques contestées,
    s’offusquent de ce que ces dernières –          celle-ci ne contient que des dispositions         sans pour autant diminuer l’attractivité fisca-
    pour ne mentionner qu’un cas de figure          sur la conduite portant atteinte à la             le. Selon le modèle de certains Etats memb-
    typique – ne font que transférer leur ad-       concurrence de la part d’entreprises,             res de l’UE, pourraient être introduits des al-
    ministration vers la Suisse, tout en conti-     mais non pas de l’Etat. L’interdiction de         légements fiscaux, d’une part, et les impôts
    nuant à maintenir leur production dans          soi-disant subventions de l’Etat, à savoir        cantonaux normaux baissés sur les entrepri-
    le pays communautaire. Les Etats                d’avantages financiers sélectivement ac-          ses, d’autre part. En outre, la Confédération
    membres de l’UE font valoir que les en-         cordés par l’Etat à certaines entreprises         serait appelée à compenser partiellement
    treprises en question utilisent l’infras-       ou branches économiques, a pour la pre-           ces pertes fiscales des cantons. (ls)
    tructure au centre de production sans           mière fois été introduite dans l’ordre ju-
    toutefois payer des impôts sur les béné-        ridique suisse par le biais de deux ac-            Code de conduite
    fices qu’elles y ont réalisés. Elles pro-       cords bilatéraux conclus dans les années
    fitent en Suisse de conditions privilé-         soixante-dix avec les Communautés eu-             En 1997, les pays membres de l’UE ont ad-
    giées, notamment d’un taux, qui plus est,       ropéennes d’alors. L’un de ces accords,           opté un code de conduite (Code of Con-
    sensiblement plus bas que celui qui vaut        celui sur le libre-échange, est toujours en       duct for Business Taxation) pour la taxati-
    pour des entreprises domiciliées en             vigueur. Par ailleurs, des interdictions de       on d’entreprises et en se basant sur ce
    Suisse.                                         subventions de l’Etat se trouvent encore          code ont qualifié d’inadmissibles les pra-
        Les divergences sur ces régimes fis-        dans deux accords plus récents, à savoir          tiques fiscales appliquées de la sorte par
    caux cantonaux ont fini par provoquer           dans les accords sur les transports ter-          les cantons. (ls)
    le litige que l’on connaît. Celui-ci oppose     restres et le transport aérien.
Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
projecteur

    Selon la Commission européenne, la        treprises. Dans ce cadre sont discutées                          glossaire
Suisse, à travers les modes d’imposition      des propositions de la Suisse sur des ré-
cantonaux (respectivement la loi fédé-        formes potentielles du régime fiscal. Ce        Accord sur la fiscalité
rale sur l’harmonisation des impôts men-      processus est toujours en cours. Il appa-       de l’épargne
tionnés ci-dessus, qui autorise de tels ré-   raît alors que nonobstant le manque de
gimes), viole donc un article de l’accord     fondement des arguments juridiques de          Le produit d’intérêts et en partie aussi
de libre-échange qui déclare les subven-      l’UE toujours dénoncé par la Suisse (qui       d’autres rendements du capital de per-
tions étatiques comme incompatibles           toutefois, ainsi que nous l’avons souli-       sonnes physiques sont traités fiscalement
avec le bon fonctionnement de l’accord.       gné, ne jouent pratiquement plus guère         comme revenu – à l’exemple de la Suisse
Comme on sait, la Suisse refuse cette in-     de rôle dans la discussion actuelle), celle-   – et imposés progressivement ensemble
terprétation. Elle fait valoir que l’accord   ci se tourne vers l’objectif visé par l’UE.    avec les autres revenus ou bien ils sont –
ne mentionne nullement le droit fiscal et     Dans le dialogue sont désormais évoqués        à l’exemple de l’Allemagne – grevés sépa-
ne peut dès lors pas être pertinent dans      des éléments modernes de taxation exis-        rément selon un taux unique. Dans les re-
ce domaine. La Commission, pour sa            tant dans l’UE et acceptés par la Com-         lations internationales, l’imposition et le
part, invoque une déclaration que la          mission, notamment l’«innovation box»          remboursement partiel de produits
Commission économique européenne              originaire des Pays-Bas, qui permet une        d’intérêts au pays d’origine sont tradition-
d’alors avait faite lors de la signature de   taxation particulièrement avantageuse          nellement réglés par des conventions de
l’accord de libre-échange. Elle y faisait     de revenus provenant d’activités innova-       double imposition. L’UE ayant déjà par le
remarquer qu’elle entendait interpréter       trices. Ne font pas partie du «litige fis-     passé privilégié le système de l’échange
les dispositions sur le droit de concur-      cal» à proprement parler les proposi-          automatique d’informations, elle a décidé
rence dans le même sens que celle du          tions présentées avec insistance par           d’autoriser désormais exclusivement ce
droit de concurrence communautaire.           différents pays membres de l’UE dans le        système et de l’étendre à des assurances
Ce dernier contient des prescriptions sur     cadre de l’harmonisation du cadre fiscal       vie et d’autres paiements (p.ex. des divi-
les subventions publiques qui, depuis les     au sein de l’OCDE, propositions qui sont       dendes). En concluant, en 2004, l’accord
années soixante, sont interprétées de ma-     à l’évidence pointées contre les modèles       sur la fiscalité de l’épargne, la Suisse a in-
nière qu’elles puissent aussi concerner       fiscaux imaginés par la Suisse. Précisons      troduit une retenue à la source à l’égard
des mesures fiscales (en d’autres termes:     que ces propositions, également dirigées       de l’UE. Dernièrement, le Conseil de l’UE a
un avantage fiscal préférentiel peut, se-     contre les régimes fiscaux en vigueur          décidé de demander à la Suisse le passa-
lon les circonstances, être considéré         dans certains pays membres de l’UE, ne         ge à l’échange automatique d’informations
comme une subvention publique). Après         sont plus guère portées par des moyens         et de négocier une extension à d’autres
enquête sur certains régimes fiscaux can-     juridiques mais plutôt politiques.             rendements du capital. (ls)
tonaux, la Commission européenne a
conclu, dans une décision de 2007, que                                                        OCDE
l’on avait effectivement à faire à des         Jacques Beglinger
aides d’Etat incompatibles avec l’accord.                                                    L’Organisation de coopération et de déve-        5
Précisons ici qu’il ne s’agit pas pour l’UE                                                  loppement économique (OCDE) compte,
du montant des impôts (autrement dit,                                                        outre la Suisse, 33 membres (dont 22 en
elle n’exige pas que la Suisse augmente                                                      Europe). L’UE n’en est pas membre, mais
de manière générale les impôts sur les so-                                                   elle participe à ses travaux. L’OCDE s’est
ciétés) mais plutôt de la taxation diffé-                                                    occupée de tout temps de la coopération
renciée de bénéfices réalisés dans le pays                                                   internationale dans le domaine fiscal. De-
ou à l’étranger. Les reproches de la Com-                                                    puis quelque 30 ans, les Etats membres
mission ont régulièrement fait l’objet de                                                    renforcent l’assistance juridique et admi-
discussions dans le comité mixte qui sur-                                                    nistrative en matière fiscale alors que la
veille le fonctionnement de l’accord de                                                      Suisse, eu égard à son secret bancaire,
libre-échange, sans que les partenaires                                                      s’en est abstenue jusqu’en 2009. En ce
aient trouvé un terrain d’entente. L’ac-       Membre de la direction de SwissHoldings,      moment, l’OCDE discute d’une lutte plus
cord ne prévoyant pas une autre instance       Jacques Beglinger est expert en politique     efficace contre le déplacement de subs-
commune (p.ex. un tribunal) pour arbi-         européenne suisse et en droit économique      tances fiscales vers des pays plus ac-
trer une telle controverse, aucune solu-       européen. A ce sujet, il a publié de nom-     cueillants. Dans ce contexte, le système
tion ne fut trouvée sur le plan juridique.     breux écrits («Principes du droit (éco­       des «licence boxes» pourrait subir des
    Dès lors, la controverse s’est déplacée    nomique) bilatéral Suisse-UE» en colla­       pressions et l’échange d’informations de-
sur le terrain politique. Le temps aidant,     boration notamment avec Christa Tobler,       venir le standard mondial. (ls)
la Suisse s’est déclarée disposée à enta-      disponible en allemand).
mer un dialogue sur la taxation des en-
Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
projecteur

                La politique fiscale suisse
                 à la croisée des chemins
                                           Par Jörg Walker, COO et expert fiscal de KPMG Suisse

      P    ays pauvre en ressources, avec un marché intérieur                   Recherche agressive de substances imposables
           restreint et des coûts de production élevés, la Suisse
    s’est toujours préoccupée de conditions cadres favorables à                   L’actuelle discussion internationale sur la fiscalité est domi-
    l’économie. Cela lui a valu non seulement la présence du-                  née par le phénomène de la dette publique ayant envahi la zone
    rable mais aussi l’afflux d’entreprises industrielles et de                euro et les Etats-Unis. Raison pour laquelle elle est menée de
    services actives au niveau mondial. Afin de promouvoir                     manière agressive. Le litige fiscal Suisse-UE n’en est qu’une des
    l’attractivité de sa place économique, la Suisse s’efforce                 nombreuses illustrations. En outre, plusieurs initiatives récla-
    depuis longtemps d’attirer notamment les activités de socié-               ment plus de transparence de l’industrie concernée alors que
    tés internationales qui génèrent une haute valeur ajoutée et               l’OCDE et le G20 essaient de contenir les déplacements de re-
    qui sont importantes stratégiquement. En font partie la                    venus légaux fiscalement motivés.
    direction d’entreprise et d’importantes fonctions finan-                      Quant au litige fiscal Suisse-UE, il se trouve que des négocia-
    cières. Le succès de cette stratégie est éloquent : les groupes            tions formelles n’ont pas encore commencé. Cependant, en dé-
    industriels ou financiers internationaux réalisent un tiers                clarant le 17 mai dernier que le Conseil fédéral et les directeurs
    du PIB suisse et offrent presque un tiers des emplois. Les                 cantonaux des finances étaient disposés à supprimer, dans leur
    entreprises étrangères produisent 10% du PIB et emploient                  forme actuelle, les régimes fiscaux privilégiés pour certaines en-
    375000 personnes. Les sociétés jouissant de privilèges fis-                treprises, la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf a
    caux fournissent plus de 5 milliards de francs d’impôts sur                lancé un premier signal d’importance en direction de Bruxelles.
    le revenu à la Confédération, aux cantons et aux com-                      Dès lors, il importe de trouver une solution durable, largement
    munes. En outre, l’implantation réussie de sociétés interna-               acceptée par l’opinion publique. L’objectif: garantir que la charge
    tionales grâce à des privilèges de holding et d’administra-                des entreprises ne soit pas alourdie et que la compétitivité de la
    tion a permis à la Suisse de maintenir l’impôt à un niveau                 Suisse n’en soit pas affaiblie, au risque sinon d’entraîner l’émi-
    comparativement bas. Les PME et la classe moyenne en                       gration d’importants contingents d’entreprises actives à l’inter-
    profitent dans une large mesure. Dès lors, le litige fiscal                national et la perte de dizaines de milliers d’emplois. Un groupe
    avec l’UE ne constitue pas un point de discorde parmi                      de travail, mis sur pied par le Département des finances, compre-
    d’autres avec nos pays voisins mais bien une question clef                 nant des représentants de la Confédération, des directeurs can-
    pour notre prospérité.                                                     tonaux des finances et de la Conférence des gouvernements can-
6

                                                                 Et quid de l’UE?

     Pour discuter du litige fiscal avec l’UE, il convient de connaître les pratiques fiscales des pays membres de l’UE et dans le reste du monde :
     • Structures tax haven: l’Irlande et les Pays-Bas connaissent des modèles d’imposition qui permettent de déplacer des revenus vers des pays
        à impôts bas et d’obtenir ainsi une réduction du taux de taxation du groupe jusqu’à 2,5%. En Suisse, de telles structures ne sont pas recon-
        nues par l’administration fédérale des finances.
     • Réduction de la base d’imposition: les pays du Benelux autorisent la limitation de l’assiette fiscale à certains revenus, de sorte que le taux
        de taxation du groupe peut être réduit au dessous de 5%. En Suisse, une réduction de la base d’imposition serait certes possible, mais jusqu’à
        présent le principe du rôle déterminant des autorités fiscales a toujours prévalu.
     • Exonération de l’impôt: en vue d’attirer des entreprises, Singapour accorde des exonérations de l’impôt allant jusqu’à 20 ans. Il est vrai que
        la Suisse connaît elle aussi une exonération de l’impôt pour les régions économiquement sous-développées (Lex Bonny). Celle-ci est toute-
        fois accordée pendant 10 ans au maximum et de plus en plus de manière restrictive.
     • R echerche et développement: les pays du Benelux, l’Irlande, l’Espagne, le Royaume-Uni et la France connaissent l’exonération totale ou par-
        tielle de revenus de redevances de brevets, ce qui entraîne des charges fiscales de 0 à 5% de ces revenus; la France, les Etats-Unis, le Japon
       et beaucoup d’autres pays connaissent l’exonération multiple de dépenses pour la recherche et le développement. La Suisse, elle, n’a jusqu’à
       présent pas exonéré cette catégorie de dépenses.  (Jörg Walker)
projecteur

                                                                                                                                                (Bild: màd)
tonaux, élabore actuellement des propositions. De plus, une          –	Privilèges accordés aux revenus de l’épargne internes au
alliance ad hoc de parlementaires des partis bourgeois PLR,              groupe: ils compenseraient les effets sur les revenus de
UDC, PDC, Vert’ libéraux et BPD des Chambres fédérales a dé-             l’épargne pour des sociétés holding;
posé une initiative parlementaire présentant des solutions           – Flexibilisation du principe du rôle déterminant des autorités
convaincantes. Le directeur des finances du canton de Genève a,          fiscales: cela permettrait de renforcer sensiblement notre
pour sa part, présenté une proposition sur la baisse générale de         compétitivité et aiderait par exemple les cantons de Genève
l’impôt sur les entreprises pour toutes les firmes, et sa collègue       et Zoug à retenir les sociétés commerciales devenues entre-
de Bâle-Ville recommande l’introduction d’une «licence box».             temps essentielles pour ces régions.
                                                                         Ces mesures – correspondant dans le fond à la pratique cou-
                                                                     rante de l’UE – contribueraient à assurer durablement la compé-
    Sauvegarde de la compétitivité de la Suisse                      titivité de la Suisse et à conserver les entreprises et les domaines
                                                                     d’activité qui se distinguent par leur haute valeur ajoutée et consti-
   Jusqu’à présent, deux ébauches de solution se profilent:          tuent les piliers centraux de notre économie. Celui qui prétend
                                                                     que certaines de ces pratiques fiscales sont dénoncées dans l’UE
   1. Baisse générale de l’impôt sur les entreprises: politique-     même, ne se rend pas compte d’un fait essentiel: à cet égard, la
ment, une telle solution ne pourrait être mise en œuvre comme        Suisse doit s’assurer la même part du gâteau que l’UE si elle ne
une mesure isolée. En effet, les pertes fiscales pourraient at-      veut pas perdre des entreprises au profit de leur implantation dans                      7
teindre quelque 5 milliards de francs et devraient être compen-      l’UE. Au cas où l’UE resp. le G20 changerait les règles à moyen
sées par de fortes augmentations d’impôt ou des réductions de        terme, la Suisse pourrait à ce moment-là aisément y renoncer. Elle
prestations. De plus, une baisse forfaitaire à 13-14% ne serait      ne risquerait en effet plus de voir partir les entreprises.
pas attractive pour les sociétés jouissant d’un régime privilégié,       Les entreprises actives au plan international sont avides d’obte-
ce qui pourrait les amener à quitter la Suisse. Une émigration       nir des certitudes. Elles veulent savoir dans quelle direction les
qui aboutirait à des pertes énormes en substance imposable et        choses vont évoluer. En l’état, la Suisse serait bien inspirée de ne pas
en places de travail. Une baisse générale serait sans doute ac-      préparer une «réforme fiscale 2018» surdimensionnée mais d’orien-
cueillie favorablement par les entreprises normalement impo-         ter le plus vite possible et de manière pragmatique la loi sur l’har-
sées jusqu’à présent, sans toutefois donner d’impulsions éco-        monisation fiscale de manière à permettre aux cantons de dévelop-
nomiques notables.                                                   per de façon autonome leurs régimes fiscaux et d’assurer pour
                                                                     l’avenir l’implantation des entreprises si vitales pour notre pays. 
  2. Mesures innovatrices: dès lors, trois autres paquets de
mesures seraient plus prometteuses.
                                                                      Jörg Walker
–	Innovation box et licence box: à Bâle, par exemple, celles-ci       Après son arrivée à KPMG en 1994, il est nommé partenaire en 1999.
  aideraient à fidéliser les entreprises pharmaceutiques et           Depuis 2004, il occupe la position de Head of Tax intérieur et est
  chimiques, si vitales pour le canton, en encourageant leur          membre du conseil d’administration. En 2012, il devient Chief Opera-
  implantation à long terme dans la région. De même, d’autres         ting Officer. Ses domaines de spécialité sont le Corporate et Business
  cantons avec des entreprises créant une haute valeur ajou-          Tax Consulting, en particulier pour les entreprises internationales.
  tée, par exemple l’industrie du luxe, pourraient en profiter;
interview

    «Rechercher des solutions majo-
     ritaires tient de la quadrature
                 du cercle»
    Directeur des finances du canton de           C’est très simple: je ne veux pas savoir            Chaque point de vue a ses avocats.
    Soleure, Christian Wanner fut égale-          combien d’argent mon voisin a déposé            Il ne faut pas exclure que certaines per-
    ment président de la Conférence des           à la banque, je veux seulement savoir           tes pourraient être la conséquence de
    directeurs cantonaux des finances             s’il paie des impôts. Je suis d’avis que        départs d’entreprises. L’imposition à
    (CDF) ces cinq dernières années et            l’échange automatique d’informations            bas niveau n’est pourtant qu’une des
    conseiller national PLR de1983 à              viendra. Il s’agira encore de s’entendre        raisons de rester en Suisse. La santé pu-
    1995. Dans un entretien avec le               sur sa mise en place.                           blique, l’éducation et la sécurité jouent
    Nomes, il évoque le litige fiscal, le                                                         également un rôle important.
    fédéralisme et une hypothétique ad-           A propos de la taxation d’entreprises.
    hésion à l’UE.                                Où en sont les négociations?                    L’UE attend des résultats concrets jusqu’à
                                                     On a fait pas mal de progrès dans            la fin juin.
    europa.ch: un litige fiscal oppose la         l’analyse des options de solutions.                 Cela me paraît trop ambitieux. Mais
    Suisse et l’Union européenne. De quoi                                                         je suis persuadé que si l’UE perçoit la
    s’agit-il?                                    Baisses d’impôts pour les entreprises,          volonté de la Suisse d’aborder les prob-
       Christian Wanner: la première ques-        «innovation et licence box», et éventuel-       lèmes de manière ciblée, un report de
    tion tourne autour du traitement des          les compensations par la Confédération?         6 mois ou d’un an ne jouera aucun rôle.
    avoirs d’origine étrangère non imposés            Oui, il nous faut une combinaison de
    en Suisse. Le deuxième aspect du litige       ces aspects. Il serait en effet irresponsable   Sinon, la Suisse risque de se retrouver
    concerne l’imposition des entreprises.        de baisser les impôts sur les sociétés sur      sur une liste noire.
    L’UE s’irrite du traitement différencié       une large échelle en menaçant ainsi le             C’est l’OCDE qui peut nous mettre
    d’entreprises implantées depuis long-         financement des prestations publiques.
                                                  ­                                               sur une liste noire.
    temps en Suisse et de celles qui sont ar-     De même, il ne saurait être
    rivées ces dernières années. Dans la plu-     question d’augmenter les                        L’UE pourrait recommander à ses Etats
    part des cas, ces dernières bénéficient       impôts d’une manière géné-                      membres de boycotter la Suisse. Quelles
    d’un taux fiscal plus bas.                                                                                     seraient les conséquen-
8                                                                                                                  ces?
    On a l’impression que la Suisse se              «Je suis un fédéraliste convaincu.                                 Cela signifierait qu’à
    trouve, une fois de plus, le dos au mur.                                                                       l’extrême, nos banques
    S’est-elle réveillée trop tard?                 Mais à force de tenir un discours                              se verraient retirer les li-
       Non, elle a simplement sous-estimé              à trois voix à Bruxelles, on                                cences. Ainsi, les autori-
    la portée du problème. Mais l’actuelle                                                                         tés de certains pays
    ministre des finances n’est pas respon-                  n’obtient rien.»                                      pourraient interdire aux
    sable de cette carence. Son prédécesseur                                                                       investisseurs de conclure
    a toujours tenu ferme en déclarant que        rale. Cela entraînerait des coûts énormes,      des affaires avec les banques suisses.
    les autres Etats s’useraient les dents à      notamment par l’émigration de certaines
    s’en prendre à notre secret bancaire.         entreprises. Je favorise la solution des bo-    A ce propos, l’UE se réfère au code de
    Soudain, ils n’avaient même plus besoin       xes, à condition qu’on l’applique de ma-        conduite. Pourquoi la Suisse doit-elle le
    de mordre. Au début, on a aussi catégo-       nière restrictive afin qu’elle ne correspon-    respecter?
    riquement refusé des demandes grou-           de pas en réalité à une baisse générale des        On a tout loisir de l’ignorer mais
    pées de données bancaires. Ce bastion         impôts. J’envisage la situation où la Con-      alors il faut s’accommoder des inconvé-
    est aussi tombé.                              fédération pourrait être amenée, pendant        nients. Par exemple, les entreprises
                                                  une certaine période, à verser des com-         fortement dépendantes de l’exportation
    Dans les faits, le secret bancaire est éga-   pensations en cas de pertes d’impôts.           et le secteur bancaire risqueraient d’en
    lement tombé.                                                                                 faire les frais. Le maintien intégral de la
       Nous devons différencier entre secret      Selon la solution, on parle de pertes           place financière est de la plus haute im-
    bancaire et secret de clients bancaires.      d’impôts de 1 à 5 milliards de francs.          portance.
interview

À propos des négociations: la Commis-
sion européenne négocie avec le Départe-
ment des finances alors que les impôts
cantonaux sont l’enjeu.
   C’est vrai. Mais les cantons sont rep-
résentés par quatre personnes dans le
groupe de travail de la Confédération.

Quel est exactement le rôle du groupe
de travail?
   Il a pour mission de présenter des
propositions de solutions et d’évacuer
la méfiance. Rechercher des solutions
capables de recueillir la majorité tient
en quelque sorte de la quadrature du
cercle. Elles doivent être acceptées aussi
bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.
Notre système de la démocratie directe
peut tout faire échouer.

Les cantons peuvent-ils faire valoir
leurs intérêts divergents?
    Il est vrai qu’ils ont des intérêts diver-
gents. A mon avis, la politique étrangère,
aussi dans le domaine fiscal, devrait être
l’affaire de la Confédération. Je suis un
fédéraliste convaincu. Mais à force de
tenir un discours à trois voix à Bruxel-         rent leur position dans la concurrence           tion serait renforcée. Dans les négocia-
les, on n’obtient rien. Il faut discuter des     fiscale en baissant les impôts.                  tions, on analyse soigneusement les
problèmes à l’interne, élaborer une po-                                                           points faibles de l’adversaire. Admettons
sition commune et ensuite la présenter à         N’y a-t-il pas de dumping fiscal aux             que nous fassions corps avec l’UE, nous
Bruxelles.                                       dépens de la péréquation financière?             aurions vraisemblablement de meilleures
                                                    Non, car à l’inverse de ce qui se pra-        cartes contre les Etats-Unis.
Des représentants du PS proposent de             tiquait autrefois, on ne tient compte que
déplacer l’impôt sur les sociétés au             des ressources lors du calcul. La mani-          Et qu’en est-il du litige fiscal avec l’UE?     9
niveau de la Confédération.                      ère de les utiliser est laissée à la discréti-   Celle-ci juge la Suisse plus sévèrement
   Je suis d’accord de se présenter unis à       on des cantons.                                  que par exemple l’Autriche ou le Lux-
l’extérieur, ce sous la conduite de la                                                            embourg.
Confédération. Mais à l’intérieur, la            Les exemples de l’impôt sur les sociétés            Vous avez raison, mais c’est normal.
souveraineté fiscale doit être laissée aux       et de la fiscalité de l’épargne illustrent
cantons. Une compétition fiscale raison-         bien la pression croissante exercée sur la       Parce que nous ne sommes pas membre?
nable garantit que les propres ressources        Suisse par les Etats-Unis et l’UE. Après             Evidemment, mais il n’y a pas seule-
soient gérées de manière économe. Je re-         tout, la Suisse a-t-elle encore des alliés?      ment cet aspect. Il y aussi des avantages
fuse catégoriquement une harmonisati-               Cela dépend des circonstances. (ap-           de ne pas être membre de l’Union. Celle-
on fiscale matérielle qui en découlerait.        rès réflexion…) Je crois que dans cer-           ci a ses problèmes. Il s’agit aussi de savoir
                                                 tains domaines, elle peut encore comp-           qui paye pour ces problèmes. La Suisse se-
La concurrence fiscale n’est-elle pas            ter sur des alliés. Mais elle ne devrait         rait amenée à s’engager massivement. En
considérablement restreinte du fait              pas les mettre en péril!                         tant que membre, tous les problèmes ne
même de la péréquation financière?                                                                seraient sûrement pas résolus, mais dans
   Non. La concurrence fiscale est vive.         Admettons que la Suisse soit membre de           le dossier fiscal nos négociations seraient
Mais l’on ne peut pas admettre que cer-          l’UE. Dans le litige fiscal avec les Etats-      peut-être plus simples.
taines régions comme Bâle, Zurich ou             Unis, serions-nous au même degré à la
Genève doivent résoudre leurs prob-              merci de Washington?
lèmes en matière de politique sociale               Nous serions tout de même sous pres-
quand d’autres, petits cantons, amélio-          sion. Mais il est évident que notre posi-        (Interview menée le 13.5; ls, ms)
vue du Parlement

                  Il faut à tout prix éviter
                    un nivellement fiscal
                          vers le bas
                  Par Margret Kiener-Nellen, conseillère nationale PS/BE et membre de la Comission des finances

        L   a Suisse s’évertue à attirer des reve-
            nus d’entreprises qui ont été pro-
     duits à l’étranger. Ces revenus sont taxés
                                                     est inacceptable. Il n’est donc pas éton-
                                                     nant que parmi ces derniers la Suisse,
                                                     pays politiquement isolé, soit particuliè-
                                                                                                    vable que certains cantons soient finan-
                                                                                                    cièrement ruinés alors que d’autres roulent
                                                                                                    sur l’or. Il importe donc de restreindre ou
     à des taux privilégiés sans que le fisc du      rement sous pression.                          d’empêcher les taxations préférentielles.
     pays d’origine en voie la couleur. Dans            Pourquoi ne supprimons-nous pas             Sans cette garantie, nous devrions nous
     certains cantons suisses, ces revenus sont      simplement dans notre loi fiscale cette        attendre à un nivellement fiscal vers le bas.
     imposés à un taux qui se situe à plus de la     possibilité de traitement privilégié? Cer-        En raison de cette situation, il ne
     moitié du taux appliqué pour des revenus        taines entreprises sont très flexibles dans    reste que l’option suivante:
     produits en Suisse.                             le choix de leur implantation. Les can-           Le taux fédéral pour les bénéfices
        L’UE considère comme dum-                              tons se disputent donc leur fa-      d’entreprises, actuellement fixé à 8,5%,
     ping fiscal cette distinction suisse                      veur dans une concurrence fis-       doit par exemple être élevé à 16%. Les
     entre revenus produits dans le pays                       cale, mais aussi avec l’étranger.    recettes provenant des 7,5% supplémen-
     d’origine et à l’étranger. La dimen-                      En raison de leurs particulari-      taires sont reversées aux cantons. En
     sion du phénomène explique l’irri-                        tés structurelles et de leur posi-   outre, les cantons sont libres de régler la
                                                                                                    taxation d’entreprises à leur guise.
                                                                                                       Les cantons baisseront leurs propres
     «Notre pays prive ses partenaires d’importantes recettes                                       impôts sur les sociétés, parce que la part
       fiscales. Mais si tous les pays procédaient de cette                                         de la Confédération croîtra et qu’ils re-
                                                                                                    cevront plus d’argent provenant des re-
      manière, il serait impossible de taxer les entreprises»                                       cettes fédérales. Même si un canton fixe
                                                                                                    à zéro son propre impôt sur le bénéfice,
     tation de l’UE: plus de la moitié des re-       tion politique, ils poursuivent des straté-    il ne pourra pas aller au-dessous du
     venus imposés en Suisse sont d’origine          gies différenciées dans cette compétition.     taux nominal fédéral de 16 pour cent.
     étrangère et profitent ici de taux fis-            L’UE estime que la Suisse participe            La concurrence fiscale est limitée
10   caux privilégiés. Pour les pays d’origine       au marché intérieur européen et qu’elle        vers le bas; un dumping fiscal et, par-
     – il s’agit notamment d’Etats membres           «triche» en offrant aux entreprises des        tant, une saignée de la Confédération,
     de l’UE et des Etats-Unis – il en résulte       pays voisins des taux fiscaux plus bas         des cantons et des villes est empêchée.
     une perte de l’assiette fiscale s’élevant       qu’à celles du cru. Ainsi, notre pays – dé-       Seule cette étape d’harmonisation
     à quelque 70 milliards de francs. Au fil        pendant de ses exportations – prive ses        modérée permettra à la Suisse de ré-
     du temps, cet abus a pris des propor-           partenaires d’importantes recettes fis-        soudre les problèmes existants, sans
     tions toujours plus importantes. Pen-           cales. Mais si tous les pays procédaient       pour autant créer un nouveau foyer de
     dant que le PIB nominal suisse s’est            de cette manière, il serait impossible de      tensions.
     élevé de 70% entre 1990 et 2010, les            taxer les entreprises.
     !recettes provenant de l’impôt fédéral             L’objectif princi- Margret Kiener-Nellen
     direct se sont quadruplées.                     pal d’une solution
        La Suisse est-elle seule à recourir à ce     du conflit consiste Depuis 2003, Margret Kiener-Nellen
     genre de roublardise? Nombre de pays            à maintenir les re- est conseillère nationale PS. Avec son
                                                     cettes des pouvoirs collègue Roger Nordmann, elle a
                                                                                                                                             (Services du parlement 3003 Berne)

     accordent aux entreprises des formes
     variées d’allégements fiscaux plus ou           publics au moins au récemment proposé de lancer une ini-
     moins légaux. Ainsi, des allégements li-        même niveau qu’à tiative populaire «pour une imposition
     mités destinés à créer des places de tra-       l’heure      actuelle. équitable des entreprises dans toute la
     vail dans des régions défavorisées ne           Cela vaut aussi pour Suisse». Objectif: déplacer l’impôt sur
     posent pas de sérieux problèmes. En re-         les recettes des dif- les sociétés au niveau de la Confédéra-
     vanche, le braconnage fiscal, monnaie           férents partenaires. tion pour réduire la concurrence fis-
     courante en Suisse et dans d’autres pays,       Il serait inconce- cale entre cantons.
interne

                     Il est plus que temps
                     de relancer le débat
                           ­Européen
                                          Par Marie Seidel, collaboratrice au Nomes

L’assemblée générale du Nomes a tenu                                                      ral d’adapter son discours aux réalités et
ses assises le 4 mai dernier à l’hôtel                                                    de relancer, une fois pour toutes, le dé-
Kreuz à Berne. Une journée marquée                                                        bat européen. «En évitant soigneusement
par l’adoption d’une lettre ouverte au                                                    d’engager le débat européen pourtant de-
Conseil fédéral, la remise du Prix Eu-                                                    puis longtemps urgent, le Conseil fédéral
rope 2013 et le savoureux discours de                                                     se dérobe à ses responsabilités. Lorsque
Markus Notter, ancien conseiller d’Etat.                                                  les partis politiques se montrent réticents
                                                                                          à soulever la question compte tenu des
   «Honorée et très heureuse», c’est en ces                                               sondages d’opinion et des élections, il est
termes que Christa Tobler, professeur de                                                  du devoir du Conseil fédéral de donner
droit européen à l’université de Bâle et de                                               l’impulsion nécessaire» a critiqué Chris-
Leiden, aux Pays-Bas, a tenu à remercier les                                              ta Markwalder, conseillère nationale et
membres du Nomes qui lui ont cette année                                                  présidente du Nomes. Prendre son cou-
décerné le Prix Europe 2013. En amenant                                                   rage à deux mains et exposer de manière
objectivité, calme et compétence dans le dé-                                              transparente les limites du système ac-
bat européen, Christa Tobler contribue à                                                  tuel d’accords bilatéraux statiques: voi-
contrebalancer un dialogue qui s’enflamme                                                 là la seule manière de convaincre les ci-
bien souvent trop rapidement.                                                             toyennes et citoyens de notre pays de la
   Un autre lauréat du Prix Europe avait                                                  nécessité de réorienter notre politique eu-
répondu présent à l’invitation du Nomes:                                                  ropéenne.
Markus Notter, ancien conseiller d’Etat et
actuel président de l’Institut européen à l’université de Zurich.              Passage de relais au secrétariat
C’était il y a huit ans, les accords bilatéraux arrivaient déjà à
bout de souffle et il était temps d’envisager d’autres solutions.      Enfin, après le départ en mars dernier de Julien Chérault, se-    11
Quatre magistrats s’étaient alors illustrés en dirigeant la pu-     crétaire général adjoint, c’était au tour de Michael Fust, secré-
blication d’un rapport intitulé «Europe, un défi pour le fédé-      taire général sortant, de faire ses adieux après trois ans et demi
ralisme. Esquisse d’une stratégie de politique européenne des       au service du Nomes. L’assemblée générale a salué chaleureuse-
cantons» pour le compte de la Conférence des gouvernements          ment Michael Fust et Julien Chérault pour son travail remar-
cantonaux (CdC). En leur décernant le prix Europe 2005, le          quable dans cette période difficile et a accueilli Lukas Schürch,
jury avait alors estimé que ce rapport évaluant chacune des         qui a commencé en mars dernier.
options d’intégration européenne sous l’angle de leurs impli-
cations pour les cantons avait été la contribution la plus si-
gnificative au débat européen en Suisse. Huit ans après, invité
d’honneur à l’assemblée générale, Markus Notter n’a pas man-
qué de souligner l’absence complète d’une discussion objective
et fondée dans le débat européen. Un débat aujourd’hui non
seulement nécessaire pour les cantons, mais aussi pour les ci-
toyens, a-t-il rappelé.

           Adapter le discours aux réalités

   Peu auparavant, c’était à l’assemblée générale du Nomes de
se prononcer sur la question européenne. Dans une lettre ou-
verte, les membres du Nomes ont demandé au Conseil fédé-
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