Litige fiscal avec l'UE: quelle solution fera recette?
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Le magazine du Nouveau mouvement européen Suisse nomes / N° 1/2013 Litige fiscal avec l’UE: quelle solution fera recette?
sommaire éditorial actuel Chère lectrice, cher lecteur, La politique européenne en chantier Cette année, le Nomes fête ses l’UE et de contribuer ainsi à l’édifi- >> Page 3 15 ans. L’occasion de passer en re- cation d’une Europe unie. Tout aus- vue les événements d’importance si grave, l’autonomie dans l’adapta- et de jeter un regard sur l’avenir. tion aux normes de l’UE est devenue projecteur Le Nomes est né il y a 15 ans de extrêmement ténue. En cultivant Litige fiscal: de quoi la fusion de différentes organisa- l’attentisme, la Suisse est obligée de s’agit-il? tions proeuropéennes. Au fil du reprendre constamment du droit >> Pages 4–5 temps, il s’est profilé comme la force sans avoir pu participer à son élabo- prédominante en faveur d’un rôle ration. L’exemple du litige fiscal il- La politique fiscale suisse actif de la Suisse dans l’UE. Nos ob- lustre à souhait la portée qu’ont les à la croisée des chemins jectifs sont restés les mêmes: nous normes européennes pour les pays >> Pages 6–7 sommes pourvoyeurs d’informations objec- non membres qui veulent participer au marché tives sur la politique européenne suisse et l’évo- intérieur. Ainsi, la suppression des régimes fis- lution de l’UE pour la population, les milieux caux privilégiés porte atteinte à la fiscalité des interview politiques, l’administration et d’autres groupes cantons et à la péréquation intercantonale. A Rechercher des solutions d’intérêt. Nous nous appliquons à dénoncer les l’évidence, politique européenne ne rime plus majoritaires tient de la contradictions et l’inertie qui caractérisent l’at- avec politique étrangère, elle relève désormais quadrature du cercle titude de nos autorités, tout en présentant des de la politique intérieure. >> Pages 8–9 propositions constructives permettant de sortir La situation actuelle nous prouve à quel de l’ornière. De plus, nous nous engageons avec point la Suisse a besoin d’un Nomes fort. vue du parlement conviction en faveur d’un droit de codécision Nous nous engagerons donc ces 15 prochaines Il faut à tout prix éviter un de la Suisse au sein de l’UE et, partant, d’un rôle années pour que notre pays ne reste pas un nivellement fiscal vers le actif dans la formation du «projet Europe», membre passif mais qu’il assume pleinement bas conformément à nos intérêts et notre échelle sa responsabilité dans le processus de l’UE. >> Page 10 des valeurs. En regardant l’évolution de la politique eu- Interne ropéenne de ces dernières années, nous consta- tons que la Suisse est toujours privée de la fa- Christa Markwalder Il est plus que temps de culté de codécider au sein des institutions de Conseillère nationale, présidente du Nomes relancer le débat européen >> Page 11 surfer 2 section Do you speak Euro Des commissaires Mes 13 années au Nomes jargon? européens ayant une >> Page 12 opinion personnelle yes Il apparaît qu’une sorte de «ghetto-feeling» s’em- Sur un point, les membres de la Commission euro- pare de la centrale bruxelloise de l’UE où se péenne ressemblent à nos conseillers fédéraux: europe@school rassemble croisent quotidiennement «eurocrates», journa- chacun d’eux a son propre style, ses propres ori- près de 150 élèves listes, politiques et lobbyistes qui discutent tou- gines politiques et sa propre sensibilité culturelle >> Page 13 jours des mêmes thèmes. Dans leur langage, une – mais lorsqu’ils apparaissent en public ils sont quantité de termes se réduisent à un jargon stan- tenus de présenter strictement la position qui a abattage de mythes dardisé, familier aux acteurs mais parfois très dé- été adoptée par l’ensemble de la Commission sur « La corruption dans routant pour le grand public: le fameux «eurojar- une certaine question. A ce jour, six d’entre eux l’UE réduit à néant gon». Dès lors, à ce jour, sur un site Internet se manifestent de manière tant soit peu nuancée 120 milliards d’euros » spécial du portail UE «Europe», sont expliqués 84 dans des blogs. Un site Internet est dédié à ces >> Page 14 exemples de ce jargon standardisé, à commen- prises de position et aux blogs de certains hauts cer par «abstention constructive» jusqu’à «poli- fonctionnaires. (sp) la dernière tique de voisinage». (sp) Solution aux questions europa.eu/abc/eurojargon/index_fr.htm europa.eu/take-part/blogs/index_fr.htm institutionnelles >> Page 15
actuel la politique européenne en chantier Par Lukas Schürch, secrétaire général Le Conseil fédéral a décidé de prolonger les contingents à l’immigration issue de l’UE. Ce faisant, il s’attire les foudres de l’UE et remet en question indirectement et involontairement l’un des acquis majeurs de l’intégration européenne: la libre circulation des personnes. En cette période clef de négociations européennes, cette décision est plus que maladroite. L e Conseil fédéral a décidé d’étendre l’application de la clause de sauve- garde et, partant, de limiter pendant un but la préservation durable des ressources naturelles en limitant à 0,2 % par an maximum la croissance de la population cale. Faute de pro- jets concrets d’ici à l’été 2013, l’UE an l’immigration issue de tous les Etats de et en affectant 10 % des moyens consa- proposera à ses l’UE. Ce faisant, il a tenté de couper crés à la coopération internationale au dé- Etats membres l’herbe sous les pieds des opposants à la veloppement à la planification familiale l’inscription de libre circulation des personnes. Ces der- volontaire dans les pays en voie de déve- notre pays sur une niers menacent en effet de referendum loppement. On ignore encore si cette ini- liste noire et l’adop- l’extension de la libre circulation à la tiative est valide et si elle sera soumise au tion de sanctions. Croatie. Ils reprochent en outre au peuple. Il faudra déterminer si la combi- Dès lors, une com- Conseil fédéral de ne jamais utiliser les naison de ses objets est compatible avec le mission comprenant des représentants de leviers de protection prévus dans les ac- principe de l’unité de la matière. Enfin, la la Confédération et des cantons a élaboré cords bilatéraux et de se mettre à plat Croatie sera admise dès le 1er juillet 2013 des solutions. Pour l’instant, c’est un dis- ventre devant l’UE. Cependant, l’effet en qualité de 28e Etat de l’UE. L’UDC lan- positif combiné qui est envisagé, à savoir produit est inverse. Le Conseil fédéral n’a cera un referendum contre l’extension de des diminutions d’impôt généralisées pour fait que mettre en œuvre un moyen abso- la libre circulation à cet Etat. les entreprises, assorties de privilèges fis- lument inefficace et remet en question, En outre, depuis 2008, l’UE subor- caux euro-compatibles (licence box). Le sans le vouloir, la libre circulation des per- donne la conclusion de nouveaux ac- manque d’impôt à percevoir sur le revenu sonnes. Il empoisonne ainsi durablement cords liés à la participation de la Suisse des entreprises de certains cantons serait le climat en politique étrangère, tout en au marché commun à une réforme des alors en partie compensé par la confédéra- envoyant des signaux contradictoires en institutions, ces dernières se devant en tion. Une augmentation de la TVA ou bien politique intérieure dans la perspective effet de garantir la sécurité juridique du l’introduction d’un impôt sur les plus-va- des votations à venir. marché commun de l’UE. Trois solu- lues pourraient alors permettre de financer 3 Trois votations auront très vraisem- tions se profilent: l’amarrage aux ins- cette compensation. blablement lieu ces prochaines années titutions de l’EEE, la création d’une Par ailleurs, les ministres des finances sur des objets dont la mise en œuvre n’est instance de surveillance commune et in- des pays européens ont décidé en mai de pas compatible avec l’accord actuel sur dépendante et la possibilité de requérir donner mandat à la Commission euro- la libre circulation des personnes: l’ini- des décisions rendues en cas de diffé- péenne de négocier avec la Suisse une tiative contre l’immigration de masse, rends et des expertises juridiques ayant révision de l’imposition de l’épargne, l’initiative Ecopop et le referendum de force de droit auprès de la Cour de jus- ce qui implique une négociation sur l’UDC menacant l’extension de la libre tice de l’UE. Il est aussi question de pro- l’échange automatique des données. Les circulation des personnes à la Croatie. céder à des adaptations d’ordre institu- derniers bastions du secret bancaire en L’initiative contre l’immigration de tionnel aux accords existants. Europe, le Luxembourg et l’Autriche, masse exige que tout flux migratoire soit Mais actuellement, c’est surtout dans ont désormais subordonné leur accord limité par un nombre maximal fixé chaque le domaine de la fiscalité des entreprises pour l’échange automatique d’informa- année. L’accord sur la libre circulation des que la Suisse est mise sous pression. De- tions à la mise en œuvre d’une solution personnes avec l’UE devrait alors être re- puis 2002, l’UE désapprouve et considère équivalente avec la Suisse. Au regard de négocié dans les trois ans et pourrait, en comme néfastes les avantages fiscaux que l’échange automatique d’informations cas d’échec, être résilié. En outre, en rai- les cantons réservent aux bénéfices des so- accordé par les pays européens aux USA son de la clause guillotine, ce sont les six ciétés holding, des sociétés d’administra- dans le cadre de l’accord FATCA, l’Au- autres traités des accords bilatéraux I qui tion et des sociétés mixtes sur les béné- triche et le Luxembourg ont convenu pourraient ainsi être remis en question et fices réalisés à l’étranger et accordés dans avec la Suisse de la délivrance d’un nou- être renégociés. L’initiative Ecopop a pour le cadre de la loi sur l’harmonisation fis- veau mandat élargi de négociations.
projecteur litige fiscal: de quoi s’agit-il? Par Jacques Beglinger, D.E.S.S, avocat et membre de la direction de SwissHoldings En raison notamment de sa structure la Suisse à la Commission européenne, fédéraliste, la Suisse attache une grande organe clef de l’UE chargé de faire res- glossaire importance à la concurrence fiscale pecter le droit communautaire auquel, Impôt sur les entreprises comme un moyen efficace de diminuer la dans un sens plus large, appartient aussi quote-part de l’Etat. Certains éléments le droit bilatéral. En vérité, le litige fut au Le bénéfice réalisé par un entrepreneur est du système fiscal suisse entraînent toute- début caractérisé par une argumentation l’objet de l’impôt sur les entreprises (impôt fois des tensions récurrentes avec d’autres juridique qui par la suite s’est déplacée sur les bénéfices). Dans le cadre de la loi pays ou des organisations internatio- sur le terrain exclusivement politique. fédérale sur l’harmonisation fiscale, les nales. De plus, en vue de faire face aux Au niveau juridique, les régimes fis- cantons accordent à des entreprises ex- tensions éventuelles, on utilise des instru- caux privilégiés en question représentent, clusivement ou principalement actives à ments fiscaux, par exemple la fiscalité de dans l’optique de la Commission euro- l’étranger des avantages fiscaux différen- l’épargne, pour préserver en contrepartie péenne, une entorse aux dispositions du ciés sur les revenus générés à l’étranger. la discrétion dans l’industrie bancaire. droit de concurrence figurant dans les Ce traitement inégal est critiqué par l’UE. S’agissant des relations entre la Suisse accords bilatéraux avec la Suisse. Cette Quant à l’impôt fédéral, celui-ci ne connaît et l’Union européenne (c.-à-d. l’UE dernière a cependant toujours contesté pas de tels privilèges. La pleine taxation comme entité, non pas avec certains de cette interprétation et reproché à la des sociétés bénéficiant des faveurs des ses Etats membres), le terme «litige fis- Commission d’avancer des arguments cantons rapporte bon an mal an près de cal» désigne avant tout une controverse juridiques artificiels pour imposer à la 4 milliards de francs à la Confédération, à sur les régimes fiscaux préférentiels des Suisse, pays non membre de l’UE, son savoir presque la moitié du total de l’impôt cantons suisses pour certaines catégories code de conduite fiscale. Ce code n’a en sur les entreprises. (ls) d’entreprises. Ces régimes incitent des effet rien à voir avec le droit bilatéral et sociétés transnationales à transférer leur n’engage pas la Suisse. L’argumentation Groupe de travail siège vers la Suisse où la charge fiscale est juridique de la Commission s’explique considérablement plus faible que dans la en fait par une innovation qui a introduit A l’automne 2012, le Conseil fédéral a créé plupart des pays membres de l’Union. La le droit bilatéral dans notre système juri- un groupe de travail composé d’experts de Suisse considère ce régime comme un ou- dique. Il s’agit là d’un aspect du droit de la Confédération et des cantons. Dans un til légitime dans le cadre de la concur- la concurrence. Bien entendu, la Suisse a rapport intermédiaire rendu début mai, ce- rence fiscale internationale. En revanche, elle-même depuis longtemps un droit de lui-ci a esquissé des propositions de solu- 4 les gouvernements des pays d’où sont la concurrence, notamment sous la tions à délibérer. Ces dernières ont pour ob- originaires les entreprises concernées forme d’une loi sur les cartels. Toutefois, jectif d’éliminer les pratiques contestées, s’offusquent de ce que ces dernières – celle-ci ne contient que des dispositions sans pour autant diminuer l’attractivité fisca- pour ne mentionner qu’un cas de figure sur la conduite portant atteinte à la le. Selon le modèle de certains Etats memb- typique – ne font que transférer leur ad- concurrence de la part d’entreprises, res de l’UE, pourraient être introduits des al- ministration vers la Suisse, tout en conti- mais non pas de l’Etat. L’interdiction de légements fiscaux, d’une part, et les impôts nuant à maintenir leur production dans soi-disant subventions de l’Etat, à savoir cantonaux normaux baissés sur les entrepri- le pays communautaire. Les Etats d’avantages financiers sélectivement ac- ses, d’autre part. En outre, la Confédération membres de l’UE font valoir que les en- cordés par l’Etat à certaines entreprises serait appelée à compenser partiellement treprises en question utilisent l’infras- ou branches économiques, a pour la pre- ces pertes fiscales des cantons. (ls) tructure au centre de production sans mière fois été introduite dans l’ordre ju- toutefois payer des impôts sur les béné- ridique suisse par le biais de deux ac- Code de conduite fices qu’elles y ont réalisés. Elles pro- cords bilatéraux conclus dans les années fitent en Suisse de conditions privilé- soixante-dix avec les Communautés eu- En 1997, les pays membres de l’UE ont ad- giées, notamment d’un taux, qui plus est, ropéennes d’alors. L’un de ces accords, opté un code de conduite (Code of Con- sensiblement plus bas que celui qui vaut celui sur le libre-échange, est toujours en duct for Business Taxation) pour la taxati- pour des entreprises domiciliées en vigueur. Par ailleurs, des interdictions de on d’entreprises et en se basant sur ce Suisse. subventions de l’Etat se trouvent encore code ont qualifié d’inadmissibles les pra- Les divergences sur ces régimes fis- dans deux accords plus récents, à savoir tiques fiscales appliquées de la sorte par caux cantonaux ont fini par provoquer dans les accords sur les transports ter- les cantons. (ls) le litige que l’on connaît. Celui-ci oppose restres et le transport aérien.
projecteur Selon la Commission européenne, la treprises. Dans ce cadre sont discutées glossaire Suisse, à travers les modes d’imposition des propositions de la Suisse sur des ré- cantonaux (respectivement la loi fédé- formes potentielles du régime fiscal. Ce Accord sur la fiscalité rale sur l’harmonisation des impôts men- processus est toujours en cours. Il appa- de l’épargne tionnés ci-dessus, qui autorise de tels ré- raît alors que nonobstant le manque de gimes), viole donc un article de l’accord fondement des arguments juridiques de Le produit d’intérêts et en partie aussi de libre-échange qui déclare les subven- l’UE toujours dénoncé par la Suisse (qui d’autres rendements du capital de per- tions étatiques comme incompatibles toutefois, ainsi que nous l’avons souli- sonnes physiques sont traités fiscalement avec le bon fonctionnement de l’accord. gné, ne jouent pratiquement plus guère comme revenu – à l’exemple de la Suisse Comme on sait, la Suisse refuse cette in- de rôle dans la discussion actuelle), celle- – et imposés progressivement ensemble terprétation. Elle fait valoir que l’accord ci se tourne vers l’objectif visé par l’UE. avec les autres revenus ou bien ils sont – ne mentionne nullement le droit fiscal et Dans le dialogue sont désormais évoqués à l’exemple de l’Allemagne – grevés sépa- ne peut dès lors pas être pertinent dans des éléments modernes de taxation exis- rément selon un taux unique. Dans les re- ce domaine. La Commission, pour sa tant dans l’UE et acceptés par la Com- lations internationales, l’imposition et le part, invoque une déclaration que la mission, notamment l’«innovation box» remboursement partiel de produits Commission économique européenne originaire des Pays-Bas, qui permet une d’intérêts au pays d’origine sont tradition- d’alors avait faite lors de la signature de taxation particulièrement avantageuse nellement réglés par des conventions de l’accord de libre-échange. Elle y faisait de revenus provenant d’activités innova- double imposition. L’UE ayant déjà par le remarquer qu’elle entendait interpréter trices. Ne font pas partie du «litige fis- passé privilégié le système de l’échange les dispositions sur le droit de concur- cal» à proprement parler les proposi- automatique d’informations, elle a décidé rence dans le même sens que celle du tions présentées avec insistance par d’autoriser désormais exclusivement ce droit de concurrence communautaire. différents pays membres de l’UE dans le système et de l’étendre à des assurances Ce dernier contient des prescriptions sur cadre de l’harmonisation du cadre fiscal vie et d’autres paiements (p.ex. des divi- les subventions publiques qui, depuis les au sein de l’OCDE, propositions qui sont dendes). En concluant, en 2004, l’accord années soixante, sont interprétées de ma- à l’évidence pointées contre les modèles sur la fiscalité de l’épargne, la Suisse a in- nière qu’elles puissent aussi concerner fiscaux imaginés par la Suisse. Précisons troduit une retenue à la source à l’égard des mesures fiscales (en d’autres termes: que ces propositions, également dirigées de l’UE. Dernièrement, le Conseil de l’UE a un avantage fiscal préférentiel peut, se- contre les régimes fiscaux en vigueur décidé de demander à la Suisse le passa- lon les circonstances, être considéré dans certains pays membres de l’UE, ne ge à l’échange automatique d’informations comme une subvention publique). Après sont plus guère portées par des moyens et de négocier une extension à d’autres enquête sur certains régimes fiscaux can- juridiques mais plutôt politiques. rendements du capital. (ls) tonaux, la Commission européenne a conclu, dans une décision de 2007, que OCDE l’on avait effectivement à faire à des Jacques Beglinger aides d’Etat incompatibles avec l’accord. L’Organisation de coopération et de déve- 5 Précisons ici qu’il ne s’agit pas pour l’UE loppement économique (OCDE) compte, du montant des impôts (autrement dit, outre la Suisse, 33 membres (dont 22 en elle n’exige pas que la Suisse augmente Europe). L’UE n’en est pas membre, mais de manière générale les impôts sur les so- elle participe à ses travaux. L’OCDE s’est ciétés) mais plutôt de la taxation diffé- occupée de tout temps de la coopération renciée de bénéfices réalisés dans le pays internationale dans le domaine fiscal. De- ou à l’étranger. Les reproches de la Com- puis quelque 30 ans, les Etats membres mission ont régulièrement fait l’objet de renforcent l’assistance juridique et admi- discussions dans le comité mixte qui sur- nistrative en matière fiscale alors que la veille le fonctionnement de l’accord de Suisse, eu égard à son secret bancaire, libre-échange, sans que les partenaires s’en est abstenue jusqu’en 2009. En ce aient trouvé un terrain d’entente. L’ac- Membre de la direction de SwissHoldings, moment, l’OCDE discute d’une lutte plus cord ne prévoyant pas une autre instance Jacques Beglinger est expert en politique efficace contre le déplacement de subs- commune (p.ex. un tribunal) pour arbi- européenne suisse et en droit économique tances fiscales vers des pays plus ac- trer une telle controverse, aucune solu- européen. A ce sujet, il a publié de nom- cueillants. Dans ce contexte, le système tion ne fut trouvée sur le plan juridique. breux écrits («Principes du droit (éco des «licence boxes» pourrait subir des Dès lors, la controverse s’est déplacée nomique) bilatéral Suisse-UE» en colla pressions et l’échange d’informations de- sur le terrain politique. Le temps aidant, boration notamment avec Christa Tobler, venir le standard mondial. (ls) la Suisse s’est déclarée disposée à enta- disponible en allemand). mer un dialogue sur la taxation des en-
projecteur La politique fiscale suisse à la croisée des chemins Par Jörg Walker, COO et expert fiscal de KPMG Suisse P ays pauvre en ressources, avec un marché intérieur Recherche agressive de substances imposables restreint et des coûts de production élevés, la Suisse s’est toujours préoccupée de conditions cadres favorables à L’actuelle discussion internationale sur la fiscalité est domi- l’économie. Cela lui a valu non seulement la présence du- née par le phénomène de la dette publique ayant envahi la zone rable mais aussi l’afflux d’entreprises industrielles et de euro et les Etats-Unis. Raison pour laquelle elle est menée de services actives au niveau mondial. Afin de promouvoir manière agressive. Le litige fiscal Suisse-UE n’en est qu’une des l’attractivité de sa place économique, la Suisse s’efforce nombreuses illustrations. En outre, plusieurs initiatives récla- depuis longtemps d’attirer notamment les activités de socié- ment plus de transparence de l’industrie concernée alors que tés internationales qui génèrent une haute valeur ajoutée et l’OCDE et le G20 essaient de contenir les déplacements de re- qui sont importantes stratégiquement. En font partie la venus légaux fiscalement motivés. direction d’entreprise et d’importantes fonctions finan- Quant au litige fiscal Suisse-UE, il se trouve que des négocia- cières. Le succès de cette stratégie est éloquent : les groupes tions formelles n’ont pas encore commencé. Cependant, en dé- industriels ou financiers internationaux réalisent un tiers clarant le 17 mai dernier que le Conseil fédéral et les directeurs du PIB suisse et offrent presque un tiers des emplois. Les cantonaux des finances étaient disposés à supprimer, dans leur entreprises étrangères produisent 10% du PIB et emploient forme actuelle, les régimes fiscaux privilégiés pour certaines en- 375000 personnes. Les sociétés jouissant de privilèges fis- treprises, la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf a caux fournissent plus de 5 milliards de francs d’impôts sur lancé un premier signal d’importance en direction de Bruxelles. le revenu à la Confédération, aux cantons et aux com- Dès lors, il importe de trouver une solution durable, largement munes. En outre, l’implantation réussie de sociétés interna- acceptée par l’opinion publique. L’objectif: garantir que la charge tionales grâce à des privilèges de holding et d’administra- des entreprises ne soit pas alourdie et que la compétitivité de la tion a permis à la Suisse de maintenir l’impôt à un niveau Suisse n’en soit pas affaiblie, au risque sinon d’entraîner l’émi- comparativement bas. Les PME et la classe moyenne en gration d’importants contingents d’entreprises actives à l’inter- profitent dans une large mesure. Dès lors, le litige fiscal national et la perte de dizaines de milliers d’emplois. Un groupe avec l’UE ne constitue pas un point de discorde parmi de travail, mis sur pied par le Département des finances, compre- d’autres avec nos pays voisins mais bien une question clef nant des représentants de la Confédération, des directeurs can- pour notre prospérité. tonaux des finances et de la Conférence des gouvernements can- 6 Et quid de l’UE? Pour discuter du litige fiscal avec l’UE, il convient de connaître les pratiques fiscales des pays membres de l’UE et dans le reste du monde : • Structures tax haven: l’Irlande et les Pays-Bas connaissent des modèles d’imposition qui permettent de déplacer des revenus vers des pays à impôts bas et d’obtenir ainsi une réduction du taux de taxation du groupe jusqu’à 2,5%. En Suisse, de telles structures ne sont pas recon- nues par l’administration fédérale des finances. • Réduction de la base d’imposition: les pays du Benelux autorisent la limitation de l’assiette fiscale à certains revenus, de sorte que le taux de taxation du groupe peut être réduit au dessous de 5%. En Suisse, une réduction de la base d’imposition serait certes possible, mais jusqu’à présent le principe du rôle déterminant des autorités fiscales a toujours prévalu. • Exonération de l’impôt: en vue d’attirer des entreprises, Singapour accorde des exonérations de l’impôt allant jusqu’à 20 ans. Il est vrai que la Suisse connaît elle aussi une exonération de l’impôt pour les régions économiquement sous-développées (Lex Bonny). Celle-ci est toute- fois accordée pendant 10 ans au maximum et de plus en plus de manière restrictive. • R echerche et développement: les pays du Benelux, l’Irlande, l’Espagne, le Royaume-Uni et la France connaissent l’exonération totale ou par- tielle de revenus de redevances de brevets, ce qui entraîne des charges fiscales de 0 à 5% de ces revenus; la France, les Etats-Unis, le Japon et beaucoup d’autres pays connaissent l’exonération multiple de dépenses pour la recherche et le développement. La Suisse, elle, n’a jusqu’à présent pas exonéré cette catégorie de dépenses. (Jörg Walker)
projecteur (Bild: màd) tonaux, élabore actuellement des propositions. De plus, une – Privilèges accordés aux revenus de l’épargne internes au alliance ad hoc de parlementaires des partis bourgeois PLR, groupe: ils compenseraient les effets sur les revenus de UDC, PDC, Vert’ libéraux et BPD des Chambres fédérales a dé- l’épargne pour des sociétés holding; posé une initiative parlementaire présentant des solutions – Flexibilisation du principe du rôle déterminant des autorités convaincantes. Le directeur des finances du canton de Genève a, fiscales: cela permettrait de renforcer sensiblement notre pour sa part, présenté une proposition sur la baisse générale de compétitivité et aiderait par exemple les cantons de Genève l’impôt sur les entreprises pour toutes les firmes, et sa collègue et Zoug à retenir les sociétés commerciales devenues entre- de Bâle-Ville recommande l’introduction d’une «licence box». temps essentielles pour ces régions. Ces mesures – correspondant dans le fond à la pratique cou- rante de l’UE – contribueraient à assurer durablement la compé- Sauvegarde de la compétitivité de la Suisse titivité de la Suisse et à conserver les entreprises et les domaines d’activité qui se distinguent par leur haute valeur ajoutée et consti- Jusqu’à présent, deux ébauches de solution se profilent: tuent les piliers centraux de notre économie. Celui qui prétend que certaines de ces pratiques fiscales sont dénoncées dans l’UE 1. Baisse générale de l’impôt sur les entreprises: politique- même, ne se rend pas compte d’un fait essentiel: à cet égard, la ment, une telle solution ne pourrait être mise en œuvre comme Suisse doit s’assurer la même part du gâteau que l’UE si elle ne une mesure isolée. En effet, les pertes fiscales pourraient at- veut pas perdre des entreprises au profit de leur implantation dans 7 teindre quelque 5 milliards de francs et devraient être compen- l’UE. Au cas où l’UE resp. le G20 changerait les règles à moyen sées par de fortes augmentations d’impôt ou des réductions de terme, la Suisse pourrait à ce moment-là aisément y renoncer. Elle prestations. De plus, une baisse forfaitaire à 13-14% ne serait ne risquerait en effet plus de voir partir les entreprises. pas attractive pour les sociétés jouissant d’un régime privilégié, Les entreprises actives au plan international sont avides d’obte- ce qui pourrait les amener à quitter la Suisse. Une émigration nir des certitudes. Elles veulent savoir dans quelle direction les qui aboutirait à des pertes énormes en substance imposable et choses vont évoluer. En l’état, la Suisse serait bien inspirée de ne pas en places de travail. Une baisse générale serait sans doute ac- préparer une «réforme fiscale 2018» surdimensionnée mais d’orien- cueillie favorablement par les entreprises normalement impo- ter le plus vite possible et de manière pragmatique la loi sur l’har- sées jusqu’à présent, sans toutefois donner d’impulsions éco- monisation fiscale de manière à permettre aux cantons de dévelop- nomiques notables. per de façon autonome leurs régimes fiscaux et d’assurer pour l’avenir l’implantation des entreprises si vitales pour notre pays. 2. Mesures innovatrices: dès lors, trois autres paquets de mesures seraient plus prometteuses. Jörg Walker – Innovation box et licence box: à Bâle, par exemple, celles-ci Après son arrivée à KPMG en 1994, il est nommé partenaire en 1999. aideraient à fidéliser les entreprises pharmaceutiques et Depuis 2004, il occupe la position de Head of Tax intérieur et est chimiques, si vitales pour le canton, en encourageant leur membre du conseil d’administration. En 2012, il devient Chief Opera- implantation à long terme dans la région. De même, d’autres ting Officer. Ses domaines de spécialité sont le Corporate et Business cantons avec des entreprises créant une haute valeur ajou- Tax Consulting, en particulier pour les entreprises internationales. tée, par exemple l’industrie du luxe, pourraient en profiter;
interview «Rechercher des solutions majo- ritaires tient de la quadrature du cercle» Directeur des finances du canton de C’est très simple: je ne veux pas savoir Chaque point de vue a ses avocats. Soleure, Christian Wanner fut égale- combien d’argent mon voisin a déposé Il ne faut pas exclure que certaines per- ment président de la Conférence des à la banque, je veux seulement savoir tes pourraient être la conséquence de directeurs cantonaux des finances s’il paie des impôts. Je suis d’avis que départs d’entreprises. L’imposition à (CDF) ces cinq dernières années et l’échange automatique d’informations bas niveau n’est pourtant qu’une des conseiller national PLR de1983 à viendra. Il s’agira encore de s’entendre raisons de rester en Suisse. La santé pu- 1995. Dans un entretien avec le sur sa mise en place. blique, l’éducation et la sécurité jouent Nomes, il évoque le litige fiscal, le également un rôle important. fédéralisme et une hypothétique ad- A propos de la taxation d’entreprises. hésion à l’UE. Où en sont les négociations? L’UE attend des résultats concrets jusqu’à On a fait pas mal de progrès dans la fin juin. europa.ch: un litige fiscal oppose la l’analyse des options de solutions. Cela me paraît trop ambitieux. Mais Suisse et l’Union européenne. De quoi je suis persuadé que si l’UE perçoit la s’agit-il? Baisses d’impôts pour les entreprises, volonté de la Suisse d’aborder les prob- Christian Wanner: la première ques- «innovation et licence box», et éventuel- lèmes de manière ciblée, un report de tion tourne autour du traitement des les compensations par la Confédération? 6 mois ou d’un an ne jouera aucun rôle. avoirs d’origine étrangère non imposés Oui, il nous faut une combinaison de en Suisse. Le deuxième aspect du litige ces aspects. Il serait en effet irresponsable Sinon, la Suisse risque de se retrouver concerne l’imposition des entreprises. de baisser les impôts sur les sociétés sur sur une liste noire. L’UE s’irrite du traitement différencié une large échelle en menaçant ainsi le C’est l’OCDE qui peut nous mettre d’entreprises implantées depuis long- financement des prestations publiques. sur une liste noire. temps en Suisse et de celles qui sont ar- De même, il ne saurait être rivées ces dernières années. Dans la plu- question d’augmenter les L’UE pourrait recommander à ses Etats part des cas, ces dernières bénéficient impôts d’une manière géné- membres de boycotter la Suisse. Quelles d’un taux fiscal plus bas. seraient les conséquen- 8 ces? On a l’impression que la Suisse se «Je suis un fédéraliste convaincu. Cela signifierait qu’à trouve, une fois de plus, le dos au mur. l’extrême, nos banques S’est-elle réveillée trop tard? Mais à force de tenir un discours se verraient retirer les li- Non, elle a simplement sous-estimé à trois voix à Bruxelles, on cences. Ainsi, les autori- la portée du problème. Mais l’actuelle tés de certains pays ministre des finances n’est pas respon- n’obtient rien.» pourraient interdire aux sable de cette carence. Son prédécesseur investisseurs de conclure a toujours tenu ferme en déclarant que rale. Cela entraînerait des coûts énormes, des affaires avec les banques suisses. les autres Etats s’useraient les dents à notamment par l’émigration de certaines s’en prendre à notre secret bancaire. entreprises. Je favorise la solution des bo- A ce propos, l’UE se réfère au code de Soudain, ils n’avaient même plus besoin xes, à condition qu’on l’applique de ma- conduite. Pourquoi la Suisse doit-elle le de mordre. Au début, on a aussi catégo- nière restrictive afin qu’elle ne correspon- respecter? riquement refusé des demandes grou- de pas en réalité à une baisse générale des On a tout loisir de l’ignorer mais pées de données bancaires. Ce bastion impôts. J’envisage la situation où la Con- alors il faut s’accommoder des inconvé- est aussi tombé. fédération pourrait être amenée, pendant nients. Par exemple, les entreprises une certaine période, à verser des com- fortement dépendantes de l’exportation Dans les faits, le secret bancaire est éga- pensations en cas de pertes d’impôts. et le secteur bancaire risqueraient d’en lement tombé. faire les frais. Le maintien intégral de la Nous devons différencier entre secret Selon la solution, on parle de pertes place financière est de la plus haute im- bancaire et secret de clients bancaires. d’impôts de 1 à 5 milliards de francs. portance.
interview À propos des négociations: la Commis- sion européenne négocie avec le Départe- ment des finances alors que les impôts cantonaux sont l’enjeu. C’est vrai. Mais les cantons sont rep- résentés par quatre personnes dans le groupe de travail de la Confédération. Quel est exactement le rôle du groupe de travail? Il a pour mission de présenter des propositions de solutions et d’évacuer la méfiance. Rechercher des solutions capables de recueillir la majorité tient en quelque sorte de la quadrature du cercle. Elles doivent être acceptées aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Notre système de la démocratie directe peut tout faire échouer. Les cantons peuvent-ils faire valoir leurs intérêts divergents? Il est vrai qu’ils ont des intérêts diver- gents. A mon avis, la politique étrangère, aussi dans le domaine fiscal, devrait être l’affaire de la Confédération. Je suis un fédéraliste convaincu. Mais à force de tenir un discours à trois voix à Bruxel- rent leur position dans la concurrence tion serait renforcée. Dans les négocia- les, on n’obtient rien. Il faut discuter des fiscale en baissant les impôts. tions, on analyse soigneusement les problèmes à l’interne, élaborer une po- points faibles de l’adversaire. Admettons sition commune et ensuite la présenter à N’y a-t-il pas de dumping fiscal aux que nous fassions corps avec l’UE, nous Bruxelles. dépens de la péréquation financière? aurions vraisemblablement de meilleures Non, car à l’inverse de ce qui se pra- cartes contre les Etats-Unis. Des représentants du PS proposent de tiquait autrefois, on ne tient compte que déplacer l’impôt sur les sociétés au des ressources lors du calcul. La mani- Et qu’en est-il du litige fiscal avec l’UE? 9 niveau de la Confédération. ère de les utiliser est laissée à la discréti- Celle-ci juge la Suisse plus sévèrement Je suis d’accord de se présenter unis à on des cantons. que par exemple l’Autriche ou le Lux- l’extérieur, ce sous la conduite de la embourg. Confédération. Mais à l’intérieur, la Les exemples de l’impôt sur les sociétés Vous avez raison, mais c’est normal. souveraineté fiscale doit être laissée aux et de la fiscalité de l’épargne illustrent cantons. Une compétition fiscale raison- bien la pression croissante exercée sur la Parce que nous ne sommes pas membre? nable garantit que les propres ressources Suisse par les Etats-Unis et l’UE. Après Evidemment, mais il n’y a pas seule- soient gérées de manière économe. Je re- tout, la Suisse a-t-elle encore des alliés? ment cet aspect. Il y aussi des avantages fuse catégoriquement une harmonisati- Cela dépend des circonstances. (ap- de ne pas être membre de l’Union. Celle- on fiscale matérielle qui en découlerait. rès réflexion…) Je crois que dans cer- ci a ses problèmes. Il s’agit aussi de savoir tains domaines, elle peut encore comp- qui paye pour ces problèmes. La Suisse se- La concurrence fiscale n’est-elle pas ter sur des alliés. Mais elle ne devrait rait amenée à s’engager massivement. En considérablement restreinte du fait pas les mettre en péril! tant que membre, tous les problèmes ne même de la péréquation financière? seraient sûrement pas résolus, mais dans Non. La concurrence fiscale est vive. Admettons que la Suisse soit membre de le dossier fiscal nos négociations seraient Mais l’on ne peut pas admettre que cer- l’UE. Dans le litige fiscal avec les Etats- peut-être plus simples. taines régions comme Bâle, Zurich ou Unis, serions-nous au même degré à la Genève doivent résoudre leurs prob- merci de Washington? lèmes en matière de politique sociale Nous serions tout de même sous pres- quand d’autres, petits cantons, amélio- sion. Mais il est évident que notre posi- (Interview menée le 13.5; ls, ms)
vue du Parlement Il faut à tout prix éviter un nivellement fiscal vers le bas Par Margret Kiener-Nellen, conseillère nationale PS/BE et membre de la Comission des finances L a Suisse s’évertue à attirer des reve- nus d’entreprises qui ont été pro- duits à l’étranger. Ces revenus sont taxés est inacceptable. Il n’est donc pas éton- nant que parmi ces derniers la Suisse, pays politiquement isolé, soit particuliè- vable que certains cantons soient finan- cièrement ruinés alors que d’autres roulent sur l’or. Il importe donc de restreindre ou à des taux privilégiés sans que le fisc du rement sous pression. d’empêcher les taxations préférentielles. pays d’origine en voie la couleur. Dans Pourquoi ne supprimons-nous pas Sans cette garantie, nous devrions nous certains cantons suisses, ces revenus sont simplement dans notre loi fiscale cette attendre à un nivellement fiscal vers le bas. imposés à un taux qui se situe à plus de la possibilité de traitement privilégié? Cer- En raison de cette situation, il ne moitié du taux appliqué pour des revenus taines entreprises sont très flexibles dans reste que l’option suivante: produits en Suisse. le choix de leur implantation. Les can- Le taux fédéral pour les bénéfices L’UE considère comme dum- tons se disputent donc leur fa- d’entreprises, actuellement fixé à 8,5%, ping fiscal cette distinction suisse veur dans une concurrence fis- doit par exemple être élevé à 16%. Les entre revenus produits dans le pays cale, mais aussi avec l’étranger. recettes provenant des 7,5% supplémen- d’origine et à l’étranger. La dimen- En raison de leurs particulari- taires sont reversées aux cantons. En sion du phénomène explique l’irri- tés structurelles et de leur posi- outre, les cantons sont libres de régler la taxation d’entreprises à leur guise. Les cantons baisseront leurs propres «Notre pays prive ses partenaires d’importantes recettes impôts sur les sociétés, parce que la part fiscales. Mais si tous les pays procédaient de cette de la Confédération croîtra et qu’ils re- cevront plus d’argent provenant des re- manière, il serait impossible de taxer les entreprises» cettes fédérales. Même si un canton fixe à zéro son propre impôt sur le bénéfice, tation de l’UE: plus de la moitié des re- tion politique, ils poursuivent des straté- il ne pourra pas aller au-dessous du venus imposés en Suisse sont d’origine gies différenciées dans cette compétition. taux nominal fédéral de 16 pour cent. étrangère et profitent ici de taux fis- L’UE estime que la Suisse participe La concurrence fiscale est limitée 10 caux privilégiés. Pour les pays d’origine au marché intérieur européen et qu’elle vers le bas; un dumping fiscal et, par- – il s’agit notamment d’Etats membres «triche» en offrant aux entreprises des tant, une saignée de la Confédération, de l’UE et des Etats-Unis – il en résulte pays voisins des taux fiscaux plus bas des cantons et des villes est empêchée. une perte de l’assiette fiscale s’élevant qu’à celles du cru. Ainsi, notre pays – dé- Seule cette étape d’harmonisation à quelque 70 milliards de francs. Au fil pendant de ses exportations – prive ses modérée permettra à la Suisse de ré- du temps, cet abus a pris des propor- partenaires d’importantes recettes fis- soudre les problèmes existants, sans tions toujours plus importantes. Pen- cales. Mais si tous les pays procédaient pour autant créer un nouveau foyer de dant que le PIB nominal suisse s’est de cette manière, il serait impossible de tensions. élevé de 70% entre 1990 et 2010, les taxer les entreprises. !recettes provenant de l’impôt fédéral L’objectif princi- Margret Kiener-Nellen direct se sont quadruplées. pal d’une solution La Suisse est-elle seule à recourir à ce du conflit consiste Depuis 2003, Margret Kiener-Nellen genre de roublardise? Nombre de pays à maintenir les re- est conseillère nationale PS. Avec son cettes des pouvoirs collègue Roger Nordmann, elle a (Services du parlement 3003 Berne) accordent aux entreprises des formes variées d’allégements fiscaux plus ou publics au moins au récemment proposé de lancer une ini- moins légaux. Ainsi, des allégements li- même niveau qu’à tiative populaire «pour une imposition mités destinés à créer des places de tra- l’heure actuelle. équitable des entreprises dans toute la vail dans des régions défavorisées ne Cela vaut aussi pour Suisse». Objectif: déplacer l’impôt sur posent pas de sérieux problèmes. En re- les recettes des dif- les sociétés au niveau de la Confédéra- vanche, le braconnage fiscal, monnaie férents partenaires. tion pour réduire la concurrence fis- courante en Suisse et dans d’autres pays, Il serait inconce- cale entre cantons.
interne Il est plus que temps de relancer le débat Européen Par Marie Seidel, collaboratrice au Nomes L’assemblée générale du Nomes a tenu ral d’adapter son discours aux réalités et ses assises le 4 mai dernier à l’hôtel de relancer, une fois pour toutes, le dé- Kreuz à Berne. Une journée marquée bat européen. «En évitant soigneusement par l’adoption d’une lettre ouverte au d’engager le débat européen pourtant de- Conseil fédéral, la remise du Prix Eu- puis longtemps urgent, le Conseil fédéral rope 2013 et le savoureux discours de se dérobe à ses responsabilités. Lorsque Markus Notter, ancien conseiller d’Etat. les partis politiques se montrent réticents à soulever la question compte tenu des «Honorée et très heureuse», c’est en ces sondages d’opinion et des élections, il est termes que Christa Tobler, professeur de du devoir du Conseil fédéral de donner droit européen à l’université de Bâle et de l’impulsion nécessaire» a critiqué Chris- Leiden, aux Pays-Bas, a tenu à remercier les ta Markwalder, conseillère nationale et membres du Nomes qui lui ont cette année présidente du Nomes. Prendre son cou- décerné le Prix Europe 2013. En amenant rage à deux mains et exposer de manière objectivité, calme et compétence dans le dé- transparente les limites du système ac- bat européen, Christa Tobler contribue à tuel d’accords bilatéraux statiques: voi- contrebalancer un dialogue qui s’enflamme là la seule manière de convaincre les ci- bien souvent trop rapidement. toyennes et citoyens de notre pays de la Un autre lauréat du Prix Europe avait nécessité de réorienter notre politique eu- répondu présent à l’invitation du Nomes: ropéenne. Markus Notter, ancien conseiller d’Etat et actuel président de l’Institut européen à l’université de Zurich. Passage de relais au secrétariat C’était il y a huit ans, les accords bilatéraux arrivaient déjà à bout de souffle et il était temps d’envisager d’autres solutions. Enfin, après le départ en mars dernier de Julien Chérault, se- 11 Quatre magistrats s’étaient alors illustrés en dirigeant la pu- crétaire général adjoint, c’était au tour de Michael Fust, secré- blication d’un rapport intitulé «Europe, un défi pour le fédé- taire général sortant, de faire ses adieux après trois ans et demi ralisme. Esquisse d’une stratégie de politique européenne des au service du Nomes. L’assemblée générale a salué chaleureuse- cantons» pour le compte de la Conférence des gouvernements ment Michael Fust et Julien Chérault pour son travail remar- cantonaux (CdC). En leur décernant le prix Europe 2005, le quable dans cette période difficile et a accueilli Lukas Schürch, jury avait alors estimé que ce rapport évaluant chacune des qui a commencé en mars dernier. options d’intégration européenne sous l’angle de leurs impli- cations pour les cantons avait été la contribution la plus si- gnificative au débat européen en Suisse. Huit ans après, invité d’honneur à l’assemblée générale, Markus Notter n’a pas man- qué de souligner l’absence complète d’une discussion objective et fondée dans le débat européen. Un débat aujourd’hui non seulement nécessaire pour les cantons, mais aussi pour les ci- toyens, a-t-il rappelé. Adapter le discours aux réalités Peu auparavant, c’était à l’assemblée générale du Nomes de se prononcer sur la question européenne. Dans une lettre ou- verte, les membres du Nomes ont demandé au Conseil fédé-
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