Les barrières d'accès aux modes d'accueil formels chez les populations défavorisées : une approche comportementale - OSF
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Les barrières d’accès aux modes d’accueil formels chez les populations défavorisées : une approche comportementale Laudine Carbuccia Mémoire de recherche, supervisé par Carlo Barone (Observatoire Sociologique du Changement, Sciences Po) & Coralie Chevallier (Laboratoire de Neurosciences Cognitives & Computationnelles, École Normale Supérieure) Année 2020-2021 Master de recherche en Sciences Cognitives (Cogmaster) PSL / École Normale Supérieure – EHESS – Université de Paris 1
Sommaire Résumé ..................................................................................................................................... 3 Déclaration d’originalité .......................................................................................................... 3 Déclaration de contribution .................................................................................................... 4 Pré-enregistrement .................................................................................................................. 4 Remerciements ........................................................................................................................ 4 I. Introduction ...................................................................................................................... 5 I.A) Les modes d’accueil formels sont un levier pour réduire les inégalités dans la petite enfance, mais sont eux-mêmes marqués par de fortes inégalités d’accès....... 5 I.B) Des first miles solutions au last mile problem .......................................................... 6 II. Construction d’un cadre d’analyse transdisciplinaire ................................................ 8 II.A) Barrières d’accès aux modes d’accueil formels : revue des cadres théoriques préexistants .......................................................................................................................... 8 II.A.1) Revue des cadres théoriques existants ...............................................................................8 II.A.2) Limites des cadres théoriques existants ..............................................................................9 II.A.3) Vers la nécessité d’un cadre théorique unifié ....................................................................10 II.B) Création d’un nouveau cadre théorique intégratif transdisciplinaire ................. 11 II.B.1) Synthèse des cadres théoriques précédents .....................................................................11 II.B.2) Extension de la classification : les dimensions psychologiques ........................................12 II.B.3) Présentation du nouveau modèle théorique intégratif .......................................................15 II.B.4) Limitations du modèle théorique proposé ..........................................................................17 III) Évaluation empirique du modèle : revue mixte de la littérature empirique à la méthodologie PRISMA .......................................................................................................... 18 III.A) Vers la nécessité d’une évaluation empirique du modèle ................................... 18 III.B) Méthodologie de la revue systématique de la littérature ..................................... 18 III.B.1) Méthodologie de recherche et sélection des études .........................................................18 III.B.2) Évaluation du risque de biais des études individuelles .....................................................20 III.B.3) Extraction et synthèse des données .................................................................................21 III. C) Résultats ................................................................................................................... 24 III.C.1) Résultats de la recherche systématique ...........................................................................24 III.C.2) Résultats des études individuelles ....................................................................................25 III.C.3) Évaluation empirique du modèle .......................................................................................26 III.D) Discussion des résultats de la recherche systématique ..................................... 31 IV) Conclusions et perspectives .......................................................................................... 35 Tables des annexes .................................................................................................. 36 Annexe I – Protocole d’une intervention comportementale pour réduire les inégalités d’accès aux modes d’accueil formels ................................................................................. 37 Annexe II – Résultats détaillés ............................................................................................. 41 Annexe III – Méthodologie détaillée..................................................................................... 52 Annexe IV – « Dictionnaire » des différentes barrières d’accès présentes dans la littérature................................................................................................................................. 57 Annexe V – Pré-enregistrement ........................................................................................... 59 Bibliographie .......................................................................................................................... 63 2
Résumé Alors que les modes d’accueil formels (c’est-à-dire principalement les crèches et les assistantes maternelles) sont des leviers d’action très efficaces pour réduire les inégalités de développement présentes dès la petite enfance, ces structures sont elles-mêmes marquées par de fortes inégalités d’accès. Les raisons de la sous-représentation des familles défavorisées ont déjà été étudiées, mais pas de manière systématique. Le travail de revue présenté dans ce mémoire a permis 1) de construire un modèle intégratif des barrières d’accès aux modes d’accueil formels pour ces populations 2) d’évaluer ce modèle à travers une revue systématique PRISMA de la littérature. Les barrières socio-structurelles sont les seules visées par les politiques publiques actuelles. Pourtant, notre revue met en évidence que des barrières de nature psychologique, qui n’ont jamais été théorisées jusqu’à présent, sont au moins aussi importantes que ces barrières socio-structurelles. De nouvelles politiques publiques devraient être créées pour agir sur les barrières psychologiques, faute de quoi l’efficacité des réformes structurelles pourrait s’avérer fortement limitée. Mots clefs : développement cognitif ; petite enfance ; inégalités socio-économiques ; modes d’accueil formels ; barrières d’accès ; revue systématique PRISMA ; p-curving. Déclaration d’originalité Les processus d’accès aux modes d’accueil formels des populations défavorisées, qui sont l’objet de ce mémoire, forment un phénomène de société complexe à plusieurs facettes. Leur étude est relativement récente. Pour comprendre et agir le plus efficacement possible sur ce problème concret, il est nécessaire d’intégrer le point de vue de chacune des disciplines l’ayant étudié. C’est pourquoi, dans ce mémoire et contrairement à ce qui a été fait jusqu’alors, nous choisissons une approche délibérément transdisciplinaire. L’originalité de ce mémoire de master repose sur trois dimensions principales : Tout d’abord, au niveau théorique, l’approche transdisciplinaire matérialisée sous la forme d’un nouveau cadre théorique intégratif pour penser les inégalités d’accès aux modes d’accueil formels est nouvelle dans ce champ de recherche. Le modèle est d’une part basé sur une revue thématique des différents modèles préexistants, qui, à notre connaissance, n’a jamais été réalisée, et d’autre part sur une synthèse de la littérature psychologique afin de mieux comprendre quelles pourraient être les contributions des dimensions psychologiques dans ce moindre accès. Ensuite, au niveau méthodologique, conformément aux objectifs transdisciplinaires qu’il se fixe, notre mémoire de master se propose de combiner principalement les apports des sciences cognitives, de la sociologie, de l’économie et des sciences politiques afin d’amorcer un dialogue interdisciplinaire sur la question des inégalités d’accès aux modes d’accueil formels. D’autant que la revue de littérature à la méthodologie PRISMA réalisée dans ce mémoire et les analyses de p-curving sont une approche méthodologique nouvelle pour ce champ de recherche. Enfin, au niveau empirique, la principale contribution de ce mémoire est de suggérer que les dimensions psychologiques pourraient contribuer de façon conséquente au moindre accès des populations défavorisées aux modes d’accueil formels. À notre connaissance, ce fait n’a pas encore été documenté (du moins quantitativement). 3
Déclaration de contribution - Définition de la question de recherche : Laudine Carbuccia (LC), Carlo Barone (CB), Coralie Chevallier (CC) - Choix de l’approche générale pour répondre à la question de recherche : LC, CB, CC - Choix de l’approche méthodologique spécifique : LC - Revue thématique des différents cadres théoriques existants : LC - Revue thématique de la littérature en sciences sociales et comportementales pour documenter les dimensions psychologiques : LC - Création du nouveau cadre théorique unifié : LC, CB - Évaluation de la reproductibilité du protocole d’extraction des données : Valentin Thouzeau (VT), LC - Comparaison des différents outils d’évaluation du risque de biais pour les revues mixtes : LC - Adaptation de l’outil d’évaluation du risque de biais : LC - Création de l’échelle d’impact : LC - Évaluation de l’échelle d’impact : LC, Benjamin Carbuccia - Revue de la littérature PRISMA : LC - Lecture et codage des articles, production des données : LC - Évaluation du risque de biais des études individuelles : LC - Analyses de données hors p-curving : LC - Analyses de p-curving : VT (construction de l’algorithme), LC (adaptation de l’algorithme aux questions de recherche) - Interprétation des résultats, formulation des conclusions : LC, VT, CB - Conception de l’Essai Randomisé Contrôlé comportemental : LC, CB, CC - Écriture du mémoire, production des tables et des figures : LC ; VT (pour la production de l’histogramme en fonction des barrières) - Relecture et commentaires : CB, VT, CC, Aurore Grandin, Amine Sijilmassi, Hugo Mercier Pré-enregistrement Afin de ne pas couper sa structure, le pré-enregistrement du mémoire est disponible en annexe V. Il a aussi été déposé sur Open Science Framework au lien suivant : https://osf.io/68d2b/?view_only=a3986187bb8d4fe4baae8b5124237bd0. Remerciements Je souhaite avant tout remercier mes directeurs de mémoire, Carlo Barone et Coralie Chevallier, pour leur patience, leur aide et leur accompagnement tout au long de la construction et de la réalisation de ce projet. Dans le même élan, je souhaite remercier vivement Valentin Thouzeau pour nos discussions, son aide et ses retours qui ont transformé l’élaboration de ce mémoire en une aventure encore plus passionnante. Merci à Coralie aussi de m’avoir « prêté » Valentin. Je tiens aussi à remercier Amine Sijilmassi, Aurore Grandin, Mathilde Mus, Hugo Mercier et Valentin (encore !) pour leur relecture attentive et leurs conseils plus que pertinents. Merci aussi à Benjamin et Houda d’avoir accepté de faire les petites mains et de s’être pris au jeu. Enfin, je voudrais remercier mes parents, Marie et Hervé, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. 4
I. Introduction I.A) Les modes d’accueil formels sont un levier pour réduire les inégalités dans la petite enfance, mais sont eux-mêmes marqués par de fortes inégalités d’accès Les inégalités socio-économiques ont leurs racines dans la petite enfance (Heckman, 2006; OECD, 2001; Panico et al., 2015). En effet, on sait à présent qu’un gradient socio-économique s’installe dès le plus jeune âge dans toutes les sphères du développement du jeune enfant, et notamment dans les capacités cognitives (Berger et al., 2020; Grobon, 2018; NELP, 2009; Smithers et al., 2018). Ces inégalités de développement entraînent très vite des effets cumulatifs dans les retards d’apprentissages qui peuvent à leur tour limiter les opportunités éducatives et la mobilité sociale en l’absence d’interventions adaptées (Barone et al., 2021; Duru-Bellat et al., 2018; Lahire & Bertrand, 2019; Vallet, 2017). Face à ces constats, afin de réduire efficacement les inégalités, l’une des priorités des politiques publiques est donc de trouver des leviers qui pourraient agir sur leur origine, c’est-à-dire dans la petite enfance. Selon la littérature scientifique actuelle, les crèches, et dans une certaine mesure les assistantes maternelles, sont de bons candidats pour remplir ces objectifs d’égalité avant l’entrée dans les institutions scolaires (Berger et al., 2020; Bigras & Lemay, 2012; Burger, 2010; Melhuish et al., 2015; OCDE, 2018). De nombreux travaux scientifiques attestent en effet que les enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés sont ceux qui bénéficient le plus de ces modes d’accueil formels1, en permettant de pallier jusqu’à plus d’un tiers l’effet des inégalités socio-économiques dans certains domaines de développement (Berger et al., 2020; Bigras & Lemay, 2012; Melhuish et al., 2015; OECD, 2001; Van Huizen & Plantenga, 2013). En outre, les modes d’accueil formels ne bénéficient pas seulement aux enfants issus de milieux défavorisés mais, plus largement, à toute leur famille. De nombreux travaux attestent de leur effet positif pour le travail des mères, et ils permettent plus globalement d’améliorer le cadre de vie des familles défavorisées (d’Albis et al., 2017; Ferragina, 2019; Waldfogel, 2002). L’accès à ces structures est donc considéré comme un objet privilégié de politique publique de lutte contre les inégalités socio-économiques (Bennett, 2012b; Esping-Andersen & Palier, 2008; Melhuish et al., 2015; OECD, 2006; Van Huizen & Plantenga, 2013). Cependant, alors que les modes d’accueil formels pourraient permettre de réduire les écarts de développement observés chez les enfants défavorisés, on observe aussi de façon quasi-systématique sur le plan international de fortes inégalités d’accès à ces structures, comme l’illustre la figure 1 pour les pays européens (Blossfeld, 2017; Collombet, 2018; OECD, 2016). 1 Les modes d’accueil formels désignent toute garde encadrée ou contrôlée par une structure, que celle-ci soit publique ou privée. Ils sont à comprendre en opposition à la garde parentale et aux modes d’accueil informels qui regroupent la garde par les grands-parents ou tout autre membre du cercle familial ou amical ainsi que le « baby-sitting » occasionnel par un personnel non déclaré et non qualifié. Un Glossaire est disponible sur l’espace Open Science Framework (OSF) dédié à ce mémoire : https://osf.io/68d2b/?view_only=a3986187bb8d4fe4baae8b5124237bd0. Il contient notamment une définition exhaustive de ces termes et une classification complète. 5
Not attained tertiary education Attained tertiary education % 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Figure 1 - Taux de participation aux modes d’accueil formels des enfants de moins de trois ans en fonction du niveau d’éducation de la mère, figure extraite de la base de données de l’OCDE 2017 I.B) Des first miles solutions au last mile problem Au regard des effets bénéfiques des modes d’accueil formels et dans une perspective de lutte contre les inégalités, réduire ces inégalités d’accès est donc une priorité. Cependant, quelles politiques publiques mener pour y parvenir ? Jusqu’à présent, au niveau international, les solutions préconisées et mises en œuvre sont essentiellement structurelles et organisationnelles2 (Carbuccia et al., 2020; Eurydice, 2019; OECD, 2016; Vandenbroeck, 2013). Il s’agit principalement d’une part de rendre les modes d’accueil formels abordables pour les parents défavorisés par le biais d’aides et de subventions à destination des structures ou des parents, et d’autre part de les rendre plus accessibles par une augmentation du nombre de places disponibles. Par exemple, en France, ces dernières années, un certain nombre de subventions directes ou indirectes ont été mises en place par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), comme le bonus mixité sociale à destination des crèches. Pour la seule année 2017, 3,4 milliards d’euros ont été investis dans le développement du parc des crèches (Cnaf, 2018). Pourtant, dans des contextes où ces dimensions structurelles et organisationnelles sont favorables (i.e., avec des modes d’accueil gratuits ou à très bas coûts, et une offre suffisante pour couvrir la demande), les inégalités d’accès, bien que réduites, persistent. Par exemple, en Norvège, des inégalités d’accès subsistent alors que les familles défavorisées pourraient accéder à des places étant donné qu’il s’agit d’un droit opposable et que le coût des places y est fortement dégressif voire nul pour les plus faibles revenus (OECD, 2016; Petitclerc et al., 2017). De même, en France, dans le contexte parisien où l’offre de places en crèche est la plus haute du territoire, où le coût de ces structures pour les familles défavorisées est relativement faible et où les critères d’attribution des places sont souvent favorables à ces familles « une part importante des familles à bas revenus se maintient toujours à l’écart de ces modes d’accueil » (APUR, 2014). 2 Voir Carbuccia et al. (2020) pour une revue des différentes interventions existantes dans le cadre français et international. 6
Ces constats sont cohérents avec les dynamiques de non-recours rapportées dans d’autres domaines, comme par exemple le domaine de la santé ou de l’éducation. De nombreux programmes mis en place pour favoriser notamment l’accès aux soins et à l’éducation supérieure des populations défavorisées (ex. bourses, gratuité des soins) s’avèrent d’une efficacité limitée du fait d’une absence de prise en compte de la psychologie du public cible. Ces politiques rencontrent un problème de dernier kilomètre : le programme échoue à remporter l’adhésion des populations pour lesquelles il a été créé, rendant l’investissement financier inopérant (Currie, 2004; Dynarski & Scott-Clayton, 2013; Herbaut & Geven, 2019; Reijnders et al., 2018; Soman, 2017). Au niveau psychologique, ce non-recours provient généralement soit d’un manque d’information sur l’existence de la politique publique (ex. les fumeurs ne sont pas informés que des programmes de sevrage tabagiques sont disponibles), soit de différences de préférences (ex. les fumeurs sont informés de l’existence de ces programmes mais ne souhaitent pas y recourir), soit de barrières cognitives et comportementales (ex. les fumeurs ont connaissance de ces programmes et souhaitent y avoir recours, mais ils éprouvent des difficultés à passer à l’action du fait d’un certain nombre de freins comportementaux), soit de problèmes structurels (ex. l’accès à ce programme demande des procédures trop compliquées pour les destinataires). Chaque dimension est plausible dans le cadre de l’accès aux modes d’accueil formels, mais requiert des leviers d’actions différents (simplification administrative dans le cas de problèmes structurels, campagnes d’informations etc.). Ainsi, quelle place peut-on donner aux barrières de natures psychologique et informationnelle dans le cadre des inégalités d’accès aux modes d’accueil formels ? C’est la question qui a motivé ce mémoire. En premier lieu, nous chercherons à savoir dans quelle mesure ces dimensions psychologiques ont déjà été théorisées. L’absence de prise en compte de ces dimensions dans les cadres théoriques explicatifs déjà publiés nous amènera à proposer un nouveau modèle intégratif et transdisciplinaire où les dimensions psychologiques ont toute leur place. Ensuite, l’évaluation de la pertinence du nouveau cadre intégratif ainsi formé, et en particulier des dimensions psychologiques postulées, nous amènera à nous tourner vers la littérature empirique provenant des différentes disciplines ayant traité le problème. Ce travail sera l’objet de la seconde partie de ce mémoire, qui prendra la forme d’une revue systématique de la littérature empirique à la méthodologie PRISMA. Nous discuterons enfin en quoi la présente revue ouvre de nouvelles perspectives d’intervention afin d’agir aussi sur les dimensions psychologiques. 7
II. Construction d’un cadre d’analyse transdisciplinaire II.A) Barrières d’accès aux modes d’accueil formels : revue des cadres théoriques préexistants II.A.1) Revue des cadres théoriques existants Que sait-on des mécanismes responsables des inégalités d’accès ? À notre connaissance, peu de cadres théoriques ont essayé de les formaliser. La plupart des auteurs qui se sont intéressés à cette question effectuent plutôt une liste informelle des différents facteurs qui pourraient intervenir dans ces dynamiques (Lazzari, 2012; OECD, 2001; Vandenbroeck, 2013). Dans cette section, nous avons essayé de reconstruire les modèles théoriques implicites de ces auteurs, afin de pouvoir construire un modèle théorique intégratif. En 2001, dans son premier rapport Starting Strong, l’OCDE théorise les difficultés d’accès aux modes d’accueil formels pour les populations défavorisées. L’accessibilité de ces structures (accessibility) est comprise comme étant composée de l’accessibilité géographique (désignée par le terme proximity), de l’accessibilité financière (affordability), de la flexibilité horaire (flexibility) (i.e., les plages horaires d’accueil sont-elles assez étendues pour couvrir les besoins des professions atypiques ?) et l’adéquation aux besoins spécifiques des différentes tranches d’âges et des différentes populations (OECD, 2001; Ünver et al., 2018). Par rapport au cadre théorique de l’OCDE, la synthèse de la littérature de Lazzari (2012) inclut aussi sous le terme accessibility la façon dont les places sont distribuées, qui peut être défavorable aux familles défavorisées. Deux dimensions y sont ajoutées : l’utilité (usefulness), c’est-à-dire dans quelle mesure les services sont adaptés aux besoins des familles ; et la désirabilité pour les communautés minoritaires (desirability by excluded groups), qui renvoie aux attitudes, croyances et valeurs des parents défavorisés envers les modes d’accueil formels, qui peuvent être très différentes de celles des parents favorisés. L’auteure ajoute que les parents défavorisés peuvent ne pas être au courant « qu’une prise en charge en mode d’accueil pourrait être bénéfique pour leur enfant », et ne pas avoir « une vision positive des pratiques et des approches des professionnels qui y travaillent ». Chez Vandenbroeck, en 2013, le terme availability ne renvoie plus seulement à la proximité géographique, mais aussi au nombre de places disponibles dans les structures. De plus, l’accessibilité financière (affordability) renvoie aussi aux coûts implicites non monétaires des modes d’accueil (ex. l’accès à des aides peut être ressenti comme une stigmatisation en tant que « personne dans le besoin»). Par rapport au modèle Lazzari, il substitue aussi la dimension de la compréhensibilité (comprehensibility) à la désirabilité, c’est-à-dire la mesure dans laquelle le fonctionnement des modes d’accueil formels est adapté aux attentes des parents (ex. le fait que les structures proposent aussi des programmes de soutien parental). À notre connaissance, le seul modèle explicite de ces inégalités d’accès est celui d’Archambault et al. (2019). Les auteurs proposent un modèle chronologique des différents obstacles (voir figure 2). Ce cadre présente deux innovations notables. D’une part, il effectue une séparation entre les barrières provenant des structures d’accueil (en bleu sur la figure) et les barrières qui se situent du côté des familles (en vert sur la figure). D’autre part, la notion de persistance dans les modes d’accueil formels est introduite en fin de processus. Cette dernière notion est importante, car les parents peuvent réussir à avoir une place, mais ne pas maintenir leur fréquentation pour diverses raisons. Or, dans une perspective de lutte 8
contre les inégalités, il n’est pas seulement nécessaire que les familles accèdent à un mode d’accueil formel, mais qu’elles puissent aussi maintenir leur fréquentation sur une durée suffisamment longue. Figure 2 - Modèle conceptuel de l'accès aux modes d'accueil formels pour les enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés II.A.2) Limites des cadres théoriques existants Bien qu’ils permettent d’avoir une idée plus précise des mécanismes responsables des inégalités d’accès, ces modèles présentent certaines limites. Premièrement, nous voyons que si certaines barrières sont plutôt fixes et récurrentes (ex. l’accessibilité financière désignée par le terme affordability), d’autres présentent de fortes fluctuations en termes d’appellation et de signification. C’est par exemple le cas de l’accessibilité (accessibility), qui renvoie tantôt à la disponibilité des services, tantôt au fait que les procédures d’accès sont plus ou moins favorables aux familles défavorisées. De plus, ces cadres théoriques conçoivent les choix des parents défavorisés comme essentiellement orientés par des contraintes structurelles. Cependant, dans une autre littérature très proche, qui traite des choix de mode de garde 3 des mères professionnellement actives, les dimensions psychologiques ont une place centrale dans ces choix. Ces derniers sont en effet compris comme étant le produit d’une interaction entre les préférences parentales d’un côté, et les opportunités et les contraintes dues au contexte de l’autre [modèle d’accommodation (accomodation model)] (Chaudry et al., 2010; Lowe & Weisner, 2004; Meyers & Jordan, 2006; Pungello & Kurtz-Costes, 1999; Riley & Glass, 2002; Weber, 2011; Weisner, 1997). Or, prendre en compte ces préférences est crucial car la moindre représentation des familles défavorisées dans ces structures pourrait être principalement causée par des différences de valeurs quant au rôle des parents pendant les premières années de la vie d’un enfant. Toutes les dimensions susceptibles d’être responsables de 3 Le terme « mode de garde » regroupe les modes d’accueil formels, mais aussi les modes d’accueil informels (ex. grands parents) et la garde parentale. Voir aussi le glossaire sur l’espace OSF pour des définitions détaillées des termes (https://osf.io/68d2b/?view_only=a3986187bb8d4fe4baae8b5124237bd0). 9
ces inégalités d’accès ne sont donc pas pour autant à considérer comme des « barrières ». À ce titre, l’objet d’une politique publique n’est pas tant d’augmenter la participation des parents défavorisés à ces structures, mais de faire en sorte que ces différences de participation soient réellement fondées sur des différences de préférences éclairées (enlightened preferences), c’est-à-dire formées à partir d’un nombre suffisant d’informations (Althaus, 1998; Andersen et al., 2005; Chevallier et al., 2021). II.A.3) Vers la nécessité d’un cadre théorique unifié Dans une perspective transdisciplinaire, nous proposons dans ce mémoire un nouveau cadre théorique unifié pour comprendre les barrières d’accès aux modes d’accueil formels chez les populations défavorisées. Trois raisons principales motivent ce travail : 1/ Proposer une synthèse des cadres théoriques existants portant sur les barrières d’accès aux modes d’accueil formels pour les populations défavorisées. Nous l’avons vu, il existe une diversité de vocabulaire utilisé dans ces théorisations, et chaque dénomination peut renvoyer à un concept ou à un autre selon l’auteur qui l’utilise (jingle fallacy). Inversement, le même concept peut parfois être désigné par des dénominations différentes selon les auteurs (jangle fallacy) (Reeves & Venator, 2014). 2/ Prendre une perspective pluridisciplinaire (Marijn Stok et al., 2018). En effet, une des raisons de la multiplication des dénominations est la forte multidisciplinarité du sujet. Chacun des cadres théoriques précédents a été proposé par des chercheurs de disciplines différentes (sciences de l’éducation, économie, santé publique, politiques publiques, etc.) avec son vocabulaire et ses concepts propres. Or, cette multiplication des spécificités disciplinaires peut s’avérer préjudiciable à la mise en place d’interventions efficaces. Ces interventions nécessitent une vision la plus complète possible du phénomène. Un critère important dans la construction de ce modèle sera donc son intelligibilité afin de pouvoir contribuer plus efficacement à la recherche et au développement de solutions à ce problème. Le modèle doit pouvoir être compris facilement par toutes les disciplines, ainsi que par les décideurs politiques. 3/ Intégrer explicitement les dimensions psychologiques évoquées en introduction, car nous l’avons vu elles sont absentes des cadres théoriques actuels (hormis peut-être Lazzari (2012) qui évoque la désirabilité). Alors qu’une prise en compte de la psychologie des parents défavorisés, notamment de leurs préférences, pourrait être cruciale pour leur permettre un accès effectif aux modes d’accueil formels. En nous nourrissant de l’apport des sciences sociales et comportementales, nous serons amenés à proposer une extension de ce modèle qui inclue ces dimensions psychologiques. 10
II.B) Création d’un nouveau cadre théorique intégratif transdisciplinaire Dans cette partie, conformément à nos objectifs, nous chercherons à créer un nouveau cadre intégratif transdisciplinaire des inégalités d’accès à ces structures. Pour ce faire, nous réaliserons d’abord une synthèse des cadres théoriques existants. Puis, nous passerons en revue quelques dimensions de la littérature en sciences sociales et comportementales qui pourraient s’avérer pertinentes pour avoir une vision plus fine des caractéristiques de la psychologie des parents défavorisés pouvant intervenir dans ces dynamiques. Enfin, nous intégrerons ces derniers apports pour former notre nouveau cadre théorique. II.B.1) Synthèse des cadres théoriques précédents Les travaux théoriques précédents4 nous permettent de faire émerger trois grandes catégories de barrières d’accès aux modes d’accueil formels pour les parents défavorisés : - Les barrières d’accessibilité (accessibility), composées de l’accessibilité géographique (proximity), de la disponibilité des places (availability) et du fonctionnement des structures (adequate functioning), en particulier leurs horaires qui peuvent être inadaptés à ceux des familles défavorisées. Figure 3 - Les barrières d'accessibilité aux modes d'accueil formels pour les populations défavorisées - Les barrières économiques (affordability) qui, comme chez Vandenbroeck (2013), distinguent les coûts explicites (i.e., reste-à-charge pour les parents) des coûts implicites (ex. temps). Figure 4 - Les barrières financières d'accès aux modes d'accueil formels pour les populations défavorisées 4 Voir Annexe II pour un dictionnaire de ces différentes dimensions par rapport aux cadres théoriques précédents 11
- Les barrières à la persistance dans la fréquentation sur le long terme, qui, conformément à Archambault et al. (2019), correspondent d’une part aux conditions d’accès aux structures, qui peuvent être plus ou moins tenables sur le long terme pour les parents ; et d’autre part à leur satisfaction à l’égard des services, liée à la question de la qualité des structures. Figure 5 - Les barrières à la persistance des populations défavorisées dans les modes d'accueil formels II.B.2) Extension de la classification : les dimensions psychologiques Nous l’avons vu, en plus des dimensions structurelles, il pourrait être important d’intégrer les dimensions psychologiques au modèle. Cependant, bien que nous en ayons esquissé les contours en introduction, la notion de barrière psychologique est relativement abstraite. Au regard de la littérature des sciences sociales et comportementales, comment peut-on donc concrètement détailler les impacts que pourrait avoir la psychologie des parents sur les processus d’accès aux modes d’accueil formels ? Pour répondre à cette question, nous parcourrons dans cette partie un itinéraire qui explorera ce que pourrait être la nature de ces dimensions psychologiques. Dans une logique d’intelligibilité, après les avoir présentées, nous intégrerons ces dimensions à celles présentées au paragraphe précédent afin de former un cadre théorique unifié. Nous distinguons trois caractéristiques de la psychologie des familles défavorisées pouvant générer des freins à une prise en charge en mode d’accueil formel : 1) Croyances et normes sociales D’abord, les croyances et les normes internalisées par les parents et véhiculées dans leur communauté d’appartenance en matière de parentalité et de développement des enfants peuvent ne pas être en accord, voire antagonistes, avec le recours à un mode d’accueil formel. Par exemple, les parents qui ont grandi dans le modèle familial dit traditionnel (de type « male- as-breadwinner » où la femme s’occupe de garder les enfants) peuvent ne pas percevoir le besoin de la garde d'enfants (Leseman, 2002). Or, ces normes et valeurs sont connues pour être plus présentes chez les classes populaires (Edin & Kefalas, 2005; Galland & Lemel, 2010; Pape, 2009; Schwartz, 2012). Les familles défavorisées éprouvent aussi en moyenne moins de confiance envers les acteurs extérieurs que les familles plus favorisées, et en particulier envers les institutions (Bell, 2014; Fuller, 2014; Galland & Lemel, 2010; Korndörfer et al., 2015; Twenge et al., 2014). Dans le cas des familles récemment issues de l’immigration, le climat de peur et de méfiance 12
à l’égard des institutions du pays d’accueil a d’ailleurs été mis en évidence comme une des raisons de non-recours aux soins de santé (Perreira et al., 2012). Les parents défavorisés sont donc susceptibles d’avoir des croyances et des normes moins favorables à une prise en charge en mode d’accueil formel que les parents plus favorisés. Pour les mêmes raisons, la communauté d’appartenance des parents pourrait exercer une pression normative ou contrôle social en défaveur d’une prise en charge dans ces structures (Galland & Lemel, 2010; Pape, 2009; Schwartz, 2012). 2) Dimensions informationnelles Ensuite, alors que les réseaux sociaux informels sont la principale source d’information des populations défavorisées (Chaudry et al., 2011), il a aussi été montré que ceux-ci disposaient de moins d’informations sur d’autres domaines relatifs à la parentalité, comme par exemple l’éducation des enfants (Radey & Randolph, 2009). Les familles défavorisées ont aussi moins tendance à accéder à des sources expertes comme les pédiatres pour obtenir de l’information sur l’éducation des enfants et leur santé (Perreira et al., 2012). Elles ont enfin moins accès à la littérature spécialisée et font moins usage d’internet pour avoir accès à ces informations (Bell, 2014; Radey & Randolph, 2009; Rothbaum et al., 2008). Conformément à Lazzari (2012), nous faisons donc l’hypothèse d’une barrière informationnelle : les familles défavorisées disposeraient globalement de moins d’informations sur les modes d’accueil formels pour prendre leurs décisions que les familles plus favorisées (bénéfices, disponibilité, aides disponibles etc.). Ce manque d’informations pourrait avoir plusieurs conséquences dans le processus d’accès. Il peut d’abord orienter « par défaut » leurs préférences vers la garde parentale ou la garde informelle. Apporter de nouvelles informations aux parents sur les modes d’accueil formels est donc susceptible de faire évoluer leurs préférences initiales vers des préférences plus éclairées (enlightened preferences (Althaus, 1998; Andersen et al., 2005; Chevallier et al., 2021)). Par ailleurs, ce moindre niveau d’information est susceptible de générer un décalage entre la perception que les parents ont de l’offre disponible (et ses caractéristiques) et la réalité du terrain. En particulier, conformément à ce qui a été observé dans d’autres domaines (ex. accès aux études supérieures, aux services publics), l’accessibilité perçue des structures pourrait être plus faible pour les populations défavorisées, même dans le cas où l’accessibilité réelle est favorable aux familles défavorisées (Aksztejn, 2020; Keller, 2003). De même, du fait de ce défaut d’informations, en particulier sur les aides disponibles, les coûts perçus par les familles pourraient être plus élevés que les coûts objectifs (Barone et al., 2018). Enfin, ce moindre niveau d’information pourrait aussi desservir les familles défavorisées au cours des démarches d’inscription. En effet, le soutien social de la part de la famille et de la communauté, et la propension à recevoir des informations et des contacts de ses pairs (networking) est crucial dans le bon déroulé de ce processus de recherche et de candidature pour les familles plus favorisées, en particulier quand peu de places sont disponibles (Chaudry et al., 2011). Les réseaux informels vont contribuer à la connaissance de certaines informations clefs pour que le processus d’inscription ait des chances d’aboutir positivement, comme celle du calendrier des démarches ou la nécessité de démultiplier les dossiers de candidature (Auvitu, 2021; Chaudry et al., 2010). Or, puisque peu de familles dans les communautés défavorisées ont recours aux modes d’accueil formels, l’entourage des parents est moins susceptible de détenir ce genre d’information. Et, en l’absence de ces 13
informations, les parents défavorisés pourraient avoir plus de difficultés à mener à bien le processus d’inscription. 3) Psychologie de la pauvreté (psychology of scarcity) Enfin, au-delà d’un moindre niveau d’information, il apparaît que la pauvreté elle- même réoriente les ressources cognitives des parents (Mani et al., 2013; Ridley et al., 2020; Shah et al., 2012). Les fortes contraintes auxquelles sont confrontées les familles et les priorités du quotidien créent un stress et une surcharge cognitive (cognitive overload) qui réduisent leur espace mental disponible (Mani et al., 2013; Mullainathan & Shafir, 2013). Par rapport à des familles plus favorisées, ils auront donc moins d’attention à allouer à des tâches périphériques et plus temporellement distantes, sortant de leurs préoccupations majeures (ibidem). Pour cette raison, même si les familles ont l’intention d’inscrire leur enfant dans un mode d’accueil formel, plusieurs barrières supplémentaires pourraient découler de cette psychologie particulière, notamment lorsqu’il s’agira de passer aux processus d’inscription. D’une part, du fait de ces moindres ressources cognitives disponibles et si l’information est plus difficile à acquérir, les parents défavorisés pourraient se fier de façon importante à des heuristiques décisionnelles (ou « biais cognitifs ») pour leurs choix finaux de mode de garde (Chaudry et al., 2010). En particulier, si la norme dominante dans la communauté d’appartenance est la garde informelle ou parentale, les parents seront naturellement enclins à suivre ces choix par défaut du fait d’une tendance à suivre le statu quo (status quo bias), et à se fier à des heuristiques de disponibilité (availibility heuristics) qui les conduiront à utiliser les modes de garde qui sont saillants dans leur environnement (Battilana, 2011; Herbaut & Geven, 2019; Huber et al., 2011; Kahneman et al., 1982). De même, une certaine inertie (psychological inertia) pourrait les amener à poursuivre la garde parentale, qui est la situation de départ dans les premiers mois de la vie de l’enfant. Enfin, une préférence pour le présent (present bias) intervient aussi lorsque les coûts d’un choix sont saillants dans le présent alors que ses bénéfices sont plus incertains et différés dans le temps, comme c’est le cas pour les modes d’accueil formels (Chaudry et al., 2010; Herbaut & Geven, 2019; Hunter et al., 2018; Wang & Sloan, 2018). D’autant que cette préférence pour le présent, qui pousserait les parents à ne pas « investir » dans les modes d’accueil formels qui sont plus coûteux que la garde parentale ou informelle, est connue pour être particulièrement prégnante chez les populations défavorisées (Harrison et al., 2002; Yesuf & Bluffstone, 2008). Ainsi, ces barrières cognitives et comportementales pourraient premièrement orienter les préférences des parents vers la garde parentale ou informelle. Et, dans le cas de préférences favorables aux structures formelles, elles pourraient aussi créer un fossé entre l’intention d’inscrire son enfant dans ces structures et l’action (intention-action gap ou intention-behavior gap), comme constaté dans d’autres domaines (Conner et al., 2013; Eom et al., 2018; Rhodes & Bruijn, 2013; Sheeran, 2002). D’autre part, lors des démarches, la complexité administrative de celles-ci et la charge cognitive qui en découle (administrative burden) pourraient représenter un frein comportemental important pour ces familles (Herd & Moynihan, 2019). En effet, dans le cadre de ressources réduites, cette complexité est susceptible de générer un certain nombre de coûts de friction (appelés sludges) trop importants pour ces populations. Ces coûts peuvent inclure l’acquisition d’une information qui peut être plus difficile à obtenir pour ces familles pour les raisons évoquées plus haut (Bertrand et al., 2006); peuvent demander un temps qu’elles peuvent ne pas avoir (Shah et al., 2012) ; et peuvent induire un coût psychologique, sous la forme d’investissement de ressources cognitives, de frustration, de stigma ou d’humiliation (ex. être catalogué dans le besoin) (Haushofer & Fehr, 2014; 14
Mullainathan & Shafir, 2013; Ridley et al., 2020; Sunstein, 2019). Le fait que l’aisance administrative et linguistique soit moindre chez ces familles vient se surajouter à ce phénomène (Christensen et al., 2020). Enfin, des exigences bureaucratiques inadaptées aux documents que la famille a en sa possession pourraient complexifier encore le phénomène. Dans le cas de l’accès aux soins de santé, on sait par exemple que des certificats de naissance ou des livrets de famille sont parfois demandés aux familles, notamment immigrées et réfugiées, alors qu’elles ne sont pas en mesure de les fournir (Perreira et al., 2012). Les ressources culturelles et administratives requises lors des procédures d’inscription pourraient donc constituer une barrière d’accès aux modes d’accueil formels pour les populations défavorisées. II.B.3) Présentation du nouveau modèle théorique intégratif Comment intégrer à présent ces dimensions psychologiques dans un modèle intégratif intelligible des différentes barrières d’accès aux modes d’accueil formels pour les parents défavorisés ? Par rapport aux trois catégories de barrières présentées précédemment en III.B.1) (barrières d’accessibilité, barrières économiques, et barrières à la persistance), intégrer ces apports nécessite d’une part de distinguer l’accessibilité objective de l’accessibilité perçue au sein des barrières d’accessibilité, et les coûts réels des coûts perçus au sein des barrières économiques. D’autre part, cela nécessite aussi la création de trois autres grandes dimensions : 1) Les préférences des parents, qui peuvent ne pas être favorables à une prise en charge en mode d’accueil formel. Nous avons vu qu’elles sont potentiellement influencées par un moindre niveau d’information, par les normes sociales et les croyances des parents et de la communauté, ainsi que par un potentiel décalage entre la perception que les parents ont de l’offre disponible (et ses caractéristiques) et la réalité du terrain. 2) Des barrières socio-culturelles peuvent représenter un frein aux inscriptions, même dans le cas de préférences favorables. Cette catégorie de barrière est composée des exigences bureaucratiques potentiellement inadaptées des structures, des ressources culturelles et administratives des parents, ainsi que du soutien social de la communauté. 3) Des barrières cognitives et comportementales (heuristiques décisionnelles, « biais cognitifs ») peuvent créer un fossé entre cette intention d’inscription et une inscription effective, et ceci même lorsque les familles auraient les ressources culturelles et administratives nécessaires pour le faire. Toujours dans la même optique d’intelligibilité, nous matérialisons le nouveau cadre théorique ainsi formé sous la forme d’un schéma visible en page suivante (figure 6). Les innovations théoriques apportées par notre travail sont distinguées par une étoile5. 5 Une justification détaillée de chaque dimension introduite est disponible en sur OSF (https://osf.io/68d2b/?view_only=a3986187bb8d4fe4baae8b5124237bd0). 15
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