Les Cahiers - Association Française Communication Interne
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Les Cahiers de la communication interne N°40 / JUIN 2017 / 25 e La langue de bois ou la vie en moins Et aussi > Pour en finir avec la culture du présentéisme ! • Regard en contrechamp sur la communication managériale • La déontologie pour redonner ses lettres de noblesse au métier...
Sommaire éditorial 3 Jean-Marie Charpentier regard en contrechamp sur la communication managériale 4 Marine Allein Travouillon Leroy Merlin, 22 000 pour une Vision 7 Marc Renaud Pour en finir avec la culture du présentéisme ! 11 Caroline Sauvajol-Rialland La déontologie pour redonner ses lettres de noblesse au métier 14 Christine Donjean, Eric Cobut doSSiEr La langue de bois ou la vie en moins La communication à l’épreuve de la langue de bois 20 Nicole d’Almeida Entreprise, langue vivante 23 Sophie Chassat réseaux sociaux internes : de la langue de bois à la conversation 27 Carole Thomas La voie du silence 31 Judith Matharan La langue de bois : la fausse sécurité de l’émetteur 34 Regards croisés : Bruno Scaramuzzino, Arnaud Benedetti, Guillaume Aper Itinéraire Le goût du journalisme et l’empreinte de la communication interne 38 Valérie Perruchot Garcia Vues d’ailleurs Communiquer en Chine : d’une culture l’autre 41 Irène Lu Vie des réseaux La place des émotions 44 Dorothée Phelip Lu pour vous 45 • Entreprises vivantes, ensemble elles peuvent changer le monde • Le triangle du manager – Pour changer l’entreprise autrement • Trajectoires professionnelles, trajectoires de vie – Entre engagement et réflexivité •
éditorial Vingt ans de communication et tout l’avenir devant nous © V. Colin N otre revue a vingt ans. Entre septembre 1997, date de son lancement et aujourd’hui, vingt années se sont écoulées qui ont vu la communication – et singulièrement la communication interne – se transformer. La vocation de cette revue a toujours été, autant que possible, d’en rendre compte, de mettre en perspectives les pratiques professionnelles et de faire une place aux apports des sciences sociales. Nous ne sommes pas une revue scientifique, mais nous avons le souci constant de soumettre nos pratiques à l’analyse et au regard critique. Salutaire exigence, nous semble-t-il, pour mettre à distance les faux-semblants qui ne manquent pas dans le champ de la com- munication. Nous le faisons encore cette fois-ci dans le dossier de ce numéro consacré à la langue de bois. Tous ceux qui, au fil des années, ont animé cette revue – je pense en particulier à Pierre Labasse, à Robert De Backer, à Guillaume Aper, à Françoise Plet-Servant – ont cherché à élargir le domaine de la communication interne avec le concours de praticiens, de consul- tants et de chercheurs. Par-delà les effets de mode, par-delà les conformismes, c’est une certaine conception – je dirais même une certaine éthique – de la communication qui a prévalu et qui demeure plus que jamais notre repère. Dans l’éditorial du premier numéro, Pierre Labasse rappelait que « notre mission est de contribuer au développement de la communication sous toutes ses formes dans les entreprises et les organisations. Nous estimons en effet que la communication interne n’est pas un territoire réservé aux profes- sionnels. Elle est par définition une fonction partagée. » Elle est aujourd’hui de plus en plus partagée. Et c’est une très bonne nouvelle. Que la communication dans les entreprises s’étende, que les échanges deviennent plus courants, que les salariés soient en première ligne dans la communication est sans doute lié à des changements culturels, mais peut-être plus encore aux évolutions du travail. Un travail qui appelle plus de coopération et de communication qu’autrefois, au point qu’on ne peut plus travailler sans communiquer, ce qui n’était pas le cas au temps du taylorisme. Et le numé- rique, quand il ne se limite pas aux automatismes, participe de cette extension du territoire de la communication. En même temps, nous savons que ce n’est pas partout le cas, loin de là, et que la parole au travail reste à conquérir dans de nombreuses entreprises. D’où le livre blanc « Parole au travail, parole sur le travail » que l’Afci publie ce mois-ci (voir au dos de couverture). Tout cela, nous le savons, contribue à faire bouger le métier de communicant. D’un rôle de transmetteur et de passeur qu’il a eu très tôt et qu’il conserve, on voit bien les évolutions se dessiner vers un rôle de médiateur « des » différentes communications au sein de l’en- treprise. L’Afci y reviendra largement au cours de l’année à venir à travers son programme qui fait une large place à l’avenir de la communication interne (voir page 17). Quant aux Cahiers de la communication interne, ils poursuivent leur route avec vous entre pratique, veille, analyse et anticipation au service d’une fonction partagée. Jean-Marie Charpentier Rédacteur en chef Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 3
Marine Allein Travouillon Consultante senior chez Réseau Alternatives et chercheuse sur les évolutions managériales Regard en contrechamp sur la communication managériale Marine Allein Travouillon a soutenu en janvier 2017 au Celsa (Sorbonne Université) la première thèse française dédiée à la communication managériale. Elle a accepté de partager avec nous quelques-uns des enseignements de sa recherche portant sur « les enjeux symboliques et organisationnels de la communication portée par les managers : sens, consensus et dissensus dans la communication managériale ». D ans un contexte où le management de a minima comprendre, a maxima adhérer les équipes l’engagement des salariés devient crucial aux orientations stratégiques. Cette cascade de pour les organisations en quête de perfor- proche en proche fait du manager « le premier média mance et de sens, les bénéfices espérés de l’entreprise » en faisant décliner par l’encadrement de la communication managériale sont le discours institutionnel. Elle vise à surmonter le ambitieux : « Mobiliser les collaborateurs au service discrédit parfois associé aux figures patronales ou aux de la performance économique et sociale, fluidi- outils traditionnels de communication interne. fier la circulation de la communication en interne, L’efficacité de la communication managériale donner du sens au travail et favoriser le dialogue repose sur une injonction à l’appropriation faite au sein des entreprises1 ». Bien de son temps et aux managers chargés, plus que de relayer les bien dans son temps, la communication managé- messages, de les adapter aux réalités de chaque riale se présente à la fois comme un palliatif aux collectif de travail afin de les rendre plus convain- limites et excès du modèle taylorisé de l’entreprise cants. Pour donner du sens aux décisions prises du xxe siècle et comme un moyen de répondre au par leur direction et susciter l’engagement des leitmotiv du changement permanent. collaborateurs, il est attendu des managers- communicants qu’ils s’approprient non seulement Une injonction paradoxale une responsabilité communicationnelle, mais aussi à l’appropriation une parole institutionnelle au-delà des seules ques- Afin de permettre à chacun de se positionner dans cet tions opérationnelles. La mobilisation de la posture environnement mouvant, la promesse de la commu- et du discours des managers sur les grands projets nication managériale serait de « donner », voire de de l’entreprise apparaît donc comme la condition « redonner du sens » aux bouleversements vécus en sine qua non d’actualisation des bénéfices espérés se fondant sur le postulat de l’efficacité d’une parole de la communication managériale. managériale de proximité. Celle-ci permettrait d’in- Or, c’est précisément dans cette injonction à l’appro- suffler le « supplément d’âme2 » susceptible de faire, priation que se nicherait l’aporie fondamentale au 4 Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017
cœur de la communication managériale. Alors que l’horizon de la communication managériale serait de l’appropriation par les managers d’un rôle de commu- faire émerger un consensus non seulement souhai- nication interne est le moyen par lequel le sens est table mais incontournable. donné au sein de l’organisation, elle en est aussi le Entre les lignes, tout se passe comme si expliquer principal risque. Tout processus d’appropriation tend revenait à convaincre, comme si échanger aboutissait à produire de l’écart par rapport au discours initial. nécessairement à se mettre d’accord, comme s’il n’y C’est la raison pour laquelle les politiques de commu- avait que des malentendus à clarifier et non des diver- nication managériale cherchent à contrebalancer ce gences de vues à mettre en débat. La croyance authen- risque afin de s’assurer que le même message passe tique des professionnels de la communication dans via la chaîne des managers. D’où la mise en œuvre les bienfaits de cette méthode repose sur une vision de dispositifs d’homogénéisation des pratiques des du monde relativement a-conflictuelle dans laquelle managers : charte et intranet managers sensibili- la communication tendrait, avant tout, à favoriser l’in- sant les cadres à ce tercompréhension. En nouveau rôle, forma- cela, on peut voir dans tion les initiant aux En théorie, il s’agit pour les l’idéologie qui traverse « bonnes pratiques », supports encadrant managers de traduire les messages la communication managériale une alté- leur parole (kits, stratégiques pour créer l’échange ration de l’éthique de éléments de langage, la discussion. Dans questions/réponses). au sein de l’équipe. En pratique, l’essai Théorie de l’agir Une telle tension entre personnalisa- on observe souvent que la logique communicationnel de Jürgen Habermas, le tion et uniformisa- descendante prend le pas concept de consensus tion relèverait ainsi d’une forme d’in- sur la logique dialogique est central et apparaît comme le fruit d’un jonction paradoxale : processus délibératif demander aux managers qu’ils fassent leur le que l’on peut résumer ainsi : « Les acteurs recherchent discours institutionnel (pour mieux le doter des attri- une entente sur une situation d’action, afin de coor- buts de proximité et de crédibilité), sans oublier qu’ils donner consensuellement leurs plans d’action et de là le portent au nom et dans un sens défini par autrui. même leurs actions.3 » On retrouve dans la commu- S’approprier, ce serait en somme faire sien, mais nication managériale l’idée que sa fin est orientée pas trop... En théorie, il s’agit pour les managers de vers le partage d’une vision commune des enjeux traduire (sans les trahir) les messages stratégiques majeurs de l’entreprise. Or, cette figure d’un consensus pour créer l’échange au sein de l’équipe. En pratique, programmé tend à euphémiser le potentiel de désac- on observe le plus souvent que la logique descen- cord des situations et à éluder les rapports de pouvoir dante prend le pas sur la logique dialogique. La autour de l’orientation du sens dans les entreprises production des kits est plus investie que le déploie- (par exemple une possible concurrence entre commu- ment de canaux de remontée des propositions issues nication managériale et communication syndicale). des éventuelles discussions. Ou encore, le déroulé Ce tropisme a-conflictuel expliquerait les difficultés type d’une séquence de communication managériale posées par le développement de la communication prévoit que le temps de questions/réponses soit managériale. En faisant du consensus son horizon et accompagné par des éléments de langage prêts à de l’injonction paradoxale à l’appropriation la condi- l’emploi et que celle-ci se conclue sur un temps de tion de son atteinte, la méthode pose un problème rappel des messages clés pour « reboucler » sur le pratique et éthique à tous ceux qui ne seraient pas discours à porter par-delà les débats. complètement alignés avec la vision qu’on leur demande d’incarner pour mieux la transmettre. La figure du consensus comme horizon De quelle manière assumer cette responsabilité de On ne peut comprendre cette aporie sans analyser manager-communicant quand on n’est pas pleine- le système de valeurs inhérent à la communication ment en accord avec le message à relayer ? Autrement managériale (ce en quoi elle croit, ce qui fonde la dit, comment donner le sens de ce qui ne fait pas conviction en son utilité) et sans prendre en compte sens (ou du moins pas assez) pour soi ? ses impensés (ses présupposés, ce qui fait qu’elle ne se pense pas spontanément comme porteuse d’une L’engagement des cadres en question potentielle injonction paradoxale). L’analyse de ce Ces questions se posent d’autant plus que l’état de système de valeurs et de ces impensés révèle que l’art sur l’engagement des cadres démontre une prise Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 5
L’alignement des cadres en chiffres • Moins de la moitié des managers français considèrent que les changements dans leur organisation « vont dans la bonne direction ». (Étude TNS Sofres « À l’écoute des Français au travail » - 2014) • Près de la moitié des managers ne jugent pas la stratégie de leur entreprise motivante (45 % en 2013) et près d’un tiers ne la jugent ni pertinente (34 %), ni claire (31 %). Par ailleurs, le principal frein à la communication managériale cité par les managers est le décalage entre les messages stratégiques et la réalité du terrain (63 % en 2013). (Baromètre sur la Communication Managériale Afci/Andrh/Inergie; 4 éditions entre 2006 et 2013) • Ce qui gêne les managers pour communiquer est le décalage « trop important entre les messages de la direction et la réalité de terrain » pour 69 % ; 50 % évoquent également le fait de ne « pas être en accord avec la politique ». (Étude TNS Sofres/Entreprises et Médias « Communication managériale, comment la renforcer ») de distance des managers vis-à-vis du discours insti- soit en invitant son n+1 à communiquer à sa place ; tutionnel de leurs entreprises. Recherches universi- - appeler à l’exemplarité managériale « en haut », ce taires et études confirment qu’entre un tiers et une qui permet de justifier sa mise en retrait ; moitié de l’encadrement (en particulier les managers - mettre en scène son non-engagement énonciatif de proximité) nourriraient une certaine défiance quant en « sous-jouant » l’appropriation (« voici les slides aux décisions qu’ils seraient chargés de relayer. Ce qu’on m’a demandé de projeter »). dont témoigne la figure du marteau et de l’enclume, analogie régulièrement convoquée par la sociologie Repenser la communication managériale des cadres pour décrire la position des managers pris On comprend dès lors que l’injonction à l’appropriation en étau entre leur équipe et leur hiérarchie. de la communication managériale est loin de trouver En six années de recherche sur le sujet, il est un écho pur et parfait dans les pratiques effectives frappant de constater à quel point les freins avancés des managers sur le terrain. La promesse de la du manque de temps ou encore du manque d’ai- méthode se confronte en situations à une variété de sance des managers ne constituent que l’écume façons de faire avec plutôt que faire de la commu- du problème. Au terme de l’analyse croisée des nication managériale… discours et des pratiques de communication mana- Résumer en quelques lignes une immersion de six gériale, il apparaît que, si les managers ne font pas années là où la communication managériale se raconte, autant ou aussi bien de communication managé- se fait et se vit comporte nécessairement un risque non riale qu’attendu d’eux, c’est essentiellement parce négligeable de simplification. C’est la raison pour qu’ils ne sont pas à l’aise avec le fond de ce qu’on laquelle ce regard en contrechamp constitue moins leur demande de démultiplier. une quelconque conclusion qu’une invitation à recons- Cette analyse formulée aujourd’hui comme une idérer les fondements de la méthode et à échanger évidence a nécessité un profond travail de terrain. pour trouver ensemble les moyens de dépasser l’aporie L’intériorisation de la responsabilité de communica- au cœur de celle-ci. Car, tant que la communication tion comme une mission à part entière des managers managériale n’abordera pas de front ses tensions et la diffusion dans les organisations de l’idéal de contradictoires, elle ne saura se donner les moyens de consensualité rendent particulièrement délicat pour les désamorcer. Cela implique notamment de renoncer les acteurs de confier leurs doutes et de donner à l’impasse enchantée d’une communication managé- accès à leurs pratiques réelles. Malgré tout, lorsque riale aux bénéfices théoriques pour envisager plutôt l’on ouvre la boîte noire des prises de parole mana- une communication managériale pragmatique et à gériales, on constate que le désaccord des cadres se hauteur de marche, efficace parce qu’éthique. traduit très concrètement dans certaines tactiques qu’ils mettent en œuvre pour se distancier du rôle de « manager-communicant ». Entres autres : - se faire discret et garder le silence (quitte à profiter 1 Livre blanc de la communication managériale de l’Afci du flottement organisationnel ne précisant pas (2013) nécessairement quand tenir un temps de communi- 2 Pour reprendre l’expression d’un communicant cation managériale) ; interne interviewé dans le cadre de la thèse. - faire appel à un tiers pour annoncer les sujets 3 Habermas Jürgen. Théorie de l’agir communica- les plus sensibles, soit en demandant à ce que ces tionnel. I. Rationalité de l’agir et rationalisation de la derniers soient portés directement pas la direction, société. Paris, Fayard, 1987, p. 102. 6 Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017
Marc Renaud Directeur de la communication interne et institutionnelle de Leroy Merlin Leroy Merlin, 22 000 pour une Vision En embarquant plus de 20 000 salariés dans l’aventure de sa transformation à dix ans, Leroy Merlin France perpétue la tradition Vision. Un projet de très grande envergure dont l’ambition est de projeter l’entreprise et de permettre à chacun de s’engager individuellement et collectivement. « Vision 2025 » est le nom de la démarche collective qui dessine Leroy Merlin France à dix ans. Après 2005 (lancée en 1995) et 2015 (en 2005), ce troisième cycle apporte la preuve que l’on peut challenger quotidiennement son chiffre d’affaires par magasin et s’affranchir, sur le temps long, des contraintes des résultats pour imaginer le futur de des processus de Vision partagée, elle accom- pagne Leroy Merlin depuis plus de vingt ans dans cet exercice puissant et fortement sollicitant. Elle établit un classement pour ce type de démarche entre 1 et 5 étoiles en fonction notamment du degré d’implication des salariés et de la profondeur du travail de préparation dans les entreprises : « Il n’y a pas de mieux ou de moins bien. En fonction de l’entreprise. Pendant plus de deux ans, les 22 000 la maturité et des attentes, la méthodologie sera salariés de l’enseigne ont participé, en collectif, différente d’une entreprise à l’autre. » à différentes phases de la démarche afin d’ima- Pour Leroy Merlin Fr ance, le chemin a été giner et de décrire l’entreprise dans laquelle ils parcouru en plus de deux ans. Un chemin appre- souhaitent travailler en 2025 (voir encadré page 8). nant, avec des phases bien distinctes, permettant Animée de façon non hiérarchique par près de à chacun d’appréhender les forces de l’entreprise, 900 relais volontaires et écrite par les salariés de se projeter dans l’avenir et d’identifier les eux-mêmes, la Vision Leroy Merlin est selon éléments constitutifs de son identité. Ce travail Meryem Le Saget une « vision profonde, une vision d’acculturation a, de fait, permis à de très cinq étoiles, remontante, avec l’ensemble de l’en- nombreux collaborateurs de prendre la mesure treprise et une démarche d’ouverture en amont ». et d’entrer dans les mutations sociétales et les Auteur, consultante en management et spécialiste accélérations technologiques qui chahutent les Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 7
modèles économiques et obligent à penser et des sessions, dans leur sourire : ils repartaient à provoquer « le » changement. Lors des 129 « pleine balle », fiers de leur boîte. » Sessions Vision dans toute la France, l’équipe en C’est sans doute dans cette dualité entre une charge de l’organisation du projet et les dirigeants construction collective de long terme et les chan- de Leroy Merlin ont ensuite pu se plonger dans une gements profonds et immédiats provoqués par la matière immensément riche avec plus de 32 000 méthode que réside la puissance de la démarche. propositions formulées par les salariés. Chez Leroy Merlin, elle s’appuie sur une culture vécue de l’autonomie et de la confiance qui en Fiers de leur boîte démultiplie sans doute les effets. Ce que résume « Je n’imaginais pas le niveau d’exigence et la bien Meryem Le Saget : « Vision a permis des complexité qu’allait nécessiter ce travail de transformations côté métier et ça a permis à l’en- synthèse », confie aujourd’hui Benjamin Brasseur, cadrement d’avoir confiance dans l’empowerment directeur du projet. Un travail de tri, de prio- des collaborateurs, dans leurs idées. Une des risation, de reformulation qui a duré plus d’un plus grandes qualités de cette entreprise, c’est an, de février 2016 jusqu’au partage de la Vision son ouverture à son écosystème. Je dirais même en mars 2017. « Mon job, c’était de préserver la qu’elle est championne du monde de l’ouverture sincérité de la démarche, son authenticité et sa aux nouveaux concepts, aux voyages apprenants… puissance. Ça a été un boulot de malade ! Mais Et ça impacte le management, qui amène les au-delà de la projection de l’entreprise, j’ai perçu équipes à sortir, à voir « le monde » et à ne pas à quel point c’est un processus qui accompagne la avoir peur du futur. » transformation. En vivant, en questionnant, tu te Aux manettes de cet énorme chantier, une équipe prépares à des changements inéluctables. C’est dédiée avait en charge l’organisation du projet, un formidable levier d’engagement. Je l’ai vu dans l’analyse et la synthèse sincère des données, l’ani- le regard des collaborateurs quand ils sortaient mation des Relais Vision et la communication des différentes étapes et du partage, « fond et forme ». Une partie événementielle de grande envergure a permis de faire vivre la Vision à chacun, dans Les cinq phases de la démarche les sessions de début 2016, dans les deux temps forts de partage, les 8 et 14 mars 2017 et, depuis, • L’écoute écosystème : dessiner les forces de dans la coordination d’ateliers d’appropriation l’entreprise via des milliers d’entretiens menés permettant, localement, de partager, commenter par les salariés en binôme avec les artisans, et nourrir de manière concrète et opérationnelle le contenu du projet. professionnels du bâtiment, fournisseurs de produits, prestataires de services, élus et Une communication au plus près du vécu institutionnels... La démarche est adossée à un dispositif de • Les souffles du changement : découvrir et communication favorisant le déploiement du explorer le monde en 2025 grâce à l’apport projet auprès des 22 000 salariés. Chaque étape d’acteurs référents sur le sujet (La Fing, Futuribles, se nourrit d’un travail de production audiovi- Nathan Stern, Usbek & Rica, We Demain). suelle et de print calibré intégrant le conduc- teur d’ateliers collaboratifs. « L’un des partis • Notre identité : explorer d’où l’on vient et ce que pris forts de Vision 2025, au-delà de l’anima- l’on est collectivement par des temps d’échange tion non hiérarchique par les Relais, est la et de partage. démarche appréciative », précise Claire Guelton, • Les Sessions Vision : 129 sessions pour écrire en charge de la communication et de l’animation l’entreprise à dix ans. de Vision. « Une communication optimiste met le focus sur l’énergie collective, l’engagement, • La synthèse et le partage : les 32 000 idées le dynamisme, l’envie des collaborateurs de produites ont ensuite été triées, synthétisées et faire avancer leur boîte et d’être pleinement analysées en s’appuyant sur la technologie Watson acteurs du futur de l’entreprise. La démarche d’IBM (système cognitif d’analyse de données) fait également l’objet d’un documentaire, archi- et beaucoup, beaucoup d’heures de lecture, de vage précieux détaillant l’intention et les retours synthèse et de réflexion, jusqu’au partage, en de chaque étape. Vision est un voyage, seul le mars 2017. vécu témoigne de l’expérience transformante et apprenante de ce voyage. » 8 Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017
Partage de la démarche Vision au printemps 2017. Mais l’entreprise entre désormais en terre inconnue. œuvre du projet, phase qui incite à l’expérimenta- Les « grands projets » réinjectés dans le plan à tion. À l’échelle du territoire, ce sont des milliers cinq ans, les « petits pas » dans le quotidien des d’initiatives qui vont voir le jour. Les Relais repré- magasins… Quel rôle désormais pour la commu- sentent pour moi des centaines d’objectifs, des nication interne ? Concevoir et ajuster en perma- acteurs prêts à capter cette réalité au plus près du nence un « marketing de terrain et une formidable l’offre » Vision auprès communauté engagée des salariés. Suivre le Les Relais représentent dans l a dif f usion de déploiement des projets l’esprit Vision. » L’enjeu et les partager au plus des centaines d’objectifs, au fond est d’alimenter près du vécu de terrain, l a d y namique p ar l a avec sincérité et souci des acteurs prêts à capter communication et d’ap- de l a vér ité. A nimer, porter aux dirigeants un réinjecter les méthodes une réalité au plus près éclairage sur le « réel » participatives de Vision dans le management du terrain et une formidable de l’entreprise. « Il y a un v r ai objec tif à ce des projets… et dans le management tout court. communauté engagée dans que Vision vive dans la communication, abonde Aider, enfin, les cadres à assumer le degré élevé la diffusion de l’esprit Vision Benjamin Brasseur. Le partage a été une ligne d’exigence suscité par la de départ, pas d’arrivée. volonté des 22 000 salariés en soulignant aussi les Si la « com’ » ne diffuse pas toute cette énergie engagements non tenus et les projets en déphasage. et ne l’amplifie pas, on loupe quelque chose. Il Claire Guelton met les 900 Relais Vision au cœur faut catalyser, amplifier et alors on rend visible. de cette démarche de communication : « Les Relais Et aider à faire prendre conscience qu’on appar- sont au cœur de la démarche. Nous passons à tient à un ensemble qui dépasse le magasin : on présent à la phase opérationnelle de mise en est 22 000 ! » Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 9
« Faire bouger l’entreprise au plus profond » Entretien avec thomas Bouret, directeur général de Leroy Merlin France. dans quelles circonstances avez-vous décidé prérogatives de pouvoir liées de lancer cette troisième Vision à dix ans à la fonction de DG, à cultiver de Leroy Merlin France ? une confiance basée sur une Quand j’ai pris mon poste de DG en février 2014, subsidiarité réelle et vécue. l’entreprise engageait une transformation pour Ça sert le collectif et ça me construire une réponse omnicanale (magasins, Internet sert en tant que manager. et modes de livraison) aux besoins de nos clients. Cette transformation touchait nos gestes métiers et Comment voyez-vous la suite ? imposait une mise en œuvre assez descendante, ce Vision doit être la colonne vertébrale de la stratégie qui contrariait notre culture et notre fonctionnement. de l’entreprise pour les dix ans à venir. Elle va servir S’il était capital de la mener à bien, elle commençait à nourrir les cycles de transformation successifs de à provoquer de la fatigue, voire de la souffrance. La l’entreprise. Je souhaite que toutes nos stratégies décision de lancer notre troisième « Vision à dix ans », prennent leur source dans Vision et dans l’expression après celles de 1995 et de 2005, avait été prise mais, de la mission qu’on a écrite. Pour autant, Vision ne compte tenu du contexte, il a été un moment question doit pas attendre les grandes décisions stratégiques de la repousser. Puis, de la faire a minima. L’ entreprise a pour être mise en œuvre au plus près du client. On beaucoup grossi et on ne se voyait plus élaborer notre l’a pensée à 22 000, on la met en œuvre à 22 000. Vision tous ensemble. En lieu et place, nous aurions Les collectifs doivent avoir le champ libre pour mobilisé un échantillon de 15 à 20 % de l’effectif dont la expérimenter, mettre en œuvre, tester, dans le production se serait imposée à tous. Je me suis laissé mouvement même de l’entreprise. trois mois avant de décider. Mon choix avec le Comité de pilotage s’est porté sur une démarche remontante à Quel rôle donnez-vous à la communication interne 100 %, embarquant les 22 000 collaborateurs et portée dans ce déploiement ? dans nos 137 magasins non par les seuls managers, Elle a une utilité fondamentale dans cette phase-là. mais par un collectif non hiérarchique et volontaire, les Son rôle est double et certainement pas de servir Relais Vision. un message aseptisé sur les grandes stratégies de l’entreprise. D’une part, un rôle macro et stratégique Quelles étaient vos attentes ? en rappelant en permanence la Vision, son sens, ses J’en avais deux. Nous prenions conscience que la grandes orientations, pourquoi on l’a faite. D’autre part, transformation allait désormais être perpétuelle, la communication interne doit devenir le catalyseur de par cycles. Pour y faire face, nous avions besoin la démarche, le modérateur qui aide à faire émerger la de reprendre un temps d’avance et de provoquer « ligne éditoriale » de l’entreprise, qui met en lumière l’engagement de tous en visant très, très haut. Par et accélère la connaissance de ce qui se passe ailleurs, la transformation métier était la partie au plus profond de l’entreprise. D’où son rôle pour émergée de l’iceberg. En dessous, il fallait réussir une hiérarchiser, différencier l’essentiel de l’accessoire, transformation managériale et culturelle. C’est pour remiser le politiquement correct et les idées gadget. Et, cela que nous avons fait Vision. Mettre en perspective aussi, pour venir gratter l’entreprise sur ses possibles la place de chacun et notre fonctionnement. Faire dysfonctionnements. bouger la boîte au plus profond au moment où elle s’y attendait le moins car elle était en situation de succès, Comment verrez-vous que Vision a réussi ? mais à un moment où elle en avait le plus besoin, au Par l’implication réelle qu’elle aura suscitée chez les cœur d’une révolution sociétale. collaborateurs, par leur envie de s’engager. Mais aussi quand les meilleurs talents qui ne travaillent pas chez Vision a-t-elle changé votre façon de voir votre rôle ? nous feront de Leroy Merlin leur priorité employeur. Et, En tout cas, elle m’a fait réfléchir sur les fondements enfin, quand les habitants nous rendront le message mêmes de mon métier. Elle me pousse à renoncer à des clair qu’on les a aidés à changer les façons d’habiter. 10 Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017
Caroline Sauvajol-Rialland Directrice du cabinet de conseil So Comment Pour en finir avec la culture du présentéisme ! Entre droit à la déconnexion et injonction tacite à la disponibilité permanente, le modèle français de gestion du temps de travail des cadres fondé sur le présentéisme est obsolète. Caroline Sauvajol-Rialland livre son éclairage sur les risques de l’hyper-travail à l’ère du digital. L e nouveau droit à la déconnexion – issu non-obligation de réponse à leurs mails en dehors de la loi El Khomri – applicable à tous les des heures de travail, pour que leurs obligations salariés des entreprises de plus de 50 légales soient remplies. C’est d’ailleurs ce modèle personnes depuis le 1 er janvier 2017 ne de charte qu’a proposé l’ANDRH à l’ensemble de paraît pas être la priorité des DRH français. ses adhérents en décembre dernier. Ce qui apparaît Quand ils n’affichent pas une forme de déni face au pour le moins insuffisant alors qu’une très large problème, ils renvoient volontiers à la responsabi- majorité des cadres et des jeunes expriment de lité de leurs cadres. À eux de décider de répondre fortes attentes quant à la conciliation de leurs diffé- ou non à tout mail reçu à des heures indues 1. rentes sphères de vies privée et professionnelle et à Si quelques accords ont été négociés (Axa, La la régulation des outils numériques2. Pourquoi tant Poste…) et des chartes signées, celles-ci restent de réticences alors que co-construire des règles et peu connues et encore moins mises en application, promouvoir la mise en œuvre du nouveau droit à la sauf en cas de litige. Pour sa part, le législateur déconnexion pourrait devenir un facteur d’attracti- ne prévoit pas de sanctions au non-respect du vité et de fidélisation majeur pour les entreprises ? nouveau droit à la déconnexion. Concrètement, il suffit aux entreprises de signer une charte en deux À l’heure de l’hyper-travail paragraphes, comprenant par exemple un principe Le digital a fait exploser nos principaux repères de vie : d’exemplarité du management, assortie d’une il n’existe plus désormais ni unité de temps, ni unité Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 11
de lieu pour le travail. L’espace de travail varie et est très différente dans les autres pays du monde. La souvent provisoire. Nous prenons connaissance de Norvège, par exemple, présente un taux de produc- nos mails dans le métro avant d’y répondre dans notre tivité par travailleur parmi les plus élevés au monde lit. Nous faisons nos courses au bureau. Le temps de pour une durée de temps de travail comptant parmi travail signifie-t-il encore quelque chose, alors que les moins importantes. Rester au bureau après chacun travaille dorénavant souvent le soir, voire la 18 heures ne vous accordera aucun crédit en Scan- nuit, en vacances ou même pendant un arrêt maladie ? dinavie. Il en est ainsi, aussi et surtout, dans les Le temps de travail s’est fortement dilaté ces vingt pays anglo-saxons où le présentéisme à outrance dernières années. Nous vivons désormais à l’ère de ne démontre qu’inorganisation et inefficacité, voire l’hyper-travail, le fameux « Always on, anything, un manque d’équilibre personnel. Votre niveau de anywhere, anytime2 ». Les technologies rendent responsabilité ne sera pas pris en considération. possible la synchronisation permanente de tous avec Allonger à l’envi le temps passé au bureau ne chacun et nous vivons dans l’illusion de la polychronie du prouvera rien, simplement votre inefficience et temps. Je déjeune au restaurant en famille et réponds votre mauvais équilibre de vie. à mon supérieur hiérarchique en même temps… Mais La situation est-elle inéluctable en France ? Non, car ce que les technologies les cadres qui rompent ont simplement rendu l’omerta6 pour évoquer possible préexistait déjà dans notre culture Le digital a fait exploser nos ce sujet expriment de fortes attentes quant à professionnelle hexago- nale et notre conception principaux repères de vie : la conciliation de leurs vies personnelle et du travail. Selon une certaine il n’existe plus désormais ni unité professionnelle. 75 % des cadres et 76 % des « logique de l’hon- neur 3 » qui prévaut de temps, ni unité de lieu jeunes actifs veulent une vraie régulation dans notre pays, les pour le travail de l’usage des outils cadres ne pointent pas numériques. 76 % des et ne sont pas soumis Français observent à des horaires stricts, mais doivent naturellement leur impact négatif sur leur vie personnelle7 et 61 % éteindre la lumière le soir en partant et répondre à des salariés s’avouent insatisfaits de leur employeur, leurs mails dès réception, quelle que soit l’heure. considérant que celui-ci ne fait pas ce qu’il est en En vingt ans, la réactivité et la joignabilité perma- devoir de faire pour les aider à équilibrer leur vie8. nentes sont devenues les normes de référence pour Corollaire obligé, en 2016, 27 % des jeunes Français le travail des cadres dans un environnement écono- aspiraient à un avenir à l’étranger – contre 13 % en mique toujours plus concurrentiel. Dans notre culture 2012 – et 28 % une expatriation définitive. Enfin, 93 % professionnelle française, un cadre investi est un des salariés considèrent que l’équilibre des temps cadre manifestant une intense activité, présent physi- de vie est un sujet de préoccupation « important », quement de 9h à 19h a minima et connecté 7j/7 voire « très important ». Le sentiment de manquer et 24h/24. Sa vie privée doit être le plus possible de temps est largement partagé par l’ensemble des occultée. Son engagement comme sa motivation sont salariés9. mesurés à l’aune de son omniprésence physique et de La nouvelle loi El Khomri protège désormais notre sa joignabilité permanente. Bien entendu, l’actuelle vie privée en nous autorisant à ne pas travailler... conjoncture économique n’incitant pas toujours à en dehors de nos heures de travail ! Face à l’in- l’optimisme, les cadres n’hésitent pas à en rajouter tensification des échanges, à la multiplication dans le sur-présentéisme pour garantir leur emploi croissante des données, sources constantes de au risque d’un état d’épuisement émotionnel, d’une surcharge informationnelle ou infobésité10, et à moindre productivité et d’une chute de l’innovation4. une représentation trop archaïque du travail des cadres, véritable image d’Epinal, rien ne sera D’autres modèles de gestion du temps possible sans proposer une « révolution » cultu- des cadres relle majeure afin d’en terminer avec la culture du Et pourtant ! Si nous mettons de côté le Japon présentéisme. L’entreprise aura beau jeu d’inter- qui associe un « sur-travail » constant à un faible dire les réunions après 18 heures si le regard porté taux de productivité au point qu’il est aujourd’hui par le management sur un cadre qui souhaite question d’imposer des vacances aux salariés 5, prendre son après-midi pour assister au spectacle la gestion du présentéisme est abordée de façon de fin d’année de l’un de ses enfants n’évolue pas... 12 Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017
1 tude de Valérie Carayol (2014), « Les directeurs des é ressources humaines face au phénomène d’hyper- connexion des cadres », Déconnexions volontaires aux TIC, Colloque international DEVOTIC, Université de Pau et des Pays de l’Adour. 2 Chen Brian X. Always on. How the IPhone Unlocked the Anything-Anytime-Anywhere Future - and Locked Us In, Da Capo Press, 2012. 3 Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, éditions du Seuil, 1989. 4 Technologia. Burn-out - étude clinique et organisa- tionnelle (2014). 5 Mathilde Golla, « Le Japon veut forcer ses travail- leurs à prendre des vacances » www.lefigaro.fr, 4 février 2015. 6 Denis Monneuse. Le silence des cadres. Enquête sur un malaise, éditions Vuibert, 2014. 7 Deloitte / Cadremploi.fr (2015). « Et le bonheur au travail ? » 8 Observatoire de l’équilibre des temps et de la paren- talité en entreprise. Baromètre 2016 de la conci- liation entre vie professionnelle, vie personnelle et familiale. L’entreprise aura beau jeu d’interdire les réunions après 18 heures 9 Deloitte IFOP. 3e édition du Baromètre de l’humeur si le regard porté par le management sur un cadre qui souhaite des jeunes diplômés. prendre son après-midi pour assister au spectacle de fin d’année 10 Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité. Comprendre de l’un de ses enfants n’évolue pas... et maîtriser la déferlante d’informations. éditions Vuibert, 2013. 11 David M. Sanbonmatsu, David L. Strayer, Nathan Ce que signifie « être présent » Medeiros-Ward, Jason M. Watson (2013) Who Multi- La régulation de l’utilisation des outils numériques Tasks and Why ? Multi-Tasking Ability, Perceived passe par la redéfinition de la notion de présence. Multi-Tasking Ability, Impulsivity and Sensation En définitive, que signifie « être présent » ? Être Seeking. PLoS ONE. présent physiquement n’implique pas automatique- ment une véritable attention ! À l’occasion d’entre- tiens individuels, il est des managers qui en même temps consultent leur messagerie et répondent à leurs mails... En réunion ou en convention, des cadres confortablement assis peuvent écouter leurs directeurs s’exprimer comme être en train d’orga- niser un afterwork sur leur smartphone ou jouer à Candy Crush… Sommes-nous réellement multi- tâches ? Seuls 2,5 % de la population active l’est11 ! Parcours Le coût du multi-tâche est bien réel en revanche : sur la qualité des tâches effectuées simultanément Caroline Sauvajol-Rialland est une ancienne (dont l’une au moins est dégradée), mais aussi en journaliste. Elle a été responsable de communication termes de coût cognitif et de fatigue intellectuelle. au sein du groupe La Poste. Elle dirige aujourd’hui le La notion de présence physique doit être revisitée et cabinet So Comment, cabinet de conseil en gestion de réorientée vers le principe d’attention, attention qui l’information en entreprise. Elle enseigne à Sciences par de nombreuses applications est déjà obtenue à Po et à l’ICD Paris. Elle a publié Infobésité : comprendre distance. Si la communication directe et la copré- et maîtriser la déferlante d’informations, éditions sence physique restent irremplaçables dans la Vuibert, 2013 et Les relations publiques, Dunod, 2015. collaboration au travail, le tout-digital a pleinement – et heureusement – programmé l’obsolescence du concept de présentéisme. Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 13
Christine Donjean Consultante en communication stratégique, Présidente de l’Association belge de communication interne (ABCI) Eric Cobut Directeur de la communication et des relations internes de la police fédérale belge La déontologie pour redonner ses lettres de noblesse au métier Afin de répondre aux nouveaux enjeux de la communication, l’Association belge de communication interne (ABCI) a décidé en 2016, de réécrire son code de déon- tologie. Une démarche originale et féconde que nous racontent Christine Donjean, la présidente de l’association et Eric Cobut, le pilote du projet. L’ expansion et la segmentation des métiers l’éthique de la communication et l’éthique de ceux de l’information et de la communication au qui l’exercent. Il souligne l’interaction complexe entre cours de ces dernières années, ainsi que l’éthique et les valeurs personnelles du communica- la multiplication des formations rendent teur et la déontologie du métier telle que les asso- compte d’une dynamique de profession- ciations professionnelles la prescrivent. Mais avant nalisation. Si cette dynamique est reconnue par les tout, c’est bien la réaffirmation d’un métier dont il praticiens eux-mêmes, la difficulté à délimiter une s’agit, un métier qui au cours du temps a perdu de expertise propre et des pratiques reconnues et légi- son lustre et de sa réputation, entraîné dans des times persiste. Comment départager le professionnel attitudes douteuses par des entreprises déconnec- du praticien amateur ? Comment les communica- tées des réalités dans lesquelles elles opèrent, peu teurs peuvent-ils faire valoir leur professionnalisme ? soucieuses de leurs responsabilités. Le métier de Comment peuvent-ils développer une identité de communicateur doit se réinventer autour de balises métier spécifique et comment définir celle-ci ? Il se et d’exigences éthiques. pourrait bien qu’à travers la multiplicité de profils et Par cette démarche, l’ABCI contribue à développer les de trajectoires, malgré des cheminements profession- compétences de ses membres en mettant l’accent nels somme toute assez flous, l’observance de règles sur le volet savoir être du communicateur interne. éthiques puisse être le dénominateur commun des Bien que ce code ne soit pas contraignant, il revêt acteurs de la communication. La question de l’éthique toutefois une valeur morale. Il est un outil que les pourrait aussi être une façon de renforcer leur identité professionnels de la communication peuvent utiliser professionnelle et de se positionner dans l’entreprise. dans leur travail au quotidien. Et cela d’autant que En créant autour de leurs actions, aussi bien du côté ce code, rédigé sur la base des dernières enquêtes de la direction que du personnel, confiance et respect. concernant l’élargissement des rôles et des compé- tences des communicateurs, a été soumis à l’en- La réaffirmation d’un métier semble des membres de l’association, dans le cadre à travers sa déontologie d’un processus participatif. Le nouveau code de déontologie de l’ABCI met en À l’instar des autres associations de communi- avant les enjeux d’un positionnement à la fois sur cateurs, l’ABCI s’était dotée fin des années 1990 14 Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017
d’un code de déontologie largement inspiré de Pour consulter le nouveau code de déontologie de l’ABCI : celui des journalistes professionnels. À l’été www www.abci.org/files/files/Code-de-deontologie-2017.pdf 2013, notre association a mené une réflexion sur sa mission, son positionnement et son mode de gouvernance. La question du code de déontologie fut abordée. Appelé « Code de déontologie des et exploitation. Cette dernière étape permit d’affiner journalistes d’entreprise », notre ancien code encore le texte avant sa transmission définitive au ne répondait plus aux évolutions de la commu- conseil d’administration de l’ABCI. nication. De plus, la plupart des membres ne savaient plus qu’il existait. Et, pour ceux qui s’en Un contenu discuté et partagé rappelaient, ils estimaient que certaines valeurs Le code s’articule en deux parties : la mission du n’étaient plus adaptées ou restaient trop vagues communicateur interne et les valeurs nécessaires à pour être appliquées. son exécution. Les valeurs retenues sont au nombre de six : intégrité, esprit de service, respect, orienta- Une méthode d’élaboration participative tion résultats, responsabilité et innovation. Si l’iden- Une refonte du code s’imposait. Restaient plusieurs tification des valeurs n’a pas posé de difficulté parti- questions. Quel type de document élaborer : une culière, leur définition, en revanche, a donné lieu à charte ou un code ? Comment faire adhérer les quelques débats. Tel fut le cas de l’intégrité et de la membres et obtenir qu’ils l’utilisent dans leur responsabilité. travail… ? En d’autres termes, il s’agissait de ne pas La principale difficulté à laquelle le groupe de développer un outil superflu, un gadget servant de réflexion se heurta à propos de l’intégrité fut celle prétexte. Après débat au sein du de sa définition, tant cette dernière conseil d’administration, le coup fait défaut et tant les interpréta- d’envoi fut donné début 2016 et le dossier confié à un des admi- « Les valeurs retenues tions sont nombreuses et floues. Si de nombreuses organisations, nistrateurs au sein d’un groupe sont au nombre de six : même au plus haut niveau de de réflexion. Mission : produire un l’état, placent l’éthique au centre document partagé pour la fin de intégrité, esprit de leurs politiques, force est de l’année. Un premier projet intégrait à la de service, respect, constater que bon nombre de celles qui prônent la bonne gouvernance, fois des résultats d’une enquête orientation résultats, sont aussi celles qui sont gangré- menée par une étudiante de l’Uni- nées par la corruption. L’option versité de Louvain sur l’éthique des responsabilité retenue consista à décrire princi- professionnels de la communica- palement les attitudes à proscrire. tion, les orientations du conseil et innovation » Le groupe de réflexion tint à mettre d’administration de l’ABCI, mais également l’accent sur le fait que surtout, les besoins liés à l’évolution des métiers de l’intégrité était aussi une question d’état d’esprit et la communication interne. Le texte fut transmis par pas seulement un comportement. mail à chaque membre du groupe. Le consensus fut Le terme de transparence, très présent en commu- assez facile à obtenir. Le groupe de travail proposa nication, ne fut pas repris dans le code. Le terme de également un plan de communication. « responsabilité », au sens d’« accountability » lui a Un des objectifs de la démarche était d’impliquer été préféré et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, aux les professionnels de la communication dans le yeux de beaucoup de professionnels, il est impossible développement du code. Deux initiatives complé- d’être transparent en raison d’impératifs stratégiques, mentaires furent menées. La première concer- de concurrence, de culture organisationnelle… À quoi, nait l’ensemble des membres de l’association. La s’ajoutent les principes du secret professionnel, de version arrêtée par le groupe de travail ainsi que l’obligation de réserve, du secret de l’instruction ou de le plan de communication leur furent envoyés pour la raison d’état… avis et suggestions. La seconde fut menée auprès La principale leçon à retirer de cette expérience d’étudiants en master communication à l’Université est que le plus grand défi n’est pas tant d’adopter de Louvain. étant déjà engagés dans la vie profes- un code que d’amener ses utilisateurs à y adhérer. sionnelle, leur regard sur le métier apporta un Sans une implication véritable de ces derniers, il est éclairage supplémentaire sur le projet. illusoire de croire qu’ils se l’approprieront réelle- Les réactions des adhérents et des étudiants furent ment. On aura alors manqué l’occasion d’opérer un ensuite soumises au groupe de travail pour analyse changement de comportement ! Les cahiers de la communication interne n°40 - Juin 2017 15
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