Samedi 18 juillet - Abbaye aux Dames

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Samedi 18 juillet
FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

                                Samedi 18 juillet

JOSEF HAYDN                                  Denis Lavant, récitant
(1732-1809)
                                             Brian Dean, premier violon
Les Sept Dernières Paroles de Notre
Sauveur en Croix Hob. XX/1A (1786)           Jeune Orchestre de l’Abbaye
Introduction
Sonata I : Père, pardonne-leur car ils
                                             Angelina Zurzolo, Eleonore Aubel,
ne savent ce qu’ils font.
                                             Ugo Gianotti, Laurie Bourgeois,
Sonata II : Je te le dis en vérité,
                                             Romain Roussel, violons 1
aujourd’hui tu seras avec moi dans le
                                             Sophie Bouteille, Hadrien Delmotte,
paradis.
                                             Maria Fernandez, Sepideh Nikoukar,
Sonata III : Femme, voici ton fils.
                                             Thibault Bretecher, Martyna
Sonata IV : Mon Dieu, mon Dieu
                                             Grabowska, violons 2
pourquoi m’as-tu abandonné ?
                                             Eugen Casimov, Felicia Pasca,
Sonata V : J’ai soif.
                                             Morag Johnston, Alix Gauthier, altos
Sonata VI : Tout est accompli.
                                             Josquin Buvat, Nicola Paoli, Elianne
Sonata VII : Père, entre tes mains je
                                             Ardts, Dorine Lepeltier, violoncelles
remets mon esprit.
                                             Eva Tribolles, Lucca Alcock,
Tremblement de terre
                                             Théotime Coste, Léa Yeche,
                                             contrebasses
                                             Clémence Bourgeois, flûte 1
                                             Jasmine Navarro-Mendez, flûte 2
                                             Claudia Anichini, hautbois 1
                                             Emmanuel Le Pays Du Teilleul,
                                             hautbois 2
                                             Soledad Brondino, basson 1
                                             Daphné Franquin, basson 2
                                             Cyril Vittecoq, Vicente Serra Primo,
                                             Nina Daigremont, Frédéric
                                             Nanquette, cors
                                             Jean-baptiste Nicolas, Corentin
                                             Devanne, trompettes
                                             Jonathan Fourrier, timbales

                                             Direction Hervé Niquet

                                             Elianne Ardts joue sur un instrument conçu au
                                             XIXe siècle dans les ateliers Gand et Bernardel,
                                             gracieusement prêté par M. et Mme Fillioux.

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Samedi 18 juillet

Die sieben letzten Worte unseres Erlösers         et cinquième Paroles, joué exclusivement par
am Kreuze                                         les vents. Cette nouvelle et dernière version,
Les Sept Dernières Paroles de Notre Sauveur       sous forme d'oratorio, date de 1795-1796. Son
en Croix                                          exécution demande un peu plus d'une heure.
Commandée à Joseph Haydn en 1786, cette           C’est la version pour orchestre que dirige
œuvre fut d'abord écrite pour orchestre,          Hervé Niquet à la tête du Jeune orchestre
puis réécrite pour quatuor à cordes (l'opus       de l’Abbaye.
51) en 1786-1787 Une réduction pour clavier
en a été faite avec l'approbation de Joseph
Haydn enfin elle fut reprise par le composi-
teur sous forme d'oratorio (pour quatre voix
solistes, chœur mixte et orchestre). La version
pour quatuor à cordes est la plus fréquem-
ment exécutée de nos jours.
Il s'agit à l'origine d'une commande pour
la semaine sainte de 1786 pour l'office du
Vendredi saint de l'église Santa Cueva de
Cadix en Espagne : le prêtre devait citer
chaque parole du Christ, suivi par un accom-
pagnement musical. Il s'agit ainsi de l'une
des premières commandes au compositeur
provenant de l'étranger. Haydn complète l'en-
semble par une introduction et un finale, le
terremoto ou tremblement de terre. Cette
première version ne comprenait donc pas de
partie vocale. La création eut lieu à l'église
de Santa Cueva de Cadix l'année suivante.
Haydn reprend la partition sous forme de
neuf mouvements de quatuor dont chacun
porte en épigraphe l'une des paroles du Christ
en latin. L'œuvre est créée en 1787 à Vienne
en Autriche.
En 1792, le chanoine Joseph Friberth en fait
une version chantée sur un texte en alle-
mand qu'il écrit lui-même. Haydn découvre
l'adaptation et reprend à nouveau la partition,
aidé par le baron Gottfried van Swieten. Les
Sept Dernières Paroles du Christ en croix, en
y acceptant les paroles de Friberth. Haydn
y rajoute également un interlude adagio e
cantabile en la mineur entre les quatrième

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Samedi 18 juillet

Les Sept Dernières Paroles de Notre Sauveur en Croix            Sonata IV

Introduction                                                    Evangilium : Jean XIX, 28
                                                                Sachant que désormais tout était achevé, pour que
Evangilium : Jean XIX, 17-18                                    fut accomplie l'Ecriture, Jesus dit : "J'ai soif".
Il prirent donc Jesus. Et, portant lui-même sa croix, il
sortit vers le lieu-dit "du crâne", c'est-à-dire en hebreu      Sonata V
"Golgotha". C'est là qu'ils le crucifièrent ;
                                                                Evangilium : Jean XIX, 29
Evangilium : Luc XXIII, 34                                      Il y avait là un vase plein de vinaigre. On fixa donc à
ainsi que les malfaiteurs, l'un à droite, l'autre à             une branche d'hysope une éponge pleine de vinaigre
gauche. Jesus disait :                                          et on l'approcha de sa bouche. Lors donc que Jesus
                                                                eut pris le vinaigre, il dit : "[Tout] est achevé".
"Père, pardonne-leur ; car il ne savent ce qu'il font."
                                                                Sonata VI
Sonata I
                                                                Evangilium : Luc, XXIII, 44-46
Evangilium : Luc, XXII, 39-43                                   L'obscurité se fit sur toute la terre... Alors se fendit
L'un des malfaiteurs suspendu à la croix l'injuriait :          par le milieu le rideau du sanctuaire, et criant d'une
"N'est pas toi qui est le Christ ? Sauve-toi toi-même, et       voix forte, Jesus dit :
nous aussi." Mais prenant la parole et le réprimandant,
l'autre déclara : "Tu ne crains même pas Dieu, alors            "Père, entre tes mains je confie mon esprit".
que tu subis la même peine ! Pour nous c'est justice ;
nous recevons ce qu'ont mérité nos actes, mais lui, il
n'a rien fait de fâcheux." Et il disait : "Jesus, souviens-     Sonata VII
toi de moi, lorsque tu viendras en ton royaume." Et il
lui dit : "En vérité je te le dis : aujourd'hui, avec moi, tu   Il Terremoto
sera dans le Paradis."

Sonata II

Evangilium : Jean, XIX, 25-27
Près de la croix de Jesus se tenaient sa mère et la
soeur de sa mère, Marie, [femme] de Clopas, et Marie
la Magdaléenne. Jesus donc, voyant sa mère et, près
d'elle le disciple qu'il préférait dit à sa mère :
"Femme voilà ton fils".

Sonata III

Evangilium : Matthieu, XXVII, 45-47
Dès la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la
terre jusqu'à la neuvième heure. Vers la neuvième
heure, Jesus clama d'une voix forte :
"Eli, Eli, lamma sabacthani ?" c'est-à-dire : "Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"

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Dimanche 19 juillet
FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

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                           MÉLODIES FRANÇAISES
                 (transcriptions pour quatuor à cordes Louis Creac’h)

HECTOR BERLIOZ                               GABRIEL FAURÉ
(1803-1869)
                                             Les Berceaux
Villanelle                                   L’Absent
                                             Chant d’automne
GABRIEL FAURÉ
(1845-1924)
                                             HENRI DUPARC
Au bord de l’eau
                                             L'invitation au voyage
Le Secret
Le Papillon et la Fleur
                                             HECTOR BERLIOZ
Prison
                                             Le Spectre de la Rose

REYNALDO HAHN
(1874-1947)                                  GABRIEL FAURÉ

D’une prison                                 Après un rêve

HENRI DUPARC                                 Lucile RIchardot, mezzo-soprano
(1848-1933)
                                             Kwartet
Le Manoir de Rosemonde                       Louis Creac’h,
Au Pays où se fait la Guerre                 Alice Julien-Laferrière, violons
                                             Josèphe Cottet, alto
                                             Keiko Gomi, violoncelle
CLAUDE DEBUSSY
(1862-1918)

Noël des enfants qui n’ont plus
de maison
Des pas sur la neige (instrumental)

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Dimanche 19 juillet

Les chants les plus tristes sont souvent aussi    Berceaux (Sully Prudhomme – 1879), avec
les plus beaux. C’est ce que l’on découvre à      leur balancement tel le roulis des navires
l’écoute de ce prodigieux programme, qui          dont parle le poète, il est devenu l’un des
nous fait certes traverser quelques textes        « tubes » les plus justement populaires du
sombres, essentiellement tournés vers l’éloi-     compositeur. Prison enfin, le plus tardif (1894),
gnement, la perte, la mort ou encore la guerre.   sur un célèbre poème de Verlaine, réussit à
Mais comme autant de diamants noirs, toutes       peindre ce paysage immobile tout de tris-
ces mélodies signées Berlioz, Fauré, Duparc,      tesse et d’abattement sans pathos inutile.
Hahn ou Debussy, font partie des plus somp-       C’est dans une tout autre veine que Debussy
tueuses réussites de l’histoire de la mélodie.    est allé chercher son inspiration pour Le Noël
Berlioz, qui composait déjà des mélodies à        des enfants qui n’ont plus de maison : sur un
la fin des années 1810, allait bientôt « inven-   texte qu’il a écrit lui-même, voilà une contri-
ter » pour la France le cycle mélodique avec      bution à la mémoire des victimes du premier
ses superbes Nuits d’été sur des poèmes de        conflit mondial (1915). Écrite deux ans avant
Théophile Gautier (1841). Il proposait ici au     celle de Fauré, D’une prison de Reynaldo Hahn
public une exploration structurée et cohé-        (1892) déploie déjà le charme et la nostalgie
rente de moments de vie et d’états d’âme.         qui seront la marque de fabrique du composi-
N’ayant que faire des cadres trop stricts, il     teur franco-vénézuélien. Ces mélodies, toutes
osait modeler sa musique sur la plasticité        composées pour voix et piano, vous sont ici
même des vers, comme le prouve Le Spectre         proposées dans une transcription pour voix
de la rose, qui crée une palette musicale et      et quatuor à cordes – formation qui permet
psychologique d’une diversité sans précé-         chaque fois d’en faire ressortir de nouvelles
dent. Autre réussite absolue, sa Villanelle       couleurs tout en créant, par le miracle des
avec son univers guilleret, printanier.           archets, des sonorités simplement inimagi-
Quelques années plus tard, Duparc reprenait       nables au seul piano !
le flambeau. Avec Duparc, une mélodie aty-
pique, Le manoir de Rosemonde et Au Pays          Jean-Jacques Groleau
où se fait la guerre écho de la Grande Guerre.
Fauré quant à lui laisse entendre sa dette à
Schubert ou à Duparc lui-même (Chanson
d’automne par exemple, ou L’Absent, res-
pectivement sur des poèmes de Baudelaire
et de Victor Hugo – 1871), son style s’affirme
très vite et crée même une nouvelle esthé-
tique en rupture avec le romantisme qui l’a
vu naître : l’impressionnisme.
Les mélodies tirées du 2e Recueil (1897) com-
portent deux des plus absolues réussites
de Fauré dans le genre de la mélodie : Le
Secret (poème d’Armand Sylvestre – 1880),
avec sa ligne pure, comme en apesanteur,
allie l’apparente simplicité formelle à la plus
grande profondeur émotionnelle ; quant aux

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FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

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ANTONIO VIVALDI                                         JOHANN SEBASTIAN BACH
(1678-1741)                                             (1685-1750)

Concertos opus 8 n°1 à 4                                Concerto pour clavecin en la majeur
Les Quatre Saisons                                      BWV 1055
                                                        Allegro
Concerto n°1 en mi majeur, op. 8,
RV 269, « La primavera »                                Larghetto
Allegro,                                                Allegro ma non tanto
Largo,
                                                        Gilone Gaubert, violon solo
Allegro
                                                        Les Talens Lyriques
Concerto n°2 en sol mineur, op. 8,
RV 315, L'estate                                        Christophe Rousset, clavecin
Allegro non molto - Allegro,                            et direction
Adagio - Presto - Adagio,
Presto

Concerto n°3 en fa majeur, op. 8,
RV 293, L'autunno
Allegro,
Adagio molto,
Allegro

Concerto n°4 en fa mineur, op. 8,
RV 297, L'inverno
Allegro non molto,
Largo,
Allegro

Les Talens Lyriques sont soutenus par le Ministère de la Culture-Drac Ile-de-France, la Ville de Paris et le
Cercle des Mécènes. L’Ensemble remercie ses Grands Mécènes : la Fondation Annenberg / GRoW – Gregory
et Regina Annenberg Weingarten, Madame Aline Foriel-Destezet, et Mécénat Musical Société Générale.
  Les Talens Lyriques sont depuis 2011 artistes associés, en résidence à la Fondation Singer-Polignac.
Les Talens Lyriques sont membres fondateurs de la FEVIS (Fédération des Ensembles Vocaux et
Instrumentaux Spécialisés) et de PROFEDIM (Syndicat professionnel des Producteurs, Festivals, Ensembles,
                                  Diffuseurs Indépendants de Musique).

                                PRÉFET
                             DE LA RÉGION

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Dimanche 19 juillet

L’apparition du disque microsillon de longue      dell'armonia e dell'invenzione, titre magni-
durée, avec son rapide développement dès          fique qui pourrait signifier « La confrontation
le début des années cinquante du dernier          de l'harmonie avec l’imagination ». Chacun de
siècle, a suscité un extraordinaire dévelop-      ces brefs concertos est destiné à un violon
pement du répertoire musical enregistré, à        soliste, à la partie très virtuose, dialoguant
commencer par celui de la musique baroque.        avec un ensemble d’instruments à cordes.
Jusqu’alors quasiment ignorées du public des      La fantaisie créatrice du musicien éclate à
mélomanes, Les Quatre Saisons de Vivaldi          tout moment, au fil de ces douze mouve-
ont aussitôt rencontré une popularité pro-        ments si différenciés. Le président Charles de
digieuse. Or, il en fut de même deux siècles      Brosses ne manquera pas de noter en 1739
plus tôt, lorsque l’éditeur Le Cène publia        que Vivaldi « est un vecchio, qui a une furie
à Amsterdam le recueil opus 8 du com-             de composition prodigieuse ». La verve jubi-
positeur : douze concertos dont les quatre        latoire du compositeur ouvre la série, dans
premiers sont intitulés Les Quatre Saisons.       un entrain irrésistible. De toutes parts jaillit
Une véritable « Vivaldimania » s’est emparée      l’exubérance naturelle du musicien. Mais sa
de l’Europe musicale, et les Concertos véni-      nature profonde s’exprime dans les mouve-
tiens sont devenus un modèle de composition       ments lents, jusqu’à la mélancolie, même,
pour tous les compositeurs. On les a imités,      une « langueur sentimentale » proche par-
on les a adaptés, on les a transcrits, on les     fois de l’angoisse.
a pervertis, et même parfois martyrisés en        Du Concerto pour clavecin et cordes en la
d’innombrables et douteux arrangements…           majeur BWV 1055 de Jean-Sébastien Bach,
Le thème des Saisons fut très répandu, sur-       tout laisse à penser que l’original perdu était
tout en peinture, mais aussi en musique où        un concerto pour hautbois d’amour et cordes
il l’a été davantage encore par la suite. C’est   antérieur. C’est une œuvre très attachante,
que cette évocation provoque vivement             révélatrice d’un autre aspect de la sensibilité
l’imagination. Ce pourrait aussi être celle       du musicien, avec ses joyeux mouvements
des âges de la vie, depuis le printemps de la     extrêmes, Allegro et Allegro ma non tanto,
jeunesse jusqu’à l’hiver de la vieillesse. Mais   encadrant le Larghetto en fa dièse mineur
ici, la nature y est à ce point présente que      d’une sicilienne rêveuse et mélancolique.
les quatre concertos sont précédés chacun         On en possède non seulement la partition
d’un sonnet, quatorze vers dont on attribue       complète autographe, mais de surcroît, et
la paternité au compositeur lui-même, qui         de la main même de Bach, les parties sépa-
est allé jusqu’à préciser là où tel effet était   rées destinées aux divers instrumentistes – à
« représenté » en musique, et jusqu’aux noms      l’exception notable, toutefois, de la partie de
des oiseaux dont il cherchait à reproduire le     clavecin soliste. Cette particularité infère que
chant. Vivaldi précise que ces sonnets sont       le compositeur devait en l’exécutant assurer
« une description de toutes les choses qui s’y    lui-même cette partie soliste, de tête ou la
déploient », où l’on entendra les oiseaux du      recréant, en lisant sur la partition complète,
printemps, l’orage de l’été, la chasse de l’au-   et diriger l’ensemble depuis le clavecin. Aux
tomne ou le froid de la marche sur la glace.      interprètes d’aujourd’hui d’improviser…
Les Quatre Saisons sont donc évoquées par
quatre concertos pour violon, les quatre          Gilles Cantagrel
premiers du recueil intitulé Il Cimento

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Lundi 20 juillet
FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

                                  Lundi 20 juillet

LUDWIG VAN BEETHOVEN                          Ageet Zweistra, Andrea Pettinau -
(1770-1827)                                   Michel Boulanger, Vincent
                                              Malgrange, Harm-Jan Schwitters,
Symphonie n°2 en ré majeur opus 36
                                              violoncelles
Adagio molto - Allegro con brio
                                              Axel Bouchaux, Baptiste Andrieu -
Larghetto
                                              Damien Guffroy, Massimo Tore,
Allegro
                                              contrebasses
Allegro molto
                                              Georges Barthel, Manuel
                                              Granatiero, flûtes
Symphonie n°5 en ut mineur opus 67            Giulia Barbini, piccolo*
Allegro con brio                              Emmanuel Laporte, Taka Kitazato,
Andante con moto                              hautbois
Allegro (Scherzo)                             Nicola Boud, Roberta Cristini,
Allegro                                       clarinettes
                                              Julien Debordes, Jean-Louis Fiat,
                                              bassons
Orchestre des Champs-Élysées                  Antoine Pecqueur, contrebasson*
                                              Pierre-Antoine Tremblay, Jean-
Alessandro Moccia, Ilaria Cusano -            Emmanuel Prou, cors
Roberto Anedda, Asim Delibegovic,             Alain De Rudder, Steven Verhaert,
Virginie Descharmes, Martin                   trompettes
Reimann, Enrico Tedde, Bénédicte              Harry Ries, Guy Hanssen, Bart
Trotereau, Sebastiaan Van Vucht,              Vroomen, trombones*
violons 1                                     Marie-Ange Petit, timbales
Philippe Jegoux, Solenne Guilbert             * Symphonie N°5 seulement
- Adrian Chamorro, Isabelle
Claudet, Pascal Hotellier, Thérèse            Direction Philippe Herreweghe
Kipfer, Marion Larigaudrie, Clara
Lecarme, Andreas Preuss, violons 2
Jean-Philippe Vasseur, Agathe
Blondel - Marie Beaudon, Laurent
Bruni, Brigitte Clément, Benoît
Weeger, altos

Concert capté en son binaural
dans le cadre de Musicaventure.

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Lundi 20 juillet

Vaine tentative que de vouloir définir en            fois encore un Scherzo qui ne dit pas son nom.
quelques mots l’apport de Beethoven au               Plus gai que les mouvements précédents, il
monde de la symphonie, qu’il approfondit et          n’est toutefois pas plus « léger », ne serait-ce
fit entrer de plain-pied dans le monde tur-          que par sa rythmique extrêmement insis-
bulent du romantisme. Comme ses Sonates              tante. Le finale (Allegro molto), très mozartien
pour piano, comme ses Quatuors à cordes,             dans l’âme, arrive enfin à imposer un peu de
les Symphonies de Beethoven sont un mas-             légèreté et d’enthousiasme sans que des
sif escarpé d’une telle richesse que les plus        nuages ne viennent obscurcir l'atmosphère.
grands chefs n’hésitent pas à y revenir sans         Une œuvre charnière dans la création de
cesse, trouvant chaque fois de nouvelles             Beethoven, et dans l’histoire de la musique
dimensions à ces pages insondables de                plus généralement, dont elle semble clore
variété et de richesses.                             toute une période. Composée entre 1805 et
Composée entre 1802 et 1803, la Symphonie           1808 (ce qui en fait la parfaite contempo-
n°2 en ré majeur op. 36, creuse le sillon ouvert    raine de la Symphonie n°6, dite « Pastorale »,
par sa 1re symphonie. Mais il convient ici de        qui sera d’ailleurs créée le même jour, le 22
noter que Beethoven connaît à cette époque           décembre 1808), la Cinquième symphonie
une crise majeure : il se rend compte qu’il          occupe Beethoven quatre années de sa vie,
est en train de devenir sourd. On comprend           période extrêmement longue, surtout par
aisément tout ce que cela dut avoir comme            les standards compositionnels de l’époque.
répercussion dans son existence, dans sa             Le résultat, au dire même de ses contem-
vision même de son art. Il n’est donc pas éton-      porains, fut à la hauteur de cette gestation :
nant que cette deuxième symphonie porte en           « C’est très grand, c’est même absolument
elle la trace de ces tourments. Son caractère        fou » se serait écrié Goethe a l’audition de
sombre, sauvage, devait d’ailleurs déconcer-         ces pages. Il est vrai que Beethoven de plus
ter les premiers auditeurs, peu habitués à ce       en plus conscient des effets psychologiques
qu’une symphonie les emmène si loin dans             de la musique sur les auditeurs, s’autorise ici
l’exploration d’une âme humaine, a fortiori          des combinaisons de timbres et des effets
d’une âme en souffrance. Le premier mou-             dynamiques littéralement sensationnels.
vement est, ici aussi, en deux moments : un          Dès les premières mesures, on est saisi par
Adagio molto dramatique ouvre l’œuvre avec           le thème matriciel – les prétendus « coups du
une majesté sombre, suivi de l’attendu Allegro       destin » – plus motif dynamique que véritable
con brio. Ce dernier – est-ce un emprunt             thème d’ailleurs, cellule mélodico-rythmique
involontaire ou une allégeance voulue – fait         qui structurera tout le reste du mouvement.
entendre quelques pages que l’on dirait              L’autorité, la puissance, l’affirmation se font ici
tirées de Mozart (la Sonate « alla turca »).        entendre d’entrée de jeu, sans préliminaires.
Le Larghetto (2e mouvement) déploie une              Acte farouchement révolutionnaire, cet incipit
musique que l’on pourrait qualifier de pasto-        est un véritable coup de pied aux conven-
rale, style que Beethoven affectionnait et qu’il     tions. Beethoven va travailler sans relâche ce
utilisera souvent dans ses œuvres à venir. Très    noyau, le faisant passer par toutes les formes,
chantant, ce mouvement n’en demeure pas              toutes les potentialités émotionnelles pos-
moins lui aussi très dramatique, parcouru çà et    sibles, de l’interrogation dramatique initiale
là de moments d'inquiétude et de tension. Le        jusqu’a l’affirmation de la puissance de vie la
troisième mouvement, noté Allegro, est une          plus joyeuse qui soit. L’atmosphère est bien

                                                12
Lundi 20 juillet

celle du monde de René de Chateaubriand
(1802), mais ici, le héros ne se laisse pas
« emporter par les orages désirés » : il par-
vient à se rendre maître de son destin. Le
deuxième mouvement, en revanche, semble
retrouver les angoisses de l’homme face à
son destin, face au monde indéchiffrable et
si indifférent à lui. Le bouleversant thème
initial va peu à peu se voir transfiguré par le
compositeur comme en une série de varia-
tions qui, chacune, lui confère une couleur
et un sens différents. Mais une fois encore,
la musique aboutit à l’affirmation d’une vic-
toire lumineuse.
Le Scherzo débute lui aussi par une inter-
rogation pleine d’angoisse (et en ce sens,
porte bien mal son nom de Scherzo qui, rap-
pelons-le, dérive du terme italien signifiant
l’amusement, le jeu, la plaisanterie !). Mais,
par gradations progressives, par une mon-
tée crescendo d’une puissance inouïe, il va
peu à peu se muer en une explosion de force
vive. Coulé comme une montée en puissance
irrépressible, il aboutit sans aucune solution
de continuité au quatrième et dernier mou-
vement, dont l’ut majeur se déploie avec
insolence. Beethoven n’hésite pas à y intro-
duire les trombones, instruments jusqu’alors
inusités dans le monde de la symphonie,
et qui durent donc ici faire un formidable
effet sur les premiers auditeurs. Réconcilié
avec son destin, le héros-narrateur n’est plus
désormais que force vive. On a souvent rap-
proché cette page du finale de Fidelio, que
Beethoven composait à la même époque et
qui, de fait, partage la même force d’opti-
misme et de foi en la vie.

Jean-Jacques Groleau

                                              13
Mardi 21 juillet
FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

                                Mardi 21 juillet

                                 TRINITATIS

JOHANN SEBASTIAN BACH
(1685-1750)

Cantate BWV 47 Wer sich selbst erhöhet,
der soll erniedriget werden
Cantate BWV 60 O Ewigkeit,
du Donnerwort
Cantate BWV 78 Jesu, der du meine Seele

Céline Scheen, soprano

Damien Guillon, alto

Thomas Hobbs, ténor

Benoit Arnould, baryton

Le Banquet Céleste

Caroline Bayet, violon 1
Simon Pierre, violon 2
Marta Paramo, alto
Claire Gratton, violoncelle
Elodie Peudepièce, contrebasse
Jean Bregnac, flûte
Patrick Beaugiraud, hautbois 1
Guillaume Cuiller, hautbois 2
Niels Coppalle, basson
Kevin Manent-Navratil, clavecin et
orgue

Direction Damien Guillon

                                          15
Mardi 21 juillet

La cantate Wer sich selbst erhöhet, der soll          atteignant parfois la violence pour fustiger
erniedriget werden (Quiconque s’élève sera            la vanité de l’orgueil de l’homme, créature
abaissé) BWV 47 commente le double ensei-             éphémère et misérable, et l’inciter à suivre
gnement de l’évangile de ce dimanche, la              les voies du Christ.
guérison d’un malade le jour du sabbat et             C’est d’une sorte de scène d’opéra que se
la place choisie par les convives. Le livret          nourrit la cantate O Ewigkeit, du Donnerwort
exhorte à l’humilité enseignée par le Christ,         (Ô éternité, toi, parole foudroyante !) BWV
car elle est pour le chrétien une façon de            60. Ce genre de scènes n’est pas rare dans
se mettre à l’imitation du Rédempteur. Il             l’œuvre de Bach, qui prend soin ici de sous-
convient par conséquent de prier Dieu pour            titrer son œuvre « Dialogue entre la Crainte
qu’il aide le fidèle à maudire l’orgueil en culti-    et l’Espérance ». Il s’agit une fois encore d’une
vant la modestie et le dédain des vanités du          méditation sur la mort, que se partagent
monde terrestre. La construction de l’œuvre           les deux allégories, la crainte des derniers
est très simple, en une arche parfaitement            moments et l’espérance d’une vie future bien-
symétrique : autour d’un récitatif, chœur et          heureuse. Selon la symbolique qui lui est
aria de part et d’autre. Le grand chœur d’en-         chère, la Crainte s’exprime par la voix d’alto,
trée propose une forte antithèse comme les            et l’Espérance par le ténor. Trois morceaux
aime Bach. Amplement développé, il met en             seulement, encadrés par un verset de choral
œuvre le concert de l’ensemble instrumental           au début et à la fin. Un admirable récitatif,
qui soutient les voix, en style de motet. Une         d’abord, où la longue vocalise de l’Espé-
introduction purement instrumentale s’ouvre           rance vient dissiper les chromatismes de la
par un motif de déploration. Après quoi, le           Crainte. Dans l’air suivant, les deux allégo-
dialogue concertant énonce des éléments               ries traduisent les tourments intérieurs de
de la fugue vocale qui constitue l’essentiel          l’âme humaine divisée en elle-même. Enfin,
du morceau. Cette fugue se déroule en deux            le second récitatif fait entendre, pour apaiser
sections, exposition et réexposition sépa-            la Crainte, non plus l’allégorie de l’Espérance,
rées par un intermède. L’exposition énonce            mais la voix de l’Esprit Saint, une basse, donc,
les deux segments de phrase de la citation            énonçant les paroles rapportées par l’évan-
évangélique, le premier (« Quiconque s’élève          géliste Jean dans l’Apocalypse : « Heureux
sera abaissé ») comme sujet, ascendant puis           les morts dans le Seigneur, dès à présent ! »,
descendant, le second (« Quiconque s’abaisse          chaque fois répétée avec une insistance crois-
sera élevé ») comme contre-sujet, descen-             sante. Le dialogue pourra donc se conclure
dant puis ascendant. Au récitatif central             sur la voix de la Crainte enfin gagnée par
d’assumer l’essentiel de l’enseignement de            l’espérance et apaisée par les paroles du
la prédication, en lançant l’anathème sur             Sauveur. Bien des musiciens ont invoqué ce
l’orgueil qui corrompt la nature misérable            texte de l’Apocalypse, ici brièvement cité –
de l’homme. Ce récitatif pathétique confié            mais avec quelle efficacité ! Qu’il suffise de
à la basse, vox Christi, s’ouvre par la célèbre       citer le Requiem, ou Musicalische Exequien,
formule « L’homme n’est que boue, pous-               de Heinrich Schütz, et le chœur final du
sière, cendre et terre », que l’on trouve déjà        Deutsches Requiem de Brahms.
chez Thomas d’Aquin et plus tard sur de               Le livret de Jesu, der du meine Seele (Jésus,
nombreuses pierres tombales de l’époque               toi qui par ta mort amère) BWV 78 s’attache
baroque. Moment de grande âpreté, abrupt,             aux deux lectures du jour, épître et évangile.

                                                 16
Mardi 21 juillet

Dans l’épître, Paul exhorte les chrétiens à vivre
selon l’esprit et à pratiquer la miséricorde :
« Portez les fardeaux les uns des autres ! ».
Ces fardeaux, seul le Christ peut en décharger
ceux qui croient en lui. La première strophe
du choral, substance du chœur d’introduc-
tion, le dit d’emblée : le Christ est le refuge
du chrétien, c’est vers lui que s’empressent
les fidèles, dans l’un des plus délicieux duet-
tos à l’italienne qu’ait jamais écrits Bach. Les
deux fidèles qu’incarnent les deux solistes,
soprano et alto, progressent en canon et
se rejoignent en mouvements parallèles de
tierces ou de sixtes. C’est bien là l’image
du désir de marcher dans une même voie.
Mais le chrétien peut-il encore espérer, lui qui
souffre des tourments de ses fautes ? Oui,
lui est-il répondu, par sa Passion, par son
sang répandu, par la mort vaincue, le Christ
le sauve du péché et de la mort. Et la médi-
tation, qui a fait passer du désespoir et de
l’abattement à l’espérance, peut s’achever
avec la dernière phrase du choral par une
prière confiante au Christ pour demeurer cou-
rageux et fort face au mal. Aux airs est confié
le cheminement intérieur du chrétien, depuis
la quête du secours divin jusqu’à la consola-
tion, dans l’espérance de voir sa conscience
enfin apaisée par le rachat de ses fautes. Mais
entre les airs, les deux récitatifs tourmen-
tés reviennent sur la souffrance du pécheur.
Bach a voulu donner la plus grande solen-
nité, la plus grande force spirituelle à cette
première strophe du cantique, si importante
pour un chrétien puisque rappelant le sacri-
fice salvateur du Christ. Et avec ce lamento,
il a créé un chef-d’œuvre, sur un douloureux
motif obstiné.

Gilles Cantagrel

                                                17
Mardi 21 juillet

Cantate n°47
1- Chœur [S,A,T,B]
Wer sich selbst erhöhet,                                  Quiconque s'élève
der soll erniedriget werden,                              sera abaissé,
und wer sich selbst erniedriget,                          et celui qui s'abaisse
der soll erhöhet werden.                                  sera élevé.

2 Air [Soprano]
Wer ein wahrer Christ will heißen,                        Qui veut pouvoir être qualifié d'authentique chrétien
Muss der Demut sich befleißen ;                           Doit redoubler d'humilité ;
Demut stammt aus Jesu Reich.                              L'humilité procède du royaume de Jésus.
Hoffart ist dem Teufel gleich ;                           La vanité est pareille au démon ;
Gott pflegt alle die zu hassen,                           Dieu conçoit de la haine pour tous ceux
So den Stolz nicht fahrenlassen.                          Qui ne bannissent point leur orgueil.

3- Récitatif [Basse]
Der Mensch ist Kot, Staub, Asch und Erde ;                L'homme est fange, pestilence, poussière et glèbe ;
Ist's möglich, dass vom Übermut,                          Est-il possible que par outrecuidance,
Als einer Teufelsbrut,                                    Comme par une progéniture du diable,
Er noch bezaubert werde ?                                 Il soit encore ensorcelé ?
Ach Jesus, Gottes Sohn,                                   C'est donc Jésus, le Fils de Dieu,
Der Schöpfer aller Dinge,                                 Le Créateur de toutes choses,
Ward unsretwegen niedrig und geringe,                     Qui pour nous s'abaissa en toute humilité
Er duldte Schmach und Hohn ;                              Et endura l'ignominie et les sarcasmes ;
Und du, du armer Wurm, suchst dich zu brüsten ?           Et toi, misérable ver que tu es, tu cherches à faire parade ?
Gehört sich das vor einen Christen ?                      Est-ce le fait d'un chrétien ?
Geh, schäme dich, du stolze Kreatur,                      Va, que la honte t'oppresse, créature orgueilleuse,
Tu Buß und folge Christi Spur ;                           Fais pénitence et suis les traces du Christ ;
Wirf dich vor Gott im Geiste gläubig nieder !             Sois croyant en ton âme et prosterne-toi devant Dieu !
Zu seiner Zeit erhöht er dich auch wieder.                Et Il te relèvera en temps utile.

4- Air [Basse]
Jesu, beuge doch mein Herze                               Jésus, fléchis donc mon cœur
Unter deine starke Hand,                                  De ta main puissante,
Dass ich nicht mein Heil verscherze                       Que je ne porte point préjudice à mon salut
Wie der erste Höllenbrand.                                Comme les premiers tisons de l'enfer.
Laß mich deine Demut suchen                               Laisse-moi quérir ton humilité
Und den Hochmut ganz verfluchen ;                         Et maudire à jamais l'orgueil ;
Gib mir einen niedern Sinn,                               Donne à mon cœur la modestie
Dass ich dir gefällig bin !                               Et que je sois à ton service !

5- Choral [S,A,T,B]
Der zeitlichen Ehrn will ich gern entbehrn,               Je renonce volontiers aux honneurs de ce monde,
Du wollst mir nur das Ewge gewährn,                       Tu ne voulais m'accorder que le bien éternel
Das du erworben hast                                      Que tu as conquis
Durch deinen herben, bittern Tod.                         Par ton rude et dolent trépas
Das bitt ich dich, mein Herr und Gott.                    Telle est donc ma prière, ô mon Seigneur et mon Dieu.

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Mardi 21 juillet

Cantate n°60
1 Choral [Alto] et air [Ténor]
O Ewigkeit, du Donnerwort,                              Ô éternité, toi parole de tonnerre,
O Schwert, das durch die Seele bohrt,                   Ô épée, qui passe à travers l'âme
O Anfang sonder Ende !                                  Ô commencement sans fin !
O Ewigkeit, Zeit ohne Zeit,                             Ô éternité, temps sans temps,
Ich weiß vor großer Traurigkeit                         Je ne sais, devant une si grande peine,
Nicht, wo ich mich hinwende                             Vers où me tourner.
Mein ganz erschrocknes Herze bebt                       Mon cœur, complètement terrifié, tremble,
Dass mir die Zung am Gaumen klebt.                      De sorte que ma langue est collée à mon palais.

Ténor :
Herr, ich warte auf dein Heil.                          Seigneur, en ton salut, j'espère.

2 Récitatif [Alto, Ténor]
Alto :                                                  O chemin difficile pour la dernière bataille et le
O schwerer Gang zum letzten Kampf und Streite !         dernier combat !

Ténor :
Mein Beistand ist schon da,                             Mon protecteur est déjà ici,
Mein Heiland steht mir ja                               Mon Sauveur se tient près de moi
Mit Trost zur Seite.                                    Pour me réconforter à mon côté.

Alto :
Die Todesangst, der letzte Schmerz                      La peur de la mort, la dernière douleur
Ereilt und überfällt mein Herz                          Rattrapent et envahissent mon cœur
Und martert diese Glieder.                              Et torturent ces membres.

Ténor :
Ich lege diesen Leib vor Gott zum Opfer nieder.         Je dépose ce corps devant Dieu comme sacrifice.
Ist gleich der Trübsal Feuer heiß,                      Bien que le feu de la souffrance soit chaud,
Genung, es reinigt mich zu Gottes Preis.                Je suis heureux, il me purifie pour la récompense de Dieu.

Alto :
Doch nun wird sich der Sünden große Schuld vor          Mais maintenant la grande faute de mes péchés se tient
mein Gesichte stellen.                                  devant mon visage.

Ténor :                                                 Mais Dieu ne prononcera pas un jugement de mort
Gott wird deswegen doch kein Todesurteil fällen.        pour cela.
Er gibt ein Ende den Versuchungsplagen,                 Il donne une fin aux tourments de la tentation,
Dass man sie kann ertragen.                             Afin qu'ils puissent être supportés.

3 Air (Duetto) [Alto, Ténor]
Alto :
Mein letztes Lager will mich schrecken,                 Ma dernière couche me terrifie,

Ténor :
Mich wird des Heilands Hand bedecken,                   Je serai couvert par la main du Sauveur,

Alto :
Des Glaubens Schwachheit sinket fast,                   Ma faible foi diminue vite,

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Mardi 21 juillet

Ténor :
Mein Jesus trägt mit mir die Last.                              Mon Jésus supporte le fardeau avec moi.

Alto :
Das offne Grab sieht greulich aus,                              La tombe ouverte semble horrible,

Ténor :
Es wird mir doch ein Friedenshaus.                              Ce sera seulement une maison de paix pour moi.

4 Récitatif [Alto] et Arioso [Basse]
Alto :
Der Tod bleibt doch der menschlichen Natur verhasst             Mais la mort reste détestable pour la nature humaine
Und reißet fast                                                 Et arrache presque
Die Hoffnung ganz zu Boden.                                     Tout espoir à la terre.

Basse :
Selig sind die Toten ;                                          Bénis sont les morts ;

Alto :                                                          Ah ! mais hélas, combien de dangers
Ach ! aber ach, wieviel Gefahr                                  Se lèvent devant l'âme,
Stellt sich der Seele dar,                                      Comme elle avance sur le chemin de la mort !
Den Sterbeweg zu gehen !                                        Peut-être que la vengeance de l'enfer
Vielleicht wird ihr der Höllenrachen                            Rendra la mort terrifiante
Den Tod erschrecklich machen,                                   Quand il cherche à dévorer notre âme ;
Wenn er sie zu verschlingen sucht ;                             Peut-être que notre âme est déjà condamnée
Vielleicht ist sie bereits verflucht                            À la damnation éternelle.
Zum ewigen Verderben.

Basse :
Selig sind die Toten, die in dem Herren sterben ;               Heureux les morts, qui meurent dans le Seigneur ;

Alto :
Wenn ich im Herren sterbe,                                      le corps sera en effet la nourriture des vers !
Ist denn die Seligkeit mein Teil und Erbe ?                     Alors la béatitude sera mon lot et mon héritage ?
Der Leib wird ja der Würmer Speise !                            Si je meurs dans le Seigneur,
Ja, werden meine Glieder                                        Oui, mes membres deviendront
Zu Staub und Erde wieder,                                       Poussière et terre à nouveau,
Da ich ein Kind des Todes heiße,                                Puisque je suis appelé enfant de la mort,
So schein ich ja im Grabe an verderben.                         Il semble que je pourrirai dans la tombe.

Basse :
Selig sind die Toten, die in dem Herren sterben, von nun an.    Heureux les morts, qui meurent dans le Seigneur.

Alto :
Wohlan !                                                        Très bien !
Soll ich von nun an selig sein :                                Puisqu'à partir de maintenant je serai béni,
So stelle dich, o Hoffnung, wieder ein !                        Reviens, espoir, encore une fois !
Mein Leib mag ohne Furcht im Schlafe ruhn,                      Mon corps sans crainte peut rester dans le sommeil,
Der Geist kann einen Blick in jene Freude tun.                  Mon esprit peut apercevoir déjà cette joie.

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Mardi 21 juillet

5 Choral [S, A, T, B]
Es ist genug ;                                                C'est assez ;
Herr, wenn es dir gefällt,                                    Seigneur, quand il te plaira,
So spanne mich doch aus !                                     Alors libère-moi !
Mein Jesu kömmt ;                                             Mon Jésus vient ;
Nun gute Nacht, o Welt !                                      Maintenant bonne nuit, ô monde !
Ich fahr ins Himmelshaus,                                     Je pars en voyage vers la maison du ciel,
Ich fahre sicher hin mit Frieden,                             Je vais là sûrement et en paix,
Mein großer Jammer bleibt danieden.                           Ma grande souffrance reste derrière moi.
Es ist genug.                                                 C'est assez.

Cantate n°78
Chœur [S, A, T, B]
Jesu, der du meine Seele                                      Jésus, toi qui as par ton martyre
Hast durch deinen bittern Tod                                 Arraché mon âme
Aus des Teufels finstern Höhle                                À l'antre ténébreux du Diable
Und der schweren Seelennot                                    Et à l'abîme de détresse
Kräftiglich herausgerissen                                    Où elle se débattait,
Und mich solches lassen wissen                                Toi qui m'en as ensuite rendu conscient
Durch dein angenehmes Wort,                                   Par ta parole pleine de mansuétude,
Sei doch itzt, o Gott, mein Hort !                            Sois dorénavant, ô Dieu, mon refuge !

2 Duetto [Soprano, Alto]
Wir eilen mit schwachen, doch emsigen Schritten,              De nos pas faibles mais empressés
O Jesu, o Meister, zu helfen zu dir.                          Nous accourons vers toi, ô Jésus, ô maître, pour
Du suchest die Kranken und Irrenden treulich.                 recevoir ton aide.
Ach höre, wie wir                                             Tu accordes fidèlement tes soins aux malades, aux égarés.
Die Stimmen erheben, um Hülfe zu bitten !                     Ah, entends comme nos voix
Es sei uns dein gnädiges Antlitz erfreulich !                 S'élèvent pour implorer ton secours !
                                                              Puisse la vue de ta face où rayonne la grâce nous
                                                              dispenser la joie !

3 Récitatif [Ténor]
Ach ! ich bin ein Kind der Sünden,                            Hélas, je suis l'esclave du péché,
Ach ! ich irre weit und breit.                                Je me méprends et fais fausse route
Der Sünden Aussatz, so an mir zu finden,                      La lèpre du péché, qui colle à moi,
Verlässt mich nicht in dieser Sterblichkeit.                  Ne me quittera pas aussi longtemps que je serai un
Mein Wille trachtet nur nach Bösen.                           pauvre mortel.
Der Geist zwar spricht : ach ! wer wird mich erlösen ?        Mon vouloir n'aspire qu'au mal.
Aber Fleisch und Blut zu zwingen                              L'esprit a beau dire : hélas, qui me délivrera ?
Und das Gute zu vollbringen,                                  Il est pourtant au-dessus de mes forces
Ist über alle meine Kraft.                                    De vaincre la chair et le sang
Will ich den Schaden nicht verhehlen,                         Et d'accomplir le bien.
So kann ich nicht, wie oft ich fehle, zählen.                 Si je veux ne rien dissimuler de toute ma faute,
Drum nehm ich nun der Sünden Schmerz und Pein                 Je ne puis pourtant dénombrer tous mes
Und meiner Sorgen Bürde,                                      manquements.
So mir sonst unerträglich würde,                              C'est pourquoi je me défais de la douleur et du
Ich liefre sie dir, Jesu, seufzend ein.                       tourment des péchés
Rechne nicht die Missetat,                                    Ainsi que du fardeau de mes soucis,
Die dich, Herr, erzürnet hat !                                Que je ne pourrais autrement plus supporter,
                                                              Et je te les livre, Jésus, en soupirant.

                                                         21
Mardi 21 juillet

                                                      Ne me tiens pas compte des crimes
                                                      Par lesquels, Seigneur, j'ai provoqué ton courroux.

4 Air [Ténor]
Das Blut, so meine Schuld durchstreicht,              Le sang qui efface ma faute
Macht mir das Herze wieder leicht                     Me rend un cœur léger
Und spricht mich frei.                                Et m'absout.
Ruft mich der Höllen Heer zum Streite,                Si la légion infernale me défie au combat,
So stehet Jesus mir zur Seite,                        Jésus se tient à mes côtés,
Dass ich beherzt und sieghaft sei.                    Afin que je sois vaillant et vainqueur.

5 Récitatif [Basse]
Die Wunden, Nägel, Kron und Grab,                     Les plaies, les clous, la couronne et le tombeau
Die Schläge, so man dort dem Heiland gab,             Qu'a connus le Sauveur, les coups qu'on lui a infligés
Sind ihm nunmehro Siegeszeichen                       Sont à présent les emblèmes de son triomphe
Und können mir verneute Kräfte reichen.               Et peuvent m'insuffler des forces nouvelles.
Wenn ein erschreckliches Gericht                      Lorsqu'un tribunal d'épouvante
Den Fluch vor die Verdammten spricht,                 Prononcera la malédiction des damnés,
So kehrst du ihn in Segen.                            la changera en bénédiction.
Mich kann kein Schmerz und keine Pein bewegen,        Nulle souffrance, nul tourment ne peuvent me toucher
Weil sie mein Heiland kennt ;                         Puisque mon Sauveur les connaît ;
Und da dein Herz vor mich in Liebe brennt,            Et comme ton cœur brûle d'amour pour moi
So lege ich hinwieder                                 Je te remets en échange
Das meine vor dich nieder.                            Le mien.
Dies mein Herz, mit Leid vermenget,                   Ce cœur nourri de douleur,
So dein teures Blut besprenget,                       Arrosé du précieux sang
So am Kreuz vergossen ist,                            Que tu as versé sur la Croix,
Geb ich dir, Herr Jesu Christ.                        Je te le donne, Seigneur Jésus-Christ.

6 Air [Basse]
Nun du wirst mein Gewissen stillen,                   Tu vas maintenant apaiser ma conscience
So wider mich um Rache schreit,                       Qui crie vengeance contre moi-même ;
Ja, deine Treue wird's erfüllen,                      Oui, ton amour fidèle va descendre en elle
Weil mir dein Wort die Hoffnung beut.                 Parce que ta parole me dispense l'espérance.
Wenn Christen an dich glauben,                        Lorsque les chrétiens croient en toi,
Wird sie kein Feind in Ewigkeit                       Nul ennemi ne saurait jamais
Aus deinen Händen rauben.                             Les arracher de tes mains.

7 Choral [S, A, T, B]
Herr, ich glaube, hilf mir Schwachen,                 Seigneur, je suis croyant, aide-moi dans ma faiblesse,
Laß mich ja verzagen nicht ;                          Ne me laisse pas perdre courage,
Du, du kannst mich stärker machen,                    Toi qui peux me rendre plus fort
Wenn mich Sünd und Tod anficht.                       Lorsque le péché et la mort m'assaillent.
Deiner Güte will ich trauen,                          Je mets ma confiance en ta bonté
Bis ich fröhlich werde schauen                        Jusqu'à ce qu'il me soit donné, après le combat,
Dich, Herr Jesu, nach dem Streit                      De jouir de ta contemplation, Seigneur Jésus,
In der süßen Ewigkeit.                                Dans les délices de l'éternité.

                                                 22
Mercredi 22 juillet
FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

                                  Mercredi 22 juillet

                                    BARRICADES

FRANÇOIS COUPERIN                               JEAN-HENRY D’ANGLEBERT
(1668-1733)                                     (1629 - 1691)

Les Barricades Mysterieuses                     Suite en ré mineur
                                                Prélude
ROBERT DE VISÉE                                 Sarabande Grave
(V. 1650-1665-APRÈS 1732)
                                                FORQUERAY (PÈRE ET FILS)
Suite en ré mineur
Allemande                                       La Portugaise Marqué et d’Aplomb
Courante                                        La Sylva Très Tendrement
Sarabande
Gavotte                                         La Jupiter Modérément
Chaconne
Mascarade
                                                Thomas Dunford, luth
MARIN MARAIS                                    Jean Rondeau, clavecin
(1656-1728)

Les Voix Humaines

FRANÇOIS COUPERIN

Prélude en do majeur
(L’Art de Toucher le Clavecin)
La Ménetou
Le Dodo ou l’amour au berceau
La Ténébreuse
La Favorite

                                           24
Mercredi 22 juillet

Comment survivre sans le doute ? Oui, il faut        Depuis que nous nous sommes installés à
bien lire « sans » le doute et non « dans » le       la cour de Louis XIV, nous ne cessons de
doute. Car là est notre respiration, l’oxygène     jouer et de rejouer cette musique, de dire
de nos existences, dans le bouillonnement            et de redire la joie qu’elle nous inspire, de la
des pensées nouvelles dont chacune vient            vivre et de la revivre, de la découvrir, comme
bousculer la précédente, et entretient             fraîche du matin, et de la redécouvrir, d’une
l’échafaudage du doute. Il en est de même du       nouvelle fraîcheur d’aube nouvelle. C’est peut-
mystère de la musique, dont le sens s’éloigne      être de persévérer ainsi dans cette répétition
à mesure qu’on pense s’en approcher. Nous           incessante qui nous permet de trouver un
en avons été bercés tous les deux depuis          sens à l’obstination de la répétition. Quand
notre enfance, nous avons eu cette chance            la raison dialectique, quand le langage didac-
de fréquenter ce mystère bien avant l’âge         tique nous invitent à ne pas nous répéter,
des premiers doutes. C’est elle qui nous a           quand le roman ou le cinéma, pour ne prendre
permis de devenir ce que nous sommes tout            que ces deux exemples, ne cessent d’avan-
en nous invitant au questionnement per-              cer, de filer bon train en évitant les redites,
manent. Nous y avons baigné comme dans              nous nous plongeons avec délice dans cette
les jeux d’enfance, et son jeu d’aujourd’hui         nécessité musicale où la forme du rondeau
– parce que l’on joue de la musique bien             nous conduit : toujours une deuxième fois,
plus qu’on ne la fait, c’est bien connu – est        on n’y échappe pas, comme s’il s’agissait de
devenu notre jeu du moi, que nous jouons ici         vie ou de mort pour la phrase musicale. Ce
en double. Chacun pour soi, au creuset de            rondeau qui revient modifie rétroactivement
son instrument, et en même temps chacun             le passé que nous venons de partager, nous,
pour l’autre, puisqu’il s’agit de jouer. On ne       interprètes, et nous, auditeurs, dans le même
sait pas jouer tout seul. Mélange paradoxal de      mouvement, dans le même geste. Comme ce
la plus extrême précision des règles du jeu,      n’est qu’au douzième coup de l’horloge que
de ce langage chiffré que l’on passe sa vie à      l’on comprend qu’il est midi, ou minuit. Ces
déchiffrer comme des hiéroglyphes, et de la        reprises sont faites de souvenir et d’aven-
magie où elle nous mène, de sa dimension à        ture, du passé plongé dans le grand bain du
la fois organique et onirique. C’est là que nous    futur, et chaque fois, à chaque accord, un
trouvons notre geste commun, d’un troublant          acte neuf, une action nouvelle. Nous nous
commun que l’on ne s’explique toujours pas.          lançons dans une danse incantatoire mais
La nature de nos vies parallèles ni la culture      dénuée de toutes mécaniques pour que la
de nos éducations mesurées ne sauraient            phrase musicale devienne l’organe même.
servir de rationalité facile. Notre jeu va bien     Voilà notre travail, notre obsession ! Nous
au-delà du dialogue, il n’est pas question pour     cherchons ici à passionner par le ressac de
nous de nous répondre, mais de nous interro-        la redite et non à convaincre par le verbe.
ger, et d’inviter ceux qui écoutent dans cette      Nous sommes des ruminants du geste-pas-
exploration sans réponse ni solution. Quand         sion, des flibustiers de la joie. Voilà !
la musique échappe à la mathématique...
Alors nous ruminons cette musique, nous              Jean Rondeau
la jouons sans fin, et nous en jouons sans
fin. Ce qui tombe bien pour ce programme
composé presque exclusivement de ron-
deaux (refrain–couplet–refrain–couplet) et
de pièces en reprises sous forme binaire.

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Jeudi 23 juillet
FESTIVAL DE SAINTES, LE LABO 2020

                               Jeudi 23 juillet

FRANÇOIS COUPERIN
(1668-1733)

Leçons de Ténèbres pour le Mercredy
Saint
Première Leçon
Second ordre pour clavecin :
Courante, La Muse-Plantine,
La Diligente
Seconde Leçon

MARIN MARAIS
(1656-1728)

Tombeau pour Monsieur de Lully
(viole de gambe et basse continue)

FRANÇOIS COUPERIN

Troisième Leçon

Le Caravansérail
Rachel Redmond, Maïlys de
Villoutreys, sopranos
Isabelle Saint-Yves, viole de gambe

Clavecin, orgue et direction
Bertrand Cuiller

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Jeudi 23 juillet

« Leçons de Ténèbres » : l’expression fascine        XVIIe siècle, les Français s’y intéressent à leur
par son étoffe poétique, évoquant brumes             tour, parmi lesquels Michel Lambert (le beau-
mystérieuses, froide austérité spirituelle,          père de Lully), Marc-Antoine Charpentier,
brûlantes lueurs intérieures. Qu’ont donc            abondamment, Michel-Richard de Lalande.
à nous enseigner ces Ténèbres ? La nuit du           Parmi toutes celles qu’il aurait écrites, les
Calvaire, dans laquelle est plongé le chré-          trois Leçons de Ténèbres pour le Mercredy
tien dès le Mercredi saint, l’oblige à méditer       saint de François Couperin sont les seules
sur ses propres abîmes. Il se souvient des           qui nous soient parvenues, mais elles consti-
malheurs de son peuple, celui de l’Ancien            tuent un sommet, aussi bien dans son œuvre
Testament : en écho aux souffrances du Christ,       sacrée que dans la production de son temps.
il relit les Lamentations du prophète Jérémie,       C’est pour l’abbaye royale de Longchamp
poèmes de poignante déploration sur les              qu’il les composa, haut-lieu de piété mon-
ruines de Jérusalem et de son temple, sac-           daine : la coutume était que les Ténèbres
cagés par le Babylonien Nabuchodonosor,              fussent chantées par des religieuses du lieu,
au VIe siècle avant notre ère. Scandés par           mais on s’y pressait souvent pour entendre
la mention initiale des lettres hébraïques           telle ou telle grande voix de l’Opéra, inter-
(« aleph », « beth », « gimel », etc.), les ver-     dit d’activité en période de Carême ; et à
sets se succèdent pour peindre la figure à la        mesure que les leçons étaient chantées, on
fois effroyable, pitoyable et tragique d’une         éteignait un à un les quinze cierges de la
femme meurtrie, Jérusalem de chair et de             herse, plongeant l’assistance dans l’obscu-
sang : « Quomodo sedet sola civitas plena            rité : on goûtait ainsi les plaisirs d’un autre
populo ? » (« Comme la voici assise, solitaire,      genre de drame lyrique, tout en intériorité
cette cité qui fut si peuplée ! »). Elle repré-      spirituelle, grâce, entre autres, à son effec-
sente tout à la fois le peuple juif, l’Église du     tif musical réduit à l’extrême. Mais surtout,
Christ, le croyant lui-même. Et c’est à eux trois    par le génie de Couperin se mêlent ici la
que s’adresse, à la fin de chaque « leçon »,         mélodie grégorienne, sensible en particulier
ce cri d’exhortation qui étreint au-delà des         dans les titres (« Incipit Lamentatio… »), ou
siècles : « Jerusalem, convertere ad Dominum,        dans les mélismes orientalisants des lettres
Deum tuum ! » (« Jérusalem, tourne-toi vers          hébraïques, comme enluminées ; le style ita-
ton Seigneur, ton Dieu ! »). Dès la fin de la        lien, que révèlent l’extrême attention au texte,
Renaissance, la musique a investi cet office         la correspondance entre le mot et sa figura-
religieux, dit des Ténèbres, qui était lu (d’où      tion mélodique voire harmonique ; enfin, bien
le mot de « leçons », à entendre en son sens         sûr, le style français, dont les ornements, en
originel de « lectures ») à la tombée de la          perpétuel frémissement sur la ligne de voix,
nuit précédant les Jeudi, Vendredi et Samedi         sont la signature si caractéristique.
saints, le Triduum sacrum. Par leur dramatisme
intense, couleur de mort et de flammes, les          Laure-Hélène Dufournier
circonstances et le texte de cet office avaient
tout pour inspirer les sensibilités baroques,
italienne ou espagnole : Roland de Lassus,
Tomàs de Victoria, Marc Antonio Ingegneri,
Carlo Gesualdo et tant d’autres s’y sont illus-
trés. Le genre n’est donc pas neuf quand, au

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