Les enfants des personnes poursuivies pénalement : Jusletter

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Sophie de Saussure

Les enfants des personnes poursuivies
pénalement :
du silence du droit suisse à l’éloquence des textes
supranationaux

Comment le droit pénal suisse appréhende-t-il la situation des enfants dont un
parent est poursuivi pénalement ? Dans cette contribution, l’autrice dresse un
portrait des enjeux rencontrés par ces enfants, et propose un état des lieux des
dispositions légales issues du droit suisse qui sont susceptibles de s’appliquer
à leur situation, cela aux différentes étapes du processus pénal. Elle expose en-
suite les dispositions issues du droit international et supranational relatives
à la protection de ces enfants, et conclut par une réflexion critique quant au
silence des politiques pénales suisses, eu égard à cette population particuliè-
rement exposée à des situations de vulnérabilité.

Catégories d’articles : Articles scientifiques
Domaines juridiques : Droit pénal, Procédure pénale, Protection des enfants et
des adultes, Droit comparé, Droit international

Proposition de citation : Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement,
in : Jusletter 16 septembre 2019

ISSN 1424-7410, jusletter.weblaw.ch, Weblaw AG, info@weblaw.ch, T +41 31 380 57 77
Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement :, in : Jusletter 16 septembre 2019

Table des matières
I.   Les enfants des personnes poursuivies pénalement en Suisse : un portrait parcellaire
     1.     Une population invisible
     2.     Une population exposée à la vulnérabilité
II. Les enfants des personnes poursuivies pénalement : quelle place dans les politiques pénales
suisses ?
     1.     Les garanties constitutionnelles concernant les enfants en Suisse
     2.     L’arrestation
     3.     La détention provisoire
     4.     La fixation de la peine
     5.     L’exécution de la peine
III. Les textes internationaux et supranationaux
     1.     La Convention relative aux droits de l’enfant
     2.     La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
     3.     La Recommandation 1340 (1997) de l’Assemblée parlementaire relative aux effets de
     la détention sur les plans familial et social
     4.     Les Règles pénitentiaires européennes
     5.     Les Règles Mandela
     6.     La Recommandation (2018) 5 du Comité des Ministres aux États membres du Conseil
     de l’Europe
IV. Pour conclure : quelques remarques sur l’invisibilité en droit suisse des enfants dont un
parent est poursuivi pénalement

Introduction

      « Les autorités nationales compétentes devraient adopter une approche multiservice et mul-
      tisectorielle afin de promouvoir, de soutenir et de protéger efficacement les droits des enfants
      dont les parents sont incarcérés, notamment leur intéret supérieur ».1

[1] Adressé aux États membres du Conseil de l’Europe, dont fait partie la Suisse, cet extrait élo-
quent est issu d’une recommandation très récente du Comité des Ministres : la Recommandation
2018(5) concernant les enfants de détenus. Ce texte prend appui notamment sur le fait que « les
enfants de détenus doivent bénéficier des mêmes droits que les autres enfants »2 , et qu’ils font
fréquemment face à de la stigmatisation et de la discrimination, en plus de vivre des difficultés
psychologiques, financières et sociales d’envergure en lien avec l’incarcération ou la judiciarisa-
tion de leur parent. Avec pour objectif d’atténuer autant que possible ces conséquences négatives,
la Recommandation 2018(5) propose un éventail de mesures destinées à mieux prendre en consi-
dération l’existence de ces enfants dans le cadre des poursuites pénales qui visent leur parent.
Alors que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant3 fête cette année ses 30
ans, la lecture de la Recommandation 2018(5) concernant les enfants de détenus invite à se pen-
cher sur l’état des politiques existantes en Suisse eu égard à la prise en charge de cette population.

1    Extrait de l’article 49 de la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres
     concernant les enfants de détenus, adoptée le 4 avril 2018 lors de la 1312e réunion des Délégués des Ministres
     (Recommandation 2018(5)), en ligne : https ://rm.coe.int/recommandation-cm-rec-2018-5-concernant-les-enfants-
     de-detenus-fra/16807b343b (tous les sites web ont été consultés pour la dernière fois le 12 juillet 2019).
2    Ibid., préambule.
3    Convention relative aux droits de l’enfant (CDE ; RS 0.107, RO 1998 2055).

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[2] En mai 2018 à la Chaux-de-Fonds, suite à l’arrestation de son père survenue à son domicile,
un enfant de dix ans est laissé seul sur les lieux par les agents ayant procédé à l’intervention. Re-
layé par plusieurs médias romands4 , cet événement a permis de mettre en évidence l’absence de
protocole spécifique, au sein de la police neuchâteloise, relativement au traitement réservé à de
telles situations. Quoique cet événement puisse paraître anecdotique, il nous semble au contraire
symptomatique d’un problème plus vaste, en l’occurrence l’invisibilité des enfants5 dont un pa-
rent est poursuivi pénalement dans le contexte du droit pénal suisse. Comme nous le montrerons
dans ce texte, ces enfants sont en effet des grands oubliés de la justice pénale, et plus largement
des politiques publiques en Suisse, où leur évocation s’avère timide et extrêmement marginale.
[3] Après avoir dressé un bref portrait des enjeux susceptibles de concerner les enfants des per-
sonnes poursuivies pénalement (I), nous décrirons la manière dont le droit pénal suisse les prend,
ou non, en considération aux différentes étapes du processus pénal, en l’occurrence lors de l’ar-
restation, de la mise en détention provisoire, de la fixation de la peine et de l’exécution de cette
dernière (II). Nous décrirons ensuite les textes issus du droit international et supranational perti-
nents eu égard à la prise en compte de ces enfants dans le contexte du droit pénal (III). Enfin, nous
conclurons par une réflexion critique quant au silence des politiques pénales suisses relativement
à cette population, pourtant particulièrement exposée à des situations de vulnérabilité.

I.          Les enfants des personnes poursuivies pénalement en Suisse : un por-
            trait parcellaire
1.          Une population invisible
[4] En Suisse, les enfants des personnes poursuivies pénalement sont très rarement évoqués dans
les tribunes politiques, dans les médias, ainsi que dans les espaces scientifiques6 . Il est égale-
ment impossible de connaître le nombre d’enfants mineurs touchés par l’incarcération ou par la
judiciarisation d’un parent7 . En effet, l’Office fédéral de la statistique ne publie aucune donnée
relativement aux enfants de la population carcérale, qu’elles soient de nature quantitative ou qua-
litative ; on ne sait pas combien ils sont, ni qui ils sont (par exemple, quelles sont les tranches d’âge
les plus affectées, ou encore combien de ces enfants sont placés par les services de protection de
la jeunesse). Les Règles internationales minima des Nations Unies pour le traitement des déte-

4    Voir le reportage de la Radio Télévision Suisse du 11 mai 2018, en ligne :
     https ://www.rts.ch/info/regions/neuchatel/9559987-son-pere-arrete-par-la-police-un-enfant-livre-a-lui-meme-
     a-la-chaux-de-fonds.html. Voir aussi l’article d’Arc Info du 10 mai 2018 intitulé « A 10 ans, il est laissé seul après
     l’arrestation de son père à La Chaux-de-Fonds », en ligne : https ://www.arcinfo.ch/articles/regions/montagnes/a-
     10-ans-il-est-laisse-seul-apres-l-arrestation-de-son-pere-a-la-chaux-de-fonds-756415.
5    Dans cette contribution, le terme « enfant » réfère aux personnes mineures, soit âgées de moins de 18 ans (art. 1
     CDE ; art. 14 du Code civil suisse a contrario ; partie I. let. a Recommandation 2018(5) nbp 1).
6    Voir néanmoins la recherche récente de Sarah Giulia Sanfilippo/Olivia Varone, Le lien parents-enfants à
     l’épreuve de la détention - Une analyse des effets, des préoccupations et des besoins des familles par l’intermé-
     diaire du travail d’accueillants bénévoles, Travail de recherche de Master, Institut de Psychologie, Université de
     Lausanne, juin 2018, en ligne : https ://serval.unil.ch/resource/serval :BIB_S_27246.P001/REF.
7    Voir Emmanuelle Granzotti, Enfants de détenus et délinquance juvénile : risques et prévention, RSC 2/2007,
     p. 73 ss.

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nus8 invitent pourtant les établissements carcéraux à colliger ces informations dès l’admission en
détention9 , tout comme le fait la Recommandation (2018)510 .
[5] Quoique ces données soient peut-être collectées par certains établissements pénitentiaires
suisses, elles ne sont cependant pas disponibles pour le public, ni harmonisées à l’échelle du
pays11 . Notons en revanche que dans le canton de Genève, l’Office cantonal de la détention a
prévu de procéder à une récolte de données sur les parents en détention et leurs enfants, dans le
cadre de sa « réforme des concepts de réinsertion et de désistance »12 ; à notre connaissance, cette
collecte sera la première à être réalisée en Suisse romande. A l’heure où ces lignes sont écrites,
ces chiffres n’ont pas encore été rendus publics.
[6] Concernant la situation dans l’ensemble de la Suisse, le chiffre de 9’000 enfants concernés par
l’incarcération d’un parent est évoqué dans la revue #Prison Info13 publiée par l’Office fédéral
de la justice, sans toutefois que soient indiquées la source d’où provient cette donnée, ni la mé-
thodologie ayant permis d’y aboutir. Or, en 2015, le Comité des droits de l’enfant adressait une
observation à l’attention spécifique de la Suisse lui recommandant « de recueillir des données et
de réaliser une étude sur la situation des enfants dont un parent est en prison (...) »14 . C’est en
décembre 2018 que le Conseil fédéral répondait à cette observation par un rapport15 décrivant
les lacunes à combler dans la mise en oeuvre de la CDE. La recommandation du Comité concer-
nant les enfants ayant un parent détenu a été jugée prioritaire par le Conseil fédéral, ce dernier
confirmant notamment qu’en Suisse,

       « Aucun renseignement ne peut être donné aujourd’hui sur la situation des enfants
       dont un parent est détenu, ni sur le maintien d’une relation entre le parent détenu
       et ses enfants. Les données qualitatives et quantitatives suprarégionales qui permet-
       traient une vue d’ensemble à ce sujet font défaut ».16

[7] Suivant ce constat, le Conseil fédéral prévoit de rassembler les données quantitatives relatives
aux enfants dont un parent est détenu, qui sont déjà disponibles mais actuellement ni rassem-
blées, ni analysées ; il envisage également de mener une étude qualitative sur l’entretien de la
relation entre les enfants et leur parent détenu. Bien qu’il faille nuancer la capacité des statis-
tiques à rendre compte de la singularité des expériences vécues par ces enfants, l’absence de

8    Règles Mandela, Résolution 70/175 de l’Assemblée générale en date du 17 décembre 2015.
9    Voir la Règle 7 f) des Règles Mandela (nbp 8).
10   Voir l’art. 5 de la Recommandation (nbp 1).
11   Une pétition a été remise en ce sens par l’organisation ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) à
     la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) en date du 11
     avril 2019, demandant notamment de « procéder à une collecte de données étendue » sur la situation des enfants
     de détenus en Suisse : https ://www.acat.ch/fr/agir/relayer_les_campagnes/journee_des_droits_de_lhomme/.
12   En ligne : https ://www.ge.ch/document/reforme-du-concept-reinsertion-desistance-ocd/telecharger.
13   Voir le numéro 1/2018 dans sa version allemande : Kinder von Inhaftierten, en ligne :
     https ://www.bj.admin.ch/dam/data/bj/sicherheit/smv/prison-info/2018/2018-01-d.pdf Cu-
     rieusement, la version française du texte ne contient pas ce chiffre : Enfants de détenus, en ligne :
     https ://www.bj.admin.ch/dam/data/bj/sicherheit/smv/prison-info/2018/2018-01-f.pdf.
14   Comité des droits de l’enfant, Observations finales concernant les deuxième à quatrième rapports périodiques de
     la Suisse, CRC/C/CHE/CO/2-4, par. 53, 26 février 2015.
15   Rapport du Conseil fédéral : Mesures visant à combler les lacunes dans la mise en oeuvre de la Convention relative
     aux droits de l’enfant, en ligne : https ://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/55185.pdf.
16   Rapport du Conseil fédéral (nbp 15), p. 21.

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données relatives à cette population en Suisse contribue certainement à accentuer son invisibi-
lité, à maintenir cette problématique occulte et peu connue du public mais aussi des décideurs, et
enfin à nuire à l’élaboration de politiques publiques adaptées aux situations rencontrées par ces
enfants. En ce sens, on ne peut que saluer la volonté du Conseil fédéral, en espérant que celle-ci
se concrétise au plus vite.

2.           Une population exposée à la vulnérabilité
[8] En dépit de l’absence de données quantitatives précises relativement aux enfants des per-
sonnes incarcérées, on peut constater une recrudescence des recherches menées sur ce thème
depuis une dizaine d’années, notamment en criminologie, en travail social ou encore en psy-
chologie17 . Ces travaux rendent compte de multiples difficultés auxquelles sont confrontées les
familles des personnes incarcérées et judiciarisées, qui vont souvent vivre une « véritable peine
sociale »18 ; cette dimension de la peine, bien qu’elle ne soit ni institutionnalisée ni codifiée, se
caractérise notamment par la fragilisation des liens sociaux des proches des détenus, qui vont
tendre à s’isoler socialement, et par la souffrance engendrée par la séparation. De plus, l’incarcé-
ration coûte cher aux familles à de nombreux égards, notamment en raison de la perte de salaire
consécutive à l’incarcération et des dépenses encourues pour rendre visite au proche incarcéré ;
leur situation financière s’en trouve ainsi souvent détériorée et précarisée19 .
[9] Plus particulièrement quant aux enfants, les recherches relèvent notamment de la stigma-
tisation et de l’exclusion sociale20 , ainsi que du stress, de l’anxiété, et des conséquences sur le
développement21 . Certaines recherches évoquent aussi une propension accrue à présenter des
comportements antisociaux22 . Enfin, à partir de l’incarcération, l’enfant se trouve dans une po-
sition de dépendance accrue : ses relations avec son parent sont dès lors gouvernées par les mo-
dalités de contact et de visite autorisées par l’établissement carcéral, ainsi que par le ministère
public durant l’instruction ou par le tribunal une fois que celui-ci a été saisi23 . Ses relations avec
son parent sont également tributaires du bon vouloir de l’adulte qui détient la garde de fait de
l’enfant24 , et déterminées par les conditions d’accès fixées dans la procédure de placement, le cas
échéant.

17   Notons qu’en Suisse, ces études sont extrêmement rares. Notre propos sera donc fondé sur des observations is-
     sues de recherches menées à l’étranger. On peut tout de même mentionner les travaux de Roger Hofer et Patrik
     Manzoni, qui ont interrogé des directeurs d’établissements pénitentiaires sur la question du travail avec les proches
     (voir Enfants de détenus, nbp 13, p. 25 – 26).
18   Caroline Touraut, Aux frontiéres des prisons : les familles de détenus, Cultures & Conflits n°90/2013, p. 77.
19   Ibid.
20   Irene Y. H. Ng/Rosemary C. Sarri/Elizabeth Stoffregen, Intergenerational Incarceration : Risk Factors and Social
     Exclusion, Journal of Poverty n°17/2013, p. 437.
21   Else Marie Knudsen, The Experiences of Canadian Children of Prisoners, thèse de doctorat, Londres, Department
     of Social Policy, London School of Economics and Political Science, 2016.
22   Joseph Murray/David P. Farrington/Ivana Sekol, Children’s Anti-social Behavior, Mental Health, Drug Use, and
     Educational Performance After Parental Incarceration : A Systematic Review and Meta-Analysis, Psychological
     Bulletin n°138(2)/2012, p. 175.
23   Voir par exemple pour le canton de Vaud l’art. 54 al. 1 du Règlement 340.02.5 sur le statut des personnes détenues
     placées en établissement de détention avant jugement du 28 novembre 2018 (RSDAJ).
24   Voir par exemple pour le canton de Vaud l’art. 81 al. 1 du Règlement 340.01.1 sur le statut des personnes condam-
     nées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure du 16 août 2017 (RSPC), qui prévoit que « Le repré-
     sentant légal est associé à la procédure d’autorisation d’une visite parent-enfants ».

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[10] Malgré les difficultés auxquelles ces enfants peuvent être confrontés, relevons néanmoins la
diversité des expériences relatives à l’incarcération parentale, qui peuvent aussi être caractéri-
sées par la résilience25 , ou par le soulagement lié à la mise à l’écart du parent, par exemple dans
les cas de violence domestique26 . Précisons enfin que l’effet d’une peine ne peut être dissocié du
contexte dans lequel elle survient : par exemple aux États-Unis, les enfants ayant un parent incar-
céré seraient, tout comme leurs parents, majoritairement issus de classes sociales défavorisées27 .
Ce constat vient tempérer l’idée que la judiciarisation du parent va générer une situation de vul-
nérabilité pour ces enfants : celle-ci sera parfois accentuée plutôt que créée par la judiciarisation
du parent28 .
[11] Sans vouloir réduire l’expérience vécue par ces enfants à un profil-type, qui serait homogène
et généralisable, les différents constats exposés ci-dessus mettent néanmoins en évidence la situa-
tion de vulnérabilité à laquelle sont exposés les enfants qui font face à l’incarcération d’un parent.
D’ailleurs, cette vulnérabilité est reconnue dans le préambule de la Recommandation 2018(5), sur
laquelle nous reviendrons. Enfin, notons que le Conseil de l’Europe a inclus les enfants de déte-
nus dans sa dernière Stratégie pour les droits de l’enfant (2016-2021), considérant ce groupe parmi
« les plus vulnérables et marginalisés »29 .

II.          Les enfants des personnes poursuivies pénalement : quelle place dans
             les politiques pénales suisses ?
[12] Nous examinerons dans cette partie si et comment le droit suisse tient compte de l’exis-
tence des enfants dans le contexte du droit pénal des adultes. Considérant les enjeux particuliers
auxquels les enfants des personnes poursuivies pénalement sont susceptibles d’être confrontés
à chaque étape de la chaîne pénale, nous examinerons successivement la manière dont le droit
suisse appréhende leur existence lors des différentes étapes du processus judiciaire, en l’occur-
rence lors de l’arrestation, de la mise en détention provisoire, de la fixation de la peine et enfin
de l’exécution de cette dernière30 . Avant cela, nous rappellerons brièvement les garanties consti-
tutionnelles dévolues aux enfants.

25    Julie Poehlmann/J. Mark Eddy (édit.), Relationship Processes and Resilience in Children With Incarcerated Pa-
      rents, Boston 2013.
26    Stephanie Holt/Helen Buckley/Sadhbh Whelan, The Impact of Exposure to Domestic Violence on Children and
      Young People : A Review of the Literature, Child Abuse & Neglect n°32(8)/2008, p. 797.
27    Hedwig Lee/Lauren C. Porter/Megan Comfort, Consequences of Family Member Incarceration : Impacts on Ci-
      vic Participation and Perceptions of the Legitimacy and Fairness of Government, 651(1) Annals AAPSS n. 4/2014.
28    Shona Minson/Rachel Condry, The Visibility of Children Whose Mothers are Being Sentenced for Criminal Of-
      fences in the Courts of England and Wales, Law in Context n°32/2015, p. 28.
29    Conseil de l’Europe, 2016, p. 7, en ligne : https ://edoc.coe.int/fr/droits-des-enfants/7206-strategie-du-conseil-
      de-leurope-pour-les-droits-de-lenfant-2016-2021.html.
30    Précisons que la situation en Suisse est particulièrement complexe en raison des spécificités cantonales, dont il
      n’est pas possible de faire état dans un si court article. Nous nous limiterons ici à traiter des dispositions issues
      du droit fédéral, en l’occurrence le Code pénal (CP ; RS 311.0, RO 54 781) et le Code de procédure pénale (CPP ;
      RS 312.0, RO 2010 1881). Nous ferons quelques incursions dans des dispositions issues du droit cantonal à titre
      exemplatif uniquement. Enfin, cet état des lieux se limitera à la description du cadre légal ; la jurisprudence n’a
      pas fait l’objet d’un examen exhaustif aux fins de la rédaction du présent article.

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1.         Les garanties constitutionnelles concernant les enfants en Suisse
[13] La protection dévolue aux enfants est inscrite dans la Constitution fédérale de la Confédé-
ration suisse31 , et à ce titre elle doit être considérée comme fondamentale, comme l’a récemment
rappelé le Tribunal fédéral32 . L’article 11 al. 1 Cst. consacre un droit à une protection particulière
pour l’intégrité et le développement des enfants, alors qu’aux termes de l’article 41 al. 1 Cst. let.
c. et g., la Confédération et les cantons s’engagent notamment à offrir une protection pour les fa-
milles, ainsi qu’à encourager l’intégration sociale des jeunes. L’article 67 Cst. prévoit quant à lui
que « dans l’accomplissement de leurs tâches, la Confédération et les cantons tiennent compte des
besoins de développement et de protection propres aux enfants et aux jeunes ». Enfin, rappelons
que l’article 13 Cst. protège le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale.
[14] Passons maintenant aux différentes étapes du processus judiciaire. Pour chacune, nous exa-
minerons brièvement les enjeux pouvant survenir pour les enfants, puis nous décrirons les dis-
positions pertinentes issues du droit pénal suisse.

2.         L’arrestation
[15] D’après la littérature, lorsqu’un parent se fait arrêter, entre 20 et 40% des enfants assiste-
raient à l’arrestation33 . Plusieurs recherches empiriques montrent que ce moment peut s’avérer
extrêmement traumatisant pour les enfants, et peut engendrer des conséquences à long terme, tel
qu’un syndrome élevé de stress post-traumatique34 . La Cour européenne des droits de l’homme
a d’ailleurs considéré dans un arrêt35 que l’arrestation d’un parent effectuée devant ses enfants
peut constituer pour ses enfants eux-mêmes un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales36 , disposition qui
interdit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.
[16] L’article 8 de la Recommandation 2018(5) traite expressément des situations où l’arrestation
a lieu en présence d’enfants :

       « La police devrait dûment tenir compte des incidences que l’arrestation d’un parent
       peut avoir sur tout enfant présent à ce moment-là. Dans de tels cas, l’arrestation de-
       vrait, dans la mesure du possible, être effectuée en l’absence de l’enfant ou tout du
       moins d’une manière respectueuse de la sensibilité de celui-ci ».

[17] Le droit suisse est quant à lui loin d’être si explicite, et les dispositions relatives à l’arrestation
et au mandat d’amener figurant au CPP n’abordent pas la question des arrestations en présence
d’enfants. L’article 209 CPP prévoit néanmoins que « La police exécute le mandat d’amener avec
le maximum d’égards pour les personnes concernées ». Or, d’après le Message du Conseil fédéral

31   Cst ; RS 101, RO 1999 2556.
32   Arrêt du Tribunal fédéral 8C_25/2018 du 19 juin 2018.
33   Denise Johnston/Megan Sullivan, Parental incarceration : personal accounts and developmental impact, New-
     York 2016.
34   Peter Scharff Smith, When the Innocent Are Punished : the Children of Imprisoned Parents, Basingstoke 2014.
35   Affaire Gutsanovi c. Bulgarie, Requête no 34529/10, 15/10/2013, par. 131 – 134.
36   CEDH ; RS 0.101, RO 1974 2151.

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relatif à l’unification du droit de la procédure pénale, « La notion de ‹ personnes concernées ›
(al. 1) ne se rapporte pas uniquement à la personne visée par le mandat d’amener. En effet, la
police doit aussi avoir des égards, par exemple, pour les membres de la famille de la personne
faisant l’objet d’un mandat d’amener, notamment pour les enfants en bas âge »37 .
[18] Il est possible que certaines polices cantonales disposent de protocoles relatifs à cette ques-
tion, par exemple sous forme de directive interne ou d’ordre de service. En tous les cas, il n’est pas
possible de dresser un état de la situation existant dans chaque canton, chaque corps de police
obéissant à des règles spécifiques. A Neuchâtel, suite à l’affaire mentionnée dans l’introduction de
cet article, durant laquelle un enfant fut laissé seul après l’arrestation de son père, le commissaire
principal a précisé dans une entrevue donnée à un média romand que la police neuchâteloise ne
disposait pas d’une procédure spécifique quant aux mesures à prendre lors d’arrestation en pré-
sence d’enfants38 . Comme il le souligne, cela ne signifie pas qu’en pratique cet élément n’est pas
considéré par les agents qui procèdent à l’intervention ; en revanche, cette affaire met en évidence
le fait qu’en l’absence de cadre clair, des erreurs d’appréciation peuvent survenir et conduire à des
situations pourtant évitables.

3.         La détention provisoire
[19] Du fait de son caractère soudain et imprévu, l’arrestation peut s’avérer particulièrement pro-
blématique pour les enfants lorsqu’elle est suivie d’une période de détention provisoire. En effet,
lorsqu’une personne est arrêtée puis gardée en détention, ses enfants pourraient se retrouver li-
vrés à eux-mêmes. Après l’arrestation, la personne prévenue a le droit d’en faire informer ses
proches, d’après l’article 31 al. 2 Cst. Le CPP va plus loin en prévoyant que l’autorité pénale doit
immédiatement informer les proches du prévenu en cas d’arrestation ou de mise en détention
provisoires (art. 214 al. 1 let. a CPP), et doit également prévenir les services sociaux compétents
si la privation de liberté expose une personne qui dépend du prévenu à des difficultés (art. 214
al. 3 CPP). D’après Hohl-Chirazi, cette dernière disposition « place les autorités pénales dans une
position de garant et leur impose de poser des questions (par ex. la personne a-t-elle des enfants
(...) à sa charge ?) et d’agir »39 . À cet égard, le Message précise que l’autorité pénal a « l’obligation
d’informer les services sociaux même lorsqu’elle ne fait que supposer, compte tenu des circons-
tances, que des personnes dépendant du prévenu risquent de connaître des difficultés »40 .
[20] Alors que la personne prévenue est présumée innocente, les conditions d’incarcération sont
paradoxalement plus contraignantes durant cette période que lors de l’exécution d’une peine pri-
vative de liberté. La personne prévenue va souvent vivre une rupture familiale, et la littérature
observe que ses « liens familiaux s’amenuisent, voire disparaissent »41 . Bien que cette incarcéra-

37   Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005 (Message ; FF 2006 1057),
     p. 1202.
38   Voir l’article « La police s’occupe toujours des enfants » par Vincent Donzé, publié dans le 20 minutes du
     11 mai 2018, en ligne : https ://www.20min.ch/ro/news/romandie/story/-La-police-s-occupe-toujours-des-
     enfants–16542556.
39   Catherine Sevim Hohl-Chirazi, La privation de liberte en procedure penale suisse : buts et limites, Genève 2016,
     p. 171.
40   Message (nbp 37), p. 1205.
41   Marion Vacheret/Virginie Brassard, Le vécu des justiciables, in : Marion Vacheret/Fernanda Prates (Dir.), La
     détention avant jugement au Canada : une pratique controversée, Montréal 2015, p. 125 ss., p. 131.

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Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement :, in : Jusletter 16 septembre 2019

tion soit provisoire et souvent de courte durée, elle demeure une période d’incertitude, et peut
avoir d’importantes conséquences pour les enfants du prévenu42 . À titre d’exemple, une étude
québécoise a montré que la détention provisoire, considérant notamment l’indétermination de sa
durée, implique souvent des réaménagements concernant la garde des enfants, et ce en particulier
pour les femmes détenues préventivement43 .
[21] Durant la détention provisoire, les contacts de la personne prévenue avec l’extérieur, et donc
notamment avec ses enfants, sont fortement restreints : d’après l’article 235 al. 2 CPP, « tout
contact entre le prévenu en détention et des tiers est soumis à l’autorisation de la direction de
la procédure. Les visites sont surveillées si nécessaire ». Concernant la première visite après la
mise en détention, la Recommandation 2018(5) du Conseil de l’Europe prévoit un délai maxi-
mum d’une semaine (art. 17). Dans certains cas, la longueur de l’interdiction des visites peut
s’avérer particulièrement pénible pour les enfants, comme l’a observé la Commission nationale
de prévention de la torture :

       « Au cours de ses inspections, la CNPT a rencontré plusieurs cas de prévenus, dont cer-
       tains parents d’enfants mineurs, auxquels la direction de la procédure a interdit pen-
       dant plusieurs mois toute visite de leurs proches (...). Même si elle peut comprendre
       qu’il convient de préserver les intérêts de l’instruction en cours, la Commission juge
       que l’interdiction pure et simple de toute visite n’est guère proportionnée au regard
       des droits de l’homme et des droits fondamentaux et qu’elle viole le droit au respect
       de la vie privée et familiale. (...) ».44 (nous soulignons)

[22] La décision de mise en détention provisoire revient au tribunal des mesures de contrainte
(cité : TMC), conformément à l’article 226 CPP45 . Sans rentrer dans les détails, le tribunal peut
l’ordonner pour les motifs prévus à l’article 221 CPP, principalement en cas de risque de fuite, de
collusion ou de danger pour la sécurité, et à condition que le prévenu soit fortement soupçonné
d’avoir commis un crime ou un délit. Le principe de proportionnalité prévu à l’article 36 al. 3 Cst.
implique également que la détention provisoire ne doit pas être imposée si des solutions moins
dommageables sont envisageables46 ; à cet égard, l’article 237 CPP prévoit plusieurs mesures de
substitution.
[23] En revanche, la décision du TMC n’est pas conditionnée par l’examen de la situation familiale
de la personne prévenue, et le fait d’avoir des enfants à charge n’entre pas en ligne de compte,
contrairement à la situation prévalant dans d’autres juridictions. À ce titre, on peut citer l’exemple
du Brésil, où la Cour suprême a jugé récemment que lorsqu’une femme prévenue est enceinte
ou a sous sa responsabilité des enfants de moins de 12 ans, et qu’elle a commis des infractions

42   Alfred Allan/Maria M. Allan/Margaret Giles/Deirdre Drake/Irene Froyland, An observational study of bail
     decision-making, Psychiatry, Psychology and Law, n°12.2/2005, p. 319.
43   Julia McLean, Prevenues et detenues logees a la même enseigne, l’exemple des prisons de Burnaby et Tanguay,
     Criminologie, 28 n° 2/1995, p. 43.
44   Rapport d’activité 2014 de la Commission nationale de prévention contre la torture, « Confor-
     mité aux droits fondamentaux de l’exécution de la détention avant jugement », en ligne :
     https ://www.nkvf.admin.ch/dam/data/nkvf/Berichte/taetigkeitsberichte/2014/150623_ber-f.pdf.
45   Le tribunal agit sur proposition faite par le ministère public, au plus tard dans les 48 heures suivant l’arrestation
     d’après l’article 224 al. 2 CPP.
46   Voir Camille Perrier Depeursinge, Art. 221, in : Code de procédure pénale annoté, Bâle 2015.

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Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement :, in : Jusletter 16 septembre 2019

non-violentes, elle sera placée en arrêts domiciliaires plutôt qu’en détention préventive47 . Dans
le même sens, en matière de détention provisoire, l’article 10 de la Recommandation 2018(5)
prévoit que les incidences potentielles de la détention sur les enfants devraient être examinées,
et que la possibilité de suspendre raisonnablement cette détention devrait être étudiée par le
pouvoir judiciaire, quitte à la remplacer par des mesures appropriées dans la communauté. On
ne trouve aucune trace de telles idées dans le droit suisse.

4.          La fixation de la peine
[24] Même si elle ne marque pas toujours le temps de la séparation, qui peut être survenue anté-
rieurement, l’étape de la fixation de la peine demeure particulièrement cruciale pour les enfants
des personnes poursuivies pénalement, en particulier quant à savoir si une peine privative de
liberté sera infligée ou non à leur parent. Le tribunal dispose d’une large liberté d’appréciation
relativement au choix de la peine48 , le plaçant en bonne position pour considérer concrètement
l’existence des enfants de la personne condamnée, même si ce pouvoir demeure circonscrit par
plusieurs dispositions du Code pénal, telles que celles prévoyant des peines plancher pour cer-
taines infractions.
[25] L’article 47 CP constitue la pierre angulaire de la fixation de la peine en droit suisse. D’après
cette disposition, le juge doit notamment prendre en considération la situation personnelle de
l’auteur. Quoique cet élément puisse servir de base à la prise en considération de la situation
familiale de la personne condamnée, et notamment de ses obligations familiales49 , il demeure in-
suffisant pour représenter une réelle protection des enfants qui seront affectés par la peine : même
si certaines considérations liées à la famille peuvent jouer un rôle lors de la fixation de la peine50 ,
l’examen des conséquences de cette dernière sur les enfants n’a pour l’heure rien d’obligatoire ni
de systématique. D’ailleurs, le Tribunal fédéral a jugé récemment que le fait d’être parent d’un
enfant mineur ne présentait « rien d’extraordinaire »51 : estimant que c’était avec raison que l’au-
torité inférieure n’avait pas tenu compte de cet élément dans la fixation de la peine, notre plus
Haute Cour est d’avis qu’ « il est inévitable que l’exécution d’une peine ferme d’une certaine
durée ait des répercussions sur la vie (...) familiale du condamné. Ces conséquences ne peuvent
conduire à une réduction de la peine qu’en cas de circonstances extraordinaires »52 .
[26] Ainsi, le Code pénal ne fournit aucune balise aux tribunaux quant à la manière de prendre en
considération les enfants du coupable lors de la fixation de la peine ; dans le droit, leur existence

47   Habeas corpus 143.641 São Paulo, en ligne : http ://www.stf.jus.br/arquivo/cms/noticiaNoticiaStf/anexo/HC143641
     final3pdfVoto.pdf. Notons toutefois que cette décision a été prise dans un contexte où les conditions de détention
     étaient particulièrement déplorables pour les femmes enceintes et les bébés.
48   Martin Killias/André Kuhn/Nathalie Dongois, Précis de droit pénal général, 4e éd., Berne 2016, n° 1223.
49   Arrêt du Tribunal fédéral 6B_722/2010 du 17 février 2011 consid. 1.2.2 ; Killias/Kuhn/Dongois (nbp 48), n° 1215.
     Voir également Loïc Parein, La fixation de la peine : De l’homme coupable à l’homme capable, Bâle 2010.
50   Par exemple, en matière de fixation du montant de la peine pécuniaire, l’art. 34 al. 2 CP prévoit que les obligations
     d’assistance de l’auteur, « en particulier familiales », entrent en considération dans le calcul.
51   Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1036/2018 du 28 novembre 2018 consid. 3.6.
52   Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1036/2018 du 28 novembre 2018 consid. 3.6. Cet argument est souvent évoqué se-
     lon ces termes par le Tribunal fédéral : arrêt du Tribunal fédéral 6B_780/2018 du 9 octobre 2018, 6B_781/2018 du
     9 octobre 2018, consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_352/2018 du 27 juillet 2018, 6B_427/2018 du 27 juillet
     2018, 6B_429/2018 du 27 juillet 2018 consid. 4.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1182/2017 du 12 avril 2018
     consid. 2.3.

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Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement :, in : Jusletter 16 septembre 2019

demeure complètement invisible à cette étape du processus pénal, bien que ces enfants puissent
être lourdement affectés par la peine infligée. Il est intéressant de constater qu’il en est autrement
dans d’autres juridictions. Citons à titre d’exemple le cas de l’Afrique du Sud, où le critère de
l’« intérêt de l’enfant » a été intégré dans les principes de fixation de la peine par le truchement
de la jurisprudence53 . En Angleterre et au Pays de Galles, une tendance commence également à
se dessiner en faveur d’une pesée d’intérêts entre l’intérêt des enfants d’une part, et les différents
objectifs attribués au prononcé des peines d’autre part54 . Enfin, comme nous le verrons dans
la prochaine section, plusieurs textes internationaux et supranationaux invitent les tribunaux à
tenir compte concrètement de l’existence d’enfants dans le cadre de la fixation des peines, et à
considérer leur intérêt et les répercussions potentielles de la peine à leur égard.

5.          L’exécution de la peine
[27] Ce n’est que très tardivement que le droit pénal suisse témoigne d’une préoccupation ex-
plicite (quoique fort circonscrite) à l’égard de l’existence des enfants des personnes poursuivies
pénalement, en l’occurrence après l’infliction concrète d’une peine. En effet, c’est à l’étape de
l’exécution de la peine que les enfants sont visibles pour la première fois dans le droit, à l’article
80 al. 1 CP. Cette disposition prévoit des formes d’exécution dérogatoires aux règles d’exécution
de la peine privative de liberté « durant la grossesse, lors de l’accouchement et immédiatement
après » (let. b), « pour que la mère puisse vivre avec son enfant en bas âge, pour autant que ce
soit aussi dans l’intérêt de l’enfant » (let. c). Ainsi, seuls les enfants dont la mère est détenue sont
susceptibles d’être considérés, et la prise en compte de l’existence d’enfants est fortement genrée.
Sans nier les bénéfices potentiels associés à la mise en oeuvre de cette disposition, on ne peut que
regretter qu’une approche aussi poussiéreuse et sexiste subsiste encore dans le droit suisse. Qui
plus est, cette approche constitue prima facie une source de discrimination pour les enfants dont
c’est le père, et non la mère, qui est incarcéré.
[28] Concrètement, les deux établissements pénitentiaires qui hébergent principalement des fem-
mes en Suisse, soit la prison d’Hindelbank (BE) et la prison de la Tuilière (VD), prévoient la
possibilité pour les femmes détenues de cohabiter avec leurs enfants jusqu’à l’âge de 3 ans, dans
la mesure où cela est conforme à l’intérêt de l’enfant concerné55 . La prison de Dielsdorf (ZH)
prévoit quant à elle la possibilité de cohabitation mère-enfant jusqu’à l’âge de 18 mois. La Tuilière
compte deux unités mère-enfant, et ce sont les seules existant en Suisse romande, l’unité mère-
enfant de la prison de Champ-Dollon (GE) ayant été réaffectée pour héberger plusieurs détenues
en raison de la surpopulation carcérale56 .

53   Voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle sud-africaine : S. v. M., Case CCT 53/06 [2007] ZACC 18.
54   Fiona Donson/Aisling Parkes, Weighing in the balance : Reflections on the sentencing process from a children’s
     rights perspective, Probation Journal n°63.3/2016, p. 331.
55   Pour la Tuilière, voir l’art. 17 al. 6 RSPC. C’est la direction de l’établissement qui est compétente pour sta-
     tuer sur cette possibilité. Sur les aménagements prévus à Hindelbank pour les familles, voir aussi Christin
     Achermann/Ueli Hostettler/Anna Neubauer, Femmes et hommes en milieu pénitentiaire fermé en Suisse : ré-
     flexions sur les questions de genre et de migrations, Nouvelles questions féministes, n° 26(1)/2007, p. 70.
56   Rapport au Conseil d’Etat du canton de Genève concernant la visite par la Commission nationale de Prévention
     de la Torture à la Prison de Champ-Dollon les 19, 20 et 21 juin 2012, en ligne : https ://www.nkvf.admin.ch/dam/
     data/nkvf/Berichte/2012/champ-dollon/130212_ber_champ_dollon.pdf.

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Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement :, in : Jusletter 16 septembre 2019

[29] Relativement à l’exercice de la parentalité durant la détention, le canton de Genève a ré-
cemment annoncé la mise sur pied d’un nouveau programme intitulé « Let’s talk about your
children », visant à soutenir les parents détenus dans leur relation avec leur enfant57 . Ce pro-
gramme, fruit d’une collaboration avec la Fondation Relais Parent Enfant Romand (REPR) et le
Service de probation et d’insertion (SPI), fait figure de pionnier en Suisse romande.
[30] Enfin, concernant les visites des enfants à leur parent durant l’exécution de la peine, notons
que celles-ci sont parfois soumises à des conditions et à un délai, comme dans le canton de Vaud
où aucune visite familiale n’est possible avant que la personne détenue n’ait passé au minimum
deux mois dans l’établissement concerné58 .

III.          Les textes internationaux et supranationaux
[31] Dans cette partie, nous dresserons un bref portrait des instruments internationaux et supra-
nationaux contenant des dispositions pouvant fournir une protection aux enfants des personnes
poursuivies pénalement. Nous aborderons d’abord les textes de nature contraignante pour la
Suisse, puis les textes de soft law. Sans être nécessairement exhaustif, ce portrait tiendra compte
des textes les plus importants relativement au traitement de ces enfants durant la procédure pé-
nale.

1.            La Convention relative aux droits de l’enfant
[32] Adoptée en 1989 et ratifiée par la Suisse en 1997, la CDE fait partie intégrante de l’ordre
juridique suisse et y est directement applicable, la Suisse ayant opté pour une conception mo-
niste du droit international. Ce texte contient plusieurs dispositions susceptibles de fournir une
protection aux enfants des personnes poursuivies pénalement, à qui les États parties à la CDE
doivent garantir les droits que celle-ci prévoit comme à tous les autres enfants, sans discrimina-
tion aucune (art. 2 CDE) ; nous aborderons les dispositions les plus pertinentes en l’espèce.
[33] Depuis l’adoption de la CDE, la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant », consacrée à l’article
3 par. 1 CDE, est devenue une notion juridique incontournable en matière de droits de l’enfant59 ;
cet intérêt doit ainsi constituer une considération primordiale « dans toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection
sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs » (art. 3 al. 1 CDE).
[34] Même si elle est traditionnellement associée au droit de la famille et au droit de la jeu-
nesse, il ne fait aucun doute que cette notion, tout comme l’intégralité de la CDE, s’applique
pleinement en matière pénale : d’une part, la CDE ne distingue nullement entre droit civil et
droit pénal ; d’autre part, le Comité des droits de l’enfant a précisé de manière explicite que
les États parties à la CDE ont « l’obligation de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant
soit intégré de manière appropriée et systématiquement appliqué dans toutes les actions conduites

57     Voir la présentation du 14 mai 2019, en ligne : https ://www.odage.ch/medias/jeune-barreau/Conf%C3%A9rences
       /Pr%C3%A9sentation_ODA_14mai_concept_r%C3%A9insertion.pdf.
58     Art. 80 al. 2 RSPC.
59     Jean Zermatten, Grandir en 2010 : Entre protection et participation. Regards croisés sur la Convention des droits
       de l’enfant, RJJ 2010, p. 93.

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Sophie de Saussure, Les enfants des personnes poursuivies pénalement :, in : Jusletter 16 septembre 2019

par une institution publique, en particulier (. . . ) les procédures (. . . ) judiciaires qui ont une inci-
dence directe ou indirecte sur les enfants »60 (nous soulignons). Or, il serait bien difficile de consi-
dérer que la décision d’incarcérer un parent n’ait pas d’incidence sur ses enfants, à tout le moins
de manière indirecte.
[35] Suite à une journée de discussion sur le thème des enfants ayant un parent incarcéré, le
Comité des droits de l’enfant a également émis une recommandation, dans laquelle il fournit
des balises précises quant à la manière de déterminer la peine lorsque la personne poursuivie
pénalement a des enfants :

       « Lors du choix de la peine d’un parent ou d’un premier pourvoyeur de soins, les
       peines non privatives de liberté devraient, autant que possible, être privilégiées par
       rapport aux peines de prison, y compris en matière de détention avant jugement.
       Des alternatives à la détention devraient être disponibles et appliquées au cas par
       cas, en tenant pleinement compte des potentiels impacts des différentes peines sur le
       meilleur intérêt des enfants affectés ».61 (nous soulignons)

[36] Dans ce texte, le Comité a notamment souligné les effets négatifs de la détention d’un parent
sur ses enfants, cela à court, moyen et long terme. Enfin, concernant les rapports entre un enfant
et son parent détenu, l’article 9 al. 3 et 4 CDE consacre un droit fondamental au maintien des
liens entre l’enfant et le parent incarcéré62 , dans la mesure où ce maintien sert l’intérêt de l’enfant
concerné.

2.           La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
             fondamentales
[37] La CEDH, elle aussi directement applicable en Suisse, ne contient pas de disposition spé-
cifique quant aux droits des enfants des personnes détenues. Qui plus est, la Cour européenne
des droits de l’homme a rendu peu de décisions sur la question spécifique des relations entre les
parents incarcérés et leurs enfants63 . En revanche, en vertu de l’article 1 CEDH, les droits prévus
par cette dernière valent pour tout le monde, y compris les détenus ainsi que les mineurs64 .
[38] La CEDH consacre le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale (art.
8.1). Ce droit ne peut subir d’ingérence d’une autorité publique que si elle est prévue par la loi,
et qu’elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique aux fins de protéger
certains impératifs, notamment de sûreté publique (art. 8.2). Dans le contexte carcéral, cette dis-

60   Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 14 sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur
     soit une considération primordiale (art. 3 par. 1), CRC/C/GC/14, 2013, par. 14 let. a.
61   Comité des droits de l’enfant, Recommandation du 30 septembre 2011, Report and Recommendations of
     the Day of General Discussion on « Children of incarcerated parents ». par. 30 (notre traduction), en ligne :
     https ://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/discussion/2011CRCDGDReport.pdf.
62   Isabelle Delens-Ravier, Lien familial et détention en Europe, RICPTS 4/2006, n°6, p. 481 ss.
63   Thierry Moreau, Les relations entre un parent détenu et son enfant mineur au regard de la jurisprudence de la
     Cour européenne des droits de l’homme, JDJ 10/2006, n°260, p. 23 ss. Dans cet article, l’auteur dresse un état des
     lieux fort intéressant de la jurisprudence de la CEDH relativement aux relations parent-enfant durant la détention.
64   Ibid.

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