Les grandes vacances, l'été, l'éternité - adilibre.io

La page est créée Damien Lopez
 
CONTINUER À LIRE
Les grandes vacances, l’été, l’éternité

       « Je pensais à l’été immense étalé devant moi. Si long qu’on n’en voyait pas la
fin même en grimpant tout en haut des arbres » (Timothée de Fombelle/Irène Bonacina,
Esther Andersen, Gallimard Jeunesse, 2021)
         « Les jours vinrent à moi, paisibles et purs. Leur cours semblait celui d'une eau
tranquille où le ciel se reflète complaisamment ; je ne savais que les regarder s'épandre
sur la maison et le jardin. Je traînais, le matin, un fauteuil d'osier sous les arbres et j'y
demeurais, un livre inutile sur les genoux, les yeux mi-clos, le regard vide, heureux de
la fraîcheur de l'air sur mes bras nus dans une blouse de toile. Je ne laissais mon rêve
que pour me déplacer avec l'ombre et me rendre à l'appel de Segonde, lorsque le
déjeuner était servi » (André Lafon, L’Élève Gilles, récit, Perrin, 1912. Extrait publié
sous le titre « Premiers jours de vacances » dans Choix de lectures, Cours moyen 1er
degré, d’Adolphe Mironneau)

       Ces deux extraits illustrent exemplairement l’imaginaire qui s’est
attaché au terme « vacances », selon un processus d’idéalisation qui contraste
avec des considérations originellement beaucoup plus pratiques. En effet, « les
vacances ont pris forme dès le moyen âge mais dans un tout autre sens que
celui que nous leur connaissons aujourd’hui puisque ce sont alors les travaux
des champs, les vendanges, qui rythment les premières vacances instituées
comme vacation, c’est-à-dire ‘‘suspension légale annuelle des audiences des
cours et des tribunaux’’ » 1 . À partir des années 1620, cette interruption
temporaire des activités s’étend aux écoles et aux facultés »2.

Des vacances utiles
        L’expression « grandes vacances », qui se développera tardivement,
figure d’abord dans le vocabulaire de la justice comme moment où les
fonctions judiciaires ne sont pas occupées, de l’Assomption à la Saint-Martin.
Notons ici quelques occurrences anciennes que nous pouvons trouver en
faisant une recherche sur le site Gallica de la BnF : curieusement, on la relève,
concernant la vie scolaire, dans Description de l’Empire de la Chine et de la
Tartarie chinoise, par le père J.-B. du Halde (Lemercier, 1735), où est cité un
traité d’éducation de Tchu Hi : les grandes vacances commencent vers le
vingtième du dernier mois de l’année jusqu’au vingtième du premier mois. Un
arrêté du collège de Navarre, en 1738, indique que les boursiers ne toucheront
pas leur bourse le temps qu’ils s’absenteront du collège, sauf pour les grandes
vacances ou une grave maladie. En 1760, dans les Lettres instructives et
curieuses sur l’éducation de la jeunesse du père M. [Martini], on lit : « Comme

1J.-C. Richez, L. Strauss, « Généalogie des vacances ouvrières », Le Mouvement social,
150, 1990, p. 6.
2 Pierre Périer, Vacances populaires. Images, pratiques et mémoire, Presses

universitaires de Rennes, 2000.

                                                CAHIERS ROBINSON N°53 - 2023
nous touchons aux vendanges, Monsieur, je vais vous dire ce que le Précepteur
doit à son Élève pour les grandes Vacances ». Il propose tout un programme
d’études qui fait de cette période une autre scolarité.
        En 1770, le règlement de l’institut d’Yverdon, ouvert aux enfants
pauvres, prévoit deux moments de « grandes vacances », pour les moissons et
les vendanges1. Les vacances sont donc liées au travail et, comme le rappelle
ici Jean-François Condette dans un article qui présente un important état de la
question, le discours leur est généralement hostile dans les classes plus aisées.
Elles doivent être un moment où le père exerce son autorité, et quand la
librairie de jeunesse traite le sujet, elle s’adresse autant aux parents car, ainsi
que n’a cessé de le proclamer l’abbé Proyart2, l’époque des vacances est le
moment de l’année où notre jeunesse est la plus exposée, de nombreux parents
ne connaissant pas bien leurs devoirs envers eux 3 . Les vacances sont une
véritable obsession pour cet abbé dont les vies exemplaires de jeunes gens,
celle du Dauphin père de Louis XVI notamment 4 , ou celle de L'Écolier
vertueux, ou Vie édifiante de Décalogne, écolier de l'université de Paris
(Berton, 1772), ont été des long sellers. Dans Le Modèle des jeunes gens, la
vie édifiante de Claude Le Peletier de Sousi, étudiant en philosophie en
l’université de Paris, il écrit encore :
            Le temps des vacances, ce temps que les étudians ont coutume de passer
            dans une plus grande dissipation et quelquefois dans un funeste oubli de
            leurs devoirs, c'était celui qu'il chérissait particulièrement pour imprimer à
            son corps le sceau de la mortification de Jésus-Christ.
        On voit apparaître tardivement chez Mégard à Rouen, en 1855, une
réécriture de son œuvre sous le titre Les Écoliers en vacances ou le parfait
écolier, qui témoigne d’une sorte de fixité dans cet esprit d’austérité de moins
en moins en phase avec son époque, si tant est qu’elle l’ait été un jour. En 1859,
chez un autre éditeur catholique, Ardant à Limoges, Mme Carroy fait paraître
Les Collégiens ou six semaines de vacances : c’est « vers la fin d’août » que
de « joyeux écoliers » portant l’uniforme du collège Louis-le-Grand rentrent
chez leurs parents à Saint-Germain-en-Laye. Ils n’ont pas revu leur maison
depuis un an, car leur père, « sage et toujours prévoyant, aurait craint qu’en les
dérangeant trop souvent de leurs exercices, les travaux classiques ne
souffrissent de cette complaisance » 5 . Dans son « Avant-propos », l’autrice

1 Encyclopédie économique ou système général d’économie rustique, par les membres
de la société économique de Berne, Yverdon, 1770.
2 L’œuvre pédagogique de l'abbé Liévin-Bonaventure Proyart (1743-1808), farouche

adversaire des idées nouvelles et républicaines, connut une belle postérité tout au long
du XIXe siècle, au travers de ses éditions dans la librairie catholique.
3 Instructions en forme de règlement pour les maîtres de quartier, Œuvres complètes,

Méquignon, 1819.
4 Vie du Dauphin, père de Louis XVI, écrite sur les mémoires de la cour, Berton, 1777.
5 Mme Carroy, Les Collégiens ou six semaines de vacances, Paris, Limoges, Martial

Ardant, 1859, p. 9.
                                            8
souligne le souci de ne pas sacrifier six semaines entières à « ces jeux bruyants
qui ne rapportent aucun fruit ». Ainsi trois jours de la semaine sont employés
aux devoirs religieux, dont elle ne dit rien cependant « parce que je suppose
que mes jeunes amis sont pénétrés des bienfaits de la prière et de la grandeur
de la Divinité » (p. VI).
        Depuis longtemps, on trouve cependant des postures moins rigides bien
que se voulant instructives. Ainsi, en 1812, chez Brunot-Labbe, libraire de
l’Université Impériale, Les Écoliers en vacances de Jean-Jacques Barthélémy
se présente déjà comme un livre d’activités, dont le sous-titre annonce : ou
exercices et amusemens auxquels ils peuvent se livrer à la campagne et à la
ville, pendant les vacances et les jours de congés. La page de titre offre une
épigraphe tirée d’une fable de Phèdre : « Sic lusus animo debent aliquando
dari/ Ad cogitandum melior ut redeat tibi » (« Ainsi l’on doit parfois reposer
l’esprit pour ensuite donner plus de nerf aux pensées »). Cette fable, « De lusu
et severitate » (« Le jeu et la sévérité ») raconte cette anecdote :
            Un Athénien vit Ésope jouant aux noix au milieu d'une troupe d'enfants ; il
            s'arrêta et se prit à rire, le croyant fou. Le vieillard s'en aperçut ; et comme
            il était plus souvent railleur que raillé, il posa au milieu de la rue un arc,
            débandé. « Hé ! l'homme sage, dit-il, devine un peu ce que j'ai voulu faire. »
            La foule s'amasse, notre homme se met l'esprit à la torture, sans pouvoir
            rien comprendre à la question posée ; enfin il s'avoue vaincu. Le sage
            victorieux lui dit alors : « Tu rompras bien vite un arc, si tu le tiens toujours
            tendu ; mais, détends-le et tu pourras t'en servir quand tu voudras. »
       Les amusements proposés par cette sorte de manuel ne sont pas
frivoles : petits traités sur la manière de composer un herbier, sur la chasse et
le développement des papillons, sur l’éducation des vers à soie, etc. L’ouvrage
semble avoir eu du succès car il a été plusieurs fois réimprimé. Remplir le vide
des vacances restera une préoccupation encore attestée de nos jours, avec
moins de rigidité. Elle s’est perpétuée avec le « cahier de vacances », dont
Roger Magnard semble être l’inventeur avec Les Cahiers de Loulou et Babette,
en 1932. En fait, il reprend un produit de L’école des bons livres, qui propose
des « Devoirs de vacances », des fascicules en format réduit qu’il présente de
manière plus séduisante et en y introduisant deux personnages inspirés de ses
propres enfants 1 . Cette production rentable se perpétue et se voit même
déclinée à l’usage des adultes.
       Il reste que la formule presque oxymorique Les écoliers en vacances
connaît une certaine vogue depuis le début du XIXe siècle et qu’on la retrouve
dans une comédie en un acte de Merle, Brazier et Charles, Les Petits
Braconniers ou Les écoliers en vacances, jouée le 9 mai 1813 aux Variétés, et
peu de temps après dans un ballet-pantomime d’Auguste Jacquinet, représenté

1Dans les collections de la BnF, on trouve un Cahier de vacances avec concours.
Loulou et Babette : du soleil, des fleurs et des papillons, Cours des tout petits. Classe
enfantine. 5 à 6 ans, attribué à Philippe Lorin, qui est un peintre et illustrateur renommé.
                                             9
au théâtre de la Porte Saint-Martin le 30 octobre 1815. En Belgique, à Tournai,
Casterman publie le texte d’une comédie-vaudeville en 3 actes et en vers de
Louis-Vincent Raoul, Les Écoliers en vacances, qui a été jouée par des élèves.
Les déclinaisons se multiplient donc particulièrement au théâtre.

Vers la détente
        On voit se dessiner timidement une nouvelle approche des vacances
dans Les Vacances de Pâques, ou les jeunes pêcheurs de Jules Clère, paru en
1837 à Strasbourg chez Levrault. Après trois mois d’études assidues, voici la
jeune saison où les plantes refleurissent. C’est une célébration religieuse de la
nature, du beau temps, d’un moment où le doux far niente n’est interrompu
que par des divertissements bien bruyants et des joies ravissantes. Les vacances
de Pâques sont moins tristes que celles de Noël, trop courtes, ou celles de
l’automne, qui sont souvent comme une époque de séparation dans la vie. On
remarquera qu’il n’est pas question des « grandes vacances ». Mais grandes ou
petites, « les vacances, ces douces époques de la vie de l’étudiant », ne doivent
pas être des intercalations fugitives et vides entre deux périodes remplies par
le travail » (p. 33). Les deux jeunes Charles et Alfred vont donc être initiés à
la pêche, ce qui est l’occasion de leçons très techniques sur le matériel et les
différentes sortes de pêches, mais aussi de récits portant sur des expéditions
lointaines, comme les campagnes baleinières. Toutes les espèces de poissons
sont passées en revue. Les jeunes gens iront bien pêcher mais nous les verrons
peu en action. Le même auteur avait publié chez le même éditeur Les Vacances
d’automne et les jeunes oiseleurs ainsi que Les Vacances de Noël ou les jeunes
chasseurs (1837). C’est à chaque fois le prétexte d’une revue encyclopédique
entremêlée d’actions de grâce pour la Création. Le discours est moins sévère
que précédemment, mais reste hanté par la crainte de l’inactivité ou de
l’abandon au plaisir. La même année, J.-P. Chastagner, Maitre de Pension,
publie chez Delloye un ouvrage au titre éloquent, Mes Vacances, descriptions,
anecdotes, épisodes, écrits historiques. Itinéraire Pittoresque le plus complet,
le plus détaillé, des routes qui joignent Le Havre, port de l'Océan, avec
Marseille, port de la Méditerranée.
        Les vacances vont progressivement s’allonger, s’uniformiser et
coïncider avec l’été. Les « grandes vacances » prennent alors une nature
différente, elles deviennent une autre vie dans la vie, une longue parenthèse
identifiée avec la liberté, la disparition des horaires, un été sans fin. Le ton a
changé avec Un petit héros de M. Génin [Mme de Roisel], paru en 1884 dans
la « Collection Hetzel » et qui s’ouvre ainsi :
           Pendant les grandes vacances, nous allions chaque année passer quinze
           jours chez notre oncle Philippe, qui, en sa qualité de vieux garçon, était
           généralement entouré d'une demi-douzaine d'enfants : neveux, nièces,
           petites-nièces. Jusqu'au douzième degré, on le réclamait et on le proclamait
           mon oncle ; il était l'oncle comme Henri IV avait été le roi. Heureusement
           sa maison de campagne était grande, car il avait à exercer une large

                                         10
hospitalité. Quand nous étions chez lui en famille, on ne comptait jamais
           moins de quinze convives à table. La vieille Madeleine rappelait même
           qu'elle avait déjà fait à dîner, plusieurs jours durant, pour trente bouches
           affamées. « Il y avait surtout un tas de garçons, disait-elle, et chacun mange
           plus que trois filles. Encore s'ils avaient voulu être raisonnables et ne pas
           bouleverser la maison, mais c'étaient des garnements qui mettaient ma
           cuisine sens dessus dessous, à ne plus savoir ou prendre une casserole ».
           Ces plaintes finissaient d'ordinaire par la proposition de nous apprendre à
           faire des gaufres ou des crêpes, proposition toujours saluée avec
           enthousiasme. On applaudissait, on votait à Madeleine une crêpe d'honneur,
           et elle s'échappait à grand'peine du cercle que nous formions autour d'elle
           en chantant ses louanges sur un air de notre composition.
        Cette autre vie est généralement liée au beau temps : dans l’hémisphère
nord du moins, elles coïncident avec l’été, la douceur, la chaleur. En français
ce mot « été » est sous-entendu alors qu’en anglais et en allemand les
expressions summer holidays et Sommerferien renvoient explicitement à la
saison. Ce caractère saisonnier entraîne donc le motif du retour, du rituel dans
un temps et un espace autres, un temps fantasmatiquement inépuisable, un
temps romanesque de diverses manières et qui peut être interrogé par le prisme
du « chronotope » tel que défini par Mikhaïl Bakhtine : « Nous appellerons
chronotope, ce qui se traduit, littéralement par “temps-espace” : la corrélation
essentielle des rapports spatio-temporels telle qu’elle a été assimilée par la
littérature »1. Les grandes vacances réalisent en effet tout particulièrement une
fusion d’indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret qui
vient en rupture avec un autre chronotope récurrent dans la littérature de
jeunesse, celui du temps et de l’espace scolaires. Peut-être, si l’on souhaitait
user d’un mot moins savant, pourrait-on aussi parler du « parfum des
vacances », comme l’a récemment fait Thibault Prugne dans son album, Le
Parfum des grandes vacances (Margot, 2019), où la narratrice évoque un
séjour chez un grand-père qu’elle ne connaît pas tandis que son père est parti
à la guerre :
           Je me souviens de sa cabane qui flottait dans les champs comme un phare
           sur l’océan ; des feuilles du vieux frêne scintillant au soleil, de l’odeur du
           linge qui séchait au fond du jardin, du bourdonnement des abeilles et du
           chant des mésanges.

Vacances, romans
       Romanesques par elles-mêmes, les grandes vacances peuvent devenir
le synonyme de l’aventure. Le Club des Cinq en vacances pourrait être le titre
générique de toute la série d’Enid Blyton. Cette aventure se déroule donc au
plus près comme au plus loin : Deux ans de vacances de Jules Verne laisse un
groupe de garçons sur une île déserte du Pacifique et pour une durée qui elle-

1Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, coll « Tel », 1987
p. 237 (première édition posthume, Gallimard, 1978).
                                          11
même excède les limites ordinaires des grandes vacances. À cet égard, la
robinsonnade peut faire se rencontrer les deux chronotopes des vacances et de
l’école, de la liberté et des apprentissages, ou du désapprentissage (Golding,
Sa majesté des mouches). La robinsonnade est aussi la répétition d’une
expérience qui a déjà eu lieu, et du coup ce genre rejoint celui des séries, qui
affectionnent le retour des vacances.
       Le roman d’enquête juvénile se développe particulièrement dans les
années 60, au moment où la scolarisation dans le secondaire explose, où
beaucoup de jeunes qui font des études participent beaucoup moins aux
travaux de la communauté. Ils profitent souvent d’une grande liberté, les
parents sont peu présents et n’imaginent même pas ce que leurs enfants
peuvent faire de leur temps. C’est l’exploration de leur environnement le plus
proche, comme les six compagnons de la Croix Rousse1. Le Club des Cinq a
donc fait bien des petits, comme plus récemment Le Club des Tongs (The Flip-
flop Club) d’Ellen Richardson :
           Lizzie s'apprête à passer un triste été seule chez sa tante, sur la petite île de
           Sunday Island. Une nuit, elle est conviée à un rendez-vous secret dans une
           cabane perchée sur un arbre. Elle y fait la connaissance de Tash et de Sierra,
           et son été s'illumine. Les trois jeunes filles se lient immédiatement d'amitié.
           Accompagnées de Mojo, le chien turbulent de Tash, elles explorent l'île et
           découvrent un mystère lié à leur passé – un secret qui les mènera à un trésor
           mais mettra en péril leur amitié…2
       Les grandes vacances peuvent être aussi un passage obligé des séries
pour les plus jeunes, et dans ce cas un album de ces séries leur sera consacré :
voir les « Martine » ou les « Caroline » dans les années 50-60, et plus
récemment Tom-Tom et Nana, les vacances infernales de Jacqueline Cohen et
Bernadette Després (Bayard, 1985).
        Les grandes vacances peuvent même de devenir de « grandes grandes
vacances » comme dans la série d’animation du même nom3, où deux petits
Parisiens séjournent dans la campagne normande chez leurs grands-parents
durant tout le temps de la seconde guerre mondiale. Cette série, qui est
abondamment étudiée dans les classes sous la forme de la novélisation4, est
présentée comme un parcours initiatique permettant d’aborder le thème de la
guerre mais aussi de découvrir une vie rurale devenue presque aussi étrangère
que l’île de Robinson. Du reste, Ernest et Colette, qui se sont fait des copains,
fondent avec eux un club des Robinsons.

1 Ou comme Michel, dans la série de Georges Bayard, qui commence par visiter les
souterrains de Corbie (voir les divers articles que Patrick Tourchon et Leniiw Roman
lui ont consacrés ces dernières années dans Les Cahiers Robinson)..
2 Présentation du Club des Tongs. L’été des mystères (Charmed Summer), Nathan, 2014.
3 Delphine Maury, Olivier Vinuesa, Les Grandes grandes vacances, dix épisodes,

diffusés sur France 3 en avril 2015.
4 Textes de Michel Leydier, dessins d’Emile Bravo, Bayard, 2015.

                                           12
Toujours en été
        Toujours en été, tel est le titre d’un livre de Julie Wolkenstein1, dont
une partie de l’œuvre tourne autour d’une maison de vacances à Saint Pair.
Cette maison, on la retrouvait à la fin d’un livre précédent, Les Vacances, dont
le titre est repris à la comtesse de Ségur2. Les vacances peuvent être liées à
cette maison secondaire, à cette vie secondaire, dans une saison particulière.
Et toujours en été est aussi le titre d’une compilation de Nino Ferrer, titre qui
reprend à l’évidence la phrase d’une de ses plus belles chansons, « Le Sud »,
où est célébrée une maison qui dans la réalité n’était pas de vacances mais est
comprise comme telle, une maison heureuse dont la fin jette cependant un voile
très mélancolique.
           Tant pis pour le Sud
           C'était pourtant bien
           On aurait pu vivre
           Plus d'un million d'années
           Et toujours en été3
       Expérience singulière, privilège d’une condition aisée qui peut se
permettre une résidence secondaire, une existence secondaire 4 , mais aussi
expérience devenant beaucoup plus partagée, sous des formes variées et
infiniment plus modestes, comme en témoigne en cette même année 1975 une
autre chanson interprétée par Michel Jonasz qui a également connu le succès :
           On allait au bord de la mer
           Avec mon père, ma sœur, ma mère
           On regardait les autres gens
           Comme ils dépensaient leur argent5
        La captation de ce sujet par la chanson témoigne de cette appropriation
collective et manifeste le lien que les vacances tissent avec l’enfance en tant
que celle-ci ne désigne pas seulement un âge mais un état d’esprit certes
imposé par la jeunesse, notamment dans les années 60 : L’école est finie
(Sheila, 1963), Mes premières vraies vacances (France Gall, 1964) mais aussi
Est-ce que tu viens pour les vacances ? du duo David et Jonathan, en 1985.
D’autres chansons peuvent être dites crossover, comme le sont peut-être toutes
les chansons, qui peuvent être entendues à tout âge : Nationale 7 (Charles

1 Julie Wolkenstein, Et toujours en été, POL, 2020.
2 Julie Wolkenstein, Les Vacances, POL, 2017.
3 Nino Ferrer, Le Sud, 1975 (première version en anglais, South, 1974).
4 Si dans la chanson de Nino Ferrer la fin annonce une catastrophe à venir, beaucoup

de récits et notamment des albums célèbrent la maison de vacances en toute ignorance
des présupposes sociaux. Sur ce point, voir dans l’article de Christophe Meunier la
référence au carnet de Cécile Boulaire, « Grandes vacances et maisons de famille »..
5 Pierre Grosz, Les Vacances au bord de la mer, chanson interprétée par Michel Jonasz,

également compositeur, arrangements de Gabriel Yared, 1975.
                                         13
Trenet, 1959), C’est un beau roman, c’est une belle histoire (Michel
Fugain,1974),
        Les souvenirs de ces grandes vacances ont nourri de nombreux récits
d’enfance, qu’ils s’adressent aux enfants ou aux adultes. Le temps des
vacances peut devenir celui d’expériences plus intimes, uniques, et une année
peut se détacher des autres, rompre la série. « Cet été-là », tel est le titre
proposé par Blandine Puel, qui a travaillé dans sa thèse sur « le moment
adolescent » 1 . Beaucoup de productions pour adolescents ou traitant de
l’adolescence s’inscrivent bien dans ce temps-là : l’expression « Cet été-là »
est un titre qui revient aussi au cinéma : pour un film américain de Nat Faxon
et Jim Rash, The Way, Way Back, sorti en 2013 ou pour un film d’Éric Lartigau
dont les avant-premières sont programmées en novembre 2022 au moment-
même où ces lignes sont écrites. Mais on peut également citer le roman
graphique des canadiennes Jillian et Mariko Tamaki, This One Sommer, paru
en 2014. À chaque fois des jeunes filles se retrouvent comme les autres années
dans une maison de vacances qui devient le lieu de drames familiaux et de
transformations physiques et morales.
        Les grandes vacances, estivales, peuvent correspondre à ce moment de
transition entre l’enfance et l’adolescence, de prise de conscience des
métamorphoses physiques, des pouvoirs du corps, troublants, comme dans le
Blé en herbe de Colette (1923) ou plus troubles encore, dans Bonjour tristesse
de Françoise Sagan (1954) écrit par une autrice de dix-huit ans qui connait
alors un succès fulgurant. La littérature pour adolescents et adolescentes,
éditorialement plus identifiée aujourd’hui, est bien aussi cet espace de la
transition dont les grandes vacances donnent à faire l’expérience.
                                                               Francis Marcoin

1 Le Moment adolescent : la fiction narrative à l'épreuve d'un morceau de temps :
espace transatlantique (France-Italie-États-Unis), 1923-1994, soutenue le 20
novembre 2020 à l’université de Bordeaux 3.
                                       14
Vous pouvez aussi lire