Phase prodromale du trouble bipolaire - Prodromal phase in bipolar disorder
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L’Encéphale (2010) Supplément 1, S8–S12 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Phase prodromale du trouble bipolaire Prodromal phase in bipolar disorder E. Fakra*(a), A. Kaladjian(a), D. Da Fonseca(b), M. Maurel(a), M. Adida(a), N. Besnier(a), D. Pringuey(c), J.-M. Azorin(a) (a) Pôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 09 (b) Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Ste Marguerite, 13274 Marseille cedex 09 (c) Clinique de Psychiatrie et de Psychologie Médicale. Abbaye de St Pons, Pôle des Neurosciences Cliniques, CHU Pasteur, Nice Mots clés Résumé La phase prodromale, décrite généralement comme une étape subsyndromique précédent Prévention l’entrée dans la maladie, présente un intérêt essentiellement dans la prévention secondaire. Jusqu’à présent, les recherches cliniques en santé mentale portant sur ce thème se sont essentiellement tournées secondaire ; vers la schizophrénie. Sur les dernières années, certains travaux ont appliqué des méthodes similaires Intervention afin de caractériser une phase préclinique dans les troubles bipolaires. Malgré le fait que cette stratégie précoce ; semble moins adéquate dans les troubles bipolaires, ces études ont toutefois pu démontrer l’existence Trouble bipolaire ; de signes prodromiques chez une majorité de patients. Cependant, les symptômes formant cette phase ADHD prodromale n’apparaissent pour le moment ni suffisamment caractéristiques, ni suffisamment spécifiques pour pouvoir donner lieu à des instruments de dépistage adéquats, ou pour susciter des recommandations précises de prise en charge. La tactique consiste alors à se baser à la fois sur la notion de haut risque génétique et de s’appuyer sur des symptomatologies limitrophes des critères des classifications actuelles pour cerner les sujets candidats à une intervention précoce. Pourtant, même dans ce cadre, un traitement pharmacologique ne semble pas montrer un avantage évident en termes de prévention. Abstract The prodromal phase is generally described as a subsyndromal stage preceding the disease KEYWORDS onset. The characterization of such phase founds its main purpose in secondary prevention. Up to now, Secondary clinical research relating to this topic in mental health has primarily focus on schizophrenic disorders. prevention ; Early Over the last years, some studies have applied similar methods in order to characterize a preclinical intervention ; Bipolar phase in bipolar disorders. In spite of the fact that this strategy appears less adequate in bipolar disorders, these studies have demonstrated the existence of prodromal signs in a majority of patients. However, disorder ; ADHD these features appear for the moment neither sufficiently characteristic, nor sufficiently specific to allow the construction of suitable assessment instruments, or to suggest precise guidelines in the management of these subjects. Also, these prodromal features show considerable overlap with other psychiatric disorders, especially attention-deficit hyperactivity disorder (ADHD) and schizophrenia Interestingly, a limited number of studies have looked at the number of patients considered in a prodromal phase of schizophrenia which later developed a bipolar disorder and reported substantial proportions of subjects in this case, further highlighting the obvious bias in favor of schizophrenia in the actual prevention politics. In order to identify potential candidates at a prodromal phase of bipolar disorders that could benefit from early intervention, studies have relied on both high genetic risk and symptoms at the boundary of the actual classification. However, even within such approach, pharmacological treatments have not proven obvious advantage in terms of prevention. It is suggested that adopting a more longitudinal vision of the disease and, given the mean age of onset of bipolar disorder and a fortiori * Auteur correspondant. E-mail : eric.fakra@ap-hm.fr L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
Phase prodromale du trouble bipolaire S9 of its prodromal phase, a more developmental perspective of individuals, could help lowering the confusion in this field ; Also, given the considerable overlap in prodromal features between different psychiatric disorders, early detection programs could benefit from implementing approach open to multiple diseases assessment, rather than hyper-specialization in a specific disorder. Introduction que étendue, en moyenne de 2 à 5 ans, où s’installent les signes prodromiques [19]. Ceux-ci sont constitués d’abord Afin de mieux délimiter le champ de cet article, il paraît de signes non spécifiques, c’est-à-dire thymiques, anxieux, important de différentier la phase prodromale d’une part comportementaux ainsi que de symptômes plus proches de des signes prémorbides des troubles bipolaires (cf. article la lignée négative (retrait social, isolement, anhédonie). Da fonseca et Fakra dans ce numéro) et d’autre part du pre- Puis, plus tardivement, apparaissent des symptômes de la mier épisode thymique (cf. article Kaladjian et al. dans ce lignée positive (idées bizarres, délirantes, hallucinations). numéro). Les symptômes prodromiques, qui constituent la Parallèlement, des arguments d’ordre clinique [16], neu- phase prodromale, sont des signes précurseurs qui vont iné- ropsychologique [26] et neuroanatomique [22] indiquent luctablement aboutir à l’entrée dans la maladie. Dans le qu’une phase précoce incluant les premières années d’évo- champ de la santé mentale, cette phase est souvent conçue lution des troubles avec, très certainement, la phase pro- comme une étape préclinique où la symptomatologie est dromale constituerait une période critique ou s’installerait présente mais ni assez caractéristique, intense et/ou dura- l’essentiel de la détérioration de la maladie [1]. De sur- ble pour remplir formellement les critères de la pathologie. croît, il semblerait que la rapidité de mise en place d’un Il est bien entendu que l’enjeu essentiel du repérage de traitement antipsychotique lors de l’émergence des trou- cette phase est de proposer une prise en charge qui pourrait bles psychotiques, ou en d’autres termes, la diminution de différer, voire enrayer la survenue des troubles. Il s’agit donc la durée de psychose non traitée (DUP : duration of untrea- d’un objectif de prévention secondaire que nous avons pro- ted psychosis), constituerait un facteur de bon pronostic de posé de plus largement traiter dans cet article. la maladie [18]. Le pas a été facilement franchi et ces La prévention secondaire est un thème médical inter- développements ont pu être extrapolés à la phase prodro- disciplinaire pour lequel un certain nombre de critères ont male de la pathologie, avec l’idée que la marge de préven- été fixés [3]. Ces critères servent à déterminer s’il est tion serait encore plus importante lors d’une intervention avantageux ou non de mettre en place un plan de dépistage plus précoce. Certains auteurs ont même proposé que et de traitement précoce de la maladie à large échelle. l’état psychotique en lui-même pouvait être à l’origine Ainsi, il est nécessaire que 1) la maladie ait un impact d’une neurotoxicité [28] (mais voir [20]), renforçant l’argu- important en termes de santé publique. Ensuite, il faut mentaire d’une intervention précoce. Toutefois, même bien évidemment 2) qu’une phase préclinique existe et soit dans ce cadre de la schizophrénie, l’intérêt réel de mise en adéquate, c’est-à-dire assez longue et caractéristique pour place d’une politique de prévention à large échelle appa- permettre des tests de dépistage et des traitements pré- raît encore tributaire de la capacité des futures études à ventifs. Bien sûr il faut que 3) des tests de dépistages exis- démontrer la robustesse de deux points qui restent actuel- tent et que ceux-ci fournissent des qualités psychométriques lement vacillants : le développent et l’applicabilité d’ins- suffisantes afin de détecter la maladie. Enfin il faut que ce truments de dépistage adéquats, et la démonstration de programme présente une acceptabilité en termes de 4) coût l’efficacité des traitements durant cette phase prodromale pour la société, mais également 5) de stigmatisation pour [24]. l’individu et la population concernée. Ces questions ont été relativement peu examinées dans le domaine de la santé mentale où la schizophrénie reste sans doute la pathologie Prévention des troubles bipolaires la plus explorée. Après un état des lieux rapide des données La question de la prévention secondaire des troubles bipo- actuelles dans la schizophrénie, nous nous proposons laires a suscité comparativement beaucoup moins d’en- d’aborder plus en détail ce thème dans les troubles bipolai- gouement. Les modèles actuels s’influencent largement res, tout en pointant les difficultés rencontrées dans le des stratégies utilisées dans la schizophrénie, en transpo- cadre de cette pathologie. sant la prévention du premier épisode psychotique au pre- mier épisode maniaque. Il existe pourtant de nombreux Prévention secondaire en santé mentale : obstacles prédisant que la simple reproduction de ces stra- l’exemple de la schizophrénie tégies pourrait s’avérer bien moins pertinente dans le cadre des troubles bipolaires. Tout d’abord, contrairement à la Parmi les troubles retrouvés dans le champ de la santé schizophrénie, la maladie bipolaire se caractérise par deux mentale, la schizophrénie a certainement été la maladie pôles comportant des symptômes d’expression opposée. pour laquelle la question de la prévention a été la plus Les prodromes pourraient donc être très différents selon le explorée. Ainsi les premières études rétrospectives à large mode d’entrée dans la maladie, maniaque ou dépressif. Par échelle ont pu confirmer l’existence d’une phase préclini- ailleurs, seul l’épisode maniaque définit véritablement
S10 E. Fakra et al. l’entrée dans la maladie. La détection de signes prodromi- une impulsivité, une irritabilité, une hyperactivité et un ques pourrait donc s’avérer beaucoup plus complexe pour accroissement des comportements agressifs permettait de les formes cliniques de la pathologie où le premier épisode différentier le plus précocement les enfants souffrant de se révèle être un épisode dépressif, voir pour les formes troubles bipolaires des autres groupes. Les groupes de symp- s’apparentant durant les premières années à des troubles tômes comprenant les symptômes maniaques et dépressifs dépressifs récurrents. Aussi, contrairement à la schizophré- pouvaient également séparer les groupes, mais à un âge plus nie, les symptômes généralement rencontrés dans les trou- tardif (à partir de l’âge de 7/8 ans). Il est à noter cependant bles bipolaires peuvent, lorsqu’ils sont modérés, se qu’aucun taux de prévalence n’était noté dans cette étude confondre plus facilement avec les fluctuations thymiques et la nuance entre signes prodromaux et signes prémorbides rencontrées dans la population générale. Ainsi, si l’on s’at- paraît ici peu claire. tend à retrouver dans la phase prodromale des formes Une autre critique méthodologique de ces études est symptomatiques atténuées de la pathologie, les prodromes que les réponses peuvent être biaisées ou limitées par la des troubles bipolaires seraient moins discriminatifs et nature même du questionnaire remis aux patients ou aux remarquables que ceux de la schizophrénie. En effet, les parents, et qu’il existe peu d’indications sur la durée, l’in- symptômes de bizarrerie, d’étrangeté du comportement et tensité et l’impact de ces symptômes. Une étude plus les symptômes positifs sont sans doute beaucoup plus faci- récente a tenté de répondre à ces limitations en proposant lement discriminants que des symptômes maniques ou un entretien semi-structuré (BPSS the Bipolar Prodromal dépressifs à minima. Enfin, les troubles bipolaires n’évo- Symptom Scale) tentant de mieux cerner les signes prodro- luent pas d’un seul tenant. Par définition, les épisodes thy- miques chez 52 enfants et adolescents avec un diagnostic miques sont entrecoupés de périodes intercritiques avec récent de troubles bipolaires, en particulier en évaluant la une rémission souvent considérée comme complète. Il est fréquence, la sévérité, la durée et le moment de survenue donc possible que, comme les épisodes thymiques, les pro- des symptômes [6]. Les résultats assez surprenant de cette dromes puissent d’abord être suivis par un rétablissement étude ont permis de conforter la notion de phase prodro- complet avant une entrée dans la maladie. Dans ce cas, la male dans les troubles bipolaires. Ainsi, en considérant uni- phase prodromale ne débouchant pas directement sur la quement les symptômes d’intensité au moins modérée, maladie, sa détection serait donc moins aisée. cette étude montre qu’une majorité des patients traver- sent une phase symptomatique préclinique avant la surve- Existence d’une phase préclinique ? nue du premier épisode maniaque. La symptomatologie durant cette phase comprend des signes non-spécifiques L’existence même d’une phase prodromale dans les troubles tels qu’une diminution du travail scolaire ou professionnel bipolaires reste encore une question débattue. Deux types (65 %), une labilité émotionnelle (58 %), des crises clasti- d’études, prospectives et rétrospectives, ont tenté de ques (48 %), un isolement social (44 %) ; des signes dépres- répondre à cette question avec un succès partagé. Une des sifs subsyndromiques tels qu’une tristesse de l’humeur premières études rétrospectives ayant exploré cette ques- (54 %), une anhédonie (40 %), un sentiment de dévalorisa- tion s’est basée sur un questionnaire portant sur les signes tion (33 %) et des symptômes maniaques atténués tels précédant l’entrée dans la maladie de 500 personnes souf- qu’une irritabilité (61 %), une hyperactivité (50 %) et une frant de troubles bipolaires, toutes faisant partie d’une agitation psychomotrice (48 %). association de patients (National Depressive and Manic- Enfin quelques études prospectives ont tenté d’exami- Depressive Association) [17]. Les résultats montraient ner le taux de conversion de sujets supposés être en phase qu’une minorité d’entre eux (autour de 30 % pour les signes prodromale. Ces travaux ont généralement calqué la défi- les plus fréquents) rapportaient des troubles thymiques, nition de leur phase prodromale sur la classification DSM IV. comportementaux ou beaucoup plus rarement, des symptô- La plus large étude à ce jour [15] a inclus 893 adolescents mes psychotiques à type d’idées de persécution. Toutefois, examinés une première fois (âge moyen 16,8 ans), puis étant donné l’âge moyen d’entrée dans la maladie (17,5 ans) 8 ans plus tard. 48 sujets dans cette cohorte présentaient [14] et la possibilité que les prodromes puissent précéder une phase prodromale définie comme une période distincte l’entrée dans la maladie de plusieurs années, certains et persistante d’humeur anormale, élevée, expansive ou auteurs ont proposé d’ajouter une dimension développe- irritable et au moins un critère B (DSM IV) de la manie. mentale à cette différentiation des possibles signes prodro- Parmi ces sujets, une personne a effectivement développé miques. Ainsi, certaines constellations de signes prodromiques une manie et 20 personnes ont présenté par la suite un épi- pourraient être distinguées en fonction de l’âge du sujet sode dépressif majeur. Une autre étude plus récente [2] a [8]. Plus en avant, une autre étude a tenté cette fois-ci de choisi des critères plus sévères de phase prodromale. Les discriminer en fonction de l’âge les symptômes prodromi- 92 enfants et adolescents suivis sur une période de 2 ans ques les plus caractéristiques de la maladie bipolaire [9]. En présentaient les critères DSM IV d’un trouble bipolaire non appliquant un recueil de données similaire, c’est-à-dire spécifié, c’est-à-dire se différentiant de l’épisode mania- fondé sur des auto-questionnaires adressés aux parents que uniquement par la durée des symptômes. Par la suite, d’enfants souffrant soit de troubles bipolaire soit, dans 25 % des sujets ont développé un trouble bipolaire de cette étude, de trouble de l’hyperactivité avec déficit de types 1 ou 2. De manière intéressante, le fait d’avoir un l’attention (THADA) ou non malade, il apparaissait qu’une parent bipolaire n’augmentait pas le risque de développer association de signes incluant des troubles du caractère, un trouble bipolaire chez l’enfant observé.
Phase prodromale du trouble bipolaire S11 Spécificité de la phase prodromale ? (c’est-à-dire présentant un trouble psychotique bref ou un trouble psychotique non spécifié) étaient observés sur une Bien que la présence d’une phase prodromale semble assez période de 6 mois. Parmi eux, 7 développèrent une schizoph- fermement établie pour une majorité de patients, il semble rénie et 4 un trouble bipolaire. Ces résultats illustrent une fois pourtant, à la vue des symptômes formant cette phase précli- de plus la similarité entre phases prodromales des deux trou- nique, que la question de la spécificité d’une part dans la bles, et évoquent également la possibilité, voire la nécessité, population générale mais également parmi les autres troubles d’adopter des stratégies communes de prévention. psychiatriques, reste entière. Le diagnostic différentiel le plus problématique lors de l’enfance et l’adolescence est sans Traitement de la phase prodromale ? doute le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention [12]. La complexité à différentier ces deux troubles semblent Étant donné l’absence de spécificité de cette phase prodro- encore s’accentuer lorsqu’il s’agit de distinguer leurs phases male ainsi que les difficultés à proposer des instruments de prodromales respectives. En effet, une étude récente qui a dépistage qui pourraient avoir une valeur prédictive posi- tenté de répondre directement à cette question montrait tive satisfaisante, très peu d’études ont tenté d’évaluer des que, bien qu’il existait quantitativement plus de signes pro- traitements durant cette phase. Ces études ont bien évi- dromaux chez les patients THADA que chez les patients souf- demment maximalisé les chances de recruter des sujets au frant de troubles bipolaires, il était impossible d’isoler les cours d’une phase préclinique en sélectionnant des person- deux troubles sur la base de leur phase prodromale [23]. De nes à haut risque génétique et souffrant de symptômes manière fort intéressante, il est toutefois à noter que certai- affectifs (enfants présentant une « cyclotoxie »). La pré- nes études décrivent une comorbidité particulière entre trou- sence de symptômes d’intensité importante justifiait éthi- bles bipolaires et THADA dans certaines familles [5, 25]. Ainsi quement un traitement, ou un essai comparatif de cette association distincte pourrait constituer une forme sin- traitements. Une première étude suggère que le valproate gulière de troubles bipolaires marquée par une forte hérédité aurait une efficacité sur les symptômes affectifs [4]. et une apparition des troubles plus précoce. Dans cette forme, Toutefois une deuxième étude randomisée [10] montre que les troubles débuteraient invariablement par le THADA pour cette molécule ne présenterait pas plus de bénéfice que le ensuite donner suite aux troubles bipolaires. Outre le fait que placebo. Cependant, si ce dernier résultat était indéniable dans le cadre de cette forme atypique, le THADA peut être pour les enfants ayant un parent souffrant de troubles bipo- considéré comme constituant la phase prodromale de la mala- laires, les enfants ayant leurs deux parents souffrant de die, cette association interroge également les interrelations troubles bipolaires restaient plus longtemps dans l’étude entre ces deux troubles, ainsi que leur éventuelle ethiopatho- lorsqu’ils étaient sous divalproate, indiquant donc un effet génie commune. L’autre diagnostic différentiel qui peut supérieur de ce traitement par rapport au placebo mais s’avérer particulièrement délicat chez l’adolescent et limité aux sujets à très haut risque génétique. Enfin, une l’adulte, est celui de la schizophrénie. Certains signes prodro- dernière étude avec randomisation en double aveugle [11] miques ont pu être rattachés plus fréquemment à l’une ou proposait de déterminer si un traitement par lithium chez l’autre de ces pathologies, comme par exemple une anxiété des enfants avec des antécédents familiaux de troubles réactionnelle [21] ou des symptômes de dépression, de désor- bipolaires et présentant un épisode dépressif majeur serait ganisation ou de manie [13] qui serait plus régulièrement plus efficace que le placebo, avec l’idée que ces patients à retrouvés chez les patients bipolaires que chez les patients haut risque de développer un trouble bipolaire avéré de schizophrènes. Mais ici encore, les symptômes dans les deux type 1 serait plus sensible à ce traitement. Aucune diffé- troubles semblent entièrement se chevaucher. Il est intéres- rence n’a pu être observée entre les deux groupes. Au total, sant de noter à cet égard que le parti pris évident pour la il semble donc que les preuves d’efficacité d’un traitement recherche clinique en faveur de la prévention de la schizoph- pharmacologique durant la phase prodromale semblent pour rénie plutôt que des troubles bipolaires a entraîné un biais l’instant très limitées, mais bien sûr une large partie de dans l’observation même des résultats. Ainsi, aux vues du cette incertitude réside dans le fait que les critères de manque de spécificité de cette phase prodromale, on pourrait phase prodromale proposés dans ces études sont très res- s’attendre à ce que parmi les sujets présentant des prodro- trictifs. Aussi en sélectionnant des sujets ayant au moins un mes de la schizophrénie, certains puissent développer des de leurs parents souffrant de troubles bipolaires, le risque troubles bipolaires plutôt qu’une schizophrénie. Étonnamment, pour le sujet de développer un trouble bipolaire est certes très peu d’études rapportent de tel cas de conversion. Deux plus élevé. Par contre, il pourrait alors s’agir de formes à études font exception : un premier article [27] rapporte le forte composante génétique qui serait minoritaires et pas développement (sur une période d’1 an) d’un trouble bipo- forcement représentative de l’ensemble des troubles bipo- laire chez 3 des 47 sujets à haut risque génétique et sympto- laires, notamment en termes de réponse au traitement. matique pour la schizophrénie examinée dans cette étude. Les auteurs rapportent avoir observé initialement chez ces Conclusions 3 patients une humeur dépressive, une fluctuation de l’hu- meur, un isolement social, une agitation psychomotrice, une Au total, il semble que bien qu’une phase prodromale sem- irritabilité, des difficultés de concentration et des troubles du ble effectivement exister chez les patients souffrant de sommeil. Dans une deuxième étude plus récente [7], troubles bipolaires, les symptômes manifestés durant cette 26 patients considérés à haut risque pour la schizophrénie phase ne seraient ni suffisamment caractéristiques, ni suffi-
S12 E. Fakra et al. samment spécifiques pour donner lieu à des recommanda- [9] Fergus EL, Miller RB, Luckenbaugh DA et al. Is there progres- tions générales. Il reste qu’à un niveau individuel, sion from irritability/dyscontrol to major depressive and manic symptoms ? A retrospective community survey of par- l’association d’antécédents familiaux importants avec des ents of bipolar children. Journal of Affective Disorders 2003 ; symptômes affectifs justifie une intervention précoce. À cet 77 (1) : 71-78. égard, il serait intéressant que des travaux sur l’action d’al- [10] Findling RL, Gracious BL, McNamara NK et al. The rationale, ternatives non pharmacologiques (psychothérapie, psycho design, and progress of two novel maintenance treatment éducation) durant cette phase puissent aider les cliniciens à studies in pediatric bipolarity. Acta Neuropsychiatr. 2000 ; 12 adopter la prise en charge la plus adéquate. Un des grands (3) : 136-138. [11] Geller B, Cooper TB, Zimerman B et al. Lithium for prepuber- obstacles qui semble limiter la portée de la recherche clini- tal depressed children with family history predictors of future que actuelle est la difficulté à adapter des outils de dépis- bipolarity : a double-blind, placebo-controlled study. Journal tage au système de classification actuel. En effet, of Affective Disorders 1998 ; 51 (2) : 165-175. particulièrement durant cette phase très précoce, la crité- [12] Geller B, Williams M, Zimerman B et al. Prepubertal and early riologie des troubles bipolaires semble impuissante à tenir adolescent bipolarity differentiate from ADHD by manic symp- compte de la physiopsychopathologie du trouble et de l’as- toms, grandiose delusions, ultra-rapid or ultradian cycling. Journal of Affective Disorders 1998 ; 51 (2) : 81-91. pect développemental du sujet. On remarque ainsi que les [13] Lyer SN, Boekestyn L, Cassidy CM et al. Signs and symptoms in outils de dépistage sont dès lors entièrement articulés autour the pre-psychotic phase : description and implications for des délimitations de ces critères, plutôt que sur une vision diagnostic trajectories. Psychological Medicine 2008 ; 38 (8) : longitudinale du trouble, mêlant probablement ainsi des 1147-1156. populations très différentes de patients et de sujets à ris- [14] Kupfer DJ, Frank E, Grochocinski VJ et al. Demographic and clinical characteristics of individuals in a bipolar disorder ques. Enfin, la constatation d’un chevauchement des symp- case registry. Journal of Clinical Psychiatry 2002 ; 63 (2) : tômes prodromiques de plusieurs pathologies psychiatriques 120-125. incite également à raisonner cette question en terme plus [15] Lewinsohn PM, Klein DN, Seeley JR. Bipolar disorder during global et non en sur-spécialisation de la discipline comme adolescence and young adulthood in a community sample. cela semble être le cas actuellement. Cette alternative, Bipolar Disorders 2000 ; 2 (3) : 281-293. proposée par certaines équipes, pourrait présenter l’avan- [16] Lieberman J, Jody D, Geisler S et al. Time-Course and Bio- logic Correlates of Treatment Response in 1st-Episode Schizo- tage non seulement d’optimiser l’effort fourni à la mise en phrenia. Arch. Gen. Psychiatry 1993 ; 50 (5) : 369-376. place des programmes de prévention mais également de [17] Lish JD, Dimemeenan S, Whybrow PC et al. The National renseigner plus avant sur la vulnérabilité au moins en partie Depressive and Manic-Depressive Association (Dmda) Survey partagée par certains troubles psychiatriques. of Bipolar Members. Journal of Affective Disorders 1994 ; 31 (4) : 281-294. [18] Marshall M, Lewis S, Lockwood A et al. Association between Références duration of untreated psychosis and outcome in cohorts of first-episode patients : a systematic review. Arch Gen Psy- [1] Birchwood M, Todd P, Jackson C. 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