Les instances narratives dans Les soleils des indépendances d'Ahmadou Kourouma - Mémoire de Licence
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Mémoire de Licence Les instances narratives dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma Författare: Anna Sylvan Handledare: Liviu Lutas Examinator: Kirsten Husung Termin: HT21 Ämne: Franska Nivå: Grundnivå Kurskod: 2FR30E
Abstract The African novel The Suns of Independence, written by Ivorian author Ahmadou Kourouma, is considered one of the first to study the disillusionment of the postcolonial era after the independencies in Africa. The novel is celebrated for its narrative style, inspired by the Malinke culture and language, and characterised by its oral tradition and the interaction between the narrator and his audience. Using the concepts of Gérard Genette (1983), this study analyses the following narrative instances in the novel: The narrator addressing the narratee, proverbs, comparisons and riddles, the narrator addressing a character, the procedure of question-answer, and the dream, and discusses for each of the narrative instances the relationship of the narrator towards the story, the perspective, the narrative level, and the function of the narrator. The findings show that the alternation of narrative instances gives access to more functions of the narrator. The narrative instances in which the narrator addresses the narratee or the character and the procedure of question- response create an illusion of a dialogue between narrator and narratee, thus enhances the communicative function, whereas proverbs, comparisons, and riddles, apart from connecting with the narratee, also play an important role in order to explain and evaluate developments, characters and environments. Other narrative instances, such as the dream, play an important role for the narrative function. Mots-clés Littérature africaine, Ahmadou Kourouma, Les Soleils des Indépendances, instance narrative, focalisation, point de vue, niveau narratif Keywords African literature, Ahmadou Kourouma, The Suns of Independence, narrative instance, focalisation, point of view, narrative level
Table de matières 1 Introduction 1 1.1 Contexte 1 1.2 Objectif 1 1.3 Etudes antérieures 2 2 Approche théorique et méthodologique 3 2.1 Définitions 3 2.2 Concepts 3 2.3 La relation du narrateur à l’histoire 4 2.4 La focalisation 4 2.5 Le niveau narratif 5 2.6 La fonction du narrateur 6 3 L’analyse des instances narratives 6 3.1 Le narrateur qui s’adresse au narrataire 6 3.2 Proverbes, comparaisons et devinettes 10 3.3 Le narrateur qui s’adresse à un personnage 13 3.4 Le procédé de question-réponse 16 3.5 Le rêve 17 4 Conclusions 18 5 Bibliographie 20
1 Introduction 1.1 Contexte Les soleils des indépendances, premier roman de l’écrivain ivorien Ahmadou Kourouma, est considéré le premier nouveau roman africain francophone dès sa parution en 1968 (Une semaine en Afrique 2011), et a gagné le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1969. Le roman est caractérisé par un renouvellement des techniques romanesques et était un des premiers qui décrivait l’esprit de désenchantement de l’époque postcoloniale des indépendances en Afrique. Kourouma lui-même est d’origine malinké, une ethnie présente dans de différents pays d'Afrique de l'ouest. Jacques Chevrier (2008 : 65) constate que le style narratif du roman, inspiré par la langue et la culture malinké, rompt avec la littérature occidentale à cause de son oralité venant de la tradition africaine, avec l’interaction entre un conteur et son auditoire. Dans le roman, nous suivons le destin d’un authentique prince Malinké, Fama, qui après l’indépendance de son pays, le pays fictif la Côte des Ébènes (le pays natal de l’écrivain est la Côte d’Ivoire), est réduit à vivre de la mendicité. Au lieu d’être récompensé pour sa lutte contre le colonisateur, Fama est privé de ses droits et finit par ne rien avoir à part sa carte d’identité et sa carte du parti unique. Mais des événements pires que cela se passeront. Fama est accusé d’avoir conspiré avec un adversaire politique du président à cause de son rêve. Fama est arrêté, ce qui plus tard le mènera à la mort. 1.2 Objectif Le but de ce mémoire est d’analyser, dans Les soleils des indépendances, les instances narratives suivantes : Le narrateur qui s’adresse au narrataire, les proverbes, comparaisons et devinettes, le narrateur qui s’adresse à un personnage, le procédé de question-réponse et le rêve. Nous nous limitons à 1(21)
l’analyse de la relation du narrateur à l’histoire (qui parle ?), la focalisation (qui perçoit ?), le niveau narratif (à qui parle-t-on ?) et la fonction du narrateur. La théorie de notre analyse se base sur les concepts de Gérard Genette (1982) abordés dans Discours du récit, ainsi que sur Yves Reuter (2016) et son œuvre L’analyse du récit, qui se base sur Genette. 1.3 Etudes antérieures Les soleils des indépendances a fait l'objet d'un nombre d'études depuis sa parution sur des thèmes postcoloniaux, féministes, et narratologiques, parmi d’autres. Considérons ici quelques études qui présente un lien avec le but de ce mémoire, dont nous mettions l’accent sur les études linguistiques et narratologiques. Selon l’article d’Adebayo Toyo (1996) « Carnavalisation et dialogisme dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma », Les soleils des indépendances était l’un des premiers romans africains écrits en français, la langue du colonisateur, tout en gardant la culture africaine avec l’emploi des images sous forme de proverbes et métaphores et avec un style narratif du conteur traditionnel (Toyo 1996 :99). Le mémoire d’Hayat Egueh (2016) Étude comparative entre le français ivoirien et le français algérien dans les livres Les soleils des indépendances et Les agneaux du seigneur aborde la langue du roman d’une perspective linguistique. Rosemary G. Shikora (1982) dans son article « Narrative voice in Kourouma’s Les Soleils des indépendances », a contribué à une analyse sur la voix narrative, en examinant le lien entre la tradition orale et la littérature africaine écrite. L’article de Mouhamédoul A. Niang (2010) : « Déconstruction et renouveau esthétique : une exégèse narratologique de l’hybride et de la traduction dans Les Soleils des indépendances et Solibo Magnifique » analyse les aspects linguistiques et culturels dans les structures narratives. Finalement, l’étude que nous trouvons la plus pertinente pour le but de ce mémoire est l’article de Kester Echenim (1978) « La structure narrative de Soleils des Indépendances », qui traite la structure narrative en analysant les catégories 2(21)
structurelles et l’attitude de narrateur envers son histoire. Notre contribution dans ce mémoire consiste à compléter les études antérieures, en particulier l’étude d’Echenim (1978), avec une analyse plus profonde des certaines instances narratives et des fonctions du narrateur, avec l’emploi des concepts de Genette (1983). 2 Approche théorique et méthodologique 2.1 Définitions A travers le mémoire, nous utilisons les termes narrateur et narrataire. Le narrateur raconte l’histoire, et n’existe que dans le texte, contrairement à l’auteur, qui est un être humain et existe hors du texte. Le narrataire, qui n’est pas toujours apparent, est celui qui reçoit l’histoire, tandis que le lecteur, comme l’auteur, est un être humain qui existe hors texte (Reuter 2016 : 12- 13). 2.2 Concepts Dans notre analyse des instances narratives, nous allons nous servir des concepts de Gérard Genette (1983 : 399), présentés dans la figure 1, ainsi que d’Yves Reuter (2016), qui s’appuie sur Genette. Les instances narratives, selon la figure 1 (Genette 1983 : 399), se constituent par les combinaisons possibles entre la relation du narrateur à l’histoire (qui parle ?), la focalisation (qui perçoit ?) et le niveau narratif (à qui parle-t-on ?) Nous allons voir en détail ce qui constitue ces concepts et compléter avec la fonction du narrateur. 3(21)
Figure 1. Tableau des instances narratives (Genette 1983 : 399) 2.3 La relation du narrateur à l’histoire La relation du narrateur à l’histoire, aussi nommée l’attitude narrative, détermine qui parle et comment, et traite la relation entre le narrateur et sa propre histoire. Genette (1983) distingue tendanciellement entre deux types de relations : l’un nommé hétérodiégétique « à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte » (Genette 1983 : 255). Au lieu d’être centrée autour d’un narrateur, l’histoire porte sur un ou plusieurs personnages. L’autre type est la relation homodiégétique « à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte » (Genette 1983 : 255). 2.4 La focalisation Continuons avec le deuxième aspect de l’instance narrative, la focalisation (aussi appelée la perspective, la vision ou le point de vue), c’est-à-dire comment, et par qui, l’histoire est perçue. La focalisation est un aspect important, parce que c’est le prisme par lequel le lecteur comprend l’histoire, déterminant comment le monde romanesque est perçu et le niveau de détail des informations données. Traditionnellement, il y a trois types de focalisations, qui prennent en compte la distribution du savoir entre le narrateur et les personnages. Le premier type est la focalisation zéro, caractérisé par un narrateur omniscient 4(21)
avec un savoir de l’histoire plus complet que celui des personnages. Le narrateur omniscient est « capable comme Dieu lui-même de voir au-delà des conduites et de sonder les reins et les cœurs » (Genette 1983 : 216). Le deuxième type s’appelle la focalisation interne, où le narrateur perçoit les événements comme s’il était un des personnages (la focalisation interne fixe) ou plusieurs des personnages, l’un après l’autre (la focalisation interne variable). Le savoir du narrateur correspond à celui du personnage. Les sentiments, motivations ou pensées du personnage qui perçoit l’histoire sont connus. Cependant, le narrateur ne peut pas savoir les sentiments ou pensées des autres personnages. Le troisième type est nommé la focalisation externe, où le récit semble objectif et le narrateur ne connait pas les sentiments et pensées des personnages (Genette 1983 : 194-195). Genette (1983) remarque cependant que la focalisation est parfois difficile à établir, notamment puisque la focalisation n’est pas toujours constante dans un récit et peut alterner (Genette 1983 : 196-197). 2.5 Le niveau narratif Le niveau narratif se rapporte à qui l’histoire est racontée (à qui parle-t-on ?). Le récit au premier degré, ou au niveau extradiégétique, signifie que le narrateur est extérieur au récit et raconte son histoire au narrataire. Le récit au second degré, ou au niveau intradiégétique, signifie que le narrateur est un personnage dans le premier récit qui raconte son histoire à un autre personnage dans le premier récit. Les récits au second degré sont donc intégrés dans les récits au premier degré (Genette 1983 : 236-237). Une métalepse est une transgression de la limite entre le niveau narratif extradiégétique et le niveau narratif intradiégétique, ou inversement, par exemple quand un narrateur extérieur à l’histoire intervient dans l’intrigue comme s’il était un des personnages (Genette 1983 : 243-244). 5(21)
2.6 La fonction du narrateur La fonction la plus évidente du narrateur est de raconter son histoire, la fonction proprement narrative, la première des cinq fonctions nommées par Genette. La fonction de régie ou métanarrative traite l’organisation interne d’un texte. La fonction de communication consiste en la relation générée lorsque le narrateur s’adresse au narrataire pour créer un contact entre les deux. La fonction testimoniale manifeste le rapport du narrateur vis-à-vis de son histoire, incluant le niveau de certitude. La fonction idéologique du narrateur est plutôt didactique, puisque le narrateur intervient dans l’histoire pour nous expliquer ou justifier les événements (Genette 1983 : 267-269). Reuter identifie encore trois fonctions. La fonction modalisante manifeste les sentiments suscités chez le narrateur par l’histoire. La fonction évaluative est manifestée par le jugement que le narrateur exprime vis-à-vis de ses personnages, l’histoire ou le récit. La fonction explicative, finalement, donne au lecteur des informations nécessaires pour comprendre l’histoire (Reuter 2016 : 42-43). 3 L’analyse des instances narratives 3.1 Le narrateur qui s’adresse au narrataire L’instance narrative où le narrateur s’adresse au narrataire représente le niveau narratif extradiégétique, la tendance dominante dans le roman. Regardons le premier passage du premier chapitre du roman : Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume… Comme tout Malinké, quand la vie s’échappa de ses restes, son ombre se releva, graillonna, s’habilla et partit par le long chemin pour le lointain pays malinké natal pour y faire éclater la funeste nouvelle des obsèques. Sur des pistes perdues au plein de la brousse inhabitée, deux colporteurs malinkés ont rencontré l’ombre et l’ont reconnue. L’ombre marchait vite et n’a pas salué. 6(21)
Les colporteurs ne s’étaient pas mépris : « Ibrahima a fini », s’étaient-ils dit. (Kourouma 1970 : 9) Dans ce passage, la relation est hétérodiégétique, puisque les événements sont observés par un narrateur de l’extérieur. Étant donné que le narrateur s’adresse au narrataire et le récit est au premier degré, il s’agit du niveau narratif extradiégétique. On peut distinguer dans ce passage deux focalisations différentes. L’une est la focalisation interne variable, où la focalisation passe par les personnages, l’un après l’autre. Le narrateur raconte son histoire, à laquelle il ne participe pas, et connait les sentiments, les paroles et les pensées des personnages focaux, qui alternent entre l’ombre de Koné Ibrahima et les colporteurs malinkés. Quant à la fonction du narrateur dans cette instance narrative, la plus évidente est la fonction proprement narrative. La manière de raconter l’histoire ressemble à celle des contes. Par la première phrase « Il y avait une semaine… » (Kourouma 1970 : 9), on nous rappelle les phrases « Il était une fois » ou « Il y a fort longtemps… », qui traditionnellement sont les premières phrases dans les contes. Ensuite, nous sommes tout de suite introduits aux environnements (la capitale) et le premier personnage (Koné Ibrahima), comme c’est habituellement le cas dans les contes. Cependant, il y a aussi une autre focalisation, la focalisation zéro, dans l’intervention du narrateur : « disons-le en malinké » (Kourouma 1970 :9). Le narrateur indique ainsi qu’il lui-même est Malinké, donc bien informé (omniscient) du langage et des proverbes dans la société Malinké, la fonction est donc testimoniale. Une autre fonction importante dans ce passage est celle de communication, qui consiste de la relation générée lorsque le narrateur s’adresse au narrataire pour créer un contact entre les deux, en conformité avec le conteur traditionnel africain. Regardons un autre passage du roman, quelques lignes en dessous de notre première citation : 7(21)
Vous paraissez sceptique ! Eh bien, moi, je vous le jure, et j’ajoute : si le défunt était de caste forgeron, si l’on n’était pas dans l’ère des Indépendances (les soleils des Indépendances, disent les Malinkés), je vous jure, on n’aurait jamais osé l’inhumer dans une terre lointaine et étrangère (Kourouma 1970 : 9). Nous constatons une autre intervention du narrateur au milieu de son histoire sur l’ombre de Koné Ibrahima, au niveau narratif extradiégétique, puisque le narrateur s’adresse au narrataire en forme d’un vous, et la relation est, comme dans l’intervention précédente, hétérodiégétique à la focalisation zéro. Nous avons maintenant constaté l’alternance entre la focalisation interne variable (dans l’histoire racontée) et la focalisation zéro (dans les interventions). L’alternance de la focalisation à zéro dans les interventions du narrateur lui permet l’emploi de plusieurs fonctions, dont Shikora (1982), comme nous, identifie deux liées à l’intervention du narrateur : La fonction testimoniale, puisque le narrateur veut ici nous convaincre qu’il est bien informé des événements, et la fonction de communication, puisque le narrateur tient en compte de la réaction de son auditoire (Shikora 1982 : 814). Le procédé d’alterner la focalisation est alors pertinent pour la fonction du narrateur, comme le fait remarquer aussi Echenim (1978) : On voit donc que le statut du narrateur est dépendant du point de vue de celui- ci. Il est présentateur du récit, orienteur de l'intrigue, et interlocuteur des personnages et du lecteur. La complexité de la structure narrative de l'œuvre et l'originalité de l'écriture proviennent de l'alternance du point de vue qui conditionne la nature et la narration et le niveau du registre linguistique apte à la traduire (Echenim 1978 : 160). Echenim soulève ici plusieurs fonctions du narrateur liées à l’alternance de la focalisation : la fonction proprement narrative (présentateur du récit), la fonction de régie (orienteur de l’intrigue), et la fonction de communication (interlocuteur des personnages et du lecteur). 8(21)
Quant à la fonction de communication, l’intervention du narrateur crée ainsi l’illusion qu’il existe un dialogue entre le narrateur et le narrataire. Il y a une distance du narrateur vis-à-vis le narrataire, d’après l’implication que le narrataire s’oppose à son histoire, jugée être peu probable par le narrataire. Dès la première phrase du roman, nous avons déjà constaté que le narrateur est Malinké. Après cette deuxième intervention du narrateur, c’est aussi évident que le narrataire est présumé être d’origine occidentale, puisqu’il ne connait pas les coutumes malinkés, et parle français, la langue du roman et celle du colonisateur. On nous rappelle plus tard dans le roman que nous ne sommes pas Malinkés, dans le passage suivant : « Mais le sang, vous ne le savez pas parce que vous n’êtes pas Malinké, le sang est prodigieux, criard et enivrant » (Kourouma 1970 : 141). Le fait que le narrataire est présumé d’origine occidentale donne un prétexte au narrateur de donner des explications vivantes tout au long du roman. Nous avons identifié plusieurs fonctions du narrateur liées à l’alternance de la focalisation. On peut ainsi distinguer encore deux : la fonction idéologique, où le narrateur intervient dans l’histoire avec une explication ou justification, et la fonction modalisante qui manifeste les sentiments du narrateur par rapport à l’histoire. Regardons la citation suivante : « si l’on n’était pas dans l’ère des Indépendances (les soleils des Indépendances, disent les Malinkés), je vous jure, on n’aurait jamais osé l’inhumer dans une terre lointaine et étrangère » (Kourouma 1970 :9). Nous abordons ici le thème central du roman, le postcolonialisme, et le narrateur nous explique avec indignation que les anciens rites des Malinkés des funérailles ne sont plus respectés dans l’ère des Indépendances. Grâce aux sentiments exprimés par le narrateur, nous avons déjà commencé à prendre conscience des problèmes posés par les indépendances. 9(21)
3.2 Proverbes, comparaisons et devinettes Examinons maintenant les proverbes, les comparaisons et les devinettes, qui sont au cœur du roman et qui représentent un autre moyen narratif. Quelle est la fonction de ce procédé ? La fonction explicative est l’une, soulevée par Echenim, qui souligne que les proverbes, les comparaisons et les devinettes sont des éléments de l’oralité qui donne plus de dimension au récit (Echenim 1978 : 148), tandis que Shikora (1982) remarque que la fonction des proverbes, comparaisons et métaphores est de visualiser l’intrigue, et jouent un rôle important pour réduire la distance entre l’auteur et le lecteur (Shikora 1982 : 816), ce qui est la fonction de communication. Commençons avec les proverbes, dont la définition est la suivante : « Court énoncé exprimant un conseil populaire, une vérité de bon sens ou une constatation empirique et qui est devenu d'usage commun » (Larousse 2021). L’emploi des proverbes est donc une manière d’exprimer son appartenance culturelle et sert à plusieurs fonctions narratives, dont les fonctions explicative et communicative sont déjà identifiées. Chacun des onze chapitres du roman ont un titre qui ressemble à un proverbe, ce qui nous place dans un contexte culturel. D’ailleurs, la première phrase du roman contient un proverbe, comme nous avons déjà vu dans la section précédente, pour décrire la mort, donc la fonction explicative : « Il y avait une semaine qu’avait fini dans le capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume… » (Kourouma 1970 : 9). Nous avons vu que les proverbes servent à la fonction narrative, mais quelle est l’instance narrative ? Dans le passage ci-dessus « il n’avait pas soutenu un petit rhume », la relation du narrateur à l’histoire est hétérodiégétique et la focalisation passe par le narrateur, donc la focalisation zéro, puisque sa perception n’est pas limitée par la perception d’un personnage. Le personnage ici est mort ; c’est ainsi impossible pour lui de percevoir. Le narrateur connait ce que disent les Malinkés après sa mort. Dans 10(21)
le passage qui suit, la focalisation change cependant à interne variable, quand l’ombre du décédé commence à participer dans les événements. Le niveau narratif de la citation est extradiégétique, puisque le narrateur s’adresse au narrataire pour souligner à la même fois que le personnage qui est Koné Ibrahima est mort, mais aussi que le narrateur fait partie d’une communauté Malinké. Les descriptions jouent un rôle important pour la fonction explicative du récit, encore visualisées et enrichies par l’emploi des comparaisons. Echenim (1978) a fait la même observation, que les descriptions du roman contribuent à la fonction explicative, puisqu’ils donnent plus d’information et facilitent la compréhension de l’histoire, les croyances, la mythologie et la culture. Il souligne aussi que la fonction explicative est si bien intégrée dans le récit, qu’il faut être attentif pour les dénicher (Echenim 1978 : 149). Nous savons déjà que le narrateur présuppose que le lectorat du roman est probablement non- malinké. C’est parfois prononcé, comme dans l’intervention du narrateur : « Vous n’êtes pas Malinké » (Kourouma 1970 : 141), et parfois implicite : « Qui n’est pas Malinké peut l’ignorer » (Kourouma 1970 : 13). Les descriptions de l’environnement, des coutumes ou des habitudes sont ainsi indispensable pour la compréhension. Dans l’argumentation de Niang, un trait dans le roman est d’affirmer la culture malinkée par l’emploi du comparatif « comme » et l’usage des métaphores (Niang 2010 : 103), ce que nous constatons dans le passage suivant : « Avez-vous déjà couché sur un tara ? Il grince, greint comme si vous rouliez dans les feuilles mortes d’un sous-bois en plein harmattan » (Kourouma 1970 : 152). Cette citation montre un autre exemple d’une intervention du narrateur. La relation est hétérodiégétique à la focalisation zéro, puisque le savoir du narrateur ne se limite pas au savoir d’un personnage. Le niveau narratif est extradiégétique, puisque le narrateur s’adresse directement au narrataire, qui a besoin d’une explication à cause de son statut non-malinké. Avec l’emploi des 11(21)
comparaisons, nous voyons ici un exemple de la fonction explicative bien intégrée, où le but n’est pas seulement d’expliquer la signification d’un tara, mais aussi de parvenir à une meilleure compréhension des caractéristiques climatiques subsaharien. Un autre exemple des comparaisons traite les conséquences négatives des indépendances pour Fama : Les soleils des Indépendances s’étaient annoncés comme un orage lointain et dès les premiers vents Fama s’était débarrassé de tout […] Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur l’Afrique à la suite des soleils de la politique. Fama avait comme le petit rat de marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les Indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches (Kourouma 1970 : 24). Ici, le narrateur exprime son jugement vis-à-vis des événements politiques avec un langage imaginé, et il devient claire pour le lecteur ou la lectrice ce que le narrateur pense des événements, ce qui est appelé la fonction évaluative. Grâce à l’emploi des comparaisons, on nous introduit en même temps aux phénomènes météorologiques, aux organismes nuisibles et aux autres animaux de la région. Puisque le langage est tellement vivant et visuel, les descriptions et comparaisons jouent un rôle important pour réduire la distance entre l’auteur et le lecteur, comme le remarque Shikora (1982 : 816). Il y a alors une autre fonction dans ce passage, celle de communication. Les devinettes servent au même but, la fonction communicative, comme dans les passages suivants : « La suprême injure qui ne se presse pas, ne se lasse pas, n’oublie pas, s’appelle la mort » (Kourouma 1970 : 81). « Un aveugle, que pouvait-il y voir ? Rien. Un vieillard aux jambes gonflées de douleurs, quand pouvait-il arriver avec lui ? Peut-être au soleil couchant » (Kourouma 1970 : 114). Les devinettes servent à créer un lien entre le narrateur et le narrataire grâce à l’illusion de dialogue qu’ils créent, et aussi de susciter de l’intérêt chez le narrataire. Dans cette citation, la relation est encore hétérodiégétique à la focalisation zéro, au niveau extradiégétique. 12(21)
3.3 Le narrateur qui s’adresse à un personnage Nous avons vu les interventions du narrateur au niveau narratif extradiégétique, où il s’adresse au narrataire pour expliquer, justifier ou évaluer un développement de l’intrigue, mais sans participer dans les événements. Nous allons maintenant aborder un autre type d’intervention du narrateur, où il s’adresse à un des personnages comme s’il était lui-même un personnage. Regardons un exemple où Fama assiste aux funérailles de Koné Ibrahima : « Diminué par la honte et le déshonneur, comment pouvait-il rester ? D’ailleurs c’était sans regret ; la cérémonie avait dégénérée en jeu de cynocéphales. Alors laissons les singes se mordiller et se tirer les queues » (Kourouma 1970 : 18). Le niveau narratif dans le passage « Alors laissons les singes… » est intradiégétique, puisque le narrateur s’adresse à un des personnages, Fama, avec un nous, comme s’il était lui-même un personnage. Le narrateur se considère ainsi comme participant à l’histoire, ce qui donne lieu à une relation du narrateur à l’histoire homodiégétique. Quant à la focalisation, c’est difficile de savoir si les sentiments sont exprimés par le narrateur ou par Fama, mais on peut assumer que la focalisation est interne, puisque le narrateur connait les sentiments de Fama comme s’il était lui. Au moins trois fonctions du narrateur peuvent être distinguées dans ce passage. La fonction communicative est la plus évidente, vu que le narrataire est susceptible de se sentir comme faisant partir de ce « nous », qui fonctionne alors comme un lien entre le narrateur et le narrataire. L’expression dérogatoire « les singes » montre les sentiments de Fama, et peut-être du narrateur, envers les autres personnages, ce que nous mène à la fonction évaluative. Nous voulons aussi attirer l’attention à la fonction de régie, où le passage fonctionne comme une connexion du chapitre suivant, puisque Fama quitte les funérailles et se déplace dans la rue. 13(21)
Tout au long du roman, le narrateur fait des inventions où il s’interrompt dans son histoire et s’adresse aux personnages, surtout à Fama dès la deuxième partie du roman, comme dans ces deux citations : Fama était agacé par l’insomnie et se reprocha de ne pas profiter de la veille pour penser à son sort. Réfléchis à des choses sérieuses, légitime descendant des Doumbouya ! Le dernier Doumbouya ! Es-tu, oui ou non, le dernier, le dernier descendant de Soleymane Doumbouya ? Ces soleils sur les têtes, ces politiciens, tous ces voleurs et menteurs, tous ces déhontés, ne sont-ils pas le désert bâtard où doit mourir le fleuve Doumbouya ? Et Fama commença de penser à l’histoire […] (Kourouma 1970 : 96-97). Fama se fâchait. Il n’aimait pas le secrétaire général du parti. Bâtard de bâtardise ! Malheur des soleils des Indépendances ! Mais attention, Fama ! le jour du jugement il faut te contrôler, dire les choses posément, dire, par exemple, que tu ne savais pas qu’il fallait raconter au secrétaire les rêves funestes, ou bien prétendre que tu avais chargé le ministre Nakou de le rapporter. Dans tous les cas, Nakou ne pouvait pas te contredire : il était mort et enterré. Fama murmurait ainsi, des jours et des nuits, ce qui allait être sa défense ; il le murmurait encore, lorsqu’un matin il fut convoqué chez le juge (Kourouma 1970 : 166-167). Les deux citations suivent la même tendance. Au début de la citation, il y a une relation hétérodiégétique où le narrateur raconte l’histoire de l’extérieur, au niveau narratif extradiégétique, jusqu’à l’intervention du narrateur où il s’adresse à Fama comme s’il était un personnage, c’est-à-dire de l’intérieur. La relation change ainsi à la relation homodiégétique et le niveau narratif à intradiégétique. Ensuite, vers la dernière phrase de la citation, la relation redevient hétérodiégétique au niveau extradiégétique. Nous constatons ici une métalepse, une transgression de la frontière entre intra- et extradiégétique, puisqu’un narrateur extradiégétique parle avec un personnage intradiégétique. Le narrateur s’adresse d’abord au narrataire, ensuite parle comme s’il était un 14(21)
des personnages et s’adresse au personnage. Par conséquent, il existe un double statut du narrateur, ce que constate aussi Echenim (1978) : [Le narrateur] d'une part, il est extérieur au récit ; il nous donne les impressions des personnages, il les décrit d'une manière objective, il comprend les motivations de leurs actes, et il porte un jugement sur ceux-ci ; d'autre part, il est intérieur au récit, il s'assimile aux personnages, il dialogue avec eux (Echenim 1978 : 158). Tout au long du roman, la relation du narrateur à l’histoire est parfois difficile à établir. Echenim (1978) souligne que ce n’est pas toujours évident qui soutient une réflexion, un jugement ou un discours dans le roman, puisque l’identification linguistique du narrateur avec ses personnages se situe au niveau du discours ainsi qu’au niveau du récit, puisque le narrateur adopte le langage des personnages. Les expressions de Fama reviennent tout au long du roman : des « bâtards des bâtardises », des « bâtardises des Indépendances », des « fils des bâtards », « fils d’esclaves », et devient aussi le langage du narrateur (Echenim 1978 : 158). Dans le passage suivant, la paternité du discours reste incertaine : « Bâtard de bâtardise ! lui ! lui Fama, descendant des Doumbouya ! bafoué, provoqué, injurié par qui ? Un fils d’esclave » (Kourouma 1970 : 17). Est-ce que le discours est prononcée par Fama ou par le narrateur ? Si la déclaration passe par Fama, la relation est homodiégétique, puisqu’il est participant dans les évènements, et le niveau narratif est intradiégétique puisqu’il se parle à lui-même, c’est-à-dire un des personnages. Si, par contre, la déclaration passe par le narrateur, la relation est hétérodiégétique, puisque le narrateur est à l’extérieur du récit, est le niveau narratif est extradiégétique, puisque le narrateur parle au narrataire. La focalisation est interne dans les deux cas, puisque celui qui perçoit est Fama. La fonction est surtout explicative, puisque le personnage principal est introduit au narrataire. 15(21)
3.4 Le procédé de question-réponse A travers du roman, le narrateur utilise le procédé de question-réponse, c’est- à-dire des questions posées par le narrateur où il répond à sa propre question. Comme remarqué par Echenim (1978), le procédé de « question-réponse » est un moyen narratif pour introduire des nouveaux éléments ou motifs dans l’intrigue, ou pour donner plus de renseignements sur les personnages. (Echenim 1978 : 141), ce qui constitue la fonction narrative et la fonction explicative. Shikora (1982) identifie encore d’autres fonctions du procédé des questions rhétoriques : pour attirer l’attention de l’auditoire par piquer leur intérêt et créer une instantanéité (Shikora 1982 : 815), alors la fonction de communication. L’introduction de Fama est en forme de question-réponse. Ses sentiments envers les autres personnages sont évidents dans le passage suivant : « Bâtard de bâtardise ! lui ! lui, Fama, descendant des Doumbouya ! bafoué, provoqué, injurié par qui ? Un fils d’esclave » (Kourouma 1970 : 17). Nous voyons dans la citation une certaine confusion quant à la paternité des déclarations. Est-ce que c’est le narrateur ou Fama qui parle ? La citation donne l’impression que Fama parle à lui-même en forme de monologue interne. Dans ce cas, la relation est homodiégétique, étant donné que le narrateur (Fama) est à l’intérieur du récit, à la focalisation interne, puisque les sentiments du personnage sont connus. Le niveau narratif est intradiégétique, attendu qu’il parle à un personnage, lui-même. Le procédé de question-réponse sert à la fonction de communication, parce qu’il forge une illusion d’un dialogue entre narrateur et narrataire. La fonction est aussi évaluative, ce qui est évident par le choix de paroles avec une connotation négative comme « bâtard » et « fils d’esclave ». Regardons encore quelques exemples du procédé de question-réponse : « Mais alors, qu’apportèrent les Indépendances à Fama ? Rien que la carte d’identité nationale et celle du parti unique » (Kourouma 1970 : 25); et « le 16(21)
parti unique, le savez-vous ? ressemble à une société des sorcières, les grandes initiées dévorent les enfants des autres » (Kourouma 1970 : 24). Celui qui parle ici est le narrateur d’une relation hétérodiégétique à la focalisation interne, selon la perspective de Fama. Puisque le narrateur s’adresse au narrataire, le niveau narratif est extradiégétique. La fonction est communicative, explicative, mais aussi évaluative, surtout dans la deuxième citation, étant donné les paroles vives comme « une société de sorcières ». 3.5 Le rêve Dans l’argumentation d’Echenim, l’importance du rêve prophétique pour la fonction proprement narrative est cruciale pour l’intrigue du roman, puisque le rêve permet un développement spectaculaire des événements (Echenim 1978 : 145). Le rêve de Fama, où il soulève les problèmes politiques du régime, contribue à son arrestation. Après d’avoir raconté son rêve au juge, où Fama demande à Nakou, l’adversaire politique du président, de tuer un bœuf, Fama est arrêté, ce qui représente un tournant dans le roman. Regardons le passage du roman où le juge demande à Fama de raconter son rêve : Le juge d’instruction coupa net, indiqua à Fama la salle de torture où on savait faire parler. […] Fama devait s’expliquer au sujet du rêve et du sacrifice ; du rêve pour lequel Bakary avait été un émissaire. Oui ! C’était vrai ! Fama avait rêvé […] un rêve concernant Nakou. Oui, il en avait parlé à Bakary (Kourouma 1970 :163-165). Dans ce passage, la relation du narrateur à l’histoire est hétérodiégétique, puisque le narrateur ne participe pas aux événements. D’abord, le narrateur raconte l’histoire d’une façon objective, comme s’il était un témoin, donc à la focalisation externe. Le passage « Oui ! C’était vrai ! » crée une confusion quant à la focalisation. Si ce passage représente un monologue interne de Fama, la focalisation est maintenant interne, puisque les événements sont analysés de l’intérieur d’un personnage. Si, par contre, c’est un discours de Fama, la focalisation puisse encore être externe, donc observés de l’extérieur. 17(21)
Le niveau narratif est intradiégétique, car les personnages parlent l’un à l’autre. Regardons le passage suivant, où Fama raconte son rêve au juge : D’abord une atmosphère, le spectacle d’un après-midi de feu de brousse d’harmattan. Des reptiles. Serpents ou caïmans ? Fama ne le distinguait pas […] De la fumée lointaine où il disparut émergea une femme […] elle poursuivit : « Dis à Nakou de tuer un bœuf en sacrifice et… » […] Fama se réveilla pétrifié […] Fama raconta une deuxième fois son rêve (Kourouma 1970 : 163-165). Il y a plusieurs instances narratives dans le passage ci-dessus. Le niveau narratif est intradiégétique, puisque Fama raconte son rêve, récit au second degré, au juge, un autre personnage. La relation du narrateur (Fama) à l’histoire est homodiégétique, puisqu’il est participant dans les événements, à la focalisation interne, puisque la perspective passe par Fama. Ce qui est surtout intéressant dans le passage est la situation où un autre personnage (la femme) parle à Fama et devient narrateur au récit second. La femme, qui participe dans les événements, est homodiégétique à la focalisation interne. Regardons une autre citation du roman, à propos du rêve comme moyen narratif : « Rien n’arrive sans s’annoncer : la pluie avertit par les vents, les ombres et les éclairs, la terre qu’elle va frapper ; la mort par les rêves, l’homme qui doit finir » (Kourouma 1970 : 154). Ainsi que le montre Echenim, ceci est exactement le cas pour Fama, pour qui la nature de sa mort est révélée dans un rêve délirant (Echenim 1978 : 146). Le rêve sert ainsi au narrateur d’accéder la fonction narrative, ou celle de régie. 4 Conclusions Le roman africain Les soleils des indépendances attire l’attention à cause de son style narratif, caractérisé par l’interaction entre un conteur et son auditoire. Dans ce mémoire, qui se base surtout sur les théories de Gérard Genette et ses 18(21)
concepts de la relation du narrateur à l’histoire, la focalisation, le niveau narratif et les fonctions du narrateur, nous analysons les instances narratives suivantes : Le narrateur qui s’adresse au narrataire, les proverbes, comparaisons et devinettes, le narrateur qui s’adresse à un personnage, le procédé de question-réponse et le rêve. Quant à l’instance narrative où le narrateur s’adresse au narrataire, la relation est typiquement hétérodiégétique et le niveau narratif extradiégétique. Nous avons montré l’alternance de la focalisation et son importance pour la fonction du narrateur. La focalisation interne variable, la tendance dominante dans l’histoire racontée, sert surtout à la fonction du narrateur proprement narrative. Cependant, l’étude montre que grâce à l’alternance à la focalisation zéro dans les interventions, le narrateur peut accéder à plusieurs autres fonctions, comme la fonction de communication, la fonction testimoniale, la fonction de régie, la fonction idéologique et la fonction modalisant. Nous pouvons constater que les proverbes, comparaisons et devinettes sont un autre moyen narratif au cœur du roman, où le narrateur omniscient, extérieur du récit, parle au narrataire. La relation est donc hétérodiégétique à la focalisation zéro au niveau narratif extradiégétique. Ce moyen narratif sert surtout aux fonctions explicatives, communicatives et évaluatives. L’emploi des comparaisons pour expliquer et évaluer les développements, les personnages et les environnements est cruciale pour la compréhension, étant donné que le narrataire est non-malinké, tandis que les devinettes sont importantes pour la fonction de communication, car ils donnent l’illusion que le narrateur parle directement au narrataire sous forme de conversation. Nous distinguons encore une instance narrative dans les interventions où le narrateur s’adresse à un personnage comme s’il était lui-même un personnage, ce qui représente la relation homodiégétique du narrateur à l’histoire. La focalisation est interne, puisque le narrateur s’identifie avec ses personnages et perçoit l’histoire comme s’il était eux. Cependant, il existe une 19(21)
confusion quant à la paternité de certains discours, en conséquence, la relation du narrateur est parfois difficile à établir. Dans certains passages, il y a une métalepse, une transgression de la frontière entre intra- et extradiégétique, puisqu’un narrateur extradiégétique parle avec un personnage intradiégétique. Notre étude montre que la même incertitude concernant la paternité d’un discours existe dans le procédé de question-réponse, où le narrateur se pose des questions et donne les réponses. Ce moyen narratif s’utilise surtout pour introduire des nouveaux éléments ou motifs dans l’intrigue, ou pour donner plus de renseignements sur les personnages, ce qui représente surtout la fonction de communication, parce qu’il forge une illusion d’un dialogue entre narrateur et narrataire. L’étude révèle aussi l’importance du rêve prophétique pour la fonction proprement narrative. Puisque la parole passe au personnage principal pour raconter son rêve, la relation est homodiégétique à la focalisation interne, et le niveau narratif est intradiégétique. Finalement, pour encore approfondir cette étude des instances narratives du roman, ce sera intéressant d’envisager une analyse plus complexe des possibles narratifs et tenir compte de la position temporelle, c’est-à-dire la narration ultérieure, antérieure et simultanée, ainsi que les paramètres d’ordre, de vitesse et de fréquence. 5 Bibliographie CHEVRIER, Jacques (2008) : La littérature africaine, Paris : Librio ECHENIM, Kester (1978) : « La structure narrative de « Soleils des Indépendances », Présence Africaine, 3e trimestre 1978, no. 107 (3e trimestre 1978), pp. 139-161, Paris : Présence Africaine Editions, https://www-jstor- org.proxy.lnu.se/stable/24350199?seq=4#metadata_info_tab_content s, consulté le 26 novembre 2021. 20(21)
EGUEH, Hayat (2016) : Étude comparative entre le français ivoirien et le français algérien dans les livres Les soleils des indépendances et Les agneaux du seigneur. Master-uppsats, Linnéuniversitetet/Institutionen för språk Une semaine en Afrique (2011) « Episode 1 : Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma », émission de Laure Egoroff, France Culture, 27/07/2011, https://www.franceculture.fr/emissions/un-ete-de- lectures-ete-14/une-semaine-en-afrique-les-soleils-des- independances-dahmadou-2 (consulté le 17 novembre 2021) GENETTE, Gérard (1983) : Discours du récit, Paris : Éditions du Seuil. LAROUSSE (2021) Proverbe. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/proverbe/64642, consulté le 7 décembre 2021 KOUROUMA, Ahmadou (1970) : Les soleils des indépendances, Paris : Éditions du Seuil. NIANG, Mouhamédoul A (2010) : « Déconstruction et renouveau esthétique : une exégèse narratologique de l’hybride et de la traduction dans Les Soleils des indépendances et Solibo Magnifique », Alternative Francophone vol.1.1, 3, 95-106, http://ejournals.library.ualberta.ca/index.php/af, consulté le 5 décembre 2021 REUTER, Yves (2016) : L’analyse du récit, Malakoff : Armand Colin. SHIKORA, Rosemary G (1982) : « Narrative voice in Kourouma’s Les Soleils des indépendances », The French review, May 1982, vol 55, No. 6, Literature and Civilization of Black Francophone Africa (May 1982), pp. 811-817, Marion : American Association of Teachers of French, https://www-jstor-org.proxy.lnu.se/stable/390647, consulté le 26 novembre 2021. TOYO, Adebayo (1996) : « Carnavalisation et dialogisme dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma », Francophonia No. 30 (Primavera 1996, pp. 99-111, Casa Editrice Leo S. Olschki s.r.l., https://www.jstor.org/stable/43015967, consulté le 6 décembre 2021 21(21)
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