Les jeunes Bruxellois : de nouvelles pratiques professionnelles ? - Question Santé A.S.B.L.
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Périodique trimestriel, parait en mars, juin, septembre, décembre N° 85 Janv.- Fév.- Mars. 2017 ISSN 1371 - 2519 Les jeunes Bruxellois : de nouvelles pratiques professionnelles ? En direct de ... Être jeune à Ixelles aujourd'hui Colloque Les débordements de la santé mentale Accès au logement Les Community Land Trust 2VFTUJPO4BOUnBTCMSVFEV7JBEVD#SVYFMMFT1
sommaire En direct de... Être jeune Sous l'impulsion de la Concertation ixelloise de la jeunesse, un groupe de travail, encadré à Ixelles aujourd'hui 3 par le Pr Abraham Franssen (FUSL), a été mis sur pied afin d'élaborer un diagnostic de sa jeunesse. Le rassemblement du point de vue d'une trentaine de jeunes, entre 12 et 25 ans, au sein de la brochure « Être jeune à Ixelles », permet d'envisager les enjeux les concernant vis-à-vis de l'école, du travail, de l'espace public et de leur avenir. Dossier Les jeunes Bruxellois : Le constat d'une précarité vécue par un nombre croissant de jeunes Bruxellois est désor- mais bien établi. Il amène nombre de professionnels, tous horizons confondus, à question- de nouvelles pratiques 6 ner leurs pratiques et les façons d'entrer en contact avec des publics de jeunes. Au travers professionnelles ? de trois événements, organisés en région bruxelloise, à destination de travailleurs des secteurs santé, social et éducatif, le dossier se penche sur les problématiques identifiées et sur des clés d'action en soutien à l'éducation et/ou l'accompagnement de jeunes. Santé mentale Un colloque pour relancer La ligue bruxelloise francophone de santé mentale organisait en octobre 12 un colloque consacré aux « débordements ». Les questionnements des ac- collectivement la subjectivité teurs confrontés à une nouvelle donne en matière d'accompagnement de personnes en souffrance psychique résonnent particulièrement face à certai- nes des préoccupations d'autres acteurs des sphères socio-sanitaires. Du côté de chez... « Drink different », un projet Sous l'impulsion de la Cocof, Modus Vivendi développe depuis trois ans un projet de réinterrogeant la consommation réduction des risques visant la consommation d'alcool dans les milieux estudiantins 14 bruxellois. Les résultats de l'enquête quantitative ainsi que les développements concrets d'alcool en milieu étudiant conçus en partenariat avec les acteurs concernés sont présentés. Community Land Trust A Bruxelles, l'accès au logement reste problématique pour les familles Un dispositif au service à faible revenu. Les Community Land Trust constituent une forme de de l'accès au logement pour 15 dispositif, ayant une forte composante collective et visant à solutionner les familles à faibles revenus ce problème. Echos des politiques 18 Nos élus au Parlement de la Commission communautaire française nous parlent de : la prise en charge des personnes en situation de « Double diagnostic » ; l'état de la pauvreté infantile en région bruxelloise ; les mesures de gestion de la pollu- tion de l'air ; la nouvelle structure IRISCARE ; et le transport médico-sanitaire. Photo de couverture © Fotolia - Yanlev Rédaction Comité de pilotage Graphisme Avec le soutien de Une réalisation de l’asbl Question Santé Pascale Anceaux Gaëlle Amerijckx Carine Simon Tél.: 02/512 41 74 Fax: 02/512 54 36 Anoutcha Lualaba Lekede Dr Murielle Deguerry E-Mail : info@questionsante.org Marie-Hélène Salah Jacques Moriau Editeur responsable http://www.questionsante.org Régis Verhaegen Patricia Piron B. Taeymans, Bernadette Taeymans 72 rue du Viaduc - 1050 Bruxelles 2 Bruxelles Santé 85
En direct de ... Être jeune à Ixelles aujourd’hui : enquête Dans le cadre du label « Commune Jeunes Admis », la Concertation ixelloise de la Jeunesse a souhaité établir un diagnostic de sa jeunesse, afin d’en tirer des orientations pour l’avenir. L’enquête a été menée par un groupe de travail de la Concertation, encadré par le professeur Abraham Franssen des Facultés Universitaires Saint-Louis (FUSL). Trente jeunes ont été interviewés par des travailleurs des services et associations de la Concertation. L’essentiel de ces in- terviews a été repris dans « Être jeune à Ixelles », une brochure éditée fin 2016. Son contenu s’articule autour de quatre axes : l’école, le travail, l’espace public et l’avenir. Qu'entend-on par « jeunesse » ? D’en- point de vue est partagé quel qu'ait été le elle, comme pour d’autres jeunes témoi- trée de jeu, Abraham Franssen1 souligne parcours scolaire. « Cette importance est gnant d’une scolarité favorable, la cerise « qu’entre autonomie plus précoce et in- liée tout d’abord à la place qu’elle a dans sur le gâteau c'est la possibilité de voya- dépendance plus tardive, la “jeunesse” leur vie quotidienne, occupant la majeure ger avant d’intégrer une université ou une est désormais cette période de la vie qui partie de leur temps, débordant large- haute école (voir encadré page suivante). s’allonge de la (pré)-adolescence à l’en- ment le temps scolaire proprement dit, trée, parfois tardive et réversible dans déterminant leur sociabilité, leurs réseaux À l’opposé du parcours de Léa, on peut ci- le “statut” d’adulte »2. Dans le panel des d’amis, mais aussi à la conscience qu’ils ter celui en zig zag de Prince (21 ans). Il ne jeunes rencontrés, on retrouve ainsi aussi partagent tous sans exception de l’im- faut surtout pas y voir un désintérêt pour bien des jeunes ayant une dizaine d’an- portance de leur parcours scolaire pour l’école. « C’est parce qu’il y attache de nées (12 ans, 15 ans, etc.) que ceux de la “réussir leur vie”. Hors de l’école, point l’importance qu’il en ressent tant de frus- vingtaine (21 ans, 22 ans, voire 25 ans). de salut social. »4 Au-delà de ce dénomi- tration »5. Ce sentiment découle de son Ces jeunes interviewés ne constituent nateur commun, l'expérience diffère d’un expérience de la relégation et de réorien- toutefois pas un échantillon représentatif jeune à l’autre. Pour quelques-uns, l’école tations subies. Au moment de l'interview, au sens statistique ou sociologique. Pour constitue un espace d’épanouissement, Prince en était à sa troisième école secon- la plupart, il s’agit de jeunes en contact rencontrant ainsi le premier objectif des daire, en 6ème professionnelle, dans une fi- avec les services et associations actifs missions de l’école secondaire en Fédé- lière ne l’intéressant pas et ne correspon- au sein de la Concertation ixelloise de la ration Wallonie-Bruxelles : « Favoriser le dant nullement à ce qu’il voudrait faire Jeunesse3. S’il fallait brosser un rapide plein épanouissement de chaque jeune ». plus tard. Lui souhaitait intégrer une école portrait de cette « bande de jeunes », on Ainsi pour Léa (25 ans), qui au moment de de foot à Mouscron. Mais, celle-ci étant dirait qu’ils sont plutôt issus de milieux l’enquête venait de terminer ses études loin, il a longtemps cherché avant de tom- populaires, notamment au regard de la universitaires, la scolarité a plutôt été une ber par hasard sur l'établissement sco- situation socio-professionnelle de leurs expérience heureuse puisqu’elle confie : laire où il est actuellement. Il pense aussi parents (chauffeur de taxi, ouvrier, in- « Cela a toujours roulé à l’école ». Elle a n’avoir pas bénéficié de bons conseils, firmière, femme au foyer, sans emploi, fréquenté le même établissement scolai- dans le sens où son école ne pratique pas etc.). Quelques-uns sont fils ou filles d’in- re, de la maternelle à la rhéto. Ayant fré- de suivi individualisé des élèves. Avec le dépendants ou d’universitaires. La moitié quenté une école à pédagogie active, elle recul, il s’attribue également une part d’entre eux sont issus de l’immigration, se souvient surtout d’avoir été très libre de responsabilité dans cette scolarité en que celle-ci soit ancienne ou récente. dans le choix des matières à étudier. En dents-de-scie. Il en résulte en tout cas un a résulté un intérêt pour les enseigne- désenchantement certain. Ce désenchan- ments, une maîtrise des codes permet- tement « s’exprime à partir du moment Perceptions de l’école tant une grande autonomie, le sentiment d’être reconnue et d’être actrice de sa où l’école secondaire, une fois ouverte à tous, a développé en son sein des méca- Pour les jeunes rencontrés, l’importance scolarité. Dans son cas, poursuivre par des nismes d’orientation par l’échec plutôt centrale de l’école ne fait nul doute. Ce études universitaires allait de soi. Pour que par la réussite, de réorientation des fi- Bruxelles Santé 85 3
lières réputées fortes vers les filières répu- conseils de leur famille, ils « se disent par- supérieur et universitaire que d’autres tées faibles, plutôt que d’orientation posi- fois “perdus” et se sentent souvent isolés communes bruxelloises » et possède tive vécue comme une ascension scolaire dans le labyrinthe du système scolaire »8. « comparativement à d’autres communes et sociale. Une partie des jeunes intériori- un plus bas taux de chômage des jeunes, sent alors l’échec et la scolarité devient même si celui-ci reste élevé ». Il faut enco- pour eux une expérience subjective néga- L’avenir : morceaux choisis re souligner qu’entre jeunes, il existe des tive »6. inégalités importantes selon le sexe, la À la question, « comment imagines-tu ta si- nationalité, le diplôme… Ce constat n’est Bien d’autres questions ont été adressées tuation dans trois ans ? Et dans dix ans ? », pas neuf puisque, au cours des vingt-cinq en vue d’établir le diagnostic évoqué au deux tendances se dégagent : il y a ceux qui dernières années, différentes mesures et début : comment ces jeunes Ixellois se veulent « bouger de pays », « partir faire le initiatives ont été prises par les pouvoirs sentent au sein de leur école, ce qui leur tour du monde avec mon sac à dos », etc., publics en vue de combattre le chômage plaît et déplaît, les professeurs... À pro- et ceux qui parlent d’abord d'un métier (par des jeunes, et particulièrement celui des pos de ces derniers, il faut souligner que exemple, être médecin, travailler dans la jeunes peu qualifiés. À cela s'ajoute la « dans l’expérience scolaire des élèves, commune d’Ixelles ou comme puéricultrice). mobilisation des partenaires sociaux ou surtout pour ceux qui sont les plus fragi- D’autres encore veulent continuer leurs acteurs associatifs tels qu’Actiris, les Mis- lisés, c’est dans la relation avec les profs études pendant que certains peinent à se sions Locales, les Maisons de jeunes, les que se joue le rapport à l’école, négative- projeter dans l'avenir. Et à l’interrogation, AMO, etc. Il est certes beaucoup question ment et parfois positivement »7. Ainsi en « Qu’est-ce que ça veut dire pour toi : devenir de travail, mais celui-ci est-il toujours im- est-il de Yasmine (13 ans) qui mentionne adulte ? », la plupart des jeunes interviewés portant pour les nouvelles générations ? ces professeurs qui ne laissent pas par- parlent des responsabilités à assumer (« se En effet, dans le modèle culturel de la so- ler leurs élèves, ne font que crier, ont débrouiller sans les parents », « être auto- ciété industrielle, le travail était la valeur toujours raison parce qu’ils sont profes- nome sans le CPAS », « prendre conscience centrale. Or de nombreux sociologues seurs, ne donnent pas bien cours. Elle cite des difficultés du monde… », « s’occuper de ont mis en évidence la fin de ce modèle comme exemple le cours de mathémati- donner le bon exemple aux générations à culturel. Dans celui-ci, le travail est consti- ques, quelque peu problématique pour venir », etc.). Et puis, il y a cette réponse tutif de l’identité de l’individu et est une elle. Depuis que le professeur a changé, quelque peu décalée de Bilal (25 ans) : source de fierté. « C’est aussi un modèle explique-t-elle, elle commence à aimer « En fait sur papier, je suis adulte mais dans qui valorise la stabilité de l’emploi et qui les maths. Le nouvel enseignant explique ma tête, je suis encore jeune parce que se caractérise par la croyance dans le pro- bien, « il prend la chose de manière hila- je profite de la vie, je profite de ces mo- grès individuel et collectif (…) »9 Or, les rante ». Comme Yasmine, plusieurs jeu- ments et je ne veux pas que ça se termine. » jeunes qui ont actuellement 20 ans n’ont nes témoignent que le bon prof est celui jamais connu ce modèle. Faut-il en conclu- qui « explique super bien », « qui laisse le re que la valeur travail leur importe peu ? jeune parler et poser des questions », etc. Non, puisqu'aucun des jeunes rencontrés n’envisage de ne pas travailler. Pour les Face aux exigences scolaires, l’importan- Travail, emploi : oui, plus jeunes, pour qui cette question est ce de bénéficier d’un soutien est évoquée. mais… encore floue, la vie professionnelle future Celui-ci est en premier lieu moral, c’est-à- n’en demeure pas moins une préoccu- dire que leurs parents et leur famille les pation. Celle-ci « sous-tend le stress des soutiennent dans leurs études et leurs Aborder la question des jeunes et du études, la crainte de l’échec, les dilemmes choix. Ce soutien est également d'ordre travail amène inévitablement à évoquer et les choix, parfois contraints, de leurs pratique et pédagogique. Les jeunes in- le chômage des jeunes et leurs difficul- orientations d’études. Pour ceux qui ter- terrogés apprécient et valorisent ainsi tés à s’insérer sur le marché de l’emploi. minent leurs études ou les ont terminées, les activités de remédiation, la disponi- À Bruxelles, leur accès au travail et à avec ou sans diplôme, l’accès à l’emploi bilité de certains enseignants. Et quand l’emploi s’avère particulièrement ardu : est à la fois une aspiration concrète, vécu ce soutien ne peut leur être apporté au parmi les jeunes de 18 à 24 ans, ils sont entre optimisme volontariste et peur du sein de la famille ou l'école, ils peuvent près d'un sur trois à être au chômage déclassement. L’accès à l’emploi est éga- s’adresser aux associations de jeunesse. et nombreux seront ceux qui feront lement un parcours du combattant »10. Enfin, la question de l’orientation sco- l'expérience d'un chômage prolongé. laire s'avère une question difficile parce Si le travail reste important aux yeux que : les « règles du jeu » ne sont pas tou- Les jeunes Ixellois n’échappent pas des jeunes, c’est d’abord parce qu’il est jours claires pour les acteurs du système aux statistiques, même si leur commu- considéré comme une aspiration à la réali- scolaire eux-mêmes ; certains jeunes ne ne « compte proportionnellement plus sation de soi, comme on le voit à la lecture pouvant compter sur l’expérience et les de jeunes diplômés de l’enseignement de cet extrait : « Idéalement, j’aimerais 4 Bruxelles Santé 85
points négatifs méritant d’être amélio- rés : « la pression du trafic automobile, un manque d’espace vert, l’un ou l’autre endroit ressenti comme plus insécurisant ou moins agréable »13. D’autres encore indiquent être regardés avec défiance et traités de manière discriminatoire en fonction de leur origine « étrangère » ou de leur apparence. Ces zones d’ombre sont-elles susceptibles de les faire quitter Ixelles ? Si aucun d’entre eux n’exclut de continuer à vivre dans la commune plus tard, aucun ne le garantit non plus. Un élé- ment déterminant reste le prix des loyers et de l’immobilier, parce que « ça devient de plus en plus cher » confie Yasmine (13 ans). Le sentiment de satisfaction par rap- port à la commune en revient aussi, pour partie aux services jeunesse. Ces services et associations ont une fonction de « pas- seurs », permettant aux jeunes Ixellois de découvrir de nouveaux mondes et de Photo © Marie-Hélène Salah - Terrain de sport et plaine de jeux, entre la rue de la tirer parti des opportunités existantes. Crèche et la rue Sans Soucis à Ixelles En clôture de ce troisième volet de l’en- quête, nous conseillons la lecture de la section « Si j’étais bourgmestre… » de la pouvoir faire quelque chose que j’aime rêve, et que cela prendra probablement brochure, où les propositions vont des bien, qui fasse de mal à personne, et qui du temps. En conséquence, il faut parfois plus sérieuses aux plus… « farfelues ». m’assure un certain niveau de vie. Si je revoir un peu à la baisse ses espérances. travaille beaucoup, j’ai envie de pouvoir Pour ceux qui vivent déjà le chômage, Au terme de ce diagnostic, la question gagner pas trop peu. » Toutefois, ceci ne celui-ci est ressenti comme un stigmate, reste de savoir ce qui sera réalisé pour veut pas dire qu’il faille tout lui sacrifier : en particulier comme le souligne Claudie qu’Ixelles soit pleinement une « Com- « Avoir une qualité de vie, avec du temps (21 ans) parce que « ta carte d’iden- mune Jeunes Admis » et, qui sait, un mo- pour soi est essentiel. » Cela passe par tité, c’est un peu ton job… » Et qui dit dèle d'inspiration en Région bruxelloise. « ne pas faire n’importe quoi » et « poser chômage dit également confrontation à ses limites ». La nécessité de travailler ne la jungle administrative, à la législation Extraits rassemblés doit pas pousser à accepter n’importe et la réglementation de cette matière par Anoutcha Lualaba Lekede quel boulot, particulièrement si celui-ci ne complexe. correspond pas à sa personnalité. « Pour 1. Centre d’Etudes Sociologiques de l’Univer- réussir dans la vie, il s’agit de trouver et de sité Saint-Louis (Bruxelles). suivre sa propre voie (auto-réalisation) de manière autonome (auto-détermination). Les jeunes 2. Être jeune à Ixelles, p. 3. 3. SOS Jeunes - Quartier Libre asbl, Synergie Ce n’est plus le social qui est premier, mais et l’espace public 14 asbl, Maison de Jeunes XL’J asbl, Bruxelles – J asbl, Mission Locale d’Ixelles asbl, Dynamo l’individu, pour le “meilleur” (épanouisse- asbl, Emergence XL asbl, Mentor Escale asbl, ment personnel) et pour le “pire” (incerti- Espace physique et géographique, l’espa- Service jeunesse de la Commune d’Ixelles, CLAS (Cellule Locale d’Accompagnement tude, isolement, fragilité identitaire). »11 ce public est aussi l’espace symbolique et Scolaire) d’Ixelles Prévention. politique du vivre ensemble. Pour tous les 4. Être jeune à Ixelles, p. 4. Quant au chômage, beaucoup de jeunes jeunes interviewés, Ixelles est un lieu où il 5. Ib., p. 5. 6. Ib., p. 6. le craignent. Même s’ils croient pouvoir fait bon vivre, grâce à : « une offre diver- 7. Ib., p. 12. tirer leur épingle du jeu, ils ont conscience sifiée de services, de commerces et d’ac- 8. Ib., p. 16. de ce spectre du chômage qui plane au- tivités, une mobilité aisée en transports 9. Ib., p. 22. dessus de leur tête. Certains se rendent en commun, une diversité et une richesse 10. Ib., p. 22-23. 11. Ib., p. 24. compte que leur seule volonté ne suffira culturelle, un sentiment de sécurité… »12 12. Ib., p. 37. pas à les faire accéder à l’emploi de leur Les jeunes ont cependant relevé quelques 13. Ib., p. 39. Bruxelles Santé 85 5
A quelles réalités sont aujourd'hui confrontés les jeunes Bruxellois ? Quels enjeux cela pose-t-il ? Pour les profes- sionnels des secteurs social, santé et éducatif qui accompagnent, soutien- nent, et parfois font face aux jeunes, ces questions sont cruciales. La quête de sens, pour soi, dans son travail, et pour les jeunes, est forte : que faut-il savoir d'eux, quelle place faut-il leur donner ? Les approches de travail sont- elles à réinventer ? Autant de questions qui trouvent écho dans ce dossier. 6 Bruxelles Santé 85 Photo © Laurence Côte - Colloque Infor Santé "L'Ado, le décoder pour mieux l'accompagner". Bruxelles, le 31 janvier 2017.
Dossier Les jeunes Bruxellois : de nouvelles pratiques professionnelles? Le constat d'une précarité vécue par un nombre croissant de jeunes Bruxellois est désormais bien établi. Il amène nombre de professionnels, tous horizons confondus, à questionner leurs pratiques et les façons d'entrer en contact avec des publics de jeunes. La réalité de la jeunesse bruxelloise re- travail social peut-il se montrer inventif ? ». té consacré aux adolescents, Bernard De couvre une diversité de situations et de C'était là le défi lancé par le Forum, au tra- Vos soulignait en quoi l'esprit critique et problématiques. Bien que de plus en vers de la méthode des forums ouverts : la confiance en soi, compétences au cœur plus, et même de mieux en mieux do- tenter de produire du sens et des perspec- de cette journée d'échanges entre pro- cumentée, cette réalité n'en demeure tives pour les divers métiers entourant les fessionnels, pouvaient constituer des clés pas moins partiellement connue. C'est publics de jeunes. Trois dimensions de ces d'action pour eux en soutien à l'éduca- là tout le propos de la note de synthèse contributions collectives sont évoquées tion et/ou l'accompagnement des jeunes. Brussels Studies consacrée aux « Jeu- dans la deuxième section du dossier. Pour les différents professionnels en nesses bruxelloises : entre diversité et Dans ce dossier, la parole est également contact avec des publics de jeunes, il n'est précarité » qui ouvre ce dossier. Cette donnée à Bernard De Vos, délégué géné- toutefois pas – toujours – aisé de concré- note passe en revue et, osera-t-on dire ral aux droits de l'enfant pour la Fédéra- tiser certains principes éthiques et éduca- au scanner la production scientifique tion Wallonie-Bruxelles. Car si les jeunes tifs. Les deux dernières contributions des dix dernières années en la matière. constituent la tranche d'âges supérieure au dossier présentent deux appro- Au départ du constat d'une précarité vé- des enfants (au sens de la Convention ches, originales mais éprouvées, afin cue par un nombre croissant de jeunes internationale des droits de l'enfant qui de créer des espaces de paroles pour Bruxellois, la journée de réflexion « Nos concerne les 0 – 18 ans), il n'en demeure tous, qui puissent donc notamment futurs », organisée par le Forum bruxellois pas moins que le délégué relève fréquem- accueillir celle des jeunes : le théâ- contre les inégalités, a rassemblé près de ment à leur propos des difficultés consé- tre-action et l'éducation par les pairs. 400 professionnels, tous horizons confon- quentes et spécifiques. Dans le cadre de dus, autour de la question « comment le son intervention au colloque d'Infor-San- Jeunesses bruxelloises : entre diversité et précarité En avril 2016, Brussels Studies publiait une note de synthèse consacrée à la jeunesse bruxelloise entre douze et vingt-cinq ans. Initiée par la Fondation Bernheim, en collaboration avec la Fondation Roi Baudouin, cette étude a examiné deux cents travaux émanant de diverses institutions : universités, fondations, services publics, associations... Une série de constats sont partagés par d'emploi, d'éducation, et plus générale- places que d'élèves - et sur les fortes iné- les différents travaux analysés. Consé- ment de lutte contre les inégalités... Les galités dans l'enseignement, reflet de la quence du boom démographique, la jeu- études s'accordent sur la saturation des dualisation sociale à l'œuvre à Bruxelles. nesse représente une catégorie en forte écoles bruxelloises, sur le déséquilibre des Cette dualisation des conditions de vie de croissance à Bruxelles (à raison de 15% capacités d'accueil - certaines communes la jeunesse bruxelloise transparaît dans de la population générale), avec tous les connaissant une pénurie de places, alors toute la littérature parcourue. Si de nom- défis associés en termes d'infrastructure, que d'autres ont jusqu'à deux fois plus de breux jeunes Bruxellois sont confrontés à Bruxelles Santé 85 7
diverses situations de précarité (emploi, ou de l'impact des nouvelles technologies borations entre chercheurs et acteurs de logement, accès aux soins de santé...), dans leur quotidien. Les études sur les terrain. Ils relèvent que certaines thémati- tous ne sont pas égaux face à ce risque. conduites à risques sont également lacu- ques telles que la vie affective ou la mobi- A titre d'illustration, les phénomènes de naires et peu quantifiées. Actuellement, lité gagneraient à être abordées sous l'an- stigmatisation de certains groupes de beaucoup d'informations proviennent du gle du genre. Enfin, les auteurs soulignent jeunes, propices à l'émergence d'un sen- milieu scolaire (et par extension des insti- que les études existantes se concentrent timent de rejet, engendrent de nouveaux tutions) ce qui, au regard du malaise res- sur la jeunesse bruxelloise en difficulté et besoins en matière de santé mentale, senti par un certain nombre de jeunes vis- n'abordent pratiquement pas les jeunes alors même que ces services sont peu à-vis de l'école, peut biaiser les résultats. des écoles dites « moyennes », or ces jeu- accessibles à ces publics fragilisés. Deux Ce n'est probablement pas le cadre dans nes bruxellois ne doivent pas être oubliés, jeunesses semblent cohabiter à Bruxelles lequel la parole des jeunes est la plus libé- particulièrement si l'on veut comprendre sans se rencontrer ; la présence d'un cloi- rée (voir ci-après l'interview de Bernard les mécanismes d'exclusion sociale et la sonnement social semble indéniable. de Vos, Délégué général aux droits de l'en- reproduction des inégalités à Bruxelles. fant). Les auteurs recommandent donc de A côté de ces quelques éléments, de nom- diversifier les sources de données. Marie-Hélène Salah breuses thématiques sont mal connues, par exemple celles de la vie intime des Pour mieux mesurer l'impact du travail so- Cette note de synthèse est disponible jeunes, de leurs pratiques culturelles au cial sur la jeunesse bruxelloise, les auteurs en ligne sur le site de Brussels Studies : travers de l'occupation de leur temps libre préconisent aussi d'améliorer les colla- http://brussels.revues.org/1339?lang=fr « Nos futurs », les jeunes Bruxellois face à la précarité En Région bruxelloise, un jeune sur trois subit la pauvreté. Face à cette réalité, com- ment le travail social peut-il se montrer inventif ? Le 6 octobre dernier, à l’occasion de la Cette approche ascendante, dite bottom- basée sur la confiance, l'attention et la Journée mondiale de lutte contre la pau- up, et participative a permis aux nom- bienveillance est fondamental. Ce temps vreté, le Forum bruxellois contre les iné- breux professionnels présents à cette consacré à l'accueil, l'écoute et l'accompa- galités a organisé la journée « Nos futurs » journée, de partager leurs expériences, gnement permet au jeune d'identifier lui- consacrée à la précarité des jeunes. Cet leur expertise et leurs pratiques profes- même ses besoins et aux professionnels événement, élaboré sous la forme d'un sionnelles. Les comptes rendus issus de de centrer ensuite leurs interventions sur Forum Ouvert, a réuni quatre cents pro- ces discussions mettent en évidence tou- les priorités définies par le jeune. Nombre fessionnels issus des secteurs de l'action te la complexité des situations vécues par de participants ont relevé comme obsta- sociale, de l'aide à la jeunesse, de la santé les jeunes Bruxellois et la difficulté pour cles aux bonnes pratiques, le manque de mentale, de l'insertion professionnelle, les travailleurs sociaux d'y répondre. temps à consacrer à l'écoute des jeunes, ainsi que des chercheurs, des étudiants la complexité du paysage institutionnel et des écoles sociales, des parlementaires Les participants ont relevé l'importance le morcellement des services. et des représentants des cabinets et des de concevoir des dispositifs permettant administrations. de prendre en compte le jeune dans sa Enfin, l'évocation de la « colère » des jeu- globalité et dans son individualité, en te- nes est revenue fréquemment dans les Le Forum Ouvert est une méthode de nant compte de ses attentes, ses besoins, discussions. Les participants ont reconnu structure de conférences qui repose sur ses difficultés et en s'appuyant sur ses dans cette colère une « voix qui porte l'implication des participants. Ceux-ci dé- compétences et ses ressources. Ils ont fort », plutôt que l'expression d'une vio- finissent eux-mêmes l'ordre du jour. Cha- également insisté sur la participation des lence. Ils recommandent d'écouter le que personne dans le public a la possibi- jeunes, non seulement dans l'élaboration message de critique sociale, politique et lité d'initier un groupe de discussion sur des projets qui les concernent, mais éga- institutionnelle porté par cette colère et un thème en rapport avec le sujet de la lement dans l'organisation des services la nécessaire remise en question des of- journée. Les participants forment ensuite qui les encadrent. fres de services qu'elle exprime. des groupes de travail sur les sujets choi- sis. Chaque groupe de travail réalise son Pour les professionnels présents, construi- Le Forum projette de poursuivre les ré- propre compte rendu. re avec le jeune une relation de qualité flexions entamées lors de cette journée 8 Bruxelles Santé 85
par une recherche-action de deux ans Le compte-rendu des discussions de la journée « Nos futurs » est disponible sur le site portant sur la manière dont les services Internet du Forum Bruxelles contre les inégalités : http://www.fblp.be/A-Bruxelles-un- sociaux font face à cette précarité bruxel- jeune-sur-trois.html loise qui touche les jeunes et leurs fa- Le dernier trimestriel du Forum bruxellois contre les inégalités est consacré à la jeu- milles. Un projet à suivre de près ! nesse et aborde la journée « Nos futurs » : Cécile Van De Velde et Madeleine Guyot, Nos futurs : jeunesse, pressions et injonctions, Pauvérité, trimestriel du Forum Brux- Marie-Hélène Salah elles contre les inégalités, n° 13. Il est également disponible sur le site du Forum : http://www.fblp.be/Jeunesse-pres- sions-et-injonctions.html Ils critiquent, donc ils sont Développer l'esprit critique des jeunes et leur confiance en soi relève presque de l'urgence. Bernard De Vos, délégué général aux droit de l'enfant, en est convaincu. Pourquoi participez-vous à un colloque reçue. Mais il reste des bémols. Cette pa- développer, de faire naître ses ambitions, intitulé "L'ado, le décoder pour mieux role est encore souvent limitée à la sphère et éviter des orientations par dépit, avec le comprendre"2, qui axe sa partie aca- familiale. Une certaine rigidité subsiste du l'impact qu'elles ont sur la confiance en démique sur la confiance en soi et sur côté de l'école. soi et l'esprit critique... l'esprit critique des jeunes ? Bernard De Vos, délégué général aux Quels leviers peuvent permettre de Parmi les différents projets que vous droits de l'enfant : L'esprit critique est développer cet esprit critique ? développez, l'un d'entre eux vise la ra- sans doute le point qui entre le plus dans dicalisation et la violence, à travers un la cible de l'institution que je représente. Dans notre système scolaire en difficulté, spectacle. De leur côté, que peuvent L'originalité de la Convention Internatio- la création et la mise en place de certains faire les professionnels confrontés à nale des Droits de l'Enfant1, par rapport cours indiquent une volonté de s'appro- ces deux défis ? aux textes qui l'ont précédée, c'est d'avoir prier une réflexion critique. Mais l'école reconnu le droit à l'expression (et à la par- est-elle le meilleur vecteur pour y parve- Il s'agit d'ouvrir le plus d'espaces possibles ticipation). Mais, sans esprit critique, cela nir ? C'est grâce aux acteurs des secteurs de dialogue et, en particulier, de travailler reste un vain mot. La société a beaucoup de l'éducation non formelle et informelle la question de l'utilité sociale et du sens à retirer en donnant une place entière aux (les maisons de jeunes, les mouvements avec les jeunes. La figure emblématique enfants, à écouter ce qu'ils nous disent de jeunesse...), que l'esprit critique et la du temps, c'est l'ennui : les jeunes doivent sans se censurer et sans être bridés par participation du jeune à la société ont le pouvoir s'ennuyer, mais sans que cela les l'esprit de réserve. On néglige, à tort, l'in- plus progressé ces dernières années. Le conduise vers une difficulté à vivre. On térêt ou l'originalité du regard des jeunes problème ? Le manque d'encouragement peut leur montrer qu'il est possible d'oc- sur les grandes questions politiques ou qui leur est accordé : aux 6 milliards dé- cuper leur temps de manière constructive, sociétales. Quant à la confiance en soi, il vorés par l'ogre scolaire (pourtant par et qu'ils ont une place parmi nous. A dé- est évident qu'il s'agit d'une question très ailleurs champion des inégalités), s'op- faut, quand on est dans un parcours hors importante, pour autant que l'on veuille posent les moins de 100 millions dévolus des clous, dans une vie peu investie et construire une société juste et pacifiée. à toutes les autres politiques pour la jeu- aux ambitions réduites, les perspectives Tout déficit de confiance en soi peut deve- nesse. proposées par la bande à Daech risquent nir problématique à l'échelle d'une société d'être terriblement séduisantes... où nous avons, aussi, besoin de confiance mutuelle. De manière urgente. Le pacte d'excellence pourrait-il aider l'école à rejoindre davantage le mou- vement ? 1. Site du Délégué général aux droits de Ces dernières années, a-t-on progressé l'enfant en Fédération Wallonie-Bruxelles sur ces points ? Ses propositions me semblent trop tiè- http://www.dgde.cfwb.be des... mais je me réjouirais déjà de les voir 2. Journée d'information et de débats pour Le chemin parcouru a été énorme : la pa- appliquées ! En particulier, le tronc com- les professionnels, organisée par les Mutuali- role des enfants est de mieux en mieux mun devrait permettre à chacun de se tés chrétiennes, le 31 janvier 2017, à Bruxelles. Bruxelles Santé 85 9
Le méli-mélo de la déradicalisation "Etre acteur du changement dans un monde radicalisé" : voilà le thème de l'atelier auquel une petite soixantaine de personnes avaient choisi de s'inscrire lors du collo- que "L’Ado, le décoder pour mieux l’accompagner"1. Vaste sujet... Pas facile d'aborder le thème de la radi- calisation avec des professionnels tous confrontés au monde de l'enfance ou de la jeunesse, le tout dans un atelier d'une heure et demie. Pourtant, et avec le ca- drage de Ségolène Malengreaux (UCL- RESO), les animateurs de l'ASBL Ras El Hanout2 ont mis en place un espace de pa- roles et de théâtre improvisé pour expri- mer les doutes, les ressentis et les idées des adultes. Bien sûr, face à un tel thème, les réac- tions - les émotions - fusent un peu en sens divers. D'un côté, les professionnels confrontés à des adolescents loin d'être toujours Charlie, et qui expriment parfois leur haine. "Ce sont des réactions de grou- pes. Lorsqu'on les invite à aller plus loin, les jeunes admettent qu'ils ne pensaient pas forcément ce qu'ils ont pu dire...", Photo © Laurence Côte - Atelier Radicalité, colloque Infor Santé "L'Ado, le décoder pour mieux glisse une intervenante, estimant proba- l'accompagner". Bruxelles, le 31 janvier 2017. blement, comme Bernard De Vos, le Délé- gué général aux droits de l'enfant, "qu'il faut arrêter l'injustice de les prendre au ginées par les participants ont finale- Elle apporte du recul, de l'espace pour mot. Mais les prendre, eux, au sérieux". ment davantage évoqué le malaise ou dire, pour réfléchir et pour construire". les ignorances de professionnels parfois Il n'empêche, les récits ou les anecdo- (trop) vite "mobilisés" face à une pseu- tes des adultes reflètent souvent leur do-radicalisation d'un jeune, et souvent stupéfaction, leurs incompréhensions, démunis pour aborder les autres problé- leurs inquiétudes aussi. Comme face à matiques du vécu de ces adolescents. cette adolescente (non musulmane). "Pour rire", avec un ami, elle avait per- Des pistes, pourtant, ont été dessinées. turbé une commémoration organisée Elles incitent à ne pas laisser s'installer dans son école après les attentats de la peur et à ne pas éviter les questions Bruxelles en jetant un sac au milieu de taboues, qui séparent. A créer des es- la foule et en criant "Hallahu Akbar"... paces de paroles. A ne pas voir tous les jeunes comme un bloc à déradicaliser De l'autre côté, des récits évoquent aussi et à s'intéresser à eux en tant que per- le constat de jeunes mal dans leur peau, sonnes. Et puis, aussi, à utiliser la culture "résignés", qui n'osent même plus rêver et le processus créatif. Comme en ont 1. Le 31/1/2017, organisé par les Mutualités l'avenir, et/ou comme englués dans les témoigné les animateurs de Ras El Ha- chrétiennes. représentations qui leur collent à la peau. nout, "l'éducation par la culture est 2. Pour plus de renseignements : Lors des deux ateliers, les saynètes ima- une arme de prévention du radicalisme. www.ras-el-hanout.be 10 Bruxelles Santé 85
Savez-vous parler le "pair" ? L'éducation par les pairs est loin d'être une idée nouvelle : son origine remonte au XIXè siècle. Mais cela ne retire rien à sa pertinence ou à son actualité. Le sociologue français Eric Le Grand nous explique pourquoi, en 5 raisons... Raison n°1. Essayer autrement de reproduire les préjugés des adultes. Ni de mimer un "groupe d'entraide" en Les clés de la réussite En promotion de la santé, l'idée de faire santé. Aux Etats-Unis, certains projets appel à des pairs est d'autant plus inté- ont fait appel à des pairs... chefs de gang. "En pratique, les objectifs d'un projet ressante que les jeunes jugent souvent d'éducation par les pairs doivent être les messages de prévention envoyés Raison n°4. Faire confiance, sinon précisés clairement, ainsi que les rôles et par les adultes "stigmatisants" ou bien... rien les liens respectifs, rappelle le Pr Eric Le "nuls", rappelle le sociologue français Eric Grand. Les adultes ne peuvent se contenter Le Grand. Vu sous cet angle, l'éducation L'éducation par les pairs repose sur un d'un : 'On va leur faire confiance'. Les pro- par les pairs prend des allures d'alterna- principe inaliénable : la participation jets, souvent très chronophages et grevés tive ou de complément aux stratégies des jeunes comme processus, et non d'incertitudes, doivent être pensés, accom- d'éducation en santé traditionnelles. comme moyen. Plus fondamentalement, pagnés, cadrés, avant et tout au long du elle permet de sortir d'une représen- processus. Les pairs ont (souvent) besoin Raison n°2. C'est du vécu tation négative de la jeunesse, jugée de formations et (toujours) de soutien. Il "dangereuse" ou "à contrôler", pour al- importe également de veiller à maintenir Lorsque les professionnels constatent ler vers une conception de la jeunesse leur motivation. Pour eux, l'enthousiasme que leurs outils ou leurs projets ne ren- considérée comme une "ressource", repose souvent sur le plaisir de se retrouver contrent pas l'effet espéré, cette prati- avec de nombreuses compétences. ou le désir de se faire de nouveaux potes... que peut s'avérer attractive pour faire plutôt que sur le projet en lui-même." passer les messages d'éducation en santé Raison n°5. Par ailleurs, on constate que les je- au départ du vécu des jeunes. De plus, Et ça marche. Enfin, sans doute... unes limitent dans le temps leur durée l'éducation par les pairs permet d'adap- d'engagement en tant que pairs : en ter certains messages à des réalités mal "L'objectif d'un projet d'éducation par les général, ils arrêtent peu après une première perçues ou mal comprises par les profes- pairs, c'est l'éducation, pas forcément le année d'implication. Ce point ne constitue sionnels. "Par la mobilisation de jeunes résultat, d'ailleurs difficile à évaluer, pré- pas forcément une faiblesse, pour autant pairs-éducateurs, elle sert aussi de sas vient le Pr Le Grand. En réalité, comme que l'on cherche, plutôt que des "pairs ex- pour faire remonter des difficultés ren- le montre la littérature, les premiers bé- perts", des experts du vécu porteurs d'un contrées sur le terrain, par exemple en néficiaires d'un tel dispositif... ce sont les discours commun aux autres jeunes... Néan- raison des représentations liées à certains pairs eux-mêmes." Ce bénéfice repose en moins, cette réalité implique d'anticiper le sujets de santé, ou bien à repérer des partie sur une amélioration de l'estime turn over et de penser au passage de relais. problématiques", précise le Pr Le Grand. de soi, de la connaissance des structures sanitaires et sociales, sur une modifica- Raison n°3. tion des comportements de santé, ou, Tout le monde tombe les masques encore, sur le "capital social" acquis. Et pour les adultes ? Lors d'une évaluation Pour autant que l'engagement des jeu- de projets d'éducation par les pairs menés 1. Le Pr Eric Le Grand, sociologue, pro- nes soit considéré comme un bienfait en Bretagne, "le point saillant a consisté fesseur affilié à l'Ecole des hautes étu- pour la société, l'éducation par les pairs en un changement de regard sur les jeu- des en santé publique de Rennes (Fran- présente un réel intérêt. Encore faut-il nes. En fait, l'impact d'un projet d'édu- ce) et consultant en Promotion de la jouer le jeu, et donc être conscient de la cation par les pairs est souvent ailleurs santé, a animé à Bruxelles une matinée d'échanges entre professionnels et don- dérive possible consistant à utiliser des que là où le projet était censé être porté. né ensuite une conférence consacrée jeunes comme "alibi" ou comme de sim- Mais il existe", soutient le Pr Legrand1. à l'approche par les pairs. Cette jour- ples "pairs-oquets", en étant très/trop née était organisée par Question Santé, directifs à leur égard. Pour rappel, dans Education Santé et le Fares (1/12/2016). ce type de projets, le principe n'est pas Bruxelles Santé 85 11
Santé mentale Les débordements de la santé mentale : un collo- que pour relancer collectivement la subjectivité En octobre dernier, la ligue bruxelloise francophone de santé mentale organisait un colloque sur les débordements de la santé mentale. Un temps de réflexions consacrées à ce qui fait irruption, bouscule, remet en cause aujourd’hui les acteurs engagés dans l’accompagnement de personnes en souffrance psychique. « Un monde qui bouge, où rien n'est plus comme avant... » : ce refrain désabusé, que l’on entend depuis des siècles, force est de constater que beaucoup d'inter- venants psycho-sociaux le reprennent en cœur aujourd’hui. Dans le champ de la santé mentale, tout semble obliger à re- définir ce qui fait le travail. Oui, tout bouge autour de nous… et ces mouvements ont des effets sur les personnes, sur les nor- mes, sur les limites, sur la manière dont on traite la souffrance psychique, sur les concepts et les pratiques dans les domai- nes de la psychiatrie et, plus largement, de la santé et du social. Les intervenants invités par la Ligue se sont pliés à l'exercice d'examiner certaines de ces transformations : qui pense débor- de relever à tout le moins trois axes qui aujourd’hui, le DSM1 est le reflet d’une dements se centre sur les bords et donc, peuvent s’articuler aux questions qui ani- vision de la santé mentale où les risques aussi, sur leur franchissement, bords qui ment les intervenants en promotion de la doivent être gérés, le principe de précau- enferment et protègent, frontières géo- santé. tion est primordial et la judiciarisation graphiques et psychiques qui séparent et galopante. On assiste à l’hégémonie des relient. Il fut ainsi question de l'évolution normes, à la montée en puissance des des dispositifs de soins et d’accompagne- La parole n’est plus en protocoles - qui échappent à tout proces- ment. Un deuxième focus s’intéressait première ligne sus législatif. Evidence-based, éducation à l’exil : la politique menée en la matière thérapeutique, remédiations cognitives, et l’accueil fait aux migrants ainsi que son Guy Dana, à la suite de Jean de Munck, évaluation quantitative : il s’agit de stan- impact sur leur psyché et la confrontation développe les modifications apportées dardiser des pratiques et de rendre les des histoires singulières à l’histoire collec- aux dispositifs psychiatriques et ce qui praticiens interchangeables afin d’objecti- tive. Un autre axe de réflexion fut celui du en découle. La psychanalyse a structuré ver les décisions prises et les soins prodi- virtuel et la fabrication des identités. Les la grammaire du parcours de l’individu, gués. Urgence, risque zéro et rentabilité deux dernières séances plénières furent entendu comme sujet inscrit dans le lan- sont devenus les maîtres mots pour faire consacrées au changement des rapports gage. Une méthode et une éthique en taire la folie, au risque de la renvoyer en au temps et à l'objet. découlent : c’est la singularité du parcours errance sur les trottoirs de nos villes. et la parole qui en sont l’objet. Cela impli- Au regard de la richesse des échanges que du temps, de la pluralité, une ouver- Jean-Yves Dartiguenave analyse, lui aussi, croisés, il nous a semblé intéressant ture à l’événement, donc au risque. Or la destruction progressive et profonde du 12 Bruxelles Santé 85
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