Bruxelles en mouvements - Inter-Environnement Bruxelles

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Bruxelles en mouvements - Inter-Environnement Bruxelles
Bruxelles
 LES   T E C H N O L O G I E S D E C O N T R Ô L E E T L E S R É P O N S E S C I T O Y E N NPériodique
                                                                                             ES        édité 1
                                                                                                             par
                                                                                       Inter-Environnement Bruxelles
                                                                                Rue d'Edimbourg, 26, 1050 Bruxelles
                                                                                        N°240 – 10 septembre 2010

en mouvements

La culture à Bruxelles :
les artistes tirent leur plan
2                                                                                                     DOSSIER

      En bref                       LES TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE
   Les technologies
   destinées à collecter
                                    ET LES RÉPONSES CITOYENNES
   des données
   personnelles glissent
   imperceptiblement
   vers des systèmes
   de contrôle des
   comportements. Par
   contre, la gestion
   de ces systèmes
   échappe au contrôle
   des citoyens et
   menace la protection
   de la vie privée.
   Par la démarche
   de récalcitrance,

                                                                                                               TITOM (LICENSES CREATIVE COMMONS)
   plusieurs mouvements
   de citoyens se
   manifestent dans des
   zones où les droits des
   citoyens s’estompent.
   Ce dossier présente
   quelques acteurs
   collectifs qui opposent
   la liberté aux

                                     I. Contre
   dispositifs qui veulent
   ficher et programmer
   les conduites
   des citoyens.
                                     la digitalisation de la vie-même :
                                     éloge de la récalcitrance
                                    Caméras de vidéosurveillance «intelligentes», tags RFID, systèmes
                                    d’identification biométrique, de géolocalisation, surveillance
                                    satellitaire[1], systèmes d’observation multimodale[2], le déploiement
                                    massif (actuel ou programmé) des capteurs permettant la traduction
                                    du monde physique et de ses habitants sous forme de données
                                    digitalisées incarne aujourd’hui à la fois la banalité sécuritaire et
                                    l’obsession de l’efficacité, qui, toutes deux, exigent de nouvelles
                                    stratégies de gestion de l’incertitude.

                                    La gestion de l’incertitude                    de ces données à des fins de profilage,

                                    D
[1] Voir, sur le projet de «web-             ans un monde caractérisé notam-       c’est-à-dire de classification des personnes
cam mondiale», Antoinette Rou-               ment par la massification et la       en fonction des risques dont elles sont
vroy, «Plus on est habitué à être            globalisation des flux de person-     porteuses, ou encore de leurs propensions
observé, moins on est sensible
aux atteintes à la vie privée»,
                                    nes, d’objets et de données, par la phobie     d’achats, par exemple, sont aujourd’hui
entretien realisé pour le journal   de la menace terroriste et par la peur         présentées comme nécessaires pour faire
Libération par Sylvestre Huet.      de l’étranger, gérer l’incertitude semble      face aux impératifs de détection et d’an-
http://www.ecrans.fr/Plus-on-       excéder les capacités de l’esprit humain.      ticipation des comportements «anormaux»
est-habitue-a-etre-observe,5712.
html
                                    La récolte massive de données sur les          et pour mieux anticiper, et donc répondre
[2] voir la note p.3.               comportements, attitudes, préférences et       plus «efficacement», aux «besoins» des
                                    trajectoires des personnes, et le traitement   consommateurs.

                                    Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
LES     TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE ET LES RÉPONSES CITOYENNES                                                                    3

  C’est en tant que support à une nou-         aux autres, il devient possible de TOUT
velle manière de «gouverner» consistant        prédire.[3]
à structurer a priori le champ d’action
possible des individus que le déploiement      La puissance de récalcitrance
massif des technologies numériques dans           Au-delà de la critique dénonciatrice de
les espaces publics doit être envisagé.        l’impact contre-productif de ces dispositifs
Face au déploiement de cette nouvelle          sur les sentiments de confiance et de sécu-
manière de gouverner par le profilage,         rité, de leur contribution au renforcement
par l’anticipation de ce que peuvent les       du conformisme et au déclin de la vitalité
corps et les esprits, et par l’adaptation      politique, nous voudrions axer ce dossier
a priori de l’environnement physique et        sur ce qu’il nous est possible de faire dès
informationnel des personnes... face à         lors que nous mobilisons non plus seule-
cette sorte de téléguidage en douceur,         ment les forces de résistance et de criti-
agissant sur l’individu à un stade souvent     que, mais la puissance de récalcitrance,
préconscient, les stratégies et tactiques      qui est immanente à la vie elle-même, face
de résistance traditionnelles deviennent       aux tentatives d’organisation excessive qui
relativement inopérantes. S’attaquer aux       peuvent lui être opposées.
dispositifs techniques visibles ne suffira        En appeler à la récalcitrance, c’est, ici,
pas à affaiblir la logique sous-jacente et     rappeler l’irréductibilité des personnes aux
le présupposé sur lesquels ce rapport très     réseaux de données digitalisées à travers
particulier au réel et au gouvernement du      lesquels le pouvoir (quel qu’il soit, public
réel s’est construit. Ce présupposé consiste   ou privé) s’adresse à elles et tente de les
dans la croyance, de plus en plus répandue     rendre prévisibles. Il s’agit ici de mettre
au sein des bureaucraties tant publiques       en évidence, et surtout de pratiquer «le
que privées, qu’à condition de disposer de     mouvement, la puissance immanente à
quantités massives de données (à caractère     la vie même», qui échappera toujours
personnel ou non) relatives aux individus      aux formes et normes que l’on tenterait
et de pouvoir appliquer sur ces quantités      de lui imposer, fût-ce au moyen de dispo-
massives de données des algorithmes de         sitifs technologiques perfectionnés. «Ce
                                                                                               [2] Ces sytèmes d’observation
calcul statistique qui permettent d’éta-       caractère excessif, intempestif, spontané,      multimodale (capables d’enregis-
blir «automatiquement» des corrélations        irréductiblement multiple, est la seule         trer et de croiser divers paramè-
significatives entre ces données recueillies   essence de la vie»[4].                          tres comportementaux, physiono-
                                                                                               miques, physiologiques,...) sont
dans des contextes hétérogènes les uns            Il s’agit donc de comprendre que le pro-
                                                                                               actuellement développés dans
                                                                                               le cadre d’importants projets
                                                                                               de recherche et développement
                                                                                               financés par l’Union européenne,
                                                                                               dans une perspective d’assistance
                                                                                               ou de suppléance à la surveillance
                                                                                               humaine, notamment dans les
                                                                                               aéroports, mais aussi dans la
                                                                                               perspective plus large de déve-
                                                                                               loppement de systèmes d’intelli-
                                                                                               gence ambiante, consistant dans
                                                                                               l’anticipation des «besoins» des
                                                                                               utilisateurs et dans l’adaptation
                                                                                               automatique et en temps réel de
                                                                                               l’environnement. Pour des ana-
                                                                                               lyses plus détaillées et des éva-
                                                                                               luations plus poussées des enjeux
                                                                                               de ces nouveaux dispositifs, voir
                                                                                               les articles disponibles sur le
                                                                                               site http://works.bepress.com/
                                                                                               antoinette_rouvroy/
                                                                                               [3] L’expression la plus claire de la
                                                                                               thèse est sans doute celle de Ian
                                                                                               Ayres, dans son best-seller Super
                                                                                               Crunchers: why thinking by num-
                                                                                               bers is the new way to be smart,
                                                                                               Bantam, 2008.
                                                                                               [4] Lire Boyan Manchev, La meta-
                                                                                               morphose et l’instant. Désorga-
                                                                                               nisation de la vie, La Phocide,
                                                                                               Strasbourg, 2009.

                              Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
4                                                                                             DOSSIER
                          pre de la vie est d’être récalcitrante à        larges, et plus collectifs. La liberté n’est
                          toute forme d’organisation qui prétendrait      pas tant un état qu’une pratique, elle n’est
                          en prédire et en contenir les développe-        pas réactive, elle est active, elle fait autre
                          ments. Nous ne sommes pas des réseaux de        chose, radicalement et essentiellement,
                          données, et il nous faut récupérer l’auto-      que seulement répondre et résister. S’en
                          rité, cette manière particulière que nous       souvenir et trouver la puissance qui permet
                          avons d’être, dans nos vies, auteurs sinon      de s’arracher au fonctionnement dans la
                          des intentions qui nous font agir, au moins     norme, aux frustrations et au confort pro-
                          du sens, des motifs que nous donnons à nos      pres aux vies qui ne s’inventent pas mais
                          actions. Nous n’avons jamais eu la maîtrise     se poursuivent en fonction des normes,
                          des circonstances qui font de nous ce que       requiert de nous penser non pas comme des
                          nous sommes, mais ce que la nouvelle            êtres entièrement et totalement contenus
                          «gouvernementalité algorithmique» risque        dans l’actuel, dans le moment présent,
                          de nous retirer, si nous n’y prenons garde,     mais comme des êtres autobiographiques
                          c’est la faculté, typiquement humaine, de       ayant en eux la dimension du souvenir et
                          donner du sens à nos actions, un motif qui      celle du projet, du rêve, de l’avenir.
                          ancre nos trajectoires et attitudes dans les       Face à un pouvoir qui s’exerce par l’an-
                          biographies qui nous sont propres, indivi-      ticipation et la structuration a priori de
                          duellement et collectivement.                   l’avenir, pratiquons nos utopies, qui sont
                                                                          des retards à rebours, des manières joyeu-
                          Elargir les marges de liberté                   ses d’interrompre toute programmation, de
                            Face à la puissance d’algorithmes sourds-     relancer les dés. C’est alors que nous pour-
                          muets qui prétendent, par leur objectivité,     rons opposer aux machineries de prédiction
                          par leur aveuglement à tout ce qui n’est pas    sans projet, hostiles à la spontanéité et à
                          traduisible sous forme chiffrée, substituer     l’intempestivité qui fait battre le pouls de
                          le probable au possible ; face au constat       la vie, la puissance joyeuse de nos projets
                          suivant lequel, alors que nous n’avons          sans prédiction, essentielle à la vitalité
                          jamais été plus libres qu’aujourd’hui, les      démocratique.
                          marges dans lesquelles cette liberté peut                                 ANTOINETTE ROUVROY
                          s’exercer ne cessent de rétrécir, il s’agit à                    CHERCHEUR QUALIFIÉ DU FNRS
                          présent de pratiquer, dans ces marges et                 AU CENTRE DE RECHERCHE INFORMATIQUE
                          afin de les élargir, des mouvements plus                    ET DROIT DE L’UNIVERSITÉ DE NAMUR.

                          II. ACTIONS CITOYENNES
                          Une balade et une carte
                          pour surveiller les caméras
                          La vigilance et l’emprise des technologies sur notre quotidien ne
                          cesse de s’amplifier : cartes à puces, caméras de surveillance,
                          bases de données... Dans le même temps, la vigilance citoyenne
                          s’assoupit, bercée dans l’illusion du sentiment de sécurité qu'offre
                          une vie paramétrée par les technologies de surveillance. Les balades
                          organisées cet été par le cinéma Nova, la Ligue des droits de l’homme
                          (LDH) et l’asbl Constant jette le trouble sur le visage lisse de la
                          techno-cité.

                          C’
                                    est armés d’un GPS, d’une carte       cartographier les caméras de surveillance
                                    et d’un détecteur d’ondes Wifi        publiques et privées qui prolifèrent dans
                                    qu’une quinzaine de participants      notre espace urbain. Alors que seules une
Pictogramme obligatoire   ont scruté les rues du bas de Saint-Gilles      vingtaine de caméras sont déclarées actuel-
depuis la loi de 2007.    en ce début de mois d’août. Objectif:           lement sur le territoire de la commune de

                          Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
LES     TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE ET LES RÉPONSES CITOYENNES                                                                                5

Saint-Gilles - cette déclaration est rendue
obligatoire pour les caméras tant publiques
que privées depuis une loi de 2007 - ce
sont près de 150 caméras que les prome-
neurs ont recensé en une heure de balade
dans une dizaine de rues de la commune.
Pratiquement aucune d’entre elles n’était
accompagnée du fameux pictogramme
pourtant, lui aussi, rendu obligatoire par
la même loi.

Des caméras pour filmer des arbres
   Au-delà du flou de la nouvelle loi et de
son application toute relative, les pouvoirs
publics manquent clairement d’objectifs
et de ligne politique sur l’usage des ces
dispositifs invasifs. Manuel Lambert de
la LDH nous apprend que le Pentagone
bruxellois va prochainement se couvrir

                                                                                                                                                 CLAIRE SCOHIER
de caméras non pas seulement parce que
celles-ci seraient jugées utiles aux activités
de police mais également parce que les
autorités ont été démarchées par le privé        de sécurité de la STIB et vous n’aurez plus              La prolifération des caméras
pour l’achat d’une quantité surabondante         qu’à dégainer votre carte Mobib. Toutefois,              de surveillance mesurée à l'aide
                                                                                                          d'un détecteur d'ondes dans le
de caméras. Si on y ajoute les incitants         certains ont testé pour nous cette carte à               quartier de la barrière
financiers souvent offerts par la Région,        puce hautement vulnérable : il suffit en                 de Saint-Gilles.
pas étonnant qu’on installe des caméras          effet de se procurer un petit lecteur de
pour filmer des arbres ! Pire, la nouvelle       cartes et un logiciel mis au point par des
loi a été récemment modifiée pour suppri-        scientifiques belges pour lire les derniers
mer l’étude préparatoire d’opportunité à         trajets effectués par son titulaire (le MoBIB
l’installation des caméras.                      Extractor). Bonne nouvelle, vous pourriez
                                                 peut-être en profiter pour traficoter votre
Elles sont si intelligentes, Monsieur            carte et faire passer votre abonnement
   Un participant à la balade souligne néan-     de un à cinq ans. Tel est pris qui croyait
moins le potentiel des nouvelles camé-           prendre !
ras dites intelligentes. Ne vont-elles pas                                     CLAIRE SCOHIER
permettre un plus dans la détection des
activités criminelles en compensant les
défaillances de la capacité d’observation
humaine ? La Ligue nous rappelle qu’en            Répertoire de la récalcitrance
tout état de cause, les images captées par        aux caméras de surveillance
une caméra doivent toujours se combiner
à une observation humaine qui fera le tri          Le site de l’asbl Constant recense les caméras de surveillance à Bruxelles et en dresse
au sein des heures d’images enregistrées.          une cartographie accompagnée de photos. Le site n’est pas encore complet mais est
                                                   mis progressivement à jour : http://archive.constantvzw.org/events/survcam/.
Mais doit-on vraiment être rassuré par des
caméras qui enregistrent comme suspect             En France, le collectif «Souriez vous êtes filmés» est constitué depuis 1995 et ras-
le fait de marcher à 7 km/h au lieu de 5 ou        semble les personnes désireuses de ne pas sombrer dans une société de technologie
de lever puis baisser rapidement son bras ?        répressive. Il propose des alternatives militantes festives : http://souriez.info/.
En tout cas, la commune de Schaerbeek              L’espace de la Commission justice sur le site de la Ligue (http://www.liguedh.be)
y croit, elle qui vient d’investir 3 mil-          fournit plusieurs analyses critiques de la vidéo surveillance et notamment de la
lions d’euros dans l’achat de 150 caméras          récente loi votée afin d’en réglementer le développement.
intelligentes.
                                                   Un DVD présentant deux courts métrages sur la vidéo surveillance et réalisés par des
                                                   étudiants du secondaire est en vente ! Contacter la Ligue au 02/209.62.80.
Tous aux abris !
  Si pour échapper à ces yeux intelligents         Une partie importante du site de la Commission belge de protection de la vie privée
                                                   est consacrée à la caméra : http://www.privacycommission.be/fr/.
vous vous engouffrez dans le métro, vous
serez désormais accueillis par les portiques

                                Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
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                                     Le Collectif sans ticket :
                                     sortir les usagers de la captivité
                                     Confrontés à la difficulté de payer leurs trajets réguliers en transport
                                     public, des usagers se sont regroupés fin des années 90 pour fonder
                                     le Collectif sans ticket (CST). Bien au-delà d’une revendication de
                                     gratuité, leurs pratiques «récalcitrantes» interrogeaient les rapports
                                     entre usagers et services publics. Leur parcours devrait nous éclairer
                                     à l’heure du démantèlement des services publics et de la réduction
                                     de l’usager à la figure du client.

                                     C
                                             e qui fit la force du Collectif sans     contrôleurs en vue d’avertir l’autre groupe,
                                             ticket est sans doute cette volonté      vêtu de combinaisons blanches. Ce second
Autocollant du Collectif
                                             de dépasser «la probabilité grise        groupe distribuait les cartes de droit aux
sans ticket.                         de la résignation», de ne pas se contenter       transports tout en informant les voyageurs
                                     de quémander des mesures pour «les pau-          du sens de la gratuité. Cette situation fai-
                                     vres». Leurs pratiques et leurs réflexions       sait jaillir pour un temps «une zone libre
«Ce n’est pas d’un                   visaient en effet à faire émerger comme          d’accès». Les Free Zones cherchaient par là
comité des sages,                    acteur politique à part entière la figure de     à développer la coopération entre usagers,
moral et pseudo                      l’usager, en lieu et place de celle, passive,    faites de ces petits gestes de solidarité par
compétent, dont on                   du client. Pour ce faire, le CST a expéri-       lesquels les uns et les autres se préviennent
a besoin, mais de                    menté, avec un certain succès, différents        mutuellement en cas de contrôle, se trans-
                                     dispositifs pratiques.                           mettent un ticket dont la validité n’est pas
groupes d’usagers.
                                                                                      encore épuisée, etc.
C’est là qu’on passe
                                     L’acte de naissance
du droit à la
                                       Le CST est né en 1998 à partir de ce sim-      L’héritage
politique»                           ple constat : de plus en plus de personnes         Le CST s’est toujours refusé à entrer
Gilles Deleuze                       doivent consacrer une part croissante de         dans le jeu des catégories établies par
                                     leurs ressources à l’exercice d’un droit         les institutions. Il s’est mis en résonance
                                     aussi élémentaire que celui de se déplacer.      avec d’autres associations qui réfléchis-
                                     Beaucoup finissent par y renoncer. Les           saient le droit à la mobilité en Flandre et
                                     membres du CST, plutôt que de se «cacher         à Bruxelles comme le BTTB[1] et NoMo[2].
                                     en fraudant», prirent le parti d’afficher        En posant la question de la gratuité des
                                     leur désir de développer un autre rapport        transports et en allant directement à la
                                     au transport public. Ils créèrent la carte de    rencontre des travailleurs, il a également
                                     droit aux transports. Cette carte, sortie lors   cherché à infléchir le clivage usager-client,
                                     de chaque contrôle, était l’occasion d’en-       travailleur-fonctionnaire. La mise en place
                                     gager la discussion avec les travailleurs,       de ces petits dispositifs que sont la carte
                                     souvent, eux-mêmes relégués dans une             de droit aux transports et les Free Zones,
                                     position de précarité.                           a permis au collectif d’allier pratiques et
                                                                                      théories, expérimentations sur le terrain et
                                     La maturation : Free Zone                        recherches d’un nouveau modèle de déve-
                                       La carte de droit aux transports fut large-    loppement pour les transports publics... Il
                                     ment distribuée et utilisée sur les réseaux      a même trouvé un écho certain chez nos
                                     de la SNCB. Un mouvement collectif d’usa-        dirigeants puisqu’en 2004, la déclaration
                                     gers se mit ainsi progressivement en place.      gouvernementale de la Région bruxelloise
                                     Mais, face à la profusion des amendes et à       reprenait noir sur blanc l’objectif de la
Le Collectif sans ticket présente
                                     la difficulté d’affronter une machinerie de      gratuité pour tous.
ses pratiques d’usagers pour         la taille de la SNCB, le collectif décida de       Si son action a conduit les membres du
rendre accessibles                   resserrer son action sur le seul réseau de       CST un peu trop souvent devant les tribu-
les transports publics.              la STIB au moyen d’un nouveau dispositif :       naux, ce collectif nous a tout de même
Éditions du Cerisier, 2001.
                                     les Free Zone. Celles-ci prenaient place         laissé un ouvrage, «Le livre-accès». Une
[1] Bond van Trein-, Tram- en Bus-   chaque semaine sur le réseau STIB : deux         véritable carte d’accès pour remettre au
gebruikers.                          groupes étaient constitués. Le premier           centre la vitalité de la figure de l’usager.
[2] Autrement Mobile.                sillonnait le réseau à la recherche des                                         CLAIRE SCOHIER

                                     Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
LES     TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE ET LES RÉPONSES CITOYENNES                                                                7

A qui profite le vote automatisé ?
PourEva (Pour une Éthique du Vote Automatisé) s’est fait connaître
dans les années 90 en exprimant ses doutes sur la transparence
du vote automatisé. Cette association regroupe des citoyens qui
contestent le système du vote automatisé car il prive les électeurs de
tout contrôle sur les élections auxquelles ils sont appelés à participer.
Leur objectif est d’alerter les citoyens sur des choix technologiques
qui portent atteinte à la la démocratie.

A
         u matin du 13 juin 2010, une per-       49 % en Flandre et 22 % en Wallonie.
         sonne se présente dans un bureau           Voici donc la Belgique entraînée dans
         de vote à Auderghem. Ayant cons-        un processus dont aucun pays européen
taté qu’elle doit remplir ses obligations        ne veut. Au contraire, des pays comme
électorales par le truchement d’une carte        l’Irlande, l’Allemagne et les Pays-Bas l’ont
magnétique et d’un ordinateur, elle refuse       abandonné.
de voter. Ce n’est pas fréquent, mais de            PourEVA constate que, sous le couvert
plus en plus de citoyens s’élèvent contre        d’améliorations «purement techniques»,
le vote électronique car il ne permet plus       le pouvoir exécutif s’est approprié le con-
le contrôle des opérations électorales par       trôle des opérations électorales. Pire, il l’a
les électeurs.                                   délégué à des opérateurs privés, produc-
   Membre de PourEva[1], Michel Staszewski       teurs et gestionnaires de ces systèmes. Et
remet la motivation de son refus au pré-         les parlementaires ont, à chaque étape,
sident du bureau de vote et aux médias           entériné ce déni de démocratie.
présents. Ce type d’action n’entrave pas            «On a sacrifié à un prétendu progrès
le déroulement des élections mais permet         technique deux fondements de notre
de faire parler du problème. «Avec le vote       système démocratique, souligne M. Stas-
électronique, signale M. Staszewski, il n’y      zewski, la garantie du secret du vote et la
a plus de contrôle citoyen des élections,        possibilité pour les électeurs de contrôler
ce qui est pourtant le principe de base de       eux-mêmes les élections. Notre système
la démocratie représentative». C’est dans        de démocratie représentative trouve en
ce but que des citoyens, parmi lesquels          effet sa légitimité dans le principe de
un nombre élevé d’informaticiens, se sont        souveraineté qui ne s’exerce vraiment que
mobilisés en créant l’association PourEVA.       le jour des élections. Si c’est le pouvoir en
Les uns et les autres réagissent contre les      place qui contrôle les opérations de vote,
risques de manipulation de l’outil et dénon-     l’exercice de la souveraineté populaire          [1] Voir site Internet :
cent le manque de contrôle démocratique.         n’est plus garanti».                             www.poureva.be
Ensemble, ils mènent des actions (tracts,
pétitions, cartes blanches, débats) pendant
et en dehors des campagnes électorales
pour sensibiliser aux carences du vote
automatisé.

Un système incontrôlable
  Introduit en 1991 par le Ministre de l’Inté-
rieur, le vote automatisé n’était censé être
qu’une expérience, suivie d’une évaluation
par les corps législatifs. La première éva-
luation a eu lieu 17 ans après l’introduc-
tion du système, alors qu’il s’était déjà
étendu à 44 % du pays. Mais la situation
en la matière est très différente selon les
régions : si 100 % des électeurs bruxellois
votent «électroniquement», ils ne sont que

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                                        Or, le système du vote électronique ne           PourEVA rappelle que la fiabilité du sys-
                                      met pas à l’abri des erreurs (les rapports      tème électoral est basée sur le contrôle du
                                      des experts en ont mentionné lors de cha-       scrutin par les citoyens eux-mêmes. Ainsi,
                                      que élection). De plus, ces erreurs ne sont     toute prise en charge par une élite ou par le
                                      détectables que lorsque apparaissent des        pouvoir en place lèse les citoyens. Surtout
                                      résultats aberrants.[2]                         si les seuls bénéficiaires de ce système sont
                                                                                      les grandes firmes informatiques.
                                      Pour un système fiable                             Cependant PourEVA ne s’oppose pas à ce
                                        Depuis l’introduction du vote électroni-      que les élections fassent appel à l’informa-
                                      que, ni les présidents des bureaux de vote,     tique (dépouillement par lecture optique,
                                      ni les assesseurs ni les témoins des partis     par exemple). Pour David Glaude, membre
                                      ne sont en mesure d’affirmer que tout           de l’association, la validité des élections
                                      s’est déroulé correctement, car ce sont         ne peut être une affaire de confiance.
                                      les machines qui opèrent.                       Les résultats doivent être non seulement
                                        Le législateur a décidé qu’une quinzaine      vérifiables mais effectivement vérifiés par
                                      d’experts, désignés par les diverses assem-     les citoyens et cette vérification doit être
                                      blées parlementaires, surveilleraient l’en-     inscrite dans une loi électorale extrême-
                                      semble des opérations électroniques avant       ment détaillée à l’instar de celle qui règle
                                      et pendant les élections. Ces experts, qui      le vote papier. C’est la garantie pour des
[2] A Schaerbeek, il est apparu, au   doivent couvrir toute la Belgique, recon-       élections libres et honnêtes.
soir de l’élection du 18 mai 2003,    naissent que seuls les techniciens des firmes
qu’un candidat avait obtenu plus      privées qui ont installé les systèmes sont en   Conclusions
de voix de préférence que le nom-     mesure de les contrôler efficacement.             Le système automatisé ne se déploie plus
bre total de voix exprimées pour la
liste dont il faisait partie.           Le but de PourEVA n’est pas de conser-        depuis 1999. Les actions de PourEVA y ont
[3] 26/06/2008 : proposition de       ver le vote papier traditionnel à tout prix     certainement contribué. Mais la sphère poli-
résolution sur le retour au vote      mais de pouvoir vérifier que les votes sont     tique se montre encore hésitante. Ce n’est
papier pour le prochain scrutin       fidèlement comptabilisés. Or le système         que 17 ans après le début de l’«expérience»
électoral de juin 2009, déposée
par MM. André Frédéric et Eric        du vote automatisé impose une confiance         du vote électronique qu’un débat de fond
Thiébaut (http://www.poureva.         aveugle dans les experts en informatique,       aura lieu au Parlement fédéral. Bien que
be/spip.php?article567).              c’est-à-dire dans une élite hors du contröle    la quasi unanimité des experts auditionnés
[4] 31/05/2005 : Sénat : Le Minis-    démocratique qui gère une procédure sans        par la Commission conjointe de l’Intérieur
tère de l’Intérieur révèle le coût
réel du vote électronique             recomptage possible, sans bulletin réel         de la Chambre et du Sénat condamnent le
(http://www.poureva.be/article.       mais un bulletin virtuel modifiable sans        système électronique utilisé en Belgique,
php3?id_article=227).                 laisser de traces.                              une majorité de parlementaires décide,
                                                                                      en juillet 2008, la réutilisation du système
                                                                                      en vigueur lors des élections régionales
                                                                                      et européennes de juin 2009 dans les
                                                                                      communes qui l’utilisaient précédemment,
                                                                                      les communes qui décident d’opter pour le
                                                                                      vote papier ayant toutefois la possibilité
                                                                                      de le faire. Une résolution proposée par
                                                                                      des mandataires PS qui prônait le retour
                                                                                      au vote papier[3] n’a recueilli que les voix
                                                                                      des représentants du PS et d’Ecolo. Les
                                                                                      parlementaires du CDH et du Vlaams Belang
                                                                                      se sont abstenus.
                                                                                        L’ argument financier et budgétaire joue
                                                                                      aussi en défaveur du vote automatisé. Le
                                                                                      coût du parc informatique à renouveler
                                                                                      dans les communes pose déjà problème
                                                                                      mais surtout le coût réel du vote automa-
                                                                                      tisé : 4,5 € par vote est trois fois plus cher
                                                                                      que le coût d’un vote papier (1,5 €).[4]
                                                                                      Le vote manuel pourrait encore avoir des
                                                                                      beaux jours devant lui.
                                                                                                                      ALMOS MIHALY

                                      Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
LITÉ                LES    TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE ET LES RÉPONSES CITOYENNES                                                               9

                  III. CARTE MoBIB
                  Un bon exemple
                  de mauvaise mise en œuvre
                  Alors que la carte de métro bruxelloise MoBIB est en passe de remplacer
                  définitivement les anciens titres de transport en papier de la STIB, de
                  nombreux usagers continuent de s’interroger sur ses fonctionnalités.
                  Ces questions donnent un cadre pratique à des réflexions générales
                  sur l’utilisation de puces électroniques sans contact dans un nombre
                  croissant d’applications.
   ALMOS MIHALY

                  P
                          récisons d’abord l’objet de la         lecture, les articles de la loi belge seront
                          discussion qui suit. Elle concerne     cités en caractères gras et les avis de
                          l’adéquation de la carte MoBIB avec    la Commission en caractères italiques. A
                  les principes juridiques qui encadrent la      partir de ces bases juridiques, nous discu-
                  sécurité des systèmes informatiques et         terons quelques principes importants dont
                  l’état de l’art technologique de ces der-      il semble nécessaire d’exiger le respect par
                  niers. Pour rappel, le système MoBIB est       la STIB. Nous étudierons successivement la
                  basé sur la technologie RFID (ou identifi-     question de la légitimité du système MoBIB
                  cation par radiofréquence), qui permet le      via le consentement de ses utilisateurs, les
                  traitement automatisé et sans contact de       problèmes de sécurité informatique qu’il
                  données stockées sur une carte à puce. A       implique, la finalité des solutions mises en
                  ce titre, il est régi par la loi du 8 décem-   œuvre et les impératifs liés à la gestion des   Le 17 novembre 2010, la Liga
                  bre 1992 sur la protection des données à       bases de données.                               voor Mensenrechten remettra
                  caractère personnel. Les avis rendus par                                                       les Big Brother Awards distin-
                  la Commission de la protection de la vie       1. Le consentement                              guant les activités ou organisa-
                                                                                                                 tions qui ne respectent pas le
                  privée sur la problématique de la RFID           Selon la loi belge, l’utilisation de puces    droit à la vie privée. La carte
                  sont également à prendre en compte. Dans       RFID traitant des données à caractère per-      MoBIB figure parmi les candi-
                  la suite de ce texte, et pour faciliter sa     sonnel doit être légitimée par le consen-       dats.

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                                   tement libre, spécifique et informé de               2. La sécurité
                                   ses utilisateurs. La Commission précise à               En matière de sécurité informatique, il
                                   ce sujet : un consentement libre implique,           faut commencer par distinguer la sécurité
                                   entre autres, qu’un système alternatif soit          dite «en écriture» sur une carte de celle
                                   proposé à la personne concernée, lequel              dite «en lecture». En simplifiant, la sécu-
                                   doit être équivalent et ne peut impliquer            rité en écriture protège principalement les
                                   aucune sanction. Ce principe étant rap-              intérêts de la STIB : elle permet par exem-
                                   pelé, deux observations semblent impor-              ple d’éviter qu’un pirate puisse modifier
                                   tantes. Premièrement, le choix de la STIB            le nombre de trajets disponibles sur son
                                   s’est porté sur un standard (Calypso) dont           titre de transport. La sécurité en lecture
                                   une partie des spécifications (concernant            protège plutôt la vie privée des utilisateurs
                                   la sécurité du système) n’est disponible             du métro : elle permet d’éviter que les
                                   ni directement, ni gratuitement, aux usa-            données stockées sur la carte soient lisibles
                                   gers. Le site www.calypsotechnology.net              par des tiers. Sur ce sujet, les choix effec-
                                   mentionne un paiement de 1000 euros et               tués par la STIB sont pour le moins discuta-
                                   la signature d’un accord de confidentialité          bles. D’abord, il faut constater que si des
                                   pour y accéder.                                      mécanismes de sécurité sont mis en œuvre
                                     Cette opacité n’est pourtant pas une               pour protéger l’écriture, rien n’est prévu
                                   nécessité. En cryptographie (ou science de           pour protéger la lecture. A peine quelques
                                   la sécurité de l’information), la protection         mois après la mise en circulation de la carte
                                   des données ne se base jamais sur le secret          MoBIB, des chercheurs ont constaté que
                                   des méthodes utilisées, mais bien sur celui          l’identité de leurs détenteurs, leur date
                                   d’une clé numérique. Deuxièmement, aucun             de naissance, leur code postal et les lieux
                                   système alternatif n’est actuellement prévu          et heures des trois derniers compostages
                                   pour le voyageur en transport en commun              étaient accessibles en clair (sans protection
                                   qui serait réticent à utiliser une carte à           cryptographique), à tout possesseur d’un
                                   puce sans contact. Le système MoBIB actuel           lecteur de cartes à puces sans fil (en vente
                                   est donc doublement incompatible avec                libre). Pourtant, même en supposant que
                                   les exigences légales dont l’interprétation          le stockage de ces données sur la carte
                                   a été précisée par la Commission de la               soit justifié (ce que nous discuterons plus
                                   protection de la vie privée.                         loin dans le texte), la loi belge est claire :

                                                                                                                                              UCL

Les chercheurs de l'UCL ont constaté quelques mois après la mise en service de la carte MoBIB que les données étaient accessibles en clair.

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LES      TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE ET LES RÉPONSES CITOYENNES                                                                                      11
DENIS DEVOS

              Il suffit d'un simple lecteur de carte à puce pour avoir accès aux données stockées par MoBIB.

              «Afin de garantir la sécurité des données                  mesures et, d’autre part, de la nature
              à caractère personnel, le responsable du                   des données à protéger et des risques
              traitement (...) doit prendre les mesures                  potentiels». Notons que la protection de
              techniques et organisationnelles requi-                    la lecture, et donc de l’anonymat des
              ses pour protéger ces données contre                       utilisateurs du métro, avec les mêmes tech-
              (...) la modification, l’accès et tout autre               niques que celles choisies pour protéger
              traitement non autorisé. Ces mesures                       l’écriture, n’aurait engendré aucun coût
              doivent assurer un niveau de protection                    supplémentaire pour la STIB. L’absence
              adéquat, compte tenu, d’une part, de                       de ce mécanisme minimum dans la carte
              l’état de la technique en la matière et                    MoBIB actuellement déployée relève donc
              des frais qu’entraîne l’application de ces                 de la négligence gratuite.

                Les faiblesses de protection de la carte MoBIB
                   Pour la protection de la lecture et même pour la sécurité en             œuvre de meilleures propriétés d’anonymat, sont absentes. Enfin, il
                écriture, les choix technologiques de la STIB sont loin d’être à la         faut noter qu’au-delà des techniques cryptographiques choisies pour
                hauteur des standards techniques et de l’état de l’art. En effet, le seul   la carte MoBIB, peu d’indications sont données quant à la sécurité
                mécanisme de protection prévu par le standard Calypso, utilisé pour         «physique» du circuit électronique utilisé. On parle d’attaques phy-
                la carte MoBIB, est basé sur la méthode de chiffrement DES (pour Data       siques lorsqu’un pirate ne se contente pas d’espionner les entrées
                Encryption Standard), datant de 1977, et sur deux variantes de celle-       et sorties de la carte à puce, mais profite aussi d’autres canaux de
                ci : DES-X et Triple DES. La méthode de chiffrement DES est pourtant        communication. Par exemple, la consommation électrique d’un circuit
                obsolète : un nouveau standard, AES (pour Advanced Encryption Stan-         peut être utilisée pour réaliser une sorte d’électro-encéphalogramme,
                dard) a été choisi par la communauté scientifique en octobre 2000.          qui donne à l’adversaire des informations supplémentaires pour
                De plus, l’Institut National des Standards et Technologies (NIST) des       retrouver les clés de protection. Précisons que ce contexte d’attaque
                USA a retiré le DES de la liste des méthodes recommandées en 2005,          est tout à fait réaliste dans le cas d’un ticket de transport. Il serait
                estimant sa sécurité insuffisante pour les applications actuelles.          donc intéressant que la STIB informe également ses clients sur cette
                                                                                            question, par exemple en publiant les résultats d’un rapport de
                  La carte MoBIB étant une application nouvelle, pour laquelle aucune
                                                                                            certification, tel que communément requis dans l’industrie bancaire,
                contrainte de compatibilité avec d’anciennes infrastructures ne se
                                                                                            pour les applications sécurisées.
                posait a priori, on peut s’interroger sur la pertinence de l’utilisation
                de technologies en fin de vie, voire périmées, comme base de la                Sur ces différents points, soulignons enfin que ce n’est pas seu-
                solution adoptée. Il faut aussi mentionner que le standard Calypso ne       lement la vie privée des utilisateurs qui est menacée, mais aussi
                possède que des outils cryptographiques permettant le chiffrement des       l’intégrité du système complet. Il n’est pas exclu qu’un pirate profite
                données. Les fonctionnalités avancées que l’on retrouve sur la plupart      de la faiblesse des protections de la carte MoBIB, dans le cadre d’une
                des cartes bancaires actuelles, permettant par exemple de mettre en         fraude.

                                                    Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
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                                                                                                        SEBASTIEN KENNES
     Un membre d'un collectif citoyen interpelle un usager sur les implications du système MoBIB.

     3. La finalité                                      les tickets électroniques peuvent être un
        Citons à nouveau la loi belge : «Les don-        excellent outil pour optimiser le service de
     nées collectées doivent être adéquates,             transport et obtenir des informations préci-
     pertinentes, non excessives au regard               ses quant à la fréquentation des différentes
     des finalités pour lesquelles elles sont            lignes. Il n’est cependant pas nécessaire de
     obtenues et pour lesquelles elles sont              stocker d’informations à caractère person-
     traitées ultérieurement». La Commission             nel pour ce faire. Des identifiants renouve-
     de la protection de la vie privée explicite         lés aléatoirement à chaque compostage de
     ce principe de «minimisation des données»           ticket permettraient à la STIB de réaliser
     et détaille : «lorsque les données person-          ces statistiques de fréquentation de façon
     nelles ne sont pas nécessaires, il ne faut          parfaitement anonyme. En résumé, l’es-
     pas les collecter. Lorsque leur collecte est        sentiel est de souligner que l’état de l’art
     indispensable pour répondre à des objec-            permet d’apporter une solution technique
     tifs spécifiques, des technologies doivent          aux impératifs juridiques. Malheureuse-
     être mises au point, afin que les individus         ment, le standard Calypso choisi par la
     puissent utiliser les services de manière           STIB ne dispose pas d’une grande capa-
     totalement anonyme, ou en employant un              cité d’adaptation, vu ses fonctionnalités
     pseudonyme». Sur cette question essen-              limitées. A moyen terme, l’évolution du
     tielle, il faut d’abord rappeler que les            système vers des cartes à puces plus puis-
     finalités de la carte MoBIB sont «la lutte          santes, et une infrastructure offrant de
     contre la fraude» et «la gestion de la clien-       meilleures propriétés d’anonymat, semble
     tèle». Concernant la lutte contre la fraude,        donc souhaitable.
     il est évident que les données collectées
     par la STIB sont excessives. En effet, pour         4. La gestion des bases de données
     assurer cette fonctionnalité, il suffirait à la        Ce point est presque accessoire au vu
     STIB de vérifier que chaque utilisateur soit        des arguments qui précèdent, car au final,
     en possession d’un ticket valide et, dans           les données stockées ne devraient pas être
     le cas contraire seulement, de procéder             associables à un utilisateur de transports
     à un relevé d’identité. Il n’est donc pas           publics. Il faut néanmoins mentionner que,
     nécessaire que le ticket (électronique ou           jusqu’à présent, les courriers envoyés par
     en papier) révèle d’information à caractère         la STIB à ses clients ne contiennent pas de
     personnel par défaut. Par ailleurs, concer-         renseignements clairs au sujet de la durée
     nant la gestion de la clientèle et du trafic,       de conservation des données relatives aux

     Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
LES     TECHNOLOGIES DE CONTRÔLE ET LES RÉPONSES CITOYENNES                                                                13

                 trajets effectués par ceux-ci. A ce sujet,        Notons aussi que le maintien des tickets de
                 la loi belge est pourtant explicite : Les         transport en papier, en tant que système
                 données doivent être conservées (...)             alternatif proposé aux utilisateurs du métro
                 pendant une durée n’excédant pas celle            et du tram, est d’autant plus important que
                 nécessaire à la réalisation des finalités         la carte MoBIB ne présente pas les mêmes
                 pour lesquelles elles sont obtenues.              propriétés d’anonymat. Mais le maintien
                   Pour conclure, soulignons que le cas du         des tickets doit aussi s’envisager pour des
                 ticket de transport évoqué dans cet article       raisons budgétaires. Si le coût d’une infras-
                 n’est habituellement pas ressenti comme           tructure électronique anonyme (à évaluer)
                 un danger grave par le citoyen. Il constitue      s’avère, dans un premier temps, trop élevé
                 pourtant un précédent préoccupant, dans           pour la STIB, cela signifie qu’un délai sup-
                 la mesure où il illustre parfaitement le          plémentaire aurait dû (et doit encore)
                 développement mal contrôlé de techno-             être envisagé, avant la généralisation des
                 logies potentiellement invasives. D’autres        cartes MoBIB et sa substitution aux tickets
                 utilisations des puces électroniques sans         en papier. Précisons que l’objectif de cet
                 contact, dans le domaine de la santé, de          article est constructif. En réagissant posi-
                 l’éducation, ou pour l’accès à un nombre          tivement aux critiques formulées, la STIB
                 croissant de services, ainsi que la possi-        pourrait se poser en exemple, favorisant
                 bilité éventuelle de combiner toutes les          l’évolution positive de systèmes de paie-
                 données recueillies par différentes sources,      ment électroniques anonymes. Enfin, les
                 sont autant d’invitations à une réflexion en      utilisateurs préoccupés par ces questions
                 profondeur et à une application stricte de        seront intéressés par l’action entreprise
                 la loi. Par ailleurs, la situation actuelle est   par la Ligue des Droits de l’Homme, qui
                 décevante, dans la mesure où l’expertise          vise à encourager une amélioration du
                 nécessaire à la conception de systèmes            respect de la vie privée des utilisateurs des
                 électroniques sécurisés existe, en Belgi-         transports publics bruxellois. Les détails de
                 que et en Europe, dans les entreprises et         cette action (et la lettre à adresser à la
                 les universités. Les textes juridiques sont       STIB) sont disponibles à l’adresse suivante :
                 également clairs quant à la volonté du            http://www.liguedh.be/. Les suites de la
                 législateur de protéger la vie privée des         campagne sont présentées en page 15.
                 personnes.                                                         FRANÇOIS-XAVIER STANDAERT
                   L’évolution de la carte MoBIB vers une                                    ET FRANÇOIS KOEUNE
                 nouvelle version, offrant de meilleures                (CRYPTO GROUP, UCL, LOUVAIN-LA-NEUVE)
                 propriétés de sécurité et se conformant à            FRANCK DUMORTIER ET ANTOINETTE ROUVROY
                 la loi belge sur la protection des données à                (CENTRE DE RECHERCHE INFORMATIQUE
                 caractère personnel, est donc nécessaire.                            ET DROIT, FUNDP, NAMUR)
JEROME MATAGNE

                                                                                                                   Pour laisser la liberté de choix
                                                                                                                   entre l'abonnement MoBIB et la
                                                                                                                   carte papier anonyme, les prix
                                                                                                                   doivent rester équivalents.

                                                  Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
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     Conclusions

     L
             a notion de récalcitrance nous             Cette situation de dépendance des firmes
             éclaire sur deux aspects de notre        informatiques a été illustrée par la carte
             vie de citoyen: d’une part, sur les      MoBIB (traçage des mouvements de l’indi-
     mécanismes de contrôle destinés à adapter        vidu) et le vote électronique (suppression
     et anticiper les besoins des citoyens et         du contrôle par les citoyens du bon fonc-
     d’autre part, sur la pratique de la liberté.     tionnement du système). Ces domaines
     L’idée de récalcitrance s’attaque aux            relèvent tout particulièrement de la gestion
     processus qui, imperceptiblement, s’ins-         des pouvoirs publics. Tant que des progrès
     tallent dans les normes de la société et         restent à faire pour sécuriser les données
     conditionnent les comportements. Elle est        à caractère personnel, le principe de pré-
     une riposte au contrôle et à l’adaptation de     caution devrait s’appliquer aux dispositifs
     l’espace public et à la programmation de la      qui ne protègent pas la vie privée.
     vie privée. La thèse d’Antoinette Rouvroy          La fuite en avant dans le développement
     appelle à «opposer aux machineries de pré-       technologique doit être aussi évaluée en
     diction sans projet» la puissance spontanée      termes de libertés perdues. La collectivité
     de «nos projets sans prédiction, essentielle     — et surtout les pouvoirs publics — doivent
     à la vitalité démocratique».                     développer des garde-fou pour protéger les
       Nous avons abordé, dans ce dossier, les        droits fondamentaux des citoyens.
     risques de la «gouvernementalité algorith-         Contre le déploiement des technologies
     mitique», c’est-à-dire de la gouvernance         de contrôle, les réponses de la société
     reposant sur la gestion de la vie publique       civile s’exercent dans la marge. Face aux
     et privée par des machines.                      différents systèmes qui se répandent insi-
       Le premier danger est le déploiement des       dieusement dans la société, des actions
     technologies de contrôle accepté comme           collectives, symboliques ou ludiques, sont
     inéluctable au nom du progrès technolo-          des contre-feux qui éclairent les rouages
     gique. Que ce soit la carte de banque, de        du système et ouvrent des pistes pour les
     fidélité, la carte SIS, les GSM ou les GPS,      contourner. Citons par exemple, la Free
     on assiste à une multiplication des moyens       zone du Collectif sans ticket ou le recen-
     de contrôler, à l’insu de l’individu, ses com-   sement et la mise sur Google des caméras
     portements d’achat, ses déplacements, et         de surveillance (kamspotting) lancée par
     partant, son emploi du temps.                    la Liga voor Mensrechten [1].
       Le second danger est l’intégration de ces        Les actions citoyennes veulent tirer de
     systèmes en une seule carte. Projet qui a        l’ombre les implications d’un monde qui
     déjà germé sous le nom de Freedelity où          veut prévoir les actes et connaître les pen-
     les cartes de fidélité seraient rassemblées      sées des individus pour assurer un monde
     sur la carte d’identité.                         organisé et sécurisé. Accepter les moyens
       Enfin, le dernier danger est celui du          de surveillance et fichage, c’est réaliser la
     déficit démocratique car la gestion des          fiction de «1984». Ainsi parmi les actions
     données collectées est privatisée et man-        qui nous interpellent, on trouve la remise
     que de transparence. En effet, la gestion        des «Big Brother awards» et «Orwell
     est entre les mains des pourvoyeurs de           awards» pour lequel la carte MoBIB a été
     technologies qui sont en même temps les          nominée en 2010 [2], aux auteurs de prati-
     bénéficiaires et les contrôleurs des pro-        ques détournant le contrôle citoyen. Ces
     cessus mis en place. Il est inquiétant de        actions sont multiples : elles interpellent
     constater que les pouvoirs publics, garants      par des pétitions, par des actes de déso-
     de la protection des libertés citoyennes,        béissance civile, et agissent pour réveiller
     soient dépassés ou indifférents face au          les citoyens à des réalités qu’ils peuvent
     pouvoir d’intérêts privés.                       encore refuser au nom de la démocratie.

                                                      [1] www.winuwprivacy.be
                                                      [2] Actions de la LDH et LM.

     Bruxelles en mouvements n°240 • 10 septembre 2010
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