LES JEUX DU CORPS POUR UNE PÉDAGOGIE DITE CLINIQUE
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Pierre THERME, Agrégé d'EPS, Centre de recherche UEREPS de Marseille, CP 910, 13288 Marseille Cedex 9. LES JEUX DU CORPS POUR UNE PÉDAGOGIE DITE CLINIQUE Dans le concert contemporain des Sciences Humaines cliniques, deux courants divergent à partir de questions épistémologiques. Dans la tradition clinique formalisée par LAGACHE (1949), et plus tard par FANEZ-BOUTONNIER et J. GAGEY (1958/78), la psychologie clinique ouvre son champ d'investigation et de pratique à des lieux dans lesquels la prédominance relationnelle et intersubjective structurent l'activité. A l'opposé un courant de psychologie clinique issu, pensons- nous, des lieux de l'analyse, circonscrit plus précisément le champ de cette discipline. Position « orthodoxe », dont la théorie de la psychanalyse constitue le référentiel unique. Le conflit intra-psychique détermine électivement toute conduite, dès lors le travail clinique ne saurait se concevoir à l'extérieur d'une situation et d'une élaboration psychanalytique. Dans cette optique, proposer une pratique de «pédagogie clinique» constitue un obstacle épistémologique incontournable, qui obstrue toute prétention clinique en dehors des lieux qui délimitent la pratique psychanalytique. Ces deux orientations résonnent dans des espaces où la référence clinique est utilisée. Dans le champ des Activités Physiques et Sportives, les publications à dominante clinique reproduisent les clivages existant au sein des territoires d'où nous importons les concepts. Nous nous appuyons dans cet article sur les propositions épistémologiques de J. GAGEY (1979) (1). «A l'heure actuelle en clinique, nous nous trouvons dans ce passage au sein du régime scientifique. Il y a naissance d'une scientifisation », la position d'inclusion et de regroupement d'un ensemble d'interventions cliniques utilisant divers médias permettrait de définir programmatiquement une discipline. Le souci de l'auteur est bien de spécifier le champ de la psychologie clinique (1973) par la fédération des lieux disciplinaires dans lesquels le travail sur les concepts permettrait aux cliniciens de spécifier leurs discours. La constitution d'une pédagogie clinique, outre les considérations méthodologiques, ne peut se contenter d'une seule lecture psychanalytique des actions et des pratiques éducatives. Toutefois, un obstacle majeur à cette construction résiderait dans l'interprétation sauvage et toute théorique de la structure des pratiques. Nous ne pouvons que souligner les dangers du « glissement des concepts » de l'absence d'une « mise à l'épreuve » des savoirs VIGARELLO G. (2) (1983). Dans le domaine de l'Education Physique et Sportive, les spéculations consistant à affirmer
que le ballon en sports collectifs constituerait un « objet transitionnel » au sens Winnicottien, ou que le kimono de Judo serait une néo-enveloppe charnelle, pourraient aboutir d'une part à discréditer la portée scientifique des théorisations naissantes en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, d'autre part à condamner cette discipline « Universitaire » au rôle restreint de champ d'application à portée technique dont l'objet serait réduit aux analyses technicistes et technologiques. Le propre des démarches d'inférence inductive consiste en des élaborations discursives dont le lieu original est une pratique et dont le caractère longitudinal permet, pour une part, l'administration de la preuve. Les disciplines pédagogiques, en général, et l'Education Physique, en particulier, n'ont ni sens, ni logique interne en dehors des significations et des opérations que l'enfant, l'adolescent et l'enseignant leur attribuent dans l'interaction de la pratique, de l'effection réelle ou imaginaire. C'est en nous référant à dix années de pratique (3) « Judo » avec des enfants et adolescents prépsychotiques et psychotiques que nous proposons de délimiter les bases d'une éventuelle pédagogie clinique. La centration originelle sur la pratique a induit un cheminement de nos attitudes pédagogiques et de nos conceptualisations. NAISSANCE D'UN ESPACE A l'issue de quelques années de pratique hebdomadaire lorsque certains enfants psychotiques nous investiront intensément, lorsque les conduites transférentielles s'établiront nous serons amenés à saisir le sens de notre implication telle que nous l'éprouvons dans l'ici et le maintenant de notre action pédagogique. La compréhension progressive. de ce « senti contre-transférentiel » nous a incité à conscientiser nos productions en les élaborant dans un discours second. Le contact avec des psychotiques et la participation à un contrôle psychologique personnel ont joué un rôle de révélateur, de catalyseur dans le type de discours que nous tenons. Les conduites transférentielles furent massives et envahissantes, elles brisèrent le rempart du savoir en vu de nous manipuler à partir des rôles qui nous étaient attribués. La barrière du savoir hypothéquant toute attitude à visée thérapeutique a peu à peu disparu faisant place au libre jeu des messages, des émissions de sens et de langage médiés par l'activité Judo. « Toute socialisation immédiate de la relation, toute imposition d'un modèle culturel (p.e. : médical ou pédagogique) empêche ou diffère la mise en place de l'espace psychothérapeutique ». Il s'agit ici, comme le souligne P. FEDIDA (1977) (4) de psychothérapie et non de pédagogie clinique. Toutefois, ne pouvons-nous pas considérer que la situation psychanalytique est dans une certaine mesure institutionnalisée ? Et d'autre part, pouvons-nous douter du caractère « étrangement intime » selon l'expression de l'auteur, de la situation pédagogique corporelle dans laquelle nous
nous trouvons ? Faire de la psychothérapie n'est ni notre dessein, ni notre spécificité, mais il apparaît impossible dans le contexte qui est le notre de ne pas en faire. Les modalités relationnelles de notre espace sont ramenées à la particularité d'un faire et d'un dire médiés par une activité particulière : le Judo. Le glissement à la thérapie est possible et nous ne pouvons l'occulter (5). Encore faut-il dire de quelle thérapie il s'agit. En analysant les données cliniques recueillies durant les trois premières années de pratique une rupture apparente s'est produite dans nos attitudes pédagogiques. C'est la prise de conscience de la présence d'un « champ transférentiel » ne nous laissant pas « indifférents » qui a ponctué ces transformations. Dès lors, comment passer de la régression gratifiante à la progression frustrante, du bénéfice secondaire du symptôme à la réduction des résistances, comment s'inscrire dans un lieu de questionnement et de pratique spécifique ? Il ne s'agissait plus de dicter des règles de conduite, de canaliser des comportements moteurs et de respecter un programme d'apprentissage mais bien de prendre en compte des circulations diffuses d'appels et de rejets, d'amour et de haine, d'agressivité et d'adhésivité auxquels nous étions soumis. Dès l'instant où nous nous sommes interrogés sur le sens de ces conduites, notre attitude pédagogique se réorganisa. Le questionnement sur notre pratique, ne renvoyait plus à un modèle classique de l'Education Physique. La fonction pédagogique s'oriente inéluctablement sous la poussée du réel, vers une fonction clinique. LES PRATIQUES CORPORELLES DANS L'ENSEIGNEMENT Les recherches pédagogiques en Education Physique et Sportive sont aujourd'hui très performantes en matière d'outillage, de technique. Les données récentes sur l'évaluation des objectifs pédagogiques, constituent pour l'enseignant un ensemble de technologies opérationnelles. Il nous semble à la lecture de ces travaux, que la recherche action fuit par on ne sait quelle défense son propre objet, sa propre dimension. La technologisation de l'acte pédagogique occulte toute réflexion sur les avatars du système relation-implication que sous tendent plus particulièrement les pédagogies à médiation corporelle. La sophistication et la complexité des techniques pédagogiques contemporaines opèrent involontairement une neutralisation des variables et des composantes cliniques essentielles de l'action éducative. Nous ne pouvons ici que souscrire aux analyses de FILLOUX (J.) 1983 (10) lorsqu'elles problématisent la séparation entre le savoir objet d'innovation et le sujet apprenant.
Dans les situations pédagogiques aménagées en Education-Physique et Sportive, malgré un néo-rationnalisme pédagogique qui résulte, semble-t-il, d'un glissement de préoccupation des discours, des techniques sportives aux techniques pédagogiques, il s'agit bien, en fait, de la mise en jeu du corps, pas d'une motricité neutre, mais du corps articulé sur le verbe, du fantasme qui met ou non en scène le corps comme désir originaire. Car, si la syntaxe linguistique est un produit tardif de la genèse, le corps est un produit originaire de cette même genèse. Dès lors, comment peut-on nier ce corps surface et volume, attitude et mouvement support de l'origine des premiers fantasmes de l'enfant à sa mère, de la mère à l'enfant et au père dans la relation triadique, si non par une amnésie défensive ou un rejet réactionnel de ce que FREUD (1887-1902) (11) a appelé la métapsychologie. C'est bien le corps qui est à l'origine, corps à corps avec la mère, auto-érotisme narcissique, c'est bien lui qui devient signe par l'intermédiaire du contenu fantasmatique qui constitue la base symbolique du corps et comme son subtrat originel. Toutefois, le corps n'est pas ce par quoi tout s'exprime il n'est pas la voie royale d'accès à l'inconscient et le postulat : libération du corps, condition de la libération de soi, semble peu fondé car le corps est aussi le déni, il peut être le « non signe » ce par quoi rien n'est exprimable. Il nous appartient en qualité d'éducateur de connaître et de situer le corps de notre pratique pédagogique. Les prémices d'une telle réflexion pourraient s'actualiser dans un travail d'anamnèse et de verbalisation sur le « ce qui s'est passé », le « ce que j'ai ressenti et éprouvé » durant les temps d'enseignement. La banalité de telles procédures ne tombe plus sous le sens dès que l'on a vécu des situations semblables et dès que l'on a pris conscience du retour compulsif et défensif des considérations sur les savoirs, les programmes, les techniques d'organisation et de transmission. Il est, à cet égard, significatif de constater dans les nombreux écrits sur « l'échec scolaire », l'insuffisance d'analyses intégrant des problématiques cliniques. S'agirait-il encore des effets persistants, institutionnels et psychologiques du mythe de l'excathédra »? Refuserions-nous encore de nous départir du statut de paradigme que l'école de la IIIe République a fortement contribué à édifier ? (12) L'absence d'une formation clinique des enseignants doit aussi constituer un obstacle à ce travail clinique. « Le corps de l'enseignant » selon l'expression de PUJADE RENAUD (01) (1977) (13) est comme naturalisé, asexué et «désérogénéisé» artificiellement, toutefois le « retour du refoulé » traverse le tissu des relations inter-subjectives et participe ainsi pleinement à la réussite ou à l'échec de l'action éducative. LE CORPS ET SON IMAGE Les pratiques corporelles largement utilisées comme discipline éducative de la Maternelle au Secondaire se différencient tant au niveau de leur finalité qu'à celui de leur objectif. D'une utilisation du mouvement comme propédeutique de l'apprentissage des fonctions mathématiques à une finalisation purement hygiénique ou sportive, nous nous trouvons devant de larges créneaux de mobilisation du corps de l'enfant.
Cette prolifération d'espaces de pratiques devrait induire une réflexion sur la place du corps dans l'ontogenèse de la conduite. Au regard de notre pratique pédagogique en milieu psychiatrique, nous ne pouvons que souligner la prégnance dans le développement de l'enfant des fonctions de l'image du corps au sens dans lequel DOLTO (F.) (1984) (14) l'a récemment formalisé : le schéma-corporel, structure psychophysiologique et neurologique est une « réalité de fait », une permanence de l'espèce relative au Phylum, alors que « l'image du corps est à chaque moment mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel », elle est une construction, une «incarnation symbolique inconsciente du sujet désirant». C'est donc le « croisement ii entre le schéma corporel et l'image du corps qui permet la communication, la création de liens inter-subjectifs et leur coloration. PANKOW (G.) (1976) (15) a développé l'ensemble de son travail thérapeutique sur la reconstruction des failles de l'image du corps, à partir des structurations pathogènes de l'imaginaire corporel. Chez ces deux auteurs, les études de cas traduisent cet ancrage ontogénétique de l'image du corps. Autant la structure du schéma corporel paraît relativement universelle (16), autant l'image du corps est intimement liée à l'histoire du sujet, aux caractéristiques psychiques de son développement au sein des relations mère-père-enfant et de leurs natures inconscientes. Ainsi, de fait, l'image du corps se différencie d'un sujet à un autre, elle n'est point une donnée dont le contenu serait universel, mais le résultat singulier de l'évolution diachronique d'un sujet. Dès cet instant, revendiquer une éducation par le média corporel ne peut s'envisager qu'en prenant en compte cette réalité, c'est-à-dire en introduisant la composante clinique dans l'acte éducatif, faute de quoi la portée éducative ne pourrait qu'être à dominante instrumentale, améliorant les facteurs d'exécution et d'effection ce qui constituerait, par ailleurs, des objectifs tout à fait louables. Ce qui nous paraît essentiel au plan épistémologique, c'est l'adéquation entre les finalités et objectifs centrés sur les facteurs émotionnels, relationnels psychologiques de la conduite, et les méthodes pédagogiques, les attitudes, les systèmes d'évaluation, les interrelations utilisées dans la réalité des séances. LA PLACE DE L'ADULTE Il ne s'agit pas pour nous de découvrir véritablement de nouveaux savoirs, mais d'articuler des savoirs pertinents dans un domaine spécifique pour étendre la signification des faits observés et des implications vécues. Nous proposons tout simplement d'autres modalités « d'observation-participation » des faits corporels, sans présuppositions théoriques préalables afin de dégager une genèse de modèles pour espérer parvenir à une approche de ce qu'il y a de singulier dans la dynamique de chaque enfant dont la mimique, les gestes et attitudes, ainsi que l'expression langagière constituent la synthèse vivante interhumaine. Notre vigilance durant les séances n'est pas uniquement polarisée sur le constat
des progrès et des manques, mais aussi sur ce qui se dit et se fait, et ne se dit pas ou ne se fait pas, en réponse de ce qui est fait, dit ou ne pas dit. L'enseignant n'est pas une machine à constater et à modifier les aléas du comportement moteur, mais aussi, de par une formation qui reste à mettre en place, celui qui essaie de sentir et comprendre la signification de ces mêmes comportements moteurs. Pour ce faire, il est essentiel de tenir compte de ce que nous déposons nous mêmes dans ces faires, de ce qui est directement issu de nos propres désirs et attentes de ce qui est notre représentation. C'est la traduction en paroles de ce ressenti qui a pour effet de «réorganiser» selon le concept de GAGEY (opus cité), la personne de celui qui l'émet, et ainsi de réappréhender la situation dans son réel. Car les processus sous- jacents à la relation ayant été dits ou évoqués se retrouvent conscientisés et de fait ne parasitent plus aussi massivement la relation-implication. Nous voyons que la démarche est inversée par rapport à celle qui partant de programmations, pré-élabore des stratégies d'acquisitions, des planifications temporelles, et des présuppositions évaluatives. Le discours n'est plus centré sur l'enfant, entité neutralisée et aseptisée par une vue purement positiviste, mais il est ramené au lieu de l'intervalle entre lui-même et l'adulte. Dans la situation scolaire classique, la réalité n'est que celle de l'adulte et de l'institution, le discours n'est alors qu'un placage conceptuel étranger au lieu de la pratique. Dans le cadre d'une approche clinique, la réalité première est constituée par la situation. La mise au jour des processus imaginaires et fantasmatiques de la relation, conduit à des élaborations pédagogiques et conceptuelles beaucoup plus proches de la réalité. Ce qui permet à l'enfant de vivre la situation selon une dynamique authentiquement éducative et formatrice. Car, par l'intermédiaire du travail d'élucidation et de conscientisation de l'adulte, l'enfant trouve un équilibre adéquat entre les processus introjectifs et projectifs résonnant dans la relation à autrui et participant au développement de son identité de son «je», finalité d'autonomie que l'on retrouve régulièrement dans les intentions éducatives contemporaines. Une des premières caractéristiques de notre travail, réside donc dans l'aménagement de l'intervalle relationnel, selon les données d'un projet clinique d'une psycho-pédagogie clinique. RESNICK (J.) (1973) (17) montre bien le rôle fondamental que jouent ces perpétuels mécanismes de l'implication avec l'autre dans la portée thérapeutique. Les attitudes et contre attitudes dans la relation «enseignant-enseigné» médiées par l'objet didactique, sont déterminantes du processus éducatif. « L'enfant devient conscient de lui-même et de l'autre dans la mesure où il peut vivre ses propres intentions dans les expressions de l'autre, ainsi que celles de l'autre dans ses propres gestes ». Il est illusoire de vouloir isoler la personne de l'enseignant de l'action didactique, et bien sûr il ne suffit pas non plus de ne le faire que figurer dans un schéma. En fait, l'adulte est pleinement présent dans la situation éducative, il y règne en maître et y dépose son univers fantasmatique, ses propres désirs, et peut obtenir en réalité des effets éducatifs opposés à son dessein. « Pour la psychologie clinique la
personnalité n'est pas un empire, un monde clos, fermé sur soi, mais elle n'existe que par ses actes et par des actes qui visent autrui, qui se déploient au niveau des relations interpersonnelles » PREVOST (C.) (opus cité). Nos positions procèdent en fait d'un postulat, implicite, celui de considérer la pédagogie, c'est-à-dire cette situation originale composée de la pleine présence d'un processus « d'humanisation », comme un espace où s'actualise un tissu relationnel. Quel que soit l'objet didactique, nous ne pouvons éluder ce constat. Il semblerait donc qu'en mettant à l'épreuve la psychologie clinique dans le champ des pédagogies corporelles, on n'importe pas une méthode opérante en d'autres lieux, car il y a un isomorphisme patent entre l'objet de la clinique et celui de la pédagogie. Il y a même dépendance fonctionnelle thérapeute-patient et enseignant- enseigné, la différence n'est que de degré. A l'appui de cette conception, nous pouvons noter l'analyse de BERNARD (M) (1973) (18). « Plutôt qu'agent d'application d'une psychologie préexistante, le psychopédagogue aura à analyser le champ psychologique singulier émanant des conditions particulières de l'exercice pédagogique ». Pour cet auteur, la praxis ne peut jamais « correspondre aux déductions d'un savoir élaboré » c'est de la pratique et d'elle seule qu'émanera la conceptualisation. La situation pédagogique n'est pas le réceptacle d'un savoir universel, elle constitue une « totalité sui géneris » dont la problématique est originale. RELATION ET COMMUNICATION Nous insistons sur le fait que « Faire faire » des pratiques corporelles à l'école primaire ou dans le secondaire implique inéluctablement la mise en jeu de réseaux inter-psychiques implicites, qui à des degrés divers participent pleinement à «l'éducation». Les processus de ces relations, ne peuvent pas obéir à des systèmes d'objectifs et d'évaluations dont les indices ne sont référés qu'à des productions comportementales apparentes des individus. La rationalité des procédures contemporaines de mise en projet de la pédagogie pourrait jouer dans certains cas le rôle de « pare-excitations ». Les réalités inter et intra-subjectives sont en quelques sortes réifiées. Or, il s'avère que, construire des finalités et des stratégies pédagogiques d'Education physique sans tenir compte des étayages du « corps neuro-physiologisé » sur les modalités imaginaires et libidinales de gestion du mouvement, revient au mieux à réduire la portée éducative, ou bien à introduire des biais inconscients dont les effets pourraient être opposés aux finalités escomptées. Comment donc peut-on gérer pédagogiquement d'une part, les productions de sens dont se charge la motricité du sujet agissant, d'autre part les jeux et les enjeux latents de la relation, de la communication au sein des pédagogies à médiation corporelle ? Dans un premier temps, il nous apparaît nécessaire de fournir un contenu à ces processus inter-individuels. Dans un texte déjà ancien, NACHT (1963) (19) introduisait les concepts de « qualité de présence », de « disponibilité intérieure et d'accueil » dans la relation psychanalytique. Cette position conceptuelle est certes
relative à la situation particulière de la cure, toutefois ces mécanismes structurent, qu'on le veuille ou non, les relations interpersonnelles mettant aux prises des subjectivités dans le groupe classe. Le concept de communication suppose donc, tout d'abord, l'éveil d'une vigilance vis à vis des processus pré-conscients et inconscients agissant dans l'intervalle de la relation à autrui. Dans ce contexte, la matière à enseigner n'est plus un moyen ni une fin, mais un simple support de la relation dans l'ici et le maintenant du cours d'éducation physique ; condition minimale à la libre circulation des productions de significations de l'enfant. Ce nouvel ordre conceptuel s'est élaboré sous l'effet de l'élucidation des processus intersubjectifs latents. De tels phénomènes existent dans d'autres lieux, mais l'intense désir du malade les actualise de façon plus massive et plus significative. SAMI ALI (1977) (6) propose une étude relative au statut métapsychologique du corps, à la suite d'entretiens avec des psychomotriciens il conclut « On s'aperçoit alors, que quel que soit l'effort fourni pour la mise en application des techniques standardisées il se crée une situation transférentielle mettant aux prises deux subjectivités ». Il apparaît donc superflu de vouloir neutraliser une attitude pédagogique afin d'écarter du discours toute considération d'ordre psychique. Tout effort de sauvegarde de l'intégrité conceptuelle référée à un seul modèle, aussi rationnel soit-il, est vain. Dans toute situation mettant en jeu une relation interpersonnelle, soit dans un contexte thérapeutique, soit dans un contexte pédagogique, il est difficile d'occulter la mise en jeu de procédures irrationnelles de communication (irrationnel : dans le sens de singulier, ce qui ne veut pas dire sans ordre et sans logique). Le sentiment de l'existence de ces processus au sein de notre pratique fut donc à l'origine d'un changement d'orientation. Notre attention se porta progressivement sur l'écoute de ce mécanisme d'appel-réponse médié par le corps à corps Judo. Et c'est à partir de l'adoption de cette position d'écoute que nous avons pu procéder à une analyse récurrente. L'effet dynamisant d'une telle attitude a induit cette « pratique de la discursivité », concept cher à J. GAGEY (1977) (7), c'est-à-dire, pratique d'une analyse seconde sur nos productions antérieures. Cette nouvelle parole et ce nouveau discours eurent valeur réorganisatrice de par leur formulation. Le malaise pédagogique, l'agressivité culpabilisante trouvèrent dans l'élucidation, dans le dire, une voie de résolution. « La prise de conscience, c'est-à-dire l'aveu modifie fondamentalement la personnalité » c'est dans cet acte de parole que PREVOST (C.) (1968) (8) recentre l'opérationnalisation de la clinique, acte de parole contemporain de l'émergence au niveau conscient d'un système de fonctionnement psychique, cristallisé autour des défenses. Ce nouvel espace pédagogique et discursif est donc le résultat d'un itinéraire que l'anamnèse a permis de mettre au jour. La construction du savoir sert à pallier les manques « que par son absence l'objet inscrit dans le psychisme » GORI (R.) 1977 (9). Encore faut-il comme le souligne l'auteur, que ce savoir ne soit pas délirant.
La mise en place d'un système plus ouvert, moins répressif, revalorisant la fonction d'échange ne pourra s'effectuer par le seul discours, le seul projet théorique. Dans son article relatif à la « transmission de l'information » et aux « difficultés de la communication» ARDOINO (1973) (20) démantèle les processus d'échange tant dans les institutions économiques que dans l'acte éducatif. L'auteur montre combien ces pratiques ne peuvent s'inscrire dans un projet de communication authentique. «...Tant que du point de vue dialectique on n'a pas accepté la contradiction, le conflit, il n'y a pas non plus de médiation possible. Mais il n'y a pas non plus d'éducation sans « altération » au sens étymologique, c'est-à-dire sans ce changement qui fait devenir autre par l'action de l'autre...». Nous trouvons ici formalisé, le point focal de l'acte pédagogique constitué par cette double altération, prendre le risque d'être « altéré » par l'autre sous-tend l'élucidation de la manière dont on « altère » celui-ci. Il apparaît donc deux temps, dans ce que communément nous appelons la relation pédagogique. Tout d'abord, l'acceptation du conflit, c'est-à-dire, la « permission » d'un certain type d'investissement de l'activité corporelle, la libre circulation des motions psychiques qui construisent l'image du corps de l'enfant et de l'adulte. Ensuite, l'acceptation des risques qu'une telle attitude suscite, à savoir, la difficile épreuve du remaniement de soi, du questionnement de nos apparentes certitudes. L'acte pédagogique n'est plus ici un concept connoté de notions telles que l'amélioration du rendement, des acquisitions d'un savoir par la mise en place d'une restructuration matérielle et topographique de l'espace ; il est analysé dans son contenu, dans l'aléa intersubjectif de ce qui s'actualise réellement entre l'autre et moi. Notre formation pédagogique a occulté l'existence de ces faits, de ces sens présents dans le champ relationnel d'acquisition des savoirs. L'a-t-elle ignoré, ou l'a-t-elle considéré comme inessentielle, contingente ? Cette absence de formation clinique est paradoxalement largement compensée par la primauté des apprentissages techniques. Ne retrouve-t-on ici pas encore l'efficience de cette main redresseuse dont G. VIGARELLO (1978) (20) nous a enseigné les différentes formes qu'elle a prise dans l'histoire des pratiques corporelles. L'absence de recettes, de technologies et techniques concrètes que recèle ce texte, n'est pas fortuite elle relève de mon désir de susciter l'interrogation, le questionnement avant l'action. Sachons toutefois qu'en ce qui concerne les pratiques corporelles, le sujet est souvent ailleurs que dans ce qu'il produit au plan moteur, et que le dire constitue un indice permettant de le situer dans le faire.
NOTES et BIBLIOGRAPHIE (1) - GAGEY (J.) (1979) Conférence : Contre transfert et psychologie clinique - MARSEILLE, inédit. (2) - VIGARELLO (G.) 1983, La pluralité nécessaire in LAURENT (M), THERME (P.) (coord. par)., Recherches en Activités Physiques et Sportives (1), MARSEILLE, 1985, AIX-MARSEILLE II. (3) - Pratique hebdomadaire menée avec la collaboration scientifique du Professeur SOULAYROL (R.) et de RAUFAST (A.) avec lequel nous avons publiés certains résultats. (4) - FEDIDA (P.), 1977, Corps du vide et espace de séance, PARIS, Editions Universitaires, p. 145. (5) - A partir d'entretiens cliniques avec des enseignants d'Education Physique travaillant dans des collèges dont le bassin de recrutement est situé dans des quartiers particulièrement défavorisés, nous avons pu mettre au jour un glissement de l'action éducative vers des effets de soutien thérapeutique, d'aide à la reconstruction psychique. Cette réalité est incontournable et devrait nous interroger sur la formation des enseignants. (6) - SAMI-ALI, 1967, Corps réel, corps imaginaire. Pour une épistémologie psychanalytique, PARIS, Dunod, p.88. (7 ) - GAGEY (J.), 1977, L'épistémologie de la clinique - PARIS VII. (8) - PREVOST (C.), 1968, Psychologie clinique et phénoménologie, Bulletin de Psychologie n°270, pp. 961-970, (n°sp, clinique I). (9)-GORI (R.), 1977, Interprétation et modes de construction du savoir, éléments pour une épistémologie psychanalytique. Psychanalyse à l'Université, Sept. 1977, N°8 tome II, pp. 683-84. (10) - FILLOUX (J.), 1983, Clinique et Pédagogie, Revue Française de Pédagogie, n°64, pp.13 à 20. (11) - FREUD (S.), 1956, La naissance de la Psychanalyse, Lettres à Wilhelm FLIESS, notes et plans, PARIS, P.U.F. (12) - Les travaux de OGNIER (1984) sur l'idéologie des fondateurs de l'école républicaine situent l'assise historique du rôle et de la place de l'enseignant dans le champ social de la fin du XIXe. Voir : OGNIER (P.), L'idéologie des fondateurs et des administrateurs de l'école républicaine à travers la revue pédagogique de 1878 à 1900. Revue Française de Pédagogie, n°66, Janvier, Février, Mars 1984. (13)-PUJADE RENAUD (CI.), 1977, Du corps enseignant, Revue Française de Pédagogie, n°40, Juillet, Août, Septembre 1977. (14) - DOLTO (F.), 1984, L'image inconsciente du corps, PARIS, Seuil. (15) - PANKOW (G.), 1979, Image du corps et objet transitionnel, Revue Française de Psychanalyse, t.40, N°2, pp. 285-302. (16) - Les travaux de J. PAILLARD formalisent ces structures servant de référence et d'étalonnage : les référentiels égocentrés et exocentrés. Le référentiel postural ; lieux fonctionnels spécifiques à l'espèce humaine. Cf. notamment : PAILLARD (J.). - Le corps situé et le corps identifié. Une approche
psychophysiologique de la notion de schéma corporel. Rev. Suisse Romande 1980, n°10. (17) - RESNICK (S.), 1973, Personne et Psychose, PARIS, Payot, p.87. (18) - BERNARD (M.), 1973, La Pscychologie in CHATELET (F.), La Philosophie des Sciences Sociales de 1850 à nos jours, PARIS, Hachette, p,80. (19) - NACHT (S.), 1963, La valeur de la relation non verbale dans le traitement psychanalytique, Revue Française de Psychanalyse, n°6, Novembre-Décembre 1963. (20) - ARDOINO (J.), 1973, Transmission de l'information, difficultés de la communication, Education et Gestion, n°2, Juin 1973. (21)-VIGARELLO (G.), 1978, Le corps redressé, PARIS, Ed. Universitaires.
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