MÉMOIRES PARTAGÉES GENÈVE À LA RENCONTRE DES SUISSES - JOËLLE KUNTZ ALAN HUMEROSE - FONDATION POUR GENÈVE
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MéMOIRES PARTAGéES Genève à l a rencontre des suisses Textes Joëlle Kuntz Photographies Al an Humerose 2 3
La genèse du projet Ivan Pictet Dum nobilitas florem adultae virginis Ptolomaeo enim rege foederato nobis et socio ob aerarii etiam se pluris esse quam collegam putet, quod ille vos Président de la diuturnum absentia pauperis erubesce- nostri angustias iusso sineuid? qui se etiam nunc sub- Arat, nequam esse simularit. Piso autem alio quodam Fondation pour Genève ret patrisntis Nebridius contractis un- sidiis patrimonii aut amicorum liberalitate sustentant, modo gloriatur se brevi tempore perfecisse, ne Gabinius dique Superatis Tauri montis verticibus hos perire patiemur? An, si qui frui publico non potuit per unus omnium nequissimus existimaretur. Itaque verae qui ad solis ortum sublimius attolluntur, hostem, hic tegitur ipsa lege censoria; quem is frui non amicitiae difficillime reperiuntur in iis qui in honoribus Cilicia spatiis porrigitur late distentis dives bonis omni- sinit, qui est, etiamsi non appellatur, hostis, huic ferri reque publica versantur; ubi enim istum invenias qui ho- bus terra, eiusque lateri dextro adnexa Isauria, pari sorte auxilium non oportet? Retinete igitur in provincia diu- norem amici anteponat suo? Quid? Haec ut omittam, uberi palmite viget et frugibus minutis, quam mediam tius eum, qui de sociis cum hostibus, de civibulla culpa quam graves, quam difficiles plerisque videntur calami- navigabile flumen Calycadnus interscindit. proscribi ideoque hausto veneno voluntaria morte deleto tatum societates! Ad quas non est facile inventu qnius et tributaria facta est et velut hostiles eius exuviae clas- recte.s ambitioso editos apparatu. ampensem aruspicem dedit, in negotio eius nullo sacra- si inpositae in urbem advectae sunt per Catonem, nunc mento constrictus. Quam ob rem circumspecta cautela repetetur ordo gesto Raptim igitur properantes ut motus sui rumores cele- observatum est deinceps et cum edita montium petere ritate nimia praevenirent, vigore corporum ac levitate coeperint grassatores, loci iniquitati milites cedunt. ubi Quid? qui se etiam nunc subsidiis patrimonii aut amico- confisi per flexuosas semitas ad summitates collium tar- autem in planitie potuerint reperiri, quod contingit ad- rum liberalitate sustentant, hos perire patiemur? An, si dius evadebant. et cum superatis sidue, nec exsertare lacertos nec crispare permissi tela, qui frui publico non potuit per hostem, hic tegitur ipsa quae vehunt bina vel terna, pecudum. lege censoria; quem is frui non sinit, qui est, etiamsi non Ivan Pictet appellatur, hostis, huic ferri auxilium non oportet? Re- ritu inertium trucidantur. Nec piget dicere avide magis tinete igitur in provincia diutius eum, qui de sociis cum hanc insulam populum Romanum invasisse quam iuste. hostibus, de civibus cum sociis faciat pactiones, qui hoc 4 5
Une manière de dire merci 67 jours pour comprendre la Suisse Pierre Maudet S’il a fallu 80 jours à Philéas Fogg pour A une collègue zougoise qui m’a demandé à quoi servait Parfait exemple d’une bonne collaboration entre le Conseiller d’Etat de la République faire le tour du monde, il en aura fallu 67 véritablement ce bus et si quelque chose ne se cachait pas secteur public et le secteur privé, le bus de la Fondation et Canton de Genève à la Fondation pour Genève pour faire le là derrière. La fameuse locution grecque Timeo Danaos pour Genève a permis montrer ce que notre canton avait tour de la Suisse. et dona ferentes (Je crains les Grecs et les cadeaux qu’ils de meilleur. Soit ce qu’il a accompli jusqu’à maintenant amènent) m’était venue à l’esprit. Ceci m’amena à dire mais surtout tout le potentiel qu’il a encore à offrir. Sillonnant ainsi les 25 autres cantons, prenant le temps que ce bus était un cadeau des « Grecs de la Suisse ». Un d’une halte dans 45 villes de Suisse et du Liechtenstein, cadeau véritable et sincère qui a contribué à mieux faire Rome protestante, ville internationale, capitale de montrant à nos compatriotes que Genève n’est pas connaître notre canton, d’abord au-delà de la Versoix l’horlogerie mais avant tout canton suisse. Genève vous seulement le canton le plus occidental de Suisse. mais surtout au-delà de la Sarine. souhaite la bienvenue dans son histoire mais avant tout dans son futur. Puissions-nous encore longtemps pour- Au-delà de la géographie, l’identité genevoise est d’abord Fort de l’accueil enthousiaste reçu et de mes expériences suivre et intensifier la symbiose avec la Confédération. tributaire de son histoire. C’est la somme d’individus aux lors de mes présences, mais également du retour de appartenances les plus diverses, qu’ils soient d’origine mes collègues d’autres cantons, je peux affirmer que ce Vive la Fondation, vive Genève et vive la Suisse ! suisse ou étrangère. Et c’est un peu sa marque de projet s’est transformé en un véritable succès. A l’inverse fabrique, que celle de la diversité et de l’ouverture. Car du cheval de Troie qui ne sema que ruines et désolations, le canton a la capacité d’intégrer tout le monde et de le bus de la Fondation pour Genève n’a laissé que bons Pierre Maudet créer ainsi une identité positive plutôt que d’ériger une souvenirs derrière lui. Et peut-être l’idée que Les Genevois appartenance contre une autre. C’est, me semble-t-il, le sont généreux. secret même… d’une confédération ! 6 7
Titre à créer pour ce message Sami kANAAN Une manifestation, un événement, une tées à des problématiques souvent semblables. Les villes- une population bâloise curieuse de découvrir une Genève Conseiller administratif en charge commémoration est éphémère. Quoique… centre notamment, qui ne bénéficient ni des moyens quelle ne soupçonnait parfois pas, tant les clichés et les de la culture et du sport Sa préparation comme ses retombées lais- financiers ou légaux, ni du poids politique des cantons rumeurs peuvent être prégnants. sent de jolies traces, marquent les esprits et qui, pourtant, offrent des services et des prestations à et lui donne son sens, autant, souvent, que l’ensemble d’une région. Parmi celles-ci, il y a celles avec De telles rencontres sont précieuses et je suis reconnais- le jour J. lesquelles Genève, pour des raisons historiques, d’affini- sant à la Fondation pour Genève de nous avoir permis, à tés culturelles ou… de raison, a toujours dialogué. nous les Genevoises et les Genevois, de partir ainsi sur les Dans le cadre des festivités pour marquer le Bicente- routes de notre pays. A Joëlle Kuntz également qui, par naire de l’entrée de Genève dans la Confédération, les Celles avec qui elle partage des situations similaires. Je ses écrits mettant en perspectives les liens de notre ville concerts, spectacles, expositions, fêtes, publications, pense bien entendu à Bâle. Bâle est, comme Genève, une avec chacune des 45 cités visitées, nous permet de décou- etc. qui ont animé notre ville ont été nombreux, variés ville traversée par un fleuve, entourée de frontières proches. vrir des faits, des anecdotes, des récits qui éclairent d’une et nous ont permis de (re)découvrir tout un pan de notre C’est un centre culturel important et, historiquement, une belle manière l’histoire de notre pays. histoire commune. Des ouvrages en gardent la mémoire. ville qui a également vu naître des courants de pensée, de grandes idées. Et c’est, pour moi, la ville de mes origines La Fondation pour Genève a construit un projet afin maternelles. Sami Kanaan de provoquer des rencontres entre les Genevoises, les Genevois et les citoyennes et citoyens de 45 autres Le 28 avril dernier, je me suis donc rendu à Bâle dans villes suisses. Heureuse initiative, tant je pense que nous le bus habillé par Zep, en compagnie de la délégation devons nouer un véritable dialogue avec les autres genevoise partie à la rencontre de ses homologues bâlois. agglomérations suisses. Les villes suisses sont confron- Sur la Barfüsserplatz, les échanges ont été nourris avec 8 9
Titre à créer pour ce message Joëlle Kuntz Genève est dans la Confédération depuis Dans chacune des quarante-deux villes suisses où l’expo- Au croisement de pistes historiques qui n’ont pas voca- écrivain 1815 mais elle est dans l’espace suisse sition itinérante genevoise a posé son bus, une empreinte, tion à se rencontrer, comme l’invention du goudron par depuis si longtemps qu’elle y a tissé une un témoignage, un vestige évoquent quelque affaire un médecin de Brigue et la modernisation de l’armée grande variété de liens. Les plus impor- avec Genève. Ce peut être un épisode insigne de l’histoire fédérale par le Genevois Dufour, survient une attache tants, avec Berne, Fribourg, Zurich, Bâle, politique ou religieuse, un personnage, une institution, inattendue: elle provoque l’émotion d’une découverte, par exemple, figurent dans les livres d’histoire, montrés une légende, un lieu. Quand rien n’existe, même ce rien la surprise d’un cousinage oublié. Genève, ville suisse, a pour preuves de l’helvétisme genevois. Les plus ténus veut dire quelque chose: un refus, peut-être. partie liée aux autres villes suisses. restent sous forme de trace dans les archives, gardées par la sainte confrérie des bibliothécaires. Je suis partie Les textes réunis dans ces pages résultent d’un volonta- Tous les faits rapportés sont vrais. Leur interprétation, à leur recherche, avec la méthode du champignoneur: risme assumé: dire une Genève suisse et en multiplier les leur mise en relation sont personnelles. Que serait l’his- observation du terrain, reconnaissance du contexte, indices tout au long du périple qui a mené ses représen- toire sans sa part de littérature ? recoupement, formulation d’hypothèse et vérification. tants à la rencontre des autres Suisses, sous le prétexte Il y a toujours un champignon quelque part, il suffit d’un anniversaire patriotique. d’ouvrir l’oeil. Joëlle Kuntz C’est aussi un jeu, avec l’histoire, avec la forme et les mots qui ajoutent aux faits du passé la dose d’imagi- naire apte à leur rendre la saveur d’un présent. 10 11
Titre à créer pour ce message alan humerose Je pratique la photographie comme on pies, l’architecture de la salle, les vagues des fauteuils, les Un accompagnement correspondant bien au triple sens de Photographe ouvre une fenêtre, pour changer l’air et la dos et les profils des spectateurs. On voit toute la pièce, on la définition du mot : accompagner comme se joindre à la lumière à l’intérieur de la pièce et offrir sur voit tout de la pièce où se joue un monde. compagnie du bus pendant toute la pérégrination, comme l’extérieur un autre panorama, moins en- y ajouter une attraction, un événement et enfin comme combré de croisillons, de reflets ou de ri- Ainsi lorsque la Fondation pour Genève m’a demandé de jouer avec les personnes concernées sur le thème principal: deaux, mais toujours cadré. concevoir un projet photographique pour son expédition-ex- Genève à la rencontre des Suisses. position à travers toute la Suisse, j’ai immédiatement pensé Je ne suis donc ni reporter ni archiviste et la photographie ne à cela, à cet univers théâtral, à la salle et au spectacle. In- L’idée de créer une sorte de théâtre sur la place d’accueil des me sert pas pour témoigner du monde mais pour en tirer des venter à chaque étape des photographies, selon un concept villes visitées où se réinterprèteraient des épisodes de l’His- scènes qui lui échappe. À documenter le réel je préfère en uti- et un dispositif répondant à la fois aux thématiques de ces toire suisse, ou simplement des anecdotes plus générales liser quelques éléments, m’en amuser en les disposant sous rencontres et aux exigences d’une iconographie originale, et contemporaines, s’est ainsi imposée. La salle de théâtre une lumière choisie et construite afin d’élaborer des images inédite, sur quelques aspects de la Suisse et de son histoire. serait la ville, les décors quelques choses du folklore, les ac- non pas de la réalité, mais plutôt de ce qu'elle pourrait être. Des photographies qui rempliraient ainsi le double rôle de teurs les personnalités du jour et la pièce un scénario que souvenirs de l’expédition et de visions spécifiques du pays. j’aurais préparé en fonction des lieux. Et puis, j’aime le théâtre, la comédie. Mais davantage pour le jeu des comédiens et des lumières dans lesquelles corps Il s’agira donc de réaliser des scènes, des véritables ta- Question décor il me devait d’être rapide, économe et ef- et décors évoluent que pour les histoires racontées. Les lu- bleaux vivant qui accompagneraient cette manifestation, ficace. Je n’aurais pas le temps chaque jour ni d’ailleurs mières font de la scène un tableau superbe de couleurs posé qui s’inscriraient dans son élan et poursuivrait la tournée partout la place adéquate pour installer quelque chose de au milieu de la salle. Et tout le reste se transforme en une de manière amusée et bien différente d’une simple docu- compliqué, sans compter les affres de la météo dont il fal- pénombre où se dessinent encore, dans des tonalités assou- mentation. lait se moquer. Alors un studio mobile de photographe en 12 13
plein air fera l’affaire: un fond devant lequel évoluent des fi- moins un respect militaire qu’un hommage ému aux ori- Voilà la scénographie dans laquelle évoluent les comédiens encore et encore, et j’en passe. Mais ces mises en scènes gurants et une batterie de flashes pour illuminer tout cela. gines, ils me permettent ce condensé de couleur vives au de cinq minutes selon un protocole immuable: des représen- et en lumière créèrent aussi une réelle bonne humeur, avec milieu de l’image, au cœur de la cité. tants de la ville escale, de Genève et de la Fondation pour la complicité réjouie de tous et du public qu’il a bien fallu Cette idée de fond photo que je voulais lumineux et en lien Genève interprètent sans aucun accessoires une saynète que également diriger dans les quelque minutes imparties juste avec le folklore, je l’ai trouvé dans les drapeaux, dans ce qui A chaque étape, les acteurs du jour représentent donc de- j’ai préparée et composée dans un esprit de bouffon du roi, avant les cérémonies d’ouverture de l’exposition. est a proprement parlé les couleurs de la ville. Les drapeaux vant le drapeau de Genève flanqué de celui de la ville d’ac- où le cocasse, l’espièglerie et le sérieux se réunissent dans qui flottent sur les places et le long des avenues des cités cueil une scène choisie en lien avec les textes de Mme Joelle l’évocation d’un épisode. en rappellent moins toute leur histoire qu'ils ne font res- Kuntz ou avec quelques spécificités locales et intemporel- Alan Humerose plendir les couleurs des légendes, de la première victoire, les. Le mot clé de l’opération, rencontre, édifie la base des Ainsi cela s’est fait et chaque matin nous dressions le dis- celle d’une cité gagnée sur la forêt, celle d’une structure scénarios de ces divertissement visuels : rencontre festive, positif sur les places et aux alentours immédiats du bus. sociale gagnée sur les ténèbres et ses monstres sauvages. sportive, scolaire, amoureuse, gastronomique, profes- C’était une attraction et souvent déjà avant même la prise De là sans doute la forte et fréquente présence d’animaux sionnelle, occasionnelle, amicale, guerrière, diplomatique, de vues : avait-on jamais vu, par pluie battante ou sous un et des bois sur les bannières des villes suisses. historique, protocolaire, politique, musicale, folklorique, soleil radieux, une charmante jeune femme, mon assistante, commerciale et autres. repasser consciencieusement des drapeaux? Symboles et pures couleurs venus du fond des épopées, ces drapeaux illumineront le centre du tableau comme ils Tout autour de cette scène puissamment éclairée, la ville Bien sûr il y eut des surprises, tel emplacement imposant donnent de l’éclat à l’enseigne d’un nom, d’une fondation, avec son architecture identitaire et dans des teintes légè- une soudaine réinterprétation du scénario envisagé, un petit d’une communauté. L’héraldique des villes les annonce et rement moins contrastées, moins saturées, sera reconnais- crachin tenace et continu refroidissant un brin les acteurs, les signe de loin, marquent les rencontres et les alliances. sable, situable. des contraintes de temps chronométré apportant un stress De surcroît très graphiques et sensibles au vent, inspirant explosif, des impatiences devant la prise de vues à rejouer 14 15
–––––– Soyons francs: Berne et Genève par exemple la «dispute» publique, où ne Depuis 1848, Genève et Berne n’ont Avec Berne ont une grande histoire en commun, mais peuvent être invoquées que les Ecritures – sola plus ensemble que des affaires administra- sacrément orageuse. Rejoignons-la au XVIe scriptura. Comme le clergé, occupé à perpé- tives. Egalisées et sécurisées sous le cha- siècle. En 1524, Guillaume Farel, un intellec- tuer la tradition, ne les connaît plus, il est peau de la Confédération, elles partagent le tuel français issu du mouvement réformateur vite hors jeu. statut de capitales de canton mais aussi une de Meaux, est expulsé de Bâle à la demande responsabilité plus haute qu’elles: celle de ca- d’Erasme, qui supporte mal son dogmatisme A la première de ces disputes, en pitale fédérale pour Berne et de cité interna- évangélique et sa violence. Il le surnomme mars 1534, il est écrasé. Farel s’empare alors tionale pour Genève. L’une et l’autre fonction Phallicus (le libidineux). de l’auditoire des Cordeliers. Aux protestations appellent un principe de solidarité: Genève des magistrats, les ambassadeurs de Berne ne saurait être internationale sans Berne, et Berne, passée en 1528 à la doctrine répondent qu’«ils ne veulent ni ne peuvent Berne ne saurait être capitale fédérale sans de Zwingli, l’embauche pour aller prêcher ôter au peuple ce que Dieu lui a donné». La Genève. dans les mandements francophones annexés deuxième dispute, celle de Rive, en juin 1535, d’Aigle, d’Ollon, de Bex, des Ormonts. De là, se déroule sans contradicteurs: les autorités Leur co-dépendance ne se proclame “ Une solidement protégé par Pierre Giraud, son religieuses ont décliné l’invitation. pas, ou rarement. Une clause de discrétion ancien élève à Meaux devenu chancelier à semble même l’envelopper, comme si un connivence Berne, il entreprend un ministère itinérant C’est donc un Farel triomphant qui soupçon de favoritisme risquait de menacer vers Neuchâtel, qu’il amène à la Réforme en monte à la chaire de la cathédrale au mois la bonne marche du ménage helvétique. stratégique 1530, puis Genève, où il arrive en 1532 comme d’août. Son prêche fini, l’autel et les images L’archiviste de Genève invité en 1959 à Genève ne saurait être «envoyé de Jésus-Christ». sont détruits. Le 27, la messe est interdite. résumer les relations entre les deux villes pour En mai 1536, la Réforme est officiellement les besoins du Conseil d’Etat consacre trois La ville est à feu et à sang, déchirée adoptée. Voici Genève gagnée à la cause pages à leurs affaires militaires sous l’Ancien internationale sans par les luttes religieuses qui ont commencé protestante, qui est surtout la cause poli- Régime. Puis il s’arrête avec ce commentaire: dans l’Eglise et par les luttes politiques entre tique bernoise. Une cause durable, éprouvée «Aux XIXe et au XXe siècles, les relations entre les partisans des Confédérés (Eidguenots) par le temps même si, sous l’influence de les deux cantons, très amicales, ne présen- et ceux de la Savoie (Mammelus). L’évêque, Calvin, Farel a fini par s’opposer au système tent rien qui mérite d’être relevé.» Berne, et Berne ne Pierre de la Baume, est absent. Farel, agent et propagandiste de Berne, a les circons- tances pour lui. Fragilisée par les coups de ecclésiastique zwinglien, jusqu’à dénoncer le «césaro-papisme» bernois. Berne est aux côtés de Genève, quoique mollement, en 1589 saurait être capitale main de la Savoie, Genève dépend en effet quand la Savoie attaque la ville. Berne l’est du soutien des forces bernoises, qui en font encore en 1602, quand elle recommence, payer le prix fort, en monnaie et en pouvoir. lors de l’épisode de «l’Escalade». fédérale sans Genève. Elles imposent la présence de Farel à un cler- gé qui n’en veut pas, menaçant de rompre A la fin de l’Ancien Régime, aristocra- l’alliance si la ville ne s’acquitte pas de sa tes bernois et patriciens genevois sont main dette de 9000 écus et si, en même temps, dans la main pour combattre les menées des une église n’est pas mise à disposition de révolutionnaires, lesquels, d’une ville à l’autre, Farel pour y prêcher. Berne compte sur Farel, sympathisent. Les conflits socio-politiques encourage et appuie ses initiatives. Il invente sont tranchés par l’occupation française. 18 19
à BERNE, le bonjour de la capitale 20 21
berne 22 23
–––––– Quand il se joint en 1819 à la fonda- De la fréquentation de Baudrand, La pratique des armes, l’œil, le sens Avec Thoune tion de l’école militaire centrale qui va faire qu’il a connu à Metz et suivi à Corfou en 1813, de l’espace, la connaissance du sol: Dufour de le haut lieu de la défense helvétique, le Dufour a ramené une vision ambitieuse du fait de Thoune une école totale: «Celui qui fait Genevois Guillaume-Henri Dufour a 32 ans. métier: «Nous devons recueillir avec em- campagne, après s’être meublé l’esprit et la C’est un bonapartiste qui a été formé au pressement et nous approcher toutes les mémoire par l’étude des faits et des sciences génie civil et militaire dans les meilleures découvertes qui tendent à perfectionner militaires, profite de tout ce qu’il voit; rien n’est écoles de France, à Paris et à Metz. Officier l’art militaire», dit-il. Devant des officiers perdu pour lui; sa curiosité sans cesse excitée du génie dans le service actif français, il est suisses jalousement identifiés à leur arme, il trouve toujours de quoi se satisfaire; il ren- passé maître dans l’art des fortifications, insiste sur ce qu’enseignent les batailles en contre mille occasions d’appliquer sa théorie; appris au contact du formidable Baudrand, terme de coordination: «Ce qui fait la force ses connaissances s’étendent, ses idées futur maréchal d’Empire. d’une armée, c’est la coopération active et s’éclaircissent; il devient enfin habile parce désintéressée de tous les membres qui la qu’à une sainte théorie il a le bonheur d’allier La chute de Napoléon a interrompu composent.» Il organise, pour en faire la dé- une pratique éclairée. Il faut l’une et l’autre sa carrière française et l’a ramené à Genève, monstration, des manœuvres qui réunissent pour faire un militaire accompli.» Des pratiques qui vient d’être rattachée à la Suisse. La les différents corps sur la place du Freyenhof. foi qu’il a mise dans les idées nouvelles, il La sainte théorie et le bonheur d’une MILITAIREs en fait bénéficier cette Confédération que A l’école de Thoune, dont il est pratique éclairée ont valu à Guillaume-Henri venues de les Puissances ont arrondie et reconnue instructeur en chef puis directeur de 1831 à Dufour, nommé général en 1847, de en droit. Un soldat de Napoléon éprouvé 1834, le Genevois ajoute à la technique mili- gagner la guerre du Sonderbund. Il est resté France dans les situations militaires périlleuses taire l’esprit géographique de son temps: la à l’état-major général jusqu’en 1867. de l’Empire est bien placé pour juger des sensibilité au territoire. Au XIXe siècle, celui-ci Sous son mandat, une caserne pour 1166 lacunes intellectuelles des officiers suisses a pris une importance politique qu’il n’avait hommes, dont 140 officiers, s’est élevée sur dont il prend la charge. A Thoune, il se pose jamais eue: les frontières, mesurables avec le Freyenhof, ainsi qu’une nouvelle ligne de en pédagogue et rédige pour les futurs précision, peuvent être représentées sur des tir pour l’artillerie. Thoune devenait une vraie professionnels de la défense nationale cartes facilement accessibles. Dufour fait une place d’armes. A travers le Genevois Dufour, un Cours de tactique, un Mémorial pour carte pour la Suisse, dessinant la forme du sol c’est à la France et à ses maréchaux les travaux de guerre et un exposé sur et de l’espace à défendre. Les deux dernières d’Empire qu’elle le devait. la Fortification permanente. Il introduit semaines de son cours sont occupées par des son cours par une injonction: puisse-t-il «voyages de reconnaissance» destinés à fa- éveiller chez «ses jeunes camarades» le miliariser les officiers du génie avec le terrain. désir «d’étendre leurs connaissances et de «Les jeunes officiers apprennent ainsi à bien se livrer à des études plus profondes». Leur connaître leur pays, à débrouiller le chaos dévouement, dit-il, «pour être utile à la apparent de ses montagnes gigantesques.» patrie, doit être éclairé. Dans une armée comme la nôtre, un officier sans instruction ne rendra jamais que de faibles services, l’expérience ne pouvant, chez lui, suppléer au défaut de théorie». L’apprentissage du salut militaire 24 25
L’heure et l’or s’honorent –––––– Genève et Bienne communiquent mécanique. En 1878, Jean Aegler a fondé Aegler est resté le seul fournisseur de Avec Bienne à l’aide de calibres, d’échappements à ancre une manufacture qui a fait sa gloire grâce à Wilsdorf, sous différentes appellations jusqu’à ou à recul, de spirales, de roues, d’aiguilles, ses mouvements miniaturisés pour montres son rachat par Rolex en 2004. Le génie de mouvements, d’ébauches, de mobiles, de dames. Exportant en Grande-Bretagne, mécanique biennois et le génie commercial de pignons, de ressorts, tout un vocabulaire Aegler a rencontré là-bas un certain Hans genevois ne se sont plus quittés. Ce qu’il faut cabalistique parlé entre horlogers et parfois Wilsdorf, qui est devenu son agent. au luxe de Genève, Bienne peut le produire. avec leurs clients quand ils sont méritants. Associés, les métallurgistes jurassiens et les Il n’y a pas deux villes plus utiles l’une On disait que les Suisses faisaient orfèvres genevois ont fait cette horlogerie à l’autre. de bonnes montres mais ne savaient pas les suisse qui a conquis le marché. En 1896, vendre. Wilsdorf, lui, a su. Il a crée à Londres le journal illustré de l’exposition nationale Genève, d’abord, a eu l’or, parce en 1908 la marque Rolex, un nom facile à réunissait déjà la «pléiade d’artistes» de qu’elle avait les foires, au XIVe siècle. En prononcer et à écrire dans toutes les langues. Genève et «les hommes énergiques et 1554, elle a eu Thomas Bayard, orfèvre En 1912, il a demandé à Aegler de lui fabriquer doués de l’esprit d’organisation» du bassin et «orologeur» protestant français qui fit six chronomètres à porter au poignet. Du industriel bernois, «des mécaniciens émérites Une ALLIANCE des boîtes de montres avec l’or que Calvin interdisait aux croix, calices et autres jamais vu, ou presque. Quand il les a reçus, deux ans et demi plus tard, il en fait certifier auxquels on doit la création d’établissements considérables ne craignant pas la comparaison DU GÉNIE ornements idolâtres. un par l’observatoire de contrôle des horloges de marine, à Kew. Résultat: la petite montre avec ceux du même genre dont les Américains s’enorgueillissent à juste titre». TECHNIQUE Puis Charles Cousin est venu, et d’autres encore et à eux tous, ils ont formé de marque Rolex a égalé les meilleurs chronomètres de l’Amirauté anglaise. D’un lac à l’autre, Genève et Bienne ET DU GÉNIE en 1601 la première corporation des horlogers Wilsdorf a fait en sorte que cela se sache. partagent la science et l’art de la montre, pour protéger leur métier et leur production. l’objet universel qu’ils ont su faire le plus cher COMMERCIAL «Tout horloger, disait le règlement, doit En 1919, Londres taxant lourdement ou le meilleur marché, le plus exceptionnel ou assurer que tout aille par bon ordre à les importations horlogères, Wilsdorf est venu le plus interchangeable, et qui a mis la Suisse l’honneur de Dieu, au bien et profit de la ville s’installer à Genève où brillaient quelques au milieu du monde. et la conservation dudit état d’horloger.» grandes marques. Il a développé à la fois la La Fabrique a prospéré. Une garantie de recherche et la publicité. Quand ses ateliers qualité, le poinçon de Genève, l’a positionnée ont inventé la montre étanche, l’Oyster, il l’a dans le haut de gamme de la production exposée en vitrine dans des aquariums horlogère. La Rome protestante est devenue puis l’a mise au poignet d’une championne la Rome du luxe. Elle a débordé sur le pays de natation pour traverser la Manche. de Vaud et le long du Jura. Une sensation. Elle a pris pied à Bienne en 1842. Elle s’y est développée rapidement: les 150 ouvriers horlogers de 1846 sont devenus 1500 en 1873, chez 75 fabricants. Venant du Jura, parlant français, excellant dans le travail des métaux, ils ont imposé leur génie 26 27
–––––– Il y a une inégalité dans cette courbe de l’Aar et ses ponts. Olten, pour eux, oltenois de l’histoire nationale. A plus de trois Avec Olten relation-là, de Genève et d’Olten, une sorte n’est pas une ville, c’est un concept: la Suisse cents, les délégués politiques qui associent leur d’injustice géographique: pour les habitants en délibération. destin en février 1894 dans le nouveau «parti d’Olten, Genève, 160 km à l’Ouest est une radical démocratique» ne tiennent pas tous ville, avec un lac, un jet d’eau, un palais des Un concept né du chemin de fer, au buffet, mais on imagine les arrivées et les nations, une barbe sur le menton de Calvin, quand le Central-Suisse a posé là, en 1856, le départs, les commentaires en aparté. Ils sont etcetera; tandis que pour les habitants de kilomètre zéro du réseau national en forma- LE pouvoir, dans les grands conseils, dans les Genève, Olten est une gare, avec un buffet, tion. Olten allait bientôt se trouver au croise- conseils municipaux. Ils sont en train de s’or- situé entre les quais 4 et 7, où l’on arrive ment de la ligne Genève-Saint-Gall avec la ganiser pour ne pas le perdre. Le président de à 11 heures pour une réunion avec les ligne Bâle-Chiasso, les deux lignes ferroviaires séance se nomme Friedrich Göttisheim. collègues de Bâle, Zurich, Berne, Coire et porteuses de la politique et de la culture asso- Lugano et d’où l’on repart à 17 heures avec ciative, multiforme et souvent anonyme de la Le 7 avril 1895, des élèves anglais des une résolution dans la poche, votée à Suisse moderne. pensionnats privés ayant introduit le football la majorité. dans l’éducation des garçons, le buffet d’Olten au buffet Il n’y a pas de nom reconnaissable, baptise – à la bière probablement – la création Olten ayant la propriété d’être situé hormis par les spécialistes, dans le groupe de l’Association suisse de football. de la gare au coeur du réseau ferroviaire suisse, à une distance matériellement égale et morale- de passionnés de la montagne qui fonde au buffet de la gare, en 1863, le Club alpin suisse, Il y a des noms pour la réunion du ment supportable des principaux centres sur le modèle des clubs anglais, (fermé aux «Comité d’Olten» qui déclenche la grève narcissiques du fédéralisme suisse, Genève femmes). On sait seulement qu’un certain générale de 1918. On le sait car ils finissent en la fréquente patriotiquement. Guillaume-Henri Dufour est membre de la prison: Robert Grimm, Fritz Platten, Friedrich section genevoise, créée deux ans plus tard. Pas Schneider. Il y en a aussi pour le «Groupe Les Oltenois ne connaissent pas les davantage de noms retenus par l’histoire dans d’Olten» qui conteste en 1971 le conservatisme Genevois. Ils les voient passer, anonymes, le cercle des militants syndicaux qui créent au de la Société suisse des écrivains. On le sait par les fenêtres des trains, les confondant même endroit, en 1873, la Fédération ouvrière, puisqu’il fallait que ça se sache: Max Frisch, peut-être avec des Lausannois, si semblables puis, en 1880, la dissolvent, toujours au buffet Friedrich Dürrenmatt, Nicolas Bouvier. derrière les vitres bien propres des CFF. Peu de la gare d’Olten, pour faire à sa place l’Union importe d’ailleurs, il suffit qu’il y ait assez syndicale suisse. Mais ce n’est pas typique du réunio- de Romands, depuis assez longtemps, aux nisme au buffet de la gare d’Olten, démocra- réunions d’Olten, pour que perdure l’idéal Aucun document, dans aucune archive tique à l’extrême, digne d’une statue au agglomérateur de la cité soleuroise. aisément disponible, ne montre les factures de «participant inconnu» que Genève pourrait consommation ou la liste des boissons. Ils man- financer en remerciement du droit d’y avoir Les Genevois ne connaissent pas quent à la perception physique des moments sa place depuis deux cents ans. davantage les Oltenois, sauf le personnel du buffet de la gare. Entre deux trains,occupés à l’affaire qui les amène, inquiets de la longueur des discours qui menace l’horaire de la journée, ils n’ont pas d’yeux pour les hommes et les femmes du lieu, pour la Tu lis quoi, toi ? 28 29
–––––– Entre Genève et Soleure, il y a la Le massacre des huguenots français, Soleure se verraient obligées d’envoyer des Avec Soleure France comme puissance, comme protectrice, à la Saint-Barthélémy, en 1572, met fin aux troupes protéger Genève. Mais l’ambassadeur comme médiatrice, attentive à préserver un pourparlers: les Genevois ne peuvent plus a son mot à dire sur la situation. Il se trouve espace pacifié entre elle et l’Empire romain espérer s’entendre avec les catholiques, et donc placé en position de décideur sur les germanique. Son ambassadeur se fixe à d’autant moins que des catholiques suisses affaires genevoises et suisses.Soleure, quant Soleure dès 1530. La ville est restée catholique ont participé aux crimes de Paris. à elle, acquiert dans la Confédération un rôle malgré sa proximité avec Berne et le succès politique auquel son catholicisme ne la populaire des prédicateurs réformés. Elle est De leur côté, les cantons catholiques prédestinait pas. Elle se met à même de bien située pour être le centre du jeu diplo- s’activent avec la Savoie, à laquelle ils promet- porter des jugements et d’entreprendre des matique entre le roi et les Confédérés, liés tent leur aide si elle prend Genève, ou Vaud, actions qui transcendent les adhésions reli- par la «paix perpétuelle» de 1516 et l’alliance ou les deux. Une alliance est même jurée à gieuses, rôle qui conforte celui que la France de 1521. L’ambassadeur de France, le «bassi- Turin en 1578, après qu’une pluie de cadeaux prétend jouer. dor» comme disent les Soleurois, devient le et magnificences savoyardes soit tombée personnage important de la ville, pourvoyeur sur les landsgemeinde de Suisse centrale. Le traité de Soleure est renforcé en d’emplois, organisateur de fêtes, dispensateur Soleure n’est pas de cette partie. Peut-être 1584 par l’apport de Zurich, qui signe un Une PAIX de largesses, prince influent auprès de tous parce qu’une opinion protestante y subsiste, accord de combourgeoisie avec Genève, forte PERPETUELLE les cantons, quelle que soit leur religion: peu ou parce le «bassidor» se montre convain- pour deux siècles de la protection des deux importe leur Dieu, pourvu qu’ils soient unis, cant. Celui-ci s’inquiète en effet de l’alliance plus puissants cantons suisses. le plus unis possible. C’est la tâche de de Turin: elle est une menace de guerre sur l’ambassadeur de maximaliser la cohérence l’espace helvétique. Berne, pour sa part, la La France d’après 1789 n’a pas de de l’ensemble helvétique. juge déloyale puisque les cantons catholiques visées différentes pour la Suisse que la France renoncent à la reconnaissance de ses nou- d’avant: la paix confédérale avant tout. Genève, devenu protestante en 1536, velles possessions vaudoises. Seule la méthode change: Genève est est alors dans une proximité périlleuse avec annexée et Soleure occupée, avec le reste du la Savoie, qui ambitionne de s’en emparer. La Après la tentative de Jacques de pays. Les deux villes ne pourro nt plus rien cité de Calvin n’a de traité de combourgeoisie Savoie de mettre la main sur Genève, en 1578, l’une pour l’autre. qu’avec Berne, protection qu’elle souhaite l’alarme est au plus haut. Soleure se joint alors renforcer en demandant formellement en 1571 à Berne et à la France de Henri III pour signer, à être admise dans l’alliance confédérale. La le 8 mai 1579, un traité «perpétuel» pour la France appuie de tout son poids cette revendi- protectionde Genève. C’est un texte majeur cation. Les cinq cantons catholiques de Suisse dans l’histoire des deux villes. centrale, Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne et Zoug, s’y opposent farouchement. Ils envoient Genève est intégrée avec Vaud dans des délégations à Soleure et Fribourg, plutôt la paix perpétuelle qui avait été conclue en favorables, pour les dissuader d’accueillir l’héré- 1516 entre François 1er et les cantons suisses; tique Genève, «peuple infâme et sans Dieu». les citoyens genevois sont placés sur le même pied que les sujets du roi en France; Henri III s’engage à mettre à disposition un contingent de 1500 hommes aussi souvent que Berne et Tournage de la séquence du film « Genève à la rencontre des Suisses » 30 31
Que du bonheur ! –––––– Genève et le Jura sont nés ensemble, En 1930, un article publié dans voise réclamait «de la mesure», du Delémont Avec en faux jumeaux, de l’effondrement de les Cahiers romands, sous la signature du «dialogue», de la «bonne foi». Le Journal l’Empire napoléonien auquel ils étaient journaliste genevois Edmond Maître, exaltait de Genève avait cessé de voir dans les annexés. Ils n’en ont pas conçu un fort esprit la «race latine» dont le Jura aurait formé Jurassiens des catholiques. Ils étaient de famille. Non, ils ont gardé leurs distances. la «Marche du Nord» face au germanisme. devenus, pour autant qu’ils sachent se tenir, Au Congrès de Vienne, en 1815, quand se Cette prose au ton maurassien, rêve de des Suisses dignes d’un Etat cantonal. redessinaient les frontières européennes, le poètes voyant le Jura comme la «troisième Genevois Charles Pictet de Rochemont île française», «l’île romande», n’a pas fait Le journal attendait que Berne soutenait l’idée que la France prenne l’Ajoie – école au bout du lac et le courant de droite reconnût le fait. Quand ce fut le cas, après il disait «le Porrentruy» – et cède en échange de la cause jurassienne a rejoint après la tout le processus de négociations, de crises, le Pays de Gex à Genève, qui cherchait à guerre les réseaux de la Ligue vaudoise. de votations controversées qui aboutit au s’agrandir. La France hésita puis se refusa à référendum national sur la création du 23e «livrer les catholiques gessiens» à la citadelle A Genève, c’est l’Association des canton, le Conseil d’Etat genevois sortit de protestante, comme disait Talleyrand. Quand amis du Jura, formée en 1961 autour du pro- sa réserve habituelle et proclama in cor- elle «livra» les catholiques du Jura à la Berne fesseur Aldo Dami, un spécialiste des minori- pore, quelques jours avant le vote, son plein Un air réformée, ce fut à la condition qu’ils puis- sent garder leur foi. Ils la gardèrent et, de ce tés européennes, qui a eu le plus d’influence comme groupe de pression. Elle a bénéficié soutien au nouveau venu. Il était fier du bon fonctionnement des institutions suisses. de famille fait, ne devinrent jamais de vrais Bernois. Et c’était avec Berne que Genève était amie. du soutien du Courrier, qui poursuivait sur sa lancée. Entretemps, l’attitude méprisante Le 24 septembre 1978, la participation genevoise au vote (37,28 %) était un peu du gouvernement bernois envers les Juras- plus faible que la moyenne suisse mais La Question jurassienne a donc siens francophones avait rallié beaucoup de Genève était le deuxième canton le plus commencé à Vienne. Elle a fait halte à sympathies en faveur d’un nouveau canton. enthousiaste après le Tessin: il était pour Genève dans les années 1910. Des intellec- Les Jurassiens eux-mêmes, nombreux dans le Jura à 91,7 %. tuels dans la mouvance de Gonzague de la place, popularisaient leurs arguments. En Reynold et Robert de Traz y fondèrent un décembre 1962, le Rassemblement jurassien Mouvement national jurassien qui s’inscrivit fondait à Genève l’Association des Juras- comme la section jurassienne de la Nouvelle siens de l’extérieur, l’une des 22 sections société helvétique. Elitaire, il ne dura pas. cantonales qu’il mettait sur pied dans le En 1916, une Association des patriotes juras- pays pour faire avancer son projet. siens prit la relève. Elle organisa en 1917 une conférence en ville où était revendiqué le Les premières manifestations de droit des Jurassiens de fonder leur canton. force des groupes indépendandistes des La polémique commença aussitôt, le Jour- années septante déplurent aux Genevois nal de Genève dénonçant les autonomistes par leur forme mais pas sur le fond. Comme comme cléricaux tandis que Le Courrier, ailleurs en Suisse, la crainte de la violence l’organe du parti catholique, prenait et du désordre inspirait la condamnation leur défense. de «l’extrémisme» mais en même temps, la condamnation de l’intransigeance ber- noise.A travers ses journaux, l’opinion gene- 32 33
delémont 34 35
–––––– La religion, la spiritualité, habitent les Entre temps, l’anti-pape savoyard Quand un marchand hollandais veut Avec Bâle deux cités: le concile, puis Erasme et Oeco- a fait de François de Metz un anti-cardinal. acquérir ce trésor, le Conseil bâlois, sous lampade à Bâle, l’évêque, la Réforme et Calvin Voilà Genève avec un évêque issu d’une l’impulsion du maire Wettstein, l’achète pour à Genève. Là prennent souche des visions de insurrection populiste au sein de l’Eglise, 9000 écus d’Empire et le confie à l’Universi- l’existence et du monde partagées par leur avec un anti-pape dans le voisinage et une té où se développe à partir de ce moment la ampleur et leur radicalité. Une connivence peinture qui bouleverse l’ordre hiérarchique connaissance critique des œuvres. d’ambition accouche à l’aube de la Renais- de la commande puisque c’est l’artiste Witz “ sance de deux villes fondatrices dans la pen- qui décide seul et sans instruction de sa L’érudition artistique bâloise re- sée, dans l’art et dans la politique. manière de peindre: il posera son Saint tombe sur Genève en 1901: le conservateur Pierre devant le paysage réel de la rade des Beaux-Arts de la cité rhénane, Daniel Le concile de Bâle en est l’origine. genevoise, une première. Burckhardt-Werthemann, annonce cette C’est une assemblée nombreuse (plusieurs année-là la redécouverte des morceaux épars dizaines de milliers de personnes à certains Ce n’est pas sous Calvin mais sous du retable de Konrad Witz et leur authen- A Bâle où ont afflué tant moments), longue (de 1431 à 1449), titrée Farel que le retable est lacéré par la foule tification. L’archéologue genevois Jacques (cardinaux, évêques, princes, ducs, barons iconoclaste de la Réforme genevoise en Mayor a en effet trouvé dans le sous-sol Une pêche et chevaliers), et lettrée (des centaines de 1536. Ce Farel dont Erasme a réussi à se de l’Université deux grands panneaux d’un de talents et d’artistes sur miraculeuse copistes, graveurs, illustrateurs). Elle a pour débarrasser à Bâle parce qu’il manquait du retable exécuté en 1444 et signé Magister but de rétablir le dialogue dans la chrétienté sens de la mesure et qu’Oecolampade, le Conradus Sapientis de Basilea. Burckhardt les catholique déchirée par la dissidence réformateur, a vainement tenté de modé- a examinés à la bougie. Il leur a trouvé une les basques des célébrités hussite de Bohême. rer. Ce qui reste du retable est caché par parenté avec deux autres tableaux, Sainte un cœur charitable et disparaît pour quatre Catherine et Sainte Marie-Madeleine, décou- Elle finit par un conflit de légitimité: siècles et demi de la conscience européenne. verts à Strasbourg, et La rencontre d’Anne et posant son autorité comme supérieure à de Joachim, acquis par une collectionneuse conciliaires, quelque chose celle du pape de Rome, le concile démet Eugène IV et élit à sa place Amédée VIII, comte de Savoie, intronisé sous le nom de A Bâle où ont afflué tant de talents et d’artistes sur les basques des célébrités conciliaires, quelque chose s’est enclenché: de Bâle. Mais que signifie Sapientis? Le Sage? Burckhardt a consulté une liste d’artistes bâlois établis par un érudit. Il y a trouvé le s’est enclenché: un goût Félix V en 1440. Amédée possède le comté de un goût pour l’écrit, pour l’image, pour l’art. nom de Konrad Witz de Rotweil. Witz veut Genève, mais sans Genève, qui appartient Les imprimeurs se font collectionneurs. Les aussi dire sage, malin. Konrad «Sapientis», à l’évêque, François de Metz à l’époque. collections se transmettent de pères en le malin, qui a donné à Genève son premier pour l’écrit, pour l’image, fils. Dans le bahut de Basile Amerbach, le miroir, sous l’œil bienveillant du Christ. Ce dernier a fait le voyage de Bâle. premier des collectionneurs bâlois, il y a par Il y a découvert l’auteur d’une peinture qui exemple, en 1586, 104 dessins de Holbein et pour l’art. l’a séduit, Konrad Witz, un artiste allemand de Dürer, l’Eloge de la folie, d’Erasme, illustré établi dans la ville depuis le début du par Holbein, une cinquantaine des plus concile. Il lui confie l’exécution d’une œuvre beaux tableaux de cet artiste dont le Erasme pour la cathédrale, le retable de Saint écrivant et Le Christ mort, trois milliers Pierre, terminé et signé en 1444. d’estampes, 1866 dessins de maîtres suisses ou allemands et maintes curiosités antiques provenant de fouilles archéologiques. 36 37
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