Margaret Thatcher : the witch is dead ? - Politiques d'ailleurs

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Politiques d’ailleurs

Margaret Thatcher : the witch is dead ?

d      e tradition au Royaume-Uni, comme
       en France, on n’accable pas les
       morts. Pour ce qui concerne les
                                                                                        Keith Dixon

personnalités publiques, on arrondit les
angles en cherchant une dimension posi-
tive dans le parcours du défunt, quitte
à prendre quelques distances avec les                     rienne pendant l’été de 1981 – on a fêté sa
faits historiques. C’est sans doute ce                    mort dans une certaine allégresse. Certes
qui a motivé le communiqué de l’Ely-                      ces manifestations de joie populaire
sée1, lors du décès de Margaret Thatcher,                 mobilisaient infiniment moins de monde
qui salue une « grande personnalité qui                   que les funérailles officielles, et les lieux
aura profondément marqué l’histoire de                    choisis n’étaient pas sans signification : à
son pays », ainsi que le tweet de Jacques                 Belfast la population nationaliste se sou-
Attali qui évoque bizarrement la « fragi-                 vient encore du traitement infligé par le
lité »2 de Margaret Thatcher lorsqu’elle                  pouvoir thatchérien aux grévistes de la
dirigeait son pays. Mais, fait inédit                     faim de l’IRA menés par Bobby Sands ;
dans l’histoire politique moderne de la                   à Glasgow les plaies d’une désindus-
Grande-Bretagne, une partie de la popu-                   trialisation brutale qui a frappé de plein
lation britannique a défié la tradition                   fouet l’Ouest industriel de l’Écosse dans
lénifiante, en rompant avec le concert de                 les années 80 sont encore ouvertes ; à
louanges plus ou moins sincères qui a                     Brixton les causes de l’éruption sociale
accompagné l’annonce de la fin physique                   de 1981 sont encore là – racisme institu-
de M. Thatcher. À Belfast, à Glasgow,                     tionnel, chômage des jeunes, harcèlement
comme dans le quartier populaire lon-                     policier – et l’on se souvient du déni de
donien de Brixton – scène des premières                   Thatcher à l’époque, qui préférait évo-
émeutes populaires de l’ère thatché-                      quer le laxisme des parents nourris de la
                                                          permissivité des années 1960 pour expli-
                                                          quer les heurts entre jeunes du quartier
1. V
    oir le communiqué de l ‘Elysée sur http://www.
   elysee.fr/communiques-de-presse/article/deces-         et policiers envoyés en nombre. Mais
   de-magaret-thatcher                                    ces faits, même minoritaires, donnent à
2. S elon le tweet de Jacques Attali publié le 8 avril   voir les clivages que le passage au pou-
   2013, « Margaret Thatcher était pour la France de
   François Mitterrand un partenaire dur mais fiable.     voir des thatchériens a suscités au sein de
   Entêtée, compétente, sans état d’âme, fragile. »       la société britannique et la haine encore

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Margaret Thatcher : the witch is dead ?

ressentie envers celle qui incarnait pour             l’histoire politique de la Grande-Bre-
bon nombre de Britanniques une guerre                 tagne qu’un dirigeant emmène son parti
des classes comme la Grande-Bretagne                  à trois victoires consécutives. Mais le
n’en avait pas connue dans la période                 thatchérisme ne peut pas se résumer à la
moderne.                                              seule personnalité de Thatcher : il consti-
                                                      tue un phénomène insolite dans l’his-
                                                      toire politique du pays associant des res-
Il n’y a pas que Thatcher
                                                      sources intellectuelles non négligeables,
   Cependant cette focalisation sur la                notamment à travers l’activité des think
personne de M. Thatcher risque d’occul­               tanks néo-libéraux, à un mouvement de
ter une bonne partie du phénomène that-               mobilisation politique d’envergure. Ce
chérien. Il est, bien sûr, clair que M. That-         mouvement a certes profité de la pré-
cher a joué un rôle personnel important               sence d’une personnalité forte, en rup-
dans la transformation politique, sociale             ture avec la tradition patricienne conser-
et économique de la Grande-Bretagne                   vatrice – elle était une femme, issue de la
pendant la décennie où elle occupait le               petite bourgeoise commerçante, éduquée
poste de Premier ministre. Non seule-                 par l’école publique et politiquement très
ment elle galvanisait les supporters tra-             différente de ses prédécesseurs d’après-
ditionnels du parti conservateur parmi                guerre puisqu’elle se situait résolument à
les couches moyennes urbaines et dans                 l’aile droite de son parti – mais il aurait
les campagnes, mais elle a aussi réussi à             pu en être autrement. À l’époque, il ne
capter et à conserver une partie du vote              manquait pas de personnalités conserva-
ouvrier qui traditionnellement se por-                trices sorties du même moule politique
tait sur le parti travailliste : les ouvriers         que Thatcher, formées par les séminaires
qualifiés du Sud de l’Angleterre et des               du très hayékien Institute of Economic
Midlands qui ont eu la chance de conser-              Affairs 4 : on pense par exemple à Keith
ver leur emploi pendant les années                    Joseph 5 , le mentor de Thatcher, qui
quatre-vingt ont connu une améliora-                  aurait très bien pu remplir le rôle de diri-
tion significative de leur niveau de vie et           geant de l’offensive néo-conservatrice et
en étaient reconnaissants envers le parti             néo-libérale s’il n’avait pas souffert de
au pouvoir. Si l’on regarde les résultats
des élections législatives gagnées sous la            4. Pour une discussion plus approfondie du rôle
direction de Thatcher, on est frappé par                  joué par l’Institute of Economic Affairs dans
le maintien du vote conservateur malgré                   la diffusion des idées néo-libérales, voir Keith
                                                          Dixon, Les Evangélistes du Marché, nouvelle
les fortes turbulences de la période : le                 édition, Raisons d’Agir, Paris, 2008.
parti conservateur obtient 13 697 690                 5. Keith Joseph (1918-1994) fonde le Centre
voix, soit 43,9 % du vote en mai 1979 lors                for Policy Studies en 1974 et est considéré à
                                                          l’époque comme le chef de file le plus doué des
de la première victoire thatchérienne,                    néolibéraux au sein de la mouvance conservatrice.
13 012 315 voix et 42,4 % du vote en juin                 Son discours à Birmingham en octobre 1974 à
1983 et 13 763 066 voix et 42,3 % du vote                 résonance eugéniste, où il dénonce des « mères
                                                          les moins aptes à donner naissance à des enfants.
en juin 19873. C’est la première fois dans                Elles produisent des enfants à problème, des
                                                          futures mères célibataires, des délinquants qui
                                                          pullulent dans nos maisons de redressement »
3. David Butler, Gareth Butler, British Political        suffira à lui barrer la route de la direction de son
   Facts 1900-2000, 8e édition, Palgrave Macmillan,       parti. Il restera jusqu’au bout un proche ami et
    Londres, 2000, p. 238-239.                            collaborateur de M. Thatcher.

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quelques excentricités de personnalité                 James Callaghan, ce que le sociologue
(une tendance à gaffer en public et un                 britannique, Stuart Hall, dès l’arrivée de
côté un peu trop intense, qui justifiait le            Thatcher à la tête de son parti en 1975 va
qualificatif de « moine fou » inventé par              appeler le « populisme autoritaire » ou
la presse tabloïde à son encontre).                    le « thatchérisme » propose une vision
                                                       simple de la crise, de ses causes et de sa
                                                       résolution : c’est une crise provoquée
La pusillanimité travailliste
                                                       par trente ans d’interventionnisme éta-
   Cette offensive néo-libérale préparée               tique, que ce soit sous les gouvernements
de longue date, d’abord sur les marges                 conservateurs ou travaillistes, trente ans
de la vie politique britannique à partir de            d’entraves aux forces du marché, trente
la fin des années 1950, ensuite dans les               ans de « socialisme ». La solution est
luttes d’appareil au sein du parti conser-             simple : il faut créer les conditions de la
vateur à partir de la fin des années 1960,             libération des forces du marché pour que
n’aurait pas pu aboutir sans deux condi-               la Grande-Bretagne retrouve sa grandeur
tions préalables :                                     d’antan (« put the great back into Great
   a) une crise économique et sociale                  Britain », disait-on à l’époque, rendre sa
importante conjuguée à un début de crise               grandeur à la Grande-Bretagne). Car si le
politique provoquée, entre autres, par les             thatchérisme est bien nourri à la source
troubles en Irlande du Nord et la montée               par le néo-libéralisme hayékien, il est
des nationalismes périphériques au cours               aussi une manière de réaffirmer la puis-
des années soixante-dix6 et                            sance nationale britannique.
   b) l’incapacité travailliste à théoriser la            Entre 1976 et 1979, sous le gouver-
crise britannique et à proposer des solu-              nement de James Callaghan, les tra-
tions protégeant les intérêts de sa base               vaillistes, déboussolés par l’ampleur de
sociale7.                                              la crise qu’ils avaient à gérer, sont allés
   Le thatchérisme a bien poussé sur la                de compromission en compromission.
terre féconde de la pusillanimité et des               Contraints dès 1976 de solliciter l’aide du
abandons travaillistes lors de leur pas-               FMI pour faire face à la crise de la livre
sage au pouvoir entre 1964 et 1970 et sur-             sterling, ils ont appliqué – avant That-
tout entre 1974 et 1979. À la différence               cher – les remèdes néolibéraux imposés
des travaillistes sous Harold Wilson et                par les conseillers du FMI, à l’époque
                                                       récemment convertis aux vertus du
6. Pour une discussion récente de la situation        monétarisme. Les promesses de réforme
    britannique dans les années soixante-dix, voir
   Andy McSmith, No Such Thing as Society. A           sociale avancées lors des élections de 1974
   History of Britain in the 1980s, Constable,         ont donc été abandonnées. C’est cette
   Londres, 2010.                                      dérive-là et l’apologie des contraintes
7. P
    our une discussion de l’évolution du mouvement
   ouvrier britannique et ses rapports avec le         budgétaires réitérées par Callaghan et
   pouvoir travailliste dans la seconde moitié des     le groupe dirigeant travailliste à partir
   années soixante-dix, voir l’excellente thèse        de 1976 qui vont creuser l’écart entre les
   de Marc Lenormand, Une histoire critique de
   l’« hiver du mécontentement » de 1978-1979. Le      syndicats, surtout ceux du secteur public
   mouvement syndical britannique face à la crise      qui encaissaient de plein fouet les effets
   du travaillisme, l’extension de la conflictualité   de l’austérité travailliste, et les dirigeants
   sociale et la montée de la nouvelle droite
   thatchérienne, soutenue à Lyon le 22 septembre      du parti au pouvoir. Le résultat sera une
   2012.                                               série de grèves dans le secteur public

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Margaret Thatcher : the witch is dead ?

pendant l’hiver 1978-1979 qui consom-          de développer une économie « saine et
meront la rupture entre les travaillistes et   modernisée »). Pendant les dix ans où
les forces les plus mobilisées du mouve-       M. Thatcher a été Premier ministre de
ment ouvrier. Thatcher, appuyée par une        la Grande-Bretagne, le nombre de chô-
bonne partie de la presse britannique – et     meurs officiels n’est jamais descendu en
pas seulement les tabloïds – va crier au       dessous de 1,5 millions, avec un pic à plus
chaos social et réclamer que l’on remette      de 3 millions (12,5 % de la population
de l’ordre dans les services publics, et       active) en janvier 1986. En même temps
au-delà dans la société britannique.           on voit émerger un phénomène spéci-
Quelques mois après elle aura l’occasion       fiquement britannique : la croissance
de le faire.                                   vertigineuse du nombre de travailleurs
                                               déclarés « inaptes » au travail. Partant
                                               d’autour de 650 000 personnes à la fin
Le mirage néolibéral
                                               des années soixante-dix, ce chiffre va se
   Pendant la campagne des législatives        stabiliser pendant les années 1990 autour
de mai 1979, les conservateurs britan-         de 2,5 millions de personnes, une véri-
niques ont sorti une affiche, conçue par       table armée de chômeurs statistiquement
les publicistes Saatchi et Saatchi, qui        invisibles (suffisamment « invisibles »
montrait une longue file d’attente de          pour qu’aucun des commentateurs atti-
chômeurs devant une agence de l’em-            trés des réalités d’outre-Manche dans la
ploi coiffée d’un slogan à double sens         presse française y fasse référence pen-
« Labour isn’t working » (Le travaillisme      dant les années de Thatcher et de Blair).
ne marche pas/Les travailleurs sont sans       C’est le premier constat, le plus accablant
emploi). Avec 1,1 million de chômeurs          pour le néolibéralisme réellement exis-
à l’époque, la campagne a fait mouche.         tant : les politiques mises en oeuvre par
Thatcher, elle-même, lors d’un meeting         M. Thatcher ont créé un chômage endé-
électoral dans le Nord-Est de l’Angle-         mique, qui va perdurer bien au-delà de la
terre, lourdement affecté par le déclin        période d’administration conservatrice.
de l’industrie lourde, a affirmé « Nous           On est ici au cœur même des effets à
autres conservateurs croyons en des            long terme du dispositif thatchérien : le
mesures qui créeront de vrais emplois. »       chômage de masse va nourrir une pau-
La question de l’emploi était effective-       vreté structurelle que la Grande-Bre-
ment au cœur de cette campagne électo-         tagne n’avait pas connue depuis la grande
rale sur fond de crise de confiance d’une      crise des années trente. Des millions de
partie de l’électorat travailliste envers      Britanniques, sans espoir de retrouver
son parti. C’est ici que l’on peut repérer     un emploi, vont survivre au seuil officiel
le hiatus entre les réalités de la « cure »    de la pauvreté et les gouvernements suc-
néolibérale britannique et le discours         cessifs sous la direction de Thatcher vont
dominant, en France comme ailleurs,            s’attacher à comprimer les prestations
qui voit en Thatcher le sauveur d’une          sociales, ce qui aura pour effet une baisse
économie en péril (on se souviendra de         du revenu réel des 10% des plus pauvres
la phrase de Michel Charasse qui préten-       pendant la période. En même temps –
dait que les dix-sept ans de gouvernement      guerre de classe oblige – les couches
conservateur, sous Thatcher et Major,          les plus aisées de la Grande-Bretagne
avaient permis à la Grande-Bretagne            vont être comblées. Pour ne mention-

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                                                                          Margaret Thatcher : the witch is dead ?

ner qu’un aspect du nouveau régime qui                    ment renforce le dispositif juridique anti-
leur est appliqué, rappelons que le taux                  syndical amorcé en 1980 et entreprend la
marginal d’imposition sur les revenus                     lutte finale contre le Syndicat national
les plus élevés a été ramené pendant la                   des mineurs lors de la longue grève de
décennie thatchérienne de 80 % à 40 %,                    1984-1985. Avec l’écrasement de ceux qui
une mesure qui, à elle seule, explique                    se considéraient comme l’avant-garde du
l’énorme bond en avant que les revenus                    mouvement ouvrier britannique, That-
les plus élevés ont connu pendant cette                   cher tenait enfin sa revanche non seule-
période. Ce phénomène de l’enrichisse-                    ment sur les grèves triomphantes qui ont
ment subit des plus riches va être renforcé               marqué sa première participation à un
par les augmentations vertigineuses des                   gouvernement conservateur entre 1970 et
salaires des dirigeants des sociétés pen-                 1974 mais aussi sans doute sur les avan-
dant la même période, la dérégulation du                  cées ouvrières de 1945-1950, période de
marché financier et l’ouverture de l’ère                  réformes travaillistes pendant laquelle
bénie (pour les traders) des bonus à la                   Thatcher faisait ses premières armes poli-
City de Londres, sans parler de la fraude                 tiques en tant que présidente de l’Asso­
fiscale endémique pratiquée par les plus                  ciation des étudiants conservateurs de
éminents représentants de l’économie                      l’Université d’Oxford.
britannique 8 .                                              C’est au sommet de sa gloire, acclamée
   Si la période qui va de sa première vic-               par ses admirateurs tant en Grande-Bre-
toire électorale à la guerre des Malouines                tagne qu’à l’étranger (de Ronald Reagan
(en 1982) a été marquée par de sérieuses                  à Lech Walesa, en passant par l’ami
difficultés pour Thatcher (devenue un                     Pinochet et bon nombre de commenta-
temps, selon la une du Times, « le Pre-                   teurs politiques français) que Thatcher
mier ministre le plus impopulaire depuis                  va entamer la descente aux enfers poli-
la création des sondages d’opinion »), le                 tiques. Son europhobie de plus en plus
milieu de la décennie est une période                     insistante après sa troisième victoire aux
faste. C’est après sa deuxième victoire                   législatives de 1987 et sa « réforme » des
aux législatives de 1983 que Thatcher                     impôts locaux vont sceller son destin. La
accélère le processus de néo-libéralisa-                  poll tax a été largement perçue comme
tion de l’économie britannique – priva-                   une nouvelle façon à la fois de punir
tisations en nombre, dérégulation de la                   les pauvres, dont beaucoup voyaient
Bourse de Londres, ventes renforcées                      leurs impôts locaux augmenter du fait
des logements sociaux à leurs locataires,                 des nouvelles modalités de calcul, et de
etc. –, compose un gouvernement plus                      conforter les riches dont beaucoup rechi-
soudé autour de ses visées idéologiques                   gnaient à payer pour des services muni-
et règle de manière définitive le « pro-                  cipaux qu’ils prétendaient ne pas utiliser.
blème syndical ». Ainsi, son gouverne-                    Elle a donné lieu à une campagne mas-
                                                          sive de refus de paiement en Écosse9 et
8. Dans son ouvrage, No Such Thing as Society,
  Andy Mc Smith mentionne le cas de la famille
   Vestey qui avait fait sa fortune dans le commerce      9. L
                                                              a campagne de désobéissance civile concernant
   de viande argentine. En janvier 1981, le Sunday           la poll tax a été menée sans le soutien du Parti
  Times a révélé que la société Vestey avait engrangé        travailliste en Écosse, qui désapprouvait le
   4,1 millions de livres sterling de bénéfices l’année      caractère « illégal » du refus de paiement de
   précédente en payant en tout … 10 livres sterling         l’impôt. Le fait que cet impôt impopulaire ait
   d’impôts.                                                 été expérimenté d’abord en Écosse et que le

                                                                                                savoir/agir   125
Politiques d’ailleurs
Margaret Thatcher : the witch is dead ?

à des émeutes en Angleterre. De plus en                  nouveau cadre de référence du travail-
plus impopulaire dans les sondages, de                   lisme, l’horizon politique indépassable
plus en plus coupée du pays réel qu’elle                 de la modernité blairiste. En ce sens, les
avait tant martyrisé, elle est lâchée en                 célébrations lors de l’annonce du décès
novembre 1990 par la direction de son                    de Thatcher étaient plutôt le signe d’une
parti qui craignait un naufrage électoral.               colère impuissante que la célébration
En larmes, elle quitte le pouvoir qu’elle                d’un fin quelconque du phénomène that-
avait exerçait avec une main de fer pen-                 chérien. Le spectre de Thatcher va conti-
dant 11 ans.                                             nuer à hanter encore longtemps la société
                                                         de marché britannique. n
The witch is not dead
   Dans son excellent livre sur la « dia-
bolisation » de la classe ouvrière bri-
tannique sous Thatcher et Blair, Owen
Jones10 nous rappelle cette phrase de
Geoffrey Howe, un des ministres des
plus importants de Thatcher (avant de la
trahir en 1990), selon laquelle Thatcher
avait réussi à transformer non pas un
parti mais deux. C’est sans doute là la
réussite la plus déterminante de la Dame
de fer. Non seulement elle a amené son
parti sur des positions néo-libérales et
néo-conservatrices et a maintenu le cap
malgré les dissensions internes et l’oppo-
sition (surtout syndicale) à sa politique,
mais elle et son groupe ont réussi à trans-
former le paysage politique britannique
à tel point que pour la direction du parti
« d’opposition », le Parti travailliste, il
devenait impensable de revenir sur les
transformations de l’ère thatchérienne.
Acceptée d’abord avec résignation au
cours des années 1980, la régression
thatchérienne est devenue, sous Blair, le

  principal parti d’opposition ait refusé de soutenir
  les protestations, est venu renforcer la conviction,
  parmi beaucoup d’Écossais, qu’il n’y avait plus
  rien à attendre d’un gouvernement de Londres,
  quelle que soit sa couleur politique, et ce faisant
  consolider l’influence des idées nationalistes
  bien au-delà des électeurs habituels du Scottish
  National Party.
10. O wen Jones, Chavs. The Demonization of the
    Working Class, Verso, Londres, 2011.

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