LE " RENSEIGNEMENT MILITAIRE " DANS LES ARMÉES DE NAPOLEON1

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LE « RENSEIGNEMENT MILITAIRE »
                                DANS LES ARMÉES DE NAPOLEON1
                        (article publié dans le Carnet de La Sabretache n°188 de juin 2011)

   À l’époque impériale, le renseignement ne désigne ni des institutions de renseignement ni
une culture de renseignement comme c’est le cas aujourd’hui. Cette lacune du vocabulaire ne
signifie pas pour autant qu’il n’existe ni structure dédiée au renseignement, ni culture de
renseignement. Au regard des correspondances de Napoléon, la collecte d’information est
omniprésente. Les termes fréquemment utilisés dans les ordres de l’empereur sont « se
renseigner », « donner des renseignements », et pour ce faire deux termes désignent les
méthodes de recueil du renseignement : « reconnaître » ou « espionner ». Ces deux activités
pouvant être regroupées sous l’expression « partie secrète ». Le terme anachronique de
renseignement sera toutefois parfois employé dans cet article et adopté comme convention de
langage.
   Sous l’Empire, le renseignement est de différentes natures : politique, policier,
diplomatique et militaire. Cette nature se conçoit par l’objet renseigné. Il n’est par rare qu’une
même nature de renseignement soit pratiquée par des structures différentes. Par exemple,
l’armée fait aussi du renseignement policier, compte tenu de ses missions de maintien de
l’ordre. Ainsi, il sera considéré que ce renseignement, même s’il est de nature policière, est un
renseignement militaire.
   Mais le renseignement militaire s’attache en priorité au renseignement opérationnel, c’est-
à-dire relatif à la conduite d’opérations militaires. Il peut donc être de différents niveaux :
stratégique, opératif et tactique. Le propos de cette réflexion n’est pas de faire une étude de
cas, mais bien de cerner les pratiques et les structures du renseignement opérationnel,
première étape vers une appréhension de la prise de décision dans la campagne et sur le
champ de bataille. Et ce d’autant que l’historiographie française a longtemps ignoré cet objet
historique, à la différence des écoles anglo-saxonnes2 : le renseignement n’est un objet
d’étude dans les universités en France que depuis une quinzaine d’années.
Le renseignement opérationnel : appréhender l’ennemi, l’espace et le temps.
   La collecte de l’information opérationnelle dans les armées de Napoléon à un niveau
tactique a pour but premier de connaître les intentions ennemies, ces intentions se révélant
bien souvent par les positions de l’adversaire et l’étude de ses forces.
   Ainsi il n’est pas rare de trouver dans les correspondances de Napoléon des instructions en
ce sens à ses aides de camp et à ses ordonnances. L’empereur prend souvent soin de leur
rappeler, lorsqu’ils portent un message diplomatique, de comptabiliser charrois, chevaux et
effectifs.
   L’emploi de la cavalerie légère à cette mission est très développé. Formalisant la doctrine
d’emploi de la cavalerie légère en 1831, après quinze ans d’inactivité, le général de Brack3

1 Cet article est tiré d’une communication de 2006 pour la commission histoire-bataille du CEHD.
2 Sur l’historiographie, voir : Sébastien Laurent, Olivier Forcade, Secrets d’Etat, pouvoirs et renseignement dans
le monde contemporain, Paris, Colin, 2005, 238 p. ; Sébastien Laurent, Politiques de l’ombre. Etat,
renseignement et surveillance en France, Paris, Fayard, 2009, 700 p.
3 Fils d’un censeur royal, directeur général des fermes, Antoine-Fortuné de Brack né à Paris le 8 avril 1789. Il
entre, le 30 décembre 1805, à l’école de Fontainebleau, âgé de 17 ans. Il y reste jusqu’au 5 mars 1807, date à
laquelle il rejoint la Grande Armée, affecté au 7e Hussards, stationné en Silésie. Il est placé sous les ordres du
général Colbert, puis affecté dans la brigade Pajol. En 1809, la brigade Pajol passe sous les ordres de Montbrun.

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puise dans ses souvenirs et dans son expérience pour présenter une culture d’arme, qui trouve
sans doute ses premiers traités dans l’armée d’Ancien Régime4, mais que les guerres
napoléoniennes ont amplifiée. Le général de Brack présente ainsi dans son manuel, Avant-
postes de cavalerie légère5, un chapitre intitulé Des Indices, « les moyens de connaître les
mouvements de l’ennemi »6. Il en dénombre quatre : les rapports des prisonniers, déserteurs,
et voyageurs ; les rapports des espions ; les reconnaissances ; les indices. Les pratiques de
collecte du renseignement en opération des hommes de la cavalerie légère sont ici décrites.
   Parmi les techniques de collecte de l’information, le général de Brack rappelle le rôle des
espions :
   « Un officier d’avant-garde emploie-t-il des espions ? Oui, mais malheureusement trop rarement,
parce qu’il n’a pas assez d’argent pour les bien payer, et qu’en pays ennemi surtout, il est plus que
probable que l’espion mal payé, que vous employez, deviendra le vôtre ; tous ses intérêts se trouvent
réunis pour qu’il en agisse ainsi. » 7
   Il continue :
   « À quoi faut-il subordonner l’emploi des espions, et le degré de confiance qu’on en a d’eux ? Au
pays dans lequel on se trouve ; aux intérêts que les habitants ont à vous servir ; à l’opinion que ces
habitants ont de votre force. »
   L’auteur conseille la méfiance, l’évaluation de l’intelligence d’autrui et l’intoxication
lorsqu’il s’agit pour les cavaliers légers, en mission de renseignement, d’employer des
espions.
   Cette utilisation des espions par les militaires est fréquente sous le Consulat et l’Empire.
   Il existe plusieurs sortes d’espion. En 1813, dans son Manuel des états-majors généraux et
divisionnaires dans les armées, le général Paul Thiébault 8 dresse une typologie des espions :
les uns font ce métier par dévouement, d’autres par intérêt, d’autres par métier, d’autres enfin
par crainte. Ainsi, sont confondus sous le terme d’espion9 les agents utilisés sur le terrain
d’opération et ceux utilisés à l’étranger.
   À un niveau stratégique et opératif, la collecte d’informations militaires portant sur les
forces peut être mise en œuvre à travers les réseaux diplomatiques ; c’est ainsi que le 3 mars
1806 l’Empereur envoi l’ordre suivant à Berthier :

En 1812, il retrouve le général Colbert aux lanciers de la Garde, il participe à la campagne de Russie, à celles de
1813, 1814 et 1815. Il est mis en non-activité le 18 août 1815. Il ne regagne l’armée qu’en 1830 dans les
chasseurs avec le grade de lieutenant-colonel. Il est nommé maréchal de camp en 1838, prend sa retraite en 1849
et s’éteint en janvier 1850. Dossier de carrière : SHD/DAT. 8Yd 2878.
4 Voir notamment SHD/DAT. 1M 1730, Mémoire du chevalier de Chabo sur la cavalerie, s.d.
5 La première édition date de 1831, la 8e de 1942 : Fortuné de Brack, Avant-postes de cavalerie légère, Paris,
Berger Levrault, 1942. Voir sur ce sujet, Michel Roucaud, « Étude des avant-postes de cavalerie légère par le
général de Brack, les avant-postes de cavalerie légère, entre culture d’arme et pragmatisme, ou le cheval au
service du renseignement opérationnel et de la petite guerre », in Revue historique des armées, n°249, 2007,
pp. 110-113.
6 Ibid. p. 83.
7 Ibid. p. 99
8 Paul-Charles-François Thiébault, Manuel général du service des états-majors généraux et divisionnaires dans
les armées, Paris, Magimel, 1813.
9 Il existe donc une polysémie du mot « espion » sous l’Empire, qui confond agent de terrain militaire, source
occasionnelle, et professionnel de l’espionnage dont l’un des archétypes est Charles-Louis Schulmeister. Sur ce
dernier sujet, voir notamment, Abel Douay, Gérard Hertault, Schulmeister, dans les coulisses de la Grande
Armée, Nouveau Monde, Paris, 2002 ; voir aussi Gérald Arboit, Fragments de la vie de Charles Schumeister de
Meinau, L’Harmattan, Paris, 2003, 139 p.

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« Mon Cousin, vous trouverez ci-joint un décret qui nomme M. de Lagrange10, capitaine au 9e
régiment de dragons, second secrétaire de la légation à Vienne. Vous le ferez venir et vous lui ferez
connaître que mon intention est qu’il tienne une note exacte de la force des régiments autrichiens et
des lieux où ils se trouvent ; qu’à cet effet il doit avoir dans son cabinet une boite divisée par cases,
dans chacune desquelles il mettra des cartes portant le nom des généraux, des régiments et des
garnisons, et qu’il changera de cases selon les mouvements qu’ils subiront. Tous les mois, il vous
adressera, ainsi qu’aux Relations extérieures, le relevé de ces mouvements, et y ajoutera les
changements que les régiments pourraient éprouver dans leur organisation. Cette mission est très
importante. Il faut que M. Lagrange s’y livre tout entier et qu’il ne se déplace pas un bataillon
autrichien que je n’en sois instruit. Vous lui ferez connaître quelle marque de confiance je lui donne en
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le chargeant de cette mission .
   À ce niveau aussi, l’emploi d’espion est pratiqué. Ainsi, le 5 brumaire an XII (28 octobre
1803), le général Davout, commandant du camp de Bruges, rend compte à Bonaparte de ses
intentions d’utiliser le général Sandoz, citoyen suisse, pour espionner l’Angleterre et les
réseaux émigrés.
   « Mon Général,
   J’ai l’honneur de vous rendre compte que le général Sandoz Laroche s’est présenté chez moi ce
matin venant de Bruxelles et après beaucoup de frâses [sic] d’usage, m’avoir entretenu du vif désir
qu’il avait de rendre des services, de la difficulté d’être mis en activité vu les préventions qui
existaient contre lui, m’a annoncé qu’après bien des réflections [sic], il avait pensé qu’il ne lui restait
d’autres moyens pour être utiles au gouvernement que de profiter de sa qualité d’étranger (il est
Suisse) pour, en Angleterre, reconnaître les moyens de défense de l’ennemi, les points de remonte, de
troupes, des magasins, des parcs d’artillerie, etc., de venir rendre compte, de voir si par le moyen d’un
chevalier Roll, de Dumouriez, de Pichegru et de beaucoup d’autres personnages ou qu’il a connu, ou
avec qui il a servi, il ne pourrait pas se mettre au fait des intrigues de ces misérables.
    Le général Santos se dit parent de l’ancien ministre de Prusse Sandoz Rolland et dit beaucoup
connaître Monsieur Jacobi, ministre prussien à Londres. il a les plus fortes espérances de rendre
d’importants services. Je vous rends, Mon Général, l’esprit de sa conversation et de ses propositions,
je lui ai dit que je prendrai vos ordres et qu’il retourne à Bruxelles, attendre que je les lui transmette. Il
m’a paru être dans la misère. Je lui ai donné dix louis, qu’il m’avait presque demandés 12. »
  En novembre 1803, le général Davout, envoya son frère Alexandre, pour « traiter » le
général Sandos, avec ces instructions :
    « L’aide de camp Alexandre Davout se rendra à Bruxelles, il fera connaître au général Sandos
Laroche, qui demeure à l’hôtel de Londres, que j’accepte ses propositions, en conséquence que je
l’invite à partir de suite pour l’Angleterre par Embden [pour espionner les réseaux anglais sur le
continent], il sera récompensé à son retour en raison de l’importance des avis qu’il donnera, en

10 SHD/DAT/7 Yd 645. Dossier de carrière : La Grange (Armand-Charles-Louis Le Lièvre, comte de), général
de cavalerie, frère d’Adélaïde-Blaise. Naquit à Paris le 21 mars 1793, mort à Paris le 2 août 1864. Engagé aux
hussards volontaires en 1800, puis au 9e dragons, le 3 mai 1800 ; brigadier, le 16 mai 1800 ; blessé à Marengo le
14 juin 1800 ; maréchal des logis, le 20 septembre 1800 ; sous-lieutenant le 23 octobre 1800. Servit en Italie,
1800-1801 ; lieutenant, le 15 juillet 1803 ; aide de camp du général Sébastiani, le 9 février 1804 (l’avait suivi à
Constantinople en 1802, puis en Syrie et en Allemagne et dans el Tyrol).
11 Correspondance de Napoléon, vol. 6, Fayard, Paris, 2009, p. 183. Le réseau diplomatique sera de grande
importance pour la connaissance des intentions militaires ennemies. En 1805, un bureau des statistiques fut créé
auprès de l’Empereur ; il fut dirigé à partir de 1811 par Lelorgne d’Ideville. L’exemple du capitaine de La
Grange reste isolé. La collecte de l’information demeure le plus souvent le fait des diplomates jusqu’à la création
des attachés militaires dans les ambassades, au milieu du XIXe siècle. Sur cette évolution, voir notamment
Michel Roucaud, « La Suède au prisme du renseignement militaire français au XIXe siècle d’après les archives
de l’armée de Terre », dans Actes des journées-franco-suédoises, 2006, SHD, 2009, pp. 299-310.
12 SHD/DITEEX/ 1 K 1 (dossier 1). P. 13. Copie d’une lettre du général Davout rendant compte de la
proposition du général Sandoz d’espionner l’Angleterre, Ostende, 5 brumaire an XII [28 octobre 1803].

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attendant je lui remets soixante louis pour les frais de son voyage.
   Recommander au général Sandos de ne point prendre par la Hollande.
    Que le général Sandos donne des renseignements exacts sur les armemens maritimes anglais, leur
destination ; les emplacements et les forces des croisières, sur les principaux points de rassemblement
des troupes, des magasins, des parcs ; sur les dispositions générales de défense, sur la situation
intérieure, etc.
    L’intelligence du général Santos saisira toutes les occasions au pays qu’il a adopté. Il peut avoir la
certitude que, si il donne à son retour des renseignements exacts et importants, il recevra du
gouvernement une récompense qui le retirera de la situation pénible où il se trouve. Si auparavant son
arrivée en Angleterre, il apprend quelque chose d’important, il pourra m’en instruire par lettre en
signant le nom de Félix.
   Alexandre fera remarquer au général Sandos que malgré que je me sers d’une tierce personne, il
n’y a nul inconvénient puisque ce tiers est mon frère et mon aide de camp. Ce moyen est encore
meilleur que d’écrire13. »
  Le mois suivant, le général Davout, reçut cinq rapports en provenance de Londres signés
Félix, qui avaient transité par l’ambassadeur français en Hollande Sémonville14.
   Cet exemple illustre l’emploi d’espions indifféremment pour la collecte de renseignement
d’ordre stratégique et politique.
   Une autre pratique, moins connue, de collecte d’informations afin de percer les intentions
de l’ennemi est la prise de guerre. Ainsi, lors de la campagne de 1805, il fut stipulé dans le
traité de capitulation de la place de Memmingen que les Autrichiens avaient obligation de
quitter la place en laissant les archives15.
   L’appréhension de l’espace, autre pilier du renseignement opérationnel, joua un rôle
majeur sous l’Empire, en raison de l’évolution des campagnes. Avec la campagne de 1805, la
Grande Armée,fit 1500 km en trois mois. La pratique de la « reconnaissance » se développa
en conséquence. Le nombre de reconnaissances conservées dans les Archives de la Guerre le
prouve. Le terme possède deux acceptions. La reconnaissance de temps de paix, qui peut
monter jusqu’un niveau stratégique, voire géostratégique16 et celle du temps de guerre, qui
peut être pratiquée soit en arrière des troupes pour compléter la reconnaissance du temps de
paix, soit en avant des troupes à la recherche de l’ennemi, pratique qui est aujourd’hui
désignée par le terme « éclairer ». Dès l’an IX, cette distinction est établie par le chevalier
Allent dans son Essai sur les reconnaissances17.
   L’essentiel de ces reconnaissances donne lieu à des rapports écrits, accompagnés ou non de
levées topographiques mais, dans le cas de la recherche de l’ennemi, le transfert d’information
est souvent oral.
   Dans son manuel destiné à la cavalerie légère, le général de Brack écrit que, pour
reconnaître la première fois le terrain, il est utile de prendre des guides, seulement « s’il est

13 Ibid. 1 K 1 (dossier 1). P. 9. Instructions du général Davout à son aide de camp, Alexandre Davout, portant
sur les consignes à transmettre au général Sandos de Laroche pour sa mission d’espionnage en Angleterre,
brumaire an XII [novembre 1803].
14 Ibid. 1 K 1 (dossier 1). P. 15 à 22.
15 Voir article VI de la Capitulation dans Recueil des bulletins de la Grande Armée, Paris, Agasse, 1805, p. 65.
16 À titre d’exemple, citons la reconnaissance du colonel Boutin en Algérie en 1808 et celle du capitaine Burel
au Maroc en 1810. SHD/DAT/ 1 M 1314. Reconnaissance d’Alger et de ses environs par le chef d’escadron
Boutin, 1808 ; SHD/DAT/1 M 1675. Mémoire militaire sur l’empire du Maroc, par le capitaine Burel, 1810.
17 Chevalier Allent, « Essai sur les reconnaissances », in Mémorial topographique et militaire, n° 4; publié en
mars 1803 (germinal an XI) ; réédité in Mémorial du dépôt de la guerre, t. 1, 1829, p.369-520.

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possible de les avoir montés, afin de ne pas subordonner la vitesse de la marche à celle d’un
homme à pied »18 et, si ceux-ci conduisent la reconnaissance, l’officier qui les emploie
prendra toutes ses précautions en les attachant près de lui, tout en les traitant poliment. Puis en
abordant le chapitre des Reconnaissances, l’auteur définit le thème traité :
   « La base de toute opération militaire est, d’abord, la connaissance du terrain sous son double
aspect défensif et offensif ; puis celle de la position, de la force, et si l’on peut celle de la pensée de
l’ennemi. C’est pour établir avec certitude cette base que les officiers sont envoyés en reconnaissance.
[…] Là, il ne s’agit pas de voir mais de bien voir, pour ne pas fournir au corps d’armée qui réglera ses
déterminations sur le rapport que vous lui ferez. »19
   En ce qui concerne la topographie, partie intégrante d’une reconnaissance, de Brack cite le
général Laroche-Aymon20 : « Voici les traits principaux à observer dans les objets tant
naturels, qu’accidentels, qui composent les localités d’un terrain […] les bois, montagnes,
rivières et ruisseaux, plaines, chemins, villes, bourgs et villages. »
   La topographie et la levée sont aussi le fait des ingénieurs-géographes. Supprimé au début
de la Révolution, ce corps est rétabli en 1800 et rattaché au dépôt de la guerre21. Le général
Sanson, directeur du dépôt sous l’Empire, sera d’ailleurs ingénieur en chef dans le service
topographique de l’état-major de l’empereur en 1805.
   Le dernier objectif du renseignement opérationnel est celui d’appréhender le temps. Si les
intentions de l’ennemi et la connaissance du terrain sont nécessaires au commandant en chef
pour appréhender le temps en campagne, le travail historique d’état-major les lui livre aussi
parfois. Les archives de la Guerre livrent par exemple des études, réalisées à partir de travaux
historiques effectués dans le dépôt de la guerre, sur le temps que mettraient les forces russes à
traverser la Poméranie22.
Les structures de collecte, de transmission et de conservation du renseignement
   S’il n’existait pas de corps d’officiers d’état-major sous l’Empire23, il existait bien un
service d’état-major. Dans son manuel d’état-major de 1813, le général Thiébault tente pour la
première fois d’en définir les missions.
   Parmi les missions de ce service, il y a celles du traitement de la partie secrète, des
reconnaissances et de la transmission de l’information. Dans les états-majors, qu’ils soient
divisionnaires, de corps d’armée ou de la Grande Armée, ce rôle est dévolu au bureau de la
police et de la partie secrète. Ce bureau collationne les informations sur l’ennemi et parfois les
traite, lorsqu’elles sont étrangères. À ce bureau sont envoyés les rapports d’espions, les
interrogatoires de prisonniers et les traductions des interprètes tant civils que militaires24. À
côté de ce bureau, se trouve le bureau topographique chargé de collationner les cartes des
marches, des cantonnements, des quartiers d’hiver et de celles des positions des camps, des

18 Brack, op.cit., p. 95.
19 Ibid. p. 177.
20 Voir Antoine La Roche-Aymon, Des troupes légères ou réflexions sur l’organisation, l’instruction et la
tactique de l’infanterie et de la cavalerie légère, Paris, Magimel, Anselin et Pochard, 1817.
21 Sur ce sujet, voir Michel Roucaud, « Le dépôt de la guerre sous le Premier Empire : de la conservation à la
documentation », dans Correspondance de Napoléon, 1806, Fondation Napoléon, Fayard, Paris, 2009, pp. 1319-
1328.
22 SHD/DAT/ 2c 13. Mémoires militaires : renseignements étrangers sur les campagnes de 1805 et sur
différentes campagnes des Prussiens et des Russes antérieures.
23 Le lieutenant-général Bourcet avait entamé toute une réflexion sur la création d’un corps d’état-major dans la
deuxième moitié du XVIIIe siècle.
24 SHD/DAT/ Xr 32. Interprètes aux armées, an XII-1872.

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batailles, des combats, des places de guerre, des forts et fortins, et des autres points
retranchés. À ce bureau sont envoyées les reconnaissances des officiers du génie25, des
officiers de cavalerie légère et des ingénieurs géographes, ainsi que leur levée26. Le
commandant des ingénieurs-géographes qui, par son grade et son emploi, a la direction de ce
bureau, est chargé d’une triple expédition des informations collectées, à savoir pour le
ministre de la Guerre, pour le général en chef et pour le chef d’état-major général.
   Au niveau de l’état-major de la Grande Armée, le bureau topographique est dirigé de 1804
à 1814 par le général Bacler d’Albe27, qui dirige parallèlement le bureau topographique de
l’empereur. Par ailleurs, Napoléon dispose des soldats mis sous les ordres de Savary28 pour
commander des reconnaissances directement.
   Indépendamment de ces structures d’unités et impériales, des structures permanentes
surveillent le territoire : les divisions militaires territoriales29. Si leur rôle essentiel est le
renseignement d’ordre public, elles fournissent un état presque journalier à l’empereur, via le
ministre de la Guerre, des marches des unités. De plus, aucun navire n’échappe à la
surveillance des divisions militaires se trouvant sur les côtes.
    À côté de ces structures de collecte et de transmission se trouvent les structures de
conservation du renseignement30 : le dépôt de la guerre et le dépôt du génie. Chargés de
conserver les archives des états-majors, mémoires historiques, mémoires topographiques,
plans et cartes, l’un depuis 1688 et l’autre depuis 1791, très vite ces dépôts deviennent des
structures de documentation essentielle au renseignement militaire. Ainsi lorsqu’il est nommé
à la tête de l’armée d’Espagne, le maréchal Soult se fait envoyer, comme la réglementation l’y
autorise, un mémoire topographique des Pyrénées. Afin de préparer d’éventuels mouvements,
il annote de sa main tous les cols des Pyrénées praticables pour son armée. L’empereur lui-
même met à contribution le dépôt de la guerre dès 1811 pour la préparation de la campagne de

25 En 1999, Pierre Lesouef dans « L’évolution du corps du génie de 1792 à 1815, de Mézières à Metz par
Polytechnique » in Cahiers du CEHD, n° 11, pp. 28-44, souligne que si « la mission des ingénieurs demeurait,
depuis le XVIe siècle, en temps de paix de concevoir et de faire exécuter des travaux des travaux de
fortifications, d’autres missions allaient naître pour les officiers du génie avec la guerre totale de l’an II. Les
nouvelles formes de guerre offensive exigeaient stratégiquement la création d’armées nombreuses, et
tactiquement des armées aux dispositifs plus aérés, progressant plus vite grâce à l’ordre divisionnaire et à un
déplacement plus rapide de l’artillerie. Il en résultait évidemment pour le génie des besoins nouveaux en officiers
d’état-major aptes aux nombreuses reconnaissances d’itinéraires et de franchissement. De nombreuses
reconnaissances furent effectuées à des fins de conception tactique et pour l’emploi efficace des nouveaux
bataillons de sapeurs, rattachés à l’arme du génie à partir du 23 juin 1793. À cette mission s’ajoutait pour les
officiers du génie celle des sièges, tant d’un point de vue offensif que défensif. Ainsi, l’ordre de grandeur de
l’état-major du génie de l’armée en 1796 fut d’environ 20 officiers pour chacune des douze armées créées et
leurs divisions. Ce chiffre était le même en 1800. Ainsi pour assurer ces différentes missions le nombre
d’officiers du génie passa successivement de 300 en 1792 à environ 500 après 1795, à 436 en septembre 1800
après épuration, à 607 en 1803 après réorganisation, à 598 en 1809 et enfin à 625 en 1812.
26 Ces officiers pouvaient être escortés par des compagnies de guides. SHD/DAT/Xk 29-31. Compagnies de
guides, 1792-1814.
27 SHD/DAT/8 Yd 1576. Général Bacler d’Albe. Dossier de carrière.
28 SHD/DAT/8 Yd 410. Général Savary. Dossier de carrière. Nommé colonel en 1800 il dirige la gendarmerie
d’élite chargée tout d’abord de la sûreté du Premier consul et parallèlement il prend la tête du bureau de la police
secrète de l’empereur, puis en 1803 il est promu général.
29 Sur ce sujet, voir Michel Roucaud, « La surveillance gouvernementale à travers le réseau territorial militaire
sous le Consulat et l’Empire », dans Actes du colloque informations ouvertes, informations fermées, méthodes et
pratiques du renseignement, 2008, Université de Bordeaux, à paraître.
30 Michel Roucaud, « Le dépôt de la guerre sous le Premier Empire : de la conservation à la documentation »,
op. cit.

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Russie31.
   La recherche de l’information militaire, par ou pour les militaires, est, sous l’Empire,
multiple dans ses pratiques, mais commence à être codifiée et formalisée. Si les pratiques de
collecte sont anciennes, l’Empire doit être pensé comme une étape de la généralisation de
l’acculturation des militaires au « renseignement ». Les structures dédiées au sein des états-
majors se précisent, le service et la production administrative de la partie secrète
s’homogénéise, les dépôts d’archives classent et retransmettent l’information.
    Le renseignement militaire est donc dans les armées napoléoniennes une réalité de tous les
instants. Cependant, avec une telle masse d’informations se pose la question de l’efficience de
l’information. Aucune structure véritable d’analyse et de prospective n’existe dans les armées
napoléoniennes. La prise de décision, basée sur des informations souvent brutes, à dessein,
reste du ressort du seul commandant en chef.
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                                                          Archiviste au service historique de la Défense 32

31 Ibid.
32 Spécialiste du Premier Empire, l’auteur prépare une thèse sur le renseignement opérationnel sous le Consulat
et l’Empire.

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