Médicaments et progrès thérapeutique : GARANTIR L'ACCÈS, MAÎTRISER LES PRIX La contribution de la société civile au débat public en France 20 ...

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Médicaments et progrès thérapeutique : GARANTIR L'ACCÈS, MAÎTRISER LES PRIX La contribution de la société civile au débat public en France 20 ...
Médicaments et progrès thérapeutique :
GARANTIR L’ACCÈS, MAÎTRISER LES PRIX

La contribution de la société civile au débat public en France
                         20 juin 2018
Médicaments et progrès thérapeutique : GARANTIR L'ACCÈS, MAÎTRISER LES PRIX La contribution de la société civile au débat public en France 20 ...
POURQUOI UNE CONTRIBUTION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE FRANÇAISE ?

Face à l’augmentation considérable des prix des nouveaux              des informations complémentaires aux citoyen.ne.s, décideur.
médicaments, notamment ceux contre les cancers, l’hépatite            euse.s et élu.e.s sur les politiques relatives aux médicaments, et
C et certaines maladies rares, la société civile française se         à dépasser certaines représentations trop souvent considérées
mobilise pour défendre l’accès aux meilleurs soins pour tou.          comme des vérités admises et intangibles.
te.s, et la sauvegarde de notre système de santé solidaire.
Plusieurs organisations de personnes malades, d’usager.ère.s          Transparence et démocratie
du système de santé, de professionnel.le.s de santé et d’étu-
                                                                      sont indispensables au maintien
diant.e.s se sont mobilisées pour proposer une contribution
commune. Celle-ci est formulée alors que plusieurs échéances          d’un système de santé solidaire
importantes à l’agenda national permettront aux industriels et        L’inflation continue des prix des nouveaux traitements est une
à l’Etat de proposer des évolutions importantes sur le prix et        menace pour l’accès équitable aux soins et pour la pérennité de
l’accès aux médicaments : Conseil stratégique des industries          notre système de santé solidaire. En prenant ensemble la parole,
de santé, re-négociation de l’accord-cadre entre le CEPS et           nos associations, dans leur diversité, affirment que cela n’est
le LEEM, préparation du projet de loi de financement de la            pas une fatalité. Les innovations dont l’efficacité est prouvée
sécurité sociale pour 2019.                                           doivent pouvoir être rendues accessibles et la pertinence de
                                                                      leurs usages garanties. Les prix doivent être mieux contrôlés afin
Avec cette contribution, la société civile veut participer au débat   que le progrès thérapeutique bénéficie d’abord aux personnes
et contribuer en apportant une expertise propre et indépendante.      malades sans pour autant décourager l’innovation. Pour ce faire,
Nos associations veulent faire entendre leurs voix face à celles      nous exigeons une réelle transparence à tous les niveaux : de
des firmes pharmaceutiques et de l’Etat. Cette voix répond à          la recherche médicale et de son financement jusqu’à la fixation
deux préoccupations.                                                  des prix des produits de santé et leur mise sur le marché.

Un travail d’analyse et de proposition                                Nous souhaitons également être mieux associés aux échanges
est indispensable pour dépasser                                       et réflexions sur les politiques du médicament, et demandons
                                                                      la tenue d’un débat véritablement démocratique. Ce débat
les idées reçues.
                                                                      démocratique doit être structuré à partir d’une exigence que
Nos différentes organisations, dans leurs champs d’expertise          toutes nos associations partagent : sur le fondement de pres-
respectifs, ont constaté des dérives majeures au sein des poli-       criptions justifiées uniquement par l’état de santé, notre système
tiques relatives aux médicaments. Elles ont dénoncé l’opacité         de santé solidaire doit garantir l’accès au progrès thérapeutique
des prix et de leurs déterminants, le manque de transparence          à toutes celles et ceux qui en ont besoin
des négociations entre l’État et les industriels, les conséquences
budgétaires et financières pour l’assurance maladie. Elles ont
alerté les pouvoirs publics sur les menaces qui pèsent sur l’accès
aux nouveaux traitements onéreux alors que des médicaments
plus anciens subissent d’intolérables pénuries. Elles ont mis en
cause un discours sur l’« innovation » justifiant avant tout des
prix exorbitants, sans que cette notion ne soit véritablement
définie, et sans qu’elle ne soit toujours garante d’une véritable
amélioration du service médical rendu pour les premier.ère.s
concerné.e.s : les personnes malades.

Fondés sur l’analyse de données publiques, de cas pratiques
documentés, de réflexions sur la propriété intellectuelle, sur
la recherche, sur les essais cliniques et sur la transparence,
les textes réunis dans cette contribution visent à apporter
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CONTRIBUTIONS

  es mythes français (1) : « le budget médicament est sous
 L
 contrôle » (contribution de MdM) - p.4

  es mythes français (2) : « notre système de fixation du prix
 L
 est efficace » (contribution de MdM) - p.6

  ouveaux médicaments anticancéreux : à quel prix ? (contri-
 N
 bution de UFC-Que Choisir) - p.9

 La mission des firmes pharmaceutiques est d’abord de
 produire et mettre à disposition des médicaments utiles
 aux soins, en quantité et qualités requises (contribution de
 Prescrire) - p.11

  ’«innovation», un mot hélas souvent trompeur dans le do-
 L
 maine du médicament (contribution de Prescrire) - p.13

  édicaments : des prix injustifiés et inacceptables (contri-
 M
 bution de Prescrire) - p.14

  Les traitements CAR-T, un espoir pour les personnes malades,
  un défi pour les systèmes de santé (contribution de La Ligue
  contre le Cancer) - p.16

 I nnovation thérapeutique : maîtriser le prix, garantir l’accès
 (contribution de France Assos Santé) - p.18

 Repenser l’économie de la recherche médicale pour pouvoir
 soigner les malades (contribution de MSF) - p.20

  ropriété intellectuelle : des barrières à l’accès à l’innovation
 P
 thérapeutique (contribution de AIDES) - p.22

Prix des médicaments : doit-on se résoudre à accepter la
 montée des inégalités ?
 (contribution de France Assos Santé) - p.25

 Transparence, une urgence pour le débat
 (contribution de UAEM) - p.27

 Qui sommes-nous ? - p.30
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                 LES MYTHES FRANÇAIS (1) :
                 « LE BUDGET MÉDICAMENT EST SOUS CONTRÔLE »

Entre 2008 et 2016, la part des dépenses en médicament en            tante : la rétrocession. La rétrocession permet de refacturer à
France dans l’ensemble des dépenses de santé est restée rela-        l’assurance-maladie, en l’imputant sur le budget consacré aux
tivement stable, à un niveau s’établissant à 17% de la consom-       soins de ville, des médicaments prescrits à l’hôpital mais dans
mation de biens et services médicaux (1). Pour l’année 2016,         le cadre d’une prise en charge ambulatoire. C’est par exemple
34 milliards d’euros ont ainsi été consacrés à la consommation       le cas des médicaments antiviraux contre le VIH et l’hépatite C.
de médicaments sur une dépense totale de santé de 198,5
milliards d’euros, représentant 11% du PIB (2). Sur 10 euros         La commercialisation de nouveaux traitements contre l’hépatite
dépensés en médicaments, près de 7 euros sont pris en charge         C en 2014 a agi comme un révélateur. Cette année-là, la Sécu
par la sécurité sociale, le reste étant financé par les organismes   a payé 2,9 milliards d’euros au titre des médicaments rétrocé-
complémentaires et les ménages (3).                                  dés, soit une augmentation de 80% de la facture par rapport
                                                                     à l’année précédente, augmentation essentiellement due aux
Au cours de ces dernières années, les pouvoirs publics de droite     seuls nouveaux médicaments contre l’hépatite C.
comme de gauche ont ainsi régulièrement vanté leur politique
de maîtrise de la dépense en médicament à coups de mesures           De fait, la croissance de la ligne rétrocession semble échapper
d’économie : augmentation du taux de pénétration du générique,       à tout contrôle : entre 2008 et 2016, le montant dépensé par
meilleure organisation des parcours de soin et des prescriptions,    l’assurance-maladie au titre de la rétrocession a augmenté
mesures de déremboursement, négociations de remises avec             de 141,7% alors que, sur la même période, la consommation
les industriels, mécanismes de compensation en fonction de           totale de médicaments évoluait de seulement 2,7% (6). Qui
l’évolution du chiffre d’affaires, etc. Le médicament a même fini    peut décemment continuer à assumer que le budget est sous
par devenir le « bon élève » du budget de l’assurance-maladie, en    contrôle ? Il en aura fallu des mesures d’économie et de rabotage
insistant sur la croissance quasi-nulle des remboursements de        pour maintenir la fameuse « stabilité » du poste médicament à
médicaments en ville « alors que ce n’était pas le cas au début      hauteur de 17% des dépenses de santé (7).
des années 2000 » (4). D’ailleurs, les industriels ne s’y sont pas
trompés, dénonçant régulièrement, par la voix de leur syndicat       Plus inquiétant, les comptes de la Sécurité sociale pour l’année
d’intérêt, le LEEM, qu’ils supportaient directement « la moitié      2017 semblent montrer une situation nouvelle : alors que le
des économies de la Sécu » (5). Ce discours unique sur le poste      rabotage se traduisait effectivement depuis des années par
du médicament, les uns pour s’en féliciter, les autres pour le       une quasi-stagnation, voire parfois une baisse, de la dépense
dénoncer, contribue à entretenir un mythe budgétaire sur la          de médicaments en officine, cette dépense repart à la hausse
Sécu, nourrissant lui-même un sentiment de sûreté. Pourtant,         avec l’introduction en pharmacie d’officine de médicaments
demain, le réveil pourrait être douloureux…                          qui étaient auparavant sur la liste de rétrocession. Et après le
                                                                     choc de l’hépatite C, ce sont aujourd’hui les médicaments en
En effet, derrière cette stabilité relative se cache, depuis 2008,   cancérologie ou dans des pathologies comme la mucoviscidose
une évolution majeure et préoccupante de la dynamique des            qui nourrissent la dynamique de croissance inflationniste des
dépenses au sein de l’enveloppe médicaments. Cette enveloppe         médicaments rétrocédés.
est composée de deux groupes : les médicaments onéreux
– pour ne pas dire aux prix exorbitants – souvent qualifiés          La stabilité relative globale cache donc, jusqu’à maintenant, une
« d’innovants », et les autres. Or, la quasi-totalité des mesures    augmentation significative des dépenses en médicaments dits
d’économie évoquées ci-dessus a porté sur les médicaments            « innovants », de plus en plus chers, pouvant coûter plusieurs
de tous les jours, la marge de manœuvre ainsi dégagée ayant,         dizaines de milliers d’euros par an et par patient. L’arrivée pro-
jusqu’à maintenant, réussi à compenser l’explosion des prix – et     chaine de nombreux nouveaux traitements, en particulier en
donc des charges pour l’assurance-maladie – des médicaments          cancérologie, dont certains pouvant avoir des prix se comptant
onéreux. L’évolution d’une ligne budgétaire spécifique au sein       en centaines de milliers d’euros par patient, va vraisemblable-
de l’enveloppe médicaments illustre cette dynamique inquié-          ment vite se traduire par une nouvelle augmentation massive
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des dépenses en médicament. Le budget médicament est donc
loin d’être sous contrôle ; ou alors à assumer que le contrôle si-
gnifiera le rationnement de l’accès aux nouveaux médicaments…

Depuis la commercialisation des nouveaux traitements contre
l’hépatite C, nous savons en effet que le mot « rationnement »
n’est pas une vue de l’esprit. « Rationner » signifie restreindre
l’accès de la population éligible à un traitement à des segments
de cette population. En France, ce rationnement explicite a pris
la forme d’un arrêté ministériel en date du 18 novembre 2014
définissant les conditions de la prise en charge des malades de
l’hépatite C sur des critères cliniques et comportementaux.
C’était une première dans l’histoire de la Sécurité sociale depuis
1945. Et c’était une première dans la quasi-totalité des pays
riches, confrontés à une impasse budgétaire (8).
                                                                      (1) Il s’agit des médicaments en ambulatoire, c’est-à-dire ceux qui sont prescrits
Sous le calme apparent entretenu par la fameuse stabilité de la            en médecine de ville et délivrés en pharmacie d’officine ainsi que ceux qui
consommation de médicaments à hauteur de 17% des dépenses                  sont refacturés par l’hôpital à l’assurance-maladie. Sont aussi compris les
de santé se cache une furieuse tectonique des plaques qui                  médicaments non-remboursables, qui représentent environ 10% du montant
préfigure des séismes forts pour notre assurance-maladie                   total. Ne sont pas intégrés les médicaments prescrits à l’hôpital dans le cadre
                                                                           des hospitalisations : ce montant est intégré au budget de l’hôpital dans le
                                                                           cadre des budgets alloués sur la base des tarifs des groupes homogènes
                                                                           de séjours (GHS) fixés par la tarification à l’activité (T2A) instituée par la
                                                                           loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004.
                                                                     (2) Ministère de la santé, DREES, Les dépenses de santé en 2016, résultats des
                                                                          comptes de la santé, édition 2017.
                                                                     (3) En 2016, l’assurance-maladie a pris en charge 68,9% des dépenses en
                                                                          médicaments, l’Etat (dont CMU-C) 1,5%, les organismes complémentaires
                                                                          12,5% et les ménages 17,1% (DREES 2017). C’est sur le poste médicament
                                                                          que le reste à charge des ménages est le plus élevé.
                                                                     (4) Maurice Pierre Planel (président du CEPS), Le Prix des médicaments en
                                                                          question(s), Presses de l’EHESP, 2017, page 78.
                                                                     (5) J.-Y. Paillé, « Sécu : le lobby pharmaceutique juge les économies «irréalistes»
                                                                          et contre l’innovation », La Tribune, 4 octobre 2016, https://www.latribune.
                                                                          fr/entreprises-finance/industrie/chimie-pharmacie/secu-le-lobby-pharma-
                                                                          ceutique-juge-les-economies-irrealistes-et-contre-l-innovation-604707.html
                                                                     (6) Evolution des montants du poste médicaments dans la CSBM et de la ligne
                                                                          médicaments rétrocédés tels qu’ils figurent dans les comptes nationaux de
                                                                          la santé publiés par la DREES.
                                                                     (7) La DREES le reconnaît elle-même dans son dernier rapport sur les comptes
                                                                          nationaux de la santé, portant sur l’année 2016 : « La diffusion de spécia-
                                                                          lités innovantes et coûteuses compense ainsi l’effet des baisses de prix
                                                                          des médicaments plus anciens, des mesures de maîtrise médicalisée et
                                                                          de promotion des génériques » (DREES, Comptes nationaux de la Santé
                                                                          2016, vue d’ensemble).
                                                                     (8) OECD, New Health Technologies. Managing access, value and sustaina-
                                                                          bility, janvier 2017.
6

                  LES MYTHES FRANÇAIS (2) :
                  « NOTRE SYSTÈME DE FIXATION DU PRIX EST EFFICACE »

Loin des cris d’orfraie de l’industrie pharmaceutique, la sta-          symétrie d’informations. Malgré cela, les règles mises en place
bilité relative de la dépense de médicaments cache en fait              obligent souvent que les prix doivent être en cohérence avec
une augmentation en valeur. Entre 2001 et 2016, le montant              ceux existant dans d’autres pays de référence ; c’est ce qu’on
annuel total dépensé en médicaments passe de 26,1 milliards             appelle le référencement international des prix, qui ne prend
d’euros à 34 milliards d’euros (1). De fait, les « économies » sur ce   en compte que les prix faciaux. Ainsi, le prix public français est
poste budgétaire correspondent plus à une volonté d’encadrer            référencé dans plus de 50 pays dans le monde, et les industriels
l’augmentation des dépenses plutôt qu’à la recherche d’une              vont ensuite utiliser cette référence dans leurs négociations
diminution de la dépense. Et d’ailleurs, pourquoi devrions-nous         avec les autorités administratives de ces pays. Il est donc stra-
accepter un dogme automatique de la réduction des dépenses              tégique pour les industriels de faire en sorte qu’il soit le plus
de santé… surtout si l’on projette les besoins à venir liés au          haut possible en France. A l’inverse, pour la fixation du prix en
vieillissement de la population et aux conséquences sanitaires          France, une convention-cadre entre le CEPS et le LEEM, syn-
des environnements nocifs.                                              dicat représentant les firmes pharmaceutiques, a introduit un
                                                                        système de référencement très contraint pour les médicaments
Les instruments actuellement utilisés                                   définis comme innovations thérapeutiques : c’est la « garantie
par les pouvoirs publics sont                                           de prix européen ». Cette règle consentie par l’Etat oblige à
                                                                        ce que le prix français pour les innovations thérapeutiques
inflationnistes
                                                                        soit lui-même en cohérence avec les prix espagnols, anglais,
Mais revenons sur le mythe des économies en analysant les               allemands et italiens.
travaux que la Cour des comptes consacre au médicament
depuis plusieurs années, à l’occasion de son rapport annuel sur         C’est pour cette raison que, depuis de nombreuses années,
l’application des lois de financement de la sécurité sociale (2).       la Cour des comptes critique férocement cette « garantie de
Pour comprendre ce que nous dit la Cour, il convient de rap-            prix européen [qui] revient à créer une situation de rente pour
peler le cadre dans lequel l’Etat intervient pour fixer le prix         l’industrie : la reconduction systématique de ce dispositif
des médicaments. L’Etat a fait le choix de ce qu’il appelle une         traduit le consentement renouvelé des pouvoirs publics, dans
politique conventionnelle, c’est-à-dire qu’il négocie avec les          leur relation avec les entreprises pharmaceutiques, à l’octroi
industriels. Pour organiser cette négociation, l’Etat a donc            et au maintien de prix faciaux élevés pour les médicaments
défini avec les industriels des règles et adopté des dispositions       innovants ». Bien plus, au-delà du seul prix des médicaments
réglementaires. Quelques exemples.                                      innovants, c’est toute la chaîne du prix des médicaments en
                                                                        France qui est soumise à une pression inflationniste avec ce
La « garantie de prix européen »                                        système de la garantie de prix européen. En effet, lorsqu’un
Dans le système français, à l’instar de ce qui existe chez la           nouveau médicament dans une classe thérapeutique existante
plupart de ses voisins européens, l’Etat, par le biais du Comité        arrive sur le marché, son amélioration du service médical rendu
économique des produits de santé (CEPS), négocie un prix                est par définition moins importante que celle du médicament
dit « facial », c’est-à-dire le prix public qui figurera sur la boîte   innovant qui a été commercialisé pour la première fois et avec
de médicament. En parallèle à ce prix, il négocie des remises           lequel il sera comparé ; le code de la sécurité sociale prévoit
confidentielles, fonction par exemple d’un volume de vente,             clairement que, pour cette raison, le prix doit être inférieur ou
pour réduire la facture pour l’assurance-maladie. Mais le pays          a minima égal selon les cas ; mais comme la base de référence
qui négocie n’a aucune information précise sur les prix réels           de la négociation est constituée du prix facial élevé du premier
dans les autres pays européens, après remises – à la différence         des médicaments introduits, la marge de manoeuvre des éco-
de l’industriel qui, lui, a une vision très claire de son marché        nomies est par définition limitée. C’est ce qui conduit la Cour à
mondial. Les Etats se retrouvent ainsi dans un rapport de force         pointer un « risque d’escalade des prix faciaux » même pour
inégal dès le départ de la négociation, en raison de cette dis-         les médicaments à faible valeur thérapeutique ajoutée.
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Les remises secrètes                                                   de la sécurité sociale (LFSS), cette disposition permet de re-
De leur côté, les pouvoirs publics ont pris l’habitude de justifier    facturer aux industriels, l’année suivante, une partie marginale
leur consentement à des prix publics élevés par la négociation         des sommes perçues. Le mécanisme se déclenche au-delà d’un
de remises plus ou moins importantes, confidentielles dans tous        certain seuil de chiffre d’affaires facturé à l’assurance-maladie
les cas. Le raisonnement est simple, voire simpliste : « certes, les   et prenant en compte l’évolution de ce CA en le comparant à
prix sont élevés, mais au final cela coûte moins cher à l’arrivée      l’évolution de l’Objectif national de dépenses d’assurance-ma-
car nous obtenons des remises ». Cependant, ce système de              ladie. Cet instrument pour réguler a posteriori la dépense de
remises est détourné de son principe originel, en étant utilisé        médicament a été introduit par la LFSS 1999. Il est connu sous
y compris pour les médicaments apportant une amélioration              le nom de clause de sauvegarde, et plus couramment sous
limitée par rapport à l’existant – ce qui ne devait pas être le        l’abréviation de son taux de compensation (« taux L »). Face
cas initialement. Dévoyées de leur esprit initial et utilisées en      à l’explosion des dépenses générées par les nouveaux traite-
routine, les remises ont pollué une gestion saine, lisible et trans-   ments contre l’hépatite C, la LFSS 2015 a introduit une clause
parente de la dépense du médicament, au travers de plusieurs           de sauvegarde spécifique assise sur le CA des médicaments
effets indésirables. D’abord, très concrètement, pour les médi-        contre l’hépatite C (« le taux W »). Comme pour les remises,
caments sans amélioration du service médical, les économies            ces clauses de sauvegarde n’agissent en rien sur la logique in-
obtenues par les remises négociées à partir d’un prix facial élevé     flationniste alimentée par les prix faciaux élevés. Elles mettent
sont toujours plus faibles que les économies qui auraient été          l’Etat dans la position d’un automobiliste qui conduirait son
réalisées si le prix… avait dès le départ été moins élevé, aligné      véhicule en regardant dans le rétroviseur…
sur le comparateur ! La Cour donne un exemple très concret
avec les traitements de la sclérose en plaque, pour lesquels           Parfois, il peut exister des habillages encore plus baroques,
les économies auraient pu être trois fois plus importantes si ce       donnant le sentiment que l’Etat maîtrise bien les manettes. Il en
principe d’un prix facial moins élevé avait été appliqué. Ensuite,     est ainsi du Fonds de financement de l’innovation thérapeutique
le principe des remises génère très directement des surcoûts           introduit par la LFSS 2017. Présenté comme un outil devant
pour l’assurance-maladie, de différents ordres. Un exemple             lisser les dépenses en médicament innovants et coûteux, la
parmi d’autres : la mise à disposition des médicaments fait            Cour note que cela revient pour l’Etat à afficher « à l’attention
l’objet de marges réglementées, qui rémunèrent les différents          des entreprises pharmaceutiques, une nouvelle source de
acteurs (grossistes-répartiteurs, pharmaciens d’officine) ; or,        financement des médicaments qui desserre la contrainte sur
ces marges sont assises sur le prix facial, et non pas sur le prix     la fixation des prix ». Outre ce message nourrissant la spirale
net après remise.                                                      inflationniste, le Fonds ressemble surtout à un artifice comp-
                                                                       table. La Commission des comptes 2017 de la Sécurité sociale
Economies moins importantes, surcoûts : au final, largement            en fournit une preuve flagrante : c’est en imputant sur ce Fonds
utilisées dans les politiques de prix, ces remises se traduisent       une grande partie du montant des médicaments rétrocédés
par une opacité accrue, mais aussi une augmentation des dé-            que l’augmentation annuelle de ce montant peut ainsi passer
penses. La Cour des comptes le dit en ses propres termes :             de 6%... à 1,8% (3). Ce qui est bien plus présentable dans les
« Si les remises peuvent sembler en première analyse avoir             comptes annuels !
la même portée que des baisses des prix fabricant, elles
emportent en réalité des surcoûts pour l’assurance maladie             Les règles consenties par l’Etat sont
et pour les assurés sociaux ».                                         inefficientes
Les clauses de sauvegarde                                              Intrinsèquement, un cadre conventionnel et réglementaire n’est
Dernier instrument utilisé par les pouvoirs publics, pour tenter       pas en soi une mauvaise chose. Encore faut-il que les acteurs
de réduire la facture générée par des prix élevés : les méca-          jouent le jeu – industriels et Etat – et que les dés ne soient pas
nismes de compensation. Votée dans les lois de financement             pipés. Or, ce n’est manifestement pas le cas. De façon générale,
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l’Etat a accepté un cadre conventionnel et réglementaire qui          d’autres instruments de régulation à leur disposition, visant à
réduit les marges de manoeuvre du payeur public. Dit autrement,       les renforcer dans les négociations de prix. Ces instruments
les règles que l’Etat a consenties et qui s’imposent dans la fixa-    sont nombreux et, pour certains, prévus par la loi depuis très
tion du prix des médicaments font que les payeurs ne peuvent          longtemps. C’est par exemple le cas avec la licence d’office
pas négocier un meilleur usage de la ressource publique. Avec         instituée en France par le général de Gaulle en 1959, justement
ses propres mots, la Cour note que « Le compromis actuel              comme un pare-feu à une position de domination mettant en
entre les pouvoirs publics et les entreprises pharmaceutiques,        danger l’accès à un médicament pour des raisons de prix. L’ar-
fondé sur l’octroi de prix élevés accompagnés de remises qui          ticle L 613-16 du Code de la propriété intellectuelle stipule
en abaissent le coût net - y compris pour des médicaments peu         clairement que, en raison « d’un prix anormalement élevé », le
ou non innovants - apparaît pour partie inadapté aux enjeux           gouvernement français peut déclencher ce dispositif qui ouvre
d’efficience des dépenses d’assurance maladie ».                      la voie à une concurrence moins chère et de qualité. Il existe
                                                                      d’autres instruments, d’ordre administratif, comme la fixation
Mais pourquoi l’Etat accepterait-il donc cela ? La Cour nous          unilatérale du prix par les pouvoirs publics en cas d’échec de
apporte deux intéressants éléments de réponse.                        la négociation du prix avec l’industriel.

D’abord, elle constate que les pratiques de prix élevés consen-       Il ne s’agit pas ici de définir un nouveau mantra dans les politiques
ties par l’Etat participeraient d’une politique visant à soutenir     de fixation de prix, mais bien de rappeler que ces outils légaux
l’attractivité économique et à stimuler l’emploi sur le territoire,   existent et peuvent être déclenchés lorsque les pouvoirs publics
détournant par-là l’assurance-maladie de son objet, la santé, au      sont dans une impasse. Ces outils, avec d’autres instruments
profit de politiques industrielles. C’est là un travers majeur des    de pilotage de la dépense de médicaments et des dépenses de
pouvoirs publics de considérer la Sécurité sociale comme un           santé en général, sont une réponse au souci de rééquilibrer la
vecteur de soutien à d’autres politiques publiques que celles de      négociation entre l’Etat et les industriels à l’heure où, selon la
la santé ; ce travers est illustré de longue date avec l’impact sur   Cour des comptes, les industriels formulent des « demandes de
les ressources de la Sécurité sociale (et donc de son équilibre       prix établies en fonction de la capacité à payer des acheteurs
financier) des mesures d’exonération de cotisations sociales          publics. Ces nouvelles stratégies, plus agressives, exercent
sur les bas salaires pour soutenir la politique de lutte contre       une pression inédite sur les financeurs »
le chômage chez les salariés les moins qualifiés.

De façon plus générale, la Cour exprime une inquiétude :
« Des interventions auprès des pouvoirs publics motivées              (1) DRESS, Comptes nationaux de la santé – base 2010.
par des considérations de nature industrielle conduisent              (2) Cour des comptes, Rapports d’application de la Loi de Financement de la
parfois à fixer ou à maintenir des prix anormalement élevés ».            Sécurité Sociale (RALFSS). Ce rapport annuel est publié en septembre de
                                                                          l’année N+1 pour la LFSS de l’année N. Outre les rubriques habituelles, la
A l’heure où le gouvernement va réunir les industriels dans le
                                                                          Cour explore chaque année des questions plus particulières ayant un impact
cadre du Comité stratégique des industries de santé le 9 juillet          sur le budget de la Sécurité sociale. Le médicament apparaît régulièrement
2018 pour renouveler de nombreuses règles de la filière, dont             dans les RALFSS comme un objet de préoccupation spécifique de la Cour
celles portant sur la négociation et la fixation des prix, nous           ; ce fut ainsi le cas dans les éditions 2001 (pp. 85-110), 2002 (pp. 368-382),
partageons largement cette inquiétude quant au poids de ces               2003 (pp. 213-216), 2004 (pp. 305-355), 2007 (pp. 257-304) et 2011 (pp.
« interventions ». Surtout quand la Cour évoque explicitement             109-145). La dernière investigation en date consacrée au medicament figure
                                                                          dans l’édition de septembre 2017, au chapitre VIII intitulé «La fixation du prix
« des pressions difficiles à écarter » auxquelles sont exposés
                                                                          des médicaments : des résultats significatifs, des enjeux toujours majeurs
les pouvoirs publics.                                                     d’efficience et de soutenabilité, un cadre d’action à fortement rééquilibrer»,
                                                                          duquel sont extraites les citations figurant dans cette contribution.
Cette inquiétude est d’autant plus forte que nous sommes nom-         (3) Commission des comptes de la Sécurité sociale, Résultats 2017. Prévisions
breux à constater que les Etats refusent obstinément d’utiliser           2018. Juin 2018.
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                    NOUVEAUX MÉDICAMENTS ANTICANCÉREUX :
                    À QUEL PRIX ?

Dans le cancer, de nouveaux médicaments apportent quelques             par la Haute Autorité de santé (HAS). Par rapport au traite-
progrès, mais parfois au prix d’effets secondaires indésirables        ment jusqu’alors privilégié, ce médicament améliore la durée
lourds. L’amélioration, même minime, de la durée de survie,            de survie de six mois. Son coût : 4 361 euros par cure (toutes
donne assez d’aplomb aux laboratoires pour demander des                les trois semaines), soit plus de 6 000 euros par mois et donc
prix astronomiques même quand les médicaments n’ont pas                72 000 € par an.
nécessité d’investissement important en recherche et déve-
loppement.                                                             Revlimid® (lénalidomide, Celgène). Il est utilisé dans le myélome
                                                                       et le syndrome myélodysplasique, pour un coût mensuel de 3
En France, contrairement aux États-Unis, le prix des médica-           900 à 5 000 euros. Or c’est une déclinaison du thalidomide,
ments remboursables n’est pas libre. Il est contrôlé et déterminé      une molécule très ancienne, connue pour avoir causé dans les
par le Comité économique des produits de santé (CEPS). Depuis          années soixante de graves malformations chez des nouveau-nés.
peu, la Haute Autorité de santé (HAS) essaie de peser sur la           Le Revlimid® n’est donc pas franchement nouveau, n’a pas
fixation du prix des médicaments innovants et dont la charge           nécessité d’investissement lourd, et pourtant, il est cher ! Du
pour le budget de l’assurance-maladie sera élevée : elle donne         point de vue thérapeutique, c’est une option parmi d’autres,
un avis d’efficience. Cette notion définit, pour chaque médica-        mais qui n’a pas montré d’avantage décisif.
ment innovant et cher, le coût supplémentaire par année de vie
en bonne santé. Reste que la discussion au sein du CEPS est            Tarceva® (erlotinib, Roche). Dans le cancer du poumon « non à
complètement opaque. Mais au final, dans une négociation qui           petites cellules », ce médicament n’améliore pas la survie globale
est très inégale pour le payeur, force est de constater que les        en traitement de première intention. En seconde intention, il n’a
industriels parviennent à y faire entendre leurs arguments et          pas été comparé au traitement de référence, et ce n’est qu’en
obtiennent des prix qui leur sont très favorables.                     troisième intention qu’il représente un léger intérêt. Il coûte 2
                                                                       195 euros par mois.
Quelques médicaments anticancéreux
                                                                       Keytruda® (pembrolizumab, Merck). Ce tout nouveau mé-
au coût exorbitant
                                                                       dicament est indiqué dans le traitement du mélanome non
Glivec® (imatinib, Novartis). Ce médicament a révolutionné             opérable ou métastasé. La HAS a estimé que l’amélioration
le traitement de cancers rares du sang et de la moelle osseuse.        du service médical rendu (ASMR) qu’il apportait n’était que
Il s’agit d’un traitement à vie, qui coûte entre 2 270 et 3 400        mineure par rapport aux traitements existants. Administré
euros par mois selon le dosage, soit jusqu’à 40 000 euros par          par cure toutes les trois semaines, ce traitement coûte pour-
an. Depuis sa première commercialisation comme médicament              tant près de 6 000 euros par mois, soit 72 000 euros par an.
« orphelin » en 2001, ses indications se sont étendues, notam-         Son indication a été élargie depuis.
ment dans certaines tumeurs digestives. Le Glivec® est un cas
d’école : malgré sa rentabilité croissante grâce à une utilisation     Avastin® (bevacizumab, Roche). Autorisé en France dans les
toujours plus large, son prix n’a pas fléchi. Aux États-Unis, il est   cancers métastasés du sein, de l’ovaire, du colon et du rein, et
même passé de 30 000 dollars en 2001 à 92 000 dollars en 2012.         dans le cancer du poumon, l’Avastin® est controversé. Pour la
Bon à savoir : le prix de l’imatinib générique, introduite en 2017     revue médicale indépendante Prescrire, les effets indésirables
suite à la tombée du brevet, a entrainé une diminution de 50%          sont trop lourds pour quelques semaines de survie. Étant
par rapport au prix du princeps. Et, du coup, le prix du princeps      donné son prix, le système de sécurité sociale anglais l’a exclu
lui-même a baissé de 20%.                                              du remboursement. En France, son coût varie entre 1 633 et
                                                                       3 270 euros par mois.
Kadcyla® (trastuzumab emtansine, Roche). Utilisé dans un               Bon à savoir. L’Avastin® est également utilisé depuis une dizaine
cancer du sein spécifique (HER2 positif) en cas d’échec d’un           d’année en injection oculaire dans la forme humide de la dé-
premier traitement, son bénéfice thérapeutique a été reconnu           générescence maculaire liée à l’âge (DMLA), c’est-à-dire dans
10

une autre indication que celle associée à son autorisation de
mise sur le marché initiale en oncologie. Si c’est effectivement
un médicament cher contre le cancer, comme nous avons pu le
voir, en revanche, dans l’indication de traitement de la DMLA, il
est très économique par rapport au médicament officiellement
autorisé à l’époque : le Lucentis® de Novartis. Une injection
oculaire d’une dose d’Avastin® coûtait 10 euros… contre 739
euros la même injection avec le Lucentis®. Soit 80 fois moins
cher ! C’est pour cette raison budgétaire que des hôpitaux
ont commencé à utiliser Avastin®, en dehors de tout cadre
réglementaire. Il faudra attendre 2015 pour que le ministère
de la Santé autorise, temporairement, l’utilisation d’Avastin®
dans le traitement de la DMLA. Immédiatement après cette
décision, l’industriel Roche lui-même, donc le propriétaire de
l’Avastin®, saisira le tribunal administratif pour faire annuler
cette autorisation temporaire. Roche préférait ainsi renoncer
à un marché plutôt que de cautionner une baisse drastique
de prix dans le cadre d’une nouvelle indication… Derrière
cela pesait le soupçon d’une entente illégale entre les deux
industriels pour laisser le marché de la DMLA au médicament
le plus cher. C’est ce qu’a jugé l’Autorité de la concurrence ita-
lienne en mars 2014, en condamnant les deux industriels à une
amende record de 182,5 millions d’euros. En France, l’UFC-Que
Choisir a saisi l’Autorité de la Concurrence en avril de la même
année, sur le même motif d’une possible entente illicite entre
Roche et Novartis ; l’enquête est toujours en cours au moment
de la rédaction de cette contribution. Depuis, une décision du
Conseil d’Etat en septembre 2017 a confirmé la validité de la
recommandation temporaire d’utilisation d’Avastin® pour le
traitement de la DMLA

                                                                     Les prix mentionnés sont calculés à partir des posologies moyennes les plus
                                                                     courantes (données fournies par l’Institut Curie). Ils se fondent sur les prix
                                                                     faciaux unitaires fixés par le CEPS et publiés au Journal officiel. Il s’agit donc
                                                                     d’un prix avant remise éventuelle
11

                                LA MISSION DES FIRMES PHARMACEUTIQUES EST D’ABORD
                                DE PRODUIRE ET METTRE À DISPOSITION DES MÉDICAMENTS
                                UTILES AUX SOINS, EN QUANTITÉ ET QUALITÉS REQUISES

Selon une campagne de publicité européenne retrouvée dans             tures de stock, ont été déplorées en 2017 (1). L’ANSM compte
de nombreux médias, les firmes pharmaceutiques ne dormi-              parmi eux 20 % d’antibiotiques et de vaccins (1). Des ruptures
raient « jamais ».                                                    de stock durables de plusieurs vaccins ont obligé à plusieurs
                                                                      reprises la Commission technique des vaccinations (CTV) de la
Des conditions à réunir pour que la recherche soit utile              Haute autorité de santé (HAS) à revoir les protocoles de vacci-
aux patients                                                          nation, qui devraient pourtant être une procédure entièrement
Cette campagne est axée sur l’activité des firmes pharmaceu-          guidée par des considérations scientifiques (2) !
tiques en termes de recherche et développement de nouveaux
médicaments. Cette activité est importante pour la société et         Cette défaillance des firmes n’est pas nouvelle, mais elle s’ag-
les patients, à condition d’être orientée vers les besoins de santé   grave. En 2011, la loi dite de sécurité du médicament avait
les plus importants en termes de santé publique, à condition          prévu que les firmes informent plus longtemps en avance (1
que les nouveaux médicaments représentent des progrès                 an) sur les ruptures de stock prévisibles (article 46) et que les
cliniques tangibles pour les patients, à condition qu’ils soient      grossistes-répartiteurs précisent les volumes de médicaments
solidement évalués avant et après autorisation de mise sur le         qu’ils entendaient exporter (article 45) (3). En 2016, la loi dite
marché (pour que les risques encourus par les patients ne soient      de santé publique a renforcé ces obligations, en prévoyant la
pas disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés),            mise en place par les firmes de « plans de gestion des pénuries » :
à condition que le prix des nouveaux médicaments utiles en            « Ces plans de gestion des pénuries peuvent notamment
permette l’accès à ceux qui en ont besoin, et à condition que         prévoir la constitution de stocks de médicaments destinés au
l’évolution des dépenses pharmaceutiques ne se fasse pas au           marché national en fonction des parts de marché de chaque
détriment des comptes sociaux et d’autres dépenses également          entreprise pharmaceutique, d’autres sites de fabrication de
utiles à la santé des personnes (prévention, diagnostic, hôpital,     matières premières à usage pharmaceutique, d’autres sites
social, alimentation, logement, etc.).                                de fabrication des spécialités pharmaceutiques, ainsi que, le
                                                                      cas échéant, l’identification de spécialités pharmaceutiques
À ces conditions, l’activité de recherche et développement            pouvant constituer une alternative à la spécialité pharma-
des firmes pharmaceutiques, en aval souvent de la recherche           ceutique en défaut » (4,5).
publique ou universitaire, trouve son plus grand intérêt si elle
permet de mettre au point puis de produire en quantité suf-           Force est de constater que ces mesures sont insuffisantes, et
fisante et de mettre à disposition des médicaments dans des           que les firmes n’ont pas résolu efficacement ce problème de
maladies que l’on soigne difficilement aujourd’hui, voire pas         santé publique.
du tout.
                                                                      Ce problème n’est pas seulement français : de nombreux pays
Mais beaucoup de maladies sont aujourd’hui assez correcte-            sont concernés, et par exemple au Royaume-Uni ces pénuries
ment voire très bien prises en charge par des médicaments. Et         entraînent des dépenses supplémentaires (6). En Europe,
beaucoup de patients sont amenés à régulièrement prendre              les autorités de santé se préoccupent de plus en plus de ce
des médicaments, parfois de manière impérative. Encore faut-il        problème (1).
que leurs médicaments soient disponibles !
                                                                      Production précarisée
Développement… des ruptures de stocks !                               Quelles sont les causes de ces ruptures de stock ? L’ANSM met
Chaque année, de plus en plus de médicaments manquent en              en cause des problèmes de fabrication, en qualité (décelées
officine, voire à l’hôpital. L’Agence française du médicament         notamment lors d’activité d’inspection) ou en quantité, des
(ANSM) a ainsi relevé plus de 500 cas de médicaments qu’elle          matières premières pharmaceutiques, particulièrement dans
considère comme « d’intérêt thérapeutique majeur » pour               le cas où elles sont produites dans une seule usine au monde.
lesquels des « tensions d’approvisionnement », voire des rup-
12

Existe-t-il un impératif scientifique ou technique qui voudrait
qu’une seule usine soit capable de produire ces matières pre-
mières ? Non, il s’agit seulement de motifs économiques, les
firmes pharmaceutiques préférant rogner sur le coût de produc-
tion, et notamment acheter leurs matières premières en Chine.
Or, des médicaments sont à risque de rupture de stock parce
que des usines pharmaceutiques chinoises doivent fermer en
raison de la politique chinoise de lutte contre la pollution (7). On
en arrive ainsi à des situations de grande insécurité sanitaire, où
les firmes pharmaceutiques recherchent d’abord à réduire leurs
charges et à développer la rentabilité au profit des actionnaires,
en reléguant les patients et les soins au second plan.

Il faut aux pouvoirs publics français et européens prendre des
mesures volontaristes pour contraindre les firmes à assurer
en permanence la disponibilité de leurs médicaments vitaux.
Rappelons par exemple que les licences obligatoires ou d’office
en France sont prévues pour ce cas où les firmes ne fournissent
pas les médicaments en quantités nécessaires (8).

Les firmes doivent assurer leur métier de base
Les firmes communiquent sur les milliers de médicaments en
développement, en laissant miroiter de nombreux succès pour
demain, alors qu’en réalité, depuis de nombreuses années, les
médicaments qui arrivent sur le marché en apportant un progrès
tangible pour les patients sont rares. Pendant ce temps, des
patients n’ont plus accès aux médicaments dont ils ont besoin
au quotidien. Et des usines de production de médicaments en
Europe ont fermé ou ferment encore.
Les firmes doivent assurer leur mission première, qui est de           (1) « Médicament : les signalements de rupture et de risque de rupture en hausse
produire en quantité suffisante et de manière pérenne des                   de 30 % en 2017 (ANSM) », dépêche APM du 13 février 2018 : 2 pages.
médicaments de qualité et d’intérêt thérapeutique démontré             (2) Ministère des solidarités et de la santé, Calendrier des vaccinations et des
                                                                            recommandations.
                                                                       (3) Article 46 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renfor-
                                                                            cement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé,
                                                                            Journal Officiel du 30 décembre 2012 : 1 page.
                                                                       (4) Article 151 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de
                                                                            notre système de santé, Journal Officiel du 27 janvier 2016 : 1 page.
                                                                       (5) Décret n° 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures
                                                                            d’approvisionnement de médicaments, Journal Officiel du 22 juillet 2016
                                                                            : 3 pages.
                                                                       (6) «Drug shortages derail CCGs’ budgets», BMJ 2018; 360:k331: 1 page.
                                                                       (7) Mullin R «Drug chemical makers brace as China cracks down on pollution»,
                                                                            Chemical and engineering news, 12 février 2018. Site www.cen.acs.org
                                                                            consulté le 21 mai : 2 pages.
13

                                 L’«INNOVATION», UN MOT HÉLAS SOUVENT TROMPEUR
                                 DANS LE DOMAINE DU MÉDICAMENT

« Un accès précoce à l’innovation » : tel est le slogan martelé          et/ou sûr que les options de traitement déjà existantes » (1).
aujourd’hui par les firmes pharmaceutiques, certaines agences
du médicament (notamment l’agence européenne, EMA) et                    En pratique, de nombreuses études publiées dans des revues
certaines associations de patients.                                      internationales ont montré que beaucoup de nouveaux mé-
                                                                         dicaments, notamment dans les cancers et dans les maladies
Qui pourrait être contre « un accès précoce à l’innovation » ?           rares, sont mis sur le marché sur la base d’une connaissance
Personne, si l’innovation était toujours un progrès. Mais en             très limitée. Pire, cette connaissance est toujours très limitée
réalité, innovation ne signifie pas progrès.                             quelques années plus tard : en pratique, cela veut dire que l’on
                                                                         connaît trop peu l’efficacité de ces médicaments même plusieurs
Et il faut souvent du temps pour faire la différence. Certains           années après leur mise sur le marché (2 à 6).
acteurs pensent ou tendent à faire penser que les autorités de
santé, c’est-à-dire les agences du médicament et les agences             Une vraie innovation : mieux évaluer aujourd’hui pour
chargées de l’évaluation de l’intérêt thérapeutique du médica-           mieux soigner demain
ment, feraient perdre du temps par leur travail «bureaucratique».        Les patients ont le droit d’espérer et peuvent accepter des
Les essais cliniques comparatifs eux-mêmes seraient trop longs,          incertitudes, à condition que ces dernières ne soient pas dis-
et ralentiraient l’accès aux nouveaux médicaments…                       proportionnées, et que le défaut d’évaluation des médicaments
                                                                         aujourd’hui ne nuise pas aux patients de demain
Vite fait, mal fait
En réalité, il existe déjà aujourd’hui de nombreuses voies ac-
célérées de mise sur le marché (autorisations de mise sur le
marché (AMM) conditionnelles, AMM fractionnées, etc.), sans
parler des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) avant
AMM. Mais cette rapidité est le plus souvent au détriment de
la qualité de l’évaluation, car les médicaments ont été évalués
sur des critères approximatifs d’efficacité, pendant une durée
courte, chez un nombre réduit de patients souvent peu repré-
sentatifs. Pas étonnant alors que les autorités aient ensuite du
mal à déterminer l’intérêt thérapeutique du médicament, ce
qui peut aussi ralentir les décisions de remboursement et de
détermination de prix.
                                                                         (1) EMA, «Letter 16 June 2016 EMA/365120/2016 Senior Medical Officer
Le mot innovation est trompeur. Si tous les nouveaux médica-                  page 5»: 8 pages.
ments représentaient des progrès tangibles pour les patients,            (2) Davis C et coll. “Availability of evidence of benefits on overall survival and
                                                                              quality of life cancer drugs approved by European Medicines Agency: retros-
alors oui, il serait légitime de tout faire pour en accélérer l’accès.
                                                                              pective cohort study of drug approvals 2009-13”, BMJ 2017; 359: 13 pages.
                                                                         (3) Grössmann N et coll. “Five years of EMA-approved systemic cancer therapies
Innovation : sans aucune garantie de valeur thérapeu-                         for solid tumours - a comparison of two thresholds for meaningful clinical
tique ajoutée                                                                 benefit”, Eur J Cancer 2017; 82 : 66-71.
Mais malheureusement ce mot très valorisant d’innovation est             (4) Grössmann N et Wild C “Between January 2009 and April 2016, 134 novel an-
utilisé à la place du mot plus factuel de nouveauté. L’Agence                 ticancer therapies were approved: what is the level of knowledge concerning
                                                                              the clinical benefit at the time of approval?”, ESMO Open 2017; 1 : 6 pages.
européenne du médicament l’a d’ailleurs reconnu sans ambi-
                                                                         (5) Prasad V “Do cancer drugs improve survival or quality of life?”, BMJ 2017;
guïté : « Nous reconnaissons que “innovant” ne veut rien dire                 359 : 2 pages.
de plus que “nouveau”. Ce terme est neutre par rapport au                (6) Joppi R et coll. “Letting post-marketing bridge the evidence gap: the case
fait que le produit “innovant» est plus (ou moins) efficace                   of orphan drugs”, BMJ 2016; 353 : i2978 : 5 pages.
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