Médicaments et progrès thérapeutique : GARANTIR L'ACCÈS, MAÎTRISER LES PRIX La contribution de la société civile au débat public en France 20 ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Médicaments et progrès thérapeutique : GARANTIR L’ACCÈS, MAÎTRISER LES PRIX La contribution de la société civile au débat public en France 20 juin 2018
POURQUOI UNE CONTRIBUTION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE FRANÇAISE ? Face à l’augmentation considérable des prix des nouveaux des informations complémentaires aux citoyen.ne.s, décideur. médicaments, notamment ceux contre les cancers, l’hépatite euse.s et élu.e.s sur les politiques relatives aux médicaments, et C et certaines maladies rares, la société civile française se à dépasser certaines représentations trop souvent considérées mobilise pour défendre l’accès aux meilleurs soins pour tou. comme des vérités admises et intangibles. te.s, et la sauvegarde de notre système de santé solidaire. Plusieurs organisations de personnes malades, d’usager.ère.s Transparence et démocratie du système de santé, de professionnel.le.s de santé et d’étu- sont indispensables au maintien diant.e.s se sont mobilisées pour proposer une contribution commune. Celle-ci est formulée alors que plusieurs échéances d’un système de santé solidaire importantes à l’agenda national permettront aux industriels et L’inflation continue des prix des nouveaux traitements est une à l’Etat de proposer des évolutions importantes sur le prix et menace pour l’accès équitable aux soins et pour la pérennité de l’accès aux médicaments : Conseil stratégique des industries notre système de santé solidaire. En prenant ensemble la parole, de santé, re-négociation de l’accord-cadre entre le CEPS et nos associations, dans leur diversité, affirment que cela n’est le LEEM, préparation du projet de loi de financement de la pas une fatalité. Les innovations dont l’efficacité est prouvée sécurité sociale pour 2019. doivent pouvoir être rendues accessibles et la pertinence de leurs usages garanties. Les prix doivent être mieux contrôlés afin Avec cette contribution, la société civile veut participer au débat que le progrès thérapeutique bénéficie d’abord aux personnes et contribuer en apportant une expertise propre et indépendante. malades sans pour autant décourager l’innovation. Pour ce faire, Nos associations veulent faire entendre leurs voix face à celles nous exigeons une réelle transparence à tous les niveaux : de des firmes pharmaceutiques et de l’Etat. Cette voix répond à la recherche médicale et de son financement jusqu’à la fixation deux préoccupations. des prix des produits de santé et leur mise sur le marché. Un travail d’analyse et de proposition Nous souhaitons également être mieux associés aux échanges est indispensable pour dépasser et réflexions sur les politiques du médicament, et demandons la tenue d’un débat véritablement démocratique. Ce débat les idées reçues. démocratique doit être structuré à partir d’une exigence que Nos différentes organisations, dans leurs champs d’expertise toutes nos associations partagent : sur le fondement de pres- respectifs, ont constaté des dérives majeures au sein des poli- criptions justifiées uniquement par l’état de santé, notre système tiques relatives aux médicaments. Elles ont dénoncé l’opacité de santé solidaire doit garantir l’accès au progrès thérapeutique des prix et de leurs déterminants, le manque de transparence à toutes celles et ceux qui en ont besoin des négociations entre l’État et les industriels, les conséquences budgétaires et financières pour l’assurance maladie. Elles ont alerté les pouvoirs publics sur les menaces qui pèsent sur l’accès aux nouveaux traitements onéreux alors que des médicaments plus anciens subissent d’intolérables pénuries. Elles ont mis en cause un discours sur l’« innovation » justifiant avant tout des prix exorbitants, sans que cette notion ne soit véritablement définie, et sans qu’elle ne soit toujours garante d’une véritable amélioration du service médical rendu pour les premier.ère.s concerné.e.s : les personnes malades. Fondés sur l’analyse de données publiques, de cas pratiques documentés, de réflexions sur la propriété intellectuelle, sur la recherche, sur les essais cliniques et sur la transparence, les textes réunis dans cette contribution visent à apporter
3 CONTRIBUTIONS es mythes français (1) : « le budget médicament est sous L contrôle » (contribution de MdM) - p.4 es mythes français (2) : « notre système de fixation du prix L est efficace » (contribution de MdM) - p.6 ouveaux médicaments anticancéreux : à quel prix ? (contri- N bution de UFC-Que Choisir) - p.9 La mission des firmes pharmaceutiques est d’abord de produire et mettre à disposition des médicaments utiles aux soins, en quantité et qualités requises (contribution de Prescrire) - p.11 ’«innovation», un mot hélas souvent trompeur dans le do- L maine du médicament (contribution de Prescrire) - p.13 édicaments : des prix injustifiés et inacceptables (contri- M bution de Prescrire) - p.14 Les traitements CAR-T, un espoir pour les personnes malades, un défi pour les systèmes de santé (contribution de La Ligue contre le Cancer) - p.16 I nnovation thérapeutique : maîtriser le prix, garantir l’accès (contribution de France Assos Santé) - p.18 Repenser l’économie de la recherche médicale pour pouvoir soigner les malades (contribution de MSF) - p.20 ropriété intellectuelle : des barrières à l’accès à l’innovation P thérapeutique (contribution de AIDES) - p.22 Prix des médicaments : doit-on se résoudre à accepter la montée des inégalités ? (contribution de France Assos Santé) - p.25 Transparence, une urgence pour le débat (contribution de UAEM) - p.27 Qui sommes-nous ? - p.30
4 LES MYTHES FRANÇAIS (1) : « LE BUDGET MÉDICAMENT EST SOUS CONTRÔLE » Entre 2008 et 2016, la part des dépenses en médicament en tante : la rétrocession. La rétrocession permet de refacturer à France dans l’ensemble des dépenses de santé est restée rela- l’assurance-maladie, en l’imputant sur le budget consacré aux tivement stable, à un niveau s’établissant à 17% de la consom- soins de ville, des médicaments prescrits à l’hôpital mais dans mation de biens et services médicaux (1). Pour l’année 2016, le cadre d’une prise en charge ambulatoire. C’est par exemple 34 milliards d’euros ont ainsi été consacrés à la consommation le cas des médicaments antiviraux contre le VIH et l’hépatite C. de médicaments sur une dépense totale de santé de 198,5 milliards d’euros, représentant 11% du PIB (2). Sur 10 euros La commercialisation de nouveaux traitements contre l’hépatite dépensés en médicaments, près de 7 euros sont pris en charge C en 2014 a agi comme un révélateur. Cette année-là, la Sécu par la sécurité sociale, le reste étant financé par les organismes a payé 2,9 milliards d’euros au titre des médicaments rétrocé- complémentaires et les ménages (3). dés, soit une augmentation de 80% de la facture par rapport à l’année précédente, augmentation essentiellement due aux Au cours de ces dernières années, les pouvoirs publics de droite seuls nouveaux médicaments contre l’hépatite C. comme de gauche ont ainsi régulièrement vanté leur politique de maîtrise de la dépense en médicament à coups de mesures De fait, la croissance de la ligne rétrocession semble échapper d’économie : augmentation du taux de pénétration du générique, à tout contrôle : entre 2008 et 2016, le montant dépensé par meilleure organisation des parcours de soin et des prescriptions, l’assurance-maladie au titre de la rétrocession a augmenté mesures de déremboursement, négociations de remises avec de 141,7% alors que, sur la même période, la consommation les industriels, mécanismes de compensation en fonction de totale de médicaments évoluait de seulement 2,7% (6). Qui l’évolution du chiffre d’affaires, etc. Le médicament a même fini peut décemment continuer à assumer que le budget est sous par devenir le « bon élève » du budget de l’assurance-maladie, en contrôle ? Il en aura fallu des mesures d’économie et de rabotage insistant sur la croissance quasi-nulle des remboursements de pour maintenir la fameuse « stabilité » du poste médicament à médicaments en ville « alors que ce n’était pas le cas au début hauteur de 17% des dépenses de santé (7). des années 2000 » (4). D’ailleurs, les industriels ne s’y sont pas trompés, dénonçant régulièrement, par la voix de leur syndicat Plus inquiétant, les comptes de la Sécurité sociale pour l’année d’intérêt, le LEEM, qu’ils supportaient directement « la moitié 2017 semblent montrer une situation nouvelle : alors que le des économies de la Sécu » (5). Ce discours unique sur le poste rabotage se traduisait effectivement depuis des années par du médicament, les uns pour s’en féliciter, les autres pour le une quasi-stagnation, voire parfois une baisse, de la dépense dénoncer, contribue à entretenir un mythe budgétaire sur la de médicaments en officine, cette dépense repart à la hausse Sécu, nourrissant lui-même un sentiment de sûreté. Pourtant, avec l’introduction en pharmacie d’officine de médicaments demain, le réveil pourrait être douloureux… qui étaient auparavant sur la liste de rétrocession. Et après le choc de l’hépatite C, ce sont aujourd’hui les médicaments en En effet, derrière cette stabilité relative se cache, depuis 2008, cancérologie ou dans des pathologies comme la mucoviscidose une évolution majeure et préoccupante de la dynamique des qui nourrissent la dynamique de croissance inflationniste des dépenses au sein de l’enveloppe médicaments. Cette enveloppe médicaments rétrocédés. est composée de deux groupes : les médicaments onéreux – pour ne pas dire aux prix exorbitants – souvent qualifiés La stabilité relative globale cache donc, jusqu’à maintenant, une « d’innovants », et les autres. Or, la quasi-totalité des mesures augmentation significative des dépenses en médicaments dits d’économie évoquées ci-dessus a porté sur les médicaments « innovants », de plus en plus chers, pouvant coûter plusieurs de tous les jours, la marge de manœuvre ainsi dégagée ayant, dizaines de milliers d’euros par an et par patient. L’arrivée pro- jusqu’à maintenant, réussi à compenser l’explosion des prix – et chaine de nombreux nouveaux traitements, en particulier en donc des charges pour l’assurance-maladie – des médicaments cancérologie, dont certains pouvant avoir des prix se comptant onéreux. L’évolution d’une ligne budgétaire spécifique au sein en centaines de milliers d’euros par patient, va vraisemblable- de l’enveloppe médicaments illustre cette dynamique inquié- ment vite se traduire par une nouvelle augmentation massive
5 des dépenses en médicament. Le budget médicament est donc loin d’être sous contrôle ; ou alors à assumer que le contrôle si- gnifiera le rationnement de l’accès aux nouveaux médicaments… Depuis la commercialisation des nouveaux traitements contre l’hépatite C, nous savons en effet que le mot « rationnement » n’est pas une vue de l’esprit. « Rationner » signifie restreindre l’accès de la population éligible à un traitement à des segments de cette population. En France, ce rationnement explicite a pris la forme d’un arrêté ministériel en date du 18 novembre 2014 définissant les conditions de la prise en charge des malades de l’hépatite C sur des critères cliniques et comportementaux. C’était une première dans l’histoire de la Sécurité sociale depuis 1945. Et c’était une première dans la quasi-totalité des pays riches, confrontés à une impasse budgétaire (8). (1) Il s’agit des médicaments en ambulatoire, c’est-à-dire ceux qui sont prescrits Sous le calme apparent entretenu par la fameuse stabilité de la en médecine de ville et délivrés en pharmacie d’officine ainsi que ceux qui consommation de médicaments à hauteur de 17% des dépenses sont refacturés par l’hôpital à l’assurance-maladie. Sont aussi compris les de santé se cache une furieuse tectonique des plaques qui médicaments non-remboursables, qui représentent environ 10% du montant préfigure des séismes forts pour notre assurance-maladie total. Ne sont pas intégrés les médicaments prescrits à l’hôpital dans le cadre des hospitalisations : ce montant est intégré au budget de l’hôpital dans le cadre des budgets alloués sur la base des tarifs des groupes homogènes de séjours (GHS) fixés par la tarification à l’activité (T2A) instituée par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004. (2) Ministère de la santé, DREES, Les dépenses de santé en 2016, résultats des comptes de la santé, édition 2017. (3) En 2016, l’assurance-maladie a pris en charge 68,9% des dépenses en médicaments, l’Etat (dont CMU-C) 1,5%, les organismes complémentaires 12,5% et les ménages 17,1% (DREES 2017). C’est sur le poste médicament que le reste à charge des ménages est le plus élevé. (4) Maurice Pierre Planel (président du CEPS), Le Prix des médicaments en question(s), Presses de l’EHESP, 2017, page 78. (5) J.-Y. Paillé, « Sécu : le lobby pharmaceutique juge les économies «irréalistes» et contre l’innovation », La Tribune, 4 octobre 2016, https://www.latribune. fr/entreprises-finance/industrie/chimie-pharmacie/secu-le-lobby-pharma- ceutique-juge-les-economies-irrealistes-et-contre-l-innovation-604707.html (6) Evolution des montants du poste médicaments dans la CSBM et de la ligne médicaments rétrocédés tels qu’ils figurent dans les comptes nationaux de la santé publiés par la DREES. (7) La DREES le reconnaît elle-même dans son dernier rapport sur les comptes nationaux de la santé, portant sur l’année 2016 : « La diffusion de spécia- lités innovantes et coûteuses compense ainsi l’effet des baisses de prix des médicaments plus anciens, des mesures de maîtrise médicalisée et de promotion des génériques » (DREES, Comptes nationaux de la Santé 2016, vue d’ensemble). (8) OECD, New Health Technologies. Managing access, value and sustaina- bility, janvier 2017.
6 LES MYTHES FRANÇAIS (2) : « NOTRE SYSTÈME DE FIXATION DU PRIX EST EFFICACE » Loin des cris d’orfraie de l’industrie pharmaceutique, la sta- symétrie d’informations. Malgré cela, les règles mises en place bilité relative de la dépense de médicaments cache en fait obligent souvent que les prix doivent être en cohérence avec une augmentation en valeur. Entre 2001 et 2016, le montant ceux existant dans d’autres pays de référence ; c’est ce qu’on annuel total dépensé en médicaments passe de 26,1 milliards appelle le référencement international des prix, qui ne prend d’euros à 34 milliards d’euros (1). De fait, les « économies » sur ce en compte que les prix faciaux. Ainsi, le prix public français est poste budgétaire correspondent plus à une volonté d’encadrer référencé dans plus de 50 pays dans le monde, et les industriels l’augmentation des dépenses plutôt qu’à la recherche d’une vont ensuite utiliser cette référence dans leurs négociations diminution de la dépense. Et d’ailleurs, pourquoi devrions-nous avec les autorités administratives de ces pays. Il est donc stra- accepter un dogme automatique de la réduction des dépenses tégique pour les industriels de faire en sorte qu’il soit le plus de santé… surtout si l’on projette les besoins à venir liés au haut possible en France. A l’inverse, pour la fixation du prix en vieillissement de la population et aux conséquences sanitaires France, une convention-cadre entre le CEPS et le LEEM, syn- des environnements nocifs. dicat représentant les firmes pharmaceutiques, a introduit un système de référencement très contraint pour les médicaments Les instruments actuellement utilisés définis comme innovations thérapeutiques : c’est la « garantie par les pouvoirs publics sont de prix européen ». Cette règle consentie par l’Etat oblige à ce que le prix français pour les innovations thérapeutiques inflationnistes soit lui-même en cohérence avec les prix espagnols, anglais, Mais revenons sur le mythe des économies en analysant les allemands et italiens. travaux que la Cour des comptes consacre au médicament depuis plusieurs années, à l’occasion de son rapport annuel sur C’est pour cette raison que, depuis de nombreuses années, l’application des lois de financement de la sécurité sociale (2). la Cour des comptes critique férocement cette « garantie de Pour comprendre ce que nous dit la Cour, il convient de rap- prix européen [qui] revient à créer une situation de rente pour peler le cadre dans lequel l’Etat intervient pour fixer le prix l’industrie : la reconduction systématique de ce dispositif des médicaments. L’Etat a fait le choix de ce qu’il appelle une traduit le consentement renouvelé des pouvoirs publics, dans politique conventionnelle, c’est-à-dire qu’il négocie avec les leur relation avec les entreprises pharmaceutiques, à l’octroi industriels. Pour organiser cette négociation, l’Etat a donc et au maintien de prix faciaux élevés pour les médicaments défini avec les industriels des règles et adopté des dispositions innovants ». Bien plus, au-delà du seul prix des médicaments réglementaires. Quelques exemples. innovants, c’est toute la chaîne du prix des médicaments en France qui est soumise à une pression inflationniste avec ce La « garantie de prix européen » système de la garantie de prix européen. En effet, lorsqu’un Dans le système français, à l’instar de ce qui existe chez la nouveau médicament dans une classe thérapeutique existante plupart de ses voisins européens, l’Etat, par le biais du Comité arrive sur le marché, son amélioration du service médical rendu économique des produits de santé (CEPS), négocie un prix est par définition moins importante que celle du médicament dit « facial », c’est-à-dire le prix public qui figurera sur la boîte innovant qui a été commercialisé pour la première fois et avec de médicament. En parallèle à ce prix, il négocie des remises lequel il sera comparé ; le code de la sécurité sociale prévoit confidentielles, fonction par exemple d’un volume de vente, clairement que, pour cette raison, le prix doit être inférieur ou pour réduire la facture pour l’assurance-maladie. Mais le pays a minima égal selon les cas ; mais comme la base de référence qui négocie n’a aucune information précise sur les prix réels de la négociation est constituée du prix facial élevé du premier dans les autres pays européens, après remises – à la différence des médicaments introduits, la marge de manoeuvre des éco- de l’industriel qui, lui, a une vision très claire de son marché nomies est par définition limitée. C’est ce qui conduit la Cour à mondial. Les Etats se retrouvent ainsi dans un rapport de force pointer un « risque d’escalade des prix faciaux » même pour inégal dès le départ de la négociation, en raison de cette dis- les médicaments à faible valeur thérapeutique ajoutée.
7 Les remises secrètes de la sécurité sociale (LFSS), cette disposition permet de re- De leur côté, les pouvoirs publics ont pris l’habitude de justifier facturer aux industriels, l’année suivante, une partie marginale leur consentement à des prix publics élevés par la négociation des sommes perçues. Le mécanisme se déclenche au-delà d’un de remises plus ou moins importantes, confidentielles dans tous certain seuil de chiffre d’affaires facturé à l’assurance-maladie les cas. Le raisonnement est simple, voire simpliste : « certes, les et prenant en compte l’évolution de ce CA en le comparant à prix sont élevés, mais au final cela coûte moins cher à l’arrivée l’évolution de l’Objectif national de dépenses d’assurance-ma- car nous obtenons des remises ». Cependant, ce système de ladie. Cet instrument pour réguler a posteriori la dépense de remises est détourné de son principe originel, en étant utilisé médicament a été introduit par la LFSS 1999. Il est connu sous y compris pour les médicaments apportant une amélioration le nom de clause de sauvegarde, et plus couramment sous limitée par rapport à l’existant – ce qui ne devait pas être le l’abréviation de son taux de compensation (« taux L »). Face cas initialement. Dévoyées de leur esprit initial et utilisées en à l’explosion des dépenses générées par les nouveaux traite- routine, les remises ont pollué une gestion saine, lisible et trans- ments contre l’hépatite C, la LFSS 2015 a introduit une clause parente de la dépense du médicament, au travers de plusieurs de sauvegarde spécifique assise sur le CA des médicaments effets indésirables. D’abord, très concrètement, pour les médi- contre l’hépatite C (« le taux W »). Comme pour les remises, caments sans amélioration du service médical, les économies ces clauses de sauvegarde n’agissent en rien sur la logique in- obtenues par les remises négociées à partir d’un prix facial élevé flationniste alimentée par les prix faciaux élevés. Elles mettent sont toujours plus faibles que les économies qui auraient été l’Etat dans la position d’un automobiliste qui conduirait son réalisées si le prix… avait dès le départ été moins élevé, aligné véhicule en regardant dans le rétroviseur… sur le comparateur ! La Cour donne un exemple très concret avec les traitements de la sclérose en plaque, pour lesquels Parfois, il peut exister des habillages encore plus baroques, les économies auraient pu être trois fois plus importantes si ce donnant le sentiment que l’Etat maîtrise bien les manettes. Il en principe d’un prix facial moins élevé avait été appliqué. Ensuite, est ainsi du Fonds de financement de l’innovation thérapeutique le principe des remises génère très directement des surcoûts introduit par la LFSS 2017. Présenté comme un outil devant pour l’assurance-maladie, de différents ordres. Un exemple lisser les dépenses en médicament innovants et coûteux, la parmi d’autres : la mise à disposition des médicaments fait Cour note que cela revient pour l’Etat à afficher « à l’attention l’objet de marges réglementées, qui rémunèrent les différents des entreprises pharmaceutiques, une nouvelle source de acteurs (grossistes-répartiteurs, pharmaciens d’officine) ; or, financement des médicaments qui desserre la contrainte sur ces marges sont assises sur le prix facial, et non pas sur le prix la fixation des prix ». Outre ce message nourrissant la spirale net après remise. inflationniste, le Fonds ressemble surtout à un artifice comp- table. La Commission des comptes 2017 de la Sécurité sociale Economies moins importantes, surcoûts : au final, largement en fournit une preuve flagrante : c’est en imputant sur ce Fonds utilisées dans les politiques de prix, ces remises se traduisent une grande partie du montant des médicaments rétrocédés par une opacité accrue, mais aussi une augmentation des dé- que l’augmentation annuelle de ce montant peut ainsi passer penses. La Cour des comptes le dit en ses propres termes : de 6%... à 1,8% (3). Ce qui est bien plus présentable dans les « Si les remises peuvent sembler en première analyse avoir comptes annuels ! la même portée que des baisses des prix fabricant, elles emportent en réalité des surcoûts pour l’assurance maladie Les règles consenties par l’Etat sont et pour les assurés sociaux ». inefficientes Les clauses de sauvegarde Intrinsèquement, un cadre conventionnel et réglementaire n’est Dernier instrument utilisé par les pouvoirs publics, pour tenter pas en soi une mauvaise chose. Encore faut-il que les acteurs de réduire la facture générée par des prix élevés : les méca- jouent le jeu – industriels et Etat – et que les dés ne soient pas nismes de compensation. Votée dans les lois de financement pipés. Or, ce n’est manifestement pas le cas. De façon générale,
8 l’Etat a accepté un cadre conventionnel et réglementaire qui d’autres instruments de régulation à leur disposition, visant à réduit les marges de manoeuvre du payeur public. Dit autrement, les renforcer dans les négociations de prix. Ces instruments les règles que l’Etat a consenties et qui s’imposent dans la fixa- sont nombreux et, pour certains, prévus par la loi depuis très tion du prix des médicaments font que les payeurs ne peuvent longtemps. C’est par exemple le cas avec la licence d’office pas négocier un meilleur usage de la ressource publique. Avec instituée en France par le général de Gaulle en 1959, justement ses propres mots, la Cour note que « Le compromis actuel comme un pare-feu à une position de domination mettant en entre les pouvoirs publics et les entreprises pharmaceutiques, danger l’accès à un médicament pour des raisons de prix. L’ar- fondé sur l’octroi de prix élevés accompagnés de remises qui ticle L 613-16 du Code de la propriété intellectuelle stipule en abaissent le coût net - y compris pour des médicaments peu clairement que, en raison « d’un prix anormalement élevé », le ou non innovants - apparaît pour partie inadapté aux enjeux gouvernement français peut déclencher ce dispositif qui ouvre d’efficience des dépenses d’assurance maladie ». la voie à une concurrence moins chère et de qualité. Il existe d’autres instruments, d’ordre administratif, comme la fixation Mais pourquoi l’Etat accepterait-il donc cela ? La Cour nous unilatérale du prix par les pouvoirs publics en cas d’échec de apporte deux intéressants éléments de réponse. la négociation du prix avec l’industriel. D’abord, elle constate que les pratiques de prix élevés consen- Il ne s’agit pas ici de définir un nouveau mantra dans les politiques ties par l’Etat participeraient d’une politique visant à soutenir de fixation de prix, mais bien de rappeler que ces outils légaux l’attractivité économique et à stimuler l’emploi sur le territoire, existent et peuvent être déclenchés lorsque les pouvoirs publics détournant par-là l’assurance-maladie de son objet, la santé, au sont dans une impasse. Ces outils, avec d’autres instruments profit de politiques industrielles. C’est là un travers majeur des de pilotage de la dépense de médicaments et des dépenses de pouvoirs publics de considérer la Sécurité sociale comme un santé en général, sont une réponse au souci de rééquilibrer la vecteur de soutien à d’autres politiques publiques que celles de négociation entre l’Etat et les industriels à l’heure où, selon la la santé ; ce travers est illustré de longue date avec l’impact sur Cour des comptes, les industriels formulent des « demandes de les ressources de la Sécurité sociale (et donc de son équilibre prix établies en fonction de la capacité à payer des acheteurs financier) des mesures d’exonération de cotisations sociales publics. Ces nouvelles stratégies, plus agressives, exercent sur les bas salaires pour soutenir la politique de lutte contre une pression inédite sur les financeurs » le chômage chez les salariés les moins qualifiés. De façon plus générale, la Cour exprime une inquiétude : « Des interventions auprès des pouvoirs publics motivées (1) DRESS, Comptes nationaux de la santé – base 2010. par des considérations de nature industrielle conduisent (2) Cour des comptes, Rapports d’application de la Loi de Financement de la parfois à fixer ou à maintenir des prix anormalement élevés ». Sécurité Sociale (RALFSS). Ce rapport annuel est publié en septembre de l’année N+1 pour la LFSS de l’année N. Outre les rubriques habituelles, la A l’heure où le gouvernement va réunir les industriels dans le Cour explore chaque année des questions plus particulières ayant un impact cadre du Comité stratégique des industries de santé le 9 juillet sur le budget de la Sécurité sociale. Le médicament apparaît régulièrement 2018 pour renouveler de nombreuses règles de la filière, dont dans les RALFSS comme un objet de préoccupation spécifique de la Cour celles portant sur la négociation et la fixation des prix, nous ; ce fut ainsi le cas dans les éditions 2001 (pp. 85-110), 2002 (pp. 368-382), partageons largement cette inquiétude quant au poids de ces 2003 (pp. 213-216), 2004 (pp. 305-355), 2007 (pp. 257-304) et 2011 (pp. « interventions ». Surtout quand la Cour évoque explicitement 109-145). La dernière investigation en date consacrée au medicament figure dans l’édition de septembre 2017, au chapitre VIII intitulé «La fixation du prix « des pressions difficiles à écarter » auxquelles sont exposés des médicaments : des résultats significatifs, des enjeux toujours majeurs les pouvoirs publics. d’efficience et de soutenabilité, un cadre d’action à fortement rééquilibrer», duquel sont extraites les citations figurant dans cette contribution. Cette inquiétude est d’autant plus forte que nous sommes nom- (3) Commission des comptes de la Sécurité sociale, Résultats 2017. Prévisions breux à constater que les Etats refusent obstinément d’utiliser 2018. Juin 2018.
9 NOUVEAUX MÉDICAMENTS ANTICANCÉREUX : À QUEL PRIX ? Dans le cancer, de nouveaux médicaments apportent quelques par la Haute Autorité de santé (HAS). Par rapport au traite- progrès, mais parfois au prix d’effets secondaires indésirables ment jusqu’alors privilégié, ce médicament améliore la durée lourds. L’amélioration, même minime, de la durée de survie, de survie de six mois. Son coût : 4 361 euros par cure (toutes donne assez d’aplomb aux laboratoires pour demander des les trois semaines), soit plus de 6 000 euros par mois et donc prix astronomiques même quand les médicaments n’ont pas 72 000 € par an. nécessité d’investissement important en recherche et déve- loppement. Revlimid® (lénalidomide, Celgène). Il est utilisé dans le myélome et le syndrome myélodysplasique, pour un coût mensuel de 3 En France, contrairement aux États-Unis, le prix des médica- 900 à 5 000 euros. Or c’est une déclinaison du thalidomide, ments remboursables n’est pas libre. Il est contrôlé et déterminé une molécule très ancienne, connue pour avoir causé dans les par le Comité économique des produits de santé (CEPS). Depuis années soixante de graves malformations chez des nouveau-nés. peu, la Haute Autorité de santé (HAS) essaie de peser sur la Le Revlimid® n’est donc pas franchement nouveau, n’a pas fixation du prix des médicaments innovants et dont la charge nécessité d’investissement lourd, et pourtant, il est cher ! Du pour le budget de l’assurance-maladie sera élevée : elle donne point de vue thérapeutique, c’est une option parmi d’autres, un avis d’efficience. Cette notion définit, pour chaque médica- mais qui n’a pas montré d’avantage décisif. ment innovant et cher, le coût supplémentaire par année de vie en bonne santé. Reste que la discussion au sein du CEPS est Tarceva® (erlotinib, Roche). Dans le cancer du poumon « non à complètement opaque. Mais au final, dans une négociation qui petites cellules », ce médicament n’améliore pas la survie globale est très inégale pour le payeur, force est de constater que les en traitement de première intention. En seconde intention, il n’a industriels parviennent à y faire entendre leurs arguments et pas été comparé au traitement de référence, et ce n’est qu’en obtiennent des prix qui leur sont très favorables. troisième intention qu’il représente un léger intérêt. Il coûte 2 195 euros par mois. Quelques médicaments anticancéreux Keytruda® (pembrolizumab, Merck). Ce tout nouveau mé- au coût exorbitant dicament est indiqué dans le traitement du mélanome non Glivec® (imatinib, Novartis). Ce médicament a révolutionné opérable ou métastasé. La HAS a estimé que l’amélioration le traitement de cancers rares du sang et de la moelle osseuse. du service médical rendu (ASMR) qu’il apportait n’était que Il s’agit d’un traitement à vie, qui coûte entre 2 270 et 3 400 mineure par rapport aux traitements existants. Administré euros par mois selon le dosage, soit jusqu’à 40 000 euros par par cure toutes les trois semaines, ce traitement coûte pour- an. Depuis sa première commercialisation comme médicament tant près de 6 000 euros par mois, soit 72 000 euros par an. « orphelin » en 2001, ses indications se sont étendues, notam- Son indication a été élargie depuis. ment dans certaines tumeurs digestives. Le Glivec® est un cas d’école : malgré sa rentabilité croissante grâce à une utilisation Avastin® (bevacizumab, Roche). Autorisé en France dans les toujours plus large, son prix n’a pas fléchi. Aux États-Unis, il est cancers métastasés du sein, de l’ovaire, du colon et du rein, et même passé de 30 000 dollars en 2001 à 92 000 dollars en 2012. dans le cancer du poumon, l’Avastin® est controversé. Pour la Bon à savoir : le prix de l’imatinib générique, introduite en 2017 revue médicale indépendante Prescrire, les effets indésirables suite à la tombée du brevet, a entrainé une diminution de 50% sont trop lourds pour quelques semaines de survie. Étant par rapport au prix du princeps. Et, du coup, le prix du princeps donné son prix, le système de sécurité sociale anglais l’a exclu lui-même a baissé de 20%. du remboursement. En France, son coût varie entre 1 633 et 3 270 euros par mois. Kadcyla® (trastuzumab emtansine, Roche). Utilisé dans un Bon à savoir. L’Avastin® est également utilisé depuis une dizaine cancer du sein spécifique (HER2 positif) en cas d’échec d’un d’année en injection oculaire dans la forme humide de la dé- premier traitement, son bénéfice thérapeutique a été reconnu générescence maculaire liée à l’âge (DMLA), c’est-à-dire dans
10 une autre indication que celle associée à son autorisation de mise sur le marché initiale en oncologie. Si c’est effectivement un médicament cher contre le cancer, comme nous avons pu le voir, en revanche, dans l’indication de traitement de la DMLA, il est très économique par rapport au médicament officiellement autorisé à l’époque : le Lucentis® de Novartis. Une injection oculaire d’une dose d’Avastin® coûtait 10 euros… contre 739 euros la même injection avec le Lucentis®. Soit 80 fois moins cher ! C’est pour cette raison budgétaire que des hôpitaux ont commencé à utiliser Avastin®, en dehors de tout cadre réglementaire. Il faudra attendre 2015 pour que le ministère de la Santé autorise, temporairement, l’utilisation d’Avastin® dans le traitement de la DMLA. Immédiatement après cette décision, l’industriel Roche lui-même, donc le propriétaire de l’Avastin®, saisira le tribunal administratif pour faire annuler cette autorisation temporaire. Roche préférait ainsi renoncer à un marché plutôt que de cautionner une baisse drastique de prix dans le cadre d’une nouvelle indication… Derrière cela pesait le soupçon d’une entente illégale entre les deux industriels pour laisser le marché de la DMLA au médicament le plus cher. C’est ce qu’a jugé l’Autorité de la concurrence ita- lienne en mars 2014, en condamnant les deux industriels à une amende record de 182,5 millions d’euros. En France, l’UFC-Que Choisir a saisi l’Autorité de la Concurrence en avril de la même année, sur le même motif d’une possible entente illicite entre Roche et Novartis ; l’enquête est toujours en cours au moment de la rédaction de cette contribution. Depuis, une décision du Conseil d’Etat en septembre 2017 a confirmé la validité de la recommandation temporaire d’utilisation d’Avastin® pour le traitement de la DMLA Les prix mentionnés sont calculés à partir des posologies moyennes les plus courantes (données fournies par l’Institut Curie). Ils se fondent sur les prix faciaux unitaires fixés par le CEPS et publiés au Journal officiel. Il s’agit donc d’un prix avant remise éventuelle
11 LA MISSION DES FIRMES PHARMACEUTIQUES EST D’ABORD DE PRODUIRE ET METTRE À DISPOSITION DES MÉDICAMENTS UTILES AUX SOINS, EN QUANTITÉ ET QUALITÉS REQUISES Selon une campagne de publicité européenne retrouvée dans tures de stock, ont été déplorées en 2017 (1). L’ANSM compte de nombreux médias, les firmes pharmaceutiques ne dormi- parmi eux 20 % d’antibiotiques et de vaccins (1). Des ruptures raient « jamais ». de stock durables de plusieurs vaccins ont obligé à plusieurs reprises la Commission technique des vaccinations (CTV) de la Des conditions à réunir pour que la recherche soit utile Haute autorité de santé (HAS) à revoir les protocoles de vacci- aux patients nation, qui devraient pourtant être une procédure entièrement Cette campagne est axée sur l’activité des firmes pharmaceu- guidée par des considérations scientifiques (2) ! tiques en termes de recherche et développement de nouveaux médicaments. Cette activité est importante pour la société et Cette défaillance des firmes n’est pas nouvelle, mais elle s’ag- les patients, à condition d’être orientée vers les besoins de santé grave. En 2011, la loi dite de sécurité du médicament avait les plus importants en termes de santé publique, à condition prévu que les firmes informent plus longtemps en avance (1 que les nouveaux médicaments représentent des progrès an) sur les ruptures de stock prévisibles (article 46) et que les cliniques tangibles pour les patients, à condition qu’ils soient grossistes-répartiteurs précisent les volumes de médicaments solidement évalués avant et après autorisation de mise sur le qu’ils entendaient exporter (article 45) (3). En 2016, la loi dite marché (pour que les risques encourus par les patients ne soient de santé publique a renforcé ces obligations, en prévoyant la pas disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés), mise en place par les firmes de « plans de gestion des pénuries » : à condition que le prix des nouveaux médicaments utiles en « Ces plans de gestion des pénuries peuvent notamment permette l’accès à ceux qui en ont besoin, et à condition que prévoir la constitution de stocks de médicaments destinés au l’évolution des dépenses pharmaceutiques ne se fasse pas au marché national en fonction des parts de marché de chaque détriment des comptes sociaux et d’autres dépenses également entreprise pharmaceutique, d’autres sites de fabrication de utiles à la santé des personnes (prévention, diagnostic, hôpital, matières premières à usage pharmaceutique, d’autres sites social, alimentation, logement, etc.). de fabrication des spécialités pharmaceutiques, ainsi que, le cas échéant, l’identification de spécialités pharmaceutiques À ces conditions, l’activité de recherche et développement pouvant constituer une alternative à la spécialité pharma- des firmes pharmaceutiques, en aval souvent de la recherche ceutique en défaut » (4,5). publique ou universitaire, trouve son plus grand intérêt si elle permet de mettre au point puis de produire en quantité suf- Force est de constater que ces mesures sont insuffisantes, et fisante et de mettre à disposition des médicaments dans des que les firmes n’ont pas résolu efficacement ce problème de maladies que l’on soigne difficilement aujourd’hui, voire pas santé publique. du tout. Ce problème n’est pas seulement français : de nombreux pays Mais beaucoup de maladies sont aujourd’hui assez correcte- sont concernés, et par exemple au Royaume-Uni ces pénuries ment voire très bien prises en charge par des médicaments. Et entraînent des dépenses supplémentaires (6). En Europe, beaucoup de patients sont amenés à régulièrement prendre les autorités de santé se préoccupent de plus en plus de ce des médicaments, parfois de manière impérative. Encore faut-il problème (1). que leurs médicaments soient disponibles ! Production précarisée Développement… des ruptures de stocks ! Quelles sont les causes de ces ruptures de stock ? L’ANSM met Chaque année, de plus en plus de médicaments manquent en en cause des problèmes de fabrication, en qualité (décelées officine, voire à l’hôpital. L’Agence française du médicament notamment lors d’activité d’inspection) ou en quantité, des (ANSM) a ainsi relevé plus de 500 cas de médicaments qu’elle matières premières pharmaceutiques, particulièrement dans considère comme « d’intérêt thérapeutique majeur » pour le cas où elles sont produites dans une seule usine au monde. lesquels des « tensions d’approvisionnement », voire des rup-
12 Existe-t-il un impératif scientifique ou technique qui voudrait qu’une seule usine soit capable de produire ces matières pre- mières ? Non, il s’agit seulement de motifs économiques, les firmes pharmaceutiques préférant rogner sur le coût de produc- tion, et notamment acheter leurs matières premières en Chine. Or, des médicaments sont à risque de rupture de stock parce que des usines pharmaceutiques chinoises doivent fermer en raison de la politique chinoise de lutte contre la pollution (7). On en arrive ainsi à des situations de grande insécurité sanitaire, où les firmes pharmaceutiques recherchent d’abord à réduire leurs charges et à développer la rentabilité au profit des actionnaires, en reléguant les patients et les soins au second plan. Il faut aux pouvoirs publics français et européens prendre des mesures volontaristes pour contraindre les firmes à assurer en permanence la disponibilité de leurs médicaments vitaux. Rappelons par exemple que les licences obligatoires ou d’office en France sont prévues pour ce cas où les firmes ne fournissent pas les médicaments en quantités nécessaires (8). Les firmes doivent assurer leur métier de base Les firmes communiquent sur les milliers de médicaments en développement, en laissant miroiter de nombreux succès pour demain, alors qu’en réalité, depuis de nombreuses années, les médicaments qui arrivent sur le marché en apportant un progrès tangible pour les patients sont rares. Pendant ce temps, des patients n’ont plus accès aux médicaments dont ils ont besoin au quotidien. Et des usines de production de médicaments en Europe ont fermé ou ferment encore. Les firmes doivent assurer leur mission première, qui est de (1) « Médicament : les signalements de rupture et de risque de rupture en hausse produire en quantité suffisante et de manière pérenne des de 30 % en 2017 (ANSM) », dépêche APM du 13 février 2018 : 2 pages. médicaments de qualité et d’intérêt thérapeutique démontré (2) Ministère des solidarités et de la santé, Calendrier des vaccinations et des recommandations. (3) Article 46 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renfor- cement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, Journal Officiel du 30 décembre 2012 : 1 page. (4) Article 151 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, Journal Officiel du 27 janvier 2016 : 1 page. (5) Décret n° 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments, Journal Officiel du 22 juillet 2016 : 3 pages. (6) «Drug shortages derail CCGs’ budgets», BMJ 2018; 360:k331: 1 page. (7) Mullin R «Drug chemical makers brace as China cracks down on pollution», Chemical and engineering news, 12 février 2018. Site www.cen.acs.org consulté le 21 mai : 2 pages.
13 L’«INNOVATION», UN MOT HÉLAS SOUVENT TROMPEUR DANS LE DOMAINE DU MÉDICAMENT « Un accès précoce à l’innovation » : tel est le slogan martelé et/ou sûr que les options de traitement déjà existantes » (1). aujourd’hui par les firmes pharmaceutiques, certaines agences du médicament (notamment l’agence européenne, EMA) et En pratique, de nombreuses études publiées dans des revues certaines associations de patients. internationales ont montré que beaucoup de nouveaux mé- dicaments, notamment dans les cancers et dans les maladies Qui pourrait être contre « un accès précoce à l’innovation » ? rares, sont mis sur le marché sur la base d’une connaissance Personne, si l’innovation était toujours un progrès. Mais en très limitée. Pire, cette connaissance est toujours très limitée réalité, innovation ne signifie pas progrès. quelques années plus tard : en pratique, cela veut dire que l’on connaît trop peu l’efficacité de ces médicaments même plusieurs Et il faut souvent du temps pour faire la différence. Certains années après leur mise sur le marché (2 à 6). acteurs pensent ou tendent à faire penser que les autorités de santé, c’est-à-dire les agences du médicament et les agences Une vraie innovation : mieux évaluer aujourd’hui pour chargées de l’évaluation de l’intérêt thérapeutique du médica- mieux soigner demain ment, feraient perdre du temps par leur travail «bureaucratique». Les patients ont le droit d’espérer et peuvent accepter des Les essais cliniques comparatifs eux-mêmes seraient trop longs, incertitudes, à condition que ces dernières ne soient pas dis- et ralentiraient l’accès aux nouveaux médicaments… proportionnées, et que le défaut d’évaluation des médicaments aujourd’hui ne nuise pas aux patients de demain Vite fait, mal fait En réalité, il existe déjà aujourd’hui de nombreuses voies ac- célérées de mise sur le marché (autorisations de mise sur le marché (AMM) conditionnelles, AMM fractionnées, etc.), sans parler des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) avant AMM. Mais cette rapidité est le plus souvent au détriment de la qualité de l’évaluation, car les médicaments ont été évalués sur des critères approximatifs d’efficacité, pendant une durée courte, chez un nombre réduit de patients souvent peu repré- sentatifs. Pas étonnant alors que les autorités aient ensuite du mal à déterminer l’intérêt thérapeutique du médicament, ce qui peut aussi ralentir les décisions de remboursement et de détermination de prix. (1) EMA, «Letter 16 June 2016 EMA/365120/2016 Senior Medical Officer Le mot innovation est trompeur. Si tous les nouveaux médica- page 5»: 8 pages. ments représentaient des progrès tangibles pour les patients, (2) Davis C et coll. “Availability of evidence of benefits on overall survival and quality of life cancer drugs approved by European Medicines Agency: retros- alors oui, il serait légitime de tout faire pour en accélérer l’accès. pective cohort study of drug approvals 2009-13”, BMJ 2017; 359: 13 pages. (3) Grössmann N et coll. “Five years of EMA-approved systemic cancer therapies Innovation : sans aucune garantie de valeur thérapeu- for solid tumours - a comparison of two thresholds for meaningful clinical tique ajoutée benefit”, Eur J Cancer 2017; 82 : 66-71. Mais malheureusement ce mot très valorisant d’innovation est (4) Grössmann N et Wild C “Between January 2009 and April 2016, 134 novel an- utilisé à la place du mot plus factuel de nouveauté. L’Agence ticancer therapies were approved: what is the level of knowledge concerning the clinical benefit at the time of approval?”, ESMO Open 2017; 1 : 6 pages. européenne du médicament l’a d’ailleurs reconnu sans ambi- (5) Prasad V “Do cancer drugs improve survival or quality of life?”, BMJ 2017; guïté : « Nous reconnaissons que “innovant” ne veut rien dire 359 : 2 pages. de plus que “nouveau”. Ce terme est neutre par rapport au (6) Joppi R et coll. “Letting post-marketing bridge the evidence gap: the case fait que le produit “innovant» est plus (ou moins) efficace of orphan drugs”, BMJ 2016; 353 : i2978 : 5 pages.
Vous pouvez aussi lire