Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données - CBNFC ORI
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Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données par Gilles André, Max André, Yorick Ferrez et Thierry Lacombe Gilles André, 4 rue du Presbytère, F-25580 Athose-Les Premiers Sapins Courriel : gilles.andre7@wanadoo.fr Max André, 2 chemin de la Chapelle, F-25580 Echevannes Courriel : max.andre@wanadoo.fr Yorick Ferrez, Conservatoire botanique national de Franche-Comté - Observatoire régional des Invertébrés, 7 rue Voirin, F-25000 Besançon Courriel : yorick.ferrez@cbnfc.org Thierry Lacombe, INRA - UMR 1334 AGAP - Equipe Diversité, Adaptation et Amélioration de la Vigne (DAAV), 2 place Viala, bât.21, F-34060 Montpellier Courriel : thierry.lacombe@inra.fr Résumé – La vigne sauvage autochtone, Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi, est une sous-espèce considérée comme rare et menacée en France et en Europe. De récentes prospections de ce taxon nous ont permis de découvrir de nouvelles stations, aux effectifs importants, plus de 1300 individus au total, dans le massif jurassien et plus particulièrement en Franche-Comté. Quelques stations préphylloxériques ont également pu être retrouvées. Les caractéristiques de cette métapopulation, certainement la plus importante d’Europe connue à ce jour, sont détaillées dans cet article : répartition, structuration spatiale des stations, altitudes, expositions, milieux, composition en âges. Ces vignes sauvages sont, pour leur très grande majorité, localisées dans des milieux originaux, peu cités antérieurement, à savoir des forêts colluviales à forte naturalité : érablaie-tiliaie-hêtraie de pente et corylaie de pente, aussi bien en ubac qu’en adret. La position phytosociologique de ces différents groupements est discutée, ainsi que les caractéristiques biologiques et écologiques du taxon. Les liens avec la géologie sont analysés et comparés avec ceux des cépages cultivés dans les vignobles jurassiens. Autant que possible, la détermination du ta o a t syst atique e t co r e ar des a alyses g tiques qui ous o t aussi er is de o trer la s ci cit des o ulatio s urassie es ar ra ort d’autres o ulatio s ra aises et tra g res e r fle io sur l’i dig at les e aces le degr de rotectio et la gestio des ig es sau ages jurassiennes est également proposée. Abstract – The indigenous wild grapevine, Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi, is considered as a rare and endangered subspecies in France and in Europe. Recent collection of this taxon allowed us to discover new and numerous stations, more than 1300 plants in total, in the Jura massif and in Franche- o t ore s eci cally o e re yllo eric statio s could also be ou d agai e c aracteristics o t is metapopulation, most probably the largest so far known in Europe, are detailed in this paper: geographical distribution, spatial structuring of stations, altitudes, exposures, ecological environments, age structure. These wild grapevines are located, in the vast majority, in original environments, rarely mentionned previously, namely colluvial forests with great naturality: maple-lime-beech and hazel slope forests, on north-facing as well as south-facing sides. The phytosociological position of these groupings is discussed as well as the biological and ecological features of the taxon. The links with geology are analysed and co ared it t ose o t e gra e culti ars o ura i eyard As ar as ossible t e ta o ide ti catio as syste atically bee co r ed by ge etic a alysis ic allo ed us to s o t e s eci city o t e ura o ulatio s co ared to ot er re c a d oreig o ulatio s A reflectio o t e ura ild gra e i es indigenous status, level of protection and management is also proposed. Mots-clés : Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi, vigne sauvage, lambrusque, inventaire, géologie, biologie, écologie, phytosociologie, forêts de pente, analyse génétique, Franche-Comté, massif jurassien. Keywords : Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi, wild grapevine, inventory, geology, ecology, phytosociology, slope forests, genetic analysis, Franche-Comté, Jura massif. 113
Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données Introduction L’étude que nous présentons a béné- deux sexes ne sont pas toujours pré- ficié de financements pour les ana- sents » (Arnold, 1999). Selon cet V itis vinifera subsp. sylvestris lyses d’ADN et de coordinations auteur, cette répartition est éga- (Gmelin) Hegi, la vigne sau- avec plusieurs institutions dans le lement assez mal connue, faute vage ou lambrusque sponta- cadre de différents programmes ou de données récentes fiables pour née autochtone (Levadoux, 1956), partenariats : avec l’INRA/ONF de nombreux pays. Les difficultés est une sous-espèce qualifiée actuel- dans le cadre du programme natio- d’identification correcte du taxon lement de rare en France (Tison & nal Vitis (ONF-ISEM-INRA)2, sont une autre raison de sa rela- de Foucault, 2014) et qui bénéficie avec le Lycée Xavier Marmier de tive méconnaissance. Plus récem- depuis 1995 d’un statut de protec- Pontarlier dans le cadre du pro- ment, le regain d’intérêt suscité par tion national. Les plus récentes syn- gramme Génome à l’école, avec les lambrusques sauvages, princi- thèses sur ses effectifs et sa répar- l’IFV3 et avec la DREAL4 de Franche- palement en termes de diversité tition en France (Lacombe et al., Comté dans le cadre d’une actua- génétique, a donné lieu dans plu- 2003), ainsi qu’en Europe (Arnold lisation des ZNIEFF de Franche- sieurs pays à la publication d’études et al., 1998), s’accordent pour dire Comté pour l’année 2017. régionales ou nationales et plu- que la vigne sauvage est non seule- sieurs populations relativement Après un résumé des connaissances ment rare, mais qu’elle est mena- importantes de vigne sauvage ont actuelles sur Vitis vinifera subsp. syl- été décrites et étudiées (115 pieds cée, son aire de répartition étant vestris (Gmelin) Hegi, nous décri- dans « la plus grande population partout en régression. rons la méthodologie utilisée pour de vigne sauvage dans le Sud de les prospections, les prélèvements et En Franche-Comté, jusque récem- la péninsule ibérique » (Arroyo- analyses ADN et les caractérisations ment, une seule station était recon- Garcia et al., 2016) ; 160 pieds en des stations et des individus. Nous nue, dans des éboulis à Mandeure ripisylve au bord du Danube, « la présenterons ensuite les résultats et (Arnold et al., 1998 ; Ferrez et al., plus grande population de vigne nous discuterons de leurs apports 2001). Entre 2010 et 2015, la décou- sauvage en Europe » (Arnold et al., à la connaissance de la biologie de verte de vigne sauvage dans d’autres 2017). Au niveau européen, il faut la vigne sauvage, de son écologie éboulis calcaires comtois a été confir- également signaler d’autres publi- et de son positionnement phyto- mée par la présence de belles sta- cations récentes indiquant la pré- sociologique, de son indigénat et tions autour de Vieilley (25) et de sence de ce taxon dans un certain des menaces qui pèsent sur le taxon. Laissey (25) (Keller, 2013 ; 2014 ; nombre de pays, issues du pro- 2015). Des observations ponctuelles gramme InWiGrape de l’ECPGR ont également été faites, dans ces Résumé des (European Cooperative Programme mêmes secteurs, par Ballaydier en connaissances sur Vitis for Plant Genetic Resources) qui a pour objectif de regrouper les 2015 et Grosbois en 2011 in Taxa vinifera subsp. sylvestris efforts des chercheurs en vue de la (©SBFC/CBNFC-ORI)1. (Gmelin) Hegi préservation des ressources géné- Ces découvertes récentes, ainsi que tiques de la vigne (documents en la mise au jour de plusieurs men- ligne et données bibliographiques Distribution tions et indices historiques inédits sur le site dédié de l’ECPGR). de la présence ancienne de vigne L’aire de répartition de Vitis vini- fera subsp. sylvestris, actuellement Pour la France, la dernière syn- sauvage en Franche-Comté (André thèse nationale publiée (Lacombe & André, 2016), nous ont incités, très fragmentée, est centrée sur le et al., 2003) permet de préciser sa d’une part, à élargir et approfon- sud-est de l’Europe et le Proche- répartition : les principales popu- dir sa prospection tout en vérifiant Orient (figure 1). « De manière lations recensées par les auteurs par des études génétiques le statut générale, les populations sont for- se situent dans le Midi (régions mées de moins de dix individus et les taxonomique des pieds découverts Languedoc-Roussillon, Aquitaine, et, d’autre part, à récolter des infor- 2. Office National des Forêts - Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier - Unité Mixte de Recherche Midi-Pyrénées), la Corse, et à un mations concernant la biologie et AGAP, Equipe Diversité, Adaptation et Amélioration degré moindre en Alsace5 et dans le de la Vigne (INRA). l’écologie de la plante. Doubs (à Mandeure), avec quelques 3. Institut Français de la Vigne et du Vin. 1. Base de données commune à la SBFC et au 4. Direction régionale de l’Environnement, de l’Amé- 5. Pour la plupart, les stations actuelles de la vallée du CBNFC-ORI. nagement et du Logement. Rhin sont liées à un vaste programme de réintroduction. 114
Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 Figure 1 : aire de répartition de la vigne sauvage européenne (Arnold, 1999). pieds chacune. En conclusion, les 2010). D’autres populations sont Contejean sous « Vitis vinifera L. ». auteurs précisent : « Avec guère plus signalées dans le Perthois (Parent, (Contejean, 1853 ; André & André, de 300 individus prospectés sur le ter- 1988 ; Didier & Royer, 2002), 2016). Apparemment, aucune ana- ritoire français, la vigne sauvage est pays de Loire… Historiquement lyse génétique n’avait été publiée à donc bien une espèce menacée. De la vigne sauvage était commune ce jour sur cette station. plus, les lambrusques ont souvent avant la crise sanitaire de la fin du Plus récemment, Thierry Lacombe a été observées soit isolées soit avec un XIXe siècle (Arnold, 1999). découvert une station à Montfaucon très petit effectif par population ». (25) en 2005 et Johann Keller Seules quelques populations impor- Les différentes bases de données (ONF) a observé dès 2010 lors tantes de quelques dizaines d’in- accessibles sur Internet ne sont pas d’une cartographie des habitats dividus sont signalées dans cette réellement à jour, le statut de l’es- quelques pieds de vigne sauvage synthèse, notamment au Col de la pèce expliquant peut-être les indi- dans la réserve Biologique de la Croix (Corse), au Pic Saint-Loup cations partielles présentes. Dame Blanche, sur les communes (Hérault) et en Forêt de Grésigne de Bonnay (25) et Mérey-Vieilley (Tarn). Depuis cette publication de Stations connues en (25). Les recherches dans ce secteur 2003, plusieurs stations françaises Franche-Comté et sur le poursuivies en 2013 ont abouti à ont été découvertes par l’équipe de massif jurassien avant cette la découverte de 12 pieds de vigne l’INRA de Montpellier et ses par- étude sauvage (Keller, 2013). En 2014, de tenaires, notamment en Charentes nouvelles prospections ont permis et en Val de Loire, mais générale- Historiquement, la première sta- de recenser 58 pieds supplémen- ment avec des effectifs réduits. Il tion considérée comme étant réel- est à signaler que parallèlement à ce lement de vigne sauvage est celle taires. Au total, 70 pieds ont été recensement de 2003 une station de Mandeure dans les éboulis ainsi recensés sur les communes de découverte dès 1990 dans la Bassée, de Champvermol (Arnold et al., Bonnay, Mérey-Vieilley et Vieilley en site alluvial dans la vallée de la 1998 ; Ferrez et al., 2001). Cette (25) (Keller, 2014). Seine (Arnal & Zanre, 1990), s’est station avait été déjà visitée dès En 2015, suite à une convention révélée contenir plus de 120 indi- 1971 (Richard, 1971) et même DREAL-ONF (Direction territo- vidus (Parisot, 1999 ; Arnold et al., mentionnée dès 1853 par Charles riale de Franche-Comté), de nou- 115
Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données velles découvertes de vigne sauvage (figure 2). De nombreux auteurs gares, ont distingué plusieurs varié- (58 pieds) ont été réalisées, à savoir(Gmelin, 1805 ; Arnold, 2002 ; tés de vigne sauvage (Katerov et al., dans la Réserve Biologique Dirigée Lacombe, 2012 ; Zdunic et al, 1990). L’existence de caractères de Laissey (25), dans la vallée du 2017) s’accordent pour dire que foliaires différents entre les deux Doubs (Keller, 2015). le principal critère morphologique sexes (dimorphisme sexuel) n’est Par ailleurs, quelques mentions discriminant permettant d’identi- avérée que pour les populations de historiques plus anciennes (XIXe fier la lambrusque autochtone est l’est de l’Europe (Levadoux 1956 ; siècle), apparaissant soit dans des la dioécie (figures 3 et 4), alors que Arnold, 2002) (figure 7). flores soit dans des herbiers, cer- les vignes cultivées sont herma- Ajoutons pour les autres parties taines assez bien localisées dans phrodites, rarement femelles. De de la plante : des biotopes particuliers, nous ont ce fait, les indications, dans la lit- – grappe petite, lâche, à baie noire amené à penser que leurs auteurs térature, de vignes sauvages herma- violacée arrondie et de petite taille avaient probablement observé phrodites doivent être prises avec (< 1 cm de diamètre) (figure 8) ; des pieds de lambrusques sponta- prudence. En effet, les deux sous- nées autochtones (André & André, espèces sont capables de s’hybrider – pépin (de 1 à 3 par baie) de 2016). Les localités signalées dans et de donner naissance à des indi- forme arrondie à bec court, cha- ces documents ont fait l’objet de vidus hermaphrodites à phénotype laze située au centre de la face dor- certaines de nos prospections dans ‘sylvestris’ (lambrusques férales ; sale de la graine ; la présente étude. Levadoux, 1956). Bien souvent – bourgeonnement souvent duve- une analyse génétique est néces- teux à cotonneux (figure 9) Pour le Jura suisse, aucune donnée saire pour mettre en évidence le contemporaine, mais le taxon est – rougissement notable des feuilles caractère hybride de ces individus. connu historiquement : des don- à l’automne (figure 10). nées anciennes le signalent de la On ne confondra pas les lam- région de Bâle, de l’Orbe (début brusques autochtones avec les nom- Sur le terrain, l’ensemble de ces XXe, donnée considérée comme dou- breux porte-greffes américains ou caractéristiques ne sont, bien sou- teuse) et très anciennement du bassin franco-américains, pour la plupart vent, pas totalement observables de l’Aar à Brugg (XVIe siècle) et de dioïques, mais dont les caractéris- du fait de la situation des feuilles la Birse (XVIIIe) (Arnold, 1999 ; tiques foliaires sont bien différentes adultes à 20-25 m de hauteur dans Delarze, 2009). Le Jura bugey- de Vitis vinifera subsp. sylvestris. la canopée. On évitera notamment sien abrite également quelques Parmi les caractères morpholo- toutes les feuilles issues de gour- stations historiques et contempo- giques (figures 2-8) de la feuille mands qui présentent souvent une raines (Sagot, 1878 et base de don- permettant de distinguer a priori découpure, une épaisseur, un relief nées Taxa (©SBFC/CBNFC-ORI) les individus sylvestris des individus et une villosité bien différents des consultée le 01/02/2018). Pour le sativa, nous pouvons noter (extrait feuilles placées en pleine lumière. département de l’Ain, quelques indi- de Lacombe et al., 2003 et Zdunic cations en ripisylves sont enregis- et al., 2017) : trées dans la base de données Taxa Biologie et mériteraient d’être confirmées. – sinus pétiolaire ouvert à très La vigne sauvage est une liane dont ouvert ; la période végétative s’étale du mois Enfin, signalons que la présence de la vigne sauvage sur le massif juras- – feuille adulte souvent à un ou de mars au mois de novembre, avec sien est attestée dans des périodes trois lobes, rarement à 5 lobes et une maturité des raisins en fin d’été très anciennes (Néolithique), des plus (figures 5 et 6) ; (Galet, 1993). Sa longévité est dite pépins ayant été trouvés autour des – dents moyennes à petites par importante, sachant que la struc- habitations palafittiques des lacs rapport à la taille du limbe ; ture interne des tiges ne permet pas jurassiens (Jacquat, 1988). d’appliquer avec précision les prin- – hauteur des dents moyenne à cipes de la dendrochronologie, les très courte par rapport à la largeur cernes étant très peu marqués. La Données morphologiques des dents. détermination de l’âge de l’arbre- La vigne sauvage ressemble forte- support peut fournir une indication ment à la vigne cultivée Vitis vini- À partir de ces caractères foliaires, sur l’âge de la vigne, mais, comme fera subsp. vinifera (= sativa DC) certains auteurs, notamment bul- on le verra plus loin, l’impor- 116
Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 tance de la reproduction végéta- tive limite la portée de cette indi- cation. Les lambrusques sauvages peuvent se reproduire par repro- duction sexuée et par reproduc- tion végétative. La reproduction sexuée est dite allogame stricte du fait de la doié- cie de la sous-espèce. Les grains de pollen sont soit transportés par le vent, soit par des insectes pollini- sateurs, sachant que la littérature n’est pas très riche sur ce sujet. Une étude récente, en Italie, réalisée sur G. et M. André des pieds cultivés dans une station expérimentale, indique comme pol- linisateurs principaux : des coléop- tères (Oedemeridae, Cantharidae et Figure 2 : part d’herbier de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Ougney-Douvot, 25, pied femelle, 07/07/2016. igure i floresce ce le de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Arbois, 39, 12/06/2017. G. et M. André G. et M. André igure eu es baies issues de fleurs e elles (fécondées) de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Arbois, 39, 29/06/2017. G. et M. André G. et M. André Figure 5 : feuille adulte de Vitis vinifera subsp. sylvestris, face supérieure, Champlive, 25. Figure 6 : feuille adulte de Vitis vinifera subsp. sylvestris, face inférieure, Champlive, 25. 117
Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données Cerambycidae) et des hyménoptères (Halictidae, Apidae et Andrenidae) (Zito et al., 2018). Il est générale- ment admis que le transport du pollen par le vent est réalisé sur de courtes distances et, à notre connaissance, les insectes pollinisa- teurs des lambrusques sauvages ne sont pas clairement identifiés. Des études génétiques précises sur des stations de vigne sauvage semblent indiquer que le pollen peut être G. et M. André transporté sur d’assez grandes dis- tances (Arnold et al., 2017 ; Di Vecchi-Staraz et al., 2009). Figure 7 : part d’herbier de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Laissey, 25, pied mâle, 26/06/2016. G. et M. André Figure 8 : grappe de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Ougney-Douvot, 25, 11/10/2017. Figure 9 : bourgeonnement et jeune feuille de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Ougney- G. et M. André Douvot, 25. Figure 10 : rougissement automnal de Vitis vinifera subsp. sylvestris, Ivrey, 39. G. et M. André 118
Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 Les baies, souvent peu nombreuses, est directement liée à la dynamique ment saturés d’eau une partie de attirent de nombreux oiseaux frugi- importante des milieux naturels qui l’année (inondations) ne sont pas vores ou des mammifères lorsqu’elles abritent l’espèce. Cela peut expli- favorables au développement de tombent à terre, mais aucune liste quer, au moins en partie, la rareté l’insecte (Daktulosphaira vitifoliae, d’espèces n’est disponible dans la des stations de vignes sauvages dans anciennement Phylloxera vastatrix). bibliographie. La littérature suggère les forêts secondaires de plaine. Une étude (Ocete et al., 2008) que la dissémination principale des Tous les auteurs s’accordent pour dans le pays basque espagnol et graines est l’ornithochorie. En ripi- dire que la reproduction sexuée des français confirme bien la sensibi- sylve, on peut facilement admettre lambrusques sauvages est actuelle- lité de la sous-espèce sylvestris à ces que les crues peuvent constituer ment très précaire et hypothèque différents champignons ou insecte, également un vecteur de propa- d’une certaine manière la conser- mais de manière variable selon les gation de la vigne sauvage. vation de l’espèce. individus et globalement inférieure En laboratoire, le taux de germi- aux attaques sur les variétés culti- Par contre, la reproduction végé- nation des pépins de lambrusque vées aux alentours. Lors de cette tative, essentiellement par marcot- sauvage est comparable à celui étude, aucune attaque du puceron tage, est très importante et consti- des pépins de variétés cultivées, responsable du phylloxéra n’a pu tue aujourd’hui le principal mode mais elle est très rarement obser- être repérée, sachant qu’en labora- de reproduction du taxon, sachant vée dans la nature, où les plan- toire la vigne sauvage est attaquée tules issues de semis sont rapide- que les modalités en milieu natu- rel de cette reproduction végétative comme la vigne cultivée (This et ment détruites par divers animaux al. 2001). phytophages (mammifères, gas- ne sont connues que partiellement téropodes, insectes). Arnold, lors (Arnold, 2002). Lors de la chute En conclusion, on peut retenir que de son travail de thèse, indique de son support (vieillesse, inonda- tous les stades de développement n’avoir jamais observé de semis de tions, éboulements et tempêtes) ou de la vigne sauvage, de la plantule vigne sauvage en forêts colluviales lors d’une section de la tige prin- à la vieille liane, sont dépendants (Arnold, 2002). À notre connais- cipale, la vigne sauvage adulte ne de la dynamique forestière (Arnold, sance, une seule donnée récente existe meurt pas systématiquement une 2002) et du facteur lumière. dans la littérature, signalée dans un fois au sol. Elle peut émettre très éboulis de la vallée du Rhône en rapidement de longs rejets, princi- Écologie Chablais valaisan (Delarze, 2009). palement au niveau de courbures importantes de la liane, qui partent Si l’on tient compte des données En ripisylves, les données sont un peu plus nombreuses, mais restent à la conquête de nouveaux supports. anciennes (période préphylloxérique), toujours rares. Pour Arnold (2002), Un afflux important de lumière où la vigne sauvage était considérée les jeunes semis, au stade herbacé, semble nécessaire pour cette crois- comme assez commune en France, ne semblent pas être héliophiles sance accélérée des rameaux. on conclura à une amplitude écolo- et montrent une nette préférence gique large du taxon. Pour autant, Nous ne possédons malheureuse- pour les ourlets et sous-bois avec elle n’a pas la capacité d’adap- ment que peu d’études récentes sur une présence d’eau. Les observa- tation d’autres lianes, comme la la tolérance de la vigne sauvage vis- tions de Delarze (2009) pour les clématite (Clematis vitalba), qui à-vis des maladies (ex. Ocete et al., forêts colluviales valaisannes ne peuvent beaucoup plus facilement 2011 ; This et al., 2001). Il est clas- concordent pas avec l’étude pré- que la vigne sauvage coloniser des siquement admis qu’une des causes cédente en ripisylves. forêts secondaires issues de pertur- de raréfaction de la vigne sauvage bations humaines. Très rapidement, la jeune plan- en Europe serait liée aux différents tule ne peut se développer sans un pathogènes venus des Amériques, Aujourd’hui, les milieux naturels apport supplémentaire de lumière. maladies cryptogamiques et phyl- qui abritent encore des populations Une perturbation rapide du milieu loxéra. Le maintien de la vigne sau- significatives de vigne sauvage se doit intervenir pour lui permettre vage dans ces deux milieux de pré- réduisent principalement à deux de développer un long rameau qui dilection, les ripisylves et les terrains types de milieu qui semblent s’op- prendra appui sur la végétation colluviaux, semble lié à des don- poser : les forêts alluviales, le plus arbustive pour partir à la conquête nées pédologiques. Les sols aérés, souvent liées aux grands fleuves de la canopée. Cette perturbation caillouteux à sableux, éventuelle- de plaine (ex. Danube, Seine), et 119
Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données particulièrement notable concer- G. et M. André nant les vignes sauvages colluviales. La vigne sauvage est présente du niveau de la mer jusqu’à, au moins, 800 m d’altitude. Elle est considé- rée comme une liane héliophile strictement limitée aux étages col- linéen et submontagnard inférieur. Les deux milieux primaires qui l’abritent encore aujourd’hui se caractérisent par l’instabilité du substrat et la dynamique des peu- plements. Cela s’explique par les exigences particulières de la vigne vis-à-vis de sa niche de régénéra- tion. En effet, les crues ou les ébou- lements rocheux sont à l’origine de trouées lumineuses très favorables aux premiers stades de développe- ment de la vigne sauvage et au mar- cottage des pieds adultes (figure 11). Du point de vue pédologique, les vignes sauvages peuvent se déve- lopper sur des substrats très variés, allant de sols acides à des sols calci- magnésiens, carbonatés ou décarbo- natés ; il a été, en particulier, démon- tré que la vigne sauvage autochtone supporte des taux élevés de CaCO3 igure trou e lu i euse suite u e c ute d’arbre ug ey ou ot a fl c e sans qu’ils nuisent à l’absorption du indique la partie supérieure d’un individu de V. vinifera subsp. sylvestris). fer par les racines (Cambrolle et al., 2014). Elles semblent préférer les les forêts colluviales ou les éboulis portion de populations de vignes sau- sols sableux à très grossiers et aérés boisés de milieu et pied de versant. vages dans ces milieux » (Arnold et (Arnold, 2002) ; nous savons que al., 2011). ces types de sol sont peu favorables Les données historiques et actuelles sont plus nombreuses en ripisylves Dans une étude centrée sur la au développement du phylloxéra. qu’en forêts de pente. Dans son France, les auteurs soulignent que Du point de vue phytosociologique, travail de thèse sur l’écologie de la la quasi-totalité des vignes prospec- les types de végétation dans lesquels vigne sauvage en Europe, Arnold tées ont été observées à proximité on rencontre la vigne sauvage sont (2002) indique que son étude a d’un cours d’eau, ruisseau ou tor- également très variés, allant des porté sur 200 stations, dont 73% rent (Lacombe et al. 2003). friches vivaces héliophiles aux sous- en milieu alluvial, 14% en milieu Les références concernant l’écologie bois forestiers, ou encore des garri- colluvial et 13% de milieux dits générale de la vigne sauvage sont gues aux groupements hygrophiles mixtes. Ces zones colluviales « étant rares et nous ne disposions d’au- (Arnold, 2002) ; Keller, en Franche- difficiles d’accès, instables et peu pro- cune vision d’ensemble avant le tra- Comté, indique l’espèce dans des pices à la sylviculture, elles sont peu vail d’Arnold (2002). L’essentiel des forêts de pente à tendance hygro- connues et donc rarement étudiées. données présentées dans ce résumé sciaphile (Keller, 2014 et 2015). Une prospection plus approfondie sont extraites de ce travail. Nous Tant en zone alluviale que collu- pourrait révéler une plus forte pro- pouvons ajouter que ce manque est viale, du point de vue de l’exposi- 120
Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 tion, les stations sont de préférence nales (Babey, 1840) et des parts Caractérisation des stations exposées au nord ou à l’est. d’herbiers conservés au Muséum et des individus De nombreux travaux indiquent que de la Citadelle de Besançon (André Pour chaque pied observé, ou plus la vigne sauvage adulte est indiffé- & André, 2016), rarement pour une station com- rente aux essences forestières-sup- – présence d’éboulis forestiers plus portant plusieurs pieds très voi- port qui lui permettent d’atteindre la ou moins ouverts repérés sur les sins, nous avons relevé et collecté, frondaison, même si elle n’est obser- cartes topographiques, géologiques autant que possible, plusieurs types vée que de façon exceptionnelle sur ou les photographies aériennes, d’information : des résineux. Par contre, dans ses – milieux forestiers pentus, ravins, – dates d’observation et obser- premiers stades, la vigne sauvage souvent accidentés, sous falaises ou vateurs, recherche les milieux humides et bancs rocheux, ombragés (Arnold, 2002). – localisation (position GPS, alti- – îlots forestiers de sénescence ou tude, exposition, lieu-dit, commune, Statut de la vigne sauvage de vieillissement. département), L’espèce est considérée comme mena- – caractéristiques du ou des pieds La recherche a eu lieu en toute cée au niveau européen par l’UICN. (mesure/estimation du diamètre, saison, principalement à vue directe Elle est inscrite sur les listes rouges de la hauteur, conformation, état et occasionnellement à l’aide de sanitaire), nationales en France (depuis 1995), jumelles. À signaler un intérêt Allemagne et Autriche (voir égale- – caractéristiques ampélographiques particulier de la saison automnale, ment des compléments sur le site de (feuilles, sexe, fructification éven- où le rougissement particulier des l’ECPGR). À ce titre, elle bénéfi- tuelle), feuilles de Vitis vinifera L., en cie d’une protection très stricte. En haut des frondaisons ou tombées – caractéristiques du ou des tuteurs Suisse, elle est proche de l’extinc- à terre, se repère assez facilement. (essence, taille), tion (Moser et al., 2002), catégo- De même, au printemps, le déca- rie CR (= Critically endangered) et – type de milieu, lage des stades de floraison entre ne bénéficie d’un statut de protec- – relevé phytosociologique (sta- les sous-espèces, sauvage et culti- tion que dans le canton de Vaud, tion considérée comme typique), vée, est une information très utile. depuis 2005 (Delarze, 2009). À la faveur de ce travail, nous avons – prélèvement éventuel, non des- aussi mis à profit un certain nombre tructif, de jeunes feuilles pour ana- Matériel et méthodes de caractéristiques écologiques qui lyse ADN avec pose d’étiquette peuvent indirectement aider à l’iden- identificatrice, tification, pour le massif jurassien au – ramassage éventuel pour mise Méthodes de prospections moins : exemplaire faisant partie de en herbier de feuilles et de grappes Les prospections dans le massif groupements le plus souvent fores- de raisins tombées à terre (unique- jurassien (G. et M. André) ont été tiers liés spécifiquement aux ébou- ment en automne, espèce protégée), réalisées au cours d’environ 250 lis plus ou moins fixés de bordure – photographies du pied, de ses sorties d’une demi-journée étalées des faisceaux calcaires ou des recu- feuilles, fleurs, fructifications, du entre février 2016 et novembre lées jurassiennes (érablaies-tiliaies- ou des tuteurs et du milieu. 2017. Le choix des sites prospec- hêtraies et corylaies de pente, aussi tés est basé sur plusieurs éléments bien en adret qu’en ubac) à basse Toutes ces informations sont ras- progressivement affinés au fur et à altitude (jusqu’à 770 m dans la semblées dans une base de données mesure des découvertes : partie sud de l’arc jurassien). où chaque pied (ou station) observé – réexamen des stations antérieures Les prospections ont été moins est identifié par un numéro et classé connues et recherches par conti- importantes dans la partie méri- en Vitis vinifera subsp. sylvestris pro- nuité dans les sites voisins ou éco- dionale de l’arc jurassien que dans bable6, Vitis vinifera subsp. sativa logiquement semblables, la partie septentrionale et centrale. 6. Ces Vitis vinifera subsp. sylvestris probables peuvent – localisations historiques anciennes éventuellement comprendre des lambrusques métisses sylvestris × sativa, difficiles à différencier des lam- mentionnées dans les flores régio- brusques autochtones. 121
Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données microsatellites, dont 23 nucléaires et 3 chloroplastiques. Résultats Répartition et structuration des populations et des stations Les prospections réalisées à ce jour ont permis de recenser 1330 pieds de Vitis vinifera subsp. sylvestris pro- bables présents dans la zone étudiée. La zone géographique d’étude déborde légèrement du cadre de la Franche-Comté administra- tive et concerne plus largement la partie française du massif juras- sien : quelques stations se situent en effet, en Petite Montagne et dans le Bugey méridional, dans le Figure 12 : répartition d’ensemble des 1330 individus de vigne sauvage (V. vinifera subsp. sylvestris) recensés dans l’étude (fonds de carte Géoportail, @IGN). département de l’Ain. Ce recensement doit être compris probable ou Vitis hybride (variété – réaliser un échantillonnage aussi comme forcément non exhaus- à fruits7 ou porte-greffes) probable. représentatif que possible des diffé- tif 10. Les pieds récemment décou- rentes stations découvertes, verts par Johann Keller dans le sec- Récolte de matériel – tenir compte du zonage des teur de Vieilley et de Laissey ont Grâce à une autorisation de prélè- ZNIEFF existantes, 8 tous été revisités et sont inclus dans vement délivrée par le Ministère – disponibilité des échantillons l’étude. Enfin, signalons que le de l’Écologie, un certain nombre (saison, accessibilité). décompte précis des pieds présents de prélèvements non destructifs, à dans une station n’est pas toujours des fins d’analyses génétiques, ont Les pieds analysés sont répartis dans aisé, particulièrement dans les sta- pu être effectués. Cela a concerné 35 communes. Parmi ces 62 pieds, tions les plus denses et dont l’ac- les individus classés comme Vitis 54 pieds sont en situation typique cès est difficile. vinifera subsp. sylvestris probables. d’éboulis naturel, deux dans une La figure 12 représente une vue Le prélèvement consiste en la récolte haie, deux en milieu forestier, très d’ensemble de la distribution des de 2 ou 3 jeunes feuilles, le plus proches de la lisière, trois dans des 1062 points GPS localisant les 1330 souvent sur gourmands, mises en taillis d’une ancienne trouée de pieds recensés sur un fond carto- sachet plastique étiqueté et stocké ligne électrique à l’intérieur d’une graphique représentant le relief en bouteille thermos puis mis au forêt et un sur des scories de résidus du massif jurassien et son réseau congélateur dans la ½ journée. d’ancienne exploitation minière. hydrographique. L’extraction d’ADN a été réalisée Les lambrusques autochtones se Analyses génétiques par les élèves de l’atelier génome au répartissent principalement sur la Lycée Xavier Marmier de Pontarlier Au total, 62 pieds ont fait l’objet bordure externe de l’arc du massif et le séquençage par l’IFV9. L’analyse de prélèvements et d’analyses ADN. jurassien, sur une vaste zone d’une a porté, le plus souvent, sur 26 Le choix des individus sélectionnés 10. Depuis la soumission de cet article, une cinquan- a été dicté par plusieurs critères : 8. Zones Naturelles d’Intérêts Écologique Faunistique taine de pieds supplémentaires ont été découverts dans et Floristique. de nouvelles communes : Les Auxons (25), Fontenotte 7. Dénommées « hybride producteur direct » (HPD) 9. Institut Français de la Vigne et du Vin, http://www. (25), Lomont-sur-Crête (25), Luxiol (25), Revigny ou « hybrides interspécifiques » en viticulture. vignevin.com. (39), Mailley-et-Chazelot (70) et Mont-le-Vernois (70). 122
Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 longueur de 240 kilomètres environ et sur le territoire de 55 communes (40 dans le département du Doubs, 10 dans le Jura, 5 dans l’Ain). On peut regrouper les stations en six populations établies dans des régions naturelles distinctes. Population 1 – Avant-Monts : versant NO des Avant-Monts, entre Bonnay et Gondenans-les- Moulins. Cette population compte 276 pieds (21% du total) répartis surtout dans un foyer principal assez dense et continu à cheval sur les communes de Bonnay, Mérey- Vieilley et Vieilley, et plus au NE, dans quelques noyaux moins four- nis et de plus en plus discontinus et isolés, sur les communes de Venise, Moncey, Rigney, Huanne- Montmartin et Gondenans-les- Moulins. Population 2 – Moyenne vallée du Doubs : depuis Thoraise en aval jusqu’à Rang en amont, en y incluant la vallée affluente du Cusancin. Cette population fait partie de la région naturelle de la bordure jurassienne des faisceaux bisontin et du Lomont. Les lam- brusques recensées totalisent 798 Figure 13 : répartition et effectifs de vignes sauvages (V. vinifera subsp. sylvestris), regrou s e o ulatio s la statio du ugey ridio al e gure as sur cette pieds (60 % du total), et sont pré- carte). Les ronds verts concernent les communes où au moins un pied a été analysé sentes dans 24 communes (Thoraise, génétiquement (fond cartographique de la base de données Taxa SBFC/CBNFC-ORI des communes de Franche-Comté). Montferrand-le-Château, Rancenay, Busy, Avanne-Aveney, Larnod, Arcier, alors qu’au-delà d’Esnans, au total) est dispersée en de nom- Arguel, Besançon, Montfaucon, quelques individus dispersés ont breuses stations isolées ne compor- Chalèze, Vaire-Arcier, Amagney, encore été découverts. tant souvent qu’un seul individu. Deluz, Laissey, Champlive, Roulans, Ougney-Douvot, Esnans, Baume- Population 3 – Vallée alluviale Population 5 – Bordure juras- les-Dames, Hyèvre-Magny, Branne, du Doubs : région naturelle du sienne : comprenant le faisceau Clerval, Rang et Guillon-les-Bains). Bas Pays, à Mandeure. Cette loca- de Quingey, les faisceaux salinois Cette population est de loin la plus lité historique, isolée du reste des et lédonien, pénétrant légèrement importante quantitativement, avec populations, compte 36 pieds. dans le plateau dans les indentations notamment un noyau très dense et Population 4 – Basse vallée de des reculées. Nous avons décou- quasi continu sur les communes la Loue : en aval d’Ornans (Scey- vert 174 lambrusques (13 %) sur de Laissey, Deluz, Champlive, Maisières11 et Cademène), avec son 12 communes (Byans-sur-Doubs, Roulans, Ougney-Douvot, Esnans affluent le Lison (Cussey-sur-Lison) : Quingey, Rennes-sur-Loue, Port- (figure 13). Plus en aval, plusieurs cette population réduite (17 pieds Lesney, Pagnoz, La Chapelle-sur- noyaux conséquents mais disjoints 11. Maelle Ritou nous a aimablement signalé un pre- Furieuse, Ivrey, Saint-Thiébaud, s’égrènent de Thoraise à Vaire- mier pied découvert en 2016. Salins-les-Bains, Arbois, Blois-sur- 123
Les vignes sauvages colluviales Vitis vinifera subsp. sylvestris (Gmelin) Hegi dans le massif jurassien, nouvelles données Seille et Nevy-sur-Seille). Cette tion sur Onay (39), une proche importante population de la population est répartie en plu- des ruines de Vaulgrenant (39) (un moyenne vallée du Doubs. sieurs noyaux disjoints, dont cer- pied avéré) et une à Thoirette (39). À une échelle plus fine, ces six popu- tains assez conséquents numéri- La station signalée par Vendrely lations sont elles-mêmes fragmen- quement, notamment à l’intérieur à Besançon en 1862 a également tées en sous-unités disjointes. Pour des reculées. pu être retrouvée (un pied avéré). décrire la répartition des individus Population 6 – Petite Montagne : Enfin, la découverte d’une sta- au sein de ces populations, nous plus au sud, un peu à l’intérieur du tion à Cussey-sur-Lison (25) (un parlerons, au sens purement géo- massif jurassien, dans les gorges de pied avéré) pourrait correspondre métrique, de stations. Une sta- l’Ain et dans le Bugey méridional. à la mention de 1861 de l’herbier tion (de paramètre D) regroupera Vingt-neuf lambrusques, en petites Grenier « autour de Châtillon- simplement l’ensemble des indi- stations isolées ont été recensées sur sur-Lison ». vidus présents dans une zone spa- 6 communes (Thoirette, Corveissiat, tiale dont tous les individus ont au Matafelon-Granges, Samognat, Effectif des stations et des moins un voisin à moins d’une dis- Dortan et Marchamp12). Des pros- populations tance D ; pratiquement, nous uti- pections supplémentaires dans ce Les effectifs et la localisation des liserons trois valeurs de D, 1 km, secteur apporteraient certainement six populations définies plus haut 200 m et 50 m. d’autres données. ont été représentés sur la carte de la Les histogrammes des classes de figure 13. Les stations s’organisent populations des individus des sta- Stations historiques souvent en chapelet linéaire de petites tions en fonction de la « taille » (D) Nous avons prospecté la plupart unités, notamment pour la plus de ces stations permettent de se des stations de vigne sauvage men- tionnées, souvent antérieurement à la crise phylloxérique, par nos botanistes comtois (voir André Figure 14 : effectif des stations dans lesquelles les individus de V. vinifera & André, 2016). Pour la majorité subsp. sylvestris sont distants de moins d’entre elles, nous y avons retrouvé d’un kilomètre (D =1 km). encore aujourd’hui des Vitis vinifera subsp. sylvestris probables ou avérés (confirmés par analyse génétique). Grâce à Babey (1840), nous avons « retrouvé » plusieurs stations : une vers le Bonhomme au pied du Poupet (un pied avéré), une sta- 12. La station de Marchamp, que nous avons visitée, nous avait été aimablement signalée par Marc Philippe. Figure 15 : effectif des stations dans Figure 16 : effectif des stations dans lesquelles les individus de V. vinifera lesquelles les individus de V. vinifera subsp. sylvestris sont distants de subsp. sylvestris sont distants de moins de 200 m (D = 200 m). moins de 50 m (D = 50 m). 124
Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 rendre compte de cette structuration à différentes échelles (figures 14-16). À l’échelle d’observation la plus large (D = 1 km), parmi les 44 stations, deux stations comportent plus de 200 individus (situées, l’une dans les Avant-Monts, l’autre dans la Moyenne vallée du Doubs) et plus de 50 % des stations comportent moins de 10 individus (figure 14). Parmi les 144 stations observées à l’échelle intermédiaire (D = 200 m), une seule comporte plus de 100 Figure 17 : projection spatiale des positions des 550 pieds de la station la plus individus (en Moyenne vallée du importante de Franche Comté (Moyenne vallée du Doubs). Doubs) et plus de 80 % des sta- tions en comportent moins de 10 Densité milieu noté lors du recensement est (figure 15). un éboulis naturel, pentu, plus ou En conséquence du grand nombre À l’échelle la plus fine (D = 50 m), moins ouvert, à l’intérieur d’une de stations à effectifs très réduits et une seule station compte plus de forêt (figure 18). souvent éloignées les unes des autres, 100 individus (en Moyenne vallée la densité des pieds de vigne sau- Lorsqu’une partie de l’éboulis est du Doubs) et plus de 50 % des sta- vage est souvent faible à très faible : encore mobile, les pieds se loca- tions ne comptent qu’un seul indi- un exemple frappant est celui des lisent de préférence de chaque vidu (figure 16). stations de la vallée de la Loue côté du couloir d’éboulis mobile où les 12 individus découverts se ou dans des parties déjà partielle- L’aire de répartition des pieds de répartissent sur une zone longue de ment fixées par une strate arbustive. vigne sauvage observés est ainsi 6 km, la plupart n’ayant aucun pied Si l’on inclut les individus situés très morcelée, avec une majorité voisin à moins de 300-500 m. À en zone d’atterrissement d’ébou- de stations d’effectif réduit, ce qui l’inverse, quelques stations, souvent lis ou à moins de 100 m d’ébou- a déjà été souligné pour la plupart les plus conséquentes en effectifs lis, alors seuls 5-10 % des indivi- des autres stations européennes dus recensés se trouvent dans des (Arnold, 1999). Cependant, si l’on mais aussi quelques autres à effectif plus réduit mais de faible superficie, milieux différents, assez variés : considère par exemple les stations murgers anthropiques, futaies ou à une échelle de 200 m, qui nous présentent une densité relativement importante, supérieure à 4-5 indi- taillis sous futaie forestiers, haies paraît constituer peut-être une dis- et lisières forestières. tance en deçà de laquelle deux indi- vidus par ha. À titre d’exemple, la vidus sont encore susceptibles d’être station (avec D = 50 m) comptant Le type d’éboulis le plus fréquent en interaction reproductive, alors le plus d’individus (en Moyenne est un éboulis à blocs moyens-gros 21 stations soit 15 % des stations vallée du Doubs), soit 116, occupe (10-30 cm), pentu (15-35°), plutôt totalisant 893 pieds (soit 67% du une superficie de 11,5 ha, soit une fermé, et en exposition ubac avec densité de 10 individus/ha. Très un recouvrement muscinal impor- total des 1330 individus) comptent localement et exceptionnellement tant ; quelques-uns de ces éboulis plus de 20 pieds, nombre qui nous nous avons compté des densités de d’ubac sont établis dans des ravins paraît peut-être suffisant pour que l’ordre de 30 individus/ha. ombragés, où la présence de vigne ces stations soient viables à terme. sauvage est toujours étonnante. Des Si l’on prend l’exemple de la plus éboulis d’adret, souvent plus ouverts, Caractérisation écologique importante station à D = 1 km abritent également des populations de la Moyenne vallée du Doubs, des stations conséquentes. Signalons également sa fragmentation en sous-unités La très grande majorité des lam- l’observation de quelques rares plutôt linéaires, est bien visible brusques observées se situe dans vignes grimpant sur les rochers et sur la figure 17, le contour étant des éboulis à très forte naturalité ; falaises verticales, leur frondaison indicatif. pour 80 % des pieds observés, le s’accrochant au rocher ou aux rares 125
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