Pilote d'Aéronautique navale - Mick Jamais 1916 - 1992 N 102 - 1992 pilote d'Aéronautique navale

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Pilote d'Aéronautique navale - Mick Jamais 1916 - 1992 N 102 - 1992 pilote d'Aéronautique navale
2004
       N°   10
                    L E S C A H I E R S D E L’ A R D H A N

                 Mick Jamais (1916 - 1992)
                 pilote d’Aéronautique navale
                 (1936 - 1948)
                 Guy JAMAIS
CHAPITRE 1 - L’AVANT-GUERRE
Engagement dans la Marine                                         C’est ainsi que, le 5 juillet 1932, il signe, sous le
                                                             matricule 190 C 32, un engagement de trois ans pour
    Jean, Albert, Armand Jamais – plus tard surnommé         compter du 1er janvier 1933. Il est affecté à l'école de
Mick – est né le 11 juin 1916 à Juvisy-sur-Orge, dans        canonnage jusqu'au 1er juillet 1933 et en sort matelot
ce qui était alors le département de Seine-et-Oise. Ses      de 2ème classe, breveté élémentaire.
parents étaient René et Marthe, née Mélan.                        Le premier bâtiment moderne à bord duquel il
    Le 5 avril 1932, Mick Jamais s’engage dans la            embarque est le croiseur-école Jeanne d’Arc pour y
Marine, fréquemment appelée La Royale, bien que la           compléter sa formation de canonnier et d’y acquérir la
France fut une des républiques aux traditions les plus       qualification technique correspondante. Le croiseur -
solidement établies depuis la révolution de 1789. La         que tous appellent familièrement La Jeanne - déplace
désignation n’avait rien d’officiel, mais l’expression       quelque 6 500 tonnes et navigue depuis 1930 pour for-
était d’usage courant.                                       mer les jeunes officiers de Marine à l’issue de leurs
    Une fois engagé, Mick choisit une spécialité tech-       deux années d’étude à l’Ecole navale.
nique et demande à servir comme canonnier. Il pense               Mick peut désormais envisager une vraie cam-
qu’il lui serait ainsi plus facile de poursuivre sa car-     pagne à bord de la Jeanne où il subira avec les autres
rière comme officier s’il venait d’une telle spécialité.     jeunes matelots récemment embarqués un indispen-
    A son arrivée à Brest, avec d’autres engagés, il est     sable complément de formation en haute mer. Cette
dirigé vers le vieux cuirassé Courbet. A peine installé      campagne va le conduire dans des ports qu’il n’aurait
dans le poste qui lui a été assigné, les difficultés appa-   jamais eu la possibilité de visiter. La vie à bord n’est
raissent. En effet, l’emplacement de son hamac se            pas celle d’une croisière d’agrément mais Mick en
trouve à proximité immédiate d’un canon et il lui est        appréciera aussi les bons moments en escale dans des
impossible de le disposer convenablement. Pas encore         terres lointaines.
familiarisé avec les usages, il fait une requête timide           La Jeanne quitte Brest le 5 octobre 1933 et pénètre
auprès de l’officier marinier qui l’a pris en charge. Ce     en Méditerranée par le détroit de Gibraltar. Après une
dernier sourit largement lorsque Mick tente de lui           escale à Bizerte, puis à Alexandrie en Egypte, elle tran-
expliquer que son hamac a la forme d’un W et qu’il ne        site par le canal de Suez vers la mer Rouge. Au débou-
peut dormir dans une telle position. Son chef lui            ché de cette longue étendue d’eau, le croiseur accoste
conseille de modifier l’orientation du canon et qu’il        à Djibouti, port de la Côte française des Somalis. Puis
aura ainsi l’espace suffisant pour tendre son hamac. Ce      viennent Mombassa au Kenya britannique, Nossi-Bé
que fait Mick, tout en espérant que personne ne vien-        puis Diego-Suarez à la pointe nord de notre colonie de
dra tourner le canon pendant son sommeil… La sur-            Madagascar. La Jeanne fait ensuite escale à Tamatave,
prise sera tout autre. Mick est tiré de son sommeil par      à l’île Maurice puis à la Réunion avant de piquer plein
un contact sur son visage. Ce sont des rats ! Ils ont        sud vers l’archipel des Kerguelen. Retour vers
pénétré à bord par la tourelle et ont désormais un           l’Afrique du Sud à Durban puis Le Cap après avoir
excellent accès au hamac. Malgré cet inconvénient du         doublé le cap de Bonne-Espérance et quitté l’océan
premier jour, Mick ne regrettera jamais son engage-          Indien pour l’Atlantique.
ment dans la Marine.                                              Sur l’île très isolée de Tristan da Cunha, en route à
    Bien qu’il ait choisi une spécialité technique, ses      l’ouest vers l’Amérique du Sud, Mick s’offre la fantai-
premiers pas dans la Marine en sont assez éloignés. Il       sie d’échanger un de ses pantalons de matelot contre
a rallié l’école des mousses, dont le titre indique bien     un bec de pingouin.
la mission. Comme tout jeune engagé, il lui faut                  Suivent alors des escales en Argentine à Puerto
apprendre les rudiments du service à la mer et il n’y a      Belgrano et Buenos Aires puis Montevideo en
pour cela qu’un seul moyen : embarquer à bord d’un           Uruguay et Rio Grande do Sul, Sao Paulo et Rio de
navire à voiles. C’est l’Armorique, un « vieux grée-         Janeiro au Brésil. A Paramaribo, en Guyane hollan-
ment »… Mick y reçoit pendant trois mois l’enseigne-         daise, Mick contracte la malaria, dont il ne se remettra
ment de base à l’issue duquel il peut fièrement procla-      jamais. Une seule piqûre de moustique et vous êtes
mer : « Je suis marin ! ». Cri qu’il répétera avec fierté    poursuivi par des attaques récurrentes de frissons et de
tout au long de sa carrière, même après avoir quitté la      fièvres pendant des années.
Marine. Marin un jour, marin toujours !                           La Jeanne reste ensuite deux semaines en
    A vrai dire, pendant ce premier stage, l’Armorique,      Martinique et Guadeloupe, pour le stage d’hydrogra-
solidement amarré à quai dans le port de Brest, ne           phie des midships, laissant à l’équipage du temps libre
prend plus la mer. Mais qu’importe, Mick a fait ses          à terre. Façon de parler car Mick, avec quelques cama-
classes et il est désormais matelot.                         rades, en profite pour se livrer pendant deux jours aux

                                      Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale                                           1
plaisirs d’une autre forme de navigation sur un voilier          Le 19 octobre, un carnet de vol, dit carnet indivi-
    de type local. La Jeanne d’Arc poursuit ses escales à        duel des services aériens, lui est attribué. Il devra, dans
    La Havane à Cuba et Vera Cruz au Mexique.                    ce document, inscrire au long de sa carrière tous les
        C’est à la Nouvelle-Orléans que Mick acquiert sa         événements de son activité proprement aéronautique,
    fascination pour l’aviation. Voulant découvrir les éten-     comprenant notamment la date du vol, le type d’aéro-
    dues marécageuses du delta du Mississipi, il s’offre un      nef, son immatriculation, le type de mission, sa fonc-
    survol touristique en avion, un Ryan, du même                tion à bord (pilote, copilote, navigateur, passager) et
    constructeur que celui avec lequel Charles Lindbergh         toute autre remarque pertinente. En fin de chaque
    avait accompli son premier vol transatlantique solo en       mois, ce carnet doit être soumis au commandant de
    1927. C’est son tout premier vol et il est immédiate-        formation pour vérification et certification de l’activi-
    ment enthousiasmé !                                          té mensuelle et du total cumulé d’heures de vol.
        La campagne continue avec escales aux Etats-Unis             Le 13 octobre, Mick effectue comme passager son
    dont New York fin mai début juin 1934 et Halifax,            premier vol, qui ne dure guère que cinq minutes, à
    Québec et Montréal au Canada avant de rallier Brest          bord d’un Morane 315 piloté par le sergent-chef
    après une dernière escale à Saint-Pierre-et-Miquelon.        Lombard. Quelques heures plus tard, il a la chance de
        Mick quitte la Jeanne d’Arc en octobre 1934 pour         tenir les commandes d’un Morane 138 piloté par le
    embarquer à bord de l'aviso Aisne sur lequel il sert jus-    sergent Sérailler. L’expérience est brêve mais Mick la
    qu'en décembre 1935. Il embarque ensuite sur le cui-         ressent comme un authentique baptême.
    rassé Lorraine, lancé en 1913, à bord duquel il parti-           Le cours de pilotage durera en fait 18 mois.
    cipe à des manœuvres de combat en mer du Nord avec           Pendant la première année, tous les vols ont lieu à par-
    des bâtiments de la Royal Navy.                              tir d’Istres. Mick pratique toutes les manœuvres de
        C’est au cours de cet exercice que Mick est le           base, mais toujours pas de manœuvres de combat car
    témoin d’un sérieux accident. Il se trouve dans la salle     l’essentiel est d’acquérir la maîtrise de l’avion dans
    des machines lorsqu’il ressent un terrible choc qui le       toutes les situations. Pendant les six premiers mois,
    met à terre. Il n’en comprend pas l’origine mais a le        Mick vole à bord de Morane 315, avion sur lequel il
    sentiment que le bâtiment va couler. Il se précipite sur     avait fait son premier vol.
    le pont pour éviter d’être noyé comme un rat. Il s’aper-         Mick passe ensuite sur Morane 230 sur lequel il
    çoit alors que le choc a été encore plus violent qu’il ne    pratique les mêmes manoeuvres de base mais la durée
    l’aurait imaginé : les tourelles des canons sont             des vols est plus grande, ainsi que la vitesse et aussi
    désaxées… Il reprend son calme et apprend que le tor-        l’altitude, qui permet de mieux observer la
    pilleur Foudroyant a essayé de croiser devant l’étrave       Méditerranée dont le survol est interdit, les appareils
    de la Lorraine mais que l’officier de quart avait mal        ne devant en aucun cas quitter le périmètre de la Crau.
    apprécié la distance. Le Foudroyant était sévèrement             Mick termine son entraînement à Istres en sep-
    endommagé alors que la Lorraine n’avait guère que            tembre 1937. Son carnet de vol indique déjà 104 h et
    des dégâts de peinture sur la coque.                         50 min de vol. Cela était toutefois insuffisant car le
        Mick profite de la possibilité à bord de poursuivre      cours ne portait que sur le pilotage de début. De plus,
    une scolarité et prépare ainsi son baccalauréat, tout en     Mick et ses camarades appartiennent à la Marine et il
    gardant à l’esprit un entraînement plus spécifique,          est grand temps de les initier au pilotage d’hydravions.
    comme pilote de combat !                                         En octobre, il rallie l’école de pilotage des hydra-
                                                                 vions au sein du centre école de l’Aéronautique nava-
                                                                 le (CEAN) de Hourtin, base de la Marine au bord de
    Dans l’Aéronautique navale                                   l’Atlantique à proximité de Bordeaux et de la région
                                                                 viticole du Médoc. L’entraînement doit durer sept mois
         L'Aéronautique navale, familièrement appelée            jusqu’à l’été 1938.
    Aéronavale, recrutait ses futurs pilotes dans les spé-           Mick découvre le pilotage « musclé » de ces nou-
    cialités techniques de la Marine. Un tel recrutement se      velles machines qui décollent de mer et y amerrissent
    présente en 1936 et Mick s’inscrit aussitôt sur la bonne     que sont les hydravions FBA 17 et CAMS 37E,
    liste. Il est envoyé à l’école de formation des sous-offi-   Farman Goliath 166 et 168, mais aussi des avions tels
    ciers du personnel navigant de l’Armée de l’Air sur la       que le Lioré & Olivier LeO 20.
    base d’Istres, au nord-ouest de Marseille. La base est           En novembre, Mick effectue son premier vol de
    proche de l’étang de Berre et abrite depuis 1918 une         nuit, qui ne dure qu’une heure, l’atterrissage en étant la
    école qui a déjà formé des milliers de pilotes.              phase la moins facile. Son carnet de vol inclut désor-
         L’entraînement commence le 1er octobre 1936. La         mais l’activité aérienne nocturne et on peut y lire :
    durée du cours est prévue pour onze mois. Mick est           « Arrêté pour le mois de novembre 1937 au total de
    quartier-maître depuis le 1er janvier 1936.                  dix-sept heures quarante dont une heure de nuit. Total
                                                                 général 123 h 30 dont 1 h 00 de nuit ».

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Le 1er janvier 1938, Mick signe un rengagement         petit et monomoteur, mais néanmoins armé d’une tor-
pour une nouvelle période de quatre ans. Il ne voit        pille, avec une vitesse de croisière de 200 km/h et un
aucune raison pour de ne pas le faire tant la vie qu’il    rayon d’action de 700 kilomètres. L’activité aérienne
mène le satisfait.                                         consiste en vols de surveillance et de reconnaissance
    Avec ses camarades, il poursuit sur hydravions son     au-dessus de la Manche, diverses missions sur le terri-
entraînement, sanctionné lors d’une cérémonie au           toire et, bien sûr, une poursuite de l’entraînement opé-
cours de laquelle les jeunes pilotes, dans leur plus bel   rationnel. Sur le terrain proche de Querqueville, Mick
uniforme, reçoivent leurs diplômes et leurs « ailes ».     continue son entraînement de pilote terrestre en étant
On épingle également sur leur uniforme un insigne          lâche sur le petit monoplan monomoteur Hanriot 185.
représentant un hydravion surmonté d’une étoile et             La guerre qui s’approche occupe les esprits mais
d’un croissant de lune, avec l’inscription « Promotion     les pilotes sont jeunes et ne manquent pas d’idées
LV Campardon », du nom d’un pilote qui s’était dis-        folles et peu conformes à la stricte discipline militaire.
tingué pendant la Grande Guerre et la guerre du Rif et     Ayant eu parfois à effectuer un atterrissage forcé par
qui avait disparu en 1929 à Fréjus – Saint-Raphaël,        suite d’ennui mécanique, les pilotes avaient mis au
lors de l'essai d'un prototype. Le stage comprenait 71     point une pratique de tels atterrissages, simulée pour
jeunes pilotes qui allaient faire leurs débuts dans        l’occasion et connue sous l’appellation de « panne de
l’Aéronautique navale. 59 d’entre eux étaient quar-        château ». Il s’agissait en effet de choisir quelque
tiers-maîtres, dont les meilleurs camarades de Mick :      champ à proximité d’un château de belle allure ou d’un
Paul Serpaggi, René Baverel et Marcel Rochon.              hôtel réputé, pratique qui garantissait une agréable
    Début mai 1938, Mick et quelques autres pilotes        hospitalité (gîte et couvert) avant de réussir, non sans
sont affectés à la base d’Aéronautique navale de Berre,    mal apparent, un dépannage permettant de rallier sa
située sur l’étang du même nom et symétrique de la         base, après dus remerciements aux hôtes qu’un tel évé-
base aérienne d’Istres, où il avait déjà séjourné.         nement ne manquait pas d’émoustiller. Autre méthode.
Commence alors le cours d'application à la mer, avec       Le patron d’un hôtel de la station balnéaire de
pilotage d’hydravions de plus gros tonnage. L'un           Boulogne-sur-Mer devait réserver une chambre, préve-
d’entre eux est le bimoteur CAMS 55, hydravion de          nu par un survol préalable, avant d’être contraint à un
reconnaissance d’une vitesse de croisière de 190 km/h,     atterrissage « forcé » dans un champ voisin.
pouvant tenir l’air neuf heures, qui est une version en        Mais il ne faut pas exagérer... C’est ce qui arrivera
plus grand du monomoteur CAMS 37 sur lequel Mick           le 1er décembre 1938 à Mick et un de ses camarades,
avait volé à Hourtin. Il y a également un autre hydra-     à bord d’un Hanriot, qui ont opté pour une « panne de
vion, plus gros, le Breguet Short Calcutta.                château » à proximité de Deauville. Ils dirigent l’avion
    Qui dit hydravion dit survols fréquents de la          vers un terrain en tout point semblable d’aspect à un
Méditerranée. Les vols deviennent de plus en plus          aérodrome en herbe. A peine le contact est pris avec le
longs et les manœuvres de plus en plus complexes et        sol, le Hanriot s’immobilise, le train d’atterrissage pro-
plus élaborées.                                            fondément enfoncé, le ventre au contact d’une boue
    Le 2 juin, Mick termine la prise en mains et           épaisse. Un homme se précipite et crie : « L’aérodrome
accomplit son premier vol comme pilote confirmé aux        n’est pas encore ouvert. Veuillez repartir aussitôt ! ».
commandes d’un CAMS 55.                                    Mick et son copilote sautent de l’avion, constatent les
    Début septembre, Mick réalise sa première traver-      dégâts et répliquent, piteux : « Comment voulez-vous
sée de longue distance avec un vol initialement pro-       qu’on fasse ? ». Ils eurent leur nuit à Deauville, mais il
grammé pour rejoindre Bizerte en Tunisie avec retour       fallut deux pleines journées pour sortir l’avion de son
le lendemain. La mission va durer dix jours au cours       embarrassante position.
desquels de nombreux exercices sont réalisés en
Tunisie mais aussi en Corse à l'aller et au retour. Mick
découvre l’Afrique du Nord à cette occasion…               L’escadrille 1S1
    Au fil des vols, Mick acquiert une bonne maîtrise
de son hydravion, nommé La Galère Capitane, la règle           En avril 1939, Mick et ses camarades sont affectés
était à cette époque, de donner des noms aux grands        à l’escadrille 1S1, unité de surveillance créée en 1936.
hydravions, comme s’ils étaient des navires.               Le changement est peu sensible car ils sont stationnés-
    L’entraînement s’oriente alors vers les missions de    sur la même base et volent sur CAMS 55 que Mick
guerre. Les temps sont durs, l’Allemagne faisant peser     connaît déjà.
sur l’Europe une menace chaque jour plus précise.              La vie à la 1S1 n’est pas monotone et chaque jour
    Après six mois à Berre, Mick est envoyé fin sep-       diffère du précédent. Ainsi, Mick doit piloter un
tembre 1938 sur les bords de la Manche à la base de        CAMS 55 de Cherbourg à son ancienne base de Berre.
Cherbourg-Chantereyne. Il vole sur les hydravions          Le premier tronçon l’amène le 4 avril de Cherbourg à
CAMS 37 et 55, LeO 258 et le Latécoère 290, plus           Brest, sans difficulté et il en est de même pour le

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deuxième tronçon Brest-Hourtin. Le 7 avril, le vol le           qu’il s’est posé sur l’étang de Bages et de Sigean, non
    conduit de Hourtin à Berre, c'est-à-dire au-dessus de la        loin de Narbonne et assez proche de la mer. Les deux
    terre. Pris dans un violent orage à proximité de                pilotes passent la nuit dans un hôtel de Sigean et amer-
    Toulouse, Mick réalise qu’il ne parviendra pas à Berre          rissent finalement à Berre le lendemain 12 avril. Au
    compte tenu de sa consommation d’essence. Sans                  résultat : pas moins de huit jours pour rallier Berre au
    hésiter, il fait demi-tour pour fuir la zone orageuse et        départ de Cherbourg !
    rentre à Hourtin.                                                   Deux jours plus tard, Mick est de retour à
        Quatre jours plus tard, le 11 avril, Mick redécolle         Cherbourg où il reprend les missions de protection de
    pour la Méditerranée. Mais il rencontre de forts vents          convois et les vols de reconnaissance. C’est au cours
    contraires. Le jour tombe. Il est trop loin de Hourtin          d’une de ces missions qu’il recherche, en vain, le
    pour songer y retourner. Il sait qu’il n’a pas assez d’es-      Branlebas disparu sans laisser de trace entre
    sence pour rallier Berre mais espère pouvoir, au                Cherbourg et Boulogne-sur-Mer.
    moins, atteindre la Méditerranée, n’ayant connais-                  Au début d’août, Mick est désigné pour le stage
    sance d’aucun lac sur le parcours. Soudain, il perçoit          probatoire de chasse qui se déroule à Hyères-le-
    un scintillement sous son aile : de l’eau ! Sa décision         Palyvestre alors que la menace de guerre se fait de plus
    est vite prise et il amerrit aussitôt. Il fait noir autour de   en plus menaçante et perceptible comme telle par tous.
    l’hydravion et il ne distingue que quelques lumières au         Hyères est par essence une base de chasseurs et Mick
    loin. Elles viennent de quelques fermes et il en déduit         entreprend un nouvel entraînement sur Romano 82,
    qu’il a amerri sur un lac et non en pleine mer. Avec            Caudron C635 Simoun et Potez 25.
    l’aide de son copilote, il extrait le canot pneumatique             La guerre éclate à l’est avec l’attaque surprise des
    de son logement et tous deux commencent à pagayer               forces de Hitler sur la Pologne, sa faible voisine. La
    en direction de la plus proche lumière.                         France est en bref sursis et la mobilisation générale est
        C’est bien une ferme, qu’ils atteignent en même             déclarée le 2 septembre. Les militaires déjà en service
    temps qu’une patrouille de gendarmes, rassurés en               sont en alerte. La situation est grave. Mick, qui affiche
    voyant des uniformes français. Ils pensaient, en effet,         471 h 05 min de vol dont 21 h 05 min de nuit, est
    qu’il s’agissait de réfugiés fuyant la guerre civile espa-      déterminé à agir et prêt à montrer ce dont il est
    gnole car l’Espagne n’est pas loin. Mick apprend alors          capable.

                                                                              En 1936, Mick Jamais,
                                                                              quartier-maître canonnier
                                                                              récemment promu,
                                                                              est embarqué sur le cuirassé
                                                                              Lorraine.
                                                                              (collection Jamais)

4                                           Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale
Dans le port encombré
                                                                      de Toulon,
                                                                      un Breguet Short Calcutta,
                                                                      sur lequel Mick vole
                                                                      au printemps 1938.
                                                                      (collection Morareau)

          Hanriot 185
          de la section
       d’entraînement
        de Cherbourg-
         Querqueville,
           codé CB-2.
(collection Morareau)

                                                                              CAMS 55.10
                                                                              de l’escadrille 1S1.
                                                                              Photographie
                                                                              prise à Cherbourg
                                                                              en 1939.
                                                                              Mick Jamais est debout,
                                                                              en place de copilote.
                                                                              (collection Jamais)

                          Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale                                     5
CHAPITRE 2 - PREMIERES OPERATIONS
    SEPT 1939 - MAI 1940
    Déclaration de guerre                                      considérer le Morane 406 comme le meilleur avion
                                                               qu’il ait jamais piloté.
        Ce qu’on appellera la Seconde Guerre mondiale              Le 15 avril, Mick rallie à Orly l’escadrille AB4,
    commence pour les Français le 3 septembre 1939 alors       récemment créée. Cette formation n’est pas encore au
    que Mick et ses camarades sont sur le point de termi-      complet. Elle était en fait destinée au Béarn mais notre
    ner leur entraînement opérationnel sur les Caudron         unique porte-avions est jugé trop lent, et sans doute
    Simoun, Romano 82 et Potez 25. On leur enseigne            aussi inapte, pour la guerre qui commence. Transformé
    quelques figures comme l’atterrissage en S serré pour      en porte-avions de 1923 à 1927, le cuirassé Béarn avait
    éviter un tir ennemi pendant cette phase délicate, ou      été lancé en 1918 alors que la guerre prenait fin. L’AB4
    encore comment échapper aux tirs de la DCA ou d’un         n’en reste pas moins organiquement affectée au Béarn.
    chasseur adverse en effectuant diverses manœuvres de           Dans les premiers jours, Mick vole sur Romano 82
    voltige aérienne.                                          et Morane 230, avions qu’il connaît déjà. Le 19 avril,
        Le 1er octobre, Mick est affecté à l’Ecole de chasse   il fait son premier vol aux commandes d’un Loire-
    d’Etampes, non loin de Paris, école alors fort renom-      Nieuport 401, bombardier en piqué qui présente plus
    mée, où il est transformé sur North American 57 et         d’une ressemblance avec le très efficace Ju-87, plus
    Dewoitine 500, appareils plus modernes et rapides que      connu sous l’appellation de Stuka. L’AB4 doit être
    ceux qu’il avait piloté jusqu’alors. Mais il retrouve      équipée de Loire-Nieuport 411, version du LN 411
    aussi le Morane-Saulnier 230 qu’il avait pratiqué dans     construit à l'origine pour l'armée de l'Air mais qui l’a
    sa première année de pilotage.                             refusée.
        Qui dit avions plus rapides dit aussi avions plus          L’activité consiste en exercices de patrouilles de
    performants. Mick en fait l’expérience le 11 décembre      jour et de nuit, complétée par l’entraînement, non sans
    en perdant le contrôle de son Dewoitine 500 au cours       danger, au bombardement en piqué. L’AB4 n’est pas
    d’une séance de voltige qui le conduit à faire un atter-   encore opérationnelle par manque de personnel et de
    rissage forcé à proximité de Pithiviers, sans dommage      matériel. Le 30 avril, Mick convoie un LN 401 destiné
    pour lui ni pour l’avion, fort heureusement.               à l'escadrille AB2 basée à Berck et le lendemain, il
        L’état de guerre signifie suppression de permis-       ramène à Orly un LN 40 de présérie.
    sions, même pour Noël. Toutefois, Mick peut faire une          Les exercices de patrouille sont mis à profit pour
    escapade à Paris le 21 décembre. Il y fait la connais-     parfaire la maîtrise des communications radio entre les
    sance de son premier amour, une jeune fille blonde et      avions et la base. A vrai dire, l’entraînement diffère
    suédoise du nom de Wivian Zetterberg.                      assez peu de celui du temps de paix. La seule diffé-
        Cette permission a failli être unique. Le 25 janvier   rence est le survol quotidien de la base d'Orly par un
    1940, Mick est aux commandes d’un Morane-Saulnier          avion de reconnaissance allemand en mission photo
    406, un avion facile à piloter, peut-être trop, avec       qui, arrivant à haute altitude, n’est toujours découvert
    lequel il se lance, moteur à pleine puissance dans un      que trop tard. Malgré le déclenchement d’une alerte,
    furieux piqué qui lui vaut une sérieuse réprimande et      l’intrus a largement le temps de s’esquiver. Il faut dire
    une menace de suspension de permissions.                   que les bases françaises ne disposent d’aucun radar,
        Le 1er février, Mick est affecté à Fréjorgues,         contrairement à leurs collègues britanniques de l’autre
    proche de Montpellier, où est basé le Centre d'instruc-    côté de la Manche. On ne peut pas dire que cette tech-
    tion de Chasse (CIC) qui est armé de Nieuport 622,         nologie ait marqué les esprits chez nous. Ainsi, faute
    Dewoitine 501 et de Morane-Saulnier 230 et 406.            de radar, l’alerte sonne toujours trop tard…
        Le 13 mars, de retour d’une brève escapade à Paris         Le 8 avril 1940, les forces allemandes occupent la
    la veille, il emmène son Morane 406 à l’altitude quasi     Norvège et le Danemark. Elles prennent ainsi l’avanta-
    excessive de 7 500 mètres, d’où il redescend en piqué      ge sur les Alliés qui avaient la double intention de se
    à la verticale. L’avion, limité à une vitesse de 550       saisir de Narvik pour faire cesser les livraisons de
    km/h, atteint 750 km/h lorsque Mick ressent une vio-       minerai suédois et d’ouvrir un corridor vers la Finlande
    lente explosion. Il peine à garder la maîtrise du Morane   qui était déjà en guerre contre les Soviétiques.
    et atterrit.                                                   La Marine française elle-même avait dressé des
    De retour dans les cales, l’examen au sol montre une       plans, qu’elle n’avait pas abandonnés, pour une action,
    déchirure à l’emplanture de l’aile, estimée à la rupture   incluant l’Aéronautique navale, dans les parties sep-
    de cette dernière, ce qui aurait assurément conduit à      tentrionales de Norvège et de Suède.
    une issue fatale pour ce piqué, audacieux mais hors du         L’Allemagne avait bien pris en compte un possible
    domaine de vol. Mick n’en continuera pas moins à           engagement allié en Scandinavie et avait décidé de

6                                        Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale
passer à l’offensive. C’est ainsi que le 10 mai, à 4       aériennes, commandées par le CV Montrelay) de bom-
heures, un mois après l’occupation de la Norvège et du     barder les concentrations de blindés allemands dans le
Danemark, des bombardiers allemands Heinkel atta-          secteur de Berlaimont, proche de Valenciennes et de la
quent par surprise la base d’Alprecht et anéantissent      frontière belge.
l’escadrille AB3. Les forces françaises s’attendaient à        Cette force d’invasion allemande, appartenant au
une telle attaque dès octobre-novembre de l’année pas-     groupe d’armées A, aux ordres du major général Heinz
sée mais la surprise n’en a pas moins été totale.          Guderian, avait franchi les Ardennes et traversé la
     Ce même jour des unités allemandes de blindés         frontière franco-belge dans une attaque éclair, franchi
investissent une grande partie des Pays-Bas et de la       la Meuse et établi une importante tête de pont sur le sol
Belgique, présentant ainsi une très sérieuse menace sur    français. Les tanks et autres engins étaient en nombre
le nord de la France. Notre haut commandement esti-        impressionnant et s’étendaient le long d’une colonne
me que les chars vont nous attaquer à partir du sud de     de 160 kilomètres. Encore plus impressionnante était
la Belgique, cependant que des forces alliées prennent     la rapidité d’exécution de la manœuvre.
position aux Pays-Bas dans les îles de Walcheren et de         Guderian était à l’origine du concept de blitzkrieg.
Beveland et dans le grand ensemble portuaire de            Sa méthode consistait à effectuer une attaque à grande
Vliessingen (Flushing).                                    vitesse par les blindés, sans attendre l’infanterie. La
     Le 8 mai, le LV Lainé quitte Orly avec neuf appa-     blitzkrieg ne surprit pas que les Britanniques et les
reils seulement. Après une escale à Caen il est à          Français, et remplit d’admiration les Allemands qui
Querqueville le 9. Le lendemain se déclenche l'offen-      donnèrent à Guderian le surnom de Schneller Heinz.
sive allemande. A partir du 11 mai, les escadrilles AB1    Le groupe d’armées A comprenait plusieurs divisions
et AB2 effectuent une dizaine de missions de bombar-       de blindés dont la Panzer 7, qui avait à sa tête un autre
dement sur des positions allemandes aux Pays-Bas, en       officier renommé en la personne du major général
Belgique. La plus importante cible est représentée par     Erwin Rommel, alors âgé de 48 ans. Sa division était
une concentration de troupes allemandes menaçant le        d’une redoutable efficacité et s’était une spécialité de
polder de Zuid Beveland et le port de Vliessingen.         surgir apparemment de nulle part, d’où son surnom de
Pendant ces événements, l'AB4 ne reste pas inactive et     division fantôme.
poursuit son entraînement opérationnel mais Lainé n'a          Le 18 mai, Guderian s’empare de Péronne, cepen-
toujours que neuf appareils. Les trois derniers sont       dant que Rommel investit Cambrai. Les forces alliées
finalement livrés le 12 à Orly et arrivent à               susceptibles de s’opposer aux blindés ne représentaient
Querqueville le lendemain, l'escadrille est enfin au       que deux divisions françaises d’infanterie et le corps
complet. Au cours d'un des derniers exercice de bom-       expéditionnaire britannique, incapables de résister ne
bardement en piqué au cap Lévy, le SM Prigent ne peut      serait-ce que parce qu’ils ne disposent d’aucun char.
redresser à temps son appareil et disparaît en mer avec    De plus, la défense anti-aérienne n’est pas de taille à
lui. C'est le premier tué de l'AB4, il ne sera hélas pas   mettre en danger les efficaces bombardiers en piqué
le dernier. Le 17 mai, Lainé à la tête de six appareils    Ju-87 Stuka.
décolle de Querqueville pour rejoindre à Berck l'esca-
drille sœur AB2. Dès son arrivée, le commandant de
l'AB4 est convoqué par le CC Nomy, commandant la           Bombardement à Berlaimont
BAN de Berck, qui lui demande, malgré le peu d'en-
traînement et le manque de cohésion de son escadrille,         Les Allemands accroissent le nombre de leurs blin-
de participer le plus tôt possible aux opérations. Le      dés et c’est une telle concentration que Mick et les
lendemain 18, la section de l'EV1 Decaix à laquelle        pilotes des AB2 et AB4 doivent attaquer le 19 mai, à
Mick appartient, rejoint Berck et l'AB4 peut mettre en     19 h 30, dans la zone de Berlaimont, à 30 minutes de
oeuvre neuf appareils.                                     vol de Berck. On leur a promis aide et protection de
                                                           chasseurs britanniques lorsqu’ils seront proches de
                                                           l’objectif. On leur a de plus assuré que les Allemands
Objectif : les chars de Rommel                             n’ont pas encore eu le temps d’installer leur artillerie
                                                           anti-aérienne et que, même dans le cas inverse, il n’y a
    Les troupes allemandes ont maintenant envahi le        pas de quoi s’inquiéter. Tout s’annonce donc pour le
territoire français.                                       mieux…
    Berck est une station balnéaire à la mode et le LV         A 18 h, neuf Loire-Nieuport 411 de l’AB4, décol-
Francis Lainé, commandant l’escadrille, son état-          lent de Berck, Mick étant au manche du 12. Les autres
major et les pilotes sont hébergés plus que conforta-      pilotes de l'AB4 sont les LV Lainé et Habert, l’EV1
blement au château de Sigrand. Le dimanche 19 mai,         Decaix, les Mt Téoulet et Marcel Billien, les SM
peu après 15 heures, ordre est donné à l’AB4 et l’AB2      Goasguen, Klein et Marcel Rochon. La formation se
par les F.A.D.A (Forces aériennes et de défense anti-      rassemble et met le cap vers Berlaimont, suivie de peu
                                     Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale                                         7
par onze Loire-Nieuport 401 de l’AB2. Il n’y a pas           la commune de Fontaines-au-Bois. L’avion de Lainé
    d’escorte de chasse au départ, et les chasseurs britan-      est atteint, mais le seul dégât apparent est la panne de
    niques ne seront jamais vus.                                 sa radio, ce qui n’est pas sans inconvénient pour le
         Les avions sont lourdement chargés en essence et        chef d’un dispositif en vol.
    bombes. Ce qui veut dire que les pilotes auront peu de            La troisième patrouille (EV1 Decaix, SM Jamais
    chance de se défendre en cas d’attaque par des chas-         et Rochon) prononce son attaque sur la forêt de
    seurs allemands. On leur avait pourtant dit que des          Mormal à l’ouest de Berlaimont. Ce n’est qu’au tout
    Messerschmidt étaient en patrouille dans l’est de la         dernier moment qu’ils s’aperçoivent dans quel traque-
    France. C’est effectivement pour cette raison qu’on          nard ils vont tomber : l’épaisse frondaison leur dévoi-
    leur avait promis d’être escortés par des Potez 631 de       le enfin un nombre effrayant de blindés et de postes de
    la flottille F1C basée à Calais en cas de défaillance de     DCA. Pour la FLAK, c’est du tir au pigeon, quand
    l’escorte britannique. Aussi, c’est sans inquiétude          bien même les avions arrivent sur eux à 380 km/h.
    qu’ils avaient observé, après le départ de Berck, la pré-         Decaix, aussitôt atteint, est contraint à un atterris-
    sence d’un Henschel 126 allemand de reconnaissance           sage dans un champ voisin. Mick et Rochon parvien-
    dont la vitesse était largement inférieure à la leur.        nent à larguer leurs bombes mais leurs deux avions
         A la verticale d’Arras, premier désappointement :       sont également atteints. Mick s’esquive à très basse
    les Potez de la F1C ne sont pas au rendez-vous. Trop         altitude à un cap ouest-nord-ouest approximatif.
    tard, il n’y a plus rien d’autre à faire que de poursuivre   Douze kilomètres après Berlaimont, il réussit un atter-
    la mission. Heureusement, ils ne voient aucun                rissage dans un champ proche du village de Villereau.
    Messerschmidt en l’air. Hélas ! Et pour cause, le            Il évacue rapidement l'épave de son avion qui com-
    Henschel qui les pistait avait probablement prévenu          mence à brûler et se retrouve entouré par des fantas-
    l’artillerie anti-aérienne allemande... Ainsi, peu après     sins allemands qui pointent sur lui leurs fusils.
    avoir survolé Arras, les premiers flocons noirs de la
    FLAK environnent les avions de l’AB4 et, second              Capturé
    désappointement, la précision du tir des Allemands se
    révèlent plus efficace que ce qu’on leur en avait dit.            Mick est fait prisonnier de guerre. Mais les ravis-
         A 19 h 25, l’AB4 approche de son objectif et, à         seurs veulent garder des souvenirs de l’événement et
    quelque 50 km de Berlaimont, la FLAK se fait encore          découpent des pans de son avion, en particulier ceux
    plus violente. Les avions sont secoués par les explo-        qui portent les marques de son avion. Un des soldats
    sions et le ciel s’obscurcit d’autant. Les avions tentent    prend des photos de ce qui est maintenant une épave.
    de s’abriter en montant à 1 200 m, puis 2 000 m, non              Au même moment, ce sont des rescapés, en mau-
    sans peine. Le pilote du Henschel a bien rempli sa mis-      vais état, qui atterrissent à Berck avec le reste des
    sion et peut quitter sans remord une zone dans laquelle      avions de l’AB4 et de l’AB2. Sur vingt avions au
    il ne tient pas à évaluer de trop près l’efficacité de ses   départ, la moitié seulement est de retour. Parmi les
    camarades artilleurs.                                        pilotes manquants, il y a deux morts, trois prisonniers
         A 19 h 30, Lainé a Berlaimont en vue. Le soleil         (dont Decaix), quatre disparus dont on ignore le sort,
    décline à l’ouest, donnant un étrange relief à la cité et    et un survivant, Klein, qui rentrera à pied.
    à ses environs. A 380 km/h, les avions approchent, le             Côté français, cette attaque sur Berlaimont est qua-
    long de la nationale 351. La première section, condui-       lifiée de « mission suicide collective ».
    te par le LV Lainé, avec comme ailiers les SM                     De leur côté, les Allemands pansaient leurs plaies.
    Goasguen et Téoulet, prononce son attaque sur un ras-        Ils avaient subi de lourds dégâts, en personnel et maté-
    semblement de blindés au carrefour de la RN 351 et de        riel. Un peu partout, des chars brûlaient, plusieurs
    la D 33. Partis de 2 000 m, ils piquent à 45° jusqu’à        dépôts de munitions avaient sauté et des réservoirs de
    300 m, tout en prenant conscience qu’ils ont dans leur       combustible avaient explosé sous l’effet de l’incendie.
    collimateur bien plus de blindés, dans Berlaimont et         En ville, dans la forêt de Mormal et au carrefour de
    autour, que ce qui leur avait été annoncé. Et il en est de   Berlaimont, d’épaisses colonnes de fumées noires por-
    même pour les emplacements de la redoutable FLAK.            taient témoignage d’un événement qui n’avait duré
    Moteurs hurlant, les avions larguent leurs bombes,           que quelques minutes.
    amorcent une ressource, mais sans plus, et rompent                L’attaque française retarde de deux jours l’avancée
    l’engagement au milieu du chaos infernal de la FLAK.         allemande dans ce secteur du front. Mais elle a peu
         Téoulet est atteint au moment de la ressource et tué    d’incidence, car l’attaque ennemie se poursuit inexo-
    en vol. Son appareil continue à voler encore quelques        rablement dans les autres secteurs et, un mois plus
    minutes avant de se poser tout seul dans un champ de         tard, l’armistice va sonner la fin des combats.

8                                         Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale
Montpellier, février 1940.
                                                  Le SM Mick Jamais,
                                                  pilote élève au cours de chasse,
                                                  inaugure sa tenue « col ouvert »
                                                  nouvellement accordée
                                                  aux officiers mariniers.
                                                  Il porte encore la fourragère
                                                  aux couleurs de la croix de guerre
                                                  1914-1918 gagnée par les escadrilles
                                                  de Dunkerque et transmise
                                                  à l’escadrille 1S1 de Cherbourg.
                                                  (collection Jamais)

Mai 1940. Epave du Loire 411 AB4-12, abattu dans la Somme. (collection Morareau)

                     Mick Jamais, pilote d’Aéronautique navale                           9
Mai 1940. Autre vue du Loire Nieuport AB4-12 examiné par des soldats allemands. (collection Morareau)

     Juillet 1940. Après l’évacuation de métropole, un des Loire 411 de l’AB4 se retrouve à Bizerte Sidi-Ahmed.
                                                (collection Morareau)

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CHAPITRE 3. - PRISONNIER EN ALLEMAGNE
MAI 1940 - déC 1941

Un long chemin                                               être le moment le plus opportun, mais j’avais juste
                                                             envie de parler votre langue… ».
    Désormais, pour Mick Jamais, la guerre est bien              Au cours de cette conversation pour le moins étrange
finie. Encore sonné par son atterrissage brutal, il est      dans de telles circonstances, le jeune Allemand s’aper-
placé en détention. Le seul souci qui agite sa cervelle      çoit que Vilbert et Mick sont les seuls prisonniers à ne
embrumée est de savoir comment il va pouvoir cacher          rien avoir à manger. Les autres prisonniers, en effet,
ou détruire le carnet de code secret, concernant les pro-    sont des fantassins ayant pour prudente habitude de
cédures de l’Aéronautique navale, qu’il a dans une de        toujours avoir quelque nourriture dans leurs sacs,
ses poches et qui ne doit pas tomber dans les mains          contrairement à nos pilotes, n’effectuant que de courtes
allemandes.                                                  missions. Il se procure aussitôt un Schwarzbrot, et tend
    La cellule dans laquelle il est enfermé n’est autre      ce pain à nos deux pilotes, tout en s’excusant de ne
que le cellier d’un petit château occupé par le général      pouvoir faire mieux. Mick le remercie et jette un regard
Erwin Rommel. Mick n’est pas seul dans sa geôle et,          perçant à ses compagnons fantassins pour leur manque
parmi les autres prisonniers français se trouve le géné-     de générosité.
ral de corps d’armée d’Assas, un cavalier.                       Après Saint-Vith, le trajet se poursuit à pied, au
    Un chien était parvenu à s’introduire dans le cellier    cours d’une marche épuisante qui dura trois jours, sans
et Mick, à même le sol, fait connaissance avec ce com-       guère de ravitaillement. Mick trouve, dans un fossé, un
pagnon à quatre pattes allongé à ses côtés. Un soldat        pain de seigle moisi dont il s’empare et qu’il partage
allemand lui ayant donné un peu de chocolat, Mick le         avec un autre prisonnier.
partage avec ce nouveau compagnon.                               La marche n’étant pas assez rapide, les prisonniers
    L’offensive allemande se poursuit cependant que          sont embarqués dans un train à l’intérieur de wagons
les prisonniers doivent rallier l’Allemagne. La première     de marchandises aux portes condamnées dont les cloi-
étape les amène, en camions, à Saint-Vith sur la fron-       sons sont faites de planches mal ajustées, laissant
tière belgo-luxembourgeoise. Parmi ses compagnons            quelque espace entre elles. Mick peut ainsi découvrir le
d’infortune, Mick découvre un autre pilote qui a parti-      paysage allemand qui défile, et qui défile encore. En
cipé à l’attaque sur Berlaimont en la personne de l’en-      effet, quittant l’actuelle Allemagne, le train parvient en
seigne de vaisseau Jules Vilbert, officier en second de      Bohème, partie de la Tchécoslovaquie désormais sous
l’AB2, dont l’avion avait été atteint d’un coup direct de    protectorat allemand, puis s’arrête à la nuit tombante.
la FLAK. Contraint à un atterrissage, il avait aussitôt      Les portes s’ouvrent et les prisonniers, fatigués, affa-
été fait prisonnier.                                         més et sales sont autorisés à en sortir pour une douche
    Vilbert et Mick envisagent de tenter de rester           et un casse-croûte, après quoi ils passent la nuit sous
ensemble en captivité aussi longtemps que possible.          des tentes.
Un problème se pose toutefois. Les Allemands ont des             Les Allemands semblent ne pas trop savoir que
camps séparés pour les officiers, les sous-officiers et la   faire des prisonniers français. Ordre est donné à tous de
troupe. Vilbert est officier, ce qui n’est pas le cas de     regagner le train. Les portes sont à nouveau ver-
Mick. Fort de sa position d’officier le plus ancien dans     rouillées. Demi-tour ! Effectivement, les prisonniers
la colonne de prisonniers, Vilbert prononce la promo-        peuvent voir une nouvelle fois, entre les planches cer-
tion de Mick au grade d’aspirant. Ainsi, nos deux            nant les wagons, le paysage déjà entrevu la veille, en
pilotes ne seront pas séparés. Vilbert confirme cette        sens inverse toutefois… Mais Mick n’a aucune idée de
promotion sur un bout de papier qu’il remet à Mick           la destination.
pour qu’il puisse ainsi justifier de son nouveau grade.
Encore faut-il que cette promotion soit apparente sur
l’uniforme de Mick. Ils trouvent une aiguille à coudre       Triste nouvelle…
et du fil, et même un bout de galon type armée de l’Air
qu’ils arrivent à coudre avec une sorte de boucle sur la              Alors que Mick est emmené au cœur de
manche gauche. Alors que le convoi s’ébranle, un             l’Allemagne, ses parents, aux Pavillons-sous-Bois,
jeune soldat allemand s’approche de Mick installé sur        dans la grande banlieue parisienne, apprennent qu’il
la plate-forme du camion et s’adresse à lui en un fran-      n’est pas revenu à Berck de sa mission de bombarde-
çais hésitant : « Je m’excuse, je suis désolé… pour tout     ment. Le message en 43 mots, envoyé d’un comman-
cela… », comme si c’était sa faute si l’Allemagne avait      dement du cap Gris-Nez au maire des Pavillons-sous-
attaqué la France. Il poursuit en précisant qu’il prati-     Bois, est très clair :
quait des études de français, et ajoute : « Ce n’est peut-

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« Maire Pavillons-sous-Bois Seine. Jamais second             Ainsi, par cette lettre, les parents de Mick reçoivent
     maître pilote Escadrille AB4 disparu sur les lignes le       un compte rendu plus détaillé. Toutefois, le rayon d’es-
     19 mai Stop Prière informer avec sentiments de tact          poir que Lainé laissait entrevoir en fin de lettre, s’est
     convenables Mme Jamais et lui présenter mes condo-           vite estompé. Aucun signe de vie ne leur parvint…
     léances. Adresse Mme Jamais 9 allée Lavoisier
     Pavillons-sous-Bois – Commandant. »
         Le maire, après avoir lu le télégramme, le remit         L’Oflag IX B à Nienburg
     aux parents de Mick. René, son père, ancien de la
     Grande Guerre au cours de laquelle il s’était distingué,         La colonne de prisonniers s’enfonce en territoire
     accepte mal l’ambiguïté du texte. Si Mick est considéré      allemand. Mick parvient à un camp de prisonniers de
     comme « disparu », il peut donc être toujours en vie.        guerre, de dimension apparemment modeste, à
     Pourquoi dès lors exprimer des « condoléances » qui          Nienburg, à mi-chemin entre Hanovre et Brême, placé
     ne peuvent que suggérer que Mick est mort ? Il envoie        sous l’autorité de la Luftwaffe et réservés aux officiers
     sur le champ un télégramme au LV Francis Lainé,              pilotes. Il s’agit de l’Oflag IX B, c'est-à-dire d’un
     commandant de l’AB4, et demande une explication en           Offizierenlager, camp pour officiers. Mick et ses
     ajoutant : « Parlez-moi en soldat ».                         camarades d’infortune découvrent un univers dont on
         Il reçoit le surlendemain la réponse de Lainé :          ne leur avait pas révélé l’existence ou les caractéris-
                        Le 23 mai 1940                            tiques pendant leurs années d’entraînement : fils bar-
         Monsieur, j’aurais aimé pouvoir vous renseigner          belés, miradors, projecteurs, gardes armés, contrôles,
     sur le sort de votre fils, vous apprendre que votre fils     chiens de patrouille, baraquements…
     se trouve dans un hôpital français, que seule la désor-          Premier événement : l’interrogatoire. Mick, à nou-
     ganisation des communications est la cause de son            veau, refuse de répondre à d’autres questions que
     silence, ou même qu’il se trouve prisonnier chez les         celles qui concernent son nom, son grade, sa date de
     Allemands. Je ne le puis pas actuellement. Mais je           naissance et son adresse. Ces données sont alors ins-
     vous affirme que je conserve l’espoir de pouvoir le          crites sur sa Personalkarte, carte d’identité attribuée à
     faire un jour proche. Déjà deux pilotes disparus en          chaque prisonnier. Sur cette carte, il doit aussi marquer
     même temps que lui ont été retrouvés.                        ses empreintes digitales à côté de l’espace réservé à sa
         Vous me demandez de vous parler en soldat. Aussi,        photo, qu’un photographe du camp prend aussitôt.
     pour que vous sachiez que vous pouvez être fier de           Mick contemple l’appareil d’un air las et soupçon-
     votre fils, vous diras-je les circonstances de sa dispari-   neux, assis raide, les mains croisées sur ses genoux.
     tion. 500 chars d’assaut allemands débouchaient à un         Son visage trahit le découragement qui l’étreint…
     carrefour et s’apprêtaient à attaquer nos troupes. Le            Peu après ces « formalités », chaque prisonnier est
     Grand Quartier Général demande aux escadrilles de            totalement tondu, mesure essentielle pour maîtriser la
     bombardement en piqué de la Marine, réputées pour la         question des poux dans le camp. Mais, avant tout,
     précision de leur tir, de les arrêter. J’eus l’honneur de    Mick rêve d’une bonne bière bien fraîche ! « S’il m’est
     conduire à l’attaque 20 appareils qui, à 300 m de dis-       donné de pouvoir à nouveau boire de la bière, je jure
     tance, pulvérisaient sous leurs lourdes bombes la            de me mettre à genoux lorsque la première me sera
     route, les ravitailleurs d’essence, les charrettes de        offerte ! » dit-il à un de ses compagnons.
     munitions, de nombreux tanks et un nombre incalcu-               Quinze officiers de marine français, y compris de
     lable de nos ennemis. Inutile de vous dire sous quel feu     l’Aéronautique navale, se trouvent dans le camp. Mais
     s’est effectuée cette attaque. Des régiments entiers des     cette information est tenue secrète par les Allemands,
     nôtres étaient sauvés. Mais, lorsque nous nous               contrairement aux dispositions de la convention de
     sommes retrouvés à notre terrain, sur les 20 qui étaient     Genève qui fait obligation à tout belligérant d’infor-
     partis, nous n’étions plus que 10.                           mer son ennemi sur les prisonniers qu’il détient. Le
         Monsieur, en soldat, soyez fier de votre fils. Tous      cas n’est pas unique et les Allemands le pratiquent à
     les journaux ont publié la citation à l’ordre de l’armée     Nienburg et dans d’autres camps.
     qui a salué cet exploit des deux escadrilles de bombar-          Dans le camp, la situation est très calme, malgré
     diers en piqué de la Marine. Soyez fier. Votre fils y        cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête
     était. Et gardez, comme moi, l’espoir que dans un ave-       des prisonniers dont les instantes demandes d’être mis
     nir proche il pourra vous donner de ses nouvelles.           en contact avec la Croix-Rouge sont systématique-
         Recevez, Monsieur, l’expression de mes meilleurs         ment rejetées.
     sentiments.                                                      Une autre demande, cependant, va être accordée,
                        Signé : Lainé                             sous forme d’un transfert vers un autre camp.
                        Lieutenant de Vaisseau Lainé              L’acceptation est d’ordre administratif, plus que la
                        Commandant l’Escadrille AB4               satisfaction de la demande elle-même. Les officiers de
                        Bureau Central Naval                      marine prisonniers ont en effet demandé d’être trans-

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