MIEUX CONNUES. ET RECONNUES - MALADIES RARES - BLACKSWAN ...
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FOCUS MALADIES RARES MALADIES RARES MIEUX CONNUES. ET RECONNUES. / Les pathologies rares concernent 7,2% de la population helvétique. Les patients et le corps médical se battent pour développer la recherche et les traitements encore insuffisants. / PAR JOËLLE CACHIN 19
«I FOCUS MALADIES RARES l y a autant de personnes souffrant d’une Depuis une dizaine d’années en Europe, les maladies maladie rare que de diabétiques en rares gagnent doucement en reconnaissance: sous Suisse. Pour le diabète, il y a des spécia- l’impulsion d’associations de patients, des plans na- listes, des associations, des traitements: tionaux ont été imaginés pour mettre ces pathologies un réseau de prise en charge parfaitement organisé. isolées sur un pied d’égalité avec les autres. En Suisse, Chez les malades rares, c’est loin d’être le cas.» Pour les maladies rares font leur entrée au Parlement en la présidente de ProRaris, Anne- 2011, sous la forme d’un postulat. Françoise Auberson, le combat En 2014, le Conseil fédéral ins- CHIFFRES pour la reconnaissance des mala- crit le concept national de mala- dies rares est sans repos. L’asso- dies rares dans sa stratégie ciation faîtière dénonce le vrai 5 personnes «Santé 2020». Fixée pour 2017, casse-tête que représentent ces pathologies, souvent négligées sur 10’000 la mise en œuvre accumule déjà deux ans de retard. Il faut dire Taux de prévalence maximum par la science. Peu de patients pour qu’une maladie soit que les défis sont nombreux: par maladie, spécialistes au qualifiée de «rare» mise en place de centres de réfé- lance-pierre, recherches raris- rence, amélioration de l’informa- simes. «Quelle que soit leur ma- / tion et de la prise en charge des ladie, tous les patients souffrent d’un manque d’information, ex- 6’000 patients, sensibilisation et inté- gration psychosociale, finance- plique-t-elle. Il faut entre 5 et 30 ans pour poser un diagnostic et à 8’000 Le nombre de maladies rares ment de la recherche... Le chemin à parcourir est encore long. 95% des maladies rares n’ont connues et répertoriées aucun traitement.» dans le monde / 580’000 Le nombre de personnes souffrant d’une maladie orpheline en Suisse Source: ProRaris et OFS 2017 COMPRENDRE L’un des premiers obstacles reste l’identification pré- LES MALADIES RARES cise de la maladie. L’errance médicale, cette période au cours de laquelle un diagnostic pertinent se fait at- DU DIAGNOSTIC tendre, est souvent due à l’absence de connaissances. AU TRAITEMENT «Les symptômes décrits par les patients sont souvent Une maladie est qualifiée de rare nombreux, sans lien direct les uns avec les autres, re- lorsque moins d’une personne sur lève Andrea Superti-Furga. Cela rend la pose d’un dia- 2’000 en souffre dans le monde. Il y a gnostic long et complexe. Il faut un certain nez pour les pathologies les plus connues, parvenir à identifier une maladie rare.» comme la mucoviscidose, les amyotrophies ou certains types de leucémie. D’autres sont plus obscures: «La À défaut d’y parvenir, les médecins soignent les symp- génétique fait de vous un être humain puissant, ex- tômes séparément, soulagent la douleur et les ca- plique Andrea Superti-Furga, chef du Service de méde- rences. «Les généralistes mettent souvent du temps cine génétique au CHUV. Cependant, il suffit d’un tout à rediriger les malades vers un spécialiste adéquat, petit changement de lettre sur une séquence d’ADN parfois par manque d’information, parfois par or- pour vous détruire d’un coup. Une petite malformation gueil», explique le généticien. Dans certains cas, il cardiaque ou pulmonaire, l’absence d’une seule enzyme arrive que les médecins diagnostiquent des maux psy- peut causer des dégâts irréparables.» Dans 80% des chiques. «Le psychosomatique est très fréquent, mais cas, les maladies rares sont d’origine génétique. Elles pour quelqu’un touché par une maladie organique peuvent être chroniques, dégénératives, fatales. rare, l’étiquette de la psychose est terrible.» 20
FOCUS MALADIES RARES «LES FINANCEMENTS DE LA RECHERCHE NE SONT PAS SUFFISANTS» Par manque de fonds, les traitements contre les maladies rares mettent des années avant de voir le jour. Explications avec le généticien Andrea Superti-Furga. combien de temps faut-il A PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE CACHIN attendre avant qu’un traitement soit trouvé? ASF Le «time gap» entre la découverte de la maladie et l’accès à un médicament fonctionnel est très long. Dans le cas du nanisme, le gène a été identifié en 1995. En 2015, des premiers essais thérapeutiques u printemps 2016, une d’une substance ont été équipe de scientifiques conduits sur des patients lausannois, dont fait adultes. Le résultat positif partie Andrea Superti- a montré une croissance Furga, a découvert une augmentée, mais il a fallu nouvelle maladie qui vingt ans pour que ce provoque un retard de traitement voie le jour! développement sévère et des troubles de la Pourtant ce «time gap» IV croissance osseuse. est bien moins long Le scientifique se dit pour des maladies plus confronté au quotidien communes... à des anomalies géné- ASF Bien sûr. Il y a ce tiques. La difficulté reste que l’industrie phar- à comprendre comment maceutique appelle les elles s’expriment pour «blockbusters». Une parvenir ensuite à mettre sur pied malades. En revanche, trouver des nouvelle aspirine, un médica- un traitement. thérapies, c’est paradoxalement ment contre les allergies, un plus compliqué. traitement pour un certain type IN VIVO Identifier des maladies de cancer. Prenons quelqu’un inconnues, cela arrive souvent IVPourquoi? tombant malade du cancer avec dans la vie d’un généticien? ASF Il s’agit de trouver les finan- un prognostic très mauvais. Six ANDREA SUPERTI-FURGA Ce n’est pas si cements pour des recherches mois à deux ans plus tard, un rare que ça. Mais il demeure un qui concerneront très peu de nouveau médicament entre sur nombre considérable de patients personnes. Le Fonds national le marché ciblant précisément ce dont on n’arrive pas à identifier suisse s’investit, mais les aides sont type de mutation. La médecine de la pathologie. Toutefois, lorsque difficiles à obtenir. Il existe aussi précision en oncologie fonctionne l’on parvient à déceler des des fondations qui financent la bien et se facture extrêmement symptômes similaires chez recherche pour les maladies rares, cher. Les industries exploitent cela plusieurs personnes, on trouve mais ce n’est encore pas suffisant. de manière éclatante. parfois une mutation génétique commune. On est devenu très fort IVDans le cas où un projet de GILLES WEBER ANDREA SUPERTI-FURGA EST LE CHEF DU SERVICE dans la découverte de gènes recherche est accepté et financé, DE MÉDECINE GÉNÉTIQUE AU CHUV 21
FOCUS MALADIES RARES L’identification de la maladie est toujours vécue UN MALADE RARE SUR DEUX comme un soulagement. «Une explication médicale EST UN ENFANT permet d’identifier le coupable. Cela déclenche le pro- Dans les services pédiatriques, les maladies rares font cessus psychologique qui mène à l’acceptation de sa partie du quotidien. Avec des enjeux bien spécifiques. maladie, raconte le médecin. Dans les années 1950, on «Les médicaments pour les maladies rares sont géné- expliquait parfois un handicap génétique en disant que ralement autorisés dès l’âge de 12, 16, voire 18 ans, «le père était ivre au moment de la conception de l’en- explique Michaël Hofer, médecin adjoint respon- fant. Ces explications peu honorables demeurent par- sable de l’Unité romande d’immuno-rhumatologie fois aujourd’hui encore dans l’inconscient collectif.» pédiatrique. La littérature spécialisée est toutefois suffisante pour permettre de prescrire certains médicaments à nos jeunes patients. Il s’agit ensuite Quant aux médicaments destinés au traitement des de négocier avec les assureurs pour faire accepter maladies rares, ils sont eux aussi peu nombreux – la le remboursement du traitement.» demande étant faible. Afin de stimuler le marché et la recherche, les autorités américaines ont établi des me- Autre challenge, la transition des jeunes malades sures incitatives en 1983, sous la forme d’une loi, l’Or- vers la médecine adulte. «L’adolescence est un phan Drug Act, qui stipule que les fabricants de passage délicat. À cet âge, les patients rejettent médicaments dits «orphelins» bénéficient d’une baisse souvent leur maladie ou refusent de prendre leur d’impôt et d’un monopole prolongé. En Suisse, des traitement. Ils veulent croire qu’en arrêtant d’y avantages similaires sont octroyés aux pharmas qui penser, la maladie disparaîtra.» Pour assurer une développent de tels médicaments. Parmi ceux-ci, une transition en douceur, le pédiatre organise des consultations communes avec le futur spécialiste procédure de mise sur le marché simplifiée et moins adulte. «Le but est, d’une part, de construire la coûteuse, ainsi qu’un allégement de la documentation confiance du patient envers le nouveau médecin, scientifique à fournir à Swissmedic, l’institut chargé de et d’autre part, d’assurer la bonne transmission surveiller le marché des produits thérapeutiques. du dossier médical.» Une équipe internationale a récemment mis sur pied une check-list pour la transition. Destinée aux différents services pédia- LE PRIX DES triques, son but est d’améliorer ces transferts. MÉDICAMENTS FAIT DÉBAT UN LONG COMBAT Les scientifiques et CHERS À DÉVELOPPER, POUR LA les médecins parlent DIFFICILES À REMBOURSER RECONNAISSANCE de maladies rares «Les médicaments orphelins depuis une vingtaine dédiés aux maladies rares d’années seulement. coûtent extrêmement cher et D’une absence totale cela ne changera pas. Il faut maintenant trouver un de références à la mise moyen humain de les rembourser.» Anne-Françoise en place d’un concept Auberson pointe du doigt les assureurs qui rechignent national, ces patho- parfois à rembourser des traitements coûteux. logies se font progres- sivement une place dans le monde médical suisse. Le prix des médicaments orphelins fait pourtant débat. Pour Interpharma, association des entreprises pharma- ceutiques suisses, le prix de vente est élevé, car le coût de production l’est aussi. Elle se base sur une étude de l’Office of Health Economics, institut anglais de Création La Suisse intègre Création recherche en santé publique, pour estimer celui-ci à du portail le consortium de 1,3 milliard de francs pour tout type de médicament. Orphanet en d’Orphanet et ProRaris, France. Première commence à association Une somme bien trop importante pour les molécules encyclopédie répertorier les faîtière en ligne des centres de compé- des orphelines, selon d’autres acteurs du milieu. «Ce maladies et des tences présents patients. chiffre est largement exagéré, surtout si l’on prend en spécialistes. sur son sol. compte les avantages financiers octroyés par le statut 1997 2001 2010 de médicament orphelin, estime Andreas Schiesser, responsable du projet médicaments au sein de l’asso- 22
FOCUS MALADIES RARES JEANNE MARTEL «JE ME SUIS CONSTRUITE AVEC CE HANDICAP» Ségoleine Schmutz est née avec une dysplasie spondylo- périphérique, maladie génétique dont l’un des symptômes est la petite taille. «Quand les amis de ma fille de Il y a 11 ans, Ségoleine Schmutz 6 ans me demandent pourquoi je fais et son mari se retrouvent face au cette taille, je leur dis que je n’ai pas dilemme de la grossesse. «J’avais mangé assez de soupe à leur âge!» 50% de risque de transmettre le gène À 43 ans, Ségoleine Schmutz mesure responsable de ma maladie à mon 1 m 32. Elle parle de son physique enfant. La décision n’a pas été évidente avec humour et résilience. «L’accepta- à prendre, mais on s’est lancés tion du regard des autres n’est jamais dans l’aventure malgré tout.» En acquise. Les jours où l’on est fatigué, 2006, elle donne naissance à un gar- c’est dur. Lorsque tout va bien, c’est çon en bonne santé. Le couple adopte plus simple.» À sa naissance, la ensuite une petite fille «pour ne pas Vaudoise souffre de malformations tenter le sort une seconde fois». des jambes et des pieds. «On m’a d’abord diagnostiqué une achon- En 2015, deux étudiantes imaginent droplasie, une maladie des os le plus une association dédiée aux personnes fréquemment responsable d’une de petite taille dans le cadre de leur petite taille. Mais je ne me suis jamais travail de fin d’étude. «Ces jeunes retrouvée dans cette étiquette, car mes femmes ont donné l’impulsion à la traits physiques n’y ressemblent pas.» création de l’Association romande Aujourd’hui médecin-conseil dans des personnes de petite taille, lancée En 2003, un test génétique pose un une assurance sociale, Ségoleine en mai 2016.» Ségoleine Schmutz nouveau diagnostic, une dysplasie Schmutz a dû adapter sa profession à en prend la présidence. «En par- spondylo-périphérique, maladie son handicap, les consultations auprès tageant avec des parents d’enfants génétique qui touche moins d’une des patients étant physiquement trop touchés par la petite taille, je prends personne sur un million. «Je savais contraignantes. Un ajustement parmi conscience du parcours que j’ai moi- que cette révélation ne changerait d’autres. «Les chariots de courses, les même accompli. Car malgré l’arthrose rien au traitement, puisqu’il n’en bancomats, rien n’est adapté pour moi. et les douleurs, je ne changerais rien existe aucun, mais elle a eu un effet Mais avec de la débrouillardise, de à ma situation. Je me suis construite sur l’acceptation de mon handicap.» l’humour et un tabouret, on y arrive!» avec ce handicap.» Première journée suisse Mise en place Le «Ice Bucket Délai fixé pour dédiée aux maladies rares. d’une stratégie Challenge» («défi du la mise en œuvre Fin 2010, un arrêt du Tribunal romande HUG seau d’eau glacée) a du plan national fédéral donne raison à une – CHUV avec la largement contribué à pour les maladies caisse maladie dans sa décision création du portail la visibilité de la maladie rares. Le projet de ne pas rembourser une romand pour les de Charcot: grâce à la accumule deux ans patiente souffrant de la maladie maladies rares. Les participation de multiples de retard. Une de Pompe. Les politiques se deux hôpitaux se célébrités et à une vaste coordination saisissent de la problématique. profilent comme diffusion sur les réseaux nationale est créée Ruth Humbolt (PDC) dépose un futurs centres de sociaux, 100 millions de pour y remédier. postulat devant le Parlement. référence. dollars ont été collectés. 2010 2013 2014 2017 23
FOCUS MALADIES RARES ciation SantéSuisse. Les prix ne sont pas basés sur les EXEMPLES coûts de recherche, mais sur les bénéfices présumés du DE MALADIES RARES médicament sur les patients.» MUCOVISCIDOSE Prévalence Olivier Menzel, président de la fondation Blackswan, 1/8’000 à 1/10’000 selon les pays spécialisée dans la recherche sur les maladies rares, Cause Génétique est du même avis: «La phase la plus coûteuse dans le Symptômes Troubles digestifs et respiratoires. Sécrétions anormales développement d’un médicament est celle des essais et infections des bronches et cliniques. Or, dans le cas des maladies rares, les pa- du pancréas tients impliqués sont tellement peu nombreux que les Traitement Aucun traitement curatif coûts sont réduits de facto.» De son côté, Interpharma SYNDROME DE MARFAN rappelle que les 1,3 milliard constituent une moyenne Prévalence et qu’il existe de grandes différences selon les indica- 1 à 5/10’000 selon les pays tions des médicaments. L’association n’avance cepen- Cause Production insuffisante de fibrilline, protéine composant dant aucun chiffre spécifique aux médicaments le tissu conjonctif orphelins. Olivier Menzel tempère: «Nous devons Symptômes Dilatation progressive aussi faire attention à ne pas complètement castrer de l’aorte et risques de déchirure, les prix des fabricants. Il est important que les firmes insuffisance cardiaque, apparition de vergetures, complications ophtalmiques continuent à investir dans la recherche pour les mala- Traitement Prise en charge multi- dies rares. Simplement, tout le monde devrait jouer disciplinaire le jeu en fixant des marges financières raisonnables, les fabricants et les assurances.» MALADIE DES OS DE VERRE Prévalence 1/10’000 à 1/20’000 selon les pays REMBOURSEMENTS DIFFICILES Cause Génétique Reste qu’avec des prix très élevés, les médicaments or- Symptômes Fragilité et parfois phelins qui ne figurent pas sur la liste des spécialités de déformations osseuses, fractures l’Office fédéral de la santé publique ne sont pas systé- Traitement Par l’orthopédie et matiquement remboursés par les assureurs. Les critères la kinésithérapie pour apparaître sur cette liste étant stricts, les re- MALADIE DE CHARCOT cherches sur les maladies rares, limitées en termes de Prévalence 1/20’000 patients et de spécialistes, n’y répondent pas à tous les Causes Génétique coups. Pour décider d’un remboursement, les assureurs Symptômes Paralysie musculaire se réfèrent alors aux critères énoncés dans l’ordonnance progressive, dégénérescence des motoneurones, insuffisance respiratoire sur les médicaments (OAMal). Le traitement doit être Traitement Aucun traitement efficace, approprié et économique. «Malheureusement, curatif, prise en charge symptomatique lorsque les pharmas augmentent le prix d’un médica- et palliative ment, certaines assurances refusent ensuite de le rem- MALADIE DE STILL CHEZ L’ENFANT bourser, alors que ces traitements sont souvent vitaux Prévalence 1/20’000 pour les patients», déplore Anne-Françoise Auberson. Cause Inconnue, suspicion d’implications génétiques Du côté des assureurs, on admet la complexité de ces Symptômes Fièvres chroniques, remboursements. «Certains cas particuliers sont déli- arthrose précoce et inflammations cats à évaluer, se défend Andreas Schiesser. Quand une systémiques maladie n’est pas mortelle, quand la douleur et les Traitement Principalement anti- inflammatoire inconvénients sont relatifs, où mettons-nous la limite? Rembourser des traitements au prix surfait, ce n’est ATRÉSIE DES VOIES BILIAIRES pas juste non plus pour les autres assurés.» À leur tour, CHEZ L’ENFANT les assureurs se retournent volontiers contre les fabri- Prévalence 1 à 9/100’000 selon les pays Cause Non connue cants: «Prenez le cas du traitement contre la porphyrie Symptômes Obstruction des voies (une affection métabolique rare, lire p. 26). Le labora- biliaires chez le nouveau-né, évoluant toire australien qui a développé le traitement n’a même en cirrhose en quelques mois pas déposé de dossier d’autorisation chez Swissmedic, Traitement Intervention chirurgicale alors que cela permettrait de simplifier les démarches ou greffe de foie de remboursement», déplore Santésuisse. 24
FOCUS MALADIES RARES 0 1 0 5 0 5 Substance admise sur la LS: Substance non admise sur Recherche le remboursement par la LAMal la LS: le remboursement se fait La phase de recherche est assuré. L’OFSP fixe la somme au cas par cas, selon les trois est menée au sein d’un maximale remboursée, après critères fixés par l’ordonnance laboratoire, indépendant, discussion avec les assureurs et sur les médicaments (OAmal): universitaire ou pharma- les fabricants. Pour fixer le prix, efficacité, adéquation et éco- ceutique. La substance active l’OFSP effectue une comparai- nomicité. Le médecin-conseil de est testée sur des animaux son avec les prix à l’étranger, l’assurance évalue chaque cas. (phase préclinique), puis sur et avec ceux de substances des humains sains (phase similaires en Suisse. clinique I), sur quelques malades (phase clinique II) et enfin sur un plus grand Remboursement échantillon de patients L’Office fédéral de la santé (phase clinique III). GENÈSE D’UN publique (OFSP) décide de l’admission, ou non, du MÉDICAMENT médicament dans la liste des spécialités (LS), sur recom- ORPHELIN mandation de la Commission fédérale des médicaments. Avant d’être à la disposition 0 2 du patient, un médicament passe par de multiples étapes de tests et 0 4 d’approbations administratives. Production et commercialisation Le produit final est préparé en vue de sa mise sur le Autorisation marché. Après la commer- Le fabricant soumet un dossier à l’Institut suisse cialisation, des essais des produits thérapeutiques (Swissmedic), destiné à prouver l’efficacité, la qualité et la 0 3 cliniques supplémentaires et une surveillance du sécurité du médicament. Il obtient, ou non, une médicament sont prévus autorisation. Certains laboratoires ne déposent (phase clinique IV). pas de demande. Ils sont malgré tout autorisés à vendre leurs substances quand aucune alternative thérapeutique n’existe. Associations de patients Les différentes associations de patients ainsi que la manifestent auprès de Swissmedic et de l’OFSP pour faîtière ProRaris font pression à tous les niveaux de la simplifier les autorisations de mise sur le marché et les chaîne des médicaments. Ils encouragent laboratoires admissions de médicaments orphelins sur la LS. Ils et fabricants à se lancer dans la recherche pour les négocient les remboursements auprès des assureurs et maladies rares, malgré leur maigre rendement. Ils entourent les patients dans leur quotidien. 25
FOCUS MALADIES RARES «LA LUMIÈRE ME BRÛLE LA PEAU» Nadia Coutellier souffre d’une douleur physique que lui impose Début 2016, le médicament est maladie extrêmement rare: la sa maladie, la protoporphyrie officiellement lancé sur le marché. protoporphyrie érythropoïétique érythropoïétique. En Suisse, près Son prix s’élève à 19’000 francs par (PPE), une intolérance génétique de quatre-vingt patients souffrent dose. L’assurance de Nadia propose à la lumière du jour. Un traite- de la PPE. Selon les cas, quelques de rembourser 7’000 francs. «Je leur ment coûteux existe, mais son minutes d’exposition, même indi- ai expliqué que cela revenait à me remboursement reste incertain. recte, à la lumière suffisent à laisser condamner. J’ai envoyé des lettres, des brûlures pour 4 ou 5 jours. j’ai contacté personnellement le La maladie de Nadia Coutellier a été médecin-conseil, qui m’a soutenue.» diagnostiquée à l’âge de 5 ans. «Je «Quand j’ai appris qu’un traitement Après des mois de négociations et me souviens d’une sortie en famille était en cours de recherche, que de médiatisation, Nadia obtient dans le petit train de Morges. Mes quelqu’un s’intéressait à ma maladie, gain de cause. Le bonheur est de pieds ont commencé à gonfler, à c’était magique.» En 2012, le labo- courte durée. Fin 2016, l’assurance tel point qu’ils ne rentraient plus ratoire australien Clinuvel lance une annonce la fin des remboursements. dans mes chaussures. Je hurlais et phase de test pour un médiacement Nouveau combat, nouvelle victoire, m’accrochais à mon papa, mais le inédit. Nadia reçoit Scenesse, un mais l’épée de Damoclès n’est jamais contact même de sa peau me faisait implant sous-cutané à renouveler loin. Quand Nadia en parle, sa voix mal. Je brûlais.» tous les deux mois. Le changement tremble: «Je ne peux pas envisager est radical: «Maintenant, je peux mon avenir sans ce médicament. À 26 ans aujourd’hui, la jeune travailler, faire des balades à vélo, C’est me renvoyer à l’enfer de mon FRANÇOIS WAVRE / LUNDI13 femme, devenue assistante médicale, skier, sans douleur quotidienne. ancienne vie, me priver d’un avenir. partage ses souvenirs avec émotion. Vivre comme tout le monde. La seule M’empêcher d’être moi-même.» Son enfance et son adolescence lui chose qui peut m’influencer dans ont échappé, dit-elle, à cause des une décision c’est le courage, et non moqueries, des restrictions et de la plus ma maladie.» 26
FOCUS MALADIES RARES Grâce à la révision de l’OAMal, en vigueur depuis mars 2017, la prise en charge au cas par cas a été améliorée, UNE PLATEFORME selon l’avis d’Anne-Françoise Auberson. Sur demande POUR GUIDER du médecin traitant, l’assureur doit se référer à l’avis de son médecin-conseil et donner une réponse dans PATIENTS ET MÉDECINS un délai de deux semaines. «C’est un progrès, mais il Quelque 6’000 pathologies sont répertoriées demeure des différences de traitement selon les can- sur le portail romand d’information sur les tons et il est toujours compliqué de trouver des experts maladies rares (www.info-maladies-rares.ch). Mise sur pied en 2013 par le CHUV et les HUG, à même de donner un avis pertinent.» la plateforme présente les prestations de prise en charge existant en Suisse romande pour chaque pathologie. Une assistance télépho- PLAN STRATÉGIQUE nique intégrée au site permet d’informer et d’orienter patients et spécialistes. En tant que NATIONAL responsable du portail pour les HUG, Loredana MÉDECINS, PATIENTS ET D’Amato Sizonenko souligne le rôle de coordina- POLITIQUES S’ORGANISENT tion que revêt la plateforme: «Nous intervenons «Ce sont les patients qui se sont auprès des spécialistes et les encourageons à pris en main pour sortir de l’iso- travailler ensemble. Il nous arrive d’identifier deux domaines d’expertise qui travaillent sur le même lement et demander des droits, thème sans se consulter. Le but est d’améliorer ces explique Anne-Françoise Au- collaborations et d’assurer leur visibilité.» Le portail berson. Les maladies rares sont arrivées sur la table romand collabore avec l’antenne suisse d’Orphanet, des politiques grâce à un intense travail de lobbying.» plateforme internationale qui regroupe les diffé- Résultat, en 2015, le Conseil fédéral publie un «plan de rentes ressources utiles pour la gestion des maladies mise en œuvre du concept national maladies rares». rares dans une quarantaine de pays, dont la Suisse. La colonne vertébrale du projet est la mise en place de centres de référence. Ces pôles, répartis dans toute la Suisse, doivent être organisés par types de maladie, afin de grouper les compétences et améliorer les syner- gies. «On veut des équipes formées de différents spé- cialistes, cardiologues, pneumologues, psychologues, et HUG ont en effet mis en place une stratégie com- en particulier de généticiens, explique Loredana mune, sous la forme notamment, d’un portail dédié d’Amato Sizonenko, coordinatrice du portail Orphanet aux maladies rares (lire ci-dessus). «Le but de cette en Suisse, partenaire dans la mise en place du plan collaboration était de supprimer les barrières qui national. Certaines de ces prises en charge organisées freinent l’accès à l’information pour les médecins, les existent déjà, il s’agit maintenant d’accorder et de ré- patients et le public.» partir stratégiquement ces compétences.» L’objectif de la collaboration: «Nous comparerons Coordonnés par l’Office fédéral de la santé publique, nos différents services sur la base de critères précis et les acteurs impliqués dans la mise en place du plan chiffrés: combien de patients sont actuellement trai- national sont nombreux: l’Académie suisse des tés, quelles compétences sont présentes de part et sciences médicales, les hôpitaux universitaires, la d’autre, est-ce que l’on publie scientifiquement dans Conférence des directeurs et directrices de la santé ce domaine, etc.» À titre d’exemple, le CHUV a ouvert représentant les cantons, le Fonds national suisse de en 2013 un centre spécialisé dans les maladies molé- la recherche, l’association faîtière des patients ProRaris culaires, reconnu avec celui de Zurich dans le cadre ou encore le portail Orphanet. de la médecine hautement spécialisée. LES HÔPITAUX ROMANDS EN AVANCE «Pour la répartition des centres de référence en «La mise en place du concept prend du retard, dé- Suisse, nous sommes censés procéder selon le «gent- plore Anne-Françoise Auberson. Il y a beaucoup d’in- leman agreement», c’est-à-dire selon les compétences térêts en jeu. ProRaris, qui défend les patients, n’y est déjà présentes dans chaque hôpital. Je me réjouis de qu’une voix parmi d’autres.» Le directeur médical voir comment cela se passera en pratique.» L’objectif adjoint du CHUV, Jean-Blaise Wasserfallen, est étant que, pas à pas, ces maladies ne soient rares confiant et croit au réseau développé par les hôpitaux qu’en termes de prévalence, mais non plus négligées universitaires romands. En 2013, le CHUV et les en matière de prise en charge et traitement. ⁄ 27
FOCUS MALADIES RARES INTERVIEW PROPOS «LE PRIX DES MÉDICAMENTS DEVRAIT ÊTRE FIXÉ EN FONCTION DE LEUR UTILITÉ» RECUEILLIS PAR SOPHIE GAITZSCH Le médecin alémanique Christian Kind appelle les entreprises pharmaceutiques à prendre leurs responsabilités. Les maladies rares sont-elles le parent IN VIVO IVLes traitements pour les maladies rares, pauvre de notre système de santé? lorsqu’ils existent, sont souvent très coûteux. CHRISTIAN KIND Il est difficile de voir les maladies Qui doit payer? rares comme un tout: la seule chose qu’elles ont CK Aujourd’hui, le principe est le suivant: si en commun est leur rareté. C’est un problème l’efficacité du traitement est prouvée, s’il s’agit fondamental. Certaines pathologies rares ne font de l’option la plus économique disponible l’objet d’aucune recherche et les patients sont sur le marché, et si la personne en a besoin, négligés, alors que d’autres sont bien connues alors notre système d’assurance sociale doit et bien traitées, car elles sont intéressantes pour le prendre en charge. les pharmas et ont le pouvoir de faire avancer la recherche. C’est le cas, par exemple, de IV Jusqu’où la communauté doit-elle payer? certains cancers infantiles, pour lesquels l’indus- CKEn Suisse, la solidarité fonctionne dans la tête trie s’engage. Il est facile de rassembler des des gens, elle est même très élevée. La population soutiens et des fonds autour de ces drames qui pense que la communauté doit s’engager financiè- touchent les plus jeunes. D’autre part, il ne faut rement aussi pour des traitements coûteux. pas oublier que certaines maladies qui ne sont pas rares, comme l’infirmité motrice cérébrale IVPourtant, certains malades doivent constam- ou le syndrome de Down (anomalie chromo- ment se battre contre leur assurance pour que somique qui provoque la trisomie 21, ndlr), leur traitement soit reconnu. Comment agir sur soulèvent beaucoup de questions auxquelles on ce point? n’a pas de bonnes réponses, mais n’attirent pas CK Dans des situations similaires, il existe de beaucoup d’attention. Rares ou non, les maladies grandes différences d’une caisse maladie à l’autre. qui n’arrivent pas à trouver une place dans la En ce sens, l’idée d’une caisse unique constitue conscience publique se retrouvent souvent une piste intéressante pour rendre le système dans une situation de «parent pauvre». plus équitable. Mais je pense que le point principal de cette problématique se situe au niveau de Regard éthique l’industrie. Les prix pratiqués pour les traitements Christian Kind a présidé la ne sont que partiellement justifiés par les coûts de Commission centrale d’éthique développement. Aujourd’hui, il est important que de l’Académie suisse des les entreprises pharmaceutiques prennent leur sciences médicales de 2009 part de responsabilité. à 2016. Professeur en pédiatrie, il a occupé le poste de Comment faire pour que les sociétés IV médecin-chef à l’Hôpital des pharmaceutiques changent d’attitude? enfants de Suisse orientale, CK Des éthiciens et des philosophes appellent à à Saint-Gall, jusqu’en 2012. Il est coauteur d’un ouvrage la création d’un modèle international dans lequel sur les diagnostics prénataux le prix des médicaments serait fixé en fonction et préimplantatoires intitulé de leur utilité et non de leurs coûts de développe- «Sélectionner ou accepter?» ment. Dans un tel système, les sociétés pharma- paru en 2010. ceutiques ne seraient plus libres de fixer leurs prix 28
FOCUS MALADIES RARES Christian Kind a présidé la Commission centrale d’éthique pendant sept ans DR comme elles le font aujourd’hui. Le fonctionnement progressif et des difficultés respiratoires, ndlr) actuel manque de transparence. Mais si l’on rendu en 2010, par exemple, Le Tribunal fédéral compare avec les prix pratiqués à l’étranger, on a souligné que le montant nécessaire pour remarque que l’industrie en Suisse a beaucoup soulager de manière limitée une personne de marge de manœuvre. Cette idée serait atteinte de cette pathologie pourrait financer un évidemment difficile à mettre en œuvre et reste meilleur traitement pour de nombreux patients pour l’instant théorique, mais elle déboucherait souffrant de problèmes respiratoires chroniques sur un modèle plus durable. Actuellement, de d’une autre nature. nouveaux médicaments hors de prix arrivent chaque jour sur le marché et les entreprises Constatez-vous une évolution positive IV pharmaceutiques dégagent des sommes folles. dans la perception des maladies rares? On ne peut pas continuer ainsi. CK On en parle beaucoup plus que par le passé, ce qui est une bonne chose. Malgré tout, les IVSerait-il possible de rentabiliser malades doivent encore souvent parcourir un différemment les sommes investies pour long chemin jusqu’à ce qu’un diagnostic soit posé. le développement de tels médicaments? J’espère que le développement de plateformes CK La somme employée pour traiter une seule d’information, prévues par le concept maladies personne atteinte d’une maladie rare pourrait rares de la Confédération (lire p. 27), permettra en principe servir à couvrir les frais de nombreux une amélioration sur ce point et que les patients malades pour une pathologie semblable avec trouveront plus rapidement le meilleur spécialiste des traitements meilleur marché. Dans un pour s’occuper d’eux. Quant au manque de arrêt sur le traitement de la maladie de recherche autour de certaines pathologies, je Pompe (une maladie génétique qui provoque suis plus sceptique. L’industrie va là où se trouvent notamment un affaiblissement musculaire les profits, et cela sera difficile à corriger. ⁄ 29
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