Modélisations, Observations : Contribution à la dynamique fine échelle de la Méditerranée Nord-Occidentale

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Modélisations, Observations : Contribution à la dynamique fine échelle de la Méditerranée Nord-Occidentale
Modélisations, Observations :
 Contribution à la dynamique fine échelle
 de la Méditerranée
 Nord-Occidentale
 Pierre Garreau

 Habilitation à Diriger des Recherches
 Soutenue le 14 juin 2021
 Jury :

 Hervé Giordani : Rapporteur, Chercheur CNRM-GAME (Meteo France)
 Phillippe Fraunié : Rapporteur, Professeur émérite, Université de Toulon (MIO)
 Xavier Durieu de Madron : Rapporteur, Directeur de Recherche CNRS, Université de Perpignan (CEFREM)
 Anne-Marie Tréguier : Rapporteur, Directrice de Recherche, IUEM (LOPS)
 Anne Petrenko : Maitre de Conférence, Université de Marseille (MIO)
 Pascal Lazure : Chercheur Ifremer (LOPS)
 Guillaume Roulet : Professeur, Université de Bretagne Occidentale (LOPS)

ODE/LOPS/OC
Pierre GARREAU
Date : 14/06/2021
Modélisations, Observations : Contribution à la dynamique fine échelle de la Méditerranée Nord-Occidentale
Modélisations, Observations : Contribution à la dynamique fine échelle de la Méditerranée Nord-Occidentale
Table des matières
1 Avant-Propos ...................................................................................................................... 5
2 Introduction ........................................................................................................................ 6
3 Dynamique de la Marée : D’une approche théorique à la modélisation réaliste................. 9
4 La modélisation Côtière : de la production de services à l’outil de recherche ................... 12
 4.1 Le contexte de l’océanographie opérationnelle .......................................................... 12
 4.2 La configuration MENOR ............................................................................................ 12
 4.3 Des recherches à finalités opérationnelles.................................................................. 14
 4.4 Le modèle : un outil de recherche pour comprendre les processus ............................. 17
 4.5 Une approche pluridisciplinaire assumée ................................................................... 19
 4.5.1 Application de la modélisation au recrutement de petits pélagiques ................ 19
 4.5.2 Vulnérabilité des gorgones aux effets du changement climatique..................... 20
 4.5.3 Modélisation numérique des écosystèmes ....................................................... 22
 4.5.4 Dynamique sédimentaire et les micro-plastiques.............................................. 23
5 Contribution à l’observation de la Méditerranée Nord Occidentale. ................................ 27
 5.1 Circulation en Méditerranée Occidentale ................................................................... 27
 5.1.1 Circulation générale et masses d’eau................................................................ 27
 5.1.2 Dynamique méso-échelle ................................................................................. 29
 5.1.3 Dynamique sous-méso-échelle ......................................................................... 30
 5.2 Observer la méso et la sous-mésoéchelle en Mediterrannée ...................................... 31
 5.2.1 La campagne IMEDIA ........................................................................................ 33
 5.2.2 Les campagnes Protevs-MED avec le SHOM...................................................... 34
 5.2.3 Un jeu original de données de bouées dérivantes ............................................. 40
 5.2.4 Autopsie d’un tourbillon à deux cœurs ............................................................. 41
 5.2.5 Nature du Front Nord des Baléares................................................................... 45
6 Vers une modélisation explicite de la convection profonde dans les modèles régionaux . 48
 6.1 Convection, modèle numérique et instabilité de grille ................................................ 49
 6.2 Modéliser des plumes réalistes .................................................................................. 52
 6.3 Introduction du détrainement de la vitesse verticale.................................................. 54
 6.4 Paramétrisation de la diffusion horizontale : les LES ................................................... 56
 6.5 Résultats du cas idéalisé avec une approche Quasi-Non Hydrostatique (QNH)............ 57
 6.6 Effet du vent : les rouleaux d’Ekman .......................................................................... 60
 6.7 Effet des termes de Coriolis « non-traditionnels » ...................................................... 61
 6.8 Effets de la profondeur de convection ........................................................................ 62
 6.9 Comparaisons avec une approche Non-Hydrostatique (NH) ....................................... 63

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6.10 Visualisation des plumes de convection ...................................................................... 64
 6.11 Conclusions ................................................................................................................ 66
7 Projets de Recherche et conclusion générale .................................................................... 68
 7.1 Méso-échelle et sous-méso-échelle : des jeux de données exceptionnels à valoriser .. 68
 7.2 Vers une modélisation plus explicite des échanges convectifs .................................... 69
 7.3 Dynamique au-dessus des pentes continentales : approches pluridisciplinaires .......... 70

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1 Avant-Propos

J’ai conscience de la singularité de cette candidature, plutôt tardive, à une Habilitation à Diriger des
Recherches. Il ne s’agit pas pour moi de jeter ici les bases d’un projet de recherche à 10 ans, mais
de confirmer une évolution de carrière désormais orientée vers une recherche académique, après
avoir expérimenté plusieurs concepts au gré des politiques scientifiques de mon Institut, de ses
réorganisations internes (recherches appliquées, réponse à la demande sociale, océanographie
opérationnelle, recherche académique) et de mes centres d’intérêts successifs (modélisation
numérique, études de processus, campagnes en mer). Mon objectif immédiat est de pouvoir
encadrer directement une thèse et plus précisément de soutenir les projets des plus jeunes de mes
collègues en participant aux encadrements de leurs doctorants.

La soutenance d’une HDR est aussi pour moi une façon de contribuer à la vie scientifique du
laboratoire et une façon d’inciter mes jeunes collègues à la « passer ». Malgré l’importance des
échanges dans le processus de recherche, les occasions de communiquer sur nos travaux en interne
dans les laboratoires restent relativement rares. Les soutenances d’HDR comblent en partie ce
manque.

Au-delà du « rite de passage » qui peut paraître dépassé dans une communauté où l’évaluation par
ses pairs est omniprésente et basée sur des performances chiffrées, cet exercice peut être
l’occasion de sortir des stratégies comptables (saucissonnages des résultats, recherche de
communautés de publiants, co-encadrements très distants, etc.) pour faire un bilan sur le fond de
son activité et dessiner des pistes de recherche.

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2 Introduction

J’ai soutenu une thèse à l’Université de Bretagne Occidentale en 1991 sur le passage de la marée
au-dessus du plateau continental (Garreau 1991). Embauché la même année à l’Ifremer dans le
laboratoire LHS (Laboratoire Hydrodynamique et Sédimentaire) du département Environnement
Littoral et Gestion du Milieu Marin et intégré au programme européen FLUXMANCHE, j’ai d’abord
exploité la modélisation numérique naissante à l’échelle de la Bretagne, de la Manche et de la Mer
Celtique et développé dans ce cadre une approche pluridisciplinaire.

En 1996, le LHS a été intégré dans un Service d’Applications Opérationnelles avec pour objectif de
mettre la modélisation numérique de l’océan côtier au service de la demande sociétale, des
laboratoires côtiers de l’IFREMER et des études d’impacts que l’institut pouvait être amené à y
réaliser. La faiblesse, voire l’inexistence, de l’approche par modélisation numérique des études
d’impact en Méditerranée (Mer Ligure, Corse, Golfe du Lion), associée à une volonté politique de
réinvestir l’espace méditerranéen a conduit l’Institut à me confier la tâche de développer une
modélisation régionale de la Méditerranée Nord-Occidentale, de penser la descente d’échelle
jusqu’aux baies, d’y associer les bureaux d’études privés et de former dans les laboratoires côtiers
Ifremer de Méditerranée des ingénieurs capables de maîtriser un tel outil. Des contrats ont alors
été successivement passés pour ce faire avec l’Agence de L’eau Rhône Méditerranée Corse, les
Pôles de compétitivité « Mer » et la région PACA. Durant cette période, j’ai assumé essentiellement
les fonctions d’ingénieur d’étude et de chef de projet.

La création en 2006 d’un laboratoire de Physique et transport Sédimentaire (PHYSED) dont j’ai pris
la responsabilité jusqu’en 2011 au sein d’un département Dynamique de l’Environnement Côtier
(DYNECO) de l’Ifremer avait entre autres missions celle de construire le système national de
modélisation opérationnel côtier PREVIMER et d’en conforter la qualité par des actions de
recherche. Le va-et-vient entre un service de qualité, l’exigence d’un code numérique dans l’état
de l’art et les observations nécessaires à la validation se sont avérés être un moteur de recherche
collective puissant, rapprochant peu à peu notre activité du monde académique. Comment
prétendre modéliser la circulation de l’environnement côtier sans vérifier que les processus
physiques sont soit exactement reproduits, soit correctement paramétrés ? Comment prétendre
faire de l’océanographie côtière opérationnelle sans se donner les moyens de vérifier par la mesure
la consistance de nos modèles ? Nous avons à l’époque construit et proposé à l’évaluation AERES
de 2007 une stratégie basée sur les couples « modélisations-observations » et « applications-
recherches » en théorisant ce que nous vivions au quotidien : « la volonté de construire un service
opérationnel de qualité nous impose d’avoir une activité de recherche ». C’était une démarche
radicalement différente du modèle développé au même moment en hauturier où le service et la
mise en œuvre étaient dévolus au consortium MERCATOR et la recherche « amont » aux équipes
universitaires et CNRS. Durant cette période, j’ai vu le laboratoire croître fortement, porté par cette
dynamique jusqu’à atteindre la quinzaine de permanents et un nombre identique de thésards,
post-docs, cdds, sous-traitants. C’est à cette époque que le code MARS3D construit à l’origine par
Pascal Lazure (Lazure and Dumas, 2008) est sorti de sa relative confidentialité pour diffuser dans
les autres équipes de l’Ifremer, dans quelques laboratoires universitaires et dans de nombreux
bureaux d’études. Le code a fait un bond en avant par sa réorganisation complète en Fortran90,
par l’introduction d’une parallélisation MPI-OpenMP, par l’adaptation de son schéma temporel par
l’INRIA, par l’adjonction d’opérateurs peu diffusifs, par l’implémentation de zoom Agrif « two way »,
par l’utilisation d’interfaces de lancement, par la création d’outils de post et de prétraitement etc.
Par ailleurs notre ouverture aux actions de recherches pluridisciplinaires s’est concrétisée par le

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couplage du modèle hydrodynamique avec différents modules sédimentaires, biologiques,
chimiques, halieutiques et une coopération active avec nos collègues des autres disciplines. Cela a
été aussi le moment où nous avons été parties prenantes de nombreuses ANR, nous ouvrant petit
à petit à la communauté nationale de l’océanographie côtière. Previmer était un
« démonstrateur ». Nous avons fait la démonstration que nous maîtrisions techniquement la chaîne
de production, scientifiquement la qualité des résultats et la recherche associée et
« sociétalement » le transfert de compétences et le soutien aux bureaux d’études. Cependant, il
restait à faire un pas pour consolider cet acquis et pérenniser ce service opérationnel… qui ne fut
pas fait. Les organismes de tutelles ont décidé de ne pas continuer. L’ifremer nous a demandé de
mettre fin à ce projet.

Ce revirement stratégique de mon Institut concernant la modélisation côtière opérationnelle a créé
des ruptures individuelles et collectives dans le laboratoire PHYSED qui se sont cristallisées lors de
l’élaboration de projet AERES de 2012 sur la place et le rôle de la physique dans un département
d’environnement côtier. Concrètement, il s’agissait de savoir où placer le curseur entre une activité
de modélisation au service de la pluridisciplinarité et le développement d’une recherche amont sur
les processus dynamiques. Dans le même temps, le LPO (laboratoire d’Océanographie physique)
regroupant des agents Ifremer, CNRS et des universitaires envisageait son élargissement vers la
télédétection et l’océanographie côtière. Humainement et scientifiquement il fallait tourner la
page et j’ai proposé de rejoindre ce nouveau Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale
(UMR 6523) pour y renforcer une activité de recherche en océanographie physique côtière. Dans
ce cadre, j’ai pris à l’époque la responsabilité du laboratoire Océan-Côtier et l’animation de
l’élaboration de la prospective pour l’échéance HCERES de 2016. Après la rédaction du bilan pour
la récente visite HCERES de mars 2021, je viens de transmettre mon mandat de responsable
d’équipe. Me voilà donc pour les 5 ans qui viennent sans considérations de carrière, de
performance ou de responsabilités autres que celles de mener une recherche approfondie et de
soutenir l’encadrement de mes collègues plus jeunes.

Dans le document qui suit, je reprends d’abord l’essentiel de mes activités scientifiques en
focalisant sur certains résultats. Ceux qui voudront avoir une vue exhaustive de mes activités
consulteront la bibliographie. A deux-trois exceptions près, les illustrations sont toutes issues de
mes travaux ou des publications de collègues ou étudiants auxquelles j’ai fortement contribué. Les
publications auxquelles je suis associé apparaissent en gras dans le texte.

Comme beaucoup, j’ai accompagné les progrès de la modélisation numérique de l’océan. Ma
participation aux programmes européens FLUXMANCHE I, FLUXMANCHE II et aux exercices de
comparaison de modèles NOMADS I et NOMADS II m’ont ouvert à la communauté de la
modélisation côtière européenne (modèles DELFT3D (Pays-Bas), POLCOMS (UK), COHERENS
(Belgique), etc.). Cela m’a amené à rejoindre le groupe JONSMOD (Joint Numerical Sea MODeling)
dont j’ai organisé le congrès à Brest en 2012. Plus tard, j’ai pris la responsabilité d’animer le groupe
de modélisateur de MONGOOS (la déclinaison méditerranéenne de euroGOOS) et d’en organiser
le workshop à Split en 2019.

Il faut se rappeler que la modélisation bidimensionnelle de la marée côtière et ses implications non-
linéaires étaient encore un challenge au début des années 90 et que les premiers modèles
tridimensionnels restaient rudimentaires faute de puissance de calcul disponible. La modélisation
numérique ne convainquait d’ailleurs pas toute la communauté. Il fallait se frayer un chemin entre
les certitudes de certains modélisateurs qui pensaient avoir tout résolu (ou pouvoir tout résoudre),
l’assurance des observateurs qui pensaient détenir la vérité expérimentale et les tenants des
approches théoriques et conceptuelles sans lesquelles il n’y avait pas de « vraie science ».

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Aujourd’hui, ces antagonismes sont dépassés et la complémentarité de ces approches est patente.
Les allers et retours entre ces trois pôles sont féconds, chacun questionnant l’autre.

L’Ifremer est un institut pluri-disciplinaire, et j’ai été souvent sollicité par des collègues biologistes,
halieutes, sédimentologues ou chimistes pour apporter une compétence d’hydrodynamicien à
leurs études. Cette culture d’océanographie côtière générale acquise à leur côté m‘accompagne
toujours au quotidien.

J’ai ensuite eu la chance d’être impliqué dans des campagnes d’observations à très fines échelles
en coopération avec le SHOM, renouvelant pour moi la vision que j’avais de la circulation en
Méditerranée Nord-Occidentale. La méso-échelle et la sous-méso échelle sont présentes partout
dans cet océan miniature et ne sont pas de simples écarts à une circulation moyenne ; elles
l’organisent.

Enfin, dans le cadre du projet HYMEX et d’une de ses déclinaisons (l’ANR ASICS), j’ai été confronté
à la modélisation de l’épisode convectif de l’hiver 2012-2013 en Méditerranée Nord-Occidentale.
Dans un premier temps, la question centrale pour simuler cet évènement particulièrement observé
a été la bonne reproduction des masses d’eau avant la convection, l’évaluation correcte des pertes
de flottabilité en surface puis le volume d’eau dense formé. Cependant, Il m’est vite apparu qu’il
devenait de moins en moins légitime d’approcher la convection par un mélange forcé quand la
résolution des modèles s’approchait de celle nécessaire à la simulation de cellules convectives. Je
propose donc dans ce document une approche originale, en cours de publication, pour simuler
explicitement les mouvements verticaux dans nos modèles classiques. J’y introduis une formulation
quasi-non-hydrostatique qui devrait élargir le champ d’utilisation de la modélisation.

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3 Dynamique de la Marée : D’une approche théorique à la
 modélisation réaliste.

La marée sur les plateaux continentaux est d’abord un mouvement purement oscillant dont les
périodes sont imposées par le mouvement des astres et de la terre. Dans les années 70-80, il est
apparu que la marée générait également des courants résiduels par interaction avec la côte ou la
topographie. Ainsi, derrière un cap, se développent des tourbillons résiduels parfois révélés par
l’imagerie satellite. Si les causes de ces courants ne font aucun doute : lorsque le mouvement
devient suffisamment non-linéaire (courants importants, accidents topographiques, rupture dans
le trait de côte), il se crée des courants et des élévations résiduelles ainsi que des harmoniques
supérieures. Les termes sources de ces courants résiduels étaient bien identifiés dans les équations
du mouvement (les termes d’advection des moments, du niveau et éventuellement d’une
expression non linéaire du frottement sur le fond), mais le calcul de ce courant résiduel restait à
préciser. Ce processus, connu sous le nom de rectification de la marée a donné naissance à une
littérature scientifique pour tenter d’en démêler les mécanismes. Zimmerman (1981) en fait la
revue, discute de l’importance de ces phénomènes pour la géomorphologie (l’organisation des
bancs sédimentaires) et introduit l’importance du rapport entre l’excursion de marée et l’échelle
horizontale de la topographie. Loder (1980) et Huthnance (1981) proposaient un calcul du courant
résiduel faisant appel à des formulations linéaires ou quadratiques du frottement. Le résultat
proposé est alors troublant : l’intensité du courant résiduel est fonction de la loi de frottement
utilisée dans les équations bidimensionnelles alors que cette dernière loi est une simplification
radicale des processus dissipatifs. Le talus continental du nord du Golfe de Gascogne, à l’ouvert de
la Manche, est caractérisé par des courants de marée qui peuvent varier, à son sommet, de 0.3m/s
en morte-eau à 0.7 m/s en vive-eau ; les non-linéarités y sont donc importantes et la question d’un
transport de masse dû à la marée le long du talus était (et reste en grande partie) une question
ouverte. L’objet de ma thèse (Garreau, 1991), publié dans Garreau and Maze (1992) a consisté dans
un premier temps à calculer les caractéristiques (hauteur, courants) de la marée barotrope linéaire
au-dessus d’un talus idéalisé par une pente constante, puis d’estimer par une méthode de
séparation et de troncation d’harmoniques le courant résiduel eulérien généré sur la pente
continentale par les termes non-linéaires. Il est alors apparu que ce dernier compensait
pratiquement totalement la dérive de Stokes et qui plus est conservait la vorticité potentielle d’une
colonne d’eau au cours de son déplacement. Avec cette prise en compte plus poussée des termes
non-linéaires, la marée génère bien un courant résiduel eulérien le long du talus qui tend à annuler
le transport net (lagrangien) de masse Figure 1.

Ces résultats sont en accord avec les observations in situ faites lors des campagnes ONDINE 85 ou
depuis avec le comportement de bouées dérivantes passant au-dessus du talus (Charria et al.,
2013). Ils ont soulevé une petite controverse scientifique entre les tenants de la nécessité
d’introduire le frottement pour lever la dégénérescence géostrophique et ceux partisans d’une
prise en compte plus exhaustive des termes non-linéaires. Mazé (1998) proposera une solution plus
complète, et démontrera la faiblesse des approches liées à la paramétrisation du frottement.

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Modélisations, Observations : Contribution à la dynamique fine échelle de la Méditerranée Nord-Occidentale
Figure 1 : Comparaison des dérives lagrangienne au sommet du talus (x=0) obtenues avec les différents
modèles de marée non linéaire (Garreau and Maze, 1992). Le talus est caractérisé par une pente constante
de 10% entre la plaine abyssale (800m) et le plateau (200m)

Ce travail, plutôt analytique et théorique me préparait à la « révolution numérique » de l’époque :
la modélisation de la marée non-linéaire en milieu côtier. Lorsque les résolutions horizontales ont
permis de prendre en compte l’excursion de marée, les échelles horizontales de la topographie et
plus généralement les effets non-linéaires, une approche lagrangienne barycentrique peut être
développée pour visualiser les lignes de courants représentant le déplacement à long terme des
masses d’eaux (Salomon et Breton 1993). Appliquée au littoral de la Bretagne-Nord cette méthode
a permis d’approcher les caractéristiques physiques favorables à l’eutrophisation en Baie de
Lannion et au recrutement de coquilles Saint-Jacques en Baie de Saint-Brieuc (Garreau, 1993). Le
concept a ensuite été étendu en 3D (Salomon et al., 1996). Cette définition étant purement
cinématique, le champ de vitesse obtenu n’est généralement pas conservatif et une correction de
ce champ s’impose dès lors que l’on veut exploiter ces courants dans une équation d’advection-
dispersion de traceur. Cette précaution prise, cette méthode s’est avérée très efficace dans l’étude
des flux de radionucléides entre la Mer d’Irlande, la Manche (dans lesquelles sont effectués les
rejets des usines de retraitement) et la Mer Celtique (Garreau and Bailly Du Bois, 1997). Nous avons
en particulier mis en évidence le rôle saisonnier du vent dans les schémas de circulations résiduelles
en Mer Celtique et montré l’alternance entre les entrées d’eaux côtières de la mer Celtique (en
été) et d’eau océanique du large (en hiver) dans la Manche.

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Figure 2 : Schéma de circulation et fonction de courant déduites de l’approche lagrangienne barycentrique à
l’ouvert de la Manche. Situation estivale (a). Situation hivernale (b). (Garreau and Bailly Du Bois, 1997).

Ces schémas de circulation ont également permis de répondre aux questions posées par l’arrivée
de bouffées « radioactives » observées en mer d’Iroise dans les années 80-90 et à l’ouvert de la
Manche et de réfuter l’hypothèse d’un transport depuis l’usine de retraitement de la Hague. Ce
sont les eaux de la Mer d’Irlande affectée par les rejets l’usine de Sellafield (Windscale) au pays de
Galles qui se présentent soit directement soit en faisant le tour de l’Irlande à l’ouest de la Manche.
Le front entre la Mer Celtique et la Mer d’Irlande est une vraie question encore discutée de nos
jours dans des problématiques de connectivité. Poussant plus loin encore ce concept de circulation
résiduelle lagrangienne, j’ai alors conçu pour mes collègues biologistes des écosystèmes une
approche simplifiée leur permettant d’explorer leurs modèles NPZD à haute résolution (Hoch and
Garreau, 1998). Il s’agissait d’un couplage entre l’advection horizontale par le courant résiduel
lagrangien rendu non-divergent et un modèle unidimensionnel vertical de thermocline. Cette
simplification, valide dans les environnements méga-tidaux, a permis une première modélisation
haute résolution de la production primaire dans la Manche, inaccessible à l’époque par une
simulation tridimensionnelle complète devenue courante aujourd’hui. Le calcul parallèle n’était pas
une option accessible. Une résolution de deux miles nautiques a permis de s’affranchir de la norme
de l’époque que représentaient les « box model » et d’affiner notre perception des processus
biologiques. Bien sûr, nous étions encore loin de la résolution qui aurait permis la prise en compte
de la dynamique frontale et des mouvements verticaux induits. Cependant, dans un tel
environnement mégatidal, il n’était pas abusif de considérer les échanges verticaux uniquement
comme la combinaison du mélange local dû au vent et à la marée, advecté par le courant résiduel
lagrangien tel que nous l’avions défini. De même, nous avons considéré que la rectification de la
marée et le forçage direct du vent étaient seuls responsables d’une circulation moyenne, négligeant
la part de la dynamique purement géostrophique. Ce travail a abouti à l’introduction des échanges
de chaleur, de masse et de moment à l’interface air-mer dans le code hydrodynamique Mars3D
développé au laboratoire (Lazure and Dumas, 2008).

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4 La modélisation Côtière : de la production de services à
 l’outil de recherche

 4.1 Le contexte de l’océanographie opérationnelle
Les années 2000 ont d’abord été consacrées à la construction d’une modélisation réaliste de la
Méditerranée Nord-Occidentale et à la mise au point de techniques de downscaling pour répondre
à un appel d’offre de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. L’objectif scientifique et
sociétal était alors de comprendre et simuler finement la circulation côtière le long du littoral
métropolitain, de proposer un code de modélisation utilisable par des bureaux d’études pour
construire des zooms locaux et permettre de réaliser des études d’impact. On mesure mal, à
présent, le défi que représentait cet objectif tant étaient balbutiante la modélisation globale en
Méditerranée comme en témoigne la synthèse réalisée dans le cadre de Medmex (Beckers et al.,
2002) et peu maitrisées la descente d’échelle ou la gestion des conditions limites ouvertes dans des
modèles à surface libre. Cette période est marquée par la réalisation de contrats d’étude pour
l’Agence de l’eau RMC (Plateforme de Modélisation en Méditerranée), la région PACA (projet
SOCOM, Système Opérationnel Côtier en Méditerranée) ou les pôles de compétitivité Mer, qui se
sont concrétisés par la construction progressive de la configuration de modélisation MENOR (Andre
et al., 2005a, 2005b ; Garnier et al., 2014). Parallèlement, j’ai organisé le transfert et l’installation
du code Mars3d dans une dizaine de bureaux d’études, formé leurs ingénieurs et conseillé les
donneurs d’ordre. La montée en puissance de la modélisation opérationnelle à l’échelle océanique
(le projet Mercator) a conduit l’Ifremer à animer l’équivalent côtier, le projet Previmer dans le cadre
d’un contrat de plan avec la région Bretagne. Prévimer fournissait un service de modélisation
régionale sur les différentes façades maritime. J’ai dans ce cadre construit, amélioré et mis à jour
le modèle de la Méditerranée Nord-Occidentale de Previmer (Garnier et al., 2014). Celui-ci est
toujours actif, toujours utilisé tant par la communauté des chercheurs que par des utilisateurs
privés ; les résultats des simulations produites avec ce modèle restent disponibles dans un cadre
de valorisation des produits de la recherche du laboratoire sur le site MARC (Modélisation
Appliquée à la Recherche en océanographie Côtière) :

https://marc.ifremer.fr/resultats/temperature_et_salinite/modele_mars3d_mediterranee.

La demande sociétale, elle, ne s'est pas arrêtée avec la fin de PREVIMER. Aujourd'hui encore
nombreux sont les particuliers ou les acteurs privés à consulter le site pour des activités récréatives
ou économiques. Les laboratoires de recherche le consultent également pour avoir une vue
synoptique de la circulation complémentaire de la télédétection lors de campagnes en Mer.

Les liens avec la communauté de l’océanographie opérationnelle ont été maintenus jusqu’à ce jour
dans le cadre des réseaux MONGOOS et d’EUROGOOS ; ils structurent aussi en Méditerranée une
partie de la communauté académique en modélisation (Umgiesser et al., 2018) ou en stratégie
d’observation (Tintoré et al., 2019). Ils restent importants pour le laboratoire même si la
modélisation opérationnelle et la prévision de la circulation côtière ne sont plus au centre de mon
activité.

 4.2 La configuration MENOR
Le modèle MENOR (pour MEditerranée NORd-occidentale) que nous avons construit a évolué au
cours du temps et s’est stabilisé dans une version de MARS3D avec une résolution horizontale de

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l’ordre de 1.2 kilomètres, suffisante pour une prise en compte raisonnable des processus de
circulation générale et méso-échelles puisque que les rayons de déformation sont estimés dans
cette zone entre 6 et 16 km. La discrétisation verticale est réalisée par un système de coordonnées
sigma généralisées (typiquement 60 niveaux) permettant une représentation optimisée des
couches de surface et de fond, même au-dessus de la plaine abyssale. Le choix, fait très tôt de
paramétrer la diffusion horizontale de quantité de mouvement par une approche de type
Smagorinsky (Smagorinsky, 1963), associé à l’introduction dans le code d’opérateurs d’advection
performants (Quick, Quickest) a permis une bonne simulation des fines échelles. La turbulence sur
la verticale est gérée par une implantation du model GLS - Generic Length Scale - (Umlauf and
Burchard, 2003). La condition limite ouverte au sud (à 49.5°N) a été pensée de manière à conserver
l’intégrité de la circulation de la moitié nord du bassin méditerranéen occidental. La condition limite
au sud est réalisée par la prescription des champs de courants, du niveau de la surface libre et des
températures et salinités provenant du système opérationnel européen Copernicus ou des
modèles de la communauté nationale (Mercator, Meteofrance), après une interpolation
spatiotemporelle. En surface, les échanges de chaleur et de moment sont évalués en utilisant par
exemple le modèle Arpège haute résolution de Météofrance. Il s’agit d’un forçage estimant les flux
suivant l’algorithme proposé par Fairall et al. (2003).

Les facilités de zoom « two way » Agrif (Debreu et al., 2008) ont été implantés dans le code MARS3D
et mises en œuvre dans les différentes configurations de MENOR. Ainsi deux zooms imbriqués
permettent de descendre en résolution à 400m puis 120m couvrant successivement le Golfe du
Lion étendu et la zone de convection profonde. Une autre configuration Agrif existe sur la zone du
Canal de Corse et la Mer Ligure. Une troisième a été construite autour du canyon de Cassidaigne.

Le downscaling, largement utilisé pour la modélisation côtière et régionale, est soumis à un
paradoxe. On souhaite réaliser une simulation à très haute résolution d’une portion limitée de
l’océan, du plateau continental. Si le domaine est trop petit, la simulation sera trop contrainte par
des conditions limites moins résolues et ne pourra pas développer sa propre dynamique, ses
propres échelles. On obtient au mieux une sorte d’interpolation du modèle parent. Mais, dès que
le domaine s’étend, les simulations de longues durées s’écartent fatalement de la simulation «
parent » qui est généralement contrôlée par une assimilation de données. La pénurie de données
à l’échelle locale prévient malheureusement toute tentative d’assimilation efficace dans les zooms.

La solution souvent adoptée dans la communauté de l’océanographie opérationnelle est une
réinitialisation régulière hebdomadaire ou mensuelle du modèle régional. L’inconvénient majeur
de cette approche est l’instauration d’une période transitoire à (trop) forte activité méso-échelle ;
le modèle adapte les conditions initiales à sa physique en générant une solution séduisante mais
suspecte. Comme souvent en modélisation océanique, la solution vient de la communauté des
atmosphériciens et nous avons introduit et testé une méthode de « spectral nudging » dans la
configuration MENOR (Herbert et al., 2014 ; Herbert et al., 2013). Seules les grandes échelles
spatiales et temporelles du zoom sont relaxées vers la dynamique du modèle global « parent ».
Concrètement, en mode opérationnel, la configuration MENOR simule une première fois lors d’un
« run libre » une période d’une semaine. La différence en température et salinité avec le modèle
parent est alors moyennée temporellement sur cette fenêtre, puis filtrée spatialement pour ne
garder que les différences à grandes échelle. Dans un deuxième temps, un « run nudgé » est
relancé sur la même période corrigeant par un algorithme de relaxation la température et la salinité
à partir des différences à grandes échelles observées lors du run libre. A la fin de cette fenêtre
temporelle, de nouvelles conditions initiales sont disponibles pour le cycle hebdomadaire suivant.
Cette méthode a l’avantage de la simplicité, d’un coût informatique faible et de la robustesse. Elle

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est mise en œuvre depuis plusieurs années dans PREVIMER puis dans MARC pour la version
opérationnelle et tourne sans que l’on observe de dérive en température, salinité ou circulation
globale avec le modèle parent. Nous avons montré également qu’une telle approche n’amortissait
pas les fines échelles et que le spectre d’énergie d’un run totalement libre et d’un run nudgé étaient
identiques (Figure 3).

Cette gestion de l’emboîtement permet donc d’obtenir facilement un zoom qui reste proche du
run parent pour la circulation grande échelle, sans altérer statistiquement la dynamique à petite
échelle.

Figure 3: Le « spectral nudging » n’amortit pas les petites échelles du modèle régional (b), le spectre du run
libre (vert) et celui du run nudgé (rouge) se confondent , et propose une solution mieux résolue que le modèle
parent (OGCM) (c), tout en conservant la cohérence à grande échelle des deux solutions (Herbert et al., 2014). .
Le spectre est calculé pour le mois de février 2010 dans un carré situé au large du Golfe du Lion (a).

 4.3 Des recherches à finalités opérationnelles

Le défi consistant à modéliser au jour le jour la circulation régionale réaliste en Méditerranée Nord-
Occidentale nous a amené à imaginer des méthodes de validation et à rechercher aussi bien dans
les modèles que sur les images infra-rouge ou couleur de l’eau les tourbillons par une technique de
reconnaissance de forme (Chauris et al., 2011 ; Karoui et al., 2010) basée sur l’analyse en
ondelettes.

Les courants modélisés ne sont évidemment pas parfaits et, dans des situations opérationnelles
(rejet accidentel, pollution par hydrocarbure, homme à la mer), ils ne permettent pas souvent un
calcul sur le long terme des dérives lagrangiennes. Lors d’exercice réalistes ou de situations de crise
réelles, les dérives calculées s’écartent fatalement de celles observées après quelques heures. Dans
certains cas, des bouées dérivantes dont la position est repérée par GPS sont déployées, c’est

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notamment le cas lors de rejet accidentel en mer d’hydrocarbure. La dérive réelle de bouées
dérivantes peut alors servir dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler un REA (Rapid
Environmental Assessment) à reconstruire à partir de ces observations un champ modélisé plus
réaliste. A partir d’une analyse des corrélations spatiales et temporelles extraites d’observations de
trajectoires de bouées dérivantes au-dessus du talus continental du golfe du Lion, nous avons
(Rubio et al., 2009b) proposé une correction des courants du modèle MENOR par une méthode
inverse.

L’advection dispersion et la transformation de polluant en Mer est une problématique récurrente
en océanographie côtière qui a suscité de nombreux projets nationaux (ANR CLARA) ou européens
(MEDES4MS). Cela a permis la construction de méthodes et d’outils de dérives de nappes de
produits chimiques en mer, allant des calculs de dérives simples à la prise en compte des
transformations physico-chimiques des produits comme la dilution, la dispersion, l’étalement,
l’émulsion, l’évaporation, les réactions chimiques etc. (Zodiatis et al. 2016). La comparaison des
résultats obtenus avec des dérives réelles s’est montrée plutôt positive pour notre système
opérationnel lors d’un exercice réaliste en mer Tyrrhénienne au large de l’île d’Elbe. L’opportunité
d’un rejet accidentel ou intentionnel d’hydrocarbure (dégazage) en mai 2015, associée au test par
les gardes côtes italiens de différents types de bouées dérivantes pour le suivi des nappes de
surface a permis d’évaluer le système mis en œuvre dans le projet. Les résultats issus de la
configuration opérationnelle MENOR et du champ de vagues PREVIMER se sont montrés les plus
pertinents (De Dominicis et al., 2016).

L’expérience de la participation à plusieurs comités de dérives ou cellules de crise a par ailleurs mis
en exergue un résultat surprenant, mais malgré tout prévisible. Dans ces situations où plusieurs
modèles de différentes résolutions sont disponibles, le plus proche de la réalité observée (dérive
de nappe ou de bouée dérivantes) est souvent le moins résolu spatialement. La couche de surface
de l’océan est finalement assez turbulente et deux bouées dérivantes lâchées en même temps au
même endroit se sépareront assez vite. Il en va de même dans un modèle qui autorise le
développement des fines échelles ; les structures moyennes ou méso-échelle a priori définies de
manière « déterministe » sont accompagnées de structures « aléatoires » plus fine qui se
traduisent par une dispersion lagrangienne des trajectoires. Dans ces conditions, un modèle plus
résolu, avec davantage de petites échelles reproduira moins bien à courte échelle de temps les
trajectoires des quelques bouées dérivantes lâchées sur les lieux d’un accident.

La catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, suite au tremblement de terre de mars 2011
au large du japon, m’a amené à construire en situation de crise une configuration de modèle
régional de la circulation océanique dans cette zone à la demande de l’Institut de Radioprotection
et de Sureté Nucléaire (IRSN). C’était l’occasion de démontrer notre capacité à nous projeter
rapidement n’importe où dans le monde au moment où cet Institut projetait de se doter d’un outil
opérationnel en cas d’accident sur les centrales nucléaires métropolitaines situées en bord de mer.
Une configuration Mars3D de la zone de l’accident avec une résolution de 2 miles nautiques, forcée
par une modélisation océanique Mercator a été construite rapidement. C’est une zone très
énergétique, c’est le point de rencontre du Kuroshio et de l’Oyashio qui, au-delà de la zone côtière
ont contribué au transfert vers l’est des effluents radioactifs (Figure 4). Cette action de
modélisation a servi à l’IRSN pour vérifier la concordance entre les rejets déclarés par l’exploitant
et les autorités et les mesures faites dans le milieu marin dans une période où le doute subsistait
sur l’importance des rejets. Nous avons ensuite valorisé ce travail, soutenant l’interprétation des
mesures de radioactivité (Laguionie et al., 2012 ; Bailly du Bois et al., 2014) et participé à l’analyse
officielle des résultats de modélisation du rejet accidentel de Fukushima réalisée par le Sectional

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Committee on Nuclear Accident Committee on Comprehensive Synthetic Engineering » (Sciences
Council Of Japan, Collectif, 2014).

Figure 4 Concentration modélisée de Cesium 137 du7 au 18 juin 2011 durant la campgne Ka’imikai-o-
Kanaloa. Les points représentent les valeurs mesurées (Bailly du Bois et al., 2014).

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4.4 Le modèle : un outil de recherche pour comprendre les processus

Les observations des campagnes ECOLOPHY, à la limite ouest du Golfe du Lion, ont été comparées
et interprétées au regard de la modélisation (Andre et al., 2009). Un processus pour l’établissement
d’une circulation anticyclonique observée par radar HF dans la rade de Marseille a été proposé par
Schaeffer et al. (2011a). Pairaud et al. (2011) ont proposé une modélisation validée de la rade de
Marseille dans le contexte d’une étude sur le transport et la dispersion de contaminants en relation
avec la dynamique des upwellings et du panache du Rhône. En coopération avec Météo France,
l’examen de l’effet de la résolution des modèles atmosphériques forçant un modèle
hydrodynamique « eddy resolving » du golfe du Lion a montré la primauté de la résolution spatiale
sur la résolution temporelle (Schaeffer et al., 2011b). Les ondes inertielles et la variabilité à méso-
échelle sont favorisées par la résolution spatiale du forçage atmosphérique. Celle-ci est
indispensable pour reproduire la dynamique fine des upwellings du Golfe du Lion.

En 2007, une bouée dérivante droguée à 50 m est restée piégée pendant un mois dans un tourbillon
sur le plateau Catalan (Figure 5a). La modélisation reproduisait exactement ce phénomène, alors
que ce n’est généralement pas le cas dans un modèle sans assimilation (Figure 5b), suggérant ainsi
le caractère déterministe du processus décrit par ailleurs dans les expériences Latex (Petrenko et
al. 2017). J’ai alors proposé un mécanisme de génération de ces tourbillons par le rotationnel de la
tension de vent en situation de Tramontane sur le Golfe du Lion (Garreau et al., 2011). A la sortie
ouest du golfe du Lion, une structure rémanente bien visible sur les thermographies infra-rouge
apparaît de la fin de l’été à l’automne ; un anticyclone se développe à la frontière entre le golfe du
Lion et le plateau Catalan et se déplace ensuite vers le sud en longeant le talus. Rubio et al. (2005)
ont exploré lors de la campagne ET2001 une telle structure présente à l’automne 2001 sur le
plateau Catalan. Formée d’eau relativement chaude et dessalée dont l’origine ne peut être que le
Golfe du Lion, ce tourbillon concerne les 100 premiers mètres de la colonne d’eau pour un diamètre
de 45 kilomètres. Les hypothèses d’une création locale ou du déplacement d’un tourbillon généré
dans le Golfe du Lion sont alors discutées. Un exercice de modélisation (Rubio et al., 2009a) suggère
un processus d’étirement vertical de masses d’eau expulsée du Golfe du Lion lors du passage du
talus devant le Roussillon générant ainsi la vorticité négative nécessaire à la création d’un
anticyclone. Dans cette même zone l’expérience LATEX (Petrenko et al., 2017), ciblée sur
l’évaluation du transport lagrangien par les structures méso et sous-méso-échelles s’intéresse par
des observations (Hu et al., 2011a) et des simulations (Kersalé et al., 2013) à la circulation
anticyclonique dans le sud-ouest du golfe du Lion et suggère le rôle du vent dans sa génération.
C’est le rotationnel du vent dû à la Tramontane qui génère un dipôle (cyclonique dans le nord du
golfe et associé à une remontée des isopycnes, anticyclonique dans le sud-est du golfe et associé à
une plongée des isopycnes Figure 5c ; (Garreau et al., 2011)). Cette structure s’échappe ensuite du
Golfe, s’intensifie par étirement au-dessus du talus et se propage vers le Plateau Catalan.

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(a) (b)

 (d)
 (c)
Figure 5 : (a) Une bouée dérivante a été piégée durant un mois à l’automne 2007 dans un « tourbillon
catalan ». (b) une modélisation réaliste de l’ensemble du processus de création et de déplacement sur le long
de la côte a permis d’élucider le rôle de la Tramontane. (c) Le rotationnel du vent génère une structure
anticyclonique dans le sud du Golfe du Lion qui s’échappe vers le plateau Catalan. (d) Une analyse en ondelette
montre une fusion de deux tourbillons fin octobre (changement du rapport V/R).

La capture d’une bouée dérivante sur une durée aussi longue par un tourbillon est un évènement
assez rare, propice à l’étude des caractéristiques de celui-ci. En utilisant une l’approche par
ondelettes décrite par Lilly et Gascard (2006), il est possible d’extraire de la trajectoire les
principales caractéristiques du tourbillon. C’est ainsi que l’on peut observer fin octobre, début
novembre 2017 un changement brutal dans le rapport entre la vitesse azimutale et le rayon - pour
un tourbillon dont le cœur est réputé être en rotation solide, ce rapport est quasi-constant – qui
correspond avec une fusion avec un autre anticyclone plus petit Figure 5d).

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