POLY - Polytechnique Montréal
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POLY LE MAGAZINE DE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL PRINTEMPS 2020 VOLUME 17 NUMÉRO 1 POINT DE VUE / GRAND DOSSIER / PIERRE LASSONDE, PO 71, EAU POTABLE ET CHANGEMENTS CLIMATIQUES : RÉGIME SEC NOUVEAU PRÉSIDENT DU POUR NOS VILLES ? CONSEIL D’ADMINISTRATION DE RECHERCHE / AMENER LA TÉLÉPATHIE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL DANS LES RÉSEAUX Pierre Lassonde, président du conseil d’administration de Polytechnique Montréal Poste publications no de convention 41074519.
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POLY LE MAGAZINE DE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL SOMMAIRE PRINTEMPS 2020 Vol 17, n° 1 - PRINTEMPS 2020 VOLUME 17 POLY est publié par le NUMÉRO 1 Service des communications et des relations publiques. Il est distribué gratuitement aux diplômés, aux membres du personnel, aux étudiants et aux partenaires de Polytechnique. POINT DE VUE 6 6 Polytechnique, un gisement de pépites à valoriser Édition 8 Michèle Thibodeau-DeGuire, présurseure et rassembleuse Service des communications et des relations publiques Rédactrice en chef Chantal Cantin 10 Message à toute la communauté Comité éditorial Chantal Cantin, Jean Choquette, Catherine Florès, Lina Forest, Patrice- Guy Martin, Pascal Fischer, Cléo Ascher, Annie Touchette GRAND DOSSIER Recherche et coordination Catherine Florès Rédaction Catherine Florès, 12 Eau potable et changements climatiques : régime sec pour nos villes ? RECHERCHE Pascal Fischer 20 COVID-19 : mobilisée, Polytechnique s’adapte et innove 20 23 Amener la télépathie dans les réseaux Révision Stéphane Batigne, Chantal Lemieux 24 Parcourir l’Himalaya... pour mieux connaître les Laurentides Photos Caroline Perron (couverture), PORTRAIT DE DIPLÔMÉE 25 Denis Bernier Tiphaine Fillon, Po 2014 : guidée par ses valeurs Direction artistique et conception de la grille graphique Avion Rouge PORTRAITS DE PROFESSEURS Ont collaboré à ce numéro 26 La Fondation et Alumni de 26 Caroline Boudoux : le bonheur est dans la science Polytechnique Montréal et la 28 Sofiane Achiche, éternel étudiant Direction de la formation et de la recherche de Polytechnique ISSN 1712-3852 ENTREPRENEURIAT 30 Reproduction autorisée 30 Mélio : miam, des grillons ! avec mention de la source. 31 Go-Génie : choisir sa spécialité de génie sans angoisse Abonnement gratuit : Magazine POLY Polytechnique Montréal Service des communications VUE D’AILLEURS 32 et des relations publiques 32 Isabelle Jalliffier-Verne, diplômée au long cours C.P. 6079, succ. Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3A7 33 Guillaume Bouilly, un savoir-faire qui s’exporte Tél. : 514 340-4915 communications@polymtl.ca FONDATION ET ALUMNI 34 DE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL LA RELÈVE EN LUMIÈRE 46 Édith Ducharme : un équilibre parfait RAYONNEMENT 47 Polytechnique renforce ses liens avec l’industrie en région
NOS EXPERTS INNOVENT EN CYBERSÉCURITÉ ET EN CYBER-RÉSILIENCE Le Pr Frédéric Cuppens Le Pr José Fernandez mène des travaux sur oriente ses travaux dans la protection des données et la protection de la vie privée l’analyse des cyberattaques et la sécurité des infrastructures en utilisant des méthodes critiques. d’intelligence artificielle. La Pre Nora Cuppens- La Pre Gabriela Nicolescu Boulahia est spécialiste explore des solutions pour de la réponse aux intrusions la cybersécurité des systèmes et de la cyber-résilience aux avancés, notamment en sécurité attaques ciblant les systèmes de l’Internet des objets et et infrastructures critiques. l’informatique de périphérie. Une force scientifique d’envergure internationale engagée à résoudre des enjeux majeurs de la société. polymtl.ca/cybersecurite
ÉDITORIAL Cultivons notre résilience coronavirus, covid-19, pandémie, confi- En page 20, le directeur général adjoint Je vous donne rendez-vous cet automne nement, gestes barrières, distanciation et directeur de la formation et de la pour la prochaine édition de Poly. En at- sociale… qui aurait imaginé il y a recherche, François Bertrand, récapitule tendant, j’adresse mes encouragements deux mois que ces termes feraient par- les manières dont Polytechnique gère la à tous nos diplômés et nos diplômées. tie de notre vocabulaire quotidien ? la crise depuis l’annonce de la pandémie. Je leur souhaite de traverser la période pandémie qui bouleverse nos modes de d’incertitude actuelle en conservant vie (à l’heure où j’écris ces lignes, plus La résilience de notre organisation nous leur confiance dans l’éclaircie qui ne de la moitié de la population mondiale encourage à conserver notre optimisme. manquera pas de survenir. Le monde est confinée) a également un impact Les bonnes nouvelles également, telle la post-COVID aura plus que jamais besoin majeur sur le fonctionnement des nomination récente de Pierre Lassonde, de leurs talents. universités. polytechnique montréal Po 71, à la présidence du conseil d’admi- n’y fait pas exception, mais demeure nistration pour un mandat de cinq ans. Mes pensées vont également à nos étu- fidèle à sa mission. elle s’adapte pour Cet entrepreneur réputé possède une diantes et étudiants, qui nous rendent poursuivre ses activités d’enseignement feuille de route éloquente en matière de fiers par leur détermination à réussir et de recherche en respectant les me- soutien à la relève et à l’entrepreneuriat. leur année malgré la situation. À ce sujet, sures sociosanitaires exigées, de même Je souhaite à M. Lassonde un heureux j’applaudis l’initiative de la Fondation qu’elle met ses expertises à contribu- mandat, avec la certitude que sa pré- et Alumni d’offrir une aide d’urgence tion dans la lutte contre la covid-19. cieuse expertise contribuera à intensifier à ceux qui sont en difficulté, et à la- l’impact de Polytechnique Montréal quelle nos lecteurs peuvent contribuer : En premier lieu, je veux saluer la sur la société, à l’aube du 150e anniver- soutien.polymtl.ca. mobilisation de toute la communauté saire de notre université. La vision de polytechnicienne et la réactivité de son M. Lassonde est à lire à la page 6. Je remercie nos partenaires pour leur personnel et de ses équipes éducatives soutien, ainsi que nos lecteurs pour leur qui, dès l’annonce de la fermeture des J’en profite pour saluer l’engagement fidélité. J’en profite pour rappeler que universités, ont employé toutes les res- indéfectible de sa prédécesseure Michèle l’équipe du magazine Poly est toujours à sources d’enseignement à distance mises Thibodeau-DeGuire, qui porte doré- la recherche d’histoires sur la façon dont à leur disposition pour assurer la conti- navant le titre de présidente honoraire. nos diplômés, étudiants ou professeurs nuité pédagogique. Michèle a notamment beaucoup contri- ont un impact sur leur environnement bué à mettre en lumière la place des ou leur communauté par leurs projets, La plupart des articles publiés dans ce femmes en génie. Lire son point de vue leurs carrières ou leurs initiatives. Vous numéro ont été écrits avant l’arrivée de page 8. pouvez nous faire part de vos histoires à la pandémie. Toutefois, vous trouverez, communications@polymtl.ca. en page 10, un message cosigné par La pandémie ne doit pas nous faire le directeur général de Polytechnique oublier les autres grands enjeux scienti Prenez soin de vous ! Montréal, Philippe Tanguy, et le pré- fiques et sociétaux d’aujourd’hui, dont sident du conseil d’administration, les impacts du réchauffement climatique Pierre Lassonde, dans lequel ils remer- sur les ressources en eau potable. Ces Chantal Cantin cient la communauté polytechnicienne. enjeux font l’objet d'un grand dossier en Rédactrice en chef page 12. PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1 / POLY 5
POINT DE VUE PIERRE LASSONDE, PO 71, NOMMÉ PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL POLYTECHNIQUE, UN GISEMENT DE PÉPITES À VALORISER PAR CATHERINE FLORÈS homme d’affaires qui a fait fortune moigne de l’envergure de ses réalisations. qui a assurément compté dans mon dans le secteur aurifère, grand C’est également un homme très occupé, succès professionnel. Je souhaite donc mécène des arts et de l’éducation, partageant son temps entre sa famille, en retour aider Polytechnique à exploi- le nouveau président du conseil la présidence de son entreprise Franco- ter tout son potentiel en mettant mes d’administration de polytechnique, Nevada Corporation, ses projets phi- compétences d’administrateur et d’en- pierre lassonde, po 71, concilie lanthropiques et divers conseils d’admi- trepreneur à contribution. » Il précise l’esprit d’entreprendre et le goût nistration au Canada et aux États-Unis. qu’avant d’accepter, il a tenu à s’assu- de servir la société. porteur d’une Qu’est-ce qui l’a motivé à intégrer dans rer que sa vision et ses ambitions pour vision de la réussite forgée par son emploi du temps fort chargé les res- Polytechnique étaient compatibles avec son parcours atypique, il envisage ponsabilités de la présidence du conseil celles de la haute direction de l’établis- son rôle auprès de polytechnique d’administration de Polytechnique, alors sement. « Ce qui est le cas, confirme-t-il. avec un mélange de pragmatisme et que son appui à son alma mater s’était Et le Plan stratégique me paraît tout à d’optimisme. sa préoccupation pre- déjà concrétisé par un don de 8 millions fait cohérent et apte à déployer l’enver- mière : que polytechnique se hisse de dollars en 2002 pour la construction gure de Polytechnique. » au rang des universités de génie les de pavillons « verts » ? plus reconnues dans le monde grâce LA VOLONTÉ D’INSUFFLER L’ESPRIT au succès de sa communauté. « C’est avant tout une question de redon- ENTREPRENEURIAL À LA RELÈVE ner, déclare-t-il. Je suis reconnaissant S’avouant quelque peu impressionné à POUR UN JUSTE RETOUR DES CHOSES envers Polytechnique pour deux raisons : l’idée de succéder à des personnalités Pierre Lassonde donne l’image d’un la première, c’est d’y avoir rencontré la comme Bernard Lamarre et Michèle homme à qui tout a réussi. L’insigne de femme d’exception qui fut mon épouse, Thibodeau-DeGuire, M. Lassonde sou- Grand Officier de l’Ordre national du Claudette 1 ; la seconde, c’est la qualité de ligne qu’il n’aurait jamais imaginé se Québec qui orne le revers de sa veste té- la formation d’ingénieur que j’y ai reçue, voir un jour proposer cette présidence. 1 Claudette McKay-Lassonde, Po 71, génie chimique, décédée en 2000. Elle est devenue en 1986 la première femme présidente de l’Association profes- sionnelle des ingénieurs de l’Ontario et a également présidé le Bureau canadien de la main-d’œuvre en génie. À la suite de la tuerie du 6 décembre 1989 à Polytechnique, elle a créé avec un groupe d’ingénieurs la Fondation commémorative du génie canadien. 6 POLY / PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1
« Contrairement à Claudette, qui a ter- vouée à l’exploration minière. Mais rapi- fonds, que ce soit pour le développement miné troisième de la promotion, je n’ai dement, il a eu l’idée insolite d’investir des espaces à Polytechnique ou pour le guère brillé sur le plan scolaire durant dans des redevances minières. Certes, le soutien des activités d’enseignement et mes études d’ingénieur. D’ailleurs, risque était élevé : un échec aurait sans de recherche. je crois bien que je me ferais recaler doute mis durablement les deux associés aujourd’hui ! » sur la paille. Leur investissement initial « Les découvertes réalisées à de 2 millions de dollars a généré une Polytechnique méritent qu’on travaille Mais s’il se plaît à se dépeindre comme entreprise valant aujourd’hui plus de à obtenir plus de fonds pour leur valo- un ancien étudiant en génie des plus 25 milliards de dollars sur le marché. risation, tant leur potentiel en matière moyens, Pierre Lassonde n’a pas abordé de création de nouveaux emplois et l’université en dilettante. Même s’il Pour lui, le meilleur moyen de redonner d’impacts positifs sur la société est n’avait pas d’idée précise du domaine à la société est d’insuffler à son tour cet remarquable. Mais il faudra sans doute dans lequel il souhaitait faire carrière, esprit entrepreneurial à la relève, en faire évoluer la façon d’exploiter la aidant les universités à préparer leurs propriété intellectuelle, en montrant étudiants et étudiantes à leur rôle futur plus de flexibilité dans sa gestion », de créateurs de richesses et de progrès. commente-t-il. Outre Polytechnique, divers établisse- M. Lassonde se réjouit de l’objectif de ments d’enseignement ont bénéficié du développement entrepreneurial ins- généreux appui, chiffré en millions de crit dans la stratégie de Polytechnique. dollars, de l’homme d’affaires : l’Uni- « Seulement, il faut prendre conscience versité de Toronto, le Collège / l’École que ce ne sont pas forcément les plus Marie-Clarac, l’Université de l’Utah, performants sur le plan scolaire qui l’Université Western, ainsi que l’Uni- deviennent entrepreneurs et créent versité York. C’est notamment grâce à de la richesse ! J’en suis moi-même ce fils d’entrepreneur s’était fixé un son soutien que l’Université de l’Utah se un exemple et j’en connais beaucoup but : devenir son propre patron. Les classe aujourd’hui parmi les premières d’autres. L’excellence devrait avoir de études universitaires lui permettraient en entrepreneuriat et commercialisation nouveaux modèles. » de s’outiller pour le réaliser. C’est ainsi de technologies en Amérique du Nord. qu’il a enchaîné un baccalauréat en arts Sa vision pour Polytechnique serait à l’Université de Montréal, un diplôme NOUVELLE VISION DE L’EXCELLENCE qu’en 2023, année de son 150e anniver- d’ingénieur électrique à Polytechnique, M. Lassonde ne pense pas que la recette saire de fondation, l’établissement soit puis une maîtrise en administration des employée à l’Université de l’Utah soit reconnu parmi les 50 meilleurs en génie affaires à l’Université de l’Utah (il s’y directement applicable à Polytechnique. au monde, notamment grâce à sa capaci- était inscrit alors qu’il ne maîtrisait « Celle-ci possède une histoire, une té à recruter les talents entrepreneuriaux pas encore l’anglais !). structure et une culture qui lui sont et à soutenir leur épanouissement. Ces propres et avec lesquelles il faut bâtir, talents valent de l’or, il faut en croire sa Cette détermination s’allie chez Pierre explique-t-il. Parmi ses forces qu’il m’est parole d’expert ! / Lassonde à la capacité à repérer une oc- déjà possible de voir, il y a cette précieuse casion et à prendre le risque au moment capacité à développer rapidement de opportun, sans craindre de sortir des sen- nouveaux programmes et à les remodeler tiers battus. Autrement dit, l’art de créer en fonction de l’évolution des besoins. » sa chance, qui est la marque des grands entrepreneurs. Le succès spectaculaire La Fondation et Alumni de Polytechnique de la Franco-Nevada Mining Corpora- Montréal trouvera en ce spécialiste de la tion en témoigne : lorsqu’il l’a lancée au philanthropie à l’impressionnant car- début des années 80 avec son partenaire net d’adresses un allié fidèle dans la mise Seymour Schulich, cette entreprise était en œuvre de ses projets de recherche de PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1 / POLY 7
POINT DE VUE MICHÈLE THIBODEAU-DEGUIRE, PRÉCURSEURE ET RASSEMBLEUSE PAR CATHERINE FLORÈS lorsqu’on évoque michèle thibodeau- UNE PÉRIODE DE RENCONTRES Elle ajoute que le courant est également deguire, c’est le mot « précurseure » EXTRAORDINAIRES bien passé entre elle et la communauté qui vient naturellement à l’esprit. Lorsque Michèle Thibodeau-DeGuire étudiante. « Les nombreux étudiants et telle une pionnière, elle a toujours a accepté la présidence du conseil étudiantes que j’ai rencontrés m’ont montré une indépendance d’esprit et d’administration de Polytechnique, il également impressionnée par leurs pro- une volonté de tracer sa voie, même y a huit ans, il s’agissait pour elle d’un jets et leur aisance à les vulgariser. Je dans des territoires jusqu’alors nouveau retour à son alma mater. Elle pense, entre autres, aux membres des inexplorés par les femmes. elle fut avait, en effet, présidé en 1977 l’Asso- sociétés techniques. » Elle décrit avec ainsi la première femme diplômée ciation des diplômés de Polytechnique enthousiasme les engins conçus par ces d’un baccalauréat en génie civil (ADP, devenue plus tard la Fondation et sociétés, plus ingénieux les uns que les de polytechnique (en 1963), ainsi Alumni de Polytechnique Montréal) et, autres. « Je n’oublierai jamais le jour que la première femme à occuper en 1985, occupé les fonctions d’adjointe où je me suis glissée dans le cockpit de un poste de déléguée du québec du président de Polytechnique, puis de l’auto solaire ! Mais avant tout, je garde- à l'étranger (de 1982 à 1984). elle directrice des relations publiques l’an- rai le souvenir de très belles rencontres a été la promotrice de nouvelles née suivante. humaines. » campagnes caritatives au québec en tant que présidente et directrice Ses fonctions de présidente lui ont toute- Très à l’écoute des étudiants, elle leur a générale de centraide du grand fois permis de mieux mesurer l’impact de parlé en retour des fruits de sa propre montréal (de 1991 à 2012). et elle a Polytechnique en tant qu’établissement expérience. « Je leur ai, par exemple, été également la première femme à de recherche. « Cela a été pour moi une expliqué comment solliciter des dons présider le conseil d’administration période de rencontres extraordinaires de mécènes pour leurs projets. » Savoir de polytechnique (de 2012 jusqu’à qui m’ont nourrie, témoigne-t-elle. J’ai mobiliser les gens autour d’une cause, cette année). aujourd’hui présidente eu l’occasion de faire connaissance avec ne pas se mettre en position de se faire honoraire de polytechnique, elle nos professeurs, toujours heureux de dire non, sont des aptitudes qu’elle continue à river ses yeux sur l’ave- m’expliquer leurs projets. J’ai visité leurs avait acquises durant la campagne de nir de son université. laboratoires avec grand intérêt, émer- financement qu’elle avait menée pour veillée par les idées novatrices qui s’y Polytechnique dans les années 80, et développent. » qu’elle a aiguisées ensuite à Centraide. 8 POLY / PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1
MICHÈLE THIBODEAU-DEGUIRE, PO 63, PRÉSIDENTE HONORAIRE DE POLYTECHNIQUE MONTRÉAL Durant sa présidence, elle a été maintes Elle se réjouit du nouvel élan pris Dorénavant présidente honoraire, celle- fois sollicitée à s’exprimer sur la place des récemment par Polytechnique, qui ci continue à mettre son entregent au femmes en génie. Pour elle, cette place s’échappe, selon elle, de l’inertie des mi- service de Polytechnique. « J’aime ras- est évidente et elle soutient les initia- lieux universitaires grâce au dynamisme sembler les gens et surtout, j’adore les tives de Polytechnique pour encourager de ses équipes et de sa direction et des voir allier leurs potentiels et réaliser les femmes à étudier et à faire carrière orientations souhaitées par le conseil ensemble des choses extraordinaires. » en génie, comme la Semaine de la rose d’administration. Elle-même a usé de blanche et l’Ordre de la rose blanche. son influence pour contribuer à attirer Son vœu pour cet anniversaire mar- « Il faut tout autant veiller à intéresser à Polytechnique des agents du change- quant ? « Je souhaite que les gens les hommes au génie, souligne-t-elle. Je ment, notamment son successeur, Pierre tombent en amour avec Polytechnique ! rappelle souvent que pour trouver des Lassonde. « Je suis très fière qu’il me Qu’ils voient notre université comme solutions aux problèmes si complexes succède, il représente un atout extraor- un lieu où se forgent des solutions pour de notre monde, on a besoin de tous les dinaire pour Polytechnique. Je suis de grands enjeux de la société, et qu’ils cerveaux. » convaincue qu’il formera un excellent captent la passion et le rêve de ceux qui duo avec le directeur général Philippe font des choses, c’est-à-dire nos profes- À LA FRONTIÈRE DE DEMAIN Tanguy pour sensibiliser des leaders et seurs, nos étudiants et nos diplômés. » / Au cours des huit années de son mandat des influenceurs à ce qui se réalise dans de présidente, Mme Thibodeau-DeGuire notre université. » s’est attachée à faire part aux membres du conseil d’administration de ses décou- Le 150e anniversaire de l’établissement vertes sur les innovations développées à en 2023 sera propice à mettre en valeur Polytechnique. « Les membres du conseil les réalisations de la communauté proviennent de milieux différents, il me polytechnicienne. « J’avais participé à paraît important de les sensibiliser à l’organisation des célébrations du 100e l’impact de nos innovations. Celles-ci me en 1973, j’avoue que cela me fait un petit font dire qu’à Polytechnique, on est à la choc que le 150e soit déjà si proche ! », frontière de demain. Il faut que cela se commente Mme Thibodeau-DeGuire. sache ! » PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1 / POLY 9
MESSAGE À TOUTE LA COMMUNAUTÉ 14 AVRIL 2020 Aux membres de la communauté de Polytechnique, La présente pandémie est exception- depuis les premiers jours de cette crise avons multiplié les accommodements nelle et nous voulons tout d’abord saluer pour assurer la continuité de nos opéra- de manière à vous aider à traverser le travail de l’ensemble du personnel de tions essentielles tout en protégeant son les difficultés courantes dans les limites Polytechnique au cours des dernières personnel. imposées par les directives gouver- semaines. Vous avez été remarquables nementales et l’accréditation de nos d’agilité et d’inventivité. Sans votre im- Nous savons que la tâche n’a pas été diplômes. plication directe, sans votre résolution facile. Les soins que vous avez apportés face aux contraintes, sans votre ténacité collectivement aux 9 000 étudiantes et Nos laboratoires demeurent inacces- et votre persévérance, et dans certains étudiants inscrits pour ce trimestre en sibles pour le moment au personnel de cas sans votre calme et votre patience – ingénierie et aux différents programmes recherche, ainsi qu’aux étudiantes et et plus concrètement sans les mesures de certificats, de maîtrise et de docto- aux étudiants inscrits à la maîtrise et que vous avez mises en place – il aurait rat (dont près de 30 % proviennent de au doctorat. Par ailleurs, nous saluons été impossible pour Polytechnique de re- l’étranger) sont tout à fait exemplaires tous celles et ceux qui en profitent bondir aussi rapidement et efficacement. dans les circonstances. Le défi est com- pour se concentrer sur l’analyse et la plexe et de taille et nous vous remercions rédaction pour publication des résul- Votre sécurité est notre première pré- de vos efforts soutenus. Polytechnique tats de leurs travaux expérimentaux. occupation. Nous sommes en relation Montréal peut être véritablement fière Au cours des dernières semaines, nous constante avec les services gouverne- de son personnel. avons mis à profit certains de nos équi- mentaux pour aligner notre université pements pour répondre à plusieurs avec les pratiques sanitaires recomman- Même si Polytechnique a dû restreindre demandes spécifiques d’institutions dées par le Directeur national de la santé l’accès à ses locaux dès le 16 mars, les publiques québécoises, d’hôpitaux, de publique du Québec dans le but de pro- cours ont repris en ligne le lundi 30 mars sociétés privées du Québec et d’agences téger votre santé et votre bien-être. Si la et l’année académique 2019‑2020 sera gouvernementales de la recherche. La fermeture de nos locaux et la distancia- complétée selon le calendrier original. Fondation et Alumni de Polytechnique tion sociale ont bousculé nos pratiques Nous sommes conscients que cette participe activement au déploiement de courantes, toute l’équipe dirigeante – y période a été et demeure très difficile nos efforts face à la COVID-19 par des compris Pierre Lassonde, qui a rejoint pour nos étudiantes et étudiants. Le levées de fonds visant à soutenir diverses Polytechnique comme Président du stress causé par cette pandémie s’ajoute actions, notamment le Fonds d’urgence conseil d’administration le 18 mars der- à la nature déjà exigeante des études récemment créé pour les étudiantes et nier – s’est mise résolument à l’œuvre universitaires, et par conséquent nous les étudiants. 10 POLY / PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1
Pierre Lassonde, président du conseil d’administration de Polytechnique Montréal, et Philippe Tanguy, directeur général de Polytechnique Montréal. Quel que soit votre besoin, quelle que sécurité de notre personnel et de nos Nous nous souhaitons tous et toutes bon soit votre inquiétude, nous vous rappe- étudiantes et étudiants demeurera notre courage et nous vous demandons de veil- lons que Polytechnique est à l’écoute. principal souci. ler à votre santé et à celle de vos proches, N’hésitez pas à communiquer avec nous ainsi qu’au respect des directives gou- pour obtenir de l’assistance. Nous pensons bien évidemment aussi à vernementales pour que nous sortions le nos diplômés. Nous les savons touchés plus tôt possible de la crise actuelle. Les mesures de continuité développées eux également à divers degrés par la si- pour faire face à la situation ne doivent tuation, dans leur sphère professionnelle Cordialement, pas pour autant nous empêcher de ou familiale. Nous leur exprimons notre regarder résolument vers l’avenir en solidarité et notre confiance en leur ca- anticipation de la réouverture de notre pacité à innover et à gérer des situations Pierre Lassonde, OC., COQ., ing., MBA. université et la reprise de toutes nos complexes pour affronter cette crise. Président du conseil d’administration activités. Polytechnique célébrera son Nous les encourageons à renforcer leur 150e anniversaire en 2023, et l’épisode activité dans leur réseau de diplômés et Philippe Tanguy, Ph.D., ing. de la COVID-19 – si marquant soit-il – ne leur proximité avec leur alma mater par Directeur général brisera en rien notre tradition d’excel- l’intermédiaire la Fondation et Alumni lence en enseignement et en recherche de Polytechnique Montréal. Car en cette scientifique et technologique. Ni le mo- période de grande incertitude, la force ment ni l’évolution dans le temps de la de nos liens et notre sens du collectif reprise ne sont prévisibles aujourd’hui, s’avèrent des ressources essentielles. mais la vie reprendra son cours et Polytechnique sera toujours présente et Enfin, nous aimerions conclure ce mes- prête pour cette reprise. Nous avons déjà sage à la communauté polytechnicienne offert nos services aux gouvernements en remerciant toutes les personnes qui fédéral et provincial pour y contribuer ont dû se rendre disponibles dans les lo- directement. Nous demeurons en lien caux de Polytechnique depuis le début de avec leurs instances pour savoir quand la pandémie. Nous pensons plus particu- et comment nous reprendrons nos acti- lièrement aux personnes qui assurent les vités normales. Nous vous en tiendrons services essentiels et nous saluons leur informés dans les meilleurs délais et la professionnalisme. PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1 / POLY 11
GRAND DOSSIER EAU POTABLE ET CHANGEMENTS CLIMATIQUES : RÉGIME SEC POUR NOS VILLES ? PAR CATHERINE FLORÈS avec 3 % des ressources d’eau douce des précipitations moyennes annuelles qu’en périodes d’étiages plus sévères renouvelable de la planète et projetées d’ici la fin du siècle variera (moments où les débits des cours d’eau seulement 0,5 % du volume d’eau entre environ 7 et 24 %. sont minimaux), les niveaux d’eau disponible sur le territoire prélevé au-dessus des prises d’eau potable pour- (contre 11 % dans les pays de l’ocde) 1, Les impacts sur les ressources hydriques raient diminuer. le québec fait figure de « province du Québec – qui se manifestent déjà bleue ». au point que l’on tient un – iront en s’accentuant. « Des risques DES BÂTIMENTS MOINS « ASSOIFFÉS », peu trop pour acquise l’eau potable pèsent sur la qualité comme sur la MAIS PLUS EXPOSÉS AUX qui coule si généreusement de nos quantité de l’eau potable », affirme la CONTAMINATIONS robinets. mais la pression exercée Pre Michèle Prévost, dont la Chaire de En matière de consommation d’eau po- par les changements climatiques recherche industrielle du CRSNG en table résidentielle, les Québécois font oblige à repenser l’usage de cette eau potable bat des records de longévité figure de cancres. Ils en utiliseraient en précieuse ressource, soulignent à Polytechnique Montréal. Cette experte moyenne près de 600 litres quotidien- des spécialistes du département des collabore avec des villes, des entreprises nement, soit presque 20 % de plus que génies civil, géologique et des mines, et diverses organisations locales et la moyenne canadienne, 55 % de plus qui nous donnent un aperçu de leurs internationales pour faire évoluer les que leurs voisins ontariens et deux fois projets. infrastructures urbaines de distribution plus que les Européens (et 650 % de d’eau potable et les rendre résilientes plus que la moyenne internationale). ÉPISODES HYDROLOGIQUES EXTRÊMES aux changements climatiques et aux ca- La province, qui est tout de même par- PLUS FRÉQUENTS tastrophes, de la source jusqu’au robinet. venue à réduire sa consommation d’eau Le Canada se réchauffe, en moyenne, potable de près de 30 % depuis 2003, à un rythme deux fois plus élevé que L’intensification des épisodes de fortes poursuit ses efforts en ce sens, avec le reste de la planète, indique un rap- précipitations pourra être la cause un objectif de réduction de 20 % de port d’Environnement Canada publié d’inondations et de surcharge dans la quantité d’eau potable distribuée en 20192. Le pays devrait connaître les collecteurs, donc de débordements par personne d’ici 2025, indique la davantage d’épisodes hydrologiques d’eaux usées non traitées entraînant le Stratégie québécoise d’économie d’eau extrêmes dans les décennies à venir. rejet d’eaux usées vers les milieux récep- potable 2019-2025. Selon le rapport précité, l’augmentation teurs, explique la Pre Prévost. Tandis 1 Source : consortium Ouranos. 2 Rapport 2019 sur le climat changeant du Canada. 12 POLY / PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1
Pre Michèle Prévost, titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG en eau potable. Les villes ont notamment adopté un prolifération de la bactérie Legionella, QUAND PROSPÈRENT ensemble de mesures pour rendre responsable de la légionellose. La Legio- LES CYANOBACTÉRIES les bâtiments moins gourmands en nella n’est pas détruite si la température Les matières organiques et certains eau potable et en énergie. Mais cette de l’eau chaude est inférieure à 60° C. nutriments, favorables à la proliféra- pratique vertueuse a paradoxalement L’utilisation de robinets électroniques tion de bactéries et d’algues toxiques, généré d’autres risques, observe Michèle et de mitigeurs qui permet de réduire pourraient se retrouver en plus fortes Prévost. « La consommation d’eau dans la consommation d’eau au robinet aug- concentrations dans les eaux de surface. les bâtiments a été diminuée considéra- mente aussi les risques d’infection. La blement, entre autres par l’introduction légionellose, qui a fait des victimes dans Sous l’influence des changements cli- de dispositifs à faible consommation des hôpitaux au Québec, est devenue la matiques, la température des eaux de (douches, toilettes, aérateurs, etc.). Ces première cause de maladies liées à l’eau surface s’élève. Ce facteur, combiné à l’ex- diminutions sont obtenues dans des en Amérique du Nord. cédent de substances nutritives comme infrastructures de distribution vieil- le phosphore ou l’azote, encourage le lissantes, conçues pour satisfaire des L’équipe de la Pre Prévost étudie cer- développement de cyanobactéries, des consommations élevées. En étant moins taines solutions envisagées pour réduire micro-organismes naturellement pré- rapidement consommée, l’eau stagne au minimum les risques de prolifération sents dans les lacs et rivières. En proli- plus longtemps dans les réseaux d’eau bactérienne dans les réseaux d’eau des férant, elles produisent des cyanotoxines des bâtiments qui se comportent comme bâtiments : une reconfiguration des sys- nuisibles à la santé à partir de certaines des réacteurs physicochimiques et biolo- tèmes d’eau chaude et d’eau froide pour concentrations. Ces toxines peuvent giques. Résultat : le consommateur peut minimiser la dégradation de la qualité, provoquer des irritations, des troubles donc être exposé à des concentrations le développement de solutions de trai- intestinaux, des cancers, voire une at- préoccupantes d’agents pathogènes, tement, l’utilisation de matériaux plus teinte du foie et du système nerveux en comme la légionelle, et à des métaux biostables (certains plastiques employés cas d’ingestion d’eau contaminée. toxiques, comme le plomb, qui se pour les conduites peuvent favoriser le trouvent dans les conduites et réservoirs développement d’agents pathogènes), La Pre Prévost consacre plusieurs de ses des bâtiments. » la prévention de la formation d’aérosols, projets de recherche à la compréhen- l’installation de systèmes de détection sion des impacts du développement des Des travaux de la Pre Prévost ont mon- en continu des bactéries pathogènes, cyanobactéries sur la qualité de l’eau tré que l’installation de systèmes visant etc. L’objectif global est de trouver un potable. Elle s’intéresse à leur détection à diminuer la consommation d’énergie équilibre entre les économies d’eau et à l’entrée des usines, à leur traitement pour le chauffage de l’eau favorise la d’énergie et la santé des consommateurs. et à la gestion des boues extraites du PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1 / POLY 13
Pre Sarah Dorner, Département des génies civil, géologique et des mines. traitement de l’eau potable et chargées PLANS D’EAU urbain, la Pre Dorner mène aussi un pro- en cyanobactéries. Certains de ses étu- SOUS HAUTE SURVEILLANCE jet de surveillance de l’eau à la plage de diants développent des procédés destinés Fleurs d’eau… Le terme est joli, mais il Verdun. soit à prévenir l’accumulation des cyano- désigne une réalité qui l’est beaucoup bactéries, soit à valoriser ces boues après moins : il s’agit, en effet, de colonies « Nous observons en continu l’évolution nettoyage et séchage, en sylviculture ou toxiques de cyanobactéries qui forment des concentrations de micro-organismes. en agriculture, par exemple. Avec l’aide une écume à la surface de l’eau. Elles Nous étudions aussi les conditions qui de divers spécialistes de l’Université de sont dans le collimateur de l’équipe de la peuvent mener à une accumulation de Montréal, elle travaille, entre autres, au Pre Sarah Dorner. cyanobactéries dans les systèmes des développement d’un modèle d’adapta- usines de traitement qui pourraient libé- tion des usines d’eau potable face à la « Au Québec, un grand nombre de sta- rer des toxines », ajoute la professeure, recrudescence des cyanobactéries. tions d’épuration reçoivent toutes les dont les travaux pourraient notamment eaux du système de drainage de leur aider à la planification des traitements « Il y a encore dix ans, la contamina- territoire, indique-t-elle. Lorsqu’une sur- de l’eau. tion des eaux par cyanobactéries était abondance d’eaux pluviales se mélange essentiellement un problème rencontré aux eaux sanitaires dans le réseau, celui- ÉPONGER LA VILLE dans les zones tropicales », relève la ci sature, si bien que des contaminants, Et si, pour contrer le ruissellement et la chercheuse, qui, à l’époque, était par- des micro-organismes pathogènes et surcharge des réseaux pluviaux urbains, tie suivre une formation sur le sujet en des nutriments partent vers les milieux on faisait revenir la nature en ville ? Australie. « Aujourd’hui, elle touche récepteurs ». Une idée qui séduit un nombre grandis- nos lacs et rivières. C’est préoccupant, sant de villes canadiennes. Au Québec, car les eaux de surface desservent plus Afin de caractériser les contaminants deux projets expérimentaux lancés par de 75 % de la population québécoise dans les plans d’eau, la Pre Dorner et Trois-Rivières et Montréal pour optimi- en eau potable. Or, nous savons que les ses étudiants installent des systèmes de ser la gestion des eaux de ruissellement installations de traitement d’eau potable surveillance et de suivi en temps réel en attirent l’attention, illustrant le concept qui s’y approvisionnent n’ont pas toutes amont des usines de filtration, notam- émergent de villes aquaresponsables. la capacité d’éliminer de fortes concen- ment dans le fleuve Saint-Laurent, la trations des toxines générées par ces baie Missisquoi et au lac Érié. Devant Trois-Rivières a métamorphosé à partir micro-organismes. » la demande croissante du public qui de 2017 un tronçon de 1,3 kilomètre de veut se réapproprier les ressources en sa rue Saint-Maurice, en implantant eau pour des usages récréatifs en milieu des îlots de biorétention en bordure de 14 POLY / PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1
Pr Musandji Fuamba, responsable du Groupe Un des bassins de biorétention du Projet Papineau, dans le quartier Saint-Michel. expérimental et numérique d’ingénierie des écoulements d’eau (GENIE EAU). trottoir. Le projet englobe aussi la sépa- À Montréal, le Projet Papineau, dans particulières de biotraitement de pol- ration des réseaux pluvial et sanitaire le quartier Saint-Michel, a été lancé luants, comme les sels de déglaçage, les sur une section, la plantation d’arbres et en 2018 dans le cadre du Plan de déve- hydrocarbures et les métaux lourds, qui de plantes pour réduire l’effet des îlots loppement durable de la Ville. Sur se retrouvent dans le réseau. Les bassins de chaleur, ainsi que des aménagements deux kilomètres du boulevard Papineau, végétalisés servent de témoins », pour- pour apaiser la circulation automobile et aux abords du Centre environnemental suit le Pr Fuamba. faciliter l’accès piétonnier. Saint-Michel, une infrastructure verte composée de près d’une quarantaine de L’équipe du GENIE EAU procède à la L’équipe de Sarah Dorner prête son bassins (24 bassins de biorétention et surveillance de la qualité et de la quan- expertise à ce projet-pilote, en analy- 15 bassins de rétention végétalisés) est tité des entrants et sortants des bassins, sant la qualité de l’eau au niveau des installée. ainsi que du substrat de la nappe phréa- cellules de biorétention, du sous-bassin tique. Les données recueillies lui de drainage et des eaux souterraines, de « Ce projet vise à résoudre les problèmes permettront de produire des modèles façon à évaluer la performance des îlots. de débordements fréquents de la zone de performance d’infrastructures vertes. « Ces cellules de biorétention sont des causés par l’insuffisance hydraulique du « Ce projet-pilote sera complété dans un tranchées végétalisées vers lesquelles se collecteur d’égout du quartier. L’aména- an, précise le Pr Fuamba. On peut déjà dirigent les eaux de ruissellement pro- gement permet de retenir partiellement observer que cet aménagement ralentit duites par les précipitations et la fonte l’eau de pluie, puis de dériver cette eau le ruissellement et diminue le taux de des neiges. Elles reproduisent certaines dans les réserves municipales quand le polluants dans la nappe phréatique. » fonctions de captation et de filtration pic de précipitation est passé », rapporte Le chercheur souligne aussi l’apport des nutriments et des polluants assurées le Pr Musandji Fuamba, responsable bénéfique de l’aménagement sur l’envi- par les milieux naturels », explique la du Groupe expérimental et numérique ronnement du quartier, jusqu’alors professeure. d’ingénierie des écoulements d’eau inhospitalier aux piétons et montrant un (GENIE EAU), qui réalise avec son potentiel élevé de formation d’îlots de Les études ne sont pas terminées, mais équipe le suivi expérimental de la per- chaleur. elle constate une réduction de la concen- formance des bassins. tration d’E. coli dans l’eau à la sortie des La collaboration du Pr Fuamba à ce cellules, une diminution des quantités « En plus de cette fonction hydraulique projet permettra de constituer une base d’eaux pluviales dans les égouts après de rétention, le projet comporte un volet de données accessible aux citoyens, qui des précipitations, ainsi qu’une diminu- qualitatif : les bassins de biorétention sera dans un premier temps hébergée à tion du débit des cours d’eau récepteurs. sont conçus pour avoir des capacités Polytechnique. PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1 / POLY 15
GRAND DOSSIER LES USINES DU SAINT-LAURENT eau aux changements climatiques. Je ne PRÊTES À RÉPONDRE À LA DEMANDE ? crois pas que tous les effets complexes Le fleuve Saint-Laurent alimente plus possibles aient été découverts. » de 30 % de la population québécoise en eau potable. La vulnérabilité des usines NETTOYER L’EAU qui traitent son eau préoccupe natu- Le Pr Barbeau mentionne les résultats rellement l’équipe de la Chaire en eau d’une étude qui montrent que la capacité potable. des usines de traitement à gérer des cya- notoxines (microcystine-LR ou MC-LR, Pr Benoit Barbeau, cotitulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG en eau potable. « On considère qu’une usine est vul- et anatoxine-a) en dessous des concen- nérable si elle n’est plus en mesure de trations maximales recommandées 3 est répondre à la demande maximale en eau plutôt satisfaisante à l’heure actuelle. pour laquelle elle a été conçue, explique ment, parfois le brunissement, des lacs. le Pr Benoit Barbeau, cotitulaire de la Selon l’étude, 80 % des usines de « La coloration est générée par une dis- chaire. Même si le débit est encore lar- traitement de l’eau au Québec sont solution de matières organiques en excès gement suffisant, certaines prises d’eau actuellement capables de traiter une dans l'eau, explique Benoit Barbeau. On seraient vulnérables à une baisse de concentration historique élevée de cette sait que les changements climatiques niveau d’un mètre sous les conditions toxine. Le chlore, désinfectant le plus jouent un rôle dans ce phénomène, mais d’étiage historiques. La Ville de Mon- couramment employé, resterait généra- on ignore encore dans quelle proportion, tréal a d’ailleurs investi dans la réfection lement efficace. De plus, la concentration puisque la réduction des pluies acides et de sa prise d’eau d’urgence. Dans une d’anatoxine-a la plus élevée (2,3 µg/l) le développement du territoire seraient petite ville, il est possible de mettre en mesurée reste inférieure à la recomman- aussi en cause. » place une prise d’eau d’urgence. Dans les dation en vigueur pour les eaux traitées. grandes villes, il faut plutôt agir de façon On peut donc continuer à boire l’eau Rendue à l’usine, cette matière orga- préventive, car les installations sont trop du robinet sans inquiétude… pour le nique augmente les coûts de traitement. grosses pour être modifiées rapidement. moment. Car si les concentrations d’ana- La fraction non éliminée peut réagir Heureusement, la présence du port toxine-a venaient à augmenter, le chlore avec le chlore et former des composés de Montréal fait en sorte qu’il y a un ne serait plus efficace. « Il faudrait alors soupçonnés d’être cancérigènes. Pour autre acteur économique important qui se tourner vers des traitements plus résoudre ce problème, le Pr Barbeau justifie de maintenir le niveau du fleuve complexes et plus coûteux de perman- explore le potentiel des procédés à base suffisamment élevé en été. Rappelons ganate de potassium, de charbon actif d’échange ionique. Cette technologie, que le niveau du fleuve est contrôlé par en poudre ou d’ozone », rapporte-t-il, assez peu coûteuse et simple à mettre en la Commission mixte internationale via soulignant que sur 300 installations au œuvre, est particulièrement bien adap- le barrage situé à Cornwall, en Ontario. » Québec s’alimentant en eaux de surface, tée aux petites communautés éloignées 10 % seulement possèdent des équipe- des grands centres urbains, en plus de Par contre, signale le chercheur, la proli- ments d’ozonation (dont les villes de permettre d’éliminer des toxines algales. fération d’algues et de plantes aquatiques Montréal et Laval). Une première application de cette dans les eaux fluviales pourrait augmen- approche vient d’être réalisée dans une ter les problèmes liés au goût et à l’odeur Le beau lac tout bleu chanté par communauté des Premières Nations au de l’eau potable. « Il reste de toute façon Gilles Vigneault serait-il voué à n’être nord de la Colombie-Britannique. encore des travaux à mener pour évaluer plus qu’une légende ? On pourrait la vulnérabilité des infrastructures en le craindre, étant donné le jaunisse- 3 Vulnerability of Quebec drinking-water treatment plants to cyanotoxins in a climate change context. 16 POLY / PRINTEMPS 2020 / Volume 17 / Numéro 1
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