Museum of Modern Art, 1944 : l'habit selon l'architecte Bernard Rudofsky
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Perspective Actualité en histoire de l’art 2 | 2021 Habiter Museum of Modern Art, 1944 : l’habit selon l’architecte Bernard Rudofsky Museum of Modern Art, 1944: Clothing According to Architect Bernard Rudofsky Museum of Modern Art, 1944: Kleidung aus Sicht des Architekten Bernard Rudofsky Museum of Modern Art, 1944: l’abbigliamento secondo l’architetto Bernard Rudofsky Museum of Modern Art, 1944: el hábito según Bernard Rudofsky Émilie Hammen Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/perspective/25785 DOI : 10.4000/perspective.25785 ISSN : 2269-7721 Éditeur Institut national d'histoire de l'art Édition imprimée Date de publication : 30 décembre 2021 Pagination : 205-220 ISBN : 978-2-917902-92-9 ISSN : 1777-7852 Référence électronique Émilie Hammen, « Museum of Modern Art, 1944 : l’habit selon l’architecte Bernard Rudofsky », Perspective [En ligne], 2 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2022, consulté le 02 novembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/perspective/25785 ; DOI : https://doi.org/10.4000/perspective.25785 Tous droits réservés
Museum of Modern Art, 1944 : l’habit selon l’architecte Bernard Rudofsky Émilie Hammen N’est-il pas étonnant que les vêtements, parmi les éléments essentiels de la vie, aient résisté à toute forme d’analyse rationnelle telle que nous l’appliquons à l’alimentation ou l’habitat ? C’est d’autant plus curieux si l’on songe à certaines similitudes frappantes entre vêtement et architecture 1. C’est ainsi que l’architecte Bernard Rudofsky (1905-1988) introduit l’exposition qu’il ouvre en novembre 1944 au Museum of Modern Art de New York. Celle-ci porte sur le vêtement, et son titre pose une question des plus légitimes pour le musée américain : « Are Clothes Modern? » Que l’institution s’interroge sur la modernité d’une discipline constitue une suite logique à ses précédentes expositions et à la vision de son premier directeur Alfred H. Barr, Jr. Mais comme le suggèrent ces phrases, il s’agit cette fois d’un objet qui aurait échappé à toute entreprise de théorisation malgré ses connivences profondes avec l’architecture et le design qui bénéficient depuis 1932 d’un département propre au sein du musée 2. Peu remarquée à son ouverture, la manifestation consacre pourtant l’introduction du vêtement dans l’inventaire des œuvres exposées au sein de l’institution new-yorkaise. Il faut en effet attendre 2017 et l’exposition « Items: Is Fashion Modern? », présentée comme un pendant de la première, pour que l’initiative soit reconduite. Elle est aussi l’occasion d’un glissement sémantique significatif, du vêtement à la mode. Le choix des mots opéré alors par l’architecte n’est pas anodin et affirme, dès le titre de son exposition, certaines implications méthodologiques et conceptuelles. Au vêtement, on peut rattacher toutes les manifestations matérielles des parures corporelles – il s’agit d’une dénomination qui s’abstrait des frontières, géographiques ou temporelles. La notion de mode s’est en revanche précisée, au gré des travaux d’historiens, comme l’apparition d’un renouvellement cyclique des formes, particulièrement incarnée par celle des apparences, et qui serait le propre d’une économie occidentale capitaliste, formée au début de la période moderne 3. Dans ces distinctions lexicographiques se cristallise un riche débat historiographique : faire l’histoire du vêtement suppose de prendre en considération autant d’objets et de pratiques que les peuples ont pu en forger, faire celle de la mode suppose de se concentrer sur une élite européenne et sur les artefacts qui s’y rattachent. Essais 205
C’est donc un intéressant précédent qu’incarne le projet de l’architecte. Car si, à la faveur du développement de l’histoire globale et connectée, ces questionnements traversent depuis quelques années les histoires de la mode, on n’interroge que récemment et de manière plus systématique la circulation des objets à travers différentes sphères culturelles, ou encore les logiques de mode par-delà le contexte occidental auquel on l’a traditionnellement assignée 4. L’exposition pensée par Rudofsky suggère en ce sens une double étude : en premier lieu, au titre de sa trajectoire individuelle et du rapprochement qu’il opère entre la finalité d’usage, de confort et de protection, de l’habit et l’habitat, il convient d’éclairer l’originalité de son initiative ainsi que sa mise en œuvre, son contexte comme les acteurs qui y ont présidé. Mais le discours sur la mode que l’exposition produit dépasse la seule étude de cas. Elle constitue l’occasion d’une mise en perspective historiographique des outils et méthodes nécessaires pour interroger le vêtement. À la croisée de plusieurs pratiques, de l’architecture au design, mais aussi de différentes traditions, européennes et américaines, au cœur de la Seconde Guerre mondiale, elle ne s’éclaire ainsi réellement qu’à l’aune d’une certaine histoire intellectuelle : celle, transnationale, que façonnent les avant-gardes et qui nous permet de saisir le rôle singulier qu’y a joué le vêtement et celle, propre à la mode, qu’ouvrages et expositions mettent alors en récit, de l’Europe aux États-Unis. De l’habit à l’habitat, du vernaculaire et des avant-gardes En portant son attention sur le vêtement, Bernard Rudofsky, qui achève sa formation d’architecte et d’ingénieur en 1928 à la Technische Hochschule de Vienne 5, poursuit un intérêt déjà manifeste parmi ses pairs. S’il se plaint des goûts néogothiques d’un corps professoral qu’il semble mépriser, le jeune étudiant ne goûte pas moins au dynamisme de la capitale autrichienne, marquée par le mouvement sécessionniste depuis le passage du siècle. Le vêtement a tôt rejoint les considérations des Wiener Werkstätte, et nombre d’architectes, à l’image de Josef Hoffmann, y poursuivent les idées déjà énoncées par William Morris au sein du mouvement Arts and Crafts anglais quelques décennies auparavant. L’habit s’intègre à un tout, composé du bâtiment à ses plus infimes détails, de la poignée de porte jusqu’aux habits portés par ses habitants 6. Mais c’est la poursuite de ses recherches doctorales, qu’il mène sous la direction de l’architecte Siegfried Theiss, chez qui il travaille par ailleurs de 1930 à 1932, qui lui permet de forger son regard et sa réflexion, marquée par cet alliage singulier entre les idées de modernité et de vernaculaire. Se concentrant sur l’habitation des Cyclades, il y conduit une recherche sur l’utilisation des matériaux locaux, notamment la pierre ponce, et la faculté des habitants à développer le plan de leur habitation par des ajouts successifs. Une génération plus tôt, Hoffmann s’était lui aussi intéressé aux pratiques de construction et aux conceptions architecturales « anonymes » des habitants d’une île méditerranéenne, Capri. La transition qui s’opère entre un intérêt porté aux matériaux et principes de fabrication d’un habitat et ceux d’un vêtement s’inscrit ici dans une plus longue généalogie, dont Vienne constitue l’un des points névralgiques – une réflexion à laquelle le jeune Rudofsky était nécessairement exposé par sa formation académique et ses premières années d’activité professionnelle. À la suite des travaux de l’architecte allemand Gottfried Semper, notamment de l’ouvrage Der Stil dont le premier tome est intitulé Die textile Kunst für sich betrachtet und in Beziehung zur Baukunst [L’art textile considéré en lui-même et en relation avec l’art de 206 PERSPECTIVE / 2021 – 2 / Habiter
construire] (1860-1863), la question d’une origine textile de l’habitat anime les réflexions des contemporains 7. À partir de sa diffusion de l’aire germanique à la France, et de sa traduction, lui répondent notamment les travaux de Charles Blanc qui poursuivent les analogies entre la décoration du bâti et celle du corps paré. Pour ce dernier, auteur de L’Art dans la parure et dans le vêtement (1874), il s’agit de doter tailleurs, modistes et bijoutiers de certains principes de composition harmonieuse, en d’autres termes de fournir aux industries du luxe et de la haute couture des modèles de création. Les intentions des théoriciens viennois sont tout autres. Adolf Loos l’illustre pleinement : si l’architecte voit dans le monde occidental anglo-américain un exemple de progrès qui s’illustre dans ses bâtiments, il loue dans le même temps le vestiaire masculin que l’art du tailleur anglais a perfectionné et ainsi proprement rationalisé dans sa coupe et sa construction. Le confort et l’ergonomie de ce vêtement affranchi de toute décoration superflue constituent une victoire sur l’habit traditionnel marqué par les fastes des monarchies, mais aussi par l’emprise de la mode contemporaine qui perpétue ses ornements inconsidérés. L’ennemi est en ce sens double pour Loos : de l’habit à l’habitation, il prône une résistance aux académismes les plus rétrogrades mais aussi aux styles qui se sont imposés comme des nouveautés « modernes ». La vision de Loos, que Rudofsky reprend largement, consiste à n’approuver les modifications des modèles traditionnels que si celles-ci participent d’une véritable amélioration. Appliquées au vêtement, ces idées consistent à se méfier de la supposée modernité des créations de mode qu’une littérature consacre déjà comme exemplaires, mais qui, sous leurs crinolines, broderies et autres garnitures, n’autorisent aucune réflexion sur la structure comme la fonction du vêtement. Une telle méfiance envers le couturier parisien qui incarne précisément cet académisme déguisé parcourt toute l’avant-garde germanophone et ses projets de réformes vestimentaires : elle incorpore le vêtement à une recherche formelle et technique centrée sur les différents besoins de la vie quotidienne. C’est ainsi que se forgent les premières considérations de Bernard Rudofsky sur le vête- ment, dont les habitations anonymes et vernaculaires qu’il étudie constituent un pendant : à l’architecture sans architecte doit pouvoir répondre le vêtement sans couturier-créateur. Il faut aussi mentionner, dans ce contexte, le développement des idées de la Lebensreform qui, de Gustave Jäger à Rudolf Steiner, placent le corps au centre de ses préoccupations hygiénistes. Si elles donnent lieu à plusieurs communautés utopiques entre la Suisse et l’Allemagne, Rudofsky les croisent aussi à travers les influences qu’elles exercent sur certains penseurs anglais. Les différents groupes du mouvement Dress Reform (« réforme vestimentaire ») connaissent un succès certain en Grande-Bretagne dès le passage du siècle, mais ces initiatives trouvent, avec le développement de la psychologie, une certaine assise scientifique. John Carl Flügel, que l’architecte cite à de très nombreuses reprises et dont l’ouvrage The Psychology of Clothes (1930) constitue pour lui une référence récurrente, en est un parfait exemple. Les premiers textes que signe l’architecte sont le reflet de l’ensemble de ces influences : en 1938, à propos d’une villa sur l’île de Procida, il rédige quelques pages pour défendre son projet, qu’il ouvre sur une citation de William Morris : « Comment les gens peuvent-ils espérer avoir une architecture de qualité alors qu’ils portent des vêtements pareils 8 ? » Il entame ensuite son article par une réflexion sur ce qui connecte l’homme à son lieu de vie – le sol – et l’expérience trompeuse qui peut en être faite à cause des souliers, un accessoire sur lequel Rudofsky reviendra souvent à partir de ce moment. La même année, c’est dans le magazine italien Domus qu’il signe un article dans lequel il développe ces mêmes arguments : pourquoi s’efforcer de penser la construction de notre habitat, quand notre première maison, le vêtement, est encore soumise aux irrationnels caprices de la mode ? La création de mode se doit de suivre les progrès Essais 207
de l’architecture moderne car les deux pratiques servent conjointement à forger de nouveaux modes de vie. L’ennemi, ou du moins l’obstacle, est cette fois clairement identifié : « l’art communément appelé haute couture 9». Son esprit animé par les différentes idées des avant-gardes européennes, de Vienne, Londres et de l’Italie de Gio Ponti, Bernard Rudofsky quitte le continent à l’orée de la guerre. C’est un architecte profondément intéressé par le problème de design posé par le vêtement, mais tout aussi déterminé à lutter contre la mode, qui embarque pour le Brésil en 1939. Avec cette traversée s’opère un déplacement symbolique et maintes fois commenté par l’historiographie de l’art moderne, celui de ses acteurs et théories depuis l’Europe vers les Amériques. De l’Europe aux États-Unis : les first papers de l’architecte-designer Dans une période encore marquée par la politique de « bon voisinage » (good neighbor policy) instaurée par Franklin Delano Roosevelt, le Museum of Modern Art de New York ouvre en 1941 son concours consacré au mobilier domestique à vingt et une « républiques américaines 10 ». Quelques mois avant l’entrée en guerre des États-Unis, le musée poursuit une dynamique engagée dès les années 1930 au sein de son département d’architecture et de design : en collaboration avec les acteurs industriels mais aussi commerciaux, l’institution s’attache à promouvoir cet « art de la machine » avec l’aide des manufactures et grands magasins qui les produisent et les distribuent. Représentant le Brésil, Rudofsky s’engage ainsi dans la compétition que les grands magasins Bloomingdale Brothers (New York) ou encore Marshall Field’s Wholesale Store (Chicago) sponsorisent. Suite à la sélection de son projet de chaise longue en bois par un jury composé d’Alfred H. Barr, Jr., de Marcel Breuer, tout juste nommé à l’université de Harvard, ou encore de John McAndrew, conservateur du département d’architecture du MOMA, Rudofsky reçoit une bourse de 1 000 dollars et une invitation pour les États-Unis. C’est dans ce contexte qu’il entre pour la première fois en contact avec le musée new- yorkais, mais aussi avec ce milieu américain 1. Tim Milius, Portrait de groupe (Jose de Creeft, Jean Charlot, Amédée Ozenfant, Bernard Rudofsky largement animé par les arrivées successives et Josef Albers) du Summer Art Institute, Lake Eden, d’artistes depuis l’Europe. La guerre désor- Black Mountain College, 1944, Raleigh, NC, North Carolina Museum of Art, Western Regional mais déclarée, l’architecte et son épouse Berta Archives, Black Mountain Research Project, 61.12.8. Rudofsky décident de rester aux États-Unis, et s’intègrent ainsi à leur tour à cette scène artistique et intellectuelle. Emblématique de cette dynamique, leur présence en août 1944 au Black Mountain College auprès de Josef et Anni Albers, Walter Gropius et Amédée Ozenfant les associe à ce que ce dernier qualifie d’un « des nouveaux centres de la culture allemande11 » aux États-Unis (fig. 1). Dans cette université d’été qui permet aux idées du Bauhaus de trouver une nouvelle réalité, le couple ne s’occupe pourtant pas d’architecture mais choisit d’introduire ses considérations sur 208 PERSPECTIVE / 2021 – 2 / Habiter
le vêtement – un sujet que l’école, de Weimar à Berlin, avait soigneusement éludé sur le sol européen 12. L’architecte donne deux conférences : le titre de la première reprend la référence à William Morris qu’il avait placée en exergue de son article de 1938 « How Can People Expect to Have Good Architecture When They Wear Such Clothes? » ; la seconde, plus critique encore, s’intitule « The Unfashionable Human Body ». Le Black Mountain College Bulletin donne un aperçu des ateliers qui y sont associés : Examen critique des vêtements portés. Les étudiants doivent dessiner un patron des vêtements qu’ils portent afin de se rendre compte de toutes leurs absurdités. Types de vêtements sans coupe improvisés par les étudiants. Recherche de chapeaux et de chaussures. Importance du rapport entre : pied-chaussure-sol 13. Les idées que Bernard et Berta Rudofsky14 mettent en œuvre au cours de ces deux semaines d’été, dans des conférences magistrales comme des expérimentations concrètes, correspondent désormais à la genèse de l’exposition qui ouvrira quelques mois plus tard au MOMA (fig. 2a). C’est sous la direction d’Elizabeth Mock, qu’il travaille à son projet d’exposition – celui d’une analyse critique et méthodique du vêtement comme projet de design – au sein d’un éphémère Departement of Apparel Research 15. Si l’exposition s’inscrit dans le contexte particulier de la guerre, elle arrive aussi à la suite de douze années d’existence du département d’architecture – lui-même premier du genre au sein d’un musée 16. Rudofsky adopte en ce sens une approche originale qui s’illustre en premier lieu dans le titre de l’exposition – une question qui interpelle le visiteur. Elle reprend celle posée par l’ouvrage publié par McAndrew et Mock en 1941, What is Modern Architecture?, qui ouvrait une série de publications autour de la ques- 2a-c. Soichi Sunami, vues de l’exposition tion récurrente « qu’est ce qui est moderne 17 ? » « Are Clothes Modern? », 28 novembre 1944 – 4 mars 1945, New York, Museum On retrouve, dans le projet de Rudofsky, la volonté of Modern Art, archives photographiques d’établir ces critères de la modernité de différentes du MOMA, nos IN269.1, IN269.4 et IN269.11. Essais 209
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pratiques artistiques, associée à une ambition tôt affirmée – dès 1934 notamment avec l’exposition « Machine Art 18 » – de traiter des objets les plus usuels que produit le design avec un recul critique et pédagogique. On perçoit également, dans la mise en œuvre de son exposition, dont le titre annonce une véritable rhétorique argumentative, une connivence profonde avec un certain esprit propre au MOMA. Dans les dix sections à travers lesquelles se déploie son accrochage figurent quelques objets et vêtements, mais il accorde aussi une large place aux éléments iconographiques (fig. 2b et c). Photographies, signalétique et schémas jouent un rôle central dans la démonstration de l’architecte qui poursuit ainsi les démarches pionnières d’Alfred H. Barr, Jr. en matière de scénographie et d’accrochage telles qu’il les expérimente dès l’ouverture du musée 19. Quand les clichés photographiques se juxtaposent pour démontrer la persistance d’une décision sartoriale à travers les époques et les cultures, le design graphique illustre les réflexions forgées dès les cours au Black Mountain College sur le patronage des vêtements ou l’emplacement des boutons (fig. 3). On retrouve dans les éléments que l’architecte met en perspective pour fonder ses démonstrations un intérêt manifeste pour les pratiques vernaculaires, intérêt qui l’anime depuis ses études d’architecture. Le catalogue de son exposition, qu’il fera paraître trois années plus tard, dévoile l’ancrage théorique qui donne à l’étude psychologique du vêtement une place prépondérante, telle que les Anglais John Carl Flügel, Eric Gill, ou le conser- vateur James Laver l’ont pensée 20. On y retrouve aussi Thorstein Veblen dont l’ouvrage The Theory of the Leisure Class. An Economic Study of Institutions (1899) marque l’apport de la sociologie naissante à l’étude de la mode. Cette lecture psychosociologique à laquelle procède Rudofsky est fondée sur sa connaissance de ces cou- rants de pensée européens qu’il importe alors dans le contexte de l’exposition new-yorkaise. Une série 3. Bernard Rudofsky, Are Clothes Modern? An Essay on Contemporary Apparel, Chicago, de diagrammes illustre ainsi une « topographie de la P. Theobald, 1947, p. 120. pudeur », indiquant les parties du corps qui y sont successivement soumises, au gré des différences culturelles dans le temps et l’espace, ou de l’action de la mode – une notion centrale pour Laver, comme l’illustrent ses ouvrages Taste and Fashion (1937) puis Modesty in Dress (1969). Le détournement de l’idée de mode, qu’on associe alors exclusivement à la création des couturiers- artistes, pour, au contraire, interroger le vêtement et ses fonctions « primitives » résonne aussi singu- lièrement au cœur du MOMA. Lorsque l’architecte procède par affinités visuelles pour souligner les coïncidences de motifs ou de structure entre pièces d’estomac et ceintures, depuis l’Antiquité grecque jusqu’aux tribus papoues et corsets de la Belle Époque, il poursuit une curiosité ethnographique manifeste chez les surréalistes parisiens notam- ment 21. Il réaffirme aussi une lecture, à l’œuvre au cœur du musée dans les domaines de la peinture et de la sculpture, pour expliquer les ruptures pro- fondes opérées par les figures de proue de la moder- nité, de Pablo Picasso à Max Ernst : l’art « tribal » Essais 211
4. Soichi Sunami, vue de l’exposition ou « primitif » sert l’invention d’un art moderne uni- « Are Clothes Modern? », 1944, New York, Archives photographiques du MOMA, versel et originel qui y trouverait sa source 22. Dans le no IN269.5. dispositif conçu par Rudofsky, ces artefacts folkloriques 5. Bernard Rudofsky, Are Clothes Modern? – vestes, chaussures ou textiles – jouent ainsi ce double […], 1947, p. 210. rôle : à la suite de ce qui se passait dans des exposi- tions présentées quelques années avant, à l’image de « African Negro Art » (1935), c’est à la fois l’objet tribal et l’objet usuel qui sont désormais reconnus comme de véritables objets esthétiques. En 1941, l’exposition « Indian Art for the United States », sous la direction de René d’Harnoncourt, présentait en ce sens les ponchos et couvertures des populations amérindiennes comme des ressources pour le design moderne, ainsi que l’illustrait la section « Indian Art for Modern Living 23 ». Rudofsky n’est pas éloigné de ces dynamiques qui visent à valoriser la beauté et l’ingéniosité d’un objet « primitif » pour le valider comme un produit du design moderne. Le démontrent la section qu’il consacre aux chaussures et, notamment, les prêts de l’American Museum of Natural History (mocassins et sandales amérindiens), les sandales mexicaines confiées par Anni Albers ou encore celles, égyptiennes de la XVIIIe dynastie, provenant des collections du Metropolitan Museum of Art (fig. 4 et 5). Le mercantilisme, suggéré par d’Harnoncourt avec les artefacts de son exposition, trouve ici une application plus directe encore : « Un triomphe semblable sur la tyrannie de la mode est obtenu par une série de sandales et nu-pieds dessinés et fabriqués par M. Rudofsky lui-même, et qui seront exposés 24 », annonce le communiqué de presse. Entamés au cours des ateliers du Black Mountain College, ces premiers prototypes conçus par l’architecte et son épouse annoncent la création de leur marque, Bernardo Sandals qui les commercialisera dès 1946. Inspirés de la statuaire antique, adoptant des formes de souliers de traditions orientales, ces modèles fournissent une réponse efficace aux questions qui l’animent depuis ses premiers articles en 1938 jusqu’à celle posée par l’exposition – le problème du plancher, point de rencontre entre la parure corporelle et le bâti architectural devient prétexte à la création d’une marchandise, viable esthétiquement, commercialement et éminemment moderne. 212 PERSPECTIVE / 2021 – 2 / Habiter
Aux sources de la mode américaine : 6. Soichi Sunami, vue de l’installation de l’exposition « Are Clothes Modern? », un vêtement moderne 1944, New York, Archives photographiques du MOMA, no IN269.6. Les sandales conçues par le couple Rudofsky ne sont pas les seules créations contemporaines présentées 7. Bernard Rudofsky, Are Clothes Modern? […], 1947, p. 203. dans l’exposition. Pour appuyer ses arguments sur la construction des vêtements, notamment l’irration- nelle complexité des découpes de leurs patronages, l’architecte expose les prototypes d’Irene Schawinsky25 (fig. 6). Ces robes et manteaux conçus eux aussi dans le contexte du Black Mountain College illustrent l’élégante simplicité d’une pièce construite sans « mutiler » le textile, c’est-à-dire sans recourir à de complexes opérations de coupes et d’assemblage, ainsi que le communiqué de presse de l’exposition s’en défend. Dans le catalogue de l’exposition, les références à la mode contemporaine sont plus directes encore – car si les pièces de Schawinsky se limitent à une dimension expérimentale, les vêtements de Claire McCardell que loue Rudofsky sont bien intégrés dans le commerce de mode contemporain26 (fig. 7) : Ces vêtements, réalisés sans coupe, sont d’une grande importance parce qu’ils ne sont pas le résultat d’expérimentations mais produits en série et vendus avec succès. Leur aspect n’évoque pas plus les costumes de scène que les concoctions vestimentaires malheureuses que l’on nomme Art & Crafts. Leur construction lapidaire, ignorée pendant deux mille ans, n’est en fait apparente qu’aux initiés 27. La légitimation apportée par le commissaire de l’exposition « Are Clothes Modern? » aux créations de McCardell dans le cadre du musée est intéressante : il replace le travail de la créatrice dans une généalogie du vêtement comme alternative à la mode dominante, ainsi que la référence au courant de William Morris nous permet de le comprendre. Mais il se félicite aussi que ce manifeste d’une mode autre, sinon d’une anti-mode, soit dans le même temps un succès commercial, pensé pour la fabrication en série et pour les masses. S’il rejoint là une démarche caractéristique du MOMA qui s’efforce déjà de mettre en avant dans ses expositions des marchandises susceptibles d’éduquer les visiteurs-consommateurs au good design 28, il confère le sceau de la modernité à une figure déjà reconnue dans le monde de la mode américaine. Essais 213
L’initiative de Rudofsky arrive en effet à un moment clé : après environ un siècle de domination du goût américain par les créations des couturiers parisiens, une progres- sive émancipation s’est profilée, à la faveur des deux guerres mondiales 29. Depuis les années 1930, au cœur du grand magasin Lord and Taylor, Dorothy Shaver, à la tête du Bureau of Fashion and Decoration, mène ainsi un projet original de promotion, sous l’appellation « American Designers 30 ». Après avoir orchestré en 1928, une présentation des réalisations les plus marquantes des décorateurs français de l’Exposition des Arts décoratifs de 1925 pour le public américain, convaincue des qualités commerciales du modernisme appliqué aux vêtements, elle s’attache à promouvoir une nouvelle génération de créateurs. Dès lors, Shaver et les grands magasins, acteurs historiques d’une diffusion des avant-gardes françaises 31, se consacrent à cette construction d’une identité nationale en matière de mode : plutôt que d’adapter, voire de plagier, les créations françaises – un modèle économique sur lequel un écosystème complet s’est jusqu’alors construit –, il s’agit d’identifier les qualités propres d’une idée américaine de la mode. Le pragmatisme et la simplification des modèles, longtemps opérés sur les robes de la haute couture parisienne par les acheteurs et les diffuseurs, trouvent une résonance toute particulière dans les préceptes que l’International Style énonce alors en matière d’architecture, et ce notamment à travers les expositions que lui consacre le MOMA. En suggérant ce rapprochement, dans le musée – et le département – qui en a posé les bases théoriques, Rudofsky participe de sa définition de manière tout à fait décisive. Dans les écrits de la créatrice Elizabeth Hawes, qu’il 8. Vue de l’exposition « American convoque à plusieurs reprises dans son catalogue, l’archi- Ingenuity: Sportswear, 1930s-1970s », tecte trouve un autre soutien de choix. Appartenant Costume Institute, 2 avril-16 août 1998, New York, Metropolitan Museum à cette même génération de créateurs de mode amé- of Art, Watson Library, no b18345098. ricains, elle débute son apprentissage dans le Paris de 214 PERSPECTIVE / 2021 – 2 / Habiter
l’entre-deux-guerres, notamment auprès de Nicole Groult, la sœur de Paul Poiret. Elle revient aux États-Unis avec une solide connaissance du métier mais aussi un esprit critique affuté 32. Elle publie ses considérations sur la mode traversées d’enjeux psychosociologiques, qui retiennent toute l’attention de Rudofsky, notamment dans Why is a Dress? paru en 1942 et auquel ce dernier fait référence plusieurs fois. Toujours au sujet des souliers, Hawes, citée par l’architecte, déclare ainsi : « Des milliers de femmes préfèrent encore la dépendance économique, préfèrent encore les talons français, symbole de la femme qui n’a pas besoin de marcher ni de rester debout, ou qui accepte de porter une jupe si étroite qu’elle l’empêche de marcher 33. » Cette résistance au modèle français, aliénant par son arbitrage en faveur de l’élégance plutôt que du confort, se lit comme une démonstration des idées de Veblen, toujours valides quarante années après la parution de son essai. Mais alors que ces créatrices forgent, à travers leurs collections ingénieuses, pragma- tiques et confortables, ainsi que les loue Rudofsky, le vocabulaire d’une mode américaine, une volonté similaire se discerne aussi à un niveau institutionnel. Le Fashion Group, fondé dès 1931, rassemble industriels et figures des médias, à l’image d’Edna Woolman Chase, rédactrice en chef du magazine Vogue ou Eleanor Lambert, première directrice de la presse pour le jeune Whitney Museum, autre lieu décisif dans la constitution d’une identité artistique américaine autonome. La guerre entamée, c’est au tour du maire de New York, Fiorello La Guardia, de rejoindre les ambitions du groupe et de défendre l’idée d’une mode proprement américaine et démocratique dont sa ville constituerait, logiquement, la capitale 34. Aux côtés de ces initiatives industrielles, médiatiques et poli- tiques, on remarque dans la liste des prêteurs de l’exposition de Rudofsky, un nouvel acteur tout aussi stratégique : le Museum of Costume Art, qui enrichit l’accrochage de quelques chapeaux, souliers et corsets historiques. Il s’agit là du musée fondé en 1937 par Irene Lewisohn, qui intègre en 1946 le Metropolitan Museum of Art afin de constituer le Costume Institute. Musée dédié à la mode, inauguré avant même que Paris ne se dote d’une telle institution, il atteste de l’intérêt scientifique que le monde muséal américain porte à son histoire – en particulier à travers le cadre propice à l’étude qu’il propose 35. Car, si ses collections sont largement constituées par les ensembles légués par les riches clientes américaines de Charles Frederick Worth ou de Jacques Doucet, dès 1939 l’exposition « A Cycle of American Dress », présentée en deux volets, entend dessiner une histoire de la mode américaine 36. Quelques décennies plus tard, ce moment fondateur est mis en perspective par les conservateurs du même musée, qui s’attacheront à leur tour à penser l’histoire d’une mode nationale. Richard Martin, qui dirige le Costume Institute de 1992 à 1999, fait ainsi paraître, en 1998, l’ouvrage American Ingenuity: Sportswear 1930s-1970s qui vise précisément à retracer les contributions décisives des créatrices de mode singularisées par Rudofsky cinquante années plus tôt (fig. 8). Mais, outre les pièces elles-mêmes, le conservateur du Costume Institute signale aussi l’exposition de l’architecte au MOMA comme un jalon marquant : Le sportswear de marque constitue la réforme vestimentaire la plus novatrice du XX e siècle. Un auteur critique sans concession comme Bernard Rudofsky a affirmé, en 1947, dans Are Clothes Modern? que “les vêtements que l’on porte aujourd’hui sont anachroniques, irrationnels et inconfortables. Ils sont de plus coûteux et antidémocratiques.” Au moment où Rudofsky lança son traité et associa le Museum of Modern Art aux institutions qui s’indignaient contre la mauvaise mode, le débat fondamental portant sur le sporstwear comme réforme vestimentaire avait déjà eu lieu depuis longtemps à travers les créations et les écrits d’un grand nombre de femmes designers, ainsi que de Dorothy Shaver et Sally Kirkland 37. Essais 215
Présenté comme un anthropologue à plusieurs reprises dans le catalogue, l’architecte devient un argument d’autorité pour lire et valider les choix de construction et de design des créateurs de mode. Une combinaison fermée par des boutons-pressions créée par la styliste Bonnie Cashin en 1967 devient ainsi une réponse aux diagrammes qu’il place dans son exposition de 1944 pour comptabiliser et dénoncer le nombre absurde de boutons et boutonnières présents sur les vêtements de ses contemporains. La citation de Martin, au-delà d’éclairer la postérité du projet de Rudofsky dans l’historiographie de la mode américaine, met une nouvelle fois en perspective l’originalité de son apport : s’il importe aux États-Unis la notion historiquement européenne de réforme vestimentaire ainsi que les références théoriques qui l’ont forgée, l’architecte fait aussi le choix de recourir au musée et à l’exposition comme dispositifs heuristiques susceptibles d’énoncer un discours sur la mode contemporaine. Ce recours à l’institution muséale comme lieu d’étude et d’expérimentation pour interroger et stimuler le design contemporain peut alors aussi se comprendre comme une des particularités de la mode américaine. Née d’une volonté d’émancipation et de résistance à la mode française, l’exposition est devenue pour elle un lieu de promotion et de légitimation de ses ambitions artistiques, mais aussi et surtout un cadre réflexif unique pour penser son identité même, au passé comme au présent. Une certaine généalogie se dessine ainsi, depuis les « problèmes de design » soulevés par l’architecte Bernard Rudofsky à la mise en évidence de son ingénieuse postérité par Richard Martin, de l’attention portée à Hollywood par Diana Vreeland 38 jusqu’aux enjeux contemporains singularisés par Andrew Bolton, actuel directeur du Costume Institute, qui a ouvert, en septembre 2021, l’exposition « In America: A Lexicon of Fashion », entendant à son tour explorer le « vocabulaire moderne du style américain ». Depuis le déplacement de l’idée d’art moderne vers New York, durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’aux récents bouleversements politiques et sociaux qui façonnent l’identité américaine, c’est au musée – presque autant que sur ses podiums – que la mode américaine se construit et se conçoit. En novembre 1964, tout juste vingt ans après la première exposition qu’il orchestre pour le MOMA, Bernard Rudofsky inaugure « Architecture Without Architects ». Portant son attention sur les constructions « spontanées » des cultures vernaculaires, il entend démontrer la dimension universelle de tout projet architectural. Alors que le récit canonique ne se concentre que sur une partie restreinte de la culture occidentale, ignorant ainsi les cultures existant par-delà l’Europe tout comme les « cinquante premiers siècles » de son histoire, l’architecte souhaite ouvrir de nouvelles perspectives. Considérer l’art de bâtir plutôt que l’architecture : ce décalage presque anodin autorise Rudofsky à recenser un corpus photographique conséquent et à installer dans quelques salles ces larges tirages dans une démonstration visuelle dont il connaît dès lors bien les rouages. Il peut paraître surprenant qu’il ait fallu deux décennies pour que l’architecte investisse le musée avec une exposition portant sur sa propre discipline. Mais, intégrant l’habit et l’habitat en un même ensemble, c’est un seul sujet qu’il poursuit en réalité depuis « Are Clothes Modern? » – celui qui consiste à s’interroger sur les modes de vie. L’approche singulière de Rudofsky suggère ainsi un renversement des hiérarchies : à l’image du déroulé chronologique de ses expositions, il postule qu’il est tout aussi fondamental de comprendre le vêtement que l’architecture, voire de débuter par le premier, pour trivial qu’il apparaisse. C’est ce même argument qu’il poursuit avec la parution, en 1965, de l’ouvrage The Kimono Mind en proposant d’étudier le Japon à travers son costume – la conception de l’espace, l’esthétique comme les attitudes qu’il révèle. Si ces clés de lecture permettent de renouveler l’étude de l’architecture en se détour- nant de ces canons, de repenser ses théories comme son historiographie par ces sources 216 PERSPECTIVE / 2021 – 2 / Habiter
vernaculaires, elles constituent également un apport majeur, et relativement peu exploité, pour la mode. Richard Martin ne s’y est pas trompé : en lecteur assidu de Rudofsky, le conservateur, qui fut une figure singulière des débuts de la théorisation de la mode dans la mouvance des fashion studies, concevant des passerelles entre musée et milieu académique, revient à plusieurs reprises à ses écrits. En 1995, alors qu’une génération de créateurs japonais, d’Issey Miyake à Rei Kawakubo, bouleverse la scène parisienne depuis quelques saisons, The Kimono Mind lui livre le cadre réflexif opportun pour comprendre la rupture profonde qui se précise dans la mode occidentale en cette fin de siècle : « Ainsi soit-il. Le design japonais offre à la fois les préceptes et la réalisation de vêtements qui transcende la mode et établit un nouvel ordre de l’habillement et pour l’habillement 39. » En somme, il consent un retour au vêtement, pour mieux comprendre la mode, tel que Bernard Rudofsky l’appelait de ses vœux. Essais 217
Émilie Hammen 14. Berta Rudofsky (1910-2006) partage avec les épouses de nombreux artistes et historiens de l’art cette position Émilie Hammen est docteur en histoire de l’art particulière, de seconde, d’assistante dans la recherche (université Paris 1 – Panthéon Sorbonne). Elle et la création mais aussi de secrétaire voire d’imprésario enseigne l’histoire et la théorie de la mode à l’Ins- et de muse qui occulte en réalité une contribution intel- titut français de la mode. Ses recherches portent lectuelle décisive. Si Berta apparaît à quelques reprises sur l’historiographie de la mode en France ainsi dans les portraits officiels de son mari, elle demeure que sur les rapports entre la mode et l’art, notam- largement dans l’ombre. Au Black Mountain College, ment au croisement des avant-gardes. elle est néanmoins reconnue comme une réelle colla- boratrice plus qu’une aide auxiliaire, comme le prouve la présence de son nom dans les différents programmes et bulletins qui la donnent comme seule responsable de l’atelier de recherche et fabrication de sandales. NOTES 15. Rudofsky en sera le premier et dernier directeur : 1. « Is it not astonishing that clothes, one of the essentials voir ScoTT, 1999. of life have withstood any rational investigation such as 16. Voir hineS, 2019. we apply to food or shelter? It is all the more puzzling when we consider certain striking similarities of dress 17. Suivront ainsi après What is Modern Architecture? and architecture. » « Tradition challenged in Museum of en 1941, les publications What is Modern Painting? Modern Art Exhibition, Are Clothes Modern », commu- (1943), What is Modern Industrial Design? (1946) ou niqué de presse du MOMA, p. 4, traduction de l’auteure. encore What is Modern Interior Design? (1946). 2. Voir k anTor, 2002. 18. L’exposition « Machine Art » présentée au prin- temps de 1934 consacre l’arrivée du design au sein du 3. L’un de ses premiers historiens, Jules Quicherat situe département d’architecture, après un premier accro- l’apparition de la mode dans la France du xive siècle, chage, de taille réduite « Modern Art 1900 and Today » une assertion reprise à sa suite par de nombreux auteurs. conçu par Philip Johnson l’année précédente : voir Citons à titre d’exemple sa conférence inaugurale à marShall, 2012. l’École des chartes : « Histoire du costume en France au quatorzième siècle », École royale des chartes, Séance 19. Nous renvoyons sur ces questions à STaniSzeWSki, d’inauguration, 5 mai 1847. 1998. 4. Voir mcneil, riello, 2010. 20. Rudofsky cite à de nombreuses reprises The Psychology of Clothes que fait paraître John Carl Flügel 5. Pour les précisions biographiques sur Rudofsky, nous en 1930, ou encore Eric Gill, Clothing without Cloth renvoyons à l’ouvrage de référence Guarneri, 2003. (1931) et y associe l’essai du conservateur du Victoria and 6. Voir notamment STern, 2004. Albert Museum James Laver intitulé Taste and Fashion, 7. Nous renvoyons sur ce point aux travaux d’Estelle qui, dès 1937, revisite l’histoire de la mode à travers ces Thibault, notamment à ThibaulT, 2016. méthodologies singulières. 8. « How can this people expect to have good archi- 21. Rudofsky emprunte notamment quelques images tecture when they wear such clothes? » (traduction à la revue Cahier d’Art pour illustrer son catalogue : de l’auteure). voir didi-huberman, 2019. 9. « [T]he art commonly called haute couture » (Bernard 22. En 1948, D’Harnoncourt organise ainsi l’exposition Rudofsky, « Fashion: Inhuman Garment », traduit et « Timeless Aspects of Modern Art », mais ces lectures reproduit dans Guarneri, 2003, p. 274-277, traduc- culmineront avec l’exposition de 1984, « Primitivism in tion de l’auteure). L’article paraît en italien sous le titre 20th Century Art: Affinity of the Tribal and the Modern » : « La moda: abito disumano », Domus, no 124, avril voir cliFFord, 1988 ; daGen, 2019. 1938, p. 10-13. 23. Notons qu’un habit à capuche péruvien, prêté 10. Il s’agit du projet dirigé par l’architecte Eliot Noyes par René d’Harnoncourt figure dans l’exposition de intitulé « Organic Design in Home Furnishing » (1941). Rudofsky sous le numéro d’inventaire 44.2602 (MOMA Exhibition 269, Master Check list, « Objects in exhibi- 11. « One of the new centers of German culture », cité tion, Are Clothes Modern? », 1944, p. 5). dans harriS, 1987, p. 96. 24. « A similar triumph over the tyranny of fashion 12. Si le Bauhaus a ouvert des ateliers de tissage et s’est is achieved by an array of sandals and sandal-shoes attaché à repenser tous les artefacts de la vie quoti- designed and executed by Mr. Rudofsky himself, which dienne, les enseignements de l’école ont soigneuse- will be on display » (traduction de l’auteure). ment évité de se pencher sur le vêtement. À ce sujet, le cas de Lilly Reich et les quelques textes qu’elle signe 25. Irene Schawinsky, créatrice d’origine allemande, sur la mode font figure d’exception. épouse l’artiste et décorateur de théâtre, membre du 13. « Critical examination of own clothes. Students asked Bauhaus, Xanti Schawinsky en 1935. Elle fuit avec lui to draw pattern of the garments they are wearing in order l’Europe pour les États-Unis l’année suivante pour to make them realize all their absurdities. Uncut types of rejoindre l’équipe des enseignants du Black Mountain clothes improvised by students. Headgear and footwear College. investigated. Relationships stressed: foot-footwear-floor- 26. Il est intéressant de noter qu’à la suite de son entre- plan. » (rudoFSky, 1944, p. 9, traduction de l’auteure.) prise de souliers, Rudofsky lance l’éphémère ligne de 218 PERSPECTIVE / 2021 – 2 / Habiter
vêtements Bernardo Separates, entre 1950-1951. Un 37. « Designer sportswear is the most innovative dress article du magazine Life (« Rectangular Ready-mades », reform of the twentieth century. A tough-minded writer- 26 mars 1951, p. 128-130) en assure notamment la critic such as Bernard Rudofsky argued in Are Clothes promotion. Modern? in 1947 that “the clothes we wear today, are 27. « These garments, made without cutting, are highly anachronistic, irrational and harmful. Moreover, they significant because they are not experimental but are are expensive and undemocratic.” By the time Rudofsky mass-manufactured and successfully sold. Their appear- launched his treatise, and annexed the Museum of ance is neither reminiscent of stage costumes nor of Modern Art to the institutions with some invective the unhappy sartorial concoctions which go under the against bad fashion, the basic argument for sportswear name of Art and Crafts. Their lapidary construction, as dress reform had long been made through the designs disregarded for two thousand years, is in fact, appar- and writings of a number of women designers, as well ent only to the initiated. » (rudoFSky, 1947, p. 203, as Dorothy Shaver and Sally Kirkland. » (marTin, 1998, traduction de l’auteure.) p. 73, traduction de l’auteure.) 38. La rédactrice de Harper’s Bazaar et du Vogue améri- 28. L’expression good design fait plus spécifiquement cain rejoint le Costume Institute en tant que consultante référence aux expositions qu’organisera Edgar Kaufmann, de 1972 à 1987. On citera notamment son exposition Jr. entre 1950 et 1955. « Romantic and Glamorous Hollywood Design » (1974) 29. Depuis la Première Guerre mondiale, la nécessité qui met en lumière la contribution majeure du cinéma de créer sans l’aide de Paris s’est fait plus pressante. Les à la mode américaine. difficultés à poursuivre les importations des produits de 39. « So be it. Japanese design provides both the pre- haute couture, et, pour les maisons parisiennes elles- cepts and the fulfilment of apparel that transcends fash- mêmes, à maintenir la production de leurs collections ion and that posits a new order of and for clothing. » pendant les deux guerres, ont encouragé les acteurs (marTin, 1995, p. 222, traduction de l’auteure.) américains à s’autonomiser : voir Pouillard, 2021. 30. Sur les initiatives de Shaver, voir notamment Webber- hancheTT, 2003 ; arnold, 2009. 31. Citons en particulier les initiatives du grand magasin Wanamaker, entre Philadelphie et New York, qui, dans ses espaces de ventes, sa galerie d’art ou son théâtre, BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE importait les dernières créations de Paul Poiret comme – arnold, 2009 : Rebecca Arnold, The American Look: les peintures ou mises en scène qui en composaient le Fashion, Sportswear and the Image of Women in 1930s cadre esthétique proprement parisien : voir Troy, 2003. and 1940s New York, Londres, I. B. Tauris, 2009. 32. Elizabeth Hawes fait paraître un premier ouvrage en • 1938, Fashion is Spinach, qu’elle dédie à « Madeleine – cliFFord, 1988 : James Clifford, The Predicament Vionnet, the great creator of style in France and to of Culture: Twentieth-Century Ethnography, Literature, the Future Designers of Mass-Produced Clothes the and Art, Cambridge, Harvard University Press, 1988. world over ». • 33. « Thousands of women still prefer economic depen- – daGen, 2019 : Philippe Dagen, Primitivismes. Une dence, still prefer French heels, symbol of the woman invention moderne, Paris, Gallimard, 2019. who need not walk or stand, or is willing to wear a – didi-huberman, 2019 : Georges Didi-Huberman, skirt so tight she cannot walk in it. » (rudoFSky, 1947, La Ressemblance informe ou le Gai Savoir visuel selon p. 167, traduction de l’auteure). Georges Bataille (1995), Paris, Macula, 2019. 34. « New York is the center of fashion of the entire • world » (La Guardia lors d’une réunion du Fashion Group – GlaSScock, koda, 2014 : Jessica Glasscock, Harold en mars 1940, cité dans arnold, 2009, p. 136). Koda, « The Costume Institute at the Metropolitan Muse- um of Art: An Evolving History », dans Marie Riegels 35. Si l’origine du musée est liée au milieu du théâtre, à Melchior, Fashion and Museum: Theory and Practice, l’image des premières initiatives d’écriture de l’histoire Londres, Bloomsbury, 2014, p. 21-32. de la mode, de la France à l’Angleterre, ses premières – Guarneri, 2003 : Andrea Bocco Guarneri, Bernard expositions et cycles de conférences visent le grand Rudofsky: A Humane Designer, Vienne / New York, public mais aussi les créateurs de mode et industriels Springer, 2003. de la 7e avenue, afin de leur proposer des modèles his- toriques susceptibles de les inspirer. On retrouve ici les • mêmes ressorts qui président à la création des musées – harriS, 1987 : Mary Emma Harris, The Arts at Black d’arts industriels à l’image de l’UCAD, fondée à Paris Mountain College, Cambridge, The MIT Press, 1987. en 1864 : voir GlaSScock, koda, 2014. – hineS, 2019 : Thomas S. Hines, Architecture and Design at the Museum of Modern Art: The Arthur Drexler 36. Le second volet de l’exposition coïncide avec l’ou- Years, 1951-1986, Los Angeles, Getty Publications, 2019. verture de la World Fair qui se tient à New York en 1939. Le New York Times (« Mayor Sees Costume Art », • 2 août 1939, p. 20) signale notamment la visite du – k anTor, 2002 : Sybil Gordon Kantor, Alfred H. Barr, maire La Guardia à l’exposition, symbole de la portée Jr. and the Intellectual Origins of the Museum of Modern politique de la manifestation à l’heure où ce dernier Art, Cambridge, The MIT Press, 2002. souhaite promouvoir l’idée d’une mode américaine. • Essais 219
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