N 155 - RÉUSSIR Cancer et travail : l'autre défi - Mission Handicap
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Être à l’écoute des besoins de nos clients ne nous empêche pas, depuis 18 ans, de travailler au quotidien pour recruter, former et améliorer les conditions de travail de nos collaborateurs handicapés. En 2017, Carrefour signe son 7e accord Mission Handicap. Grâce à la collaboration exemplaire de tous : entreprise, pilotes Mission Handicap et CHSCT, collaborateurs handicapés et valides, partenaires sociaux, nous faisons tout pour permettre à Lucie d’exercer son métier le plus normalement possible. ET ÇA, ÇA FAIT TOUTE LA DIFFÉRENCE !
“Unnouveaucontratsocial” © Sébastien Aubry ÉDITO “L’automne sera chaud.”Tel était le titre prémonitoire de l’édito du précédent numérodumagazineÊtre.Évoquantlasuitequiallaitêtredonnéeàlaréforme pour l’emploi des personnes handicapées, il ne pensait pas qualifier aussi justement le climat général de cette saison. Comme l’avaient fait d’autres actualités qui s’étaient imposées à la veille des précédenteséditionsdelaSemaineeuropéennepourl’emploidespersonnes handicapées(SEEPH),lemouvementdesGiletsjaunesaquelquepeuocculté cette semaine de mobilisation et de visibilité sur le handicap. Et pourtant… Sur les réseaux sociaux, plusieurs acteurs et observateurs du mondeduhandicaponttrèstôtremarquéque,danslesrevendicationsdispa- 91 boulevard de Sébastopol - 75002 Paris rates des Gilets jaunes, le pouvoir d’achat et le niveau de vie des personnes en Tél. : 01 40 68 07 04 / 01 45 72 04 23 situationdehandicaprevenaienttrèssouvent…Lesmêmessoulignaientque https://clubetre.com/media-etre/ www.etrehandicap.com ni les médias, ni le gouvernement ne le relevaient. Éditeur de la publication : La colère exprimée par la population était déjà perceptible la veille de la pre- Martin Média SAS au capital de 153 000 €, mière manifestation des Gilets jaunes et du lancement de la SEEPH à travers 55800 Revigny-sur-Ornain. un geste peu courant dans le monde du handicap : Adrien Taquet, député Directeur de la publication : Arnaud Habrant LREM, qui avait contribué à plusieurs rapports sur le handicap, était enfariné Directeur de la rédaction : Emmanuel Perret par le collectif Handi-social à la suite du vote de la loi Elan. Rédacteur en chef : Michaël Couybes Àl’instarduprojetgouvernementald’organiserdesréunionsterritorialesavec Secrétaire de rédaction : Willy Persello les Gilets jaunes et les corps intermédiaires, les ministres ont prévu d’aller Comité de rédaction : Michaël Couybes, à la rencontre de toutes celles et ceux qui s’impliquent dans le domaine du Emmanuel Perret, Willy Persello handicap. Cinq chantiers jugés par Illustration : Olivier Ranson Création maquette et réalisation : Répondre à la demande de legouvernementcomme«majeurs et très attendus par les personnes en situation de handicap et leurs Gérard Bakalian Correctrices : Catherine Hervoüet des Forges justicesocialeetdecroissance familles » sont ouverts : la presta- et Messaline Durand tiondecompensationduhandicap Dessin de couverture : Sergio Yolfa, couleurs : Bruno Citrugni inclusive des Français (PCH), les alternatives à l'exil en Belgique, le fonctionnement des Distribution : MLP Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la simplifi- Imprimé en France par BLG Toul - 54200 Toul. cation du dispositif d’allocation pour enfants handicapés, la représentation Origine du papier : Belgique. des personnes en situation de handicap dans la construction des politiques Taux de fibres recyclées : 0 %. Papier issu publiques. La synthèse des propositions formulées fera l’objet d’un rapport de forêts gérées durablement, certifié PEFC. Eutrophisation : 10 g/t. remis au Parlement, suivi d’un débat devant la représentation nationale. Le Magazine fondé par Anne Voileau-Authié président de la République clôturera la séquence en juin dans le cadre de la sous le parrainage de Madame Simone Veil † Conférence nationale du handicap (CNH). Liste des annonceurs : Mais de même que les premières propositions faites aux Gilets jaunes ne les BNP Paribas p. 73 et 4e de couverture ont pas convaincus, il ne faudrait pas que celles présentées aux personnes Carrefour et Market pp. 17, 30 et 2e de couverture handicapéesesquiventleursprincipalesrevendicationspourplusd’autono- FIPHFP p. 67 mie, d’emplois, de revenu et de logements accessibles. Girpeh p. 27 Dans les deux cas, rien ne sert de réclamer des droits ni de proclamer“Liberté, Manpower p. 19 égalité, fraternité”si c’est uniquement pour soi et les siens. Au-delà des coups Orange p. 74-75 Pôle emploi p. 49 de colère et des revendications“communautaires”, c’est un projet collectif et RATP 3e de couverture social (“qui fait société”) qu’il s’agit de porter. Le sens et la relation humaine SNCF pp. 22-23 sont à retrouver là où les impératifs de production, de consommation et de Société Générale p. 25 communication les ont perdus… Vente au numéro et réassort : Dans cette quête, le handicap, loin d’être un sujet marginal et borné à lui- Tél. : 03 29 70 56 33 même, pourrait ouvrir – ouvre déjà – à d’autres situations, d’autres réflexions, Abonnements : un an France, 30 € innovations et actions. Il offre l’expérience de l’unicité et de la diversité, de la Étranger : nous consulter force et de la vulnérabilité, de la prévention et de la prévenance, de l’humilité ISSN : 1166-3537 et de l’excellence, de l’agilité et de l’adaptation, en un mot de l’humanité. Pour Commission paritaire : n° 0720T86922 peuquelegouvernementaitlaclairvoyancedes’enemparer,ilpourraitmême Dépôt légal à parution. devenir l’un des thèmes-clés lui permettant de répondre à la demande de Laloidu11 mars1957interditlescopiesoulesr eproductions « justice sociale et [de] croissance inclusive » exprimée par les Français. Et de destinées à une utilisation collective. Toute représentation dessiner ainsi la société du mieux travailler et du mieux vivre ensemble, un ou reproduction intégrale ou même partielle faite sans nouveau contrat social, en quelque sorte. le c onsentement de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 235 et suivants du Michaël Couybes Code pénal. Rédacteur en chef N° 155 3
La rédaction du magazine Être a imaginé un tapis de Monopoly pour y dessiner la réforme en cours de l’emploi des personnes handicapées. Même s’il y est question d’argent, de lois, de chance ou d’infortune, il s’y joue surtout l’avenir de centaines de milliers d’hommes et de femmes. © Yolfa, d’après une idée de Michaël Couybes ACTUS 6 APPROCHER 6 Ê tre infos 10 #SEEPH2018 : Être… une femme EMPLOI 11 RÉUSSIR CANCER ET TRAVAIL : L’AUTRE DÉFI 12 Des clés pour comprendre : une autre vie professionnelle 14 Enjeux Missions Handicap : anticiper le retour dans l’entreprise 16 Témoignages : « Mon travail, c’était ma force », Christine Levrey 17 Carrefour : « Cela n’arrive pas qu’aux autres », Laurence David 18 Parole d’expert : Nathalie Vallet-Renart, cofondatrice et directrice générale d’Entreprise et cancer 19 Manpower : « Savoir se ménager », une directrice d’agence 20 Bonnes pratiques : des entreprises engagées 21 Renouer avec son image 22 SNCF : rallye thérapie 24 Fiche pratique 25 ENTREPRENDRE 25 Société Générale : Valérie Fanget, responsable Inclusion & Mission Handicap, “S’engager, s’adapter, innover” 26 Chronique d’un Cap Emploi en mutation 4/4 : de nouveaux parcours 28 Métier : médecin du travail, un partenaire-clé 31 APPROFONDIR RÉFORMES : LES DÉS SONT-ILS JETÉS ? 32 Loi “avenir professionnel” : les premières mesures pour l’emploi 34 Muriel Pénicaud : une ministre au cœur de la réforme 35 Entreprises : des incertitudes 38 Secteur protégé et adapté : des points de vue différents 40 L’apprentissage au pied de chez soi 42 Associations : un accueil positif mais des réserves 44 Loi Pacte : inciter les entreprises autrement 46 Acte 2 : l’offre de services 48 En direct du Club : une étude d’impact 50 Vers une loi santé au travail © DR 52 Reportage graphique : l’emploi des personnes en situation de handicap en Europe 34 4 N° 155
N°155 SOMMAIRE DÉCEMBRE 2018 / JANVIER / FÉVRIER 2019 SOCIÉTÉ 54 PRÉVENIR 54 Santé au travail : en bref 56 Innovation : en bref 58 DÉBATTRE 58 « J’ai testé pour vous » : l’intérim 59 L’instant philo de Bertrand Quentin : « Fragile ou vulnérable ? » 60 ENQUÊTER L ’ACCESSIBILITÉ NUMÉRIQUE : FRACTURE OU FACTEUR D’INCLUSION ? 61 Une obligation évolutive 64 Jérémie Boroy, du Conseil national du numérique : « Des lois et des usages » 67 FIPHFP : Nathalie Dross-Lejard, « Des initiatives dans la fonction publique » 68 Formations du Cned : un défi technique et humain 70 Dispositif Adeda : Pôle emploi à l’écoute des sourds 72 Cdiscount : pour une égalité des chances © Fotolia/Vege 73 BNP Paribas : à toutes les étapes d’un projet 74 Orange : l’innovation au service de l’accessibilité 76 Démarches administratives : la République pas si numérique 78 Dans la culture : des opportunités considérables 78 CULTURE 80 EXPLORER 80 Notre sélection culture 82 Handisport : en bref ABONNEZ-VOUS BULLETIN PAGE 66 N° 155 5
APPROCHER ACTUS GRAND ANGLE > Bonneannée © DR 27 barmen lillois sont à l’initiative du calendrier “Les dieux du bar” pour sensibiliser à la fibromyalgie, une maladie qui se caractérise par des dou- leurs fluctuant dans le corps, le temps et l’intensité, et qui s’accompagnent d’une fatigue chronique importante. Vendu le 2 décembre dernier, on espère vivement que ce calendrier, dont c’était la 2e édition, se diffuse plus largement à l’avenir. Contact : Nicolas Nunes Saraiva, président de l’association “Les dieux du bar” - nunessaraivanicolas@.gmail.com VOTRE OPINION ON PEUT RIRE DE TOUT… > Baromètre de l’Agefiph : variable 46 % deschefsd’entrepriseconsidèrent le recrutement des personnes handicapées commeunedifficultéobjective(14 %estimentque cela constitue une opportunité). 71 % des salariés estiment que le fait de travaillerauxcôtésd’unepersonneconcernéepar un handicap est l’occasion de mettre en place de nouvelles manières de procéder. 67 % du grand public considère que, pouruneentreprise,embaucherdespersonnes handicapées est une chose difficile. Enquête“Laperceptiondel’emploidespersonnesensituationde handicap”réaliséeparl’Ifoppourl’Agefiphauprèsdesentreprises, des salariés et du grand public, octobre 2018. 6 N° 155
CITOYENNETÉ C’EST DIT ! > Aux urnes ! © Fotolia/Alco81 Le 25 octobre dernier, en marge du CIH, Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, a annoncé que les plus de 300 000 personnes sous tutelle qui étaient privées de voter par décision d’un juge (principalement des personnes qui ont un handicap mental ou psychique), pourraient désormais le faire, au plus tard lors des prochaines élections municipales de 2020. De la même façon, le mariage, le Pacs et le divorce leur seront accessibles. © DR EMPLOI Les bénéficiaires > Handiphobie au travail de l’AAH resteront en 2019 Selon le 11e baromètre et en 2020 12,3 % en dessous du seuil de pauvreté sur la perception des discriminations dans (1 026 euros/mois). l’emploi réalisé par le Défenseur des droits et l’Organisation interna- tionale du travail (OIT) Alain Rochon, président de l’APF France handicap après l’adop- et rendu public en sep- tion le 8 novembre 2018 par l’Assemblée nationale du projet de loi tembredernier,15 %des de finances 2019. personneshandicapées disentavoirsubidespro- pos et comportements 459 100 « handiphobes ». Parmi ÇA COMPTE les cas de discrimination « handiphobe » relevés : les refus d’embauche, mais aussi les refus d’aménagement de poste. L’étude montre aussi que les femmes sont plus tou- chées que les hommes par les discriminations, ainsi C’est le nombre de salariés handicapés bénéficiaires de quel’effetcumulatifdesdiscriminations:êtrefemme, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH), noire,homosexuelleethandicapéemultiplieainsiles employés dans les 102 100 établissements privés assujettis risques d’en être victime. à cette obligation, en 2016. Ce chiffre représente un taux Télécharger le baromètre : www.defenseurdes- d’emploi direct de 3,5 % (étude Dares, novembre 2018). droits.fr puis rubrique “Actualités” N° 155 7
APPROCHER ACTUS SCOLARITÉ EMPLOI ACCOMPAGNÉ > U n exemple d’“école inclusive” > U n premier bilan © Fotolia/Thodonal © DR © Armandine Penna Le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), l’association Alpha et le col- lectif ICI-Angers ont dressé un premier bilan du dispositif de l’emploi accompagné près de deux ans après sa mise en application. On recense, secteurs privé et public confon- L’école inclusive existe. À Nantes, le lycée des Bour- dus : 568 personnes en situation de handicap suivies dans le donnières intègre depuis trente ans un plateau cadre de l’emploi accompagné, 54 dispositifs conventionnés médico-social géré par l’Apajh44 ainsi qu’un inter- à l’échelle nationale et 747 notifications auprès des MDPH nat spécialisé, permettant aux lycéens en situation faisant mention de l’emploi accompagné dans les territoires. de handicap scolarisés dans les classes ordinaires De premiers résultats encourageants. de bénéficier sur site d’un accompagnement per- sonnalisé. La secrétaire d’État chargée des Per- sonnes handicapées, Sophie Cluzel, qui s’est ren- due à Nantes en septembre dernier pour le visiter, aindiquévouloirdéployercettebonnepratiquesur ENTREPRENEURIAT > Trophées d’h’up pour 4 femmes tout le territoire, en accord avec le ministre de l’Édu- cationnationale,Jean-MichelBlanquer.Lesacteurs associatifs présents n’ont pas manqué de l’alerter sur le manque d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) et de places dans les éta- blissements spécialisés. Reconnaissant ne pouvoir garantiruneaugmentationdesmoyens,laministre aditvouloirrépondre«paruneréorganisationradi- cale de l’offre ». n Armandine Penna ÊTRE RETWEETE © DR >accessibles C’est finalement 20 % de logements qu’a voté l’Assemblée natio- Le 30 octobre dernier, l’association h’up entrepreneurs a remis ses premiers trophées. 70 entrepreneurs ont été sélectionnés. Les trophées ont récompensé 4 femmes : Alexandra Leroy, pour nale. Une décision entérinée par le Conseil son projet Luxoria Créations de lingerie s’adressant aux femmes constitutionnel et qui fait réagir l’APF. ayant subi une ablation du sein, dans la catégorie “Créateurs en herbe” ; Eugénie Touré et son projet Andibo de meubles et envi- ronnementsadaptés,danslacatégorie“Créateurs”(entreprisesde moins de 3 ans) ; Charlotte de Vilmorin et sa plateforme de loca- tion de véhicules adaptésWheeliz, dans la catégorie“Expérimen- tés”(plus de 3 ans). Marlène Varnerin, pour son projet Inclood de livres en LSF/français, s’est vu décerner le“Coup de cœur”du jury. Enfin, Franck Valle a reçu le trophée de l’Entrepreneur de l’année pour Ulysse, le 1er réseau de franchises de transport et d’accom- pagnement de personnes à mobilité réduite. Depuis 2008, h’up entrepreneurs représente et accompagne plusieurs centaines de travailleurs indépendants handicapés (TIH). 8 N° 155
SCLÉROSE EN PLAQUES/MCI HANDICAP MOTEUR > M al informés ! À l’occasion d’un colloque“Sclé- > M anettes accessibles Très populaires auprès de tous les publics, les jeux rose en plaques et travail” qui vidéo demeuraient peu accessibles. Mais les choses s’esttenule15novembredernier, évoluent et les gamers en situation de handicap vont © Fotolia/Wayhome Studio une étude incluant les maladies pouvoir vivre et partager leur passion. De plus chroniques invalidantes (MCI) a en plus d’initiatives sont prises pour montré l’existence d’un déficit permettre l’accessibilité des d’information sur la sclérose en manettes. C’est d’abord plaques. En effet, 73 % des Fran- Microsoft qui a çais s’estiment mal informés sur commercialisé cette pathologie et sur les MCI en entreprise (entre 11 et à la rentrée sa 16 % disent avoir été informés par le médecin du travail, les manette adap- RH ou des collègues). 94 % des Français estiment que les tative pour Xbox, © DR personnes atteintes de MCI ont des besoins spécifiques la “Xbox adaptative au quotidien dans le cadre de leur activité professionnelle controller” (89,99 euros). (adaptationdeshoraires,deslieux,aidemédicale…).Enfin, Microsoft a consacré trois ans à réaliser ce dévelop- 88 % d’entre eux sont favorables à l’idée que les salariés pement et a investi 25 millions de dollars sur cinq atteintsdeMCIbénéficientdecritèresd’évaluationprofes- ans pour développer des produits à destination des sionnelle tenant compte de ces pathologies. personnes à mobilité réduite. Notons également que David Combarieu, de manière plus artisanale, déve- loppe dans son projet Handigamer des manettes accessibles pour des joueurs atteints de handicaps HANDICAP PSYCHIQUE très divers. S’il propose des manettes quasiment sur > P oint d’étape mesure, leur coût est plus onéreux. Il cherche des solutions pour lancer la production en série de ses prototypes. AGÉNÉSIE > 6 de la Route du rhum e © Fotolia/Diego Cervo Réuni le 15 novembre dernier, le comité de pilotage national du “handicap psychique”, qui rassemble les différents acteurs du secteur, a permis de faire un point d’étape sur l’ensemble des chantiers engagés. La feuille de route prévoit 4 grands objectifs : déve- lopper les dispositifs, les actions et les interventions par des pairs (les groupements d’entraide mutuelle © DR ont bénéficié d’une hausse de 10 % de leurs crédits) ; renforcer l’accompagnement des personnes vers et Bravo à Damien Seguin (photo), qui a fini 6e en catégorie dans l’emploi ; renforcer l’accès et le maintien des “Imoca”dela11e éditiondelaRoutedurhumaprès14jours, personnesdansunlogementautonomeouaccompa- 18 heures, 55 minutes, 2 secondes de course. Le bateau gné (dispositifs d’habitat inclusif sécurisés par la loi Café joyeux (les cafés employant des personnes handica- Elan, photo) ; améliorer l’accompagnement médico- pées mentales), piloté par le skipper Sidney Gavignet, a social des personnes ayant des troubles psychiques remporté la catégorie“Rhum mono”. Enfin Fabrice Payen, sévères et persistants (déploiement dans 16 villes du premier amputé de la jambe à participer, a quant à lui dispositif “Un chez-soi d’abord”). démâté au large du Portugal quatre jours après le départ, alorsqu’iloccupaitla2e positionencatégorie“Rhummulti”. N° 155 9
ACTUS APPROCHER #SEEPH2018 Être… une femme Partenaire de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) depuis près de 20 ans, le magazine Être a marqué l’édition 2018 avec sa thématique “Femmes et handicaps au travail”. De toutes les couleurs Double bouclage Entre Gilets jaunes et Black Friday, À peine la rédaction du maga- la Semaine européenne pour l’emploi zine Être “Emploi, handicap et des personnes handicapées (SEEPH), prévention” avait-elle bouclé du 19 au 25 novembre derniers, n’a son hors-série “Pour suivre et pas manqué de couleurs. Tout comme prolonger la SEEPH” qu’elle l’illustration réalisée par le dessinateur s’attelait à la partie éditoriale du © MC Yolfa pour la couverture du hors-série Supplément partenaire“Recru- du magazine Être. Reprenant l’affiche tement et handicap” des Échos. Paru en encarté dans le mythique de 1943 de l’ouvrière améri- quotidien du 19 novembre, celui-ci a été présenté le soir caine, le dessinateur y a ajouté une prothèse d’avant-bras même lors de la conférence“Réinventons le recrutement” sur laquelle elle retrousse sa manche. Il rejoint ainsi les cen- organisée par Les Échos Solutions au siège du groupe. taines de détournements qui ont pu être réalisés sur cette image entrée dans le domaine public et la pop culture. World café Le jeudi 22 novembre, Sandrine Être entre en gare Letellier, journaliste au magazine Duvendredi16auvendredi23novembre,des Être et pilote de l’enquête“Femmes hôtessesdeMediatransportsetdeGlobeont et handicaps : la double peine”, est distribué gratuitement des dizaines de mil- intervenueauxcôtésnotammentde © Sandrine Letellier liers d’exemplaires du magazine Être dans l’Agefiph et de l’association Femmes les grandes gares parisiennes. « À la gare de autistes au World café organisé à Lyon, je découvre le hors-série du magazine Lyon par Ladapt 69. Elle y a présenté Être “Femmes et handicaps au travail” : por- cetteenquête,ainsiquelehors-série, traits, préface de Muriel Pénicaud, instant et a animé une table ronde sur le thème de l’emploi des © MC philo de Julia de Funès… Inspirant pour la femmes en situation de handicap. SEEPH », a par exemple tweeté Christophe Bougnot, res- ponsable mécénat chez OVE Fondation. Sans nouvelles de Marlène… Le magazine Être avait proposé en Lancement au féminin débutd’annéeàMarlèneSchiappaune Le 19 novembre au matin, la interviewdanslecadredesonenquête secrétaire d’État aux Personnes “Femmes et handicaps”. Sans succès. handicapées, Sophie Cluzel, Il a réitéré sa demande quelques mois accompagnée d’Angéline, son plus tard pour son hors-série spécial binôme du jour, a ouvert la SEEPH “Femmes et handicaps au tra- SEEPH 2018 à l’Hôtel de Ville, où vail”. Avec le remaniement ministériel, © DR le hors-série du magazine Être en effet, la secrétaire d’État pour l’Égalité femmes hommes était remis aux participants. Organisatrice de la manifes- avait hérité de la lutte contre les discriminations. En vain. tation, Ladapt, qui avait confié s’être inspirée de l’enquête Ladapt, Femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA) et “Femmes et handicaps” parue en mars dernier dans le Femmes autistes lui ont toutes trois proposé une interven- magazine Être pour thématiser sa SEEPH 2018, citait une tiondansleurscolloquesrespectifssurlesfemmeshandica- indiscrétiondelarédaction:«SophieCluzelaannoncéque pées durant la SEEPH. Elle ne s'y est jamais rendue. les statistiques handicap seraient bientôt genrées. » MC 10 N° 155
EMPLOI RÉUSSIR © iStockphoto/Juanmonino CANCERETTRAVAILL’: AUTREDÉFI Être confronté au cancer, c’est découvrir que nous avançons en funambule sur le fil de la vie. Que nous sommes mortels et que cela n’arrive pas qu’aux autres. Dès lors, le retour à une “vie normale”, jonché d’impératifs professionnels, comme s’il ne s’était rien passé, ne peut être immédiatement envisagé. Travailler avec ou après un cancer ne doit pas être synonyme de double peine. C’est pourquoi sa prise en charge ne peut plus être uniquement médicale, mais passe aussi par un accompagnement social et professionnel. Après une longue absence due à la maladie et à ses traitements, le salarié, ses collègues, managers et ressources humaines vont devoir trouver ensemble le bon équilibre. Celui qui permettra à la personne de reprendre sa place dans l’entreprise et de s’investir avec ses fragilités. Dossier coordonné par Sandrine Letellier
RÉUSSIR EMPLOI DES CLÉS POUR COMPRENDRE Une autre vie professionnelle Le cancer est une réalité qui fait bouger les lignes de nos vies. Il brise les certitudes, réoriente les priorités, efface des ambitions pour en faire naître d’autres. Dans ce grand chambardement, le retour au travail est souvent vécu comme un saut dans le vide qui donne le vertige. Mieux comprendre les rouages de la maladie permet aussi d’aborder la question du travail plus sereinement. des passions oubliées. » Bien sûr, il y a toujours les aficionados du travail qui n’envisagent pas de céder un pouce de terrain à la maladie tandis que leurs dossiers s’accumulent. Mais cela ne concerne qu’une minorité de per- sonnes que l’on retrouve plutôt parmi les chefs d’entreprise, les managers, et à tous les postes à responsabilité. Mais pour eux aussi... faut-il encore que la maladie le permette ! Il n’est pas toujours évident, pour la majorité des personnes concernées, de s’inves- tir dans son travail quand la maladie est là. Composer avec la maladie © Fotolia/Photographee.eu et les traitements « On recense près de 200 cancers dif- férents qui vont évoluer vers différents stades, précise le Dr Benna. À cela s’ajoute la grande diversité des patients. Pour une prise en charge efficace, il faut A u choc que constitue l’annonce explique le Dr Marouan Benna, cancé- s’adapter à la singularité de chacun. d’un cancer, les réactions sont rologue à l’Institut de cancérologie à Quand un patient vous explique qu’il est très variables. Certains s’ef- Saint-Priest-en-Jarez, dans la Loire. financièrement dépendant de son travail fondrent en larmes, d’autres se murent « Aussi, face à un avenir désormais très et que les aides de l’État n’y suffiront dans le silence, d’autres encore choi- flou, la question du travail passe le plus pas, on aménage alors au mieux les trai- sissent l’ironie. Mais toutes et tous souvent au second plan. En général, les tements pour laisser des plages libres. l’ont compris : il y aura un avant et patients ne souhaitent pas travailler Mais cela n’est pas toujours compatible un après... Ce qui semblait jusqu’alors pendant leur maladie. La possibilité de avec le protocole de soin établi. » essentiel devient soudain terrible- la mort les amène à remettre beaucoup Ainsi la radiothérapie, traitement de ment futile tant les repères et les cer- de questions en perspective, à réévaluer première intention des cancers, que titudes sont bousculés. « Peu de gens leurs choix de vie, à se recentrer sur la les patients peuvent parfois conju- ont un travail qui les satisfait vraiment », famille et les amis, voire à renouer avec guer avec leur activité professionnelle, 12 N° 155
3 millions de personnes vivent avec ou après un cancer en France 400 des 1 000 nouveaux cas de cancers diagnostiqués © Fotolia/Peter Atkins chaque jour concernent des personnes en activité professionnelle 63 % l’association Mosaic Cancer (voir la hauteur pour réintégrer un circuit encadré) dans sa grande enquête de compétences qu’elle peut considé- Cancer et travail 2017-2018, 20 % des rer comme vain au regard de l’épreuve 818 personnes interrogées ne main- qu’elle vient de traverser ? La maladie d’anciens malades souffrent tiennent aucun lien avec leur entre- a laissé des séquelles tant dans le de séquelles dues au cancer prise pendant l’arrêt de travail. En corps que dans l’esprit : fatigue, perte leur absence, parfois d’une durée de de confiance, troubles cognitifs, dou- ou à ses traitements plusieurs mois, leur environnement leurs... Qu’ils soient bienveillants ou professionnel aura nécessairement hostiles, les regards sont là qui rap- Source : “La vie cinq ans après changé. Le monde du travail a ses lois pellent sans cesse qu’un malade du un diagnostic de cancer-Vican 54”, et ses impératifs ; son temps n’est pas cancer n’est jamais vraiment guéri étude menée par l’Inserm pour le même que celui d’un patient luttant – juste en rémission. La personne se l’Institut national du cancer. pour sa survie. Départs à la retraite, verra-t-elle confier de nouveaux pro- changements de poste, promotions..., jets par un employeur craignant à tout ces nouveautés riment souvent avec moment une rechute de son salarié ? ne sera pas toujours suffisante. La anxiété pour la personne qui revient Pas si sûr... chirurgie, quant à elle, peut laisser après un congé maladie. Sera-t-elle à Sandrine Letellier des séquelles physiques et psycho- logiques importantes, qui ne per- mettront pas forcément de reprendre MOSAIC CANCER : POUR TRAVAILLER APRÈS l’activité antérieure. Pour les cancers métastatiques, la chimiothérapie Cofondatrice et présidente de La Vie après, Isabelle Salvet, récem- va s’imposer. Les effets secondaires ment élue à la présidence du comité de démocratie sanitaire de importants (grande fatigue, nausées, l’Institut national du cancer (Inca), souhaitait donner une nouvelle vomissements, perte des cheveux....) orientation à l’association. Rebaptisée Mosaic Cancer, il s’agira de ce protocole excluent pratique- désormais de porter le plus loin possible la voix des patients préoc- ment toute possibilité de continuer cupés par le retour au travail. Pour ce faire, Mosaic Cancer vient de à travailler durant le traitement. signer un partenariat avec le comité de Haute-Garonne de la Ligue Ceux qui en doutent sont vite rappe- contre le cancer dans le cadre du déploiement départemental de lés à l’ordre par la réalité. De plus, la la charte Pacte (Programme d’actions cancer toutes entreprises). chimiothérapie se conjugue souvent Défini en réponse aux priorités du plan cancer, ce programme est avec l’angoisse des récidives. une démarche gratuite d’aide au maintien et au retour à l’emploi des salariés malades, proposée aux entreprises. C’est comme une Le retour au travail : évidence pour cette femme bénéficiant d’une expérience de cadre un nouveau défi de direction en établissement de santé, et dont le parcours person- Rémission ! Ce mot est enfin pro- nel a été marqué par trois cancers. noncé. Reprendre une vie normale passe nécessairement par le retour www.lavieapres.fr au travail. Or, comme le rappelle N° 155 13
RÉUSSIR EMPLOI ENJEUX MISSIONS HANDICAP Anticiper le retour dans l’entreprise Si les Missions Handicap s’accordent sur la nécessité de préparer le retour dans l’entreprise après un arrêt longue maladie, certaines estiment qu’il faut également agir pendant la maladie. Témoignages de responsables Mission Handicap. Favoriser le bien-être du salarié CatherineOrsi,ex-coordinatricedelaMissionHandicapduCommissariatàl’énergieatomique(CEA) travail. La visite de pré-reprise avec ce dernier est importante : il a été décidé que je reprenne en mi-temps thérapeutique, sur un nouveau poste, avec une charge de travail adaptée. Ce change- ment de poste était un choix de ma part. Avant ma reprise, j’ai souhaité que mon nouveau mana- ger informe le collectif de travail des raisons de mon mi-temps, et j’ai moi-même échangé avec l’équipe, à mon arrivée, sur les effets secondaires des traitements. Mon expérience m’a fait réfléchir à la façon d’accompagner les salariés en arrêt pour le trai- tement d’un cancer. Il faudrait que les entre- prises donnent à leurs salariés l’envie de revenir, peut-être avec de petites attentions, tant pour des raisons humaines qu’économiques. Pour ma © DR part, j’ai été actrice de ma reprise, mais certaines personnes ont du mal à retourner travailler. Je En tant que coordinatrice de la Mission Handicap pense également qu’il faudrait un référent dans du CEA pendant plusieurs années, j’étais sensi- l’entreprise, qui fasse le lien avec le salarié pen- bilisée au sujet. Ainsi, je n’avais pas de tabous dant l’arrêt, pour favoriser son bien-être et donc pour évoquer le cancer auprès de mes différents sa reprise. Son rôle serait d’informer les salariés interlocuteurs. Lorsque mon cancer a été dia- tant sur les aspects administratifs que sur la gnostiqué, en février 2016, j’ai immédiatement maladie, les traitements, les conséquences, les contacté le médecin du travail. Nous avons dis- petits trucs à savoir. Il pourrait également sensi- cuté du diagnostic, il m’a indiqué que mon arrêt biliser le manager et l’équipe ; rédiger, pourquoi pourrait durer plus longtemps que ce à quoi je pas, un mémento répertoriant les associations, m’attendais. Il avait raison. Je ne suis revenue les soins de support existants ; mettre en place qu’après dix-huit mois et de lourds traitements. des négociations avec les mutuelles pour les Durant une aussi longue absence, vous entrez remboursements de soins récurrents liés aux dans une bulle, un autre monde. Mais j’ai fait effets secondaires des traitements, comme la en sorte de garder le lien avec l’entreprise, par pédicurie, ou encore accompagner le salarié le biais de proches collègues et du médecin du pendant et après la maladie. 14 N° 155
Un coach individuel Corinne Colombo, experte handicap et diversité chez Bayer Au sein de Bayer, nous appliquons la même pro- accompagnement pen- cédure de retour à l’emploi pour le cancer et les dant la maladie, et pas autres maladies invalidantes. Celle-ci repose sur uniquement à leur retour. trois principes : la compensation raisonnable, la Cet accompagnement est pluridisciplinarité et l’égalité des chances. L’ob- individuel et réalisé par un jectif est de favoriser l’accompagnement indivi- coach professionnel, spé- duel et la sensibilisation du manager et du col- cialisé dans la question du lectif de travail. Le retour à l’emploi d’un salarié cancer. Il concerne aussi après un long arrêt maladie s’organise de façon bien la vie professionnelle pluridisciplinaire avec le médecin du travail, que la vie privée. Ce coach © DR les ressources humaines, le salarié concerné, le aide ainsi le salarié à faire manager, et éventuellement un coach. On dis- le deuil de ce qu’il faisait cute alors des besoins du salarié et des aména- avant, à prendre conscience de ce qu’il peut tou- gements nécessaires. Il peut s’agir par exemple jours faire et de ce qu’il est possible de travailler d’un temps partiel, de jours de télétravail. La autrement. Ce spécialiste amène à réfléchir sur Mission Handicap intervient dès le retour à l’em- le regard que le salarié porte sur lui-même et ploi du salarié et fait en sorte que les aménage- sur celui que le manager et le collectif de travail ments mis en place ne soient pas perçus par le posent sur le salarié. Le coach est une personne collectif de travail comme du favoritisme. extérieure à l’entreprise, ce qui permet aux lan- Notre particularité tient au fait que nous pro- gues de se délier. Il a un rôle très rassurant à la posons aux salariés atteints d’un cancer un fois pour le salarié et le manager. Écoute et bienveillance Olivia Le Chatelier, DRH et responsable Mission Handicap de Servier L’accompagnement d’un collaborateur en situa- par le biais de l’assistante tion de handicap prend en compte plusieurs fac- sociale ou des RH. teurs : le stade de la maladie, la demande ou non À son retour dans l’entre- d’une RQTH, le désir d’être accompagné ou non. prise, nous avons voulu C’est le collaborateur qui décide de cet accom- qu’elle puisse reprendre pagnement et de ses modalités, qui commencent en douceur, sans pression par la saisine de l’assistante sociale. Le rôle du ni charge de travail trop responsable Mission Handicap consiste alors à importante. Nous lui avons mettre en mouvement et en concertation toutes alors proposé un temps les parties prenantes. Dans le cas où le salarié partiel thérapeutique. Elle © DR est titulaire d’une RQTH, nous nous appuyons a repris en télétravail trois également sur l’expertise des équipes d’Han- jours par semaine, pour diem, l’association handicap des entreprises du réintégrer progressivement son bureau. Au bout médicament (Leem), pour gérer des situations de deux ans, elle était de nouveau à temps com- individuelles de maintien dans l’emploi. plet à son poste. Concernant la charge de travail, Au sein de Servier, nous avons été confrontés au nous avons compensé son poste, pendant son cas d’une collaboratrice atteinte d’un cancer. Elle absence et à son retour, pour alléger sa charge s’est montrée très ouverte sur le sujet et n’a pas de travail. Pour que cela fonctionne, je crois que hésité à parler de sa maladie, ce qui a facilité le “secret” est d’être disponible, d’accompagner les choses. Nous avons ainsi pu travailler tous le collaborateur s’il le souhaite, et surtout d’être ensemble : les ressources humaines, la médecine à l’écoute et bienveillant. En tant que Mission du travail, son manager, la Mission Handicap et Handicap, il faut aller à la rencontre des per- l’assistante sociale. sonnes, se faire connaître pour, en quelque sorte, Durant ses neuf mois de congé maladie, elle “faire partie des meubles”. a été en contact permanent avec l’entreprise, Alexandra Luthereau N° 155 15
RÉUSSIR EMPLOI TÉMOIGNAGES « Mon travail, c’était ma force » Assistante de direction comptable dans une holding de menuiserie, Christine Levrey, 50 ans, nous raconte pourquoi et comment elle a décidé de continuer à travailler pendant sa maladie. à cause de la chimiothérapie. Même si je suis quelqu’un de plutôt solide, j’ai vécu six mois très difficiles en raison des nombreux effets secondaires du traitement comme la fatigue, la perte des cheveux, les nausées... Travailler à la maison dans cet état ? Ce n’était même plus la peine d’y songer ! Heureusement, la chimio ayant lieu toutes les trois semaines, j’attendais que ses effets se dissipent pour aller à mon travail et rester en contact avec mes responsables. Ils se sont, quant à eux, arrangés pour organi- © DR ser les réunions importantes lors de mes moments de répit. Les premières C « ’est en 2013 que ma vie a basculé. D’abord, il y a eu l’opération pour ont été très dures. Il faut faire face Comme beaucoup de femmes, j’ai m’enlever la tumeur au sein gauche à des collègues qui sont souvent senti une boule dans l’un de mes et retirer 5 ganglions suspects. très maladroits. Il y a ceux qui pra- seins en prenant ma douche. La biopsie Ensuite, j’ai dû supporter pas moins tiquent un humour déplacé : « Ah ! a révélé que j’étais atteinte d’un cancer de 33 séances de radiothérapie ! Dans mais Christine, elle a pris beaucoup du sein de type HER2 positif. Les méde- mon entreprise, j’ai un poste-clé et j’ai de vacances, elle en a de la chance ! », cins ne m’ont pas caché la vérité. Il eu peur de perdre mon travail. Alors, ceux qui vous évitent ou encore ceux s’agissait d’une forme de cancer du sein comme trois semaines plus tard je qui vous entourent d’une sollicitude particulièrement agressive, avec 50 % me sentais plutôt bien, j’ai décidé de étouffante. En fait, il faut composer de risques de récidive. J’étais anéantie. reprendre mon poste. Mon employeur avec tous ces regards posés sur vous Mais en même temps, je savais que a accepté que je travaille chez moi. qui vous rappellent sans cesse que j’avais la force de me battre, que je ne Nous restions en contact permanent vous êtes bel et bien malade. Mais j’ai devais pas baisser les bras. Bien sûr, il via Internet et il a été satisfait de ce tenu bon et je sais que mon travail a a fallu commencer un long périple qui que j’avais fait durant cette période. aussi contribué à me sauver. En 2016, vous fait cheminer de couloir d’hôpital Je m’accrochais au travail comme j’ai pu reprendre en mi-temps théra- en couloir d’hôpital, avec l’espoir trem- à une bouée de sauvetage pour ne peutique. Aujourd’hui, je suis enfin blant de faire partie de celles qui s’en pas sombrer face à la maladie. Mon en rémission et j’ai repris mon acti- sortiront. On est alors docile avec les travail, c’était ma force ! Mais en sep- vité à temps complet. Mais je ne suis médecins, prête à supporter tous les tembre 2015, mon cancer a récidivé. plus la même femme. La maladie m’a traitements, toutes les douleurs. Parce Nouvelle chirurgie pour retirer tout le transformée. Curieusement, elle m’a qu’il n’y a alors plus qu’une obsession : reste de la chaîne ganglionnaire... Ma redonné confiance en moi. » la vie, et rien d’autre ! vie est devenue alors très compliquée Propos recueillis par Sandrine Letellier 16 N° 155
« Cela n’arrive pas qu’aux autres » Assistante au contrôle de gestion sur le site Carrefour Supply Chain de Crépy-en-Valois, Laurence David a repris son travail en mi-temps thérapeutique après plus de deux ans d’arrêt pour cause de cancer. M « a situation de handicap est bénéficier d’un mi-temps ! Sinon, je liée à un accident de la vie : la ne sais pas comment j’aurais fait pour maladie, un cancer. J’étais sur travailler directement à temps com- le site de Brebières (62) lorsque je suis plet après un si long arrêt. tombée malade. Et après deux ans Le lien social est fondamental. et demi d’arrêt de travail, la Sécurité Lorsque l’on n’entretient plus de rela- sociale m’a proposé une reprise en mi- tions socioprofessionnelles durant temps thérapeutique. Revenir à temps deux ans et demi, un échange, des complet aurait certainement été trop appels téléphoniques sont hyper- difficile pour moi et cette proposition importants. Cela me manquait beau- de temps partiel m’a paru la mieux coup et il a été très important pour adaptée à ma situation. J’ai demandé moi de reprendre le travail. alors à me rapprocher de la région où Je pense qu’il est nécessaire de com- j’étais suivie et soignée. Carrefour m’a muniquer sur sa maladie. Certaines vraiment aidée dans ce projet. personnes vont en parler facile- Lorsque j’ai été déclarée en invalidité, ment, d’autres beaucoup moins. Il j’ai eu peur que cela me mette des faut essayer d’en parler, il faut oser. barrières pour continuer à travailler, Après, cela se fait plus ou moins natu- me ferme des portes ou m’empêche rellement, mais cela vaut la peine de faire certaines choses. Il n’en a d’essayer. rien été. Heureusement que j’ai eu Je voudrais faire passer ce message, cette chance, cette opportunité de et j’espère que ceux qui le liront le “CANCER ET EMPLOI, ET SI ON EN PARLAIT ?” Le 20 novembre dernier, des collaboratrices et collaborateurs de Carrefour ont participé à une animation “Cancer et emploi, et si on en parlait ?” au siège d’Évry, dans le cadre du Programme d’actions cancer toutes entre- prises (Pacte) organisé par la Ligue contre le cancer Essonne. Cette animation avait pour © DR but d’aborder le cancer en entreprise avec les collègues et managers de manière ludique, garderont en tête : cela n’arrive pas via un plateau de jeu comportant des ques- qu’aux autres. Je ne pense pas exclu- © DR tions, des informations et des conseils. Les sivement à la maladie, mais aussi à la questions s’enchaînent en suivant un parcours en trois temps : à situation de handicap. Un accident, l’annonce, pendant les traitements, à la reprise. Elles offrent des une déficience, une maladie peuvent occasions d’échanges entre les participants sur les représenta- débarquer dans votre vie sans préve- tions, les attitudes à adopter, les messages à diffuser… nir. Après, il faut le prendre en compte et faire face. » N° 155 17
RÉUSSIR EMPLOI PAROLE D’EXPERT « Pour une éthique de l’attention » Cofondatrice et directrice générale d’Entreprise et cancer, une association dont l’objectif est d’apporter une aide aux ressources humaines et aux managers démunis face à l’impact de cette maladie dans le milieu professionnel, Nathalie Vallet-Renart nous livre les pistes et réflexions qui sous-tendent le travail de sa thèse. Comment jugez-vous la réinsertion qualité de la relation à l’autre. C’est d’un salarié au sein de son entre- seulement par une éthique de l’atten- prise pendant ou après sa maladie ? tion que l’entreprise, tout en étant C’est là tout le sujet de ma thèse que consciente de ses limites aussi, sera j’ai intitulée “Cancer, performance et alors en mesure de mettre en actes vulnérabilité en milieu professionnel”. une adaptation réelle à la personne Lorsqu’on regarde les statistiques vulnérable. (80 % des salariés reprennent leur activité dans les deux ans après le Concrètement, comment mettre en diagnostic et 80 % des personnes sont place cette éthique de l’attention ? en emploi cinq ans après l’annonce), Déjà, il faut réapprendre à se parler et © DR on serait tenté de douter qu’il y ait à faire attention les uns aux autres. Le réellement un problème. De fait, ces salarié est avant tout un être humain. chiffres accréditent un retour effectif Par exemple, revenir après des mois au travail. Mais ils sont trompeurs, Enentreprise,chacun d’absence et constater que ni son car ils ne disent rien des conditions manager ni son DRH ne sont là pour dans lesquelles le salarié revient à doit se sentir concerné vous accueillir, ou voir son affecta- son poste. Est-il revenu pour des rai- tion changer sans avoir été consulté sons financières ? Son poste est-il tou- pourfaireévoluerlaqualité au préalable sont des situations jours adapté ? A-t-il été bien accueilli aberrantes, qui peuvent être vécues après des mois d’absence ? Autant de delarelationàl’autre comme du mépris. Autre exemple : la questions que « la gouvernance des personne de retour a très souvent une chiffres », pour reprendre les mots envie forte de reprendre son poste, d’Alain Supiot dans son excellent moyens ou/et la volonté de s’intéres- dont les prérogatives peuvent être livre La Gouvernance par les nombres ser à la réalité de la vie de salariés supérieures à ses capacités amoin- (Fayard), laisse sans réponse. marqués par la maladie. En entre- dries par les effets délétères des trai- prise, tout est normé, encadré, quan- tements. Elle doit apprendre à le dire Il existe pourtant aujourd’hui une tifié, au point que la part subjective à son manager, qui pourra alors adap- volonté manifeste des salariés de l’être et de sa vulnérabilité finit ter le poste en conséquence. Bien sûr, et des employeurs pour trouver par nous échapper. Le cancer, c’est l’adaptabilité n’est pas toujours pos- ensemble des réponses ? la maladie dans toute son imprévisi- sible, mais on réfléchira ensemble à Certes, cette évolution est réelle, bilité, déjouant parfois les pronostics l’employabilité de la personne hors de mais elle concerne essentiellement ou hélas ne les confirmant que trop sa structure. La relation a une valeur, les grandes entreprises. Or il ne faut bien. Vivre avec le cancer, c’est vivre c’est ce dont il faut avoir conscience pas oublier que notre tissu écono- avec l’incertitude collée à chaque pas. pour l’exprimer pleinement et tous mique se compose à 80 % de petites Au sein de l’entreprise, chacun doit se ensemble. entreprises, qui n’ont pas encore les sentir concerné pour faire évoluer la Propos recueillis par Sandrine Letellier 18 N° 155
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