MACBETH UNDERWORLD - Opéra ...
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MACBETH UNDERWORLD Opéra en huit chapitres de Pascal Dusapin. Livret original de Frédéric Boyer, d’après Macbeth de William Shakespeare. Créé au Théâtre Royal de la Monnaie (Bruxelles) le 20 septembre 2019. Création française. Direction musicale - Franck Ollu Mise en scène - Thomas Jolly Collaboration artistique - Alexandre Dain Décors - Bruno de Lavenère Costumes - Sylvette Dequest AVEC LE SOUTIEN DE Lumières - Antoine Travert Assistante à la mise en scène et dramaturge - Katja Krüger Co-commande du Théâtre Royal Assistant musical - Josep Planells Schiaffino de la Monnaie et de l’Opéra Comique Production Théâtre Royal de la Monnaie, Chef de chœur - Richard Wilberforce Opéra Comique, Opéra de Rouen Normandie Chef de chant - Yoan Hereau Éditions Salabert Lady Macbeth - Katarina Bradić Avec le soutien du Fonds de Création Lyrique et de la SACD Macbeth - Georg Nigl AVEC L'AIMABLE PARTENARIAT MÉDIA Weird Sisters - Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad, Christel Loetzsch PARTICIPATION DE Durée estimée : 1h45 sans entracte Ghost - Matthew Best Porter / Hecat - Graham Clark Child - Airelle Groleau / Rachel Masclet (29 mars) de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique Figurants - Stanislas Briche, Alexander Espinosa Correoso, Michael Guevara, Vladimir Hugot, Benoît Maubrey, Introduction au spectacle, 45 min. avant la Guillaume Rabain, Frédéric Schalck et Gabriel Soler représentation | Chantez Macbeth Underworld, 45 min. avant la représentation Orchestre Philharmonique de Radio France Spectacle capté par Radio France les 27 et 31 mars et diffusé ultérieurement. Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie 2 3
À LIRE AVANT LE SPECTACLE « Je n’ai jamais vu un jour si sombre et si beau. » Macbeth, acte I, scène 3 Par Agnès Terrier Troisième création en huit mois Dès sa parution scénique, que l’on Si Macbeth régna sur l’Écosse À l’invitation de Pascal Dusapin – dont Auprès des trois Sœurs bizarres (the Kožena à Bruxelles, est repris par à l’Opéra Comique – après L’Inondation situe entre 1606 et 1611, Macbeth fut de 1040 à 1057, selon les Chroniques les opéras respectent toujours la Weird Sisters que Pascal Dusapin Katarina Bradić à Paris : il explore lui de Joël Pommerat et Francesco accompagnée de musique. Publiée en de Holinshed qui servirent de source langue originale du sujet – l’écrivain a voulu plus ensorcelantes que aussi toute la palette vocale de son Filidei en septembre 2019, puis Fosse 1623, c’est la tragédie la plus courte à Shakespeare, le personnage de et traducteur Frédéric Boyer a écrit sorcières), du Spectre de Banquo interprète, mezzo-soprano. Ekaterina de Christian Boltanski et Franck de Shakespeare, ce qui permettait Lady Macbeth semble avoir eu peu le livret de Macbeth Underworld en (the Ghost), du Portier du château, Lekhina, Lilly Jørstad et Christel Krawczyk en janvier dernier –, Macbeth l’insertion de chants et de danses de relief. Il s’agit donc d’une véritable anglais. Très tôt, en 2017, l’Opéra ou des enfers (the Porter) – qui prête Loetzsch retrouvent à Paris leurs Underworld confirme le rôle de à chaque apparition des Sorcières, création de théâtre, de même Comique leur a présenté Thomas parfois sa voix à Hécate, déesse de rôles des Sœurs bizarres, et Graham premier plan de notre institution dans lors de scènes d’incantations et que la concentration de ce règne Jolly, dont les mises en scène la sorcellerie et du cauchemar –, Clark celui du Portier sardonique, la création contemporaine, et ce dans de prophéties. maudit à quelques nuits et journées ont révolutionné l’approche de l’Enfant fantasmé (que le compositeur tandis que Matthew Best remplace un esprit d’éclectisme, de dialogue, enténébrées, d’où le sommeil est banni Shakespeare au XXIe siècle, et qui confie à un enfant chanteur) vient, Kristinn Sigmundsson dans celui de partage et de fidélité. Ces trois Sorcières ont pris au piège de au point que la réalité se confond avec avait abordé l’univers lyrique en 2016- lui aussi, harceler Macbeth et Lady du Spectre. Quant au rôle pivot de son orgueil le noble Macbeth, jusqu’alors le cauchemar. 17 avec notre production de Fantasio. Macbeth. l’Enfant, l’Opéra Comique dispose L’œuvre de Shakespeare fut une source loyal au roi Duncan, en lui annonçant Macbeth Underworld a ainsi trouvé avec sa Maîtrise Populaire de jeunes d’inspiration pour les artistes dès avant qu’il monterait sur le trône. Transformer Macbeth Underworld est le huitième sa forme scénique au rythme de Pascal Dusapin déploie une partition artistes prometteuses pour l’incarner : l’époque romantique et sa floraison la promesse en oracle devient l’obsession opéra de Pascal Dusapin, l’un l’écriture musicale, dans une étroite d’un seul tenant, en huit scènes Airelle Groleau et Rachel Masclet, d’opéras et de poèmes symphoniques. de Lady Macbeth. Macbeth commet le de nos grands créateurs lyriques collaboration entre les créateurs, que précédées d’un prologue. Il l’a écrite en alternance. De ce théâtre-monde s’étaient régicide, puis sombre dans l’engrenage contemporains, dont l’Opéra Comique l’Opéra Comique s’efforce toujours de pour huit solistes, un chœur de femmes d’abord emparées des générations de de la dissimulation. Un engrenage a eu le plaisir de remonter en 2008 favoriser. et un orchestre qui comprend une large Enfin, l’Orchestre Philharmonique comédiens, brûlant de s’y dépasser et d’autant plus criminel que les Sorcières le premier opéra, Roméo & Juliette. palette de percussions. de Radio France et le chœur d’en faire résonner les échos chez leurs ont aussi prédit que la couronne de Macbeth Underworld est cette fois Dans Macbeth Underworld, Pascal a c c e n t u s / O p é r a d e Ro u e n contemporains. En chacun et chacune, Macbeth, à l’union stérile, échoirait à le fruit d’une co-commande, passée Dusapin reprend le drame après Le rôle de Macbeth a été conçu pour un Normandie s’approprient, après Shakespeare a ainsi vocation à éveiller la lignée de son compagnon d’armes, en 2016, de l’Opéra Comique et du coup. Passés dans l’outre-monde, baryton aux capacités exceptionnelles, les forces artistiques de la Monnaie, l’interprète, qu’il soit poète et traducteur, Banquo. Régner sans avenir est une Théâtre Royal de la Monnaie. C’est sur les protagonistes revivent leur folie Georg Nigl, interprète fidèle de cette nouvelle œuvre, pour laquelle ou acteur, ou encore compositeur, duperie : impuissant à donner la vie, cette scène que l’œuvre a vu le jour le meurtrière et affrontent leur stérilité Pascal Dusapin depuis 2006. Lady l’Opéra Comique a reçu le soutien peintre, et enfin – et aussi – spectateur. Macbeth sème la mort. 20 septembre 2019. à la noire lumière de la raison. Macbeth, rôle créé par Magdalena du Fonds de Création Lyrique. 4 5
ARGUMENT PROLOGUE Ou l’enfant que Lady Macbeth Dans la nuit du cauchemar, une cloche 4. NOX PERPETUA « Nous aimons les banquets et les est ici reprise, orchestrée par le Portier aurait arraché de son sein ? Lady sonne. mondes bizarres. » Le Spectre confronte lui-même, dans un rôle inquiétant de « Regardez ! Ils reviennent sur Macbeth et le Spectre ravivent les Macbeth, Lady Macbeth, le couple à sa culpabilité, en chantant : prêtre et de sacrificateur. Il ponctue les la scène encore / Ou n’est-ce rien obsessions du couple, leur rêve fatal Sœurs bizarres « Si tu rêves, tu es mon cauchemar. » cris de Lady Macbeth de prières et d’autre que ce que nous voyons dans de gloire et de puissance avec lequel 3. NE DORS PLUS La sarabande infernale s’interrompt. de citations des Écritures (Saint Paul, le miroir des rêves ? » Hécate, déesse jouent les Sœurs bizarres qui mènent Les Sœurs bizarres chantent un requiem Première Lettre aux Corinthiens). Lady Lady Macbeth, Macbeth, Spectre, de la nuit et de la mort, convoque la danse, les chansons, et la cérémonie Portier, Sœurs bizarres et cette « nuit perpétuelle » que Macbeth 6. UN CRIME SANS NOM Macbeth rejoue sa propre mort. le souvenir du couple maudit, Macbeth chamanique qui s’annonce. et sa femme ne parviennent pas à fuir. Dans cette cérémonie du souvenir Macbeth, les Sœurs bizarres et Lady Macbeth. Ils ne peuvent « Maintenant, nous sommes un mystère reposer en paix et reviennent sur leur et de l’obsession, Lady Macbeth est qui n’arrivera plus jamais », disent-ils. Lady Macbeth se réfugie dans un 8. ÉTEINS-TOI, BRÈVE terrible histoire, comme pour la rejouer 2. VIENS, NUIT ÉPAISSE ! redevenue une petite fille perdue. Le couple maudit, dans sa déploration, douloureux chant d’amour : « Suppose que PETITE CHANDELLE ! indéfiniment. Pour les Sœurs bizarres, Elle chante une berceuse avec effroi interroge la cicatrice que la mort et la nous ne puissions aimer, chéri, pas aimer, CHÂTEAU DE MACBETH Macbeth, Spectre, Enfant à la fois sorcières et meneuses du jeu, et douceur. Macbeth de son côté disparition ont tracée au cœur même chéri ». Macbeth doit quant à lui affronter Macbeth, Lady Macbeth, ils sont comme des comédiens qui renouvelle ses aveux : « Je l’ai faite. de l’œuvre et de leur histoire. Quelqu’un les Sœurs bizarres. Il veut réentendre les « Je me suis repu d’horreurs », chante Chœur des Sœurs bizarres joueraient ici leur dernier rôle : La Chose. » Le Spectre et l’Enfant est mort, quelqu’un a disparu. promesses d’invincibilité qui lui avaient été Macbeth. L’ultime confrontation se fait Dans son château, le couple Macbeth faites. Il s’adresse aux puissances invisibles. entre le Spectre et lui, dans la forêt. « Ils vont chanter encore et encore / réapparaissent alors pour chanter est hanté par le souvenir du meurtre Mais ses appels résonnent en vain. Les arbres commencent à bouger selon Les choses silencieuses qu’ils avec lui. Des coups sont frappés ont faites. » du roi. On rejoue la scène de la venue à la porte. Celle du château mais aussi 5. REGARDE Les Sœurs le ridiculisent en chantant la prédiction délivrée par les Sœurs du roi. Lady Macbeth répète sa propre malédiction : « Remplissez-moi, celle de la vie et de la mort, du jeu LE SPECTRE ENTRER de petites comptines. Lady Macbeth bizarres : si la forêt avance et se dresse et de la réalité. Le Portier se pose en sombre lentement dans la folie. contre lui, Macbeth sera vaincu. Dans 1. SI NOIR SI BEAU de la couronne aux orteils, de la pire gardien à la fois du théâtre d’ombres Macbeth, Lady Macbeth la forêt du souvenir et de la culpabilité, cruauté ! » Mais le roi ne viendra Le Portier fait alors entrer en scène le Macbeth prend peur. Le Spectre lui LA LANDE plus. Tout est accompli. Macbeth et des Enfers. Entraînés par les Sœurs 7. VA-T’EN, MAUDITE Spectre. Les Sœurs bizarres s’amusent. rappelle que la reine est morte. L’Enfant Spectre, Enfant, Macbeth, revit l’hallucination du poignard bizarres, tous rejouent la scène dans Lady Macbeth, et les Sœurs bizarres ensanglanté qui danse sous ses yeux. laquelle le meurtre fut découvert. Va-t-on rejouer le festin et pouvoir TACHE DE SANG ! du début réapparaît. Il défie Macbeth faire la fête avec lui ? Lady Macbeth, qui refuse de se battre contre lui, contre Premières visions : un homme en Lui-même en appelle à des « rites Par des chansons populaires, des airs revenue momentanément à elle, tente Lady Macbeth, Portier l’innocence. « Frappe, enfant ! » préfère sang et un enfant orphelin. Est-ce sorciers ». « Noirs sont les amants anciens ou des rappels de la tragédie, d’apaiser son époux et de le faire « Regardez ! Maintenant la porte est crier Macbeth en s’abandonnant. le cadavre de Banquo, l’ami fidèle ? qui rêvent, qui créent et qui tuent », ils se souviennent que « tout est jeu, taire. Mais le jeu s’emballe. Les Sœurs ouverte. » La célèbre scène de la tache Est-ce le jeune fils de Lady Macduff ? chante de son côté Lady Macbeth. tout est mort ». bizarres enchaînent les chansons : de sang sur les mains de Lady Macbeth Frédéric Boyer 6 7
CES DEUX-LÀ Par Pascal Dusapin Ces deux-là, c’est le trouble, l’aberration, la violence, le désordre total. Ils entendent des voix. Ils ne savent plus ce qui se passe, quelque chose d’ailleurs passe au travers Du crépuscule à la nuit, leur histoire d’eux, leur vision est trouble. Leurs se dévoile dans une atmosphère sens s’exacerbent, enflent comme ténébreuse où tout est sombre, des gorgones avides. Leurs yeux opaque, morne et cruel. Les Sœurs sont ouverts à l’intérieur d’eux, bizarres répètent avec lui : « Beau ça les pétrifie mais lui, il doit le tuer. est noir et noir est beau », elles sont Le roi. En fait, on ne sait plus trop l’oracle, une sorte de diable à trois pourquoi, pour devenir roi oui bien têtes, mais ce sont des fées aussi. sûr, c’est simple à comprendre mais Les deux sont habités de démons au même instant il a des visions. insensés qui les hantent comme des Le poignard plane et ondoie devant feux ardents, abandonnés à leurs lui comme un oiseau lent. C’est terreurs funestes. Ils ne savent plus un mirage. Elle, c’est elle qui veut ça, ce qu’ils ont fait mais ils doivent tuer le roi ce bon roi, elle transgresse le faire. Tout se passe comme s’ils tout ce qui passe, elle ne comprend devaient le refaire ou le rejouer. rien d’elle, c’est la confusion, elle C’est plus fort qu’eux. Ensemble. inverse tout et l’autre tue le roi parce Ils confondent tout, l’apparence, qu’il croit vouloir ça aussi. Il ne pense la réalité, l’avant, l’après. plus, c’est un faux fort. C’est un fluet. 10 11
UN OPÉRA EXÉGÈSE DE MACBETH Quand c’est fait, il ne s’en souvient C’est un opéra, comme sont souvent c’est moderne. C’est une question, Par Frédéric Boyer même plus, il a la berlue. Tout à les opéras. Plein d’effroi, alarmé, au même instant une métaphore coup, il tue tout autour de lui, c’est fragile, cocasse malgré tout et et vice-versa. L’opéra c’est dire en irrésistible, il ne peut plus s’arrêter, ça chante tout le temps. chantant ce qui nous préoccupe puis il prend peur, depuis le début ensemble. il a peur, il a toujours peur, alors Avec un opéra, je ne veux pas il devient délicat, presque douillet, raconter une histoire mais Alors, j’ai lu et relu cette pièce Comment interpréter aujourd’hui voix plus contemporaines, et les Underworld, l’outre-monde ou les il part en vrille, soudain elle meurt tenter de dire le monde comme dont on ne dit pas le nom, toutes pour l’opéra une tragédie échos d’autres paroles. Jusqu’à enfers, le monde souterrain aussi, tout dégénère et devient je l’entends. Comme ça passe les traductions (depuis longtemps shakespearienne ? Plutôt que de ne plus distinguer le présent du des créatures bizarres, mais aussi infâme en lui. À la fin, il le sait, devant moi. Il ne s’agit pas de tout le monde s’y est mis), j’ai vu les livrer une version abrégée et adaptée passé. J’ai voulu écrire une libre la pègre, le crime, les mondes c’est trop tard et c’est fini. raconter une histoire de plus mais films (il y en a beaucoup), les pièces du texte original, nous avons préféré, réapparition lyrique du couple parallèles… Et encore le monde faire plus d’histoires avec l’opéra. (encore plus, chacun à son idée avec Pascal Dusapin, créer une sorte maudit au cœur d’un poème du double, du jeu, du théâtre. Lorsque j’ai commencé à imaginer Chaque opéra charrie sa peine, là-dessus), j’ai lu ce qui s’écrivait de digression noire et enchantée contemporain, personnel, hanté Parce que revisiter une œuvre, un opéra sur ce texte damné, je me son inquiétude, son indescriptible dessus, dessous aussi (c’est plein de l’œuvre et de son mythe. Jusqu’à par le texte shakespearien. Lady c’est toujours la rappeler comme suis donc retrouvé un peu comme détresse. Ça vient à soi seul. Le texte de souterrains, de sous-bois, c’est inscrire dans le livret et la musique Macbeth et Macbeth ne sont on rappelle des spectres, comme elle et lui, perdu, apeuré, anxieux, le arrive comme ça, il se tient debout toujours obscur, on n’y voit rien), les cicatrices de nos échanges, de plus seulement les protagonistes un cauchemar devenu le nôtre meurtre en moins certes, mais quand devant vous, c’est fou, c’est comme j’étais épuisé par ce texte, envahi, nos lectures, des événements vécus, d’une machination sanglante qui qui ravive nos propres peurs même, un sacré relent de mort aux une adresse à soi-même. D’abord, perdu. Lorsque j’ai été tout à fait comme celles de deuils terribles se retourne contre eux, mais ce et culpabilités bien réelles. « I like trousses. J’imaginais à me faire peur. ça vous toise d’un œil morne, ça dure englouti, tout au fond, j’ai demandé qui nous auront frappés pendant couple à la fois déchiré et uni qui the thrill » [J’aime le frisson], s’écrie Pourquoi devais-je écrire ça ? un moment, longtemps, ça rumine à Frédéric Boyer que l’on fasse ce travail de trois années. revient nous appeler depuis leur Macbeth comme une révélation. Encore une histoire qui finit mal. en vous puis ça vous contraint. ça ensemble. Il fallait absolument enfer. Parce que leur histoire pour Mais c’était aussi plus fort que Alors, il faut dire ça en musique, par l’embarquer - lui - dans cette C’est ainsi tout un monde souterrain moi, aujourd’hui, c’est l’histoire Le drame est resserré autour moi. Je n’avais pas fini le précédent la musique parce que c’est comme aventure. Alors, il a tout relu aussi, que nous avons convoqué. lyrique d’un amour qui affronte du couple Macbeth et de ses opéra - celui où la femme écorche et ça que ça se fait. Un opéra. et puis il a tout réécrit. C’était très J’ai voulu que les personnages sa propre sauvagerie contraire. obsessions sanglantes. Une sombre dévore son homme avec sa bouche joyeux, oui, c’était inattendu, on s’est de la célèbre tragédie parlent Miroir déformant derrière lequel féerie menée par les Weird Sisters, rouge ouverte pleine de dents aiguës La permanence de l’histoire amusé aussi. Ça s’est fait comme ça. et chantent avec notre voix. nous découvrons un autre monde, sorcières mais littéralement - que je savais qu’il fallait faire pire. de ces deux-là ne cesse pas Mot à mot. Note à note. Qu’ils parlent et chantent en anglais un outre-monde où notre force « Sœurs bizarres », voire dérangées, Voilà, et maintenant je l’ai fait. d’accabler notre temps. avec les mots de Shakespeare mais est impuissance, notre désir par le Portier –, ou le gardien des Heureusement, rien n’est vrai. Ç’en est même effarant comme 28 juillet 2018 que l’on entende aussi d’autres un impossible assouvissement. enfers et un enfant mystérieux 12 13
« Même si l’Enfant pourrait être tenu par une jeune femme, idéalement, il faut un enfant à la voix sûre et droite, résolue dans son intention. Car c’est l’Enfant qui – à la fin – tue Macbeth. » Pascal Dusapin (inspiré dans la pièce de Shakespeare qui se voudrait comme une machine La situation pourrait être celle-ci : par le fils de Lady Macduff mais lyrique contemporaine de l’œuvre une cour maléfique de démons lunaires, aussi et surtout par l’étrange et dont il s’est inspiré. ou mieux encore une petite bande terrible déclaration de Lady Macbeth de sœurs malades, dérangées et folles, sur sa connaissance de l’amour Tout est joué déjà, tout est dit et plutôt drôles et méchantes, organise maternel, comme si elle avait eu entendu, mais les mots et les actes une sorte de cérémonie chamanique, un enfant). Les personnages sont reviennent pour écrire cet opéra théâtrale, de convocation du passé et hantés par l’enfance. Tous orchestrent contemporain, opéra sur la tragédie, de l’histoire. Les spectres réapparaissent. ce cauchemar répétitif qui devient opéra sur la mémoire de la violence Les fantômes dansent. L’opéra devient le nôtre : que s’est-il passé ? quel acte et de l’acte régicide, fratricide le lieu magique de la répétition. Le couple a été commis ? quelle pièce a été également (le meurtre de l’ami maudit est condamné à revivre l’histoire jouée ? « Les choses sont- elles Banquo). Si j’osais, je dirais qu’il s’agit qu’on lui prête et dont il s’accuse. vraies de ne pouvoir être vraies ? » d’un opéra exégèse de Macbeth, ou un Bref, les personnages sont tous confrontés (pour reprendre l’interrogation midrash poétique moderne de l’œuvre. à leur réalité spectrale, à revenir hanter de Macbeth dans le livret). Un opéra de la culpabilité dans lequel leur mémoire et la nôtre. Une sorte résonnent également les paroles de fête macabre, où le Portier du château J’ai repris, sous la conduite de Pascal bibliques de Caïn et Abel ou celles de apparaît pour ce qu’il était : le gardien Dusapin, le texte de la tragédie saint Paul, et un requiem. Mais aussi de notre enfer, de notre conscience shakespearienne, en prélevant d’autres drames de Shakespeare et de notre mélancolie. en quelque sorte des éléments (King Lear), quelques vers de ses de langage, des refrains, sonnets, des citations de Lewis Caroll, Macbeth Underworld explore la frontière des phrases et des mots qui ont du poète E. E. Cummings, ou encore sonore entre notre réalité contemporaine constitué l’alphabet du livret, et en des chansons populaires écossaises, et l’œuvre ancienne, active le texte les réinterprétant dans un texte inédit des berceuses anciennes… fantôme de tout amour et de tout désir. 14 15
PIÉGER L’ESPRIT ET GLACER L’ÂME Par Thomas Jolly L’opéra Macbeth Underworld Toute l’œuvre de Shakespeare est Cet outre-monde, c’est le monde est une sorte de machine hantée par l’histoire d’un enfant souterrain, celui des morts lyrique et théâtrale en mouvement décédé. Dans Macbeth, seuls et des créatures bizarres. continu, hantée par la légende des quelques vers indiquent que Mais pour moi, c’est aussi Macbeth et sous-tendue par le texte Lady Macbeth a été mère, et que le monde de l’inconscient, celui Pour moi, l’enjeu est de raconter une « Le Portier est un personnage rustique et ridicule, de Shakespeare. Tel un palimpseste, le couple a – semble-t-il – perdu de la culpabilité des Macbeth, histoire et de la livrer au plus près un peu aliéné et comique mais dans un sens, il présente des images, des motifs, son héritier. Pascal Dusapin un sentiment dont ils ne savent des « commandes écrites » de l’auteur des références à la pièce de théâtre. et Frédéric Boyer ont fait de cet pas ou ne veulent pas se défaire. et du compositeur. J’ai eu le luxe terrifiant. Il est le gardien des Enfers. » Comme si cette œuvre lyrique était enfant mort la pierre angulaire de Cet opéra explore les facettes d’être invité dès le départ dans le elle-même le spectre de la pièce. la construction de la culpabilité qui sombres du cerveau : l’inconscient processus de conception de l’œuvre, Pascal Dusapin dévore les Macbeth. La présence se déploie sur le plateau. j’ai ainsi pu suivre la composition J’ai envisagé le décor de ce spectacle d’un chanteur enfant sur le plateau Convaincu que l’opéra de la musique et l’élaboration du Comment élaborer une mise en scène Images, expressions, adjectifs, couleurs, comme une maison d’opéra leur est apparue comme contemporain ne rime pas avec livret. Depuis nos places respectives, en cours de composition ? Comme humeurs, gestes… Se déployait sous abandonnée. Tous les personnages une évidence. opacité, j’ai eu pour préoccupation Pascal Dusapin, Frédéric Boyer à mon habitude, j’aime remettre mes yeux une topographie de l’œuvre sont morts, certains ne le savent pas : première de rechercher la clarté. et moi-même avons infusé cette l’ouvrage sur le métier à chaque à venir. Le projet de mise en scène, les Macbeth, Lady Macbeth, le spectre Les personnages de l’opéra sont Je me suis intéressé à la manière histoire. Par chance, la musique nouvelle création, être bousculé costumes, les lumières, la scénographie, de Banquo, l’enfant. Tous sont des jouets mus et manipulés par dont on pouvait recevoir cette de Pascal est une musique empreinte dans mes modes de création. tout s’est alors inventé à partir de enfermés à jamais dans des limbes des êtres oniriques : les trois œuvre, que l’on soit ou non familier de théâtralité. Une musique faite de Pour cette aventure, j’ai inventé cette partition vocale et sémantique. opératiques, condamnés à revivre Sœurs bizarres, accompagnées de Macbeth de Shakespeare, ou sensation, organique et émotionnelle. un protocole de travail avec Pascal Cette collaboration obligatoire, éternellement leur histoire, à rejouer par un chœur de femmes et de la musique de Pascal Dusapin. En un mot : une musique vivante. Dusapin. Je lui ai demandé de narrer cette intimité indispensable avec cette sombre féerie. Une sorte de leur reine Hécate. Le Portier Rendre une création accessible Mais avant qu’elle ne voie le jour, sa partition. De parler sa musique, le compositeur et le librettiste sont litanie ou plutôt une comptine cruelle, est le gardien de la porte du à tous ne signifie pas pour autant j’ai été confronté à plusieurs questions : librement, avec ses mots, ses venues enrichir indéniablement mon répétitive et hantée par la culpabilité château mais aussi de l’enfer, qu’il faille revoir à la baisse son comment échafauder un spectacle intonations. Ces entretiens ont été imaginaire et augurent des répétitions du couple maudit des Macbeth. de l’outre-monde, de l’Underworld. niveau d’exigence, bien au contraire. sans pouvoir entendre la musique ? filmés et scrupuleusement retranscrits. et un spectacle tout aussi généreux. 16 17
UNE PARTITION « Le fantôme (ou le spectre) de Banquo, le meilleur ami de Macbeth, est la voix ÉMINEMMENT THÉÂTRALE du destin de Macbeth, de sa conscience : c’est lui qui annonce le désastre. La musique se meut souvent Il est une sorte de commandeur. » à la manière d’un récitatif, guidée Par Franck Ollu par la prosodie et par la théâtralité Pascal Dusapin qu’inspire la tragédie de Macbeth. En ce sens, on peut comparer la démarche de Dusapin à celle de Debussy dans Pelléas et Mélisande, ou bien encore, dans un autre genre, à celle de Schoenberg Macbeth Underworld, opéra yoman, rakatak (sorte de crécelles), Si l’on s’éloigne de la prosodie, on ne avec le « Sprechgesang » (parlé- composé de huit scènes qui tingsha (sorte de crotales). On entend peut rien comprendre à l’harmonie du chanté). Sauf que dans l’interprétation s’enchaînent sans interruption ni parfois des champs d’oiseaux et de texte. Si l’on ignore la métrique, on ne du Macbeth Underworld de Dusapin, véritables interludes, est à mon grillons. peut pas avoir le sentiment véritable il n’y a pas d’ambiguïté : le texte doit sens une œuvre profondément Ces instruments et les bruits de la poésie qui s’en dégage. être chanté, et les notes doivent être théâtrale. Et cela dès son ouverture de la nature confèrent également Le texte de Shakespeare comporte entendues, ce qui n’empêche pas avec ses huit puissantes mesures à l’œuvre un caractère mystérieux déjà en lui-même les prémices d’une l’œuvre d’être profondément théâtrale. d’introduction. En guise de prologue, et fantasmagorique. partition musicale. Le compositeur on y entend un magnifique et en utilise tous les rebonds Ce n’est pas la première fois que Pascal surprenant bloc sonore, où Pascal Comme dans toute l’œuvre de rythmiques, comme les changements Dusapin utilise ce procédé : on le Dusapin utilise tout l’orchestre, ainsi Shakespeare, la langue de Macbeth d’intonation qui sont intrinsèques retrouve dans la plupart de ses opéras, que l’orgue, que l’on retrouvera tout a son propre rythme. Pascal Dusapin à la manière dont on peut lire le texte. quoiqu’il soit particulièrement amplifié au long de l’opéra. exploite ce rythme mais également Il joue et exploite les rythmes de dans Macbeth Underworld. Cela montre l’accentuation du langage pour en la langue, comme par exemple des l’intérêt que le compositeur porte La nomenclature de l’orchestre faire des composantes structurantes monosyllabes ou « coups de voix », à la sonorité des langues, et cela explique comprend aussi un archiluth – que le de sa musique. Si l’accentuation des rythmes ïambiques, composés pourquoi il travaille toujours les textes compositeur décrit comme étant un engendre déjà le rythme dans de deux syllabes (une brève et une dans leur langue d’origine. Il a besoin personnage ancien, proche de Lady la langue de Shakespeare, le longue) primitivement utilisés dans d’en entendre la sonorité. Voilà pourquoi Macbeth –, ainsi que des instruments compositeur entend bien respecter la comédie satirique, très présents il serait absolument inconcevable de de percussion très hétéroclites, tels cette donnée, mais aussi la magnifier dans la partie du Portier, dans chanter Macbeth Underworld dans une que les chekere, kola, maracas de type par son écriture musicale. la troisième scène « Sleep no more ». autre langue que l’anglais. 18 19
LA PARTITION Pascal Dusapin Partition manuscrite de Pascal Dusapin, 10 septembre 2016 – 9 juillet 2018, Éditions Salabert, pages 84 et 85. 20 21
NOMENCLATURE DE L’ORCHESTRE NOTES De la page 306 à la fin : dans ces mesures, toujours annotées « épée » il s’agit de suggérer acoustiquement le combat d’épées entre l’enfant et Macbeth. Une solution à cet effet Deuxième séquence avec les tuyaux d’orgues, ET NOTES POUR L’INTERPRÉTATION pages 277 et 278 : demandé pourrait être de fixer de véritables épées sur un socle résonnant, en position verticale, et de les frapper avec des baguettes métalliques (ou toute autre pièce Faire sonner plus finement que de métal). précédemment. De façon plus lointaine, comme un souvenir… Éventuellement le chœur De la page 195 à 197 du manuscrit : la Petite Flûte, les 2 Percussions et le Violoneux de femmes pourrait être placé en coulisse. pourraient être sur scène, comme un petit orchestre de banquet. Dans ce cas, confier les parties de percussions aux deux percussionnistes placés en coulisse. L’ORGUE Mais attention, au cas où la solution choisie serait de faire jouer ce petit orchestre sur scène, il conviendra aussi d’engager un musicien supplémentaire pour jouer la partie L’orgue requis est liturgique de type Allen, 3 Flûtes de Petite Flûte (ou flûtiau…). deux claviers et pédalier. Percussions 1 Percussions 2 (3e aussi Petite Flûte) 2 Castagnettes Crécelle (grande et très sonore) 2 Hautbois Tambour de basque Il est toujours très délicat de noter Cymbale (grande) (2e aussi Cor anglais) 2 Cymbales (petite = 1, grande = 2) Cymbale cloutée précisément la registration mais je donne 2 Clarinettes en si b Caisse claire 3 Cloches de vache (sans hauteur fixe, de l’aigu vers le grave = 1, 2, 3 ) PERCUSSIONS PLACÉES DERRIÈRE NOTATION DES VOIX SOLISTES quelquefois des indications de registre 8’, Clarinette Basse Blocs chinois (de l’aigu vers le grave = 1, 2, 3 ) Jeux de Crotales LA SCÈNE 4’, 1’, 1’1/3’, etc. plutôt comme des indications 2 Bassons Cloches plaques : Tam-tam (moyen) : = frotter vivement = chanter avec beaucoup de souffle, de registres. Il arrive aussi que je précise une (2e aussi Contrebasson) les plaques do # et ré sont communes avec un batte de triangle (Ces deux instrumentistes sont précisés diaphane et presque sans hauteurs. indication simple de sonorité ou de couleur aux 2 percussionnistes = étouffer juste après l’attaque prévoir dans la partition « percussions coulisses ») (par exemple : plus doux ou électrique). 4 Cors en fa Mark tree (en acier, grand) également un archet et du papier de verre = chanter avec souffle mais sans jamais 2 Trompettes Tingsha 3 Bongos (de l’aigu vers le grave = 1, 2, 3 ) Grosse caisse (si cela est possible, et perdre la hauteur. L’orgue doit être extrêmement bien intégré (sourdines sèches et wah wah) 3 Djudjus (1 = le noir, 2 = le marron clair, 3 = le marron foncé) même si cela reste à décider avec le chef 2 Trombones ténors Glockenspiel (3 octaves) à la sonorité de l’orchestre et sonner Chaîne (grande et lourde, à manipuler dans une bassine métallique) d’orchestre, j’aimerais deux grosses caisses, = parlé-chanté (sourdines sèches, wah wah Fouet légèrement au-dessus (quoiqu’il convienne Tambourin toujours frappées simultanément) et plunger) Rakatak Chekere « Yoman » de différencier les passages où l’orgue sonne Tuba Maracas « Yoman » = fouetter les spires Tam-tam (le plus grand et large possible) = expiration très sèche. avec l’orchestre et lorsqu’il est plus soliste). Spring drum Cymbales « Spiral » : du haut vers le bas Grelots Cymbales frappées Orgue Grand bâton de pluie On veillera donc à ce que la sonorisation Kola Épée Cloche d’église LE CHŒUR DE FEMMES soit très naturelle, la plus proche possible 4 Percussions Épée (j’aimerais une vraie cloche d’une sonorité d’église. (dont 2 placées derrière au timbre un peu éraillé et Première séquence avec les tuyaux d’orgues, la scène où en coulisse) lugubre. Elle pourrait être placée sur scène) page 269 : LE VIOLONEUX Archiluth Effet Tonnerre (une plaque ou un énorme Spring drum) À chaque chanteuse du chœur a été attribué Page 193 : un tuyau d’orgue d’un registre de type 1’ ou 2’. Chœur de femmes Grand tambour de bois Bien que ma préférence aille vers l’emploi Ce sont donc des petits tuyaux de registre (8 sopranos, 8 mezzo-sopranos) (de type africain ou de type Hammer aigu, de hauteurs toutes différentes, d’un musicien de scène, cette partie pourrait avec une sonorité puissante) couvrant approximativement les deux être jouée par le violon solo de l’orchestre 8 solistes Chekere « Yoman » Cymbale « Spiral » Kola Djudju n°1 Effet « On entend des coups ! » : ou trois dernières octaves d’un clavier. à la condition sans doute qu’il puisse 12 Violons I Cet effet est prévu pour figurer les coups changer son instrument pour un autre plus 10 Violons II sur la porte des Enfers. C’est une séquence Pour cette première séquence, chacune des « populaire ». Jouer ff sempre marcato avec 8 Altos importante du point de vue théâtral chanteuses souffle dans le tuyau et le fait une sonorité rauque, comme un violoneux de 6 Violoncelles et il conviendra - en accord avec le chef sonner de la façon la plus irrégulière possible bal, grinçant, très dansant, enjoué et rythmé. 4 (ou 6) Contrebasses d’orchestre et le metteur en scène - de trouver en jouant avec les harmoniques. L’ensemble Je ne note aucun phrasé, considérant que l’effet sonore idéal. produit alors comme un chœur de pleurs… le rythme évoqué par la musique suffira. Djudju n°2 Djudju n°3 Maracas « Yoman » Rakatak Tingsha
UNDER THE WORLD OF PASCAL DUSAPIN Par Irina Kaiserman « Oh, noirs sont les amants qui rêvent, qui créent et qui tuent. » AU DÉPART... Il y a le théâtre des émotions constitué Qui s’illusionne et se tourmente IL Y AVAIT DEPUIS DES ANNÉES PAS DE POINT DE DÉPART par ce butin littéraire. La merveilleuse une heure sur scène L’ENVIE DE METTRE EN MUSIQUE DISTINCT CHEZ PASCAL DUSAPIN. sensation de se sentir autre, de parler Et à la fin on ne l’entend plus. UN OPUS DE SHAKESPEARE, avec les mots des autres. Une histoire racontée par un idiot, l’intérêt pour le travail autour L’amorce est plurielle, il y a des Un jour Dusapin encore élève fut prié pleine de bruit et de fureur, de Richard III de Pacino ; il fallait une rencontres, des impressions, de ne plus venir au club de théâtre Et qui ne signifie rien. » pièce courte. Après l’univers minéral, ça infuse puis enclenche peu à peu, de son lycée, son professeur arguant poussiéreux, aride de Penthésilée en son ça continue, ça se pose et se rature, de sa trop grande personnalité Pascal Dusapin aime lors des désert, il était assoiffé et asséché. Il avait ça sédimente et un jour quelque dont ses congénères auraient pris répétitions raconter des histoires besoin d’un changement de climat : chose émerge, la montagne est là. ombrage... Y pensait-il en 2010 au aux musiciens, aux orchestres. Pour les brumes des Highlands et leurs Il y a son immense amour de Festival d’Avignon lorsque, à l’issue mettre en évidence le sentiment lié terres gorgées de sources et de bruyère la littérature, de la poésie et du théâtre d’un concert au cloître des Carmes, à la musique, pour amener la tension dessinaient un territoire attirant qui deviennent les alliés précieux de ses il lut quarante minutes durant, seul dramatique adéquate, enrichir et prolifique. L’humidité glaiseuse livrets d’opéra. Il observe avec bonheur sur scène, les merveilleuses phrases l’interprétation. de Macbeth allait le désaltérer. et fascination les mécanismes de la de son ami Olivier Cadiot ? Il y eut Avec l’opéra, il met sa musique La tourbe, les odeurs d’humus, pensée dans l’écriture qui s’engrainent, là un bonheur indicible. Celui au service d’une histoire pour l’eau qui suinte lui rappelèrent la tels ceux des montres à complications de raconter le monde à travers rendre compte du monde tel qu’il Lorraine natale, même les pins des qu’il admire lorsqu’on ouvre leur boîtier. des histoires et d’être écouté. le perçoit, déborde de ses formes en forêts écossaises ressemblaient Il aime se pencher sans fin sur la trame permanente évolution pour plonger aux grands arbres noirs entourant qui sous-tend les œuvres pour mieux en « La vie ? Une ombre qui passe, dans la psyché, chaudron fertile des les clairières de Vaux, le village où appréhender la construction. un pauvre comédien passions humaines. Pascal Dusapin grandit, près de Metz. 24 25
« Lady M. n’est pas une furie, c’est une femme insidieuse ses gémissements de petit enfant Il n’entend pas faire de Lady Macbeth conviction, son emprise sur son époux, dotée d’un fort caractère mais à la psychologie mélangés à ceux d’une bête blessée, son une harpie avide de pouvoir et de sa détermination vont s’effondrer confuse et très fragile. Voix douce, très suave. » souffle à bout, c’était déjà de la musique, sang et introduit une grande douceur devant l’égarement, l’enfermement une cadence. Il lut toutes les traductions, dans son chant, avec une élocution mortifère, l’aliénation progressive de Pascal Dusapin chercha les interprétations du texte assez baroque, une intériorité et une son homme échappant à tout contrôle. original, l’envers et l’endroit … ingénuité très grandes. Elle chante même I l c o n f i a l e l i v re t à u n a m i une berceuse, reflet d’une maternité Macbeth, de serviteur zélé et crédule, Le brouillard et les relents de bataille, érudit et poète, arpenteur des perdue. Sa violence n’en est que plus devient assassin et fou, enfant les cadavres des soldats et les armes grands textes, Frédéric Boyer. éclatante, et sa révolte envers sa tyrannique sans limite. Face au pouvoir qui restent enfouis dans la terre Il s’agissait de réduire la pièce, de mener condition de femme contrainte d’agir de la prédiction des Sœurs bizarres, meuble, les étangs ravinés par les un « travail d’élagage » et de bouleverser dans l’ombre (« Unsex me » !). Il y eut cette prédiction transposée en miroir combats et les bombes, rassemblaient quelque peu le texte de Shakespeare. de la tendresse à écrire pour elle. Le narcissique, Macbeth se parjure, il trahit l’Écosse de Macbeth et la Moselle de personnage est l’instigateur du crime, tout de suite la loi. Certes, l’acte émane l’enfance du compositeur. DE QUOI PARLERAIT-ON ? mais se retrouve aussitôt confronté à de l’amour, mais il le disloque. C’est le Une catharsis de guerre était-elle D’AMOUR ? l’impuissance de l’homme à agir et à finir jeu de l’intime et de l’universel : l’intimité possible ? La musique continue là où une action (« If it were done it were well »). se joue de la loi, la loi et le nombre les mots et les hommes s’arrêtent, elle Contrairement à la pièce deShakespeare, Le pouvoir manifeste du patriarcat reprennent leurs droits une fois l’intimité continue son chemin intrinsèque… Pascal Dusapin voulut insister sur l’amour est creusé en sous-bois par celui plus caduque : l’union vole en éclats. qui lie ce couple monstrueux. Le mystère indécelable du matriarcat, et la précarité Pour exprimer son trouble, Dusapin fait Il regarda tous les films tirés de Macbeth de l’amour, du lien entre deux êtres, de du statut social de la femme l’entraîne à évoluer la voix de Macbeth du registre qu’il put trouver, du Château de ce qu’on accomplit en couple et qu’on persuader l’homme de forcer la loi pour grave à celui de l’aigu, sans socle. l’Araignée de Kurosawa au Macbeth n’accomplirait pas seul, lui paraissait s’élever et la hisser ainsi à sa suite. Cet homme balloté par les désirs et de Polanski, ainsi que maints films essentiel. Pe nt h é s i l é e, l ’ h é ro ï n e d e s o n les projections des autres, entre liberté d’étudiants dans des universités précédent opéra, dépassait elle aussi fantasmée et aliénation, devient errant américaines, en passant par une « Love is a voice under silence. » sa condition de femme pour accomplir à mesure qu’il tue et que son palais se captation de la Royal Shakespeare le destin, mais restait subordonnée à remplit de fantômes. Le compositeur Company, bien d’autres encore. Il y a un pacte entre Lady Macbeth la loi, et cette obéissance contribuait aime suivre ces personnages qu’on Il écoutait, le rythme de la langue, et son époux, mais l’assassinat à la conduire vers son acte monstrueux. rencontre aussi chez Beckett, un de le rythme des acteurs, il regardait, du roi, alors même qu’il est une ses auteurs favoris, qui attendent, les expressions, les mises en abyme, les émanation de leur amour, va scinder Face à ses affects Lady Macbeth traversent, ne savent ni où ils sont ni qui perspectives changeantes, il glanait. irrémédiablement leur unité. fléchit, elle conspire, manipule, menace ils sont. Le transport de leurs affects Dame Judi Dench, « What is done can mais capitule, rapidement débordée rappelle les plaques tectoniques qui not be undone », son long cri contenu, « Maintenant nous sommes par ses actes, elle se dissout dans glissent, dérivent et font soudain tout grinçant comme un vieux portail rouillé, un mystère qui n’arrivera plus jamais. » la culpabilité et la folie. Sa force de craquer au-dessus d’elles. 26 27
Comment discerner son désir de celui Y céder, le conquérir en espérant les rapports changent à la faveur du passer par le crime ? Ici se pose la des autres ? Éclos au sortir des combats garder le contrôle ? Ou s’en protéger, calme et de la torpeur générale pour question du respect et de la maîtrise et de leur violence, le premier désir en le refusant, pour prévenir la folie affuter les pensées de celui qui veille du temps, autre compagnon et obsession de Macbeth est teinté de culpabilité, inhérente qui guette ? et laisser enfin affluer les constructions du compositeur. Dans cet Underworld, puis s’incline devant celui de sa femme Pour l’artiste Dusapin, cette question- sonores qui l’envahissent à toute heure. les repères sont brouillés, on ne sait et devant son ambition. Mais le futur là est une énigme, puisqu’il s’est plus vraiment quand et où évoluent les régicide rencontre aussi, au plus justement tenu à l’écart de ces enjeux- « Night never goes. » personnages. profond de lui, l’écho d’une aspiration là dans son parcours de vie : le pouvoir, indicible et pourtant souveraine, à ne ça ne l’intéresse tout simplement DU DESTIN ? L’angoissante licence du choix, du pas être « bon » au sens chrétien, mais pas. Se renier, trahir pour gagner en libre arbitre plus ou moins libre et à laisser les noirceurs de l’envie, de prérogatives et en omnipotence ? Cette Le destin annoncé devient l’unique de l’impact d’une action de quelques la jalousie, de la cruauté, remonter métaphore de la politique, simple et voie, il dépasse Macbeth et sa Lady secondes rencontre l’impossibilité à la surface et éclabousser le reste moderne, liée au règne d’Elisabeth Ière et les conduit vers la folie et la mort, de revenir en arrière, d’effacer et du monde. Le révélateur aura été le et de Jacques VI Stuart, le fascine en sans alternative. Ils vont lâcher prise de recommencer, l’irrémédiable... présage des Sœurs bizarres, mais conséquence. Les journaux d’actualité l’un après l’autre, l’un sans l’autre, celles-ci disent bien : « We all might qu’il lit quotidiennement exposent devant la fin annoncée, devant le « Hier sera trop tard. be anyone ». maintes déclinaisons de cette histoire drame inéluctable. Ils ont été les Les actes ne rêvent pas à ce que dans le monde contemporain… jouets des trois Sœurs bizarres, que peut faire le passé DU POUVOIR ? Rêver sur le moment où l’on choisit Dusapin a imaginées sous les traits Et les frelons pleurent aux piqûres sans choisir, mais où la voie dans de belles ensorceleuses au talent de des enfants. » dit le portier. La liberté étant entravée par le présent laquelle on s’engage ne mène plus mentalistes : elles devinent ce que et le réel, la tentation est donc grande qu’au drame le plus noir et sanglant. Macbeth ignore de lui-même, cette Le contraire du créateur qui peut de s’en affranchir en se projetant Rêver puisque le sommeil a fui ! ambition et cette violence ravageuse, écrire et raturer, découper un bout de dans l’avenir grâce au surnaturel. elles jouent... Et Hécate, reine des partition, en scotcher un autre, créant « Parle, pouvoir inconnu. » « Macbeth a assassiné le sommeil. » sorcières les en blâme. Hécate dont des pages unies à l’endroit et puzzle des Ce faisant, l’humain abandonne son Médée, autre héroïne d’un opéra volte-faces et des hésitations à l’envers. libre arbitre et devient le jouet du Le sommeil fuit aussi souvent le de Dusapin, était la prêtresse... Partition confettis, quatre ou cinq trous surnaturel, des Sœurs bizarres, mais il ne compositeur accroché à son rêve On dit que les prédictions sont hors par page parfois ! Magie du Tipp-Ex le voit pas. Il est aveuglé par la promesse d’opéra et heureux du silence de la nuit, temporalité. Peut-être que si Macbeth et de la colle. du pouvoir, la promesse infaillible. sans téléphone ou bruits intempestifs avait attendu sans forcer le destin, Écrire, lentement, relire, casser, Mais le pouvoir peut rendre fou… pour le déranger à son labeur, où la prophétie se serait réalisée sans retrouver le fil, recommencer. 28 29
IL PARTIT EN VACANCES EN ÉCOSSE, d’opéra sont coutumiers ? Jusqu’où ? secouent les atmosphères dramatiques, On en écoute les signes avant-coureurs, Il imagine une sonorité pleine avec du Les monstres qu’il emprunte pour ses vérifier les intuitions, chercher des bruits Il déambule. provoquent l’irruption de la chair dans comme un enfant guette à quel moment vide entre les intervalles, ordonne des opéras mettent à nu l’essentialité de l’être et des atmosphères, se gorger de lumière Quand on entreprend un voyage, les constructions psychologiques les adultes vont déraper. Puis vient vagues orchestrales presque saturées. humain, ils viennent nous rappeler le pire changeante et violente. Là-bas, les rubans l’éventail des possibles s’accroît et dramatiques. Il ne sera pas sans l’explosion des sons et des émotions. Les instruments particuliers qu’il pour que nous allions vers le meilleur. de route, brillant à travers des paysages le temps de passer d’un monde rappeler Sly, le vagabond ivrogne de invite cette fois-ci deviennent des Ils nous mettent en garde. sans fin, reflètent les nuages qui défilent. à l’autre, puis il se réduit à nouveau. La Sauvage apprivoisée, son personnage QUAND PASCAL DUSAPIN personnages dramatiques dont Dusapin a écrit en 2013 une pièce Il engrange les sons, les résonances, shakespearien préféré, qu’il réinvente COMMENCE MACBETH l’originalité est signifiante : l’orgue et « Quoi que nous perdions, intitulée Wolken – « Nuages » en la pluie, des branches cassées... de dans l’opéra Faustus, the Last Night, UNDERWORLD, ses registrations influencent l’orchestre c’est toujours nous-mêmes que dans allemand – il a une passion pour les quoi faire avancer la forêt de Birnam créé en 2006 au Staatsoper de Berlin. il prédéfinit des trames harmoniques et convoquent un caractère oratoire la nuit nous trouvons. » nuages, ces formes qui empruntent vers Dunsinane. Avec son librettiste, ils complètent les mais veut rester libre de pouvoir changer et liturgique. L’archiluth attire la à nos rêves et à nos cauchemars et Là-bas le rattrape l’annonce de protagonistes avec un fantôme-spectre, d’avis dans cette partition sans escale. référence à la musique élisabéthaine Comme nombre de créateurs, Pascal auxquelles on délègue l’apparition ou la la mort accidentelle d’une amie. figure familière shakespearienne, Il n’y aura pas de plan irréversible, qu’il affectionne depuis toujours, les Dusapin se cache dans son œuvre, disparition d’humeurs et d’événements. L’idée originelle d’un requiem grinçant interprété par une voix de basse, contrairement à ce qui arrive à son héros. sifflements d’oiseau imposent la nature, laissant à d’autres l’interprétation Il visite les châteaux de Cawdor, et sarcastique avec les Sœurs et un enfant qui dit : À la différence de son opéra il y a aussi des percussions africaines, des signes, donnant quelques Inverness, voit la butte où les rois bizarres, au milieu de l’opéra, se Penthesilea, dont la forme – un prologue, des tambourins. Un violoneux joue une explications mais ne révélant que furent couronnés à Scone ; tout est transforme au contact de cette réalité. « Mon épée c’est ma voix », onze scènes et un épilogue – s’apparente gigue, l’opéra s’ouvre avec un sidérant ce qu’il veut. Le reste est crypté, vert, mouillé, glissant, les arbres sont Il composera un requiem pour elle, et aussi, à des îlots, Macbeth Underworld se effet de coup de hache orchestral les spectateurs et les auditeurs le immenses, les marronniers rampent, Nox perpetua. Une déchirure chantée « Tu seras un de nos monstres présente d’une seule traite, comme un qui résonne comme un tutti d’orgue, transcriront et se l’approprieront. les pins sombres défient les cieux, les par le chœur et les Weird sisters, les plus rares avec ces mots peints songe qu’on n’arriverait pas à chasser. pour exprimer l’écart passionnel Tels sont les sortilèges et la puissance lochs sont noirs et pleins de secrets. un manifeste contre la mort. sur un écriteau : Il y a des décroissements et des bascules, de ces personnages hors norme. de la musique. Il est entre une nature impérieuse et « Ici on peut voir un tyran ! » mais la musique ne s’arrête pas. L’écriture à partir de l’anglais permet la une présence surhumaine qui rôde en SON APPÉTENCE POUR Il aborde des notes et des modes mise à distance et l’instrumentation de la guettant les interrogations des mortels. LES PERSONNAGES HAUTS Un enfant qui n’a pas peur de se nouveaux, des grilles différentes, explore langue en tant que matériau phonique, Les pubs et leur collection de bières EN COULEURS, battre contre un adulte. Un enfant les fissures dans l’organisation verticale sans être naturellement encombrée du et de whisky font souvent la jonction. grandes gueules, hors bonne conduite, qui annonce et qui clôt le drame. de sa musique, déploie la palette des sens des mots au premier plan. La question de l’entre deux mondes, hors bienséance, lui fait écrire Impérieux dans son chant, incisif et sons comme la palette des gris en IRINA KAISERMAN entre deux états, entre plusieurs un contrepoint à la noirceur et à la pénétrant, incontournable, il devient photographe amoureux du noir et blanc. Il finit d’écrire en juillet 2017. temporalités hante l’œuvre de Dusapin : mélancolie : le portier, ivrogne bienvenu, l’épine dorsale de l’histoire avec toute (La photo, son autre passion : des images Puis il oublie, un geste artistique et Après des études de psychologie et où va-t-on dans les états créés par les houspilleur, effrayant, emblématique la fragilité et la force dévolues à son arrêtées, cadrées, maîtrisées. À l’inverse salvateur. Pour pouvoir continuer. de dramaturgie, Irina Kaiserman s’est crises de nerfs, les crises d’épilepsie, de tous ces personnages triviaux, jeune âge. Un enfant témoin et acteur. du mouvement perpétuel de sa musique, Après Macbeth Underworld, il écrit dédiée aux lettres : elle écrit des de delirium tremens, les états altérés mais absolument nécessaires, qui Dans la musique de Pascal Dusapin, le calme, l’ordre capturé et la douceur Waves, un duo pour orgue et orchestre, nouvelles et des portraits d’artistes. de la conscience dont ces personnages attirent immédiatement la sympathie, il y a souvent une crise qui menace. de la composition photographique.) l’instrument de son enfance. Elle vit entre Paris et Odessa. 30 31
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