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Les cultures alimentaires face aux agrocarburants industriels SEPTEMBRE 2012 | NuMERo 316 BiS www.alternatives-economiques.fr Nos voitures carburent-elles à la faim ? www.cfsi.asso.fr
www.alternatives-economiques.fr éditorial Fondateur : Denis Clerc Editorialiste : Philippe Frémeaux (28 90) RÉDACTION : 28 rue du Sentier 75002 Paris, tél. 01 44 88 28 90 Courriel : redaction@alternatives-economiques.fr Une boulimie Pour joindre directement votre correspondant, composez le 01 44 88 suivi des quatre chiffres entre parenthèses. Directeur de la rédaction : Thierry Pech (28 90) Rédacteur en chef : Guillaume Duval (28 92) Rédacteurs en chef adjoints : Sandra Moatti (95 36), dangereuse Christian Chavagneux (27 38) Secrétaire général de la rédaction : Daniel Salles (28 98) Macroéconomie : Christian Chavagneux, Sandra Moatti Entreprise : Marc Chevallier (27 39) Société : David Belliard (95 39), Claire Alet (23 86) Manuel Domergue (95 91), Naïri Nahapétian (23 85) B Consommation : Claire Alet (23 86) Travail, social : Laurent Jeanneau (95 38), Camille Dorival (28 99) International : Antoine de Ravignan (95 92) ruxelles et Washington faut brûler une calorie de pétrole pour Sur le vif : Cyril Lemieux Histoire : Gérard Vindt l’avaient décidé : la produire 1,3 calorie d’agrocarburant, Livres : Christian Chavagneux (27 38) décennie en cours la solution de nos problèmes énergé- Ecrans : Igor Martinache Blogs éco : Gilles Raveaud devait être marquée tiques n’est pas pour demain ! Comment Agir, agenda : Manuel Domergue (95 91) par une forte augmen- peut-on à la fois craindre de manquer Ont également participé à ce numéro : Sophie Chapelle, Laurence Estival tation de la part des de nourriture et détourner de la sorte la Secrétariat de rédaction, iconographie : Martine Dortée (27 37), agrocarburants dans terre de sa fonction nourricière ? Nathalie Zemmour-Khorsi (28 96) notre consommation énergétique. Et D’autant plus que cette pression ac- Relations extérieures, association des lecteurs : Véronique Orlandi (95 90), Hélène Creix (28 94), Mériem Brahmi (28 90) les grands pays émergents sont sur crue s’exerce sous des contraintes nou- Rédaction Web : Manuel Domergue (95 91) la même ligne. Fin sep- velles. D’abord, les effets du Développement Web : Romain Dortier Directeur du développement : David Belliard (95 39) tembre 2012, les commis- pAR changement climatique : JEAN-Louis viELAJus* Directrice commerciale : Hélène Reithler (27 33) saires européens à l’énergie l’été 2012 en a donné un Chargée de promotion diffusion : Aïssata Seck (28 97) Assistante marketing : Marianne Thibaut (58 81) et au climat ont toutefois exemple significatif, avec PUBLICITÉ : L’autre régie proposé de limiter cette les sécheresses successives 28, rue du Sentier 75002 Paris, www.lautre-regie.fr augmentation. Mais rien aux Etats-Unis, en Ukraine, Directeur de régie : Jérémy Martinet (27 34) Directrice de clientèle : Anne Pichonnet (28 93) n’est encore acquis. mais aussi en Afrique sahé- Chef de publicité (formation) : Florian Makiza (98 74) D’immenses surfaces lienne. Celles-ci n’ont plus Assistante de publicité : Adeline Robin (58 85) agricoles sont mobilisées rien d’exceptionnel ; elles RELATIONS CLIENTS, FABRICATION 12, rue du Cap-Vert 21800 Quétigny à travers le monde par ces reviennent périodique- CFSI Tél. 03 80 48 10 25 - Fax 03 80 48 10 34 agrocarburants dits de pre- ment, contribuant à la dis- Relations clients : Delphine Dorey (chef de service), Stéphanie Claudel (adjointe), mière génération, produits parition des stocks néces- Colette Aubertin, Lucia Bonvin, Marilyn Fleutot, Isabelle Glauser, à partir de plantes alimen- saires pour intervenir en Philippe Glommeau, Claude Pettinaroli, Yolande Puchaux, Laure Trillo Courriel : abonnements@alternatives-economiques.fr taires. De nombreuses cas de pénurie. Directeur administratif et financier : François Colas exploitations agricoles euro- Et pour ne rien arranger, Comptabilité : Zineb Hemairia, Odile Villard péennes ou américaines ont Comment peut-on la spéculation non régulée désormais pour vocation à la fois craindre Maquette, infographie : Odile Al Daghistani, Marie-July Berthelier, Sylviane Savatier, Christine Martin fait alors bondir les prix Conception graphique : Rampazzo et associés (Paris) principale de remplir les de manquer des produits alimentaires réservoirs des automobiles. de nourriture Couverture : photographies AF Taisne/CFSI et Lonnie Bradley Imprimerie : Léonce Déprez (62620 Ruitz) de base. Cette année, Inspection des ventes (dépositaires et diffuseurs) : Et, dans de nombreux pays et détourner même si le prix du riz reste du Sud, des terres sont acca- la terre Destination média, tél. : 01 56 82 12 06 Diffusion : En kiosque : Presstalis stable, ceux du blé, du soja En librairie : Dif’pop, 81 rue Romain Rolland, parées dans ce but par des de sa fonction et du maïs s’envolent, fai- grandes entreprises étran- nourricière ? 93260 Les Lilas tél. 01 43 62 08 07, fax 01 43 62 07 42 sant craindre de nouvelles Edité par Scop-SA Alternatives Economiques. RC 84 B 221 Dijon, Siret 330 394 479 00043. gères, au détriment des pay- « émeutes de la faim » dans Le capital est partagé principalement entre les salariés de la Scop-SA, sans locaux dont les droits sont spoliés. les grandes villes du Sud. Ce que notre l’Association des lecteurs d’Alternatives Economiques et la Société civile des lecteurs d’Alternatives Economiques. Cette nouvelle mission a été donnée à monde demande à l’agriculture relève Directeur des publications, président du conseil l’agriculture alors que près d’un milliard d’une dangereuse boulimie, porteuse d’administration : Thierry Pech Directrice générale adjointe : Camille Dorival d’humains souffrent toujours de la faim d’instabilités. Et ses premières vic- CPPAP : 0314 I 84446 - ISSN : 0247-3739 et que les inquiétudes s’accumulent times sont déjà connues : les paysans Dépôt légal : à parution. Imprimé en France/Printed in France sur papier composé de fibres certifiées FSC. quant à la façon dont on pourra en et les urbains pauvres des pays du Sud. © Alternatives Economiques. Toute reproduction, même partielle, des textes, nourrir 9 milliards en 2050, au rythme Guérir le monde de cette boulimie et infographies et documents parus dans le présent numéro est soumise à l’auto- risation préalable de l’éditeur, quel que soit le support de la reproduction. Toute d’une croissance démographique tou- résoudre le fléau de la faim est à notre copie destinée à un usage collectif doit avoir l’accord du Centre français du droit jours importante. Et cela, alors que la portée. Encore faut-il le vouloir. Il est de copie (CFC) : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris, tél. : 01 44 07 47 70, fax : 01 46 34 67 19. demande de produits agricoles pour plus que temps que les politiques pu- l’alimentation animale explose, du fait bliques françaises et européennes, tant des nouveaux standards alimentaires commerciales qu’agricoles ou énergé- des pays émergents. Les paysans doivent tiques, deviennent enfin cohérentes désormais aussi alimenter la pompe à et respectent le droit des peuples à essence. Sans vraiment que l’avantage l’alimentation. environnemental soit convaincant : s’il * Délégué général du Comité français pour la solidarité internationale. www.cfsi.asso.fr n° 305 septembre 2011 www.alimenterre.org ALTERNATivEs ÉCoNomiquEs I 3
AgrocArburAnts Attention dAnger ! enJeuX La nouvelle flambée des matières premières agricoles est en partie liée aux volumes colossaux dédiés aux agrocarburants, en dépit de leur impact négatif sur la sécurité alimentaire mondiale et l’environnement. MAnger ou conduire, fAudrA-t-il choisir ? l a grave sécheresse qui a frappé et environ 13 % de la production mon- depuis largement dépassé (voir encadré les Etats-Unis cet été et provoqué diale. Balbutiante il y a encore dix ans, page 7). Avec 16 milliards de litres, l’Union une nouvelle flambée des prix la production d’agrocarburants a pris européenne se hisse à la troisième place, agricoles a replacé la question des allures de nouvel eldorado : 16 mil- suivie par la Chine, l’Inde et l’Argentine. des agrocarburants sur le devant de la liards de litres avaient été produits dans L’évolution des réglementations euro- scène. A tel point que, le 10 août dernier, le monde en 2000, 100 milliards l’ont été péenne et américaine sur les agrocarbu- le directeur général de l’Organisation des en 2010, selon l’Agence internationale de rants explique largement ce boom. En Nations unies pour l’agriculture et l’ali- l’énergie (AIE). Un volume qui pourrait 2003, Bruxelles avait fixé un taux obliga- mentation (FAO) a exhorté – en vain – atteindre les 180 milliards dans dix ans, toire d’incorporation de 5,75 % d’agrocar- les Etats-Unis à réduire leur production estiment la FAO et l’OCDE, le « club » des burants dans l’essence et le gazole en 2010 d’éthanol (*) de maïs pour éviter une crise pays développés (1). (2 % dès 2005). De son côté, Washington alimentaire analogue à celle qui avait Le Brésil avait lancé dès 1975 le premier adoptait en 2007 une loi sur la sécurité sévi en 2008. Il faut dire que depuis 2009, programme de grande ampleur de fabri- énergétique définissant une consomma- les voitures américaines « mangent » cation d’éthanol à partir de canne à sucre. tion plancher de 34 milliards de litres. De 120 millions de tonnes de maïs par an. Mais les Etats-Unis, avec une production part et d’autre de l’Atlantique, ces mesures Soit 40 % de la récolte états-unienne de 50 milliards de litres en 2010, l’ont visaient trois objectifs : réduire la dépen- Les PrinciPaux Producteurs mondiaux d’agrocarburants Production d’agrocarburants en 2010 et prévisions 2020, en millions de litres Ethanol Agrodiesel 42 857 9 184 Etats-Unis Union 63 961 Européenne 17 610 26 091 1 658 Brésil Etats-Unis 40 383 4 002 7 189 1 576 Chine Agentine 7 930 3 231 Union 5 651 1 550 Européenne Brésil Source : OCDE-FAO 16 316 3 139 1 892 2010 765 Inde Malaisie 2 204 2020 1 331 Le boom de La Production Production mondiale d’agrodiesel et d’éthanol et projection après 2011, en milliards de litres Agrodiesel Ethanol Production mondiale d’agrodiesel Production mondiale d’éthanol Echanges mondiaux d’agrodiesel Echanges mondiaux d’éthanol 40 150 Jean-Michel Rodrigo 30 100 20 50 Source : OCDE-FAO 10 Pompe à essence avec éthanol. 21 % de la récolte mondiale de 0 0 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 2019 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 2019 canne à sucre, 12 % de celle de maïs et 4 % de celle de betterave à sucre auraient servi à produire de l’éthanol en 2009. 4 I ALTERNATivEs ÉcoNomiquEs n° 316bis septembre 2012
AgrocArburAnts Attention dAnger ! dance pétrolière, limiter les émissions de gaz à effet serre et maîtriser les dépenses Les euroPéens rouLent à L’huILe de PaLme de soutien à l’agriculture (en offrant de nouveaux débouchés aux producteurs). Composition moyenne des agrodiesels commercialisés en europe entre mai et juin 2011 Italie Depuis, ces politiques n’ont cessé d’être 3 15 37 5 40 renforcées : la directive européenne du Pays Bas 23 8 3 67 23 avril 2009 a fixé à 10 % le taux d’incor- poration à atteindre en 2020 dans le sec- Autriche 56 10 4 1 30 teur des transports (il est actuellement de France 5 %), tandis que les Etats-Unis ont désor- 65 28 1 6 mais pour objectif un volume minimal Allemagne 76 8 8 2 7 de 158 milliards de litres en 2022. En sep- tembre dernier, les commissaires euro- Luxembourg 85 8 8 péens à l’énergie et au climat ont toutefois Belgique officiellement proposé à la Commission 98 2 de limiter à 5% le taux d’incorporation Suède 100 d’agrocarburants de première génération Danemark d’ici à 2020. Les 5% restants devront être Pas de biodiesel atteints via d’autres sources d’énergies re- Greenpeace N. B. : le total peut dépasser 100 en raison des arrondis. nouvelables dans le secteur des transports Source : Colza Soja Huile de palme Graisses animales Huiles et graisses usagées (y compris par l’incorporation d’agrocar- burants dits « avancés »). Rien n’est encore acquis. Et parallèlement, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Dressant le bilan de la politique fran- çaise de soutien aux agrocarburants, la Cour des comptes estime que ceux-ci n’ont permis de réduire les importations hexa- gonales de pétrole que de 11,5 millions de tonnes entre 2005 et 2010 sur un total IRD de 465 millions, soit une baisse de seule- déforestation de la forêt amazonienne. Le changement d’usage des sols porte atteinte ment 2,5 % (2). Si la France voulait rem- à la biodiversité et accélère le changement climatique. placer intégralement sa consommation de gazole par de l’agrodiesel (*) – à condition greenpeace a fait analyser l’agrodiesel devraient atteindre 13 millions d’hectares en de changer les moteurs des voitures –, il consommé en europe entre mai et juin 2011 à 2020, selon Pricewaterhousecoopers (2). faudrait y consacrer 30 % des terres agri- partir de 92 échantillons prélevés dans autant Bruxelles invite les industriels à se fournir en coles, contre 6 % actuellement… Quant aux de stations-service situées dans neuf Etats huile de palme certifiée sur le plan écologique agrocarburants de deuxième génération membres (1). Bilan : l’union incorpore des quanti- et social par la « Table ronde sur l’huile de palme – fabriqués à partir de paille, de déchets tés non négligeables d’agrodiesel obtenu à partir durable » (Roundtable on sustainable Palm oil, de bois et autres résidus végétaux, et donc de soja et d’huile de palme (voir graphique), ou RsPo), qui regroupe industriels du secteur et supposés ne pas concurrencer l’espace dont l’importation contribue à la destruction de oNG. mais il s’agit là d’une démarche simplement dédié aux cultures alimentaires –, ils en savanes et de forêts en Afrique, en Amérique du volontaire, critiquent nombre d’associations ; sont encore au stade de la recherche et sud et en Asie, avec les pertes de biodiversité et les critères devraient être plus exigeants (les on ne les attend pas sur le marché avant les émissions de co2 qui y sont associées. forêts secondaires ou dégradées peuvent être deux décennies. De plus, la conversion croissante du colza pro- par exemple rasées et il est également possible duit en Europe en agrodiesel réduit d’autant les d’utiliser dans les plantations le paraquat, un ecologiquement nuisible volumes disponibles pour l’industrie agroalimen- pesticide interdit en Europe), et la vérification Piètres résultats également sur le plan de taire. si bien que celle-ci a accru sa consomma- de leur mise en œuvre sur le terrain fait défaut. la lutte contre le changement climatique. tion d’huile de palme. Au total, les importations Selon une note de l’Institut national de européennes d’huile de palme sont passées de 4 1. « Fuelling the Flames. Biodiesel Tested : How Europe’s Biofuels la recherche agronomique (Inra), pour à 7,9 millions de tonnes entre 2001 et 2009, selon Policy Threatens the climate », juillet 2011 (www.greenpeace.org/ eu-unit/Global/eu-unit/reports-briefings/2011%20pubs/7/Bio obtenir 1,3 calorie d’éthanol à partir de la FAo. En indonésie, le numéro un mondial de diesel%20tested,%20how%20Europe%E2%80%99s%20bio fuels%20policy%20threatens%20the%20climate.pdf). betterave à sucre ou de blé, les produc- l’huile de palme, les plantations de palmiers, qui 2. www.pwc.com/id/en/publications/assets/Palm-oil-Planta teurs européens doivent brûler une calorie couvrent déjà 8 millions d’hectares aujourd’hui, tion-2012.pdf de carburant, avec les émissions de CO2 qui y sont associées. Ce rendement est moins défavorable pour l’agrodiesel ethanol : ou alcool éthylique, distillation de l’amidon (blé, maïs…). Il (colza, soja, graisses animales...) 1. Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2012-2021, juillet 2012. carburant issu de la fermentation de est incorporable dans l’essence. transformée par un procédé 2. La politique d’aide aux biocarburants, janvier 2012, disponible végétaux contenant du saccharose agrodiesel : ou agrogazole, chimique appelé estérification. Il sur www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-pu (betterave, canne à sucre…) ou de la carburant obtenu à partir d’huile est incorporable dans le gazole. blics/124000047/0000.pdf n° 316bis septembre 2012 ALTERNATivEs ÉcoNomiquEs I 5
AgrocArburAnts Attention dAnger ! obtenu à partir de colza : le ratio est de 1,5 à 2. Mais il s’agit là de bilans partiels. La Production agricoLe grignotée Par Les agrocarburants Production mondiale Qui virent franchement au rouge lorsque Récoltes 2009 Transformation en agrocarburants la production d’agrocarburants entraîne En millions de tonnes En % Cultures utilisées pour l’éthanol en plus un changement d’affectation des Maïs 817,111 101,924 12,5 Jean-Christophe Bureau/Hugo Valin sols, c’est-à-dire la conversion de prairies, Blé 681,916 3,752 0,6 Canne à sucre 1 682,577 357,061 21,2 jachères ou forêts en zones cultivées. Ces Betterave à sucre 229,490 8,930 3,9 opérations libèrent dans l’atmosphère le Cultures utilisées pour l’agrodiesel Huile de soja 36,125 4,080 11,3 CO2 stocké jusque-là par le couvert végé- Huile de colza 21,223 6,113 28,8 tal ainsi que dans les sols non retournés. Huile de palme 41,340 1,689 4,1 n. b. : les pays pris en compte (Etats-unis, canada, union européenne, Brésil, Argentine, chine, indonésie, malaisie, Thaïlande, corée du sud, Certes, en poussant sur les terrains mis Philippines et singapour) représentent 95 % de la production mondiale d’agrocarburants. à nu, les nouvelles cultures captent elles aussi du CO2 dans l’atmosphère mais, au total, le bilan reste négatif. mentaire a dû augmenter ses importations burants doivent être au moins de 35 % infé- d’huile de palme. Ce qui nourrit la défores- Ce changement d’usage des sols accé- rieures à celles des carburants fossiles. En tation dans un pays comme l’Indonésie où, lère donc le changement climatique, mais principe, Bruxelles doit publier avant la fin pour répondre à cette demande, la culture il porte aussi atteinte à la biodiversité. Il de l’année un rapport très attendu sur le du palmier à huile a fait un bond considé- est de plus à l’origine de nombreux conflits sujet, mais il a déjà été reporté à plusieurs rable », explique Stéphane De Cara, cher- fonciers dans les pays du Sud (voir page 8). reprises en raison du caractère potentiel- Le changement d’usage des sols s’opère cheur à l’Inra et coordinateur d’un rapport lement explosif de ses conclusions : « Si, également de manière indirecte. « L’Union évaluant l’impact de ce phénomène (3). comme semblent le montrer les études, les européenne transforme toujours davan- S’appuyant sur plus de 500 références is- plafonds réglementaires d’émissions de gaz à tage son colza en agrodiesel. Ce faisant, sues de travaux de recherche menés sur effet de serre ne sont pas respectés, tout le dis- elle produit moins d’huile végétale sur son toute la planète, cette étude conclut que positif tombe à terre. Car cela entraînerait la territoire, si bien que l’industrie agroali- dans 90 % des cas, le développement des remise en cause des subventions dont bénéfi- agrocarburants induit quelque part un cient les producteurs d’agrocarburants pour “ changement d’affectation des sols. Et que compenser l’écart entre leurs coûts et celui les agrocarburants dans les deux tiers des cas analysés, les émissions totales (changement d’affec- des carburants fossiles, sans lesquelles, au niveau actuel du prix du pétrole, cette filière ne font qu’aggraver tation des sols compris) excèdent le seuil s’effondrerait », souligne Jean-Christophe les tensions sur les fixé par la réglementation européenne. Bureau, chercheur à AgroParisTech. La directive de 2009 précise en effet que marchés agricoles ” les émissions de gaz à effet de serre géné- La sécurité alimentaire menacée Pascal Erard du cFsi rées par le cycle de production des agrocar- Le boom des agrocarburants n’est pas seulement écologiquement nuisible, il affecte également la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres dépendant des BrésIL : La ruée vers Le PétroLe vert importations pour se nourrir. Bien sûr, il n’explique pas à lui seul la crise alimen- Le brésil a produit 27 milliards de litres d’éthanol et 2,4 milliards de litres d’agro- taire du printemps 2008 ni les hausses de diesel en 2010. mais il est encore loin d’avoir dit son dernier mot : d’ici à 2020, selon les prix survenues depuis, mais il y contri- projections de la FAo et de l’ocDE, ces volumes devraient doubler, comme les superficies bue comme il participe à l’instabilité des (de 7 à 14 millions d’hectares). Et les exportations tripler : de 3,5 milliards de litres au total marchés. Selon les calculs d’Hugo Valin, à 9,6 milliards de litres. De quoi aiguiser l’appétit de l’agro-industrie. économiste à l’International Institute for selon une étude du ministère américain de l’Agriculture, les investisseurs étrangers déte- Applied Systems Analysis (IIASA), un naient 40 % des plantations de canne à sucre du Brésil en 2010, contre 7 % il y a encore cinq centre de recherche autrichien, 29 % de ans. Les compagnies pétrolières occidentales, telles shell et BP, investissent la production mondiale d’huile de colza, massivement ce secteur. Les terres gagnées par la canne à sucre sont 11 % de l’huile de soja et 4 % de l’huile de largement prises sur des prairies dédiées à l’élevage, ce qui palme auraient été convertis en 2009 en pousse les éleveurs à brûler les savanes et les forêts pour agrodiesel. De leur côté, 21 % de la récolte créer de nouveaux pâturages. Avec les de canne à sucre, 12 % de celle de maïs et conséquences écologiques et 4 % de celle de betterave à sucre auraient sociales que l’on sait. servi à produire de l’éthanol (4). Si l’Union européenne persistait finalement dans sa volonté de porter son taux d’incor- poration à 10 % en 2020 dans le secteur Suki Ozaki des transports, les prix sur les marchés mondiaux augmenteraient de 8 % à 20 % camions de canne à sucre au brésil. Les importations européennes d’éthanol et d’agrodiesel pour les oléagineux, de 2 % à 21 % pour la en provenance du Brésil et d’argentine vont fortement augmenter d’ici à 2020. canne ou la betterave et de 8 % à 21 % pour le maïs, estime l’Institute for European 6 I ALTERNATivEs ÉcoNomiquEs n° 316bis septembre 2012
AgrocArburAnts Attention dAnger ! Environmental Policy (5), un centre de recherche européen indépendant. Dans un rapport rendu au G20 il y a un an, une dizaine d’organisations internatio- nales (FAO, Banque mondiale, OCDE...) ont tiré la sonnette d’alarme : « Compte tenu du rôle majeur que jouent les biocarburants dans le détournement de produits alimen- taires pour le secteur de l’énergie, le Comité de sécurité alimentaire devrait appeler les Etats à abandonner les objectifs fixés en la matière et à supprimer les subventions et les droits de douane relatifs à leur production et à leur transformation » (6). Touchées par la hausse du prix des matières premières, les entreprises agroalimentaires commencent, elles aussi, à monter au créneau : Nestlé, Unilever et PepsiCo ont adressé en no- vembre 2011 une déclaration commune au G20 pour demander d’urgence aux Etats F. Vigné - Imageo membres de réexaminer leurs politiques en la matière (7). Les etats-unis et l’europe entrepôt de riz au bénin. Le boom des agrocarburants affecte la sécurité alimentaire des pays persistent les plus pauvres qui dépendent des importations pour se nourrir. Malgré la multiplication de rapports alar- mants sur les agrocarburants, les Etats- un gain supplémentaire de 500 euros par betterave européenne. Les importations Unis continuent de faire la sourde oreille, hectare, selon la Cour des comptes. d’éthanol de l’Union, qui représentaient l’Europe semblant être récemment plus La rente de situation dont bénéficie la déjà 1,5 milliard de litres par an entre 2008 réceptive. Lors du G20 agricole tenu au filière pourrait toutefois bientôt s’éroder. et 2010, soit 21 % de sa consommation, Mexique en juin dernier, le sujet n’a même Dans l’Hexagone, les investissements pourraient atteindre 2,3 milliards de litres pas été abordé. Les Etats sont prisonniers dans les unités de fabrication d’éthanol en 2020, selon la FAO et l’OCDE. Le déficit de lobbies qui ont tout intérêt à ce que ce ou d’agrodiesel n’ayant été rentabilisés que devrait se creuser aussi pour l’agrodiesel, développement se poursuive. En France, grâce aux subventions, leur avenir est très dont les importations passeraient de par exemple, les industriels du secteur ont incertain. D’autant plus qu’il leur est de 1,6 milliard de litres actuellement (15 % bénéficié de 3,8 milliards d’euros d’exo- plus en plus difficile de résister à la concur- de la demande européenne) à 2,1 milliards nérations fiscales entre 2002 et 2011 (8). rence des pays du Sud. Le prix de revient en 2020. Avec, pour premiers bénéficiaires, Quant aux agriculteurs, la hausse des prix de l’éthanol brésilien tiré de la canne à le Brésil et l’Argentine. des plantes oléagineuses et de la betterave sucre est compris entre 0,20 et 0,25 euro « Loin d’être une réponse aux défis envi- à sucre entre 2005 et 2010 leur a apporté par litre, contre 0,65 euro pour l’éthanol de ronnementaux, les agrocarburants ne font qu’aggraver les tensions sur les marchés ag- ricoles. L’Union européenne a une lourde part de responsabilité. Alors qu’elle veut se Le mexIque en PremIère LIgne montrer exemplaire, elle mène une politique contraire à ses engagements en matière de Washington a joué un rôle majeur dans and Environment institute (1), soit 0,15 % du lutte contre le changement climatique et de l’envolée des cours des matières premières produit intérieur brut (PiB) national. développement des pays du Sud », conclut agricoles depuis 2007. Les Etats-unis ont un tel montant n’est pas anodin pour un Pascal Erard, chargé du plaidoyer au détourné 40 % de leur récolte de maïs (13 % pays dont 55 millions de personnes (la moitié Comité français pour la solidarité inter- de la production mondiale) pour la production de la population) vivent sous le seuil national nationale (CFSI). Laurence estivaL d’éthanol. Entre 20 % et 40 % de ces hausses, de pauvreté. Et la facture est d’autant plus 3. Revue critique des études évaluant l’effet des changements d’affecta- dont souffrent les pays importateurs, seraient lourde que l’agriculture mexicaine avait déjà été tion des sols sur les bilans environnementaux des biocarburants, Ademe, imputables aux agrocarburants, estime l’Aca- fortement impactée, depuis 1994, par l’entrée mars 2012. 4. « Eu Biofuel Policies : impact on Agricultural markets », par Jean- démie des sciences américaines. Le mexique, en vigueur du traité de libre-échange avec les christophe Bureau et Hugo valin, dans The Impact of the EU’s Common qui importe des Etats-unis un tiers de sa Etats-unis et le canada : l’Alena a ruiné de Agricultural Policy on Developing Countries, German marshall Fund study, à paraître. consommation animale et humaine de maïs, nombreux producteurs locaux qui n’ont pu 5. « Eu Biofuel use and Agricultural commodity Prices : a Review of the Evidence Base », juin 2012, disponible sur www.ieep.eu/assets/947/ a ainsi dû débourser 1,5 milliard de dollars sup- faire face à l’arrivée de maïs bon marché, sub- iEEP_Biofuels_and_food_prices_June_2012.pdf plémentaires entre 2006 et 2011 du seul fait de ventionné par leur puissant voisin. 6. « Price volatility in Food and Agricultural markets : Policy Res- ponses », juin 2011, disponible sur www.worldbank.org/foodcrisis/pdf/ la hausse des cours du maïs attribuable à l’essor interagency_Report_to_the_G20_on_Food_Price_volatility.pdf 1. « The cost to mexico of us corn Ethanol Expansion », mai 2012 7. voir www.nestle.com/common/NestleDocuments/Documents/ de l’éthanol, indique le Global Development (www.ase.tufts.edu/gdae/Pubs/wp/12-01WiseBiofuels.pdf). media/statements/G20_letter_nestle_biofuels%20(2).pdf 8. voir www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2692.asp n° 316bis septembre 2012 ALTERNATivEs ÉcoNomiquEs I 7
AgroCArburAnts Attention dAnger ! AgriCulture Dopées par le boom des agrocarburants, les acquisitions foncières se multiplient dans les pays du Sud. Le plus souvent au détriment des populations. MAin bAsse sur que 21 millions d’hectares mis effective- ment en culture. Ils se répartissent entre cultures à usage exclusivement alimen- les terres du sud taire (26 %), cultures à usage spécifique- ment énergétique (17 %), principalement le jatropha (*), et cultures pouvant indif- féremment finir dans les assiettes ou dans les moteurs telles que le soja, la canne à sucre ou le palmier à huile (26 %), le restant concernant des projets non agri- coles, forestiers notamment. Sécurité alimentaire et politiques énergétiques « Il est clair que l’augmentation de la demande mondiale d’agrocarburants accélère le land grabbing, même si ce n’est pas le seul déterminant », observe IRD Champs de canne à sucre à Richard-Toll, Sénégal. Les grands projets agro-industriels s’installent très Jean-Christophe Bureau, chercheur à fréquemment sur des terres cultivées par les populations locales pour leurs besoins alimentaires. AgroParisTech. Depuis la flambée des prix alimentaires de 2008, les acquisitions fon- cières à grande échelle ont fortement pro- C ’est un revers pour Shell. En juin sur les 71 millions d’hectares de transac- gressé, notamment du fait de grands Etats dernier, après pratiquement tions foncières effectuées entre 2000 et importateurs de produits agricoles (Chine, deux ans de procédure, la justice 2010 qui avaient pu être documentées, Inde, Arabie Saoudite), qui ont cherché brésilienne a contraint la société 37 millions d’hectares, soit plus de la à sécuriser leurs approvisionnements en pétrolière à restituer des terres où elle moitié, étaient motivés par la produc- mettant la main sur des terres dans des cultivait de la canne à sucre destinée à tion d’agrocarburants. espaces relativement peu peuplés, comme être transformée en éthanol. Motif : ces Communiqués en avril dernier, les pre- en Afrique centrale et orientale. champs avaient été gagnés sur un terri- miers résultats du projet Land Matrix (2) Dans sa base de données recensant toire réservé aux Indiens Guarani, les- de suivi des opérations foncières vont les annonces de projets, l’association quels avaient porté plainte. eux aussi dans le même sens. « Entre 20 Grain (3) cite l’exemple de l’Angola : une Ce jugement apporte de l’eau au mou- et 40 millions d’hectares sur les 83 mil- société chinoise, filiale d’une entreprise lin de ceux qui dénoncent le rôle joué lions d’accords annoncés, signés ou mis d’Etat, y a créé une exploitation pilote de par les agrocarburants en œuvre durant la der- 1 500 hectares destinée à la production “ dans les accapare- nière décennie concerne- de riz. Toutefois, ces phénomènes sont ments de terres (ou il est clair que raient ainsi la fabrica- liés entre eux : si un Etat importateur est land grabbing chez tion d’agrocarburants. poussé à acheter des terres à l’étranger au les Anglo-Saxons), ces l’augmentation Il est toutefois difficile nom de sa sécurité alimentaire, c’est aussi acquisitions foncières de la demande de connaître les chiffres parce que la demande croissante d’agro- à grande échelle réa- mondiale exacts, compte tenu de carburants nourrit la hausse et l’instabilité lisées dans les pays l’opacité qui entoure ces sur les marchés agricoles mondiaux vis- du Sud par des opé- d’agrocarburants transactions et des incer- à-vis desquels il a par conséquent intérêt rateurs, étrangers ou accélère titudes quant à la des- à réduire sa dépendance. nationaux , dont le tination de la produc- Incitées par les politiques énergétiques nombre s’est multi- le land grabbing ” tion », commente Alain des pays du Nord – Union européenne et plié ces dix dernières Jean-Christophe Bureau Karsenty, chercheur au Etats-Unis en tête –, qui ont imposé des ni- années. Fin 2011, un d’AgroParisTech Centre international veaux de consommation d’agrocarburants rapport de l’Interna- de recherche agrono- de plus en plus élevés, l’agro-industrie et tional Land Coalition (1), regroupant mique pour le développement (Cirad). les compagnies pétrolières multiplient les des acteurs de la société civile et des D’autant qu’entre l’annonce d’un projet organisations internationales telles que et le premier coup de bulldozer, il y a une la Banque mondiale et l’Organisation marge. Sur un total de 83 millions d’hec- Jatropha : arbuste assez résistant et adapté à des sols des Nations unies pour l’alimentation tares de projets identifiés, les chercheurs pauvres, dont les graines permettent de tirer de l’huile, incorporable dans le gazole. et l’agriculture (FAO), avait indiqué que du Land Matrix n’ont dénombré à ce stade 8 I ALTERNATivEs ÉCoNomiquEs n° 316 bis septembre 2012
AgroCArburAnts Attention dAnger ! opérations foncières au Sud pour s’appro- visionner en matières premières agricoles. L’aSie eT L’afRique en PRemièRe Ligne La filiale brésilienne de BP a, par exemple, Acquisitions foncières de terres agricoles par région, en millions d’hectares et en nombre d’accords annoncé en février dernier sa volonté de Source : Land Matrix faire passer sa production d’éthanol de canne de 7,5 millions de tonnes actuel- lement à 30 millions de tonnes en 2017. 18 En août 2010, la société de négoce de 1,8 matières premières Cargill était déjà pas- Europe de l’Est 12 1,1 sée à l’attaque en Argentine : pour mieux Asie de l’Est valoriser le soja produit dans ce pays, elle 1 a investi quelque 112 millions de dollars 0,1 18 Afrique du Nord Moyen-Orient dans la construction d’une usine de fa- 18 Amérique centrale 3,1 brication d’agrodiesel d’une capacité de 4,6 114 17,3 216 240 000 tonnes. 98 27 Asie du Sud Asie du Sud-Est Afrique de l’Ouest Afrique Les populations locales lésées 3,8 centrale 8,8 260 2 Les initiatives de ces multinationales 6,4 132 sont plutôt bien accueillies par les gouver- Afrique de l’Est 3 Mélanésie Amérique du Sud 0,4 nements, en particulier dans les pays les 0,04 5 plus pauvres. Dans un contexte de baisse Afrique australe Australie et de l’aide publique au développement ac- Nombre d’accords Nouvelle-Zélande cordée au secteur agricole, l’arrivée de ces Millions d’hectares capitaux étrangers constitue en effet une ressource appréciable. La vente ou – cas le plus fréquent – la location des terres via des baux de long terme est en outre facilitée par les difficultés des producteurs locaux ou des populations indigènes à populations pour la satisfaction de leurs En mai dernier, le Comité de la sécurité faire valoir leurs droits. Les régimes fon- besoins alimentaires. Contrairement à alimentaire mondiale, une instance de la ciers, issus de la période coloniale, n’ont l’idée colportée par les investisseurs FAO où siègent Etats, ONG et représentants pas beaucoup évolué : les paysans bénéfi- étrangers selon laquelle ils contribuent du secteur privé, a adopté des « Directives cient d’un droit d’usage, mais les parcelles au développement en mettant en valeur volontaires pour une gouvernance respon- qu’ils cultivent continuent le plus souvent des zones inexploitées. A cette com- sable des régimes fonciers applicables aux officiellement d’appartenir à l’Etat, qui pétition pour la terre entre nouveaux terres, aux pêches et aux forêts ». Ce texte peut donc en disposer à sa guise… et anciens occupants s’ajoutent des affirme que « les Etats et les acteurs non éta- Réalisés au détriment des droits fon- conflits autour des autres ressources tiques devraient reconnaître que des inves- ciers des populations – souvent expul- naturelles, à commencer par l’eau. tissements publics et privés responsables sées ou contraintes de travailler dans Selon le rapport Land Matrix, 66 % des sont essentiels si on veut améliorer la sécu- des conditions fixées par le nouvel accords recensés ont été signés dans des rité alimentaire ». Il attire aussi l’attention occupant –, ces grands projets agro- pays qui connaissent de graves carences des Etats sur « les risques que les transac- industriels menacent aussi la sécurité alimentaires. Le Soudan, l’Ethiopie, la tions à grande échelle portant sur les droits alimentaire. Comme le rappelle le rap- Tanzanie ou la République démocra- fonciers sont susceptibles de présenter ». port Land Matrix, les terres concernées tique du Congo sont à la fois les pays les Saluées comme une première étape sont le plus souvent déjà utilisées par les plus convoités par les multinationales par les ONG, celles-ci appellent les gou- et parmi les plus pauvres de la planète. vernements à mettre en œuvre leurs Répartition des acquisitions foncières par production recommandations « sans tarder ». Mais (cumul 2000-2010), en % des superficies Pour une gouvernance pour les pays européens comme pour responsable les Etats-Unis, il sera impossible d’obser- Rien d’étonnant donc si la colère gronde ver ces recommandations sans une révi- Cultures parmi les populations touchées par ces sion de leurs objectifs de consommation Autres à usage opérations : elles ne sont ni consultées ni d’agrocarburants. ❙❚ LauRenCe eSTivaL alimentaire (forêts notamment) 26 % dédommagées par les investisseurs. En 1. « Land Rights and the Rush for Land. Findings of the Global Com- 31 % février 2011, les organisations paysannes mercial Pressures on Land Research Project », décembre 2011, (www. et les ONG réunies au Forum social mon- landcoalition.org/cpl/CPL-synthesis-report). Cultures à usage 2. Le projet Land matrix, associant l’international Land Coalition à énergétique dial organisé à Dakar ont publié un appel quatre institutions de recherche agronomique, dont le Cirad pour la Cultures flexibles et industriel « contre l’accaparement des terres » : elles France, vise à constituer une base internationale de données sur les (soja, huile de palme…) 17 % accaparements de terres. voir le rapport « Transnational Land Deals Source : Land Matrix 26 % demandent aux Etats et aux institutions for Agriculture in the Global south », avril 2012, (http://landportal.info/ internationales d’édicter des règles pour landmatrix/get-the-detail#analytical-report). 3. voir sur www.grain.org/article/entries/4482-grain-publie-un-tableau- mettre fin au land grabbing et de recon- de-donnees-sur-plus-de-400-cas-d-accaparement-des-terres-dans- naître le « droit des peuples ». le-monde. n° 316 bis septembre 2012 ALTERNATivEs ÉCoNomiquEs I 9
AgrocArburAnts Attention dAnger ! LiberiA Sime Darby, numéro un mondial de l’huile de palme, a commencé l’exploitation de 311 000 hectares de terres concédées, mais les « villages » promis ne sortiront de terre que d’ici à 2025. VrAies concessions contre fAusses promesses L e changement de paysage est sou- dain sur la route reliant Monrovia, la capitale du Liberia, à Medina, petite ville d’un millier d’habitants à l’ouest du pays. Aux segments de forêt primaire succèdent des milliers d’hec- tares défrichés, puis une immense pépi- nière de palmiers à huile. Les panneaux de la multinationale malaisienne Sime Darby promettent aux Libériens « un avenir durable ». Présente dans 21 pays, Sime Darby possède plus de 740 000 hec- tares de terres pour ses plantations, dont plus de 311 000 hectares au Liberia dans le cadre d’un accord signé avec le gouver- Sophie Chapelle nement en juillet 2009 pour une durée de soixante-trois ans. Une partie de la pro- duction d’huile de palme, deux millions de tonnes par an, pourrait être exportée Les habitants du comté de Gbarpolu apprennent d’un militant des Amis de la Terre que leurs parcelles vers Port-la-Nouvelle (Aude), si le pro- ont été attribuées par l’Etat à la firme malaisienne Sime Darby. jet de raffinerie soutenu par la région Languedoc-Roussillon y voit le jour. En contrepartie, Sime Darby prévoit fatou a dû céder sa terre Seuls 150 mètres séparent les maisons un investissement de 3,6 milliards de dollars sur quinze ans au Liberia avec qui donnait auparavant des pépinières de palmiers à huile. Les habitants bénéficient d’indemnisations la construction de onze huileries, d’une du manioc à foison. en largement sous-évaluées pour la perte raffinerie et de 57 « villages centralisés ». contrepartie, elle reçoit de leurs terres. Sime Darby a annoncé, Selon la compagnie malaisienne, cha- en novembre 2011, avoir versé 1,34 mil- cun de ces villages comprendra des loge- un sac de riz mensuel lion de dollars à 2 132 producteurs, soit ments, une clinique, un centre de soins, 628 dollars en moyenne par personne des petits commerces, des lieux de culte, défrayée. Mais selon les témoignages re- une salle communautaire et une école. tance », explique Jonathan Yiah, des Amis cueillis, les montants sont très variables. de la Terre. En décembre 2011, des habi- Fatou a dû céder sa terre qui donnait 10 000 hectares, 15 000 déplacés tants se sont saisis des clés des bulldozers auparavant du manioc, de l’ananas et Trois ans après la signature du contrat, afin d’empêcher la poursuite de l’expansion du gombo à foison. En contrepartie, Sime Darby a défriché un peu plus de des plantations. Ils exigeaient des négocia- elle reçoit un seul sac de riz par mois. 10 000 hectares dans un seul comté, celui tions. Parmi eux, Radisson : « Sime Darby « Comment vais-je payer les frais scolaires de Grand Cape Mount. Sime Darby n’a pas nous a dit qu’il nous fournirait des écoles, de mes enfants ? », s’insurge-t-elle. « En choisi cet endroit par hasard. Dès 1966, des des sanitaires, des routes, mais nous n’avons laissant un village au milieu d’une zone centaines d’hectares d’hévéas avaient été rien vu. » Et pour cause : Sime Darby assure de plantations, plutôt que de l’évacuer de plantés par une compagnie américaine que les engagements seront tenus… d’ici force, on sait que les habitants finiront par rachetée depuis par le malaisien Guthrie, à 2025 ! Pour le moment, un seul « village partir d’eux-mêmes », dénonce Jonathan lequel a fusionné en 2007 avec Sime Darby. centralisé » a commencé à sortir de terre, Yiah. Pour les 10 000 hectares déjà défri- « En débutant ses opérations dans ce comté gardé par des forces de sécurité. chés, l’association des Amis de la Terre sous concession depuis des années, Sime Plus loin, le bourg de Kon Town est Liberia estime que 15 000 personnes Darby ne s’attendait pas à une telle résis- désormais entouré par les plantations. pourraient être déplacées. 10 I ALTERNATivEs ÉcoNomiquEs n° 316bis septembre 2012
AgrocArburAnts Attention dAnger ! Pour compenser les impacts sociaux des opérations, le contrat de 2009 mentionne la création d’un « fonds de développement « Les investissements ne peuvent des communautés » abondé par Sime Darby à hauteur de cinq dollars par an et pas se faire contre les paysans » par hectare de terre « développé ». Mais aucune contribution n’a pour le moment entretien haitait louer des terres au Mali pour été versée. « Et rien ne garantit que ce fonds, développer la production de canne à cogéré par Sime Darby et le gouvernement, sucre a jeté l’éponge, et il se retourne sera vraiment utilisé pour les communautés ibrahima Coulibaly, maintenant contre l’Etat pour récla- vice-président du Réseau concernées », relève Jonathan Yiah. des organisations mer une indemnisation… D’autre paysannes et de part, nous ne sommes pas dans une Une situation explosive producteurs de l’Afrique opposition stérile. Nous ne sommes Sur les 311 000 hectares concédés par le de l’ouest (Roppa) pas a priori contre les investisse- H. B. gouvernement, Sime Darby a obtenu une et paysan malien ments fonciers, mais ils ne peuvent autre concession d’environ 160 000 hec- pas se faire contre les paysans. tares plus au nord, dans le comté de Gbarpolu. Cette région abrite une grande L’ afrique est la première touchée par les Quelle devrait être la priorité des gouver- partie de la forêt primaire de Haute- accaparements de terres. Comment les or- nements africains ? Guinée. De ce contrat, les habitants ne ganisations paysannes réagissent-elles En confiant des milliers d’hec- savaient rien, jusqu’à ce que les Amis de face à ces projets ? tares à des investisseurs étran- la terre Liberia viennent le leur présenter. Au niveau de mon pays, le Mali, gers, les gouvernements ne règlent « Comment le gouvernement peut-il céder nous avons engagé plusieurs actions pas les problèmes auxquels ils sont nos terres alors même que nous détenons des en justice pour demander le respect confrontés. Ces productions étant titres de propriété coutumiers ?, interroge un des droits des petits producteurs destinées principalement à l’expor- agriculteur. La plupart des gens dépendent chassés par les investisseurs. Au tation, elles ne permettent pas de des ressources forestières et des diamants. niveau international, nous avons répondre aux besoins alimentaires Nous ne connaissons pas les buts de la com- participé au processus d’élabora- des populations et continuent donc pagnie, le montant de la compensation. » Le tion des Directives volontaires sur le à alourdir notre déficit commercial contrat a été signé en 2009 pour soixante- foncier [voir page 9], sur lesquelles tout en privant les agriculteurs de trois ans (reconductible trente ans). nous allons nous appuyer pour leurs droits et de leurs ressources. Cette information suscite la colère des donner encore plus de force à nos Réinvestir dans l’agriculture fami- habitants quand ils l’apprennent : « Que revendications. L’Etat malien a signé liale pour lui permettre de se mo- deviendront mes enfants au terme de toutes ce texte, il faut donc qu’il l’applique. derniser serait un levier bien plus ces années ? », se désespère Kollie, qui vit de efficace à moyen et long termes pour l’agriculture, comme 70 % de la population Les autorités sont-elles prêtes à vous répondre au défi alimentaire et fa- du pays. Les communautés veulent rené- écouter ? voriser le développement du pays. ❙❚ gocier le contrat. En octobre 2011, deux Je pense que oui. D’une part, nous chefs de tribus ont envoyé une plainte à la avons déjà marqué des points : un propoS reCUeiLLiS par table ronde internationale sur l’huile de investisseur sud-africain qui sou- LaUrenCe eStivaL palme durable (RSPO), dont Sime Darby est membre fondateur. La RSPO a alors invité les populations à une réunion « pour rétablir les liens de confiance ». Et en jan- vier 2012, Sime Darby a stoppé son expan- sion jusqu’à ce que des négociations se tiennent avec les communautés. Un comité interministériel a également été mis en place. « Il y a eu des erreurs dans le contrat de 2009 », reconnaît-on au ministère des Affaires intérieures. La commission foncière conduit désormais des consultations avec les communau- tés de Gbarpolu afin de rassembler les titres fonciers coutumiers des résidents. Pour l’heure, neuf ans après la fin de la Bruno Guay guerre civile qui avait conduit au dé- placement forcé d’un tiers de la popu- lation, l’accaparement des terres opéré Cultivatrice en république démocratique du Congo. Pour assurer la sécurité alimentaire par Sime Darby a créé une situation et le développement des pays du Sud, il faut réinvestir dans l’agriculture familiale. explosive. Sophie ChapeLLe n° 316bis septembre 2012 ALTERNATivEs ÉcoNomiquEs I 11
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