NOTE D'ANALYSE Survivre à Boko Haram : pourquoi les enfants de moins de cinq ans comptent - AWS
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NOTE D’ANALYSE Survivre à Boko Haram : pourquoi les enfants de moins de cinq ans comptent Uyo Yenwong-Fai Les informations précises quant à la santé et à la mortalité dans les zones du Nigeria et du Cameroun les plus touchées par Boko Haram font cruellement défaut, ce qui a pour conséquence un manque de compréhension de l’étendue de la corrélation qui existe entre les conflits armés et la santé des enfants de moins de cinq ans. Il est nécessaire de redoubler d’efforts pour comprendre et traiter la question des besoins de ces enfants pour leur santé et leur développement, afin d’atténuer ce qui constitue une crise humanitaire et s’efforcer de parvenir à de meilleurs résultats pour le développement de la petite enfance.
Principales conclusions
Les enfants de moins de cinq ans au L’insécurité, l’inaccessibilité des zones de
Nigeria et au Cameroun ont été affectés conflit et le manque de coordination des
par la malnutrition et par l’exposition à des informations ont mis à mal les efforts mis
pathologies physiques et psychologiques en œuvre pour comprendre tout l’impact
dues au conflit armé. de l’insurrection de Boko Haram sur les
enfants et y répondre efficacement.
Il existe une grande dichotomie entre les
efforts réalisés pour promouvoir la santé et Afin de mieux comprendre la santé
le développement des enfants de moins des moins de cinq ans dans les zones
de cinq ans et ceux pour lutter contre le touchées dans les deux pays, il faut
terrorisme dans les deux pays, certaines entreprendre des recherches afin de saisir
pratiques antiterroristes écartant ou nuisant les nuances de l’impact du conflit. Il faut
au développement de l’enfant. également intensifier les partenariats
tripartites entre les organisations
Il est crucial de comprendre tous les effets communautaires, les gouvernements et
du conflit sur cet ensemble d’enfants pour les bailleurs de fonds humanitaires, et
éviter une catastrophe humanitaire plus continuer à combler l’écart entre sécurité
grave et des conséquences néfastes pour et développement dans le cadre de la
le développement liées au conflit armé. réponse à cette menace.
Recommandations
Les bailleurs de fonds et les gouvernements du Les bailleurs de fonds, les acteurs
Cameroun et du Nigeria doivent financer des humanitaires et les gouvernements du
études afin d’examiner précisément l’état de la Cameroun et du Nigeria doivent utiliser les
santé des enfants de moins de cinq ans dans calculs de santé des évaluations SMART pour
les zones touchées et l’impact de l’insurrection les moins de cinq ans, afin de contribuer aux
de Boko Haram sur la santé de ces enfants. projections en matière de développement et à
la planification.
Les gouvernements du Nigeria et
du Cameroun et les partenaires au Les bailleurs de fonds et les acteurs
développement doivent allouer davantage de humanitaires doivent impliquer et
fonds pour répondre à l’ensemble des impacts responsabiliser les acteurs locaux qui sont
de l’insurrection sur la santé des enfants de bien informés, afin d’avoir une meilleure idée
moins de cinq ans. des chiffres et de l’état de santé des enfants
de moins de cinq ans parmi les populations
Les systèmes de justice pénale du Nigeria
de réfugiés et de déplacés internes dans
et du Cameroun doivent, dans le cadre des
les communautés d’accueil, et de mettre en
opérations antiterroristes, faire respecter les
place une réponse plus efficace.
droits des enfants et répondre aux besoins
de leur développement. Ils doivent garantir Au Cameroun et au Nigeria, les forces de
que les enfants sont dans des centres de sécurité doivent continuer d’accompagner le
détention adaptés, qu’ils ne sont pas soumis à personnel médical dans les zones touchées
une détention ou à une séparation prolongée par Boko Haram afin que des évaluations
d’avec leur famille, et que leurs besoins complètes de la situation humanitaire puissent
nutritionnels et pour préserver leur santé sont être réalisées concernant la santé des moins
satisfaits en cas d’interrogatoire de leur famille. de cinq ans et la pertinence des interventions.
2 SURVIVRE A BOKO HARAM : POURQUOI LES ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS COMPTENTIntroduction Elle souligne la méthodologie utilisée dans cette étude
avant d’évoquer brièvement les connaissances, et
La santé des enfants de moins de cinq ans constitue
l’absence de connaissances, quant à la nature de
un indicateur général de l’évolution d’une population
l’impact de l’insurrection sur la santé des enfants de
sur les plans de la santé et du développement. Des
moins de cinq ans au Nigeria et au Cameroun. Elle
études montrent l’impact des conflits armés sur le
aborde la question de la progression du développement
développement et la santé des enfants et révèlent le lien
de l’enfant dans un contexte de lutte contre le terrorisme
existant entre conflit armé et taux élevés de mortalité
et formule des recommandations politiques.
chez les moins de cinq ans1.
Les raisons sont simples mais pas toujours évidentes. Méthodologie
Du fait de leurs déplacements pour échapper aux Les données primaires ont été collectées lors
violences, les populations ont un accès limité et irrégulier d’entretiens menés entre février et avril 2018 avec des
à l’alimentation et aux soins de santé, ce qui augmente organisations non-gouvernementales (ONG) impliquées
le risque pour les enfants de contracter des maladies. dans la réponse à la crise. Les 15 personnes interrogées
Parmi les populations déplacées et réfugiées, plus que ont été directement identifiées ou sélectionnées par
tout autre groupe d’âge, ce sont les enfants de moins de échantillonnage en chaîne pour leur spécialisation
cinq ans qui courent le plus grand risque de mourir2. dans la santé de l’enfant ou leur expérience dans des
Depuis dix ans que le groupe terroriste Boko Haram3 interventions humanitaires au Nord-Est du Nigeria et
sème la terreur dans le Nord-Est du Nigeria, on compte dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Beaucoup d’entre-
plus de 30 000 personnes tuées, près de 2,7 millions elles étaient sur le terrain au moment des entretiens.
de personnes déplacées. Des communautés du bassin Nous avons utilisé des questionnaires semi-directifs.
du lac Tchad ont enduré le chaos et des violences Nous avons également consulté toute une série de
et des destructions généralisées4. Certains rapports documents secondaires relatifs à la santé de l’enfant et
montrent qu’une crise humanitaire complexe a résulté aux questions humanitaires au Nigeria et au Cameroun.
de ce contexte, impliquant des enfants de moins de
cinq ans dans le Nord-Est du Nigeria et l’Extrême-Nord
du Cameroun5. Du fait de leurs déplacements pour
La faible quantité d’informations sanitaires précises échapper aux violences, les populations
et insuffisamment coordonnées sur la mortalité dans ont un accès limité et irrégulier aux
les zones touchées par l’insurrection de Boko Haram
entraîne des problèmes de compréhension de la
soins de santé
relation qui existe entre conflit armé et santé de l’enfant
dans la région6. Le contexte humanitaire
S’ensuit un risque d’inefficacité des réponses Les origines et les dynamiques de Boko Haram et
apportées aux besoins des enfants dans les zones les ravages qu’il a causés ont été largement étudiés.
touchées par Boko Haram, avec des conséquences Les activités du groupe au Nigeria et au Cameroun
désastreuses pour leur avenir concernant leur santé et comportent notamment des assassinats, des atteintes
leur développement. physiques, des enlèvements et le viol de civils et
La présente note d’analyse s’intéresse aux raisons d’acteurs étatiques. Elles consistent également dans la
qui motivent la recherche d’une compréhension plus destruction généralisée des propriétés et infrastructures
nuancée de l’impact de l’insurrection de Boko Haram sur par des attaques et le pillage.
la santé des enfants de moins de cinq ans. Elle regarde L’État de Borno constitue certes l’épicentre de la
également comment les acteurs de la sécurité et du présence violente de Boko Haram au Nigeria, mais ceux
développement peuvent répondre plus efficacement à la d’Adamawa et de Yobe, au Nord-Est, ont aussi connu
crise actuelle pour cette partie de la population. de fréquents attentats. Au Cameroun, les zones les plus
NOTE D’ANALYSE 129 | JUIN 2019 3touchées sont celles de Mayo-Sava, Mayo-Tsanaga et Logone-et-Chari,
dans la province de l’Extrême-Nord.
Les populations actuellement déplacées comptent au moins 1,7 million
de personnes dans les trois États du Nigeria les plus touchés, avec 39 %
de déplacés qui vivent dans des camps et 61 % dans des communautés
d’accueil7. Au plus fort de la crise humanitaire produite par Boko Haram
en 2017, au moins un tiers des 700 centres de santé que compte l’État de
Borno avaient été entièrement détruits et, parmi ceux restants, un tiers n’était
pas en état de fonctionner8. Des travailleurs humanitaires ont aussi été tués9.
Plus de 320 000 Camerounais habitant les zones bordant le Nigeria ont
dû fuir leur maison en raison des violences infligées par Boko Haram10. On
estime que 60 % de ces populations déplacées dans leur pays vivent dans
des communautés d’accueil où la pauvreté est omniprésente11.
Plus de 59 000 réfugiés qui ont fui les violences au Nigeria résident dans
le camp de Minawao, dans le Mayo-Tsanaga, dans l’Extrême-Nord du
Cameroun, alors qu’environ 31 700 réfugiés non enregistrés vivent à
l’extérieur du camp12.
Neuf centres de santé sur 121 dans la zone auraient été fermés. On
estime ainsi à 350 000 personnes, notamment des femmes enceintes et
des enfants de moins de cinq ans, la population n’ayant plus accès à des
services de soins de santé13.
Les opérations militaires conduites à la fois par les forces armées
camerounaises et nigérianes le long de leur frontière commune ont entraîné
davantage de déplacements dans l’Extrême-Nord et dans le Nord-Est.
Les interruptions de plus en plus fréquentes dans la culture des terres,
dues aux fermiers qui fuient leurs fermes, ont entraîné une diminution de la
production agricole dans des zones où les terribles effets du changement
climatique restreignaient déjà l’alimentation des enfants14.
L’impact sur les enfants de moins de cinq ans
Quatre facteurs majeurs résultent de l’état d’insécurité causé par Boko
Haram et qui entravent la santé et le développement des enfants de moins
de cinq ans.
Premièrement, le décès de membres de la famille, ou la séparation d’avec
>59 000
ces derniers, ou encore le déplacement d’une famille en fuite, réduit la
probabilité pour un enfant d’être pris en charge de manière adaptée.
Deuxièmement, la fermeture de centres de santé et la fuite du personnel
RÉFUGIÉS QUI ONT FUI médical ont interrompu l’accès aux services de santé, qui aurait pu
LES VIOLENCES AU permettre de prévenir ou de traiter des maladies infantiles.
NIGERIA RÉSIDENT DANS
Troisièmement, l’arrêt de l’activité économique des entreprises a réduit la
LE CAMP DE MINAWAO
DANS L’EXTRÊME-NORD capacité des familles à répondre aux besoins de leurs enfants15.
DU CAMEROUN Enfin, les enfants ont subi des blessures physiques qui résultent
directement des attentats de Boko Haram ; cependant, en raison du peu
4 SURVIVRE A BOKO HARAM : POURQUOI LES ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS COMPTENTde documentation sur ce point, le nombre d’enfants plus, les précisions quant à la santé et à la morbidité des
touchés est inconnu. enfants de moins de cinq ans détenus par Boko Haram
sont exclues de toute évaluation sanitaire critique tant au
Exposition à des maladies et pathologies Nigeria qu’au Cameroun, en raison du peu d’informations
physiques et psychologiques sur le sujet.
Alors que l’insurrection de Boko Haram et l’insécurité Enfin, étant donné la stigmatisation liée à la santé
qui en résulte continuent de sévir dans ces deux pays, mentale, la mauvaise coordination des informations et
les déplacements et l’interruption des services de santé les difficultés d’accès aux populations déplacées et aux
dans les zones touchées augmentent le risque pour les enfants dans les zones lourdement touchées, l’impact
enfants de moins de cinq ans d’être exposés à toute une psychologique de ce conflit violent sur les enfants de
série de maladies, voire d’en mourir. Parmi ces maladies moins de cinq ans n’est que partiellement connu au
on trouve la polio, la diarrhée, la rougeole, le paludisme, Nigeria et au Cameroun24.
la pneumonie et le choléra16.
Certains rapports montrent que de nombreux enfants
Au Nigeria, l’insécurité a entravé l’accès aux vaccinations sortis de captivité, dont certains ont à peine cinq ans, ne
pour au moins 100 000 enfants âgés de moins de cinq connaissent pas leur nom et ne parlent pas25.
ans17. D’après une étude, la couverture vaccinale aurait
baissé de 24,8 % et chaque nouvel attentat augmenterait Malnutrition
la limitation de cette couverture vaccinale de 6,5 %18. L’irrégularité des activités économiques, le déplacement
Certains effets se font déjà sentir. Bien que le Nigeria des familles et la limitation de la disponibilité des services
ait été déclaré pays exempt de polio par l’Organisation et des centres de santé sont des facteurs qui contribuent
mondiale de la santé en 2015, l’accès difficile aux à la prévalence de la malnutrition chez les enfants
vaccins a entraîné une recrudescence des cas de de moins de cinq ans dans les zones touchées par
polio en 201619. Les militaires ont bien été formés sur l’insurrection de Boko Haram.
la façon d’administrer les vaccins dans certaines zones
de grande insécurité (telles que Kala/Balge, Marte et L’insécurité alimentaire est aggravée
Abadam), mais leur aide est limitée en l’absence de
formation médicale plus poussée20.
par les restrictions gouvernementales
de circulation dans le cadre
Au Cameroun, l’accès aux vaccins pour les enfants
de moins de cinq ans est freiné par les pénuries de d’opérations de sécurité
personnel médical et de médicaments, ainsi que par la
fermeture des cliniques dans les régions concernées21. En 2018, le Fonds des Nations unies pour l’enfance a
L’une des personnes interrogées a expliqué que les déclaré qu’au moins 900 000 enfants souffraient de
rares personnels médicaux qui intervenaient dans les malnutrition aiguë sévère dans le Nord-Est du Nigeria26.
villages ne disposant pas d’hôpital étaient partis en Le taux exact de malnutrition est cependant inconnu,
raison de la crise22. en raison de l’inaccessibilité de certaines parties de
l’État de Borno27.
Grâce à l’amélioration de la situation sécuritaire dans
des zones comme Amchide et Limani, le personnel de L’insécurité alimentaire est aggravée par les restrictions
santé a pu revenir. Cependant, dans certaines zones du gouvernementales de circulation, les fermetures des
département de Mayo-Tsanaga, qui subit encore des marchés et les évacuations forcées, dans le cadre
attentats, il est difficile pour le personnel médical d’avoir d’opérations de sécurité dans les zones libérées du joug
accès à la population23. de Boko Haram28.
Il est difficile de quantifier l’impact de l’insuffisance des La malnutrition a toujours été omniprésente dans
soins de santé car tous les enfants privés d’accès aux l’Extrême-Nord, la plus pauvre des dix provinces du
soins ne seront pas forcément atteints de maladies. De Cameroun, même avant l’insécurité liée à Boko Haram29.
NOTE D’ANALYSE 129 | JUIN 2019 5Cependant, entre 2015 et 2017, le nombre d’enfants souffrant de malnutrition
dans cette zone a triplé. L’absence de services de santé, la perte de moyens
de subsistance économique et les déplacements de population ont aggravé
cette situation30.
D’après le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires
humanitaires (UNOCHA), la malnutrition chronique touche actuellement 40 %
des enfants dans l’Extrême-Nord du Cameroun31. Les personnes interrogées
ont confirmé la prévalence de la malnutrition chez les enfants à Mora, dans le
département de Mayo-Sava32. L’absence d’une base de données centralisée
sur l’impact de la malnutrition dans chacun de ces pays ne permet pas de
procéder à l’évaluation globale de la situation.
Il est difficile de vérifier les informations sanitaires
concernant des enfants de moins de cinq ans dans les
zones touchées par le terrorisme
Les personnes interrogées ont noté que l’alimentation, dans certains camps
de personnes déplacées dans leur pays et hors des camps dans les
communautés d’accueil, ne permettait pas toujours de satisfaire les besoins
spécifiques des enfants de moins de cinq ans ou des femmes enceintes
ou allaitantes33.
Elles ont également remarqué la difficulté d’évaluer l’étendue de la
malnutrition chez ces catégories de personnes en raison des différences
dans leurs conditions de vie – selon qu’elles vivent dans des camps
de personnes déplacées dans leur pays et bénéficient de quelques
interventions humanitaires, ou dans des communautés d’accueil avec
moins d’interventions34.
L’afflux de réfugiés dans l’Extrême-Nord du Cameroun a détérioré une
situation qui était déjà difficile35. Malgré l’intervention de toute une série
d’acteurs du développement dans le camp de réfugiés de Minawao, ce qui
a réduit l’aggravation de la crise, il est nécessaire de disposer de ressources
supplémentaires afin de continuer à répondre aux besoins en santé des
enfants dans ce camp36.
Généralement, le sort des enfants retenus en captivité par Boko Haram est
aussi méconnu, bien que certains rapports portant sur des enfants sortis de
LA MALNUTRITION captivité indiquent qu’ils ont été exposés à des problèmes de malnutrition, de
ET LA MORBIDITÉ
maladies, de santé mentale et plus encore37.
POURRAIENT AVOIR UN
EFFET D’ENTRAÎNEMENT
Faire progresser le développement des moins de cinq ans
SUR LES RÉSULTATS EN
tout en luttant contre le terrorisme
MATIÈRE DE SANTÉ ET
DE DÉVELOPPEMENT Les enfants de moins de cinq ans font partie des dommages collatéraux
DE L’ENFANT dus à la présence de Boko Haram au Cameroun et au Nigeria. Il est
important d’examiner l’étendue de ces dommages pour plusieurs
6 SURVIVRE A BOKO HARAM : POURQUOI LES ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS COMPTENTraisons, notamment la nécessité d’atténuer l’impact du conflit armé sur le
développement socioéconomique et la sécurité38.
La malnutrition et la morbidité pourraient avoir un effet d’entraînement sur les
résultats en matière de santé et de développement de l’enfant ; notamment,
le risque d’une mortalité précoce, de handicaps, de problèmes de santé
mentale et de mauvaises performances à l’école39.
À leur tour, ces effets réduisent les opportunités de sortir de la pauvreté, en
restreignant les occasions pour les enfants d’être scolarisés et d’achever leur
scolarité, limitant ainsi leurs possibilités et leurs chances en termes d’emploi.
Pour le Nigeria et le Cameroun, ceci peut avoir de graves répercussions sur la
future main-d’œuvre ainsi que sur l’accès au développement.
Le sous-développement socioéconomique est une cause bien connue du
processus de radicalisation et de passage vers le terrorisme40. L’absence
d’opportunités économiques, les inégalités socioéconomiques et la
corruption peuvent rendre les gens plus vulnérables à la radicalisation et plus
susceptibles d’être recrutés.
Des recherches ont montré qu’une plus grande émancipation
socioéconomique, qui passe par l’investissement dans les secteurs
de l’éducation et de l’emploi, pouvait stimuler la résilience par rapport
au terrorisme41.
On sait que le terrorisme (comme d’autres formes de violence et de conflit)
peut inverser des indicateurs encourageants dans les domaines de la santé
de l’enfant et du développement socioéconomique, et que des améliorations
socioéconomiques peuvent contribuer à prévenir le terrorisme. Il est donc
important de comprendre les impacts du terrorisme sur la santé et sur
le développement de l’enfant au Cameroun et au Nigeria, ainsi que les
mécanismes nécessaires pour les atténuer.
Les politiques relatives à la santé et au développement
de l’enfant n’ont pas été clairement identifiées comme
étant des priorités dans le cadre de la lutte antiterroriste
Cependant, tel qu’évoqué plus haut, l’absence de connaissances au sujet
des taux de mortalité des moins de cinq ans – un indicateur du potentiel de
développement du pays – dans les zones touchées par Boko Haram vient
compliquer cette problématique. Ce manque de connaissances résulte de
plusieurs facteurs.
Premièrement, la collecte des données est affectée par l’insécurité. CERTAINES PRATIQUES
Deuxièmement, il est difficile de vérifier les informations sanitaires concernant ANTITERRORISTES
des enfants de moins de cinq ans dans les zones touchées par le terrorisme, ONT AGGRAVÉ LES
CONDITIONS DE VIE
car la collecte et la publication d’informations statistiques sont irrégulières et
DES ENFANTS
ces données ne sont pas suffisamment ventilées par région géographique
pour montrer des évolutions.
NOTE D’ANALYSE 129 | JUIN 2019 7Troisièmement, les connaissances actuelles concernant certains enfants en bas âge seraient morts dans le
les taux de mortalité chez les moins de cinq ans au centre de détention de Giwa45.
Nigeria et au Cameroun ne sont pas documentées par
Au Cameroun, des enfants, dont certains avaient
des évaluations SMART (Standardised Monitoring and
moins de cinq ans, ont été accusés de soutenir Boko
Assessment of Relief and Transitions – une méthodologie
Haram dans une école coranique où ils se trouvaient,
d’enquête simplifiée et standardisée) collectées auprès
à Guirvidig. Arrêtés, ces enfants ont été détenus
d’enfants par des travailleurs humanitaires42.
pendant une longue période dans un centre de
Il y a également une grande dichotomie entre les efforts détention pour enfants46.
réalisés pour promouvoir la santé et le développement
Le Nigeria et le Cameroun ont tardé à répondre aux
des enfants de moins de cinq ans et ceux entrepris pour
répercussions d’un conflit prolongé sur la santé et le
répondre au terrorisme dans les deux pays.
développement de l’enfant ; de plus, cela a pris du
Bien que le Nigeria et le Cameroun disposent tous deux temps de parvenir à une reconnaissance généralisée
d’un ensemble de politiques et de programmes visant à des carences nutritionnelles croissantes des enfants
faire progresser la santé, le bien-être et le développement de cinq ans et moins dans les zones touchées47.
de l’enfant, ceux-ci ne sont pas systématiquement mis
Enfin, les organisations communautaires locales et les
en œuvre dans les zones touchées par Boko Haram.
volontaires sont certes en bonne place pour comprendre
l’impact de Boko Haram sur la santé des enfants
Certaines pratiques antiterroristes déplacés vivant dans des communautés d’accueil, mais
ont aggravé les conditions de vie elles souffrent d’un manque de ressources.
des enfants L’UNICEF, la Banque mondiale et d’autres organisations
se chargent de former les acteurs et des volontaires
Au Nigeria, par exemple, les États de l’Adamawa, de locaux afin qu’ils puissent mettre en place leurs propres
Borno et de Yobe n’ont toujours pas intégré dans leur interventions ciblant les enfants. Cependant, le nombre
de formateurs demeure insuffisant. Les acteurs des
ordre juridique interne la loi de 2003 relative aux droits
communautés locales au Nigeria et au Cameroun ont
de l’enfant, qui a entre autres objectifs de promouvoir
indiqué que, dans certains cas, les bailleurs de fonds
la survie et le développement de l’enfant, notamment
et les organisations internationales préféraient travailler
en situation de guerre43. Le Cameroun, de son côté,
directement au sein des communautés locales ou y
ne dispose d’aucune législation nationale spécifique
faire venir des ONG depuis les villes ou villages plus
quant aux droits de l’enfant, mais s’est engagé
importants afin de travailler dans les communautés
dans un processus législatif d’adoption du Code de
touchées sans collaborer avec des ONG locales48.
protection de l’enfant.
Ceci en dépit du fait que les ONG des centres urbains
Fait notable, comme c’est le cas dans nombre
peuvent ne pas être informées des dynamiques locales
d’autres pays, les politiques relatives à la santé et au ni des avantages potentiels des connaissances acquises
développement de l’enfant n’ont pas été clairement par les organisations communautaires sur l’impact de la
identifiées, ni par le Cameroun ni par le Nigeria, crise, et de la confiance dont ces dernières peuvent jouir
comme étant des priorités dans le cadre de la auprès des populations touchées49.
lutte antiterroriste44.
Pour adapter les moyens à l’aide, dans ces pays, il faut
Au contraire, certaines pratiques antiterroristes ont mieux comprendre les divers effets de l’insurrection
aggravé les conditions de vie des enfants. Le Nigeria, sur la santé des enfants, ainsi que sur les femmes
par exemple, aurait retenu des enfants âgés de enceintes ou les mères allaitantes, et ce dans différentes
moins de cinq ans dans des centres de détention, situations, comme celles des personnes déplacées dans
accompagnés de membres de leur famille suspectés leur pays, ou réfugiées dans des camps ou dans des
de faire partie de Boko Haram. On a signalé que communautés d’accueil.
8 SURVIVRE A BOKO HARAM : POURQUOI LES ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS COMPTENTRecommandations qui sont bien informés, afin d’avoir une meilleure idée
des chiffres et de l’état de santé des enfants de moins
Les recommandations qui suivent visent à orienter
de cinq ans parmi les populations de réfugiés et de
les efforts qui sont réalisés pour combler les écarts
déplacés internes dans les communautés d’accueil, et
constatés entre les besoins en sécurité et les besoins en
de mettre en place une réponse plus efficace.
développement, et à documenter les futures réponses à
l’impact du conflit de Boko Haram (et dans des situations • Au Cameroun et au Nigeria, les forces de sécurité
similaires) sur les enfants de moins de cinq ans : doivent continuer d’accompagner le personnel médical
dans les zones touchées par Boko Haram afin de
• Les bailleurs de fonds et les gouvernements du permettre une évaluation complète de la situation
Cameroun et du Nigeria doivent financer des études humanitaire concernant la santé des moins de cinq ans
afin d’examiner précisément la santé et l’impact de et les interventions pertinentes.
l’insurrection de Boko Haram sur la santé des enfants
• Les acteurs humanitaires qui interviennent dans le
de moins de cinq ans dans les zones touchées. La
Nord-Est du Nigeria et dans le Nord du Cameroun
Fondation nigériane pour la recherche médicale,
doivent collaborer étroitement avec les ONG issues
créée récemment, doit s’efforcer d’approfondir
des communautés locales, ce qui permettra de mettre
cette compréhension au Nigeria. Il faut allouer des
en œuvre des campagnes de sensibilisation sur la
ressources afin d’en diffuser largement les conclusions.
nécessité de la vaccination et l’importance d’enregistrer
• Les gouvernements du Nigeria et du Cameroun et les informations d’état civil, comme les naissances
les partenaires au développement doivent allouer et les décès, car cela permet d’évaluer la santé, la
davantage de fonds pour répondre à l’ensemble des morbidité et la mortalité des moins de cinq ans.
impacts de l’insurrection sur la santé de ce groupe
d’âge, comme le démontre la présente recherche. Conclusion
Cela concerne, notamment, l’amélioration des soins La nécessité d’empêcher le conflit de Boko Haram
de santé pour les enfants réfugiés et déplacés dans de retarder ou d’inverser les progrès concernant le
leur pays, le rétablissement des infrastructures de développement des enfants de moins de cinq ans dans
santé et l’augmentation des ressources humaines certaines parties du Cameroun et du Nigeria passe par
dans les zones touchées. la progression d’initiatives de développement ciblées.
• Les acteurs des systèmes de justice pénale du Celles-ci doivent se fonder sur des données fiables et
Nigeria et du Cameroun doivent faire respecter ventilées sur ce groupe d’âge, et faire partie d’une série
les droits et les besoins des enfants pour leur de réponses à la situation.
développement dans le cadre des opérations Bien que nous disposions de certaines connaissances
antiterroristes. Ils doivent garantir que les enfants sont quant à l’impact de la crise de Boko Haram sur la
dans des centres de détention adaptés, qu’ils ne sont santé des enfants de moins de cinq ans au Nigeria
pas soumis à une détention prolongée ou séparés et au Cameroun, il reste néanmoins d’importantes
durablement de leur famille, et que leurs besoins lacunes. En effet, l’insécurité des zones touchées et leur
nutritionnels et de santé sont satisfaits pendant les inaccessibilité continuent de frapper durement les efforts
éventuels interrogatoires de leur famille. pour comprendre pleinement l’impact de l’insurrection
• Les bailleurs de fonds, les acteurs humanitaires et les sur les enfants.
gouvernements du Cameroun et du Nigeria doivent Les réponses apportées à ce groupe de la population
utiliser les calculs de santé issus des évaluations touchée ont été incohérentes, les objectifs relatifs
SMART pour les moins de cinq ans, afin de contribuer au développement de l’enfant restant éloignés des
aux projections concernant le développement et la objectifs de sécurité nationale, la sécurité ayant
planification dans les zones touchées par Boko Haram. préséance sur le développement.
• Les bailleurs de fonds et les acteurs humanitaires Pour mieux comprendre la santé des moins de cinq
doivent impliquer et responsabiliser les acteurs locaux ans, il faudra donc investir dans la recherche afin de
NOTE D’ANALYSE 129 | JUIN 2019 9comprendre en profondeur l’impact du conflit sur 11 VJE Ntuda et al., The Boko Haram conflict in Cameroon: Why
is peace so elusive?, 2017, http://library.fes.de/pdf-files/bueros/
tous les enfants dans les zones touchées. Il faudra
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également intensifier les partenariats tripartites entre les
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organisations communautaires, les gouvernements et Humanitarian Aid Operations: Cameroon, http://ec.europa.eu/
les bailleurs de fonds humanitaires face aux effets de echo/files/aid/countries/factsheets/cameroon_en.pdf, 18 février
l’insécurité sur le développement dans les deux pays. 2018, (consulté le 30 mai 2018).
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Les acteurs face à la crise doivent suivre cette nouvelle other emergencies, 39, 23-29 septembre 2017, http://apps.
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NOTE D’ANALYSE 129 | JUIN 2019 11À propos de l’auteure
Uyo Yenwong-Fai a rejoint le programme Menaces transnationales et Crime international en tant
que chercheuse en 2012. Son travail porte sur l’antiterrorisme et la lutte contre l’extrémisme violent.
Elle a, entre autres, également travaillé sur l’implication des jeunes, des femmes et des enfants
dans l’extrémisme violent et dans la réintégration, en Afrique. Elle possède un master en relations
internationales de l’université de Pretoria, en Afrique du Sud.
À propos du Note d’analyse de l’ISS
Les Note d’analyse offrent des analyses succinctes destinées à guider les débats et la prise de
décisions. Les principales conclusions et recommandations, ainsi qu’un bref résumé du texte, sont
présentés en première page. Les infographies permettent à nos lecteurs les plus occupés de prendre
rapidement connaissance des points essentiels.
À propos de l’ISS
L’Institut d’études de sécurité (ISS) travaille en partenariat pour développer les connaissances et les
compétences qui assureront l’avenir de l’Afrique. L’ISS est une organisation africaine à but non-
lucratif. Ses bureaux sont situés en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Grâce à ses
réseaux et son influence, l’ISS fournit des analyses opportunes et fiables, des formations pratiques et
de l’assistance technique aux gouvernements et à la société civile.
Remerciements
Ce rapport a été financé par le gouvernement norvégien. L’ISS remercie les membres du Forum
de partenariat de l’ISS pour leur appui : la Fondation Hanns Seidel, l’Union européenne et les
gouvernements du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège,
de la Suède et des États-Unis.
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Image de couverture : Alexis Huguet/UNHCRVous pouvez aussi lire
