Nouveautés Québec français - Érudit
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Document generated on 07/16/2022 6:45 a.m. Québec français Nouveautés Number 159, Fall 2010 Jorge Luis Borges Les TIC en salle de classe : surfer sur la vague du changement URI: https://id.erudit.org/iderudit/61576ac See table of contents Publisher(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (print) 1923-5119 (digital) Explore this journal Cite this review (2010). Review of [Nouveautés]. Québec français, (159), 4–17. Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
BIOGRAPHIE nous abordons l’ethnographe Elle s’est appliquée à stigmatiser le elle tente d’imaginer ce qui a pu avant la lettre qu’a été Françoise côté sombre du mariage, prenant se passer. À lire sans faute pour SERGINE DESJARDINS dans ses contes, que la biographe la défense de la femme, bafouée constater comment l’idéologie, à Robertine Barry n’analyse pas dans son ouvrage. Et et soumise, qui avait perdu toute une certaine époque, a condamné 1. La femme nouvelle c’est un peu dommage. liberté en acceptant de partager la femme à son rôle d’épouse et de Éditions Trois-Pistoles Ce premier tome est divisé sa vie avec un homme. Elle prend mère, ou encore à celui de servante Notre-Dame-des-Neiges en cinq grandes parties, depuis encore la défense des pauvres, des du Seigneur. 2010, 405 pages la naissance à l’Île Verte de miséreux, des démunis et réclame AURÉLIEN BOIVIN Robertine, en 1863, en passant à corps et à cris une meilleure P remier volet d’une biographie qui comptera deux tomes, Robertine Barry. 1. La femme par son enfance et ses études supérieures chez les Ursulines de Québec, où elle se révèle une justice sociale. Point étonnant qu’on l’ait souvent qualifiée de « femme nouvelle ». ESSAI JEAN DÉSY nouvelle paraît l’année même élève brillante mais peu docile. Cette riche biographie, qui se L’esprit du Nord. Propos du centenaire de la mort de Elle revient à Trois-Pistoles et lit comme un roman, vient enfin sur l’autochtonie québécoise, cette écrivaine-journaliste de rêve de devenir journaliste, une combler un grand vide et ajoute à le nomadisme et la nordicité La Patrie, qui fut non seulement profession réservée aux hommes notre connaissance tant de l’idéo- XYZ éditeur, Montréal la première femme à gagner sa dans cette société patriarcale logie que du féminisme. Il était 2010, 225[3] pages vie en pratiquant son métier de du XIXe siècle. Elle reçoit enfin temps qu’on accorde à Françoise journaliste, mais aussi la première féministe avant la lettre, dès la fin du XIXe siècle. Sergine Desjardins, une réponse aux lettres qu’elle a adressées et entreprend sa carrière à La Patrie, grâce à Beaugrand une attention particulière, car elle a inauguré chez nous la lutte en faveur de l’émancipation et D octeur en médecine, docteur ès lettres et maître ès philo- sophie, Jean Désy a fait du Nord, qui a déjà connu beaucoup de qui a cru en elle et a qui elle fera du rôle des femmes dans notre en particulier de la « péninsule succès avec Marie Major (2008), honneur, lui, un franc-maçon société. Un reproche : la biographe Québec-Labrador », comme aime un roman historique inspiré de notoire qui, souvent, défend des doit se limiter aux faits. Quelques à l’appeler le géographe Louis- la vie d’une fille du Roi, dont le valeurs non conformes à celles que interprétations font sourire quand Edmond Hamelin, son champ mari a été assassiné, s’est imposé véhicule l’idéologie officielle. À la d’investigation et de réflexion. Il faut une patiente recherche pour suite de la mort de son père, un dire que le globe-trotter qui dort en entrer en possession tant des riche industriel de la région, elle lui a beaucoup fréquenté le Grand nombreux articles que Françoise, retrouve sa famille qui emménage Nord, la Moyenne et la Basse-Côte- nom de plume de la journaliste, à Montréal, ce qui la sécurise Nord, où il a longtemps pratiqué a fait paraître, en particulier ses encore davantage. Dans ses écrits la médecine avant de privilégier « chroniques du lundi » et ses comme dans ses conférences l’enseignement et l’écriture. Ce nouvelles littéraires publiées qu’elle prononce devant diverses n’est pas son premier ouvrage sur le dans le journal que dirige alors associations, tant féminines que Nord, lui qui a déjà publié L’aventure Honoré Beaugrand, et des textes masculines, elle défend les droits d’un médecin sur la Côte-Nord (1986), qu’elle a fait paraître dans Le des femmes à l’éducation, en un récit, Kavisilaq / Impressions Journal de Françoise, qu’elle a particulier la formation universi- nordiques (1992), un recueil de fondé en 1902 et qui s’adresse taire, et se donne comme mission poésie, Le coureur de froid (2001) et aux femmes. La biographe a aussi de réveiller à cet égard la gent L’Île de Tayara (2004), deux romans puisé abondamment à quelques féminine, refusant le statut que de froid, le premier racontant une sources dites secondaires, telles la leur accordaient les hommes qui pêche presque miraculeuse dans biographie de Renée des Ormes les considéraient comme des êtres l’Île de Mansel, en compagnie d’un (Léonide Ferland), publiée en 1949, inférieurs. Constamment, elle a guide inuit devenu ami, Qalingo la thèse de doctorat d’Anne Carrier prôné la justice sociale et s’est Tookalak, à qui il rend un vibrant consacrée à l’édition critique des battue pour obtenir l’égalité entre hommage dans L’esprit du Nord. Chroniques du lundi et le mémoire les deux sexes. Elle a n’a jamais Dans cet essai, Désy veut rendre de maîtrise de Benny Vigneault sur cessé, tant à La Patrie que dans Le compte « du bonheur profond l’idéologie et la figure du destina- Journal de Françoise, de travailler à qu[’il] éprouve lorsqu[’il est] en taire dans Fleurs champêtres, le seul l’émancipation de la femme, allant compagnie des Inuits et des Indiens, recueil de nouvelles de Françoise même jusqu’à s’opposer au clergé « malgré leurs travers, malgré leurs paru en 1895. La bibliographie et à l’enseignement de l’Église difficultés toutes contemporaines en fin de volume est abondante, en réclamant la laïcisation de qu’ils doivent affronter » (p. 15). Car mais il y manque les articles que le l’éducation. Elle a encore valorisé le médecin omnipraticien qui les a tome I du Dictionnaire des œuvres le célibat, elle qui avait une piètre fréquentés au cours de sa carrière littéraires du Québec a consacrés opinion du mariage (p. 227), faisant et au cours de ses nombreux dépla- aux œuvres de Françoise, de sienne l’idée de George Sand, qui cements, de ses errances, comme il même que notre étude parue dans prétendait que le mariage était les appelle, a appris à les aimer, sans Littérature orale. Paroles vivantes « un état contraire à toute espèce préjugés ni parti pris. À leur contact, et mouvantes (2003), dans laquelle d’union et de bonheur » (p. 226). il est devenu semblable à eux 4 Québec français 159 | AU TO M N E 2010
NOUVEAUTÉS parce que, écrit-il, son « âme est en grande partie autochtone, nomade, CLÉMENT MOISAN nordiste et vagabonde » (p. 16), plus Kerouac : l’écriture comme errance libre aussi. Hurtubise, Montréal, 2010, 149 pages Les textes ici rassemblés, la plupart parus dans divers pério- diques ou collectifs, sont tantôt réflexifs, tantôt lyriques. Ils nous D isons-le d’emblée, les œuvres critiques sur Jack Kerouac sont généralement polarisées. D’un côté, on décrie le manque de rigueur, de technique noncée par Emerson. D’ailleurs, l’influence de Whitman, si immense et amplement documentée, n’est livrent la vision du monde d’un et d’égard envers les différents codes du roman. De mentionnée qu’au passage. grand voyageur sur l’autochtonie l’autre, on vante la liberté et le souffle dans l’écriture, Pourtant, une partie du cinquième québécoise, identifient les vertus on célèbre la poésie et l’habileté du « roi des chapitre s’attarde à Kerouac du nomadisme et se veulent une Beatniks » à peindre des paysages atypiques d’une comme « barde ». profonde réflexion sur ce que Amérique en mutation. Clément Moisan, ancien Cela étant dit, l’essai de Hamelin a si bellement appelé professeur de littérature de l’Université Laval, fait Moisan, par son écriture et le encore « la nordicité », un mot partie du second camp. En fait, son Kerouac : l’écriture supplément d’âme qui s’en qui, comme tant d’autres qu’il a comme errance se veut plus un hommage à la vision dégage, respire l’amour pour inventés, est passé dans les diction- de l’écrivain, transmise à travers ses romans, qu’une Kerouac. Et bien qu’il en résulte naires. L’essayiste, qui est aussi analyse rigoureuse des thèmes centraux de l’œuvre un romantisme parfois déran- poète, dans une langue pure, riche, de Kerouac. Le problème principal de l’essai de geant, surtout lorsqu’il parle lyrique, insiste sur le respect de la Moisan réside d’ailleurs dans cette prémisse : bien de l’influence du jazz sur la prose, Moisan insuffle à nature et de ses habitants. Il aborde qu’il veuille « ressaisir le message de l’auteur dans ce son essai un rythme irrésistible, un peu comme si la la question du nomadisme, lui qui qu’il a d’essentiel » (p. 9) et ainsi re-conceptualiser prose de Kerouac venait s’immiscer dans la sienne. se considère un adepte de ce mode le « style » de Kerouac, Moisan s’écarte souvent de Par exemple, le chapitre dans lequel il compare de vie, en caractérisant les structures son sujet, ce qui fait que l’argumentaire de la plupart l’approche de Kerouac à celle du peintre Jackson mentales nomades et sédentaires. des parties de son essai s’étiole et perd sa direction Pollock est d’une telle lucidité et d’une telle percep- Il va même jusqu’à se considérer initiale. tibilité que nous aurions aimé en lire davantage. De comme un vrai autochtone, tout De plus, quelques passages sur la réception la même manière, l’analyse qu’il fait des poétiques en se rattachant à ce territoire qui a critique de Kerouac et de la littérature « beat » de l’instantanéité et de l’immédiateté dans l’œuvre nom Amérique. ressassent des débats souvent soulignés dans les de Kerouac révèle une grande acuité littéraire. La Une partie de son ouvrage est ouvrages critiques et biographiques sur l’écrivain finesse et l’intelligence du propos, invoquant Kerouac consacrée à son amour du Nord. Il y « beat ». À cela s’ajoute ce qui semble être le et l’écho des autres « Beats », sont ce qui reste au fil décrit quelques paysages qui l’ont problème principal de l’essai, c’est-à-dire le fait que d’arrivée, au bout de la route qu’il trace avec l’encre marqué et fournit aux non-initiés Kerouac n’est que très sommairement placé dans la d’une époque qu’il retrouve à travers les mots. Il voit un lexique des mots du Nord et un grande tradition littéraire américaine. Moisan semble dans l’œuvre de Kerouac « une œuvre de mémoire » autre des mots « canayens » de la plutôt y préférer une tradition européenne (Sartre, (p. 87), et c’est ce que nous voyons également forêt, tels abattis, babiche, baliser, Camus, Proust). Lorsqu’il analyse l’isolement dans dans cet essai. En dépit des quelques désaccords bebite, bécosse, brûlot, cabane, la nature des personnages de l’écrivain, jamais il et problématiques de l’essai, nous avons envie de carcajou, chicouté et combien ne mentionne Thoreau à Walden ou Whitman et la dire à Clément Moisan, malheureusement décédé d’autres encore. genèse de la tradition lyrique américaine telle qu’an- récemment, bonne route… Dans la dernière partie de son JEAN-PHILIPPE MARCOUX essai, Désy identifie les trois esprits du Nord ou groupes humains qui se côtoient dans le Moyen Nord du Québec : l’esprit premier, ou les premiers, ceux qui habitent ce pays de neige et de froid (Inuits, Indiens, Nord-Côtiers, nomades, coureurs de bois) ; les pionniers, qui regroupent les explorateurs de ce vaste terri- toire ; enfin les soignés, qui sont animés par un souci écologiste ou écologier. Voilà un ouvrage qui sait susciter non seulement l’intérêt mais aussi l’émotion, un ouvrage fort bien écrit, à dévorer à petites doses et à méditer en raison de la sagesse et de la profondeur des propos. AURÉLIEN BOIVIN AU TO M N E 2010 | Québec français 159 5
NOUVELLE En dépit d’un vocabulaire reste-t-il ? À dire, à faire, à vivre… soutenu, l’ouvrage témoigne Ce « là », lourd de sens, désigne LUC BUREAU d’une érudition qui n’est jamais tantôt un lieu tantôt un moment. Il faut me prendre rebutante. Avec une naïveté Il symbolise en quelque sorte aux maux métissée d’autodérision, l’esprit le point de jonction entre ici et L’instant même, Québec malicieux de l’auteur se profile à là-bas, le présent et l’avenir… 2010, 180 pages chaque page. L’ensemble forme un Dans le cadre de retrouvailles collage pétillant et astucieux. Un peu chaleureuses, une jeune J usqu’en 2001, Luc Bureau a enseigné la géographie à l’Uni- versité Laval. Tout au long de sa livre réjouissant qui semble avoir été écrit par un brillant causeur. GINETTE BERNATCHEZ femme et son frère sont forcés de vider l’appartement de leur père décédé. Ce qui émerge carrière, seul ou en collaboration, de ce texte ramassé et efficace il a publié nombre d’articles, SYLVIE MASSICOTTE représente la pointe d’un iceberg d’études et d’essais orientés vers Partir de là conflictuel apparemment impos- la culture occidentale, son champ L’instant même, Québec sible à déterminer. Cette première de prédilection. Loin de le museler, 2009, 90 pages nouvelle, intitulée « Puisque la retraite semble lui avoir fourni c’est comme ça », rassemble les l’occasion de laisser courir sa plume encore plus rapidement. De toute évidence, on sent bien S ylvie Massicotte est une nouvelliste talentueuse qui, avec une économie de mots, nous éléments majeurs qui caracté- risent le style de l’auteure : langue précise, attentive aux détails, qu’il prend un malin plaisir à jouer ramène toujours à l’essentiel. atmosphère troublée, émotion avec les mots, les idées et les Partir de là, son cinquième recueil, palpable, construction allusive… circonstances. regroupe vingt textes très courts Des composantes qui forment un Avec Il faut me prendre aux souvent développés autour du tout dont la portée n’est jamais maux, il signe quatorze récits où, thème de la mort. Des morts diminuée par la concision des deux fois plutôt qu’une, on nous soudaines, lentes, appréhendées récits, et ce, dans la mesure où demande de ne pas chercher ou volontaires qui laissent aux Massicotte compose des person- à séparer l’authentique et le survivants tétanisés un trou béant nages complexes qui prennent vie fabuleux. Lorsque l’auteur choisit au fond de l’âme. À partir de là que rapidement. d’apposer le mot « récits » sur la page couverture de son livre, la suggestion semble inhabituelle, AGNÈS GRUDA elle lui offre pourtant l’avantage de Onze petites trahisons s’octroyer certaines libertés avec Éditions du Boréal, Montréal les faits sans prêter le flanc aux 2010, 296 pages sceptiques. En bon « raconteur », celui-ci a probablement ressenti le besoin de manier l’hyperbole, de bluffer ou de broder autour de ses A gnès Gruda. Son nom nous est familier bien sûr, puisqu’elle est journaliste à mésaventures au bénéfice d’une La Presse depuis plus de vingt narration vivante et sympathique. ans. Ses parents, d’origine Un mot défini de façon spiri- polonaise, se sont établis au tuelle amorce chacun de ses Québec lorsqu’elle avait douze récits. Ainsi, la signification du mot ans. Son acclimatation à une « mirage » sert de préambule à un nouvelle société, combinée à retour à la terre semé d’embûches. une profession qui l’a menée Le chapitre intitulé « Ignorance » un peu partout dans le monde, raconte la quête frénétique d’une apporte d’ailleurs une dimension serpillière – à Paris ! – par un pluraliste à ses textes. Avec chercheur qui n’a pas la moindre Onze petites trahisons, elle fait idée de ce qu’il cherche. Le mot une première incursion dans le « perfidie » amène notre prosateur domaine de la fiction. à relater une anecdote crous- Le titre qu’elle nous propose tillante où il ne tient pas le beau convient bien à ce livre, bien que rôle. Alors que le terme « éroto- l’épithète petite dédramatise manie » lui inspire quelques pages certaines trahisons plus amusantes sur un choix de carrière troublantes que d’autres. Si qu’il n’a jamais regretté. nous envisageons la déloyauté sous l’angle des conséquences, 6 Québec français 159 | AU TO M N E 2010
NOUVEAUTÉS À l’occasion de l’hospitalisation PIERRE POPOVIC La nouvelle suivante nous de sa mère, la narratrice de la Le dzi permet d’assister à l’escalade nouvelle « Une enfant » s’interroge Montréal, Fides rapide d’un jeune joueur de sur ce qui définit la maternité. 2009, 163 pages football ayant pour héros un Dans « Funny Girl », nous assistons buteur vedette mystérieusement aux funérailles d’un soldat qui ne connaîtra jamais sa fille. « Joss m’inspirait-il confiance ? » – l’une P ierre Popovic est professeur de littérature à l’Université de Montréal. Auteur et coauteur disparu à la fin d’un match. Cette histoire époustouflante donne lieu à des passages palpitants sur un des histoires les plus poignantes de plusieurs études, Le dzi – un sujet peu commun en littérature. du recueil – aborde avec gravité recueil de trois longues nouvelles – Le narrateur, qui se décrit comme la question du suicide. Alors que représente pour lui une première un dzi, nous apprend que cet « Le retour » évoque la banalité incursion dans le domaine de la argotisme « Valdavien » désigne un d’un quotidien qui laisse rarement fiction. petit lézard réputé pour sa vivacité. présager l’annonce d’une triste Dans la « La procession », Pierre Toutefois, puisque la Valdavie nouvelle. se remémore certains souvenirs semble issue de l’imagination La voix attentive et contenue de d’enfance : sa fascination par de l’auteur, le dzi – qui phonéti- Sylvie Massicotte s’est gagnée la Madame Végé, épicière à la quement pourrait évoquer le son faveur de nombreux lecteurs. Ses réputation ambiguë, un déména- produit par un départ foudroyant – énervassés. Cependant, comme trois premiers recueils de nouvelles gement qui brisa le cœur de sa provient sans doute de la même Montaigne le disait, l’auteur ne ont d’ailleurs été réédités. À dire mère et ses visites du week-end contrée. compte pas ses emprunts, il les vrai, le plaisir de la lire pour la chez sa grand-mère Victorine. Ces En utilisant des expressions pèse. De la sorte, ses trouvailles première fois n’a d’égal que celui réminiscences, évoquées sur un glanées en Occitanie, en Wallonie, n’alourdissent jamais un style déjà de la redécouvrir. ton mi-attendri mi-désinvolte, au Québec « et » en Valdavie, efficace et entraînant. GINETTE BERNATCHEZ allongent les préliminaires qui Popovic a concocté des textes « La procession » et « Le dzi » aboutiront à la découverte d’un savoureux émaillés d’images présentent davantage les carac- secret de famille. Une révélation fantaisistes et parlantes. Ainsi, ses téristiques communes au roman : inattendue permettra à Pierre héros s’empourprent cardinalement, nombreux personnages, événe- de se remettre en mémoire les fument des boulons, matamorent ments multiples, prolongement de samedis soirs de son enfance. ou s’encolèrent lorsqu’ils sont l’action… En revanche, le dernier remplacer un vieux chien qui est père. Dans « L’amour en hiver », mort par un chiot qui a besoin d’un la mauvaise foi porte les œillères maître incite à l’indulgence. En de l’irresponsabilité. revanche, celui qui abandonne des Les nouvelles de Gruda sont enfants confrontés à une situation dotées d’un caractère universel. dangereuse, ou celle qui s’acquitte Sans complaisance, puisqu’elle à moitié de la promesse qui la liait emprunte généralement la voix à des gens isolés dans un pays en du traître, elle a imaginé des guerre, obtient moins facilement histoires subtiles qui, goutte à notre pardon. goutte, libèrent les sentiments La trahison, pour ainsi dire inavouables qui excusent trop toujours motivée, comme le souvent nos actes. À cet égard, croyait Sartre, par l’intérêt et des textes comme « L’attente », l’ambition, constitue un crime « Un prénom simple », « Le point multiforme… Dans « L’attente », de bascule », « Pour qui elle se une femme qui a souffert prend » et « Des nouvelles de la de l’indifférence de sa mère haine » sont particulièrement s’approprie l’agonie de celle-ci en remarquables. cachant à son frère la gravité de L’auteure s’exprime avec une son état. « Le jeu des statues » met aisance qui trouve sans doute en scène un causeur insupportable sa source dans son métier de qui prend plaisir à manipuler journaliste, mais son style nourri son auditoire sans se soucier des et la sensibilité affûtée dont répercussions. « Mon premier elle fait preuve font d’elle une collier de perles », qui emboîte les véritable écrivaine. À découvrir… trahisons comme des poupées GINETTE BERNATCHEZ russes, raconte l’histoire d’une jeune fille abandonnée par son AU TO M N E 2010 | Québec français 159 7
texte, « La main », serre de plus territoires devenus arides à cause [s]a main º toucher [s]a paume sens qu’il émerge de son rapport près la notion de nouvelle. Ce récit, du froid. Le poète expose en effet de poêle chauffée à blanc ». Le à l’Autre : « Tu t’uniras à moi dans plus suggestif et plus succinct que le récit d’un dépouillement, le sien, corps rappelle souvent l’être à sa les reflets ° de la colère et dans les précédents, met en scène une si bien que le fait biographique condition terrestre et à sa vie, de la caverne de ° ta soif. Toujours institutrice qui rend visite à une interfère dans sa poésie, dès le laquelle Désy est particulièrement tu choisiras ° la liberté. Je saurai amie internée dans une institution début du recueil : « trois janvier mil proche en étant lui-même naître avec toi — °car je suis ta psychiatrique. En posant un regard neuf cent quatre-vingt-dix º huit médecin, entre autres. naissance » (p. 115). interrogateur sur son amie, Hélène heures du soir º […] la toundra me Tout de même, le recueil L’on ne trouve pas de résolution s’absorbera dans une réflexion sur fut éblouissement ». progresse jusqu’à ce qu’on aux questions posées, pas plus ce qui distingue petite et grande Comme il est écrit sur la comprenne que « vivre ne qu’on ne distingue de destination folie. quatrième de couverture, « il est suffit pas » pour autant. « Il faut atteinte : le « Je » demeure en Le dzi est un livre distrayant et difficile d’expliquer ce qu’est la le poème », qui rend possible errance, une errance qui se trouve intelligent. Il contentera l’appétit révélation », mais Désy réussit à à sa manière une présence en fait nourrie par la mise en mots : des lecteurs qui restent parfois sur transformer son expérience morale minimale mais pure, ce que la « Tu connais les mots qui font ° leur faim devant les textes courts. en une expérience esthétique au poésie de Désy, simple, rythmée naître les villages. Tu fraieras ton Quant aux aficionados du football, fil des paysages qu’il compose. Il et évocatrice, rend palpable. Il chemin au milieu des champs où ° ils en redemanderont… s’applique à dire et à illustrer son s’agit de lutter contre la grossière meurent les hommes. Tu laisseras GINETTE BERNATCHEZ expérience tout à fait incarnée insignifiance « [d]es néons et [de] derrière toi ta voix qui résonnera ° d’un environnement exotique l’asphalte », dans la vie comme dans les ténèbres » (p. 103). pour le lectorat du Sud : « Que dans l’écriture ; voilà la douce d’odeurs ! Que d’odeurs ! º morale que Toundra propose à son Camarines et genévriers º lecteur comme un baume. Entremêlés au thé du Nord ». JULIE ST-LAURENT La description des paysages ressentis mène même, certaines RÉCIT fois, à de belles trouvailles de langue, comme lorsqu’on aperçoit GENEVIÈVE LÉVESQUE « une zébrure d’outardes º Aussi 2 longue que le vent ». La nature Cornac, Québec s’avère le lieu du ressourcement 2009, 120 pages POÉSIE le plus total, nature acquérant un JEAN DÉSY Toundra, Tundra caractère mystique dans cette écriture qui en dévoile l’énergie profonde. Plus précisément, dans D ’une forme atypique, 2, un récit poétique que propose la jeune docteure en études Les Éditions XYZ, Montréal la toundra, le poète accède à un littéraires Geneviève Lévesque se 2009, 134 pages règne où « la terre n’est plus la présente tel que le long parcours terre º Immatérielle neige d’un autoréflexif d’un « Je » en quête de J ean Désy est un nomade autant dans sa vie physique que professionnelle ; son recueil Être debout º Enfin libre ». Malgré l’horizontalité du sol, de ses minuscules fleurs, du lichen et lui-même, sillonnant entre l’être et le devenir. Tel que le récit se construit, en dialogue constant, il Dans ce deuxième recueil, Lévesque maîtrise certes le dialogue évoqué, qu’elle mène Toundra lui permet de faire un de tous les panoramas décrits, il appert que non seulement ce « Je » avec aplomb ; l’exploitation arrêt dans une pleine poésie apparaît clair que cet intérêt pour n’est pas seul, mais que, de plus, il de thèmes convenus se trouve inspirée de ses voyages dans le l’ici-bas se double d’une exigence trouve refuge et réponses auprès renouvelée par une écriture Grand Nord. Le livre rassemble verticale, aussi dure que le froid d’un Autre dont, dès la lecture du qui incessamment porte la voix des poèmes écrits en français, peut l’être. titre, l’on soupçonne la présence : de deux entités distinctes se accompagnés de leur traduction Ainsi la question métaphysique « — Je suis absorbée dans la répondant. Le récit, bordé de anglaise et d’inscriptions en impulse-t-elle les textes de plénitude, ° plutôt que de pousser références à la nature et aux inuktituk. Le tout est agrémenté Toundra. La recherche de la mon corps ° vers le vide. Alors éléments, prend l’allure d’une d’encres de Pierre Lussier, qui solitude implique celle d’une je cherche ° ce qui n’a pas assez odyssée à travers laquelle la poète représentent d’une façon à la fois présence qui saurait excéder la manqué ° — Peut-être n’as-tu pas parvient à guider le lecteur. 2 abstraite et figurative les contrées simple expérience physique du besoin ° de la chute dans le vide. est une traversée de soi « aux décrites par les poèmes. Tout réel : « N’y a-t-il de réel que ce Peut-être ° contiens-tu l’espace à limites de la folie » (quatrième concourt ainsi à inviter le lecteur à cadavre de phoque º Que cette l’intérieur de toi ; seulement tu le de couverture) dont le souffle la découverte d’un ailleurs. lame plongée dans le cœur » ? ne sais pas ° encore et tu cherches poétique, malgré les promesses Si toute poésie demande à Bien sûr, le poète ne trouve pas de le chemin pour y parvenir » (p. 70). faites en quatrième de couverture, faire le silence autour de soi, Désy réponse, encore qu’il se conforte Au terme des cinq parties qui n’est pas aussi puissant que s’applique à décrire ce silence un instant dans le rêve d’une composent ce récit poétique, force souhaité. même, silence salvateur qu’il proximité humaine, se demandant est de constater que le « Je » n’est MARIE-ANDRÉE BERGERON recherche en montant dans les « quelle femme voudra attiser pas non plus indépendant, en ce 8 Québec français 159 | AU TO M N E 2010
NOUVEAUTÉS ROMAN CHRYSTINE BROUILLET Sous surveillance La courte échelle, Montréal 2010, 331 pages PHOTO : IVANOH DEMERS, LA PRESSE D epuis Chère voisine, Prix Robert-Cliche 1982, Chrystine Brouillet est devenue, au fil des ans, une auteure prolifique, reconnue comme l’une des la métaphore qui va nourrir en cours de ses emportements, grandes spécialistes du polar au parallèle le récit de l’enlisement. l’auteur laisse aller quelques Québec. Elle nous revient avec Intercalés entre ces épisodes, nous sacres judicieusement placés, une nouvelle enquête de son as sont donc donnés à lire onze autres qui font sourire malgré le enquêteure Maud Graham, dite RÉCIT-FICTION chapitres, aussi brefs, qui prennent tragique de la situation. Le Biscuit pour les intimes, qu’elle la forme allégorique d’une dérive récit n’est pas non plus dénué considère comme une véritable BIZ en radeau sur un marais, jusqu’à d’humour comme le démontre amie. Mais cette fois, dans Sous Dérives la descente aux enfers. L’auteur la scène de consultation de « la surveillance, où l’on retrouve ses Montréal, Léméac emprunte à la mythologie et psychologue de couple » ou celle deux acolytes avec lesquels ses 2010, 94 pages à l’histoire quelques figures sur le boulevard métropolitain lecteurs sont familiers, André emblématiques pour servir son congestionné où le fils veut Rouaix et Pierre-Ange Provencher, B IZ use avec discernement de deux types de narration, le récit et l’allégorie, pour raconter propos : Hercule, Cerbère, Charron, Marat, Louis XVI… Le narrateur n’arrive pas à aimer impérativement écouter une comptine : « On peut devenir fou à écouter “Pinpin le lapin” ou elle est surtout bien appuyée par une jeune adjointe, Tiffany McEwen, qui vient tout juste de se les affres de sa paternité nouvelle son enfant comme un père le “Mes amis les légumes”. Dans la joindre à l’équipe à Québec et qui et sa descente aux enfers. Dérives, devrait. Tout n’est qu’agacement : prison d’Abou Graïb, on dit que semble vouée à une belle carrière, trouve sa cohésion et sa force dans les nuits d’insomnie ponctuées l’armée étatsunienne finissait malgré le fait qu’elle commette la lecture entrecroisée, l’allégorie par les pleurs du bébé, les jouets par faire craquer les prisonniers une erreur, que nous ne pouvons étayant le récit et vice versa. qui traînent, la vaisselle pas faite, iraquiens avec Metallica. dévoiler pour garder l’intérêt. L’éditeur a choisi de faire alterner, « les crisses de lumières allumées Croyez-moi Shivi ou Annie Brocoli à dessein, deux types de caractères tout le temps », la fête de Noël à auraient fait le travail beaucoup typographiques pour guider le la garderie (« Vivement qu’elle se plus rapidement » (p. 70). lecteur. termine cette année de cul, ou – BIZ, flamboyant rappeur « Voilà, c’est fait, mon fils est comme dirait la Reine, cette annus du groupe Loco Locass, a le né », on lit dans cet incipit comme horribilis »), etc. verbe facile et, connaissant ses un soupçon de fatalité, pourtant Amarré à son lit ou sur le allégeances indépendantistes, il le prologue qui suit, empreint divan, où il passe ses journées n’est pas étonnant que quelques d’amour et de bonheur, se conclut à écouter des inepties à la flèches soient décochées ici et là par ces mots pleins d’espoir : « C’est télévision, il dérive : « Je vogue contre l’apathie du Québec cette mon Roi-Soleil. Le roi est né, vive vers le néant avec une ardente « nation qui a peur de naître » le roi ! ». Mais le ravissement est résignation » (p. 13). Avec une et, pas étonnant non plus qu’il de courte durée. Dès le premier ardente résignation, l’oxymore est avoue, au terme de l’odyssée, que chapitre, le narrateur (l’auteur ?) significatif, c’est en effet avec une sa dépression en est également nous confie son désarroi : « J’aurais certaine fougue qu’il renonce, qu’il tributaire : « Je prenais tout le voulu être un père exemplaire se hâte vers la dissolution. L’abat- poids du Québec sur mes frêles et dévoué, mais ça s’est révélé tement, l’affliction, le manque épaules » (p. 77). au-dessus de mes forces (p. 9). Je de compassion et d’amour pour Mais la volonté de ne pas m’attendais aux plus belles années son petit « renard gambadant », mourir est forte et, lentement, de ma vie, ce fut les pires » (p. 10). le désir de néant et de réclusion l’homme « émerge de la Dans une douzaine de petits imprègnent tout le récit. Dans la montagne comme un enfant sort épisodes arrachés au quotidien, le métaphore, sa souffrance prend de sa mère » (p. 88). L’épilogue narrateur exhibe son désespoir : la forme d’une hydre à multiples laisse entendre que la prise « Avec les couches, les lingettes, têtes, un monstre qu’il doit vaincre d’antidépresseurs sauvera le les biberons et les purées, j’étais pour renaître au monde. narrateur. On sait que pour BIZ, un galérien enchaîné à mon Les images abondent, la l’écriture de Dérives a été une appartement » (p. 10). L’image du poésie affleure. Le style est alerte, bouée de sauvetage. galérien n’est pas futile : elle induit les phrases, punchées. Dans le CHANTAL GAUDREAULT AU TO M N E 2010 | Québec français 159 9
Cette onzième enquête de qui aurait aimé attirer dans ses gros carton entouré d’une ficelle et de démasquer les têtes dirigeantes Maud Graham, la neuvième filets Bergeron, un véritable don contenant une bonne centaine de de ce réseau, avec l’aide de sa fille publiée à La courte échelle, est juan, voire Alexandre lui-même. pages d’un texte écrit en caractères et de son amant Camerounais, de construite à la manière d’une Toutes les pièces finissent par cyrilliques, comme le lui confirme sa copine – on sait que sa femme toile d’araignée. Gabrielle s’assembler et le meurtrier est un bouquiniste ami qu’il prend est disparue dans le premier volet Lellard, une Québécoise, décide finalement arrêté après avoir soin de consulter. Il ne met guère sans avoir jamais donné de ses de quitter Vancouver, où elle séquestré Gabrielle. de temps à établir des liens entre nouvelles, sans doute est-elle s’était réfugiée, il y a une dizaine Les amateurs de suspense sont les deux événements. Il entre alors morte –, d’une avocate amie d’années, après avoir fui les lieux servis à souhait avec ce roman, en contact avec un immigré russe, et, surtout, de son chauffeur de d’un accident de la route dont tant Brouillet fait preuve de talent Marik Dybriak, et se lance dans taxi, Marion, qui a joué un rôle elle a été témoin, sans porter dans le développement de son une véritable enquête, malgré les important dans Letendre, un secours aux victimes. Hantée par intrigue de manière à susciter promesses faites. Comme il l’avait homme de rien. Non sans difficulté, le remords, elle décide tout de l’intérêt. À ma connaissance, c’est pressenti, ce manuscrit s’avère le groupe réussit, après une série même de revenir à Québec, après la première fois que la romancière le deuxième tome d’une trilogie d’événements, à mettre toutes avoir rencontré un marathonien exploite le thème de l’obsession que Vasil’evitch, mieux connu les pièces du casse-tête en place, comme elle, le professeur Rémi maladive. Les personnages sous le nom de Gogol, avait jeté pour enfin intéresser les policiers Bergeron de l’Université Laval, secondaires, qui alimentent à tour au feu, sous l’emprise de la folie. à tenter le grand coup pour qui lui a proposé de préparer de rôle l’action, sont bien campés, Mais le mal est fait et Dybriak, qui délivrer des mains de la maffia avec lui un livre d’entraînement crédibles, entraînés dans un sait la valeur de cette découverte, russe les deux jumelles et d’autres et de renseignements destiné tourbillon, forçant ainsi le lecteur à imagine tout un stratagème prostituées venues des pays de aux athlètes et aux amateurs. poursuivre sa lecture. Brouillet les pour s’emparer du manuscrit, qui l’Est. Elle trouve rapidement un poste guide d’une main de maître, dans contient encore quelques pages L’intrigue, on le voit, est bien d’entraîneure dans un gym de une langue agréable, soutenue, du troisième tome de la trilogie imaginée et les personnages, bien Québec, que fréquente Tiffany, simple mais efficace. Vivement le du célèbre auteur russe. C’est dessinés, de manière à rendre avec laquelle elle se lie d’amitié. prochain polar ! toutefois mal connaître Letendre, cette histoire vraisemblable. Caron Elle rencontre par hasard AURÉLIEN BOIVIN qui, grâce à un ami fonctionnaire ne manque pas, lors du bref séjour Alexandre Mercier, un pilote fédéral au ministère des Affaires de son héros en territoire russe, d’avion, qu’elle avait connu jadis et PIERRE CARON étrangères du Canada, se rend de dresser un portrait de cette qui aurait bien voulu la fréquenter Letendre avec lui à Moscou pour remettre ce société, secrète et méfiante. Le assidûment. Il rêve encore de la et les âmes mortes manuscrit à une descendante de la romancier sait susciter l’intérêt des posséder, tel un bien précieux. Fides, Montréal famille Kousma, Natoulia Kousma- littéraires, car son roman comblera, Elle accepte quelques-unes de ses 2010, 349 pages Doubnikoff. C’est là qu’il apprend par ses nombreuses allusions à une invitations, sans se soucier des que les deux filles jumelles de cette foule d’auteurs, dont le célèbre dangers qu’elle court. Elle croise encore Anaïs Rancourt, une jeune escorte, qui est aussi l’amante D euxième volet du « Quatuor de Montréal », amorcé avec Letendre et l’homme de rien, dans dame, répondant à une publicité d’une école de mannequins, ont été entraînées dans un réseau Simenon, un ami personnel de l’écrivain québécois, les amateurs de cette discipline qu’on appelle secrète d’un célèbre avocat lequel le libraire collectionneur international de traite des l’intertextualité. Letendre n’est-il criminaliste, Daniel Couture, a bien failli être victime d’un blanches et seraient présentement pas propriétaire d’une librairie et bientôt trouvé assassiné dans assassin, en se prenant pour un au Canada. collectionneur de livres anciens, sa somptueuse villa de la région enquêteur, Letendre et les âmes Il n’en faut pas plus pour inciter reconnu à travers le monde de Charlevoix. Quelques jours mortes ne manque pas d’intérêt. le libraire collectionneur à se lancer grâce à son Répertoire de livres de plus tard, Rémi Bergeron est lui Certes, connaissant déjà ce dans une aventure périlleuse afin collection, appelé communément aussi trouvé mort, le long d’un personnage hors du commun, les Le Letendre, qu’un jeune étudiant, boulevard, où il avait coutume lecteurs s’attendaient à ce qu’il spécialiste en informatique est en de s’entraîner, sans doute victime manque à sa promesse faite à un train de numériser pour le mettre d’un chauffard, à moins que policier de ne plus jamais se mêler dans Internet, afin de rendre cet son corps ait été déplacé et jeté d’événements qui ne le regardent argus encore plus rentable sur du haut d’une falaise. Anaïs est pas. Pour notre plus grand plaisir abonnement moyennant un tarif elle-même victime d’une agression d’ailleurs. minimal. À lire pour le plaisir et mais récupère à l’hôpital, où la L’intrigue ne manque pas plus encore… visitent Gabrielle et Maud Graham, d’intérêt. Elle s’amorce à Moscou AURÉLIEN BOIVIN pendant que Tiffany poursuit dans la nuit du 11 au 12 février 1858, les interrogatoires de suspects alors qu’un nouvel employé, le bien identifiés : un collègue de jeune Séliphane Kousma, sauve Bergeron, Hubert Sicotte, et un des flammes un manuscrit que étudiant, Jocelyn Vignola, une l’auteur, Nicolaï Vasil’evitch vient voisine d’Anaïs, Nicole Rancourt, d’y jeter. Latendresse, témoin d’un une veuve quelque peu jalouse accident mortel en plein centre des succès de la jeune escorte et de Montréal, trouve en 2008 un 10 Québec français 159 | AU TO M N E 2010
NOUVEAUTÉS MICHAEL CONNELLY tueur (avant de savoir qu’ils sont McEvoy est licencié du Los L’épouvantail deux) du sobriquet de « Tueur de Angeles Times et n’a plus que Seuil, Paris Vierges de métal ». deux semaines à faire au moment 2010, 495 pages C’est que le cerveau derrière où s’ouvre l’enquête – alors Coll. « Policiers » les méfaits dont il est question pourtant qu’il est le journaliste ici, Wesley Carver, est abasiophile le plus réputé (mais aussi le plus P our la vingt et unième fois de sa carrière, l’auteur à succès Michael Connelly publie (il éprouve une forte attirance sexuelle pour les femmes infirmes, en raison d’une enfance coûteux...) du journal. Il est aussi question du rôle prépondérant (voire intrusif et aliénant...) des un polar qui saura garder captif troublée au cours de laquelle il a technologies dans nos vies. (La le lecteur féru de littérature vu sa mère danser nue et porter portée tentaculaire de la firme policière. Le journaliste Jack de telles attelles, parce qu’elle qui emploie Wesley Carver donne McEvoy et l’agent spécial Rachel était affligée d’une maladie froid dans le dos...) Walling reviennent à la charge dégénérative des os). Carver, Qu’a-t-il de nouveau par dans ce thriller bien ficelé et génie de l’informatique diplômé rapport aux autres, ce Connelly ? inventif, dans lequel un tandem au MIT, fait partie d’une agence Pas grand-chose, sans doute ; de meurtriers en série, connu de surveillance et de stockage mais pourquoi renouveler la du lecteur dès l’abord, sévit informatique. Son métier recette quand elle fonctionne dans l’Ouest américain en s’en lui permet donc de repérer si bien ? Ce roman m’a tenu en prenant à de jeunes femmes facilement ses proies, puisque haleine du début à la fin, grâce qui ont le même profil : dossier la plupart de ses clients sont des à la qualité du ton du narrateur criminel et jambes élancées... firmes d’avocats. autodiégétique (McEvoy) ainsi pouvant bien mettre en valeur Ce nouvel opus de Connelly qu’à la qualité de l’intrigue. On en des attelles de métal. Voilà met à l’avant-plan la réalité aurait redemandé. pourquoi les médias affublent le des médias de papier en 2010 : STEVE LAFLAMME NOUVEAUTÉ www.livres-bq.com LO U I S E D U P R É La Voie lactée 216 pages • 10,95 $ bibliothèque québécoise biblio AU TO M N E 2010 | Québec français 159 11
sociale en couchant avec le promoteur. Effondrement du mari, fuite d’Adam qui, sans le savoir, a servi de messager à l’intérieur du réseau d’affaires du promoteur. Le livre se termine sur le retour d’Adam à la « civilisation ». Un bon roman. Ce qui le rend excellent, c’est la peinture que Galgut fait de son pays : corruption, intrigues, la chasse à l’argent, les tensions entre Noirs et Blancs qui s’accentuent, malgré l’abolition du régime raciste, le milieu d’affaires véreux, la DAMON GALGUT peur de la violence, la cupidité L’imposteur généralisée. Tout cela sur un fond Traduit de l’anglais (Afrique de toile où perce l’amour profond du Sud) par Hélène Papot pour ce pays d’une beauté et Éditions de l’Olivier, Paris d’une richesse qui vous coupent 2010, 301 pages le souffle. Un portrait cinglant d’une société qui a pris le mauvais chemin, malgré les avertissements T rop peu connu en France comme ici, Galgut, l’enfant prodige de la littérature qui brasse de grandes affaires dans le boom économique de l’après-apartheid, lui prête une de l’Histoire, dont les résultats sont rarement réjouissants. HANS-JÜRGEN GREIF sud-africaine, nous donne avec maison dans l’arrière-pays où le L’imposteur une œuvre qui protagoniste veut reprendre ses pourrait servir de paradigme esprits et réaliser le rêve de sa dans le domaine du roman de vie : écrire des poèmes. Mais rien langue anglaise à un niveau ne va comme planifié : la muse international. Construction solide, l’ignore, la maison est négligée, le trame narrative conséquente qui jardin étouffe sous une végétation ne donne pas de répit au lecteur, hostile. Le hasard – l’un des sujet creusé à fond, personnages éléments constitutifs du roman bien campés. Contrairement au anglophone – lui fait rencontrer un roman de langue française, qui ancien ami d’école dont Adam n’a laisse plus de liberté à l’auteur, pas le moindre souvenir. Pourtant, les règles du genre sont plus ce même ami lui affirme qu’il lui a strictement observées dans sauvé la vie un soir. Maintenant, le monde anglophone, dont il est richissime, ayant hérité de d’excellents exemples nous son père une immense propriété viennent des littératures dites que ce dernier voulait transformer « périphériques » : Australie, en « paradis terrestre ». Tout s’y Nouvelle-Zélande, Inde, Afrique du prête : il y a de l’eau à profusion, la Sud, Canada, Irlande, États-Unis, végétation est luxuriante, l’hôtel ces derniers ayant développé pour recevoir les visiteurs est prêt. des mécanismes particuliers, Mais voilà que l’ami a une femme, davantage orientés vers le grand noire, d’une beauté troublante, public. Le roman de Galgut ne se ancienne escorte. Adam ne résiste veut pas un best-seller, et il est fort pas, il tombe dans les rets de cette possible qu’il n’en sera pas un, tant femme que la vie a rendue dure, le sujet, sombre, fustige son pays voire cruelle. Alors que les plans d’origine. visant à transformer le paradis en Adam, employé dans une immense terrain de golf avancent entreprise de Johannesburg, à l’aide d’un homme d’affaires perd son emploi. Comme il ne on ne peut plus louche, Adam et peut plus payer l’hypothèque, la son ami se rendent compte que banque saisit sa maison. Son frère, la femme monte dans l’échelle 12 Québec français 159 | AU TO M N E 2010
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